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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2010-2011

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 3 mai 2011

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde

. Équilibre des finances publiques

Discussion générale (suite)

M. René Dosière

Rappel au règlement

M. Jean Mallot

Reprise de la discussion

M. François de Rugy

M. Philippe Vigier

M. Xavier Breton

Mme Marisol Touraine

Mme Martine Billard

M. Charles de Courson

M. Daniel Garrigue

M. Yves Censi

M. Christian Eckert

M. Jean Mallot

M. Olivier Dussopt

M. Yves Vandewalle

M. Jean-Pierre Balligand

M. Lionel Tardy

M. Gérard Charasse

M. Michel Bouvard

Mme Aurélie Filippetti

M. Arnaud Robinet

M. Jean Launay

M. Guénhaël Huet

M. Marc Goua

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

Équilibre des finances publiques

Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle relative à l’équilibre des finances publiques (nos 3253, 3333, 3330, 3329).

Cet après-midi, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

Discussion générale (suite)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Monsieur le président, monsieur le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, quatre ans après son élection et alors que s’annonce déjà la prochaine campagne électorale, le Président de la République vient de découvrir une nouvelle priorité : l’équilibre des finances publiques ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Ce thème ne se trouve pourtant pas particulièrement mis en valeur dans la brochure Quatre ans d’action qui vient de paraître.

M. François de Rugy. Et pour cause !

M. René Dosière. Le bilan était pourtant facile à dresser, comme l’a fort bien expliqué Pierre-Alain Muet. Je me contenterai pour ma part de le résumer de la façon suivante : en 2007, quand le Président a été élu, la dette de la France s’élevait à 1 209 milliards d'euros, c’est-à-dire 63,9 % de la production nationale ; en 2011, cette dette est passée à 1 680 milliards d'euros, c’est-à-dire 86,2 % du PIB. Cela signifie qu’en quatre ans, la dette a augmenté de 39 % – un bel exploit !

M. Jean Mallot. Présider plus pour creuser plus !

M. René Dosière. C’est un fait, la France vit à crédit, et si les prévisions de la loi de finances actuelle se vérifient, le 6 septembre prochain, nous aurons consommé la totalité des recettes budgétaires prévues. À partir de cette date et durant les 116 jours qui resteront pour terminer l’année, les dépenses de notre pays seront financées par l’emprunt. Ainsi, un tiers de nos dépenses est financé par l’emprunt.

Au total, en 2011, l’État aura un besoin de financement de l’ordre de 200 milliards d'euros. Il est vrai qu’à ce niveau, on peut ne plus percevoir toute la signification des chiffres. Je me suis donc livré à un petit exercice à visée pédagogique dont il ressort que, lors des trois heures de débat précédentes sur ce texte, la France a emprunté 69 millions d’euros, puisque nous empruntons, chaque heure, 23 millions d’euros ; à l’issue de la séance de ce soir, dans trois heures, nous aurons emprunté 69 millions d’euros supplémentaires.

L’endettement de la France remonte à 1974, dernière année où nous avons connu un budget de l’État en excédent. Depuis trente-sept ans, quelle que soit la majorité en place…

M. Jean Mallot. Surtout avec la droite, tout de même !

M. René Dosière. …et quelle que soit la situation économique – croissance douce ou forte ou, plus rarement, récession –, l’État dépense plus qu’il ne perçoit de recettes. Au fil du temps, cette attitude a un coût : le montant des intérêts consécutifs à la dette, qui s’élève aujourd’hui à 45 milliards d'euros, c’est-à-dire deux fois les budgets réunis de la justice et de la sécurité. De plus, 70 % de ces intérêts sont payés à l’étranger.

Pour résoudre cette situation dramatique, le Gouvernement nous propose de modifier une nouvelle fois la Constitution, en créant une nouvelle catégorie de lois-cadres pluriannuelles, que les lois de finances annuelles devront respecter – le Conseil constitutionnel étant chargé de vérifier le tout. Autrement dit, à un problème éminemment politique, le Gouvernement propose une réponse juridique, pour le moins inadaptée.

M. François de Rugy. C’est bien le problème !

M. René Dosière. On peut lire, dans l’excellent rapport du président de la commission des lois, que le Conseil constitutionnel devra s’assurer non seulement du réalisme des prévisions économiques retenues, notamment la croissance du PIB et l’élasticité des recettes – je précise que sur ce point, je dois me reporter au rapport de Gilles Carrez pour distinguer l’élasticité conventionnelle de l’élasticité effective. Le Conseil constitutionnel devra également vérifier « la crédibilité des comportements attendus des différents acteurs publics – afin d’éviter par exemple que les efforts demandés au législateur financier ne soient minorés par des perspectives excessivement optimistes » de modération des dépenses locales ou d’amélioration de la situation financière de l’assurance-chômage.

Autrement dit, le Conseil constitutionnel devra définir un nouveau principe d’équilibre des comptes des administrations publiques en appréciant les parts respectives des évolutions discrétionnaires et des évolutions conjoncturelles. Ce n’est pas faire injure au Conseil constitutionnel, dont nous apprécions d’ailleurs les initiatives et la personne de son président, que de souligner que cette institution n’est pas adaptée au nouveau rôle qu’on entend lui confier.

D’ailleurs, chaque année, les rapports de la Cour des comptes ne manquent pas d’observations pertinentes que le Gouvernement serait bien avisé de suivre davantage. Parmi ces observations ignorées par le Gouvernement, il faut évoquer les diminutions de recettes fiscales – une véritable « hémorragie », pour reprendre le terme de Gilles Carrez. Entre 2000 et 2009, les baisses d’impôts ont atteint un montant compris entre 101 et 119 milliards d'euros, soit entre 5 % et 6 % du PIB. Si l’on y ajoute les 25 milliards d'euros supplémentaires des années 2010 et 2011, principalement à la suite de la réforme de la taxe professionnelle, qui constitue selon Gilles Carrez « un allégement historique de la pression fiscale sur les entreprises », les diminutions de recettes fiscales représentent, au total, près de huit points du PIB, soit le niveau du déficit actuel.

Il est donc évident que l’on ne pourra pas atteindre l’équilibre des finances publiques sans une augmentation des impôts. Prétendre le contraire, comme le fait le Gouvernement, ce n’est pas seulement mentir, c’est afficher que l’on n’a pas la volonté politique réelle de revenir à l’équilibre. Puisque tout à l’heure, le président de la commission des lois a cité Mendès France, je voudrais pour ma part citer Charles Péguy : « dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste ». La vérité triste, c’est qu’il nous faudra augmenter les impôts si nous voulons résoudre le problème d’équilibre des finances publiques auquel nous sommes confrontés.

J’ajoute que les modalités d’application de ce texte feront l’objet d’une loi organique dont on ignore tout ! Or, on voit bien, à lire les rapports de la commission des finances et de la commission des lois, que plusieurs options sont possibles et que des divergences d’appréciation se font jour, notamment entre les propositions du rapport Camdessus et les propositions du Gouvernement quant aux modalités pratiques de cette loi organique.

Je me permets de vous rappeler, mes chers collègues, que les modalités pratiques de la révision constitutionnelle proposée sont importantes. Nous avons pu le constater lors de l’instauration du Défenseur des droits : la loi organique qui a traduit concrètement l’organisation et le fonctionnement du Défenseur des droits n’avait plus rien à voir avec la réforme constitutionnelle très floue précédemment adoptée. Il est regrettable que le Gouvernement ne soit pas en mesure de nous fournir un avant-projet de loi organique, de manière que nous puissions voir sur quoi nous nous engageons.

Enfin, pour conclure, je dirai que notre opposition à ce texte vient aussi du fait qu’il réduit considérablement l’initiative parlementaire. La première restriction réside dans l’idée que les mesures fiscales et sociales seront réservées aux lois de finances ou de sécurité sociale, et non plus aux lois ordinaires. De ce fait, l’initiative des parlementaires en matière fiscale se verrait réduite à un droit d’amendement, puisque les lois de finances ne peuvent être présentées que par le Gouvernement.

En outre, comme le souligne toujours le président de la commission des lois, la pratique du vote bloqué et celle de la seconde délibération sont plus fréquemment mises en œuvre pour les lois de finances. Or, ce sont des dispositifs particulièrement contraignants envers la majorité parlementaire. Il faut également souligner que les textes financiers ne bénéficient pas des délais supplémentaires accordés aux autres textes à la suite de la révision constitutionnelle de 2008, mais que leur examen s’effectue dans des conditions de plus en plus contraintes.

Je cite Gilles Carrez : « Le projet de loi de finances pour 2011 a été déposé le 29 septembre, laissant moins de quinze jours à la commission des finances pour travailler sur un texte particulièrement dense ». Cela le conduit d’ailleurs à souligner dans son rapport pour avis que « la qualité des travaux en commissions et en séance […] devient de plus en plus difficile à assurer. »

Enfin, cela a déjà été dit, de très nombreuses propositions de loi ne pourraient plus être déposées, puisque, en vertu d’une coutume parlementaire ancienne, et d’ailleurs antérieure à 1958, le bureau de l’Assemblée – j’ai moi-même été justement vice-président chargé d’apprécier les propositions de loi – accepte que ces textes comportant des charges nouvelles soient gagés sur des majorations d’impôts de toute nature, par exemple une taxe additionnelle aux droits sur les tabacs – heureusement qu’ils existent ! –, afin de ne pas empêcher tout dépôt. Eh bien, ce type de gage ne serait plus possible.

Le monopole des lois de finances en matière de fiscalité locale serait préjudiciable aux collectivités locales. On l’a vu en 2009 quand la réforme de la taxe professionnelle a été inscrite en loi de finances. L’enjeu était le suivant : 30 milliards de recettes. Pour cela, il y avait un seul article de la loi de finances, il est vrai long de soixante pages et de 1 244 alinéas ! La discussion a duré quelques heures compte tenu des contraintes de temps pour l’examen de la loi de finances. Au point d’ailleurs qu’un an plus tard, le rapporteur général souligne les difficultés à mesurer avec précision le coût de cette réforme, estimant cependant qu’elle coûtera au moins deux fois plus que la prévision gouvernementale.

M. Jean Launay. Il fallait le rappeler au passage !

M. René Dosière. Quant aux dispositifs de péréquation, seuls les principes sont posés et l’absence de simulation financière un an après ne permet toujours pas d’en déterminer les modalités pratiques.

Enfin, et j’en termine par là, c’est un monopole qui serait inefficace et inutile. On a vu que la motivation serait d’encadrer les lois de finances et d’éviter la dispersion des initiatives en matière fiscale. Je renvoie simplement à ce que disait tout à l’heure le président de la commission des lois : il s’avère que la plupart – 85 % – des dispositions accordant des exonérations fiscales sont prises dans le cadre des lois de finances, et non pas dans des lois ordinaires.

Voilà les motifs qui font que nous nous opposons à ce texte. J’ajoute, pour conclure, que la véritable réforme à accomplir serait celle qui renforcerait le pouvoir politique du Parlement en tirant toutes les conséquences de la LOLF, c’est-à-dire en permettant à l’Assemblée de consacrer au contrôle de l’exécution du budget deux fois plus de temps qu’elle n’en consacre à son vote.

En réalité, avec ce projet, le Président de la République veut faire oublier les déficits qu’il a creusés depuis 2007. Les Français, eux, n’ont pas la mémoire courte. Nous nous chargerons d’ailleurs de le leur rappeler ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Mallot. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot.

M. Jean Mallot. Monsieur le président, mon intervention se fonde sur l’article 58, alinéa 1, de notre règlement.

Nous discutons ce soir d’un texte extrêmement important. Quoi de plus important, en effet, qu’une révision constitutionnelle, c’est-à-dire une modification de notre loi fondamentale ? Or force est de constater que ce débat n’intéresse pas les parlementaires de l’UMP.

Certes, nous avons le bonheur d’avoir la présence du président du groupe, mais il est seul, absolument seul !

M. Philippe Vigier. Nous ferons sans eux !

Mme Catherine Lemorton. C’est sans doute que le président du groupe les représente tous !

M. Christian Jacob. Je savais que vous seriez sensible à cet honneur ! (Sourires.)

M. Jean Mallot. Faut-il y voir une nouvelle preuve de l’intégration, dans l’esprit de nos collègues de l’UMP, de l’abaissement du Parlement, auquel ce texte contribue d’ailleurs – nous aurons l’occasion d’y revenir ? Faut-il y voir l’empressement de nos collègues de l’UMP à labourer leur circonscription dans la perspective des échéances à venir ? Faut-il y voir, plus précisément, un désaveu implicite du texte que nous discutons ce soir,…

M. François de Rugy. Sans aucun doute !

M. Jean Mallot. …ce qui ne serait pas surprenant, tant nous avons noté le peu d’enthousiasme de nos collègues de l’UMP à cet égard ? Nous le voyons encore ce soir, puisqu’ils ne viennent pas dans l’hémicycle, même à reculons ! (Sourires.) C’est dire à quel point leur désaveu est fort. Je ne peux que l’observer et regretter leur absence, qui ne nous empêchera pas, pour ce qui nous concerne, de faire honneur au mandat que les électeurs nous ont confié ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Christian Jacob. Ça, c’était un vrai rappel au règlement ! (Sourires.)

M. le président. Merci, monsieur Mallot, d’avoir salué la présence du président du groupe UMP !

Reprise de la discussion

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, rétablir l’équilibre des finances publiques est un objectif louable. On a l’impression que vous êtes animés – au moins au Gouvernement, car sur les bancs de la majorité il n’y a personne ! – de la foi des nouveaux convertis !

Après quatre ans d’irresponsabilité budgétaire et fiscale, quatre ans de creusement du déficit et d’explosion de la dette,…

M. Philippe Vigier. Mieux vaut tard que jamais !

M. François de Rugy. …le Gouvernement, et plus encore sans doute le Président de la République, a découvert l’importance, et même le caractère impératif – c’est ce qui est écrit dans l’exposé des motifs du projet de loi – d’un équilibre des finances publiques.

Évidemment, la ficelle est un peu grosse et tout le monde aura vu la manœuvre politicienne qui consiste à mettre l’équilibre budgétaire en haut de l’affiche moins d’un an avant l’élection présidentielle et les élections législatives. Peut-être le président Sarkozy, son gouvernement et sa majorité espèrent-ils ainsi faire coup double : se placer du côté de la vertu budgétaire, d’une part, et éviter le débat sur sa responsabilité dans l’explosion de la dette, d’autre part.

Les Français ne sont pas dupes. Ils savent bien qui gouverne la France depuis maintenant neuf ans : le même parti – l’UMP – et la même majorité parlementaire. En matière budgétaire et fiscale, ils voient bien qu’il n’y a eu aucune rupture entre la pratique des années 2002 à 2007 et maintenant, en dépit des grands discours de Nicolas Sarkozy. Ils font comme nous le triste constat selon lequel les cadeaux fiscaux faits aux plus riches, aux plus hauts revenus et aux plus gros patrimoines n’ont aucune espèce d’efficacité économique, mais au contraire le sinistre effet de creuser le déficit budgétaire, de priver l’État de ses moyens d’agir et au final d’alourdir le boulet de la dette.

Avec l’inscription dans la Constitution de l’équilibre budgétaire – certains ont parlé de « règle d’or », et je crois que c’est une expression chère à nos collègues du Nouveau Centre –,…

M. Philippe Vigier. Merci de le reconnaître !

M. François de Rugy. …les Français vont surtout avoir l’impression, cher monsieur Vigier, que vous avez trouvé, en matière budgétaire, la règle pour transformer l’or en plomb !

La question est pourtant grave. De l’aveu même du rapporteur général du budget, qui s’exprimait au début de notre débat, Gilles Carrez, député UMP et fidèle soutien du Gouvernement, la France pourrait bientôt se retrouver dans la même situation que la Grèce, l’Irlande et le Portugal.

Les Français sont inquiets. Non seulement ils sentent bien que cette situation ne pourra pas durer, mais en plus ils voient se profiler l’humiliation d’une France abaissée à quémander le soutien de l’Union européenne ou du FMI pour une opération de sauvetage financier.

Mme Catherine Lemorton. Le FMI arrive, ne vous inquiétez pas ! (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)

M. François de Rugy. Nous, les écologistes, nous partageons la volonté d’équilibre des finances publiques. Ce principe est même au fondement de notre projet politique car nous pensons que rien n’autorise les générations actuelles à faire payer aux générations futures les mesures budgétaires d’aujourd’hui ; c’est le principe de responsabilité d’une génération par rapport à la suivante.

Nous ne sommes pas pour autant pour le dogme du « zéro dette », ni même du « zéro déficit ». Tout le monde sait que, dans une gestion pluriannuelle, il est tout à fait normal et pour tout dire soutenable de contracter des emprunts pour financer des investissements amortissables dans le temps. Il est tout aussi soutenable de voir un déficit se créer pendant une période de crise, étant donné qu’il n’existera plus une fois la crise finie. En dehors des périodes de crise, il est tout à fait possible de pratiquer un désendettement grâce à des excédents budgétaires.

Notre collègue Charles de Courson du Nouveau Centre demandait au début du débat quelles étaient nos règles de bonne gouvernance des finances publiques. Même si je n’aime guère cette novlangue qui emploie le mot « gouvernance » à tout bout de champ, je voudrais lui répondre simplement. Nous avons une vision claire de ce que serait une bonne politique budgétaire et fiscale.

Et je crois que cet objectif d’équilibre budgétaire, passant par une politique raisonnable et sage adaptée aux différentes conjonctures est très largement partagée par les partis de gouvernement de l’opposition parlementaire d’aujourd’hui.

Contrairement à une idée que vous martelez, et qui, même si vous la ressassez de discours en discours, est toujours aussi fausse, tous les gouvernements et toutes les majorités n’ont pas creusé les déficits et laissé filer la dette. Entre 1997 et 2002, notamment lorsque Dominique Strauss-Kahn était ministre de l’économie et des finances, il y a eu des périodes de réduction du déficit et de la dette. Et je dois même dire qu’entre 2005 et 2007, lorsque Dominique de Villepin était Premier ministre, il y a eu également des efforts d’accomplis. Je n’ai pourtant aucune sympathie politique pour cet ancien Premier ministre et encore moins pour son ministre du budget de l’époque,…

M. Christian Jacob. Faites preuve d’un peu d’ouverture !

M. François de Rugy. …mais il faut avoir l’honnêteté de le reconnaître.

Il serait bon que, sur les bancs de la majorité, on reconnaisse de la même façon que ces petits pas dans le sens de la réduction du déficit ont été littéralement anéantis par la première loi du quinquennat. Je veux parler du paquet fiscal : près de 15 milliards de déficit supplémentaire en une seule loi !

M. Jean Mallot. Eh oui ! C’est grave !

M. François de Rugy. Votre projet de loi constitutionnelle est peut-être de ce point de vue un aveu : ce paquet fiscal, aussi injuste socialement qu’inefficace économiquement, a été le péché originel de ce quinquennat.

Peut-être voudriez-vous, avec ce projet de loi, conjurer ce risque pour l’avenir ; peut-être voulez-vous surtout vous vous prémunir vous-même contre les excès de Nicolas Sarkozy et contre son penchant multirécidiviste pour l’irresponsabilité budgétaire et fiscale.

M. Jean Mallot. C’est en effet une addiction !

M. François de Rugy. C’est la Cour des Comptes qui le dit depuis plusieurs années : le déficit est dû pour plus des deux tiers à des mesures de cadeaux fiscaux et pour moins d’un tiers à la crise proprement dite.

M. Jean Mallot. C’est exact !

M. François de Rugy. Notre opposition à ce projet de loi constitutionnelle est donc d’abord motivée par cette idée simple : c’est la volonté politique, traduite en choix politiques décidés ici même, au Parlement, qui permettra d’atteindre l’équilibre des finances publiques. Ce n’est pas la Constitution qui remplira les caisses de l’État. Et, même si je suis désolé de devoir redire ces évidences, ce n’est pas non plus le Conseil constitutionnel qui le fera ! C’est au mieux une confusion des rôles, au pire une illusion qui confine au mensonge.

Cette tendance à vouloir tout judiciariser est insupportable pour les Français, qui voient bien qu’il s’agit là d’une déresponsabilisation du politique. C’est une tendance à se défausser qu’ils n’acceptent plus. Dans la Constitution, on inscrit des droits, pas des objectifs politiques. Ne confondons pas les règles de fonctionnement de la démocratie avec les choix politiques qui doivent être faits par le peuple français et les représentants qu’il se donne lors des élections législatives.

Quand je parle de déresponsabilisation, c’est très concret : le Gouvernement n’hésite pas à s’exempter de toute responsabilité dans ses choix budgétaires et fiscaux. Ainsi, il explique dans l’exposé des motifs de ce projet de loi que cette situation de déséquilibre budgétaire actuel « ne peut s’expliquer simplement par la faiblesse de la volonté politique de tel ou tel gouvernement. »

Si je comprends bien, d’une part, on ne peut rien à ces déséquilibres, puisque ce n’est pas une question de volonté politique, mais, d’autre part, on doit combattre cette situation, et c’est même un « impératif moral » – l’expression est employée dans l’exposé des motifs. En réalité, ce n’est pas d’une faiblesse de la volonté politique qu’il s’agit, mais plutôt de la faiblesse de votre politique !

Il y a une autre raison qui nous fait penser que ce n’est pas une réforme de la Constitution qui règlera nos problèmes d’équilibre des finances publiques. En effet, il y a en la matière un précédent historique : l’article 40 de la Constitution, qui existe depuis la première version de notre Constitution, adoptée en 1958, et dont je dis au passage que nous regrettons qu’on la triture sans cesse pour y ajouter je ne sais combien d’articles et d’alinéas, comme tend à le faire ce projet de loi constitutionnelle !

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. C’est votre côté gaulliste !

M. François de Rugy. L’article 40, disais-je, interdit aux parlementaires de proposer un amendement qui réduise les recettes de l’État ou qui augmente ses charges. C’est sous-entendre que les parlementaires sont affreusement dépensiers et irresponsables. Mais, franchement, le moins que l’on puisse dire c’est que, alors que l’article 40 est en effet appliqué – d’ailleurs avec une dureté croissante ces dernières années –, le Gouvernement n’a pas eu besoin du Parlement pour faire adopter des budgets en déséquilibre.

Qui a proposé le paquet fiscal ? Le Gouvernement ! Qui a proposé la baisse de la TVA sur la restauration, pour un coût de 3 milliards d’euros en rythme annuel ? le Gouvernement encore ! Qui s’apprête à proposer une baisse de l’impôt de solidarité sur la fortune pour 300 000 des plus riches contribuables de France, pour un coût de près d’1,5 milliard d’euros par an ? Le Gouvernement toujours !

Alors, mesdames et messieurs les députés de la majorité, ouvrez les yeux !

Mme Marisol Touraine et Mme Martine Billard. Ils ne sont pas là ! (Sourires.)

M. François de Rugy. L’action menée par la droite depuis une décennie n’a fait qu’empirer la situation, qu’il y ait la crise ou non.

Ce projet de loi constitutionnelle met en fait en évidence la difficulté pour le Gouvernement de maîtriser une règle de finances pourtant aussi évidente que logique : si un déficit peut se creuser au niveau des dépenses, il ne faut surtout pas négliger l’autre source du problème, en l’occurrence la baisse des recettes. Il s’agit d’ailleurs de la raison principale du déficit : le manque à gagner au niveau des recettes pour la France a été estimé entre 120 et 130 milliards d’euros par an si l’on cumule les différents cadeaux fiscaux faits ces dix dernières années.

Ajoutons à cela les cadeaux aux actionnaires et aux grands groupes. Comment, en effet, ne pas évoquer le scandale du groupe Total, qui réalise plus de 13 milliards d’euros de bénéfices par an et qui ne verse que très peu d’impôts sur le sol français ? On pourrait parler aussi de Google ou d’Amazon, qui sont des sociétés internationales profitant des nouvelles technologies pour organiser une véritable évasion fiscale.

Jamais vous n’avez proposé d’adapter le système fiscal français, pas plus que le système européen – il n’y a jamais eu d’harmonisation fiscale européenne – aux évolutions d’une économie ouverte et dématérialisée.

Autrefois, il était écrit dans les manuels d’histoire ou d’économie que la droite était bonne gestionnaire, qu’elle était raisonnable, qu’elle ne dépensait pas plus qu’elle n’avait de recettes…

M. Dominique Baert. Cela fait bien longtemps qu’on y croit plus.

M. François de Rugy. …contrairement à la gauche, qui était décrite comme dépensière. Il faut en finir avec cette image d’Épinal complètement dépassée.

Mme Martine Billard. C’était vraiment une image d’Épinal en effet.

M. François de Rugy. Il existe sans doute aujourd’hui encore deux courants à droite : un courant qui voudrait, malgré tout, ne pas tomber dans les excès actuels, un autre, incarné successivement par Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, qui se caractérise par l’irresponsabilité budgétaire. Mais les deux se retrouvent sur un point : il importe ensuite d’imposer une réduction des dépenses. Résultat, les Français paient la facture doublement : d’abord, à travers une réduction des services publics, ensuite, à travers une augmentation des impôts. Taxe après taxe, petit impôt après petit impôt, depuis quatre ans vous avez en effet augmenté les impôts et vous savez très bien que vous seriez obligés de les augmenter encore dans les années à venir si jamais vous étiez reconduits.

Mme Catherine Lemorton. Ne parlez pas de malheur !

M. le président. Merci de conclure vraiment, monsieur de Rugy.

M. François de Rugy. Je terminerai en disant au Gouvernement que pour faire avancer un pays, il faut assumer la politique choisie, manifester une volonté d’agir et ne pas multiplier les effets d’annonce. Si l’on veut réduire le déficit, il faut une politique claire, qui prenne en considération les problématiques d’équilibre entre les recettes et les dépenses. C’est seulement ainsi que l’on sortira la France de son endettement croissant. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Vigier.

M. Philippe Vigier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, depuis plus de trente ans, la volonté politique à laquelle faisait allusion François de Rugy, le courage, la détermination n’ont jamais accompagné, que ce soit à gauche ou à droite, les politiques budgétaires.

Mme Catherine Lemorton. Au centre non plus !

M. Philippe Vigier. Je ne prétends pas que l’orthodoxie et la rigueur à tout prix doivent être l’alpha et l’oméga des politiques budgétaires. Mais vous conviendrez d’une chose, mes chers collègues : le fait de connaître une situation particulièrement grave en matière de déficit public, avec les conséquences que l’on sait sur la charge de la dette, constitue, pour le moins, un handicap majeur en termes de compétitivité pour notre pays. Je crois que cela exige de la part tant du Gouvernement que de la représentation nationale un nouveau comportement et du courage.

Le projet de réforme constitutionnelle que nous examinons aujourd’hui permettra de fixer un cadre budgétaire pluriannuel encadrant les lois financières annuelles et définira de manière intangible une trajectoire à respecter, l’objectif étant, nous l’avons dit hier avec Charles de Courson à l’occasion de la discussion sur le programme de stabilité européen, de « rentrer dans les clous » à horizon 2013 pour ce qui est du déficit public.

Cette règle d’or est donc une étape importante mais en aucun cas une fin en soi. Une règle juridique contraignante ne remplacera jamais, et là il appartient à chacun de faire acte de responsabilité, le volontarisme politique pour réaliser des efforts en matière de rigueur budgétaire.

J’aimerais que, dans un premier temps, nous rendions à César ce qui appartient à César.

Permettez-moi de rappeler à cet égard que, dès le début de la législature, le groupe Nouveau Centre avait déposé une proposition de loi constitutionnelle relative au « retour à l’équilibre des finances publiques ». Ce texte, que vous auriez dû signer à l’époque, a été déposé en janvier 2008, c’est-à-dire avant la crise économique. Nous partions alors du simple constat, toujours d’actualité, que depuis le gouvernement de Raymond Barre, en 1980, aucun budget n’avait été voté en équilibre, le rapporteur général du budget l’a souligné tout à l’heure.

M. Alain Rodet. Ce n’est pas vrai, il faut remonter à 1975 !

M. Philippe Vigier. Nous avancions alors trois arguments :

Premièrement, un argument moral. Autant un financement des investissements par l’emprunt peut être légitime dans la mesure où les dépenses engagées peuvent bénéficier aux générations futures et contribuer à créer de la richesse, autant le financement par l’emprunt des dépenses de fonctionnement est illégitime dans la mesure où il hypothèque l’avenir des générations futures.

M. Alain Rodet. C’est pourtant ce que vous faites depuis quatre ans !

M. Philippe Vigier. Deuxièmement, un argument économique. Prélever de l’épargne nationale pour financer des dépenses de fonctionnement affaiblit incontestablement la croissance économique française à long terme et développe, ce que nous déplorons tous, le chômage.

Enfin, un argument politique. Il faut respecter nos engagements européens bien sûr, mais aussi laisser des marges de manœuvre aux gouvernements futurs – cela devrait intéresser largement nos collègues.

La proposition de loi constitutionnelle centriste de 2008 visait à interdire à compter de 2012 le vote en déséquilibre des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale.

Près de trois ans après, le Gouvernement s’engage sur une règle contraignante pour que soit enfin respectée la trajectoire budgétaire prédéfinie. Au nom du groupe Nouveau Centre, monsieur le ministre, je salue cette avancée et le chemin parcouru. Nous sommes intervenus à plusieurs reprises avec Charles de Courson et Nicolas Perruchot sur ce sujet, mais s’il peut être difficile d’avoir raison trop tôt, j’ai l’habitude de dire que seul le résultat compte.

Y a-t-il ou non urgence à se doter d’une règle opposable inscrite dans la Constitution ? À ce propos, le fait que Mme Duflot nous ait expliqué, hier matin, qu’il fallait laisser filer les déficits publics m’inquiète.

M. François de Rugy. Vous avez mal entendu.

M. Philippe Vigier. Non, et vous feriez bien de prendre connaissance de ses propos.

M. Alain Rodet. Et qu’en pense M. Morin ?

M. Philippe Vigier. Et la seule idée que l’on puisse entrer enfin dans une maîtrise des déficits publics a provoqué des rugissements sur les bancs du parti socialiste durant la séance des questions au Gouvernement de cet après-midi. Mais, pour le groupe Nouveau Centre, il y a urgence de se doter d’une règle opposable.

Nos collègues allemands ont adopté dès 2009 une règle que vous connaissez.

M. Jean-Pierre Brard. À la schlague !

M. Philippe Vigier. Sa philosophie est semblable à celle que nous examinons aujourd’hui – on nous parle toujours de convergence franco-allemande – même si elle en diffère dans sa mise en œuvre.

En effet, les Allemands ont entériné une limitation du déficit structurel fédéral à un maximum de 0,35 % du produit intérieur brut et une obligation d’équilibre du budget des Länder. Ce mécanisme dit de « frein à l’endettement » est entré en vigueur en 2011, mais son application est graduelle puisque la limitation du déficit structurel de l’État fédéral s’appliquera à compter de 2016 et que le déficit des Länder sera prohibé à partir de 2020.

Mes chers collègues, sur ce point précis, nos collectivités territoriales sont en avance sur les Länder puisque, comme vous le savez, « le budget de la collectivité territoriale est en équilibre réel lorsque la section de fonctionnement et la section d’investissement sont respectivement votées en équilibre ».

La question est simple : pourquoi ne pas fixer la même règle à l’État que celle qui s’applique aux collectivités territoriales ?

M. Alain Rodet. En équilibre, il n’y a pas d’emprunt.

M. Philippe Vigier. Cette interrogation est précisément l’objet d’un amendement que le groupe Nouveau Centre défendra.

M. Alain Rodet. Que faites-vous de l’investissement ?

M. Philippe Vigier. Vous, vous voulez toujours creuser plus profond.

M. Jean Mallot. C’est plutôt le cas de vos collègues de l’UMP !

M. Philippe Vigier. Il conviendrait de préciser que l’équilibre dont il est question dans le texte concerne les dépenses de fonctionnement. Certains m’opposeront que fonctionnement et investissement sont difficiles à distinguer. En effet, les dépenses d’éducation, de l’armée et de la culture peuvent être, par moments, considérées comme autant de dépenses d’investissement. Dans cette hypothèse, la totalité du budget de l’État pourrait alors être financée à crédit.

Or, pour distinguer ces deux notions, je pense que cela n’échappera à personne, il existe des normes comptables. Ainsi, avec l’amendement que le groupe Nouveau Centre a déposé, il ne sera pas possible au Gouvernement de jouer sur les deux concepts.

Il faut savoir qu’il n’existe pas un seul euro d’investissement dans le budget de la sécurité sociale et que dans le budget de l’État, vous le rappelez d’ailleurs régulièrement, l’investissement ne concerne que 20 milliards d’euros, sur un total brut de 380 milliards.

M. Alain Rodet. Vous l’avez voté, ce budget !

M. Philippe Vigier. Mes chers collègues, sans attendre le texte organique, il convient de préciser la notion « d’équilibre » en s’inspirant de ce qui est exigé des collectivités territoriales.

M. Alain Rodet. Certains prétendaient que c’était des mauvais élèves !

M. Philippe Vigier. Monsieur le ministre, pour le groupe Nouveau Centre, deux points du texte sont perfectibles :

D’une part, il convient de fixer d’ores et déjà la période que devront couvrir les nouvelles lois-cadres d’équilibre des finances publiques, qui établiront une trajectoire budgétaire pluriannuelle. Un horizon de quatre ans nous semble cohérent avec la période de référence du programme de stabilité et de croissance transmis annuellement par les autorités nationales à la Commission européenne ;

D’autre part, si la constitutionnalisation de l’obligation de transmission au Parlement des projets de programme de stabilité constitue indiscutablement une avancée, il convient, pensons-nous, de concrétiser cette compétence du Parlement, au moment où les uns et les autres nous demandons une revalorisation des pouvoirs du Parlement.

M. Jean Mallot. C’est réussi !

M. Philippe Vigier. Pour cela, nous considérons qu’il faut rendre obligatoire une déclaration du Gouvernement sur le projet de programme de stabilité suivie d’un débat et d’un vote sur cette déclaration. En clair, il s’agit de systématiser la procédure prévue à l’article 50-1 de la Constitution.

M. Jean Mallot. Il n’y a pas d’amendement possible et si vous votez contre le projet, il n’y a pas de conséquence !

M. Philippe Vigier. En conclusion, mes chers collègues, le groupe Nouveau Centre se réjouit de l’examen de ce texte.

M. Jean Mallot. Comme d’habitude !

M. Philippe Vigier. Cela semble d’ailleurs beaucoup vous gêner.

Nous avons été les premiers à évoquer, sans tabou et dès les premiers instants de la législature, la nécessité d’une règle d’or. Ce n’est pas une posture, c’est un engagement que nous avions pris.

Mme Catherine Lemorton. Il ne fallait pas faire partie de la majorité alors !

M. Philippe Vigier. Le texte que nous allons examiner marque une étape décisive dans cette législature : il participe, à nos yeux, de la définition d’un Parlement moderne.

J’en appelle en outre à l’esprit de responsabilité, au courage et à la lucidité de nos collègues de l’opposition pour qu’ils consentent à voter ce texte sans calculs préélectoraux. La rigueur n’est pas un vice en matière budgétaire, elle constitue, à nos yeux, une vertu.

M. Xavier Breton. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, le redressement de nos finances publiques est aujourd’hui une priorité qui s’impose à nous tous, ce redressement est même peut-être devenu la première priorité de toutes nos politiques publiques.

M. Jean Mallot. Grâce à vous !

M. Xavier Breton. Les chiffres sont en effet édifiants : depuis trente ans maintenant, la dette publique augmente inexorablement sous l’effet de déficits qui s’accumulent année après année.

Rappelons-nous, il y a trente ans, en 1980, la dette publique représentait 20 % du PIB ; en 2010, cette dette publique a dépassé les 80 % du PIB, 81,7 % exactement, pour un montant astronomique de 1 600 milliards d’euros.

Il serait stérile de s’accuser mutuellement entre droite et gauche, chacun porte sa part de responsabilité dans cette situation.

M. Christian Eckert. Mais non, ce n’est pas vrai.

M. Jean Mallot. Ce n’est pas stérile car les responsabilités sont claires : c’est uniquement votre faute !

M. Xavier Breton. Mais chacun doit aujourd’hui prendre sa part dans l’effort qui doit être fourni pour résorber ce déséquilibre de nos finances publiques, déséquilibre devenu structurel.

Mme Catherine Lemorton. Mais non !

M. Christian Eckert. C’est trop facile !

M. Jean Mallot. C’est incroyable : le Gouvernement et la majorité creusent les déficits et après nous accusent !

M. Xavier Breton. Comme l’indique l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis, la maîtrise de notre endettement et le retour à l’équilibre de nos finances publiques représentent une nécessité économique, mais pas seulement, ils constituent également un impératif moral, si nous voulons réduire la charge transmise à nos enfants, protéger notre modèle social et garantir notre souveraineté ainsi que notre liberté de choix pour préparer l’avenir.

Cet impératif moral trouve tout naturellement sa place au sein même de notre Constitution, en raison tout d’abord de la force juridique générée par la transcription constitutionnelle d’une volonté politique mais également de la portée de l’engagement que notre pays prendrait en inscrivant la volonté d’équilibre de nos finances publiques au cœur de notre loi fondamentale. Car le sursaut, l’effort qui sont aujourd’hui indispensables ne concernent pas seulement le Gouvernement et le Parlement. Ils concernent également l’ensemble des acteurs économiques et sociaux de notre pays, l’ensemble de nos concitoyens.

Mme Catherine Lemorton. Surtout eux !

M. Xavier Breton. L’effort demandé n’est pas une contrainte qui ne s’imposerait qu’à certains. C’est, bien au contraire, une cause nationale qui doit mobiliser chacun d’entre nous.

Avec la révision du 23 juillet 2008, nous avons déjà inscrit un objectif constitutionnel d’équilibre des finances publiques dans l’article 34 de la Constitution. Le texte dont nous débattons ce soir nous propose d’aller plus loin en renforçant les différentes règles budgétaires qui encadrent l’action des pouvoirs publics. Les travaux riches et animés au sein des commissions compétentes ont montré que ce texte pouvait être encore amélioré, notamment pour renforcer son efficacité.

Pourraient ainsi être consolidées les lois-cadres d’équilibre des finances publiques dont les dispositions auront pour objectif, à un horizon pluriannuel défini, d’assurer l’équilibre des comptes des administrations publiques.

L’effectivité de la présente réforme dépendra aussi de l’efficacité des contrôles qui seront exercés lors de sa mise en œuvre. Nous savons aujourd’hui que le contrôle du Conseil constitutionnel sur les lois financières a une portée limitée. Avec ce texte, le Conseil constitutionnel pourra effectuer un contrôle plus strict à deux moments cruciaux : tout d’abord, au moment de l’adoption des lois-cadres d’équilibre des finances publiques ; ensuite, lors de l’adoption des lois de finances et de financement de la sécurité sociale…

Mme Catherine Lemorton. On est bien parti !

M. Xavier Breton. …puisque le Conseil constitutionnel pourra sanctionner une absence de conformité à certaines dispositions des lois-cadres d’équilibre des finances publiques. Nul doute que ces contrôles constitueront une contribution importante à la mise en œuvre de la réforme qui nous est proposée.

Ce projet de loi constitutionnelle, on le voit, peut être une étape importante pour nos comptes publiques. Il est des circonstances qui appellent une attitude responsable fondée sur l’intérêt général, laissant de côté les polémiques partisanes. La situation de nos finances publiques mériterait, aurait mérité qu’une large majorité, issue de tous les bancs de notre assemblée, se rassemble pour définir d’un commun accord le cadre dans lequel pourra s’opérer le redressement de nos finances publiques. Ce serait, cela aurait pu être un signal très fort adressé à l’ensemble de nos compatriotes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Marisol Touraine.

Mme Marisol Touraine. Qui peut être dupe de votre manœuvre, monsieur le ministre ? À un an de l’élection présidentielle, vous nous présentez un texte dont l’objectif est manifestement non pas de convaincre les parlementaires – ceux de votre majorité ne sont d’ailleurs pas là ! –, mais de faire du théâtre, de la gesticulation à l’adresse de l’opinion en essayant d’installer l’idée selon laquelle il y aurait d’un côté les gens responsables, vous, et, de l’autre côté, les dépensiers, les irresponsables, ceux qui ne savent pas gérer, nous les gens de gauche. Tout cela serait plutôt amusant si cela ne consistait pas purement et simplement à tordre la vérité des faits et des chiffres, et si cela ne vous amenait pas, dans un exercice que vous affectionnez particulièrement, à regarder dans un rétroviseur que vous peignez aux couleurs qui vous plaisent. En effet, la vérité oblige à dire que ceux qui ont fait preuve de responsabilité dans la gestion des affaires publiques, ce sont les femmes et les hommes de gauche (M. Charles de Courson s’esclaffe), et non pas ceux qui portent vos couleurs aujourd’hui.

On ne mènera pas la campagne présidentielle en regardant ce qui s’est passé il y a quinze ou vingt ans. Cette campagne se fera sur la réalité des engagements et l’esprit de responsabilité des uns et des autres, mais cet esprit de responsabilité suppose l’exemplarité. Or, celle-ci n’est pas dans votre camp. Demain, les Français n’auront pas la mémoire si courte que cela, même si les déficits dont nous parlons sont tellement abyssaux qu’ils ne représentent plus rien pour la plupart de nos concitoyens. Dès lors que l’on dépasse la dizaine de milliards, qu’est-ce que cela veut dire ? Le problème, c’est que les dizaines de milliards s’ajoutent les unes aux autres jusqu’à un plafond encore jamais atteint et votre gouvernement restera celui qui aura la responsabilité d’avoir placé la France dans une situation sans précédent au regard de son déficit, de sa dette. Et cette responsabilité-là, il faudra bien que vous l’assumiez.

On pourrait être tenté de faire de l’humour, sauf que le sujet n’est absolument pas drôle ! Vous alignez les mots et les phrases, mais les résultats concrets de votre action ne sont pas au rendez-vous. Comment peut-on faire confiance à un gouvernement qui nous explique que, demain, il faudra faire preuve de rigueur, qu’après la prochaine élection, il faudra mettre en œuvre de nouvelles règles, alors qu’il n’a pas respecté les objectifs qu’il s’était fixés au cours des années précédentes ?

M. Xavier Breton. Il n’y avait pas de crise !

Mme Marisol Touraine. Évidemment, vous nous parlez toujours de la crise. Mais la crise, elle a bon dos !

M. Xavier Breton. J’aurais voulu vous y voir !

Mme Marisol Touraine. En effet, avant 2008, il n’y avait pas de crise et la Cour des comptes elle-même considère que l’on peut lui imputer un tiers seulement du déficit.

Pour prendre un exemple précis, depuis 2003, le déficit social est systématiquement de l’ordre de la dizaine de milliards d’euros. Comme l’a dit M. Méhaignerie, il y a eu une amorce de rétablissement et la crise est venue freiner dans son élan la politique prétendument structurelle du Gouvernement. Mais regardons les données ! La seule année où le déficit de la sécurité sociale est descendu en dessous des 10 milliards pour s’établir à 8,7 milliards – avouez que l’effort est colossal ! – c’est 2006. Dès l’année suivante, on a dépassé les 10 milliards de déficit. La crise n’a donc rien à voir avec cela. Nous étions en effet dans une période de relative croissance, avec une augmentation de la masse salariale et des cotisations. Votre discours qui consiste à faire de la crise le seul élément explicatif n’est donc absolument pas valable. Le problème de fond, c’est que vous n’avez pas mis en œuvre les politiques structurelles qui auraient été nécessaires pour revoir les déficits à la baisse.

Dès lors que l’enjeu est la mise en place de politiques structurelles, on peut se demander ce que la Constitution vient faire dans l’histoire ! En admettant même qu’il faille engager des politiques permettant de mieux contrôler, de mieux réviser les dispositifs de dépenses au cours de l’année, en quoi la constitutionnalisation de ces garde-fous permettra-t-elle de garantir que la ligne jaune ne sera pas franchie ? Les règles constitutionnelles actuelles, au premier rang desquelles se trouvent les règles issues du traité de Maastricht, ne sont en effet pas respectées aujourd’hui, et le fait qu’elles soient inscrites dans la Constitution ne change strictement rien.

Je pourrais également revenir sur l’épisode qui, il y a quelques mois, a consisté à modifier la règle constitutionnelle concernant la durée de validité de la CADES, règle que vous aviez vous-mêmes fixée. Ce qu’un texte a fait, un autre texte l’a défait. C’est peut-être un affichage intéressant à court terme, mais qui n’est en rien garant d’une politique de sérieux, de responsabilité et d’efficacité. En revanche, l’inscription dans la Constitution aura pour effet de complexifier considérablement la manière d’organiser la politique tout au long de l’année, la mise en place des politiques structurelles. J’en veux pour exemple la récente réforme que vous avez annoncée sur la fameuse prime à 1 000 euros. Je ne reviendrai pas sur le fond même de la politique que vous proposez, mais cette prime à 1 000 euros, pour être incitative, s’accompagnera d’exonérations de cotisations sociales. Vous nous expliquez qu’il faut faire preuve de rigueur, qu’il faut faire la chasse aux niches sur lesquelles vous avez pourtant systématiquement refusé de revenir au cours des dernières années lorsque c’est nous qui le proposions, et la première mesure que nous allons être amenés à examiner dans les semaines qui viennent sera un dispositif d’inspiration gouvernementale visant à introduire des exonérations de cotisations d’une manière hyper-compliquée. Non seulement vous ne respectez pas la règle de la rigueur que vous prétendez imposer à vos successeurs, mais vous compliquez la procédure parlementaire. On voit bien que, pour vous, l’enjeu est avant tout un effet d’affichage. C’est un enjeu théâtral consistant à installer une certaine image dans la perspective de l’élection présidentielle.

Tout cela est assez préoccupant pour les politiques sociales. M. Bur dit, dans son rapport, qu’il y a en France une culture du déficit. Je vois qu’il fait preuve de lucidité à l’égard de gouvernements qui ont occupé des responsabilités pendant une dizaine d’années, mais l’enjeu pour les politiques sociales consiste à savoir si les principes, les engagements auxquels nous nous référons régulièrement sont, ou non, maintenus. Or, avec la procédure que vous proposez on se demande ce que deviennent les partenaires sociaux, notamment lorsque vous imposez de façon contraignante un objectif de dépenses pour l’UNEDIC alors que cela relève de la gestion des partenaires sociaux. On se demande comment l’on pourra maintenir l’identification des dépenses sociales qui est une condition nécessaire pour l’identification de ces politiques sociales. Pour ne me référer qu’à ces dernières, je veux simplement dire que le seul esprit de responsabilité qui vaille c’est la mise en œuvre de politiques structurelles. Or, en matière de retraites, vous avez résolument tourné le dos aux politiques structurelles en supprimant le Fonds de réserve des retraites qui était un engagement d’avenir traduisant, dans la durée, une prise de responsabilité à moyen et long terme.

Pour réaliser des effets de manche dans l’immédiat vous avez tourné le dos à ce qui permettait de garantir dans la durée le rétablissement des comptes.

Autre exemple, s’agissant des politiques de santé, on sait très bien qu’il faut faire des efforts, mais vous avez fait le choix de multiplier les petits déremboursements de-ci de-là, de ne pas engager de politique de suppression des niches qui soit résolue – l’exemple de la prime à 1 000 euros le montre encore – et vous avez systématiquement reculé devant tout ce qui est aujourd’hui considéré comme nécessaire, c’est-à-dire la refonte du cadre de l’exercice de la médecine libérale, la mise en place du plafonnement des dépassements d’honoraires, l’encadrement des installations des professionnels de santé, l’accompagnement de nouvelles pratiques, la volonté de mieux faire travailler ensemble les différents professionnels, la réforme de la tarification et de la rémunération des professionnels de santé. Toutes ces réformes structurelles auraient pourtant permis d’inscrire la politique de sécurité sociale dans l’avenir à moyen terme, mais vous avez préféré vous satisfaire des expédients que vous avez jusqu’à maintenant privilégiés.

Voilà pourquoi, monsieur le ministre, nous ne pouvons croire à ce que vous nous proposez. Nous ne pouvons même pas croire que vous y croyez vous-même. En réalité, vous êtes animé d’une volonté d’affichage, de gesticulation pour leurrer les Français dans la perspective des élections de l’année prochaine. Mais, à l’évidence, les Français ne se laisseront pas tromper car, pour donner des leçons, il faut savoir être exemplaire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Martine Billard.

Mme Martine Billard. Monsieur le ministre, hier soir nous avons eu le premier épisode du « pacte euro-plus » avec le débat sur le programme de stabilité européen que le gouvernement français devait transmettre à la Commission européenne. Aujourd’hui, nous avons le deuxième épisode avec cette exigence d’inscrire dans notre loi fondamentale ce que vous appelez la règle d’or et ce que nous appelons la « règle pour que les peuples se serrent la ceinture ».

Tout ce que contient ce texte correspond à une demande explicite de la Commission européenne et du FMI. D’ailleurs, en confiant, en 2010, à Michel Camdessus, figure historique de la politique libérale du FMI, un rapport sur l’application de la règle d’or, Nicolas Sarkozy avait pris les devants. Le texte que vous nous proposez traduit fidèlement la recommandation du groupe de travail piloté par Michel Camdessus dont il ne faut pas oublier qu’il était à la tête du FMI pendant la crise du bath thaïlandais en 1997 et pendant la crise argentine en 2000. On peut même dire qu’il a mené l’Argentine non pas au bord du gouffre, mais directement dans le gouffre !

M. Charles de Courson. Mais non ! L’Argentine s’est redressée !

Mme Martine Billard. On ne voit pas très bien comment vous pouvez vous poser aujourd’hui en défenseur des équilibres budgétaires si ce n’est pour tenter de faire oublier votre responsabilité historique dans le désastreux état de nos finances publiques. Comment les pires gestionnaires des finances publiques de la France depuis plus de cinquante ans peuvent-ils venir donner aujourd’hui des leçons à la représentation nationale ?

« La faute à la crise ! », nous dites-vous. Mais la Cour des comptes est claire : la crise n’entre que pour un tiers dans l’état du déficit public.

Il est d’ailleurs bizarre que, de manière systématique, les finances publiques plongent lorsque la droite est au pouvoir… Y aurait-il des crises chaque fois que la droite est au pouvoir ? Non, puisque vous déclarez vous-mêmes que nous traversons la pire des crises !

La réalité, c’est que, depuis 1981, la part des recettes publiques dans le PIB a diminué de sept points, et la véritable cause du déficit public, c’est votre politique de réduction de la fiscalité en faveur des plus riches. Vous avez multiplié les niches fiscales et sociales : 500 niches fiscales et 118 niches sociales, pour 173 milliards d’euros d’exonération – ce sont les chiffres de la Cour des comptes –, alors que le déficit s’élève à 140 milliards d’euros.

Le présent projet vise donc à imposer un cadre contraignant d’action, cadre contraignant que vous êtes vous-mêmes incapables de respecter. Ce texte n’a d’autre effet que de réduire progressivement le rôle du Parlement à la portion la plus congrue, dans des domaines – les finances publiques et les lois constitutionnelles – où il est pourtant primordial.

Pour le moment l’article 40 de la Constitution contraint principalement l’opposition, puisque le Gouvernement peut, à tout moment, déroger à la règle qui empêche d’augmenter les dépenses publiques ou de diminuer les recettes et qu’il peut également lever le gage sur les amendements de sa majorité, ce que vous ne vous êtes pas privés de faire à maintes reprises depuis 2002.

Votre texte entend désormais interdire toute autonomie des choix politiques en matière de finances publiques, en encadrant dépenses et recettes. La création des lois-cadres de finances publiques se traduira, selon le rapport Camdessus, par une rigidité énorme, qui empêchera le Parlement de voter des réformes d’ampleur. Ne soyons pas naïfs : l’objet principal de ces lois-cadres sera de verrouiller les dépenses publiques, c’est d’ailleurs écrit tel quel.

L’autonomie des deux budgets, d’un côté celui de l’État, de l’autre celui de la sécurité sociale, est supprimée, puisqu’ils seront désormais en concurrence dans le cadre d’un budget global.

Vous profitez enfin de cette loi pour achever de faire main basse sur les collectivités territoriales. Comme, en vertu de l’article 72 de la Constitution qui proclame que les collectivités s’administrent librement, vous ne pouviez jusqu’à présent leur imposer vos politiques financières, vous instaurez un contrôle de l’évolution de leurs dépenses.

Pire encore, vous instaurez un contrôle des budgets gérés aujourd’hui par les partenaires sociaux, que ce soit l’assurance chômage ou les complémentaires retraites. Le Parlement n’examine pas ces budgets, mais le Gouvernement pourra fixer une limite à leur évolution.

On peut au final se demander à quoi sert ce texte, que vous pourrez faire voter par l’Assemblée et probablement par le Sénat, mais certainement pas par le Congrès, où vous n’avez pas la majorité des trois cinquièmes. À un an d’élections pour lesquelles vous n’êtes pas vraiment donnés vainqueurs, sans doute aurez-vous du mal à convaincre assez de parlementaires…

Cette réforme sert-elle alors à faire croire à l’opinion publique que vous avez été de bons gestionnaires – vous seriez bien les seuls à penser que vous pouvez ainsi l’abuser – ou a-t-elle pour objectif de convaincre les actionnaires de voter pour vous, en leur garantissant leur dividendes sur le dos des salariés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Philippe Vigier ayant largement exposé notre position sur le nécessaire équilibre des finances publiques, je traiterai de deux questions : pourquoi, d’une part, une règle d’équilibre de fonctionnement est-elle nécessaire ? Pourquoi, d’autre part, faut-il la constitutionnaliser ?

Les centristes se battent depuis de très nombreuses années pour établir une règle d’équilibre de fonctionnement des finances publiques de l’État et de la sécurité sociale. Je le précise, car cette règle existe dans le code général des collectivités territoriales depuis des dizaines d’années, et aucune majorité n’est jamais revenue dessus.

M. Michel Vergnier. Deux poids, deux mesures !

M. Charles de Courson. Je voudrais donc que mes collègues de gauche m’expliquent pourquoi ce qui est bon pour les collectivités territoriales et a permis d’éviter qu’elles s’endettent démesurément serait mauvais pour l’État et la sécurité sociale ? Leurs arguments en la matière ne m’ont jamais convaincus.

M. Marc Goua. Nous n’avons pas dit que c’était mauvais !

M. Jean Mallot. C’est vous qui avez creusé les déficits !

M. Charles de Courson. La majorité de nos collègues de gauche ayant voté en faveur du traité de Maastricht, je voudrais leur rappeler que la première raison justifiant l’instauration d’une règle d’équilibre est une raison européenne, puisque le traité de Maastricht limite les déficits publics à 3 %. C’est une exigence inscrite dans l’ordre juridique, et le peuple l’a approuvée !

M. Jean-Pierre Brard. De justesse !

Mme Martine Billard. Mais il s’est prononcé contre le TCE !

M. Charles de Courson. Certes, monsieur Brard, mais la République a été établie à une voix !

Sur quoi se fondent ces 3 % ? Par le plus grand des hasards, il se trouve qu’en France l’investissement public de l’État et des collectivités territoriales représente 3 % de la richesse nationale.

M. Jean-Pierre Brard. Le chiffre biblique, c’est sept, pas trois !

M. Charles de Courson. Le traité de Maastricht exige donc un équilibre de fonctionnement global. Si l’on analyse les choses plus finement, cela signifie un équilibre total du budget de la sécurité sociale puisque, dans ce dernier cas, il n’y a pas d’investissements. Pour le budget de l’État, il ne reste que 20 milliards d’investissements, en comptant les subventions.

M. Michel Vergnier. Vous ne serez jamais ministre, vous faites peur à tout le monde !

M. Charles de Courson. Je n’y aspire pas ! Pour ce qui concerne les collectivités territoriales enfin, nous sommes en suréquilibre, si l’on parle, comme nous le préconisons, d’équilibre de fonctionnement, puisque, selon les dernières statistiques, nous serons en 2011 à 0,1 ou 0,2 % du PIB, soit 3 ou 4 milliards et que nous étions en 2010 à moins de 6 milliards de besoin de financement.

Cela signifie que, si globalement l’équilibre est à 3 %, nous sommes, pour les trois blocs à 25 milliards, soit 0,6 ou 0,7 %, pas plus.

Or, nous sommes entre 1 et 1,5 % autour d’un taux qui correspond à ce que l’on appelle le seuil stabilisant, c'est-à-dire au pourcentage de déficit en deçà duquel on cesse d’augmenter la masse de l’endettement public par rapport à la richesse nationale et qui dépend de trois facteurs : le taux d’intérêt, le taux de croissance et le montant initial de la dette. Notre dette s’élève actuellement à 83 % ; quant au taux de croissance, j’ai toujours dit au Gouvernement de ne pas aller au-delà de 1,5 ou 1,6, les recettes supplémentaires obtenues en cas de plus forte croissance permettant d’accélérer la réduction du déficit public.

Si vous faites un calcul simple, vous obtiendrez donc des taux avoisinant 1 à 1,5 %, ce qui signifie que le traité de Maastricht est trop laxiste au regard des capacités de développement de la France !

M. Jean-Pierre Brard. Ben voyons !

M. Charles de Courson. Chers collègues socialistes, vous espérez atteindre un taux de 2,5 % sur longue période, grâce à la libération des forces de production… Soit. Mais, conjugué à une inflation à 1,5 %, cela vous fait 4 %. Avec des taux d’intérêts de 3 ou 3,5 %, cela place le taux stabilisant aux alentours de 1,5 %, pas plus.

J’évoquerai enfin l’aspect éthique de la question. Que signifie s’endetter pour financer des dépenses de fonctionnement ? Cela signifie transférer sur les générations futures une partie du financement de nos services publics.

M. Jean Mallot. Qui a voté le transfert à la CADES ?

M. Charles de Courson. Si vous suiviez un peu les débats, vous sauriez que j’ai voté contre ! Y a-t-il une personne dans cet hémicycle qui puisse se lever pour affirmer qu’il est éthiquement défendable de s’endetter pour financer durablement des dépenses de fonctionnement ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Mallot. On ne vous a pas attendu pour dénoncer cela !

M. Charles de Courson. Que signifie par ailleurs, en termes économiques, de s’endetter pour financer des dépenses de fonctionnement ? Cela revient à ponctionner l’épargne – 250 milliards représentent la totalité de l’épargne des ménages – et à réduire les investissements. On observe dans tous les pays que plus l’endettement et le déficit sont élevés, plus le taux de croissance baisse. C’est le schéma japonais : le Japon ne s’est pratiquement pas développé pendant dix ans, après deux décennies de développement record dans les années cinquante et soixante. Mieux vaudrez méditer cet exemple et ses conséquences : chômage et stagnation du niveau de vie !

Politiquement enfin, demandons-nous pourquoi les Français ne veulent plus voter. Pourquoi voudraient-ils changer de Gouvernement, s’il n’y a plus de marge de manœuvre ?

M. Jean Mallot. Dites-le donc au Gouvernement et à sa majorité !

M. Charles de Courson. En deux minutes, je voudrais, pour conclure, expliquer pourquoi il faut constitutionnaliser cette règle.

M. le président. Deux minutes, c’est excessif, monsieur de Courson. Il vous faut conclure.

M. Charles de Courson. Cela doit permettre au Conseil constitutionnel d’annuler les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale qui ne respectent pas les lois-cadres.

Quel que soit le Gouvernement, il lui faudra s’expliquer devant la représentation nationale sur les stratégies qu’il adopte pour les quatre années à venir. Nous aurons là un vrai débat démocratique.

Telles sont les deux raisons pour lesquelles il faut soutenir le texte proposé par le Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Daniel Garrigue.

M. Daniel Garrigue. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis son adoption, la Constitution de 1958 a été modifiée à de nombreuses reprises. De façon générale, ces réformes avaient de la portée et du sens, ou elles faisaient suite à nos engagements internationaux ou européens. On ne peut en dire autant de la réforme qui nous est proposée aujourd’hui.

M. Jean Mallot. C’est clair !

M. Daniel Garrigue. Certes, l’une des dispositions de ce projet est tout à fait positive, c’est celle qui prévoit à l’article 12 l’intervention du Parlement dans la procédure du « semestre européen ». C’est une avancée importante, car elle confirme l’idée que l’on ne fera pas progresser la construction européenne sans y associer l’ensemble des acteurs institutionnels, et particulièrement les parlements nationaux. On peut avoir la conception que l’on veut de la construction de l’Europe, l’association, le plus en amont possible, des parlements nationaux et leur implication permanente dans les enjeux communs de l’Union européenne sont parmi les éléments qui contribueront le mieux à surmonter les antagonismes virtuels entre l’Union et les nations qu’elle rassemble.

Mais, pour le reste, c'est-à-dire l’essentiel, c'est-à-dire les dispositions relatives à l’équilibre des finances publiques, cette réforme est inutile, dangereuse et elle contrevient à nos engagements européens.

Cette réforme est inutile. L’exigence de maîtrise – et c’est un concept un peu différent de celui d’équilibre – des finances publiques doit être, c’est évident, au cœur de l’action gouvernementale.

C’est un enjeu tellement important qu’il constituait même, à l’origine, l’un des piliers de la Ve République ; mais à l’époque, c’est vrai, il n’y avait pas besoin de l’écrire.

La maîtrise des dépenses publiques, ce n’est pas une affaire d’affichage, c’est une affaire de volonté politique – volonté politique qui doit être permanente, mais qui doit aussi être libre, et non pas encadrée ou entravée : elle doit en effet être à même de s’adapter aux contraintes de notre environnement économique et financier.

Vous soumettez en outre, dans ce projet, l’empilement des textes relatifs aux finances publiques au contrôle du Conseil constitutionnel. Cela sera insupportable pour le Conseil, qui devra devenir une super-Cour des comptes, comme pour la gestion des finances publiques elle-même, qui deviendra de plus en plus aléatoire.

Or il serait temps de rappeler qu’il ne revient pas au Conseil constitutionnel de sanctionner la volonté politique ; ce rôle revient au suffrage universel, et à lui seul.

Cette réforme est dangereuse, car elle conduit à paralyser l’un des instruments majeurs de notre politique économique. Est-ce un simple effet d’annonce ou bien, comme certains le disent un peu trop ouvertement, une manœuvre politicienne à la veille d’échéances électorales ? Je ne veux pas le croire, monsieur le ministre. (Rires sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Ce ne serait pas dans l’esprit de nos institutions.

Est-ce là l’exhumation d’un vieux fantasme national-libéral, d’une certaine façon la résurrection de Salazar ? À écouter certains, on pourrait presque le croire.

M. Jean-Pierre Brard. Mais oui !

M. François Baroin, ministre. Voyons, monsieur Garrigue !

M. Daniel Garrigue. Une chose est sûre : si nous avions, comme certains nous y invitaient, voté cette règle d’or lors de la réforme constitutionnelle de 2008, nous aurions certainement dû réformer à nouveau la Constitution quelques mois plus tard, pour faire face à la crise financière. Cela, monsieur le ministre, vous le savez bien !

Cette réforme contrevient enfin à nos engagements européens, parce que ses objectifs sont différents de ceux du pacte de stabilité et de croissance, ce qui est une forme d’occultation de l’Europe ; parce que c’est au moment où l’Europe s’efforce de compléter la monnaie unique par la maîtrise de l’instrument budgétaire que vous choisissez, vous, de le paralyser ; parce que, d’autres orateurs l’ont dit, personne ne sait comment faire coïncider vos lois d’équilibre avec la procédure du semestre européen et les programmes de stabilité.

Voilà, monsieur le ministre, mes chers collègues, de nombreuses raisons de rejeter un texte qui ne peut apporter que la complication, le trouble et l’impuissance dans la gestion de nos finances publiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Yves Censi.

M. Yves Censi. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur de la commission de lois, pour la première fois depuis trente ans, le Gouvernement prend la décision de s’attaquer institutionnellement, et directement, à la dette et aux déficits publics.

Nous avons entendu plusieurs types de critiques de ce dispositif proposé par le Gouvernement.

Certaines sont constructives, elles concernent ses modalités d’application et n’ont rien de polémique ; elles font partie du débat. Je pense aux interventions de Gilles Carrez, de Jean-Luc Warsmann, d’Yves Bur ou de beaucoup de collègues de la majorité. Chacun défend le principe de la règle d’or mais, et c’est notre rôle que d’apporter ces observations, souhaite le voir appliqué avec d’une part un maximum d’efficacité – c’est notamment le débat sur les seuils de dépenses et de recettes et celui des écarts – et d’autre part en préservant les équilibres institutionnels. Je pense ici au droit d’initiative parlementaire de chaque député, quelle que soit la commission à laquelle il appartient.

C’est un vrai débat, mais c’est un débat de procédure et de réglage, et les solutions de ce réglage – je ne vais pas reprendre ce qui a été dit – se dessinent assez clairement : une proposition de loi peut-elle aller jusqu’à son terme même si elle doit passer par les fourches caudines d’impératifs budgétaires ? Bien sûr que oui. Et je dirai même que les droits des collègues des commissions autres que la commission des finances, associés au respect d’une norme budgétaire, constituent non pas un paradoxe, mais une double exigence que nous connaissons déjà aujourd’hui : c’est déjà le cas avec l’article 40, comme c’est le cas avec l’obligation de sincérité des comptes, comme c’est le cas avec l’ensemble des contraintes de la LOLF que nous nous sommes imposées avec d’ailleurs, me semble-t-il, une admirable unanimité. Mais nous aurons l’occasion d’aborder ces points au moment de l’examen des amendements.

En parlant d’unanimité, à l’évidence, elle n’est pas acquise si j’entends les propos des partis de gauche.

Chers collègues de gauche, vous avez développé une opposition virulente au principe même de la règle car elle priverait le Parlement de sa liberté de proposition et de vote.

Mais, d’abord, cette règle s’applique aussi au Gouvernement. Ensuite, vous oubliez complètement une chose : au niveau d’endettement actuel de la France comme de l’ensemble des pays de l’OCDE – la moyenne est de 100 % – c’est, si nous ne faisons rien, par l’endettement même que nos marges de manœuvre et nos choix politiques risquent d’être anéantis ! Et je vous fais remarquer que le directeur général du FMI ne dit pas autre chose.

M. Gérard Voisin. De qui s’agit-il, déjà ?

M. Yves Censi. C’est précisément pour retrouver cette liberté politique que nous proposons d’imposer à tout le monde, quelle que soit la majorité…

M. Jean Mallot. Il est vrai que vous n’êtes pas sûrs d’être réélus !

M. Yves Censi. …d’encadrer nos dépenses publiques par une norme.

Une dette publique de 1 600 milliards, une charge de la dette qui chaque année dépasse des budgets aussi essentiels que la défense ou l’éducation : là est la véritable privation de liberté !

Vous prétendez vouloir préserver le modèle français alors que vous le conduisez à sa ruine en refusant ouvertement de maîtriser la dépense publique. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) En ce jour où nous débattons de la règle d’or, vous dites aux Français que vous reviendrez sur la retraite à soixante-deux ans. Quand vous évoquez une politique de l’emploi, vous proposez 300 000 emplois subventionnés parce que vous n’avez toujours pas admis que c’est l’activité, l’innovation et l’investissement qui sont créateurs d’emploi durable.

Vous n’assumez pas le fait que ceux qui prêtent à la France – c’est-à-dire, appelons-les par leur nom, les marchés – et qui depuis trente-cinq ans lui ont permis de maintenir son niveau de vie pourraient se détourner du jour au lendemain, dès lors que la solvabilité du pays serait gravement obérée. Une dégradation de la notation de la dette entraînerait immédiatement une augmentation des taux d’intérêt demandés par les créanciers de l’État, et un accroissement exponentiel de l’endettement public. Ce serait la fin de notre modèle français.

Depuis le début de ce débat, vous évoquez l’endettement de la France en fermant volontairement les yeux sur la crise que nous avons vécue. Sur tous les sujets, vous nous avez reproché de ne pas dépenser assez, avant d’attribuer à Nicolas Sarkozy un déficit auquel tous les pays européens et les États-Unis même ont été souvent plus durement confrontés.

Vous tenez un double langage aux Français comme vous l’aviez fait en imposant les trente-cinq heures – subventionnées, faut-il le rappeler – à nos concitoyens qui vous ont pourtant très gravement sanctionnés en 2002, comme ils ont sanctionné les discours illusoires et dépensiers de la candidate socialiste en 2007.

M. Jean Mallot. Ah, les trente-cinq heures ! Cela faisait longtemps !

M. Michel Vergnier. Méfiez-vous, 2012 arrive !

M. Yves Censi. Enfin, comment pouvez-vous dire que la maîtrise des dépenses est électoraliste et démagogique…

Mme Catherine Lemorton. Vous seriez plus crédible si vous aviez commencé avant !

M. Yves Censi. …vous qui nous fustigez à chaque fois que nous supprimons une niche fiscale, vous qui poussez des cris à chaque économie de fonctionnement que nous proposons, vous qui descendez dans la rue à chaque réforme de sauvetage de la retraite par répartition ? (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Michel Vergnier. Nous aimons prendre l’air, que voulez-vous…

M. Yves Censi. Je dis ce que nous avons tous constaté, et ce que les Français, heureusement, constatent !

Nous sommes enfin confrontés à un enjeu européen majeur. La France doit retrouver sa capacité pleine et entière de leadership au sein de l’Union pour y faire partager sa vision, qui est différente des positions anglo-saxonnes. Vous connaissez tous ce rapport de force. Il est évident que, demain, les pays les plus puissants en Europe comme sur la scène internationale seront ceux qui auront les finances publiques les plus saines, ceux qui sauront soutenir les autres et qui ne représenteront pas un risque majeur pour la stabilité de l’euro – comme c’est le cas pour la Grèce, le Portugal et l’Espagne.

Monsieur le ministre, cette initiative est, j’en suis convaincu, un signal fort, inspirateur de confiance, aussi bien pour nos concitoyens que pour nos partenaires mondiaux. C’est pourquoi, avec quelques aménagements bien sûr, il serait de notre responsabilité à tous de la soutenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. François Baroin, ministre. Excellente intervention.

M. le président. La parole est à M. Christian Eckert.

M. Christian Eckert. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, je ne ferai que compléter rapidement ce qui a déjà été dit.

Renvoyer dos à dos droite et gauche quant à la responsabilité des déficits, c’est un peu fort de café ! Pierre-Alain Muet l’a rappelé tout à l’heure : au cours des quinze dernières années pendant lesquelles la droite a été au pouvoir, le déficit a, douze années sur quinze, été supérieur à 3 % ; la dette n’a jamais été inférieure à 60 % du PIB. Quant à la gauche, c’est strictement l’inverse : elle n’a dépassé le déficit de 3 % que trois fois sur quinze ; la dette n’a jamais été supérieure à 60 % du PIB.

M. Jean Mallot. Eh oui !

M. Christian Eckert. Monsieur le ministre, finalement, vous nous faites avec ce projet de réforme constitutionnelle un joli cadeau : vous voulez faire un coup politique, mais vous nous permettez surtout de mettre le doigt là où ça fait mal.

Vous nous permettez de montrer, de prouver, de dénoncer que vous n’êtes pour le moins détenteurs d’aucune vertu en matière de gestion des finances publiques. Si encore vous aviez réduit les recettes de l’État de façon égalitaire ! Pourquoi pas : baisser, de façon juste et équitable, les prélèvements obligatoires, cela pourrait être une stratégie. Or non seulement vous ne les avez pas diminués, mais vous les avez diminués pour les plus favorisés !

Je vais vous en donner quatre exemples.

Les chiffres qui concernent le bouclier fiscal, que nous venons de recevoir, montrent qu’un millier de contribuables parmi les plus aisés perçoivent en retour environ 400 000 euros chacun : 400 000 euros, soit 400 mois de SMIC, pour environ mille personnes ! Et, le pire, c’est que – malgré ce que vous dites – cela va continuer l’année prochaine : en 2012, vous rembourserez au titre du bouclier fiscal des impôts payés en 2011, et en même temps, vous allez diminuer le taux de la tranche la plus élevée. Les plus riches gagneront donc sur les deux tableaux !

M. Jean Mallot. Eh oui !

M. François Baroin, ministre. Là, vous vous trompez.

M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Vous vous trompez ! Ils vont payer plus !

M. Christian Eckert. Je prends ensuite l’exemple de la loi Travail, emploi, pouvoir d’achat : vous avez diminué les droits portant sur les successions les plus importantes, mesure que vous envisagez tout de même d’atténuer un peu, car il faut bien essayer d’équilibrer les comptes.

Troisième exemple : les entreprises du CAC 40 payent, en moyenne, 8 % de leurs bénéfices au titre de l’impôt sur les sociétés ; quelques-unes ne payent même pas d’impôt du tout ; en revanche, les entreprises petites et moyennes payent en moyenne 23 % de leurs bénéfices.

Dernier exemple d’inégalités dans les baisses de recettes fiscales que vous avez soutenues – y compris le Nouveau Centre d’ailleurs ; M. de Courson a donné sa leçon, mais ensuite, il est malheureusement parti : les revenus des actionnaires sont soumis, si j’ose dire, au prélèvement libératoire – la formule est jolie. Si ces revenus d’actions étaient intégrés aux revenus et assujettis au même taux d’impôt progressif que les salaires, comme nous le suggérons à chaque loi de finances, le traitement serait beaucoup plus égalitaire.

Merci donc, monsieur le ministre, de nous donner l’occasion, avec la discussion de ce projet de réforme constitutionnelle, de démontrer une nouvelle fois le déséquilibre de votre politique fiscale.

Enfin, je vous invite à réfléchir, je nous invite peut-être à réfléchir collectivement, à cette prétendue muraille de Chine que vous érigez entre l’investissement et le fonctionnement. Mais qu’est-ce qui relève du fonctionnement, qu’est-ce qui relève de l’investissement ?

Les dépenses de l’éducation nationale sont-elles des dépenses de fonctionnement ? Administrativement, oui ; mais les dépenses d’éducation, de formation, d’enseignement supérieur, de recherche, ne constituent-elles pas des investissements ? Vous dites d’ailleurs vous-même qu’avec votre Grand emprunt, vous soutenez des mesures d’investissement en renforçant le potentiel d’éducation, de formation ou de recherche.

Y a-t-il, à l’inverse, une muraille de Chine entre des investissements qui, à l’évidence, peuvent produire soit de nouvelles recettes de fonctionnement, soit des économies de dépenses de fonctionnement ? Je pense ainsi à notre projet de 300 000 emplois d’avenir, axés notamment sur les économies d’énergie et sur les nouvelles techniques de la construction.

N’y aurait-il pas là une dépense qui s’apparente à un investissement, dans la mesure où elle ferait à coup sûr naître de nouveaux investissements, et très certainement des économies de fonctionnement ?

Je conclus, monsieur le président, car je sens que vous piaffez. (Sourires.)

M. le président. Je ne piaffe jamais, j’allais simplement vous demander de vous acheminer vers votre conclusion, car vous avez déjà dépassé votre temps. (Sourires.)

M. Christian Eckert. Il faudrait enfin réfléchir à la relocalisation en France d’une partie de la dette : le taux d’endettement du Japon est très fort, mais la dette est détenue pour l’essentiel à l’intérieur du Japon. C’est là, je crois, une piste intéressante, puisque l’épargne est très importante en France.

M. Yves Censi. Vous allez nous vanter le modèle social japonais ? C’est énorme !

M. Christian Eckert. Je termine en soulignant la complexité de vos dispositifs.

Réalisez-vous ce que vous allez devoir expliquer aux Français : une loi de finances initiale, éventuellement assortie de quelques lois de finances rectificatives, sera chapeautée par des lois pluriannuelles, que nous votons aussi, tout cela étant intégré, coordonné, peut-être – on voit déjà que les choses ne seront pas faciles en termes de chronologie – sur le semestre européen. Plus qu’une usine à gaz, c’est une construction qui va s’écrouler. Les Français ne seront pas dupes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) 

M. le président. La parole est à M. Jean Mallot.

M. Jean Mallot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en lisant le titre du projet de loi relatif à « l’équilibre des finances publiques » et son exposé des motifs, j’ai d’abord cru à une plaisanterie. M. de Courson nous rappelait cet après-midi que personne ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes. C’est pourtant ce que font le Gouvernement et sa majorité UMP et centriste.

Personne n’a oublié la loi TEPA, votée sur l’injonction du Président de la République, qui creuse délibérément les déficits en distribuant de l’argent par milliards à nos concitoyens les moins défavorisés.

Personne n’a oublié la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 discutée en octobre et novembre 2008, c’est-à-dire après le déclenchement visible de la crise, et qui a débouché sur 9 milliards de déficit pour les quatre branches en 2009, avec tout de même une perspective de retour à l’équilibre en 2012.

Personne n’a oublié la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 : 30 milliards de déficit par an entre 2010 et 2013 sans aucune perspective de retour à l’équilibre jamais. Nous avions proposé des amendements pour combler les déficits, notamment l’annualisation du mode de calcul de l’allégement Fillon. Rejetés ! La rapporteure pour avis de la commission des finances avait prévu de relever de 2,2 points le taux de la CRDS sans prise en compte pour l’application du bouclier fiscal. Cet amendement n’avait même pas été défendu en séance. Didier Migaud, alors président de la commission des finances, avait également proposé d’instaurer en 2009 un prélèvement exceptionnel de 10 % sur les bénéfices des banques, lesquelles avaient été renflouées à la suite du choc de 2008. Ce prélèvement a été refusé par la majorité.

Personne n’a oublié la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, avec un déficit total de 23 milliards d’euros pour 2011 jusqu’à 17 milliards en 2014. Le Gouvernement a donc fait le choix de laisser filer les déficits, ce que vous avez voté, chers collègues de droite.

Personne n’a oublié la loi organique relative à la gestion de la dette sociale : transfert à la CADES de 130 milliards d’euros, dont 30 milliards simplement en prolongeant la durée de vie de la CADES, sans le doter de ressources supplémentaires ; transfert des déficits à venir de la branche vieillesse en captant à la fois en flux et en stocks le fonds de réserve des retraites. Comment ferons-nous en 2020 ? Personne ne le sait. En passant, je rappelle les amendements « oubliés en route » par la commission des finances, qui prévoyaient d’augmenter certains prélèvements pour une ressource de 5,4 milliards. Le Gouvernement et sa majorité ont refusé cette ressource.

Je rappelle également que ces divers textes laissent en héritage, en dehors de la branche vieillesse, comme l’a rappelé Yves Bur cet après-midi, un déficit de 40 à 45 milliards d’euros pour les années 2011 à 2014, dont, sauf transferts ou ressources supplémentaires, on ne sait comment ils seront financés. Cependant, hier, notre collègue Diefenbacher a mangé le morceau en expliquant qu’il fallait privatiser l’assurance maladie pour responsabiliser les malades. C’est exactement ce qu’il a dit à la tribune !

En fait de plaisanterie, je me suis rendu compte qu’il ne s’agit que de communication politicienne. Cela a d’ailleurs été dit avant moi.

Équilibre, dites-vous. Selon le Larousse, la définition de l’équilibre budgétaire est la suivante : concordance des recettes avec des dépenses prévues au même budget. Il y aurait donc égalité entre les recettes et les dépenses, à cela près que vous prévoyez des lois-cadres dont rien n’indique qu’elles ne prévoiront pas elles-mêmes des déficits. L’équilibre n’est donc pas assuré.

Le texte confère au Conseil constitutionnel un rôle nouveau non prévu par le constituant de 1958, un rôle de gestion des finances publiques. Il devra vérifier la conformité des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale à la loi-cadre, elle-même vérifiée. Que se passera-t-il si une loi de finances initiale ou une loi de financement de la sécurité sociale n’est pas déférée au Conseil constitutionnel ? Que se passera-t-il si la décision du Conseil constitutionnel n’est pas suivie par le Gouvernement et la majorité en place ? Comment sortira-t-on du blocage institutionnel ?

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois, rapporteur. Il n’y a aucun blocage.

M. Jean Mallot. Le Conseil constitutionnel va-t-il inventer un nouveau principe constitutionnel, une sorte de principe d’élasticité ?

Autre point qui figure dans l’exposé des motifs du projet de loi, les lois-cadres auront vocation à traiter des dépenses et des recettes de l’État, certes, mais également des autres composantes des comptes publics qui ne sont pas régis par des lois de finances annuelles. Vous parlez des finances des collectivités territoriales, de l’assurance chômage et des régimes complémentaires de retraite. Cela veut-il dire que les budgets des collectivités locales vont être déférés au Conseil constitutionnel,…

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois, rapporteur. Oh !

M. Jean Mallot. …que vous remettez en cause la gestion des régimes d’assurance chômage et des régimes complémentaires par les partenaires sociaux ?

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois, rapporteur. Vous ne croyez pas vous-même à ce que vous dites !

M. Jean Mallot. Ce n’est pas moi qui le dis ; c’est écrit dans l’exposé des motifs de votre texte.

Comme beaucoup d’entre nous, je m’interroge sur ce que sera désormais le rôle du Parlement et sur ce que deviendra le droit d’amendement.

Notre collègue Christian Eckert a eu raison de parler d’usine à gaz. Le Gouvernement présente chaque année, au niveau européen, un programme de stabilité de la France. En l’espèce, pour 2011-2014, le texte a été discuté hier, sans amendement possible et voté au titre de l’article 50-1 de la Constitution, c’est-à-dire sans conséquence en cas de rejet. À l’intérieur de ce programme, interviendront des lois de programmation pluriannuelle des finances publiques ; à l’intérieur de ces lois de programmation, il y aura une loi-cadre d’équilibre des finances publiques, à l’intérieur de laquelle devront s’inscrire des lois de finances, éventuellement des lois de finances rectificatives et des lois de financement de la sécurité sociale.

Ajoutez la théorie du monopole des dispositions à conséquences budgétaires, fiscales et sociales pour les lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale et, devant cette belle usine à gaz, le Parlement n’a plus de marge de décision, plus de possibilité d’initiative. Ce ne seront plus les représentants du peuple qui décideront de l’utilisation du produit de l’impôt. L’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme ne sera plus respecté.

M. Jean-Pierre Brard. Très bien !

M. Jean Mallot. Voilà également pourquoi nous ne pouvons pas voter ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Dussopt.

M. Olivier Dussopt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en montant à la tribune, je me disais que la pédagogie procède aussi de la répétition.

M. Jean-Pierre Brard. Surtout quand on a affaire à des sourds !

M. Olivier Dussopt. Nous sommes un certain nombre à répéter les mêmes arguments. Le texte que vous défendez aujourd’hui est bien différent de celui qui était annoncé initialement. Beaucoup de nos collègues, y compris ceux du Nouveau Centre, ont évoqué la règle d’or budgétaire. En réalité, nous en sommes loin et le texte se contente – mais c’est déjà beaucoup et grave – de proposer des lois-cadres pluriannuelles, la transmission au Parlement du programme de stabilité, et initialement un monopole des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale en matière de prélèvements obligatoires supprimé par la commission des lois. Il propose aussi de donner une valeur constitutionnelle ou, à tout le moins, supra-législative, à des orientations politiques, ce que nous combattons.

Rétablir les comptes publics et lutter contre les déficits est avant tout affaire de volonté, pas de texte. Il y a même une certaine indécence à proposer un texte prétendument rigoureux quand, dans la pratique, vos gouvernements successifs se sont révélés incapables d’assurer le respect de règles déjà existantes, tel le critère européen des 3 % du PIB pour le déficit public ou de 60 % pour la dette. Ce n’est pas en votant un texte, aussi dur soit-il, que la majorité parviendra à dissimuler son inefficacité dans la gestion des comptes publics depuis dix ans : en dépit d’une croissance supérieure à 2 % par an entre 2004 et 2007 et de taux d’intérêt faibles, vous n’avez pas su contenir l’endettement, bien au contraire, puisque la dette est passée de 58,8 % du PIB en 2002 à plus de 80 % aujourd’hui.

C’est la faute à la crise, nous dit-on. Pourtant, selon la Cour des comptes, seulement un tiers du déficit lui est imputable, les deux tiers restants étant dus aux mesures structurelles, notamment fiscales, prises par la majorité. Les rapports établis par le rapporteur général montrent que, depuis dix ans, l’ensemble des recettes a été réduit de 120 à 130 milliards d’euros, ce qui correspond à six points de PIB, soit quasiment le montant du déficit. Encore faudrait-il ajouter le coût de la réforme de la taxe professionnelle, qui n’avait pas été intégré. Avec des dépenses en augmentation et des recettes en diminution, le résultat est simple : c’est l’aggravation du déficit et l’explosion de la dette.

Plutôt que de faire un texte d’affichage, pourquoi ne pas suivre un rapport de l’OCDE qui proposait de rechercher de nouvelles recettes par des mesures fiscales non pénalisantes pour la croissance ? Là encore, vos récentes annonces, notamment en matière de fiscalité du patrimoine, ne nous paraissent pas aller dans le bon sens.

D’autres pistes peuvent être explorées, notamment la « niche Copé » dont le coût net a été estimé à 12 milliards d’euros entre 2007 et 2009. Au titre des cessions de participations, elle a concerné un peu plus de 6 500 entreprises, mais 44 % de ce coût ont bénéficié aux dix plus grosses entreprises du CAC 40. Je ne suis pas certain qu’il était opportun de baisser les droits et la fiscalité sur ces participations.

J’en viens aux trois raisons pour lesquelles il nous paraît inacceptable de figer des orientations politiques.

D’abord, il faut nous souvenir que nos concitoyens ont voté contre le traité constitutionnel en 2005, car ils reprochaient à la seconde partie de ce texte de donner une valeur constitutionnelle à des orientations politiques contenues dans d’autres traités qui, eux, n’avaient pas de valeur constitutionnelle. En présentant votre texte, vous commettez la même erreur, d’autant que les articles 5 et 6 prévoient que, même si les lois-cadres seront révisables, aucune loi de finances, loi de finances rectificative ou loi de financement de la sécurité sociale ne pourra être adoptée en étant contraire aux premières ou en l’absence d’adoption de celles-ci. Ce sera un véritable frein à la réactivité et à l’adaptation des politiques au contexte économique.

Ensuite, le texte prévoit que le Conseil constitutionnel sera chargé de vérifier l’adéquation entre les lois de finances et les lois-cadres. Cela nous paraît à la fois illégitime et absurde. Quelle serait la légitimité des membres du Conseil constitutionnel à exercer ce contrôle ? Cela interroge, à terme, sur leur mode de désignation.

Pour conclure, je rappellerai les mots prononcés par Jérôme Cahuzac en introduction du débat : de deux choses l’une, soit le texte est vraiment urgent et le Gouvernement doit le rendre applicable dès cette année, soit il ne l’est pas et, quitte à faire une loi pour 2013, autant laisser se dérouler en 2012 le débat démocratique à l'issue duquel, chacun ayant exposé son opinion sur la réduction des déficits et de la dette, les Français choisiront.

Que celles et ceux qui, dans la majorité, voient ce texte comme un moyen de verrouiller et d’empêcher la mise en œuvre tout à fait libre d’une autre politique après 2012 soient rassurés : seul le gouvernement Jospin est parvenu à faire passer les déficits publics sous la barre des 3 % et la dette sous les 60 %.

Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, si crise de confiance il y a, c’est la situation financière actuelle de notre pays qui a altéré notre crédibilité aux yeux de nos partenaires européens et des marchés. Le seul vrai levier d’une confiance nouvelle serait un changement radical de la politique mise en place. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Yves Vandewalle.

M. Yves Vandewalle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la dette publique de la France, pour la plus grande part étatique, a explosé depuis la fin des années soixante-dix, pour atteindre 1 600 milliards d’euros, soit plus de 80 % du PIB, en 2010. C’est le fruit de déficits budgétaires continus depuis 1975, le fruit de la facilité, car ce sont surtout des dépenses de fonctionnement qui ont été financées par l’emprunt.

Nous avons pris l’habitude de vivre à crédit, mais les arbres ne montent pas jusqu’au ciel. Le service de la dette est désormais le premier poste de dépense budgétaire de l’État, dans un contexte pourtant exceptionnellement favorable puisque les taux d’intérêt sont historiquement bas et que la France jouit encore de la confiance des investisseurs avec un triple A.

C’est dire s’il est temps de changer de politique, car nous sommes à la merci d’une crise de confiance qui ferait brutalement remonter nos taux d’intérêt, à l’instar d’autres pays européens qui en font la dure expérience, comme la Grèce, l’Irlande et, tout récemment, le Portugal dont l’autonomie de décision et la souveraineté ont été mises à mal. De quoi menacer sérieusement notre modèle social.

En fait, nous avons redécouvert la contrainte extérieure que l’on croyait disparue avec l’euro, avec la crise des dettes souveraines. L’un des moyens de desserrer cette contrainte, c’est de redresser la balance commerciale au moyen de la réindustrialisation du pays car les échanges mondiaux sont bel et bien encore dominés par les produits industriels. Nos industries aérospatiales en donnent un bel exemple avec un excédent de 18 milliards d’euros en 2010.

Même sans crise de confiance, nous sommes vulnérables à une augmentation tendancielle des taux d’intérêt mondiaux qui sont aujourd'hui très bas. Une remontée des taux obérerait rapidement toute marge de manœuvre budgétaire.

M. Michel Vergnier. Quelle marge ?

M. Yves Vandewalle. N’oublions pas que les deux tiers de la dette de l’État sont détenus par des non-résidents, des banques européennes, des banques centrales d’Asie, des fonds souverains du Golfe, des fonds de pension des États-Unis, etc. Bref, nous le savons tous, le temps de la facilité est révolu et la recherche de l’équilibre budgétaire est devenue un impératif qui s’imposera demain à tous les responsables politiques quels qu’ils soient.

Pour le faire, nous avons, en théorie, le choix entre deux leviers : agir sur les recettes ou sur les dépenses.

Augmenter les recettes serait une grave erreur, car le poids des prélèvements obligatoires est déjà très élevé dans notre pays et les classes moyennes seraient encore une fois les plus pénalisées. Le programme du Parti socialiste propose d’augmenter les recettes de 50 milliards d’euros sur la mandature, soit l’équivalent tout de même d’une année d’impôts sur le revenu. Ce n’est pas rien. C’est dire l’importance du matraquage fiscal qui attend les Français si le Parti socialiste devait remporter la prochaine élection présidentielle, matraquage fiscal qui réduira d’autant le pouvoir d’achat, donc le dynamisme de la consommation, moteur essentiel de l’économie.

M. Michel Vergnier. Vous êtes un spécialiste, peut-être ?

M. Yves Vandewalle. L’objectif, doit être non pas l’augmentation des impôts mais plus de justice fiscale et plus de compétitivité pour les entreprises.

Il reste donc à réduire les dépenses en ménageant deux priorités : les actions régaliennes de l'État et la croissance économique pour créer de l'emploi. L'effort à accomplir est considérable et le programme du Parti socialiste nous aide à en mesurer l'ampleur puisqu’il propose de réduire l'endettement de 5 milliards par an quand le déficit prévu cette année est supérieur à 90 milliards. Cet effort est clairement insuffisant pour inverser sérieusement la tendance.

La solution est ailleurs et de plus long terme. Il faut simplement remettre la charrue avant les bœufs (Rires et exclamations) et placer le développement économique au cœur de nos politiques publiques. Le dévoiement de notre modèle social depuis trente ans a mis le pays en échec, comme le montre notre faible taux de croissance qui est de 1,2 % en moyenne sur la dernière décennie, alors que la plupart des experts s’accordent à dire qu'il faudrait au moins un point de plus pour sauvegarder notre modèle social et notre pouvoir d'achat.

M. Yves Censi. Très bien !

M. Michel Vergnier. La croissance, vous allez la créer avec les dents ?

M. Yves Vandewalle. Le projet de loi que vous nous soumettez est donc une heureuse initiative dont j'approuve le principe puisque, voici un an, j'ai cosigné une proposition de loi visant à interdire tout déficit de fonctionnement du budget de l'État. En effet, il est plus que temps de concrétiser l'objectif d'équilibre défini à l'article 34 de notre Constitution.

Pour ce faire, vous nous proposez de modifier en créant notamment un instrument juridique nouveau, les lois-cadres d'équilibre des finances publiques. Cela va certainement dans le bon sens, mais il est à craindre que cela ne soit pas suffisant pour changer des habitudes qui sont profondément ancrées, à droite comme à gauche, et prendre des décisions politiques courageuses, résistant aux alternances politiques.

Monsieur le ministre, je voterai ce projet de loi mais j'espère que nous irons rapidement plus loin. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Balligand.

M. Jean-Pierre Balligand. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle que nous examinons est problématique à bien des égards d'abord du fait de ses motivations. Ainsi il y aurait une sorte de malédiction française, dont ce gouvernement, loin d’avoir péché par manque de volonté politique, notamment dans la maîtrise de la dépense fiscale, serait la dernière victime en date. Il s'agirait désormais de briser cette malédiction sans, encore une fois, avoir été capable d'en nommer l'origine.

Le caractère artificiel du raisonnement est manifeste et trahit l'opération de communication politique qu'elle tente de dissimuler. Toutefois là n'est pas l'essentiel.

L'essentiel est plutôt ce goût nouveau, inusité dans votre famille politique, pour la règle. En effet, alors que votre corpus idéologique – je parle, bien sûr, de l'aile sarkozyste de la majorité – vous pousse par principe à refuser l'instauration de règles en vous reposant sur la bonne volonté des acteurs, vous semblez considérer que la règle est ici nécessaire. À cet égard, je citerai les propos tenus par Valérie Rosso-Debord en commission des affaires sociales : « La vertu ne naît que de la contrainte. » Il aurait fallu s'en souvenir au moment du plan de sauvetage des banques. Vous auriez peut-être alors obtenu des résultats en matière de financement des entreprises plus conformes aux risques que vous faisiez courir aux finances publiques.

Vous répondrez que notre préférence traditionnelle pour la régulation devrait également s'appliquer en matière de finances publiques. La différence est que, en l’occurrence, il s'agit non pas de réguler le jeu de tel ou tel acteur de l'économie mais de borner, ou plutôt de brider, la liberté de vote du législateur budgétaire, élu au suffrage universel. En effet c'est bien là la caractéristique majeure de ce projet de loi : la méfiance à l'égard du parlementaire. L'examen du texte en commission des finances me paraît symptomatique de cet état de fait.

Alors que nous débattions d'un amendement du président de la commission des finances, qui proposait simplement que la recevabilité au titre de l'article 40 soit examinée dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui, mais à la demande du Gouvernement au lieu de l'être automatiquement, notre collègue Jérôme Chartier a estimé que cela reviendrait à encourager l'irresponsabilité des parlementaires. Comme si les parlementaires avaient un besoin irrépressible de présenter des amendements contraires à l'article 40, et comme si présenter un amendement contraire à cet article, donc voué à disparaître, était par nature irresponsable ! Pour être clair, non seulement le parlementaire doit être contraint dans les dispositions qu'il peut adopter, mais il doit l'être aussi dans celle qu'il peut proposer.

C'est la même conception qui guide le Gouvernement lorsqu'il demande, par ce projet de loi, que le législateur constituant bride le législateur budgétaire. C'est ce à quoi conduira, par exemple, le monopole des lois de finances et de financement.

Pour prendre un exemple actuel, le projet du Gouvernement de prime exonérée de cotisations sociales devrait être présenté dans une loi de financement. Dans ces conditions, tous les amendements qui feraient des propositions alternatives, par exemple l'extension de la participation aux entreprises de moins de cinquante salariés, seraient considérés comme des cavaliers. On voit bien que la capacité du Parlement d'influer sur les projets de loi déposés par l'exécutif régresserait. Ce n'est d'ailleurs pas le seul risque de ce texte, puisque les dispositions relatives à l'équilibre des finances publiques devront être définies par une loi organique dont le Parlement ne sait rien. Le ministre a même refusé en commission d’indiquer la définition que le Gouvernement entendait donner au terme d'équilibre.

Autrement dit, ce qui est demandé ici, c'est que les parlementaires se brident eux-mêmes, alors même qu'ils sont censés incarner la volonté générale. Cela traduit une conception du Parlement que l'on pourrait qualifier de bonapartiste, qui ne voit dans le Parlement au mieux qu'une chambre d'enregistrement, au pire qu’un lieu d'irresponsables nécessairement enclins au déficit. Cette conception n'est pas la nôtre.

Nous pensons que rien ne justifie de brider à nouveau les pouvoirs du Parlement dans une Constitution qui, depuis l'origine, n'a fait de place au parlementarisme qu'après l'avoir rationalisé ; rien, car le gouvernement Jospin a prouvé que la maîtrise des comptes ne nécessitait pas une nouvelle modification de la Constitution ; rien, car on ne sait toujours pas comment le Gouvernement prétend expliquer la quasi-constance de l'augmentation de la dette publique depuis trente ans. Cette question centrale me paraît être le grand impensé de cette réforme.

En ce qui me concerne, je considère que si la dette publique a augmenté aussi longtemps, c'est que ses conséquences néfastes n'ont pas été exposées clairement aux Français. C’est pourquoi je pense que ceux qui souhaitent vraiment que l'amélioration de nos finances publiques soit une priorité doivent d'abord réussir à l'imposer comme telle dans le débat public, sinon les Français lui préféreront toujours d'autres urgences, plus ou moins légitimes.

L'histoire récente l'a bien montré. En effet, alors même qu'en 2006 la commission Pébereau avait établi le diagnostic de la gravité de notre endettement et conclu qu'il ne fallait plus baisser les impôts, le candidat élu en 2007 a été celui qui proposait de diminuer de quatre points le taux de prélèvements obligatoires, malgré les réserves du rapporteur général du budget d'alors.

Chercher à forcer ce qui demeure notre pacte constitutionnel sans un large consensus dans notre société ne pourra donner lieu – le dernier débat sur la CADES l'a montré et M. Warsman s'en souvient – qu'à des gesticulations sans autre lendemain que des relaps, assumés ou non. C'est pourquoi nous voterons contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien qu'étant très favorable à l'objectif d'équilibre des finances publiques, je dois bien avouer ici mon faible enthousiasme pour ce projet de loi constitutionnelle. Je n'en vois en effet guère l'utilité ; j’y vois même plutôt quelques inconvénients.

Pourquoi donc inscrire dans la Constitution des règles que l'on pourrait très bien s'appliquer avec un peu d'autodiscipline ?

Mme Aurélie Filippetti. Très bien !

M. Pierre-Alain Muet. Absolument !

M. Lionel Tardy. Depuis que je siège dans cet hémicycle, je suis effaré de la manière dont nous légiférons, avec des amendements qui arrivent d'on ne sait où, à la dernière minute, et qui sont adoptés les yeux fermés quand ils sont déposés par le Gouvernement ou par le rapporteur.

Sur beaucoup de sujets, nous sommes incapables de la moindre constance, votant des modifications incessantes des règles, notamment en matière fiscale. Nous mettre, comme veut le faire ce texte, au pied du mur est quelque part un constat de notre impuissance à modifier notre manière de travailler et d'écrire la loi. C'est sans doute aussi malheureusement le signe d'une incapacité à assumer des décisions difficiles.

Pourquoi se réfugier derrière des obligations constitutionnelles, sinon pour pouvoir se couvrir et dire à tous les mécontents que nous n'avions pas le choix, que nous y étions obligés par les règles constitutionnelles ?

Mme Aurélie Filippetti et M. Pierre-Alain Muet. Très bien !

M. Jean-Pierre Brard. M. Tardy est sincère, c’est comme pour la loi HADOPI !

M. Lionel Tardy. Mes chers collègues, il faudrait nous interroger avant tout sur notre faiblesse et notre difficulté à prendre des décisions difficiles et à nous y tenir, car ce texte constitutionnel n'apporte que des solutions en trompe-l'œil. En effet, l'essentiel du dispositif se trouvera dans la loi organique. Or nous savons tous qu’une loi organique se change facilement.

On peut ainsi renier au bout de quelques années des engagements que l'on avait pourtant affirmés comme écrits dans le marbre de la loi organique. Le dernier exemple en date, que nombre d’orateurs ont cité ce soir, est celui de la prolongation de la durée de la CADES. J'ai donc bien peur que les engagements d'équilibres pris en début de mandat ne soient amendés au bout de deux ou trois ans.

Trois aspects de ce texte m'inquiètent.

D’abord nous continuons à casser nos instruments de politique économique. Nous avons déjà entièrement abandonné le levier monétaire, et voilà maintenant que l’on veut brider le levier budgétaire. Comment allons nous faire pour mener à bien une politique économique digne de ce nom ? Je trouve que nous retouchons la Constitution avec parfois un peu de légèreté.

Ce texte n'est pas anodin ; surtout il n'est pas seulement technique. Par ce projet de loi, nous ne nous contenterions pas de mettre en place un mécanisme, nous inscririons aussi dans la Constitution l'objectif d'équilibre des finances publiques. Avons-nous anticipé ce que le Conseil constitutionnel en fera ? Ses décisions sont parfois surprenantes…

M. Jean-Pierre Brard. Pas seulement parfois !

M. Lionel Tardy. …et peuvent faire parler les textes bien au-delà de ce que le constituant a voulu leur faire dire.

Ensuite l'équilibre envisagé est global. Il comprend les finances publiques de l'État et de la sécurité sociale, mais également celles des collectivités locales. Comment concilier cela avec le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales ?

Enfin, et cela a déjà fait l'objet de débats abondants, on risque de bouleverser les équilibres au sein du Parlement, en limitant encore plus les capacités d'initiative des parlementaires sur les questions fiscales, avec un poids important donné à la commission des finances.

Autant je suis d'accord pour rationaliser ce qui se fait actuellement, autant les solutions proposées dans ce texte m'apparaissent trop radicales. Des solutions plus consensuelles doivent être trouvées, car le texte initial n'est pas acceptable en l'état.

Je conçois bien qu'il soit nécessaire d'envoyer des signaux forts de notre volonté politique de régler la question des déficits et de la dette. Ces signaux seraient encore mieux reçus si, en plus de promettre de faire, nous nous y mettions concrètement dès l'examen du prochain budget. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Charasse.

M. Gérard Charasse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte comporte trois séries de dispositions dont on nous dit qu’elles sont de nature à modifier en profondeur la gouvernance de nos finances publiques.

Il s’agit d’abord, de créer un instrument juridique nouveau : les lois-cadres d’équilibre des finances publiques ; ensuite d’inscrire dans le droit positif le monopole des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale pour régir le domaine de la fiscalité et celui des recettes de la sécurité sociale ; enfin d’inscrire dans la Constitution le principe d’une transmission systématique à l’Assemblée et au Sénat des programmes de stabilité, avant qu’ils soient adressés à la Commission européenne dans le cadre du volet préventif du pacte de stabilité et de croissance.

J’ai de nombreuses objections contre ce texte. J’en retiendrai trois qui me semblent pouvoir être partagées par bien d’autres que les seuls radicaux puisque c’est en défenseur de la République que je parle, face à un gouvernement qui, encore une fois, exprime son rêve d’enfermer la représentation nationale, sa réflexion et son action, dans un corset constitutionnel « multicouches » au nom d’un intérêt général dont ce même gouvernement serait le seul dépositaire.

Ma première objection concerne l’hystérie législative dans laquelle vous vous êtes enfermés et qui vous conduit régulièrement à défaire quelques mois après ce que vous aviez prétendu construire pour des siècles – on va le voir avec la loi HADOPI – ; une hystérie législative qui a conduit le Président de la République à demander au Parlement de « dé-légiférer » ; une hystérie législative qui touche maintenant la hiérarchie des normes.

Ainsi, entre les traités et la Constitution d’une part, les lois organiques de finances, de financement de la sécurité sociale et ordinaires, d’autre part, nous aurions désormais les lois-cadres d’équilibre des finances publiques. Ce millefeuille conduit à poser une question de fond : doit-on, entre les lignes d’un texte qui contribue à la définition de l’État de droit, lire des choix de politique publique, ici l’équilibre des finances dont on sait que, sur des cycles longs, il se préserve parfois aux dépens d’autres objectifs, le plein-emploi par exemple ?

M. Pierre-Alain Muet. Très juste !

M. Gérard Charasse. Allons-nous donc, dans tous les domaines, encadrer constitutionnellement le choix du Parlement en lui interdisant d’exercer son esprit critique, son imagination et de sortir en actes d’une orthodoxie, d’un dogme fixé par une majorité qui ainsi prolongerait ad vitam aeternam un mandat que la démocratie et la République ont naturellement limité dans le temps ?

D’où ma deuxième objection : le projet de loi reflète clairement une nouvelle restriction apportée au libre choix du législateur, aggravée par la création – que le Parlement, j’espère, empêchera – du monopole des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale en matière de fiscalité. Nous nous plaignons tous de l’article 40 de la Constitution, mais nous sommes là en présence d’un article 40 puissance dix. Ce n’est plus le parlementarisme rationalisé mais le Parlement raboté !

Au surplus des arguments évoqués en commission, je rappelle au Gouvernement que des réformes fiscales fondamentales ont été mises en œuvre hors lois de finances, comme la loi du 6 janvier 1966 créant la TVA jusque dans ses moindres détails.

Enfin, chacun sait bien que nous avons besoin d’une politique budgétaire comportant des règles, y compris d’équilibre, à l’échelle européenne, et auxquelles les États membres accepteraient de se conformer. En fait, ce projet de loi constitutionnelle participe de la résistance conservatrice d’un État qui refuse de reconnaître son appartenance à un ensemble continental solidaire…

M. Yves Censi. C’est tout le contraire !

M. Gérard Charasse. …et se replie sur ses propres règles constitutionnelles qu’il imagine supérieures à toutes les autres. Ce n’est pas la conception radicale d’une France solidaire dans une Europe d’États solidaires.

Je ne résiste pas, en forme de conclusion, à poser une question. Que se passera-t-il si ce texte était adopté ? Il serait contraignant à partir de 2013, c’est-à-dire qu’il imposerait aux futurs gouvernements une discipline que vous n’avez jamais pu vous imposer…

M. Pierre-Alain Muet. Absolument !

M. Gérard Charasse. …puisque vous resterez dans l’histoire financière de la France comme le Gouvernement qui aura le plus creusé les déficits depuis les ordonnances de 1959.

M. Yves Censi. Ce gouvernement a dû supporter le poids de la crise !

M. Gérard Charasse. Réfléchissez donc avant de réagir ainsi !

C’est dire, au-delà du caractère profondément anti-républicain de ce texte, son insincérité politique et la manière dont il doit être sanctionné par le Parlement. Il le sera, en tout cas, par les radicaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard.

M. Michel Bouvard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons ce soir ne surgit pas ex nihilo. Il s’inscrit dans une prise en compte progressive de son principe premier, la pluriannualité, à travers l’article 50 de la loi organique pour les lois de finances, la création des lois de programmation pluriannuelle, enfin, aujourd’hui, la création des lois-cadres d’équilibre des finances publiques. C’est pourquoi j’approuve pleinement son orientation générale et la volonté qu’il marque de maîtriser et d’assainir nos finances publiques sur le long terme.

Des finances publiques assainies, un déficit et un endettement réduits sont des conditions indispensables à une croissance durable. Ils constituent aussi un enjeu de souveraineté et de maîtrise de notre destin, comme l’a souvent rappelé le Premier ministre.

Aux niveaux actuels d’emprunt, un point d’augmentation du taux demandé se traduit par un surcoût pour l’État de près de 2 milliards d’euros. Un endettement incontrôlé nous amènerait donc à une contrainte intolérable ; on le constate aujourd’hui au Portugal, en Irlande ou en Grèce.

La maîtrise de la dépense publique est avant tout une règle de bonne gestion et de solidarité vis-à-vis des générations futures, une obligation générale et non une réponse à la crise qui n’a été que le révélateur de la fragilité provoquée par les déficits excessifs et par la surabondance de la dette publique.

Pour y remédier, la création de lois-cadres contraignantes et leur inscription dans la Constitution s’imposent. En effet, les lois de programmation pluriannuelle, si elles représentaient « une avancée essentielle sur le plan des principes », pour reprendre les mots de Philippe Séguin, alors Premier président de la Cour des comptes, se révèlent insuffisantes de par leur caractère purement indicatif. Une nouvelle étape est donc nécessaire, qui devrait être soutenue par tous ceux, ici, qui ont su travailler ensemble pour améliorer le cadre de la gestion publique, comme nous l’avions fait au moment de créer les lois organiques sur les lois de finances, comme l’a rappelé Gilles Carrez.

M. Pierre-Alain Muet. Cela n’a rien à voir avec la LOLF !

M. Michel Bouvard. Le texte proposé ne fixe pas un objectif rigide, comme chez nos voisins allemands,…

M. Yves Censi. Absolument !

M. Michel Bouvard. …qui contraindrait les majorités futures. Il pose seulement les principes d’un encadrement volontaire de l’évolution de nos finances publiques. Les lois-cadres qui en découleront devront certes proposer une trajectoire, mais leur contenu reflétera les priorités voulues par le législateur. Nous discutons bien du principe, non des modalités qui seront définies par la loi organique.

M. Marc Goua. Cela ne sert donc à rien !

M. Jean Mallot. Ce n’est que de la gesticulation alors ! Vous construisez une usine à gaz !

M. Michel Bouvard. Le second principe fondamental du texte est l’universalité, traduit en l’occurrence par le monopole des lois de finances en matière fiscale. J’ai souvent plaidé en ce sens…

M. Gilles Carrez, rapporteur général. C’est vrai !

M. Michel Bouvard. …dès la création de la commission spéciale préfigurative de la LOLF.

M. Yves Censi. Tout à fait !

M. Michel Bouvard. Les lois de finances doivent offrir une vision consolidée de la dépense et des recettes publiques. Il faut rompre avec les mécaniques à cause desquelles les recettes votées sont ensuite sapées par l’adoption de textes divers,…

M. Gérard Charasse. Qui les a adoptés ?

M. Michel Bouvard. …créant des dépenses fiscales ou affectant des recettes aux opérateurs.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Très juste !

M. Michel Bouvard. Il est évident que, limitée aux seules lois de finances stricto sensu, l’application de ce principe pourrait susciter des craintes légitimes quant aux droits d’initiative et d’amendement des parlementaires. À cet égard, la proposition du rapporteur général d’instituer, aux côtés des lois de finances, des lois de prélèvements obligatoires me paraît de nature à lever toutes les réticences.

M. Jean Mallot. C’est de plus en plus compliqué !

M. Michel Bouvard. Il s’agit d’autoriser le dépôt parallèle d’un texte au fond et d’un texte portant sur le volet financier, examiné par la commission des finances.

M. Pierre-Alain Muet. Vous êtes décidément le spécialiste des usines à gaz !

M. Michel Bouvard. Un tel mécanisme présenterait l’avantage de s’appliquer aussi bien aux amendements qu’aux projets et propositions de loi, et permettrait de concilier le droit d’initiative parlementaire et l’objectif de maîtrise des finances publiques.

M. Jean Mallot. Comme disait Edgar Faure : « Plus un problème est complexe, plus z’embrouille, z’embrouille, z’embrouille ! »

M. Michel Bouvard. Cette proposition est plus adaptée dans la mesure où elle évite des procédures de recevabilité par le président de l’Assemblée ou par le président du Sénat avec des risques de lecture différente des deux chambres voire un arbitrage du Conseil constitutionnel auquel je ne puis me résoudre en la matière.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois, rapporteur. Ce que vous dites est inexact !

M. Michel Bouvard. Au-delà des principes, une loi organique devra fixer les modalités de mise en œuvre de ces dispositions. Nous devrons veiller, à cette occasion, à garantir une meilleure universalité des différents textes financiers. Les opérateurs y échappent partiellement depuis plusieurs années malgré plusieurs amendements successifs adoptés en commission des finances. L’occasion nous est offerte de clarifier la question des ressources entièrement affectées à certains d’entre eux et qui, dès lors, échappent au contrôle du Parlement, et d’assurer l’exhaustivité de l’information de ce dernier, par exemple en inscrivant dans la loi organique la consolidation des emprunts garantis par les opérateurs et, en dernier ressort, par l’État.

Enfin, cette réforme constitutionnelle nous permet d’aborder d’autres sujets. Je pense à la compensation de certaines charges imposées aux collectivités territoriales.

Si la maîtrise de nos finances publiques ne se limite pas à celles de l’État et doit toucher les collectivités territoriales, encore faut-il que l’État soit lui-même irréprochable à leur égard. Il peut être amené, notamment via son pouvoir réglementaire autonome, à imposer aux collectivités locales de nouvelles charges dans des domaines pour lesquelles elles ont déjà la compétence. Lorsqu’il prend une décision de ce type, l’État doit en assumer le coût et fournir aux collectivités les moyens correspondants. Or l’article 72-2 de la Constitution ne prévoit aucune compétence législative en matière de compensation dans ce cas. C’est pourquoi j’ai déposé un amendement qui reprend une proposition de loi alors déposée en compagnie de notre ancien collègue Alain Lambert, supposant que la nature législative de ses dispositions soit bien établie.

Je suis donc favorable au texte, à ses orientations, parce qu’il s’inscrit dans une continuité de maîtrise des dépenses publiques et qu’il offre l’occasion d’améliorer l’information du Parlement et la lecture universelle de la dépense publique et des recettes de l’État. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Aurélie Filippetti.

Mme Aurélie Filippetti. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, messieurs les présidents, mes chers collègues, il est tard et j’aurais pu vous entretenir de l’aveu implicite de votre échec que recèle ce projet de révision constitutionnelle, de votre tentative de piéger l’opposition…

M. Jean Mallot. Ça ne marchera pas !

Mme Aurélie Filippetti. …et de rassurer les marchés pour garantir la pérennité de notre note triple A, alors que les perspectives de croissance sont revues à la baisse et que les données de ces deux derniers mois accentuent le caractère abyssal du déficit commercial.

M. Pierre-Alain Muet. Ni les marchés ni l’opposition ne se laisseront prendre !

Mme Aurélie Filippetti. Cependant, il est tard ; aussi vais-je me borner à vous raconter une petite histoire. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.) Je précise que je ne suis pas la seule à en avoir eu l’idée.

Imaginons deux Persans, Usbek et Rica,…

M. Jean Mallot. Il ne s’agit donc pas de Zadig et Voltaire ? (Rires.)

Mme Aurélie Filippetti. Non, mon cher collègue.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Il s’agit de Montesquieu alors !

Mme Aurélie Filippetti. Imaginez Usbek et Rica arrivant dans cette enceinte et qui, avec les visiteurs très courageux présents dans les tribunes du public il y a encore un quart d’heure, découvriraient notre débat.

Ils verraient dans cet hémicycle un aréopage très brillant : les plus fins juristes, comme le président Warsmann, les esprits les plus aiguisés en matière de finances publiques, cher Gilles Carrez,…

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Voilà qui commence très bien !

Mme Aurélie Filippetti. …et les plus fins politiques, monsieur le ministre et chers collègues.

M. François Baroin, ministre. Très bonne intervention !

Mme Aurélie Filippetti. Tous sont occupés à débattre d’un sujet d’importance : l’équilibre des finances publiques. Les grands professeurs de nos meilleures écoles, cher Pierre-Alain Muet, mais aussi les conseillers éminents issus de l’inspection des finances, tous ont beaucoup travaillé sur un sujet, j’insiste, loin d’être mineur puisqu’il s’agit de l’équilibre des finances.

M. le président. Au point où vous en êtes, vous allez presque pouvoir conclure et tout le monde sera satisfait ! (Sourires.)

Mme Aurélie Filippetti. Vous êtes jaloux, monsieur le président, parce que je ne vous ai pas cité ! (Rires.)

M. le président. Pas du tout, chère collègue, je me passerai bien d’être mentionné dans la suite de votre récit.

M. Gilles Carrez, rapporteur général. Il faut accorder un supplément de temps à Mme Filippetti !

M. le président. Incontestablement, monsieur le rapporteur général. (Sourires.)

Mme Aurélie Filippetti. Usbek pourrait demander à Rica :

- Cette majorité est donc bien sage : elle veut définir un cadre pour son action à venir et poser de grands principes avant de les appliquer.

- C’est étonnant, cher Usbek, mais cette majorité n’est pas au début de son mandat. Elle est quasiment à la fin et il ne lui reste qu’un an.

- Tiens ! Elle veut donc laisser en héritage des principes qui ont guidé et permis le succès de son action en matière de gestion des finances publiques ?

- Eh bien, non car, malheureusement, le déficit, cette année, atteint 7 % du PIB et il a même doublé depuis dix ans, passant de 900 milliards à 1 800 milliards d’euros. Ce n’est pas rien !

- Mais n’y avait-il jamais eu de règles, dans cet hémicycle ?

- Bien sûr, il y en avait eu !

- Avaient-elles été respectées ?

- Que nenni, cher Usbek. Il y avait une règle, par exemple, pour la CADES. Elle a été violée par cette majorité elle-même. Il y avait des provisions pour les générations futures, avec le fonds de réserve des retraites. Ces provisions ont été siphonnées lors de la réforme des retraites.

- Bon, peut-être le Parlement veut-il empêcher le Gouvernement de faire des bêtises ?

- Eh bien, je suis embêté de te dire, cher Usbek, que là, c’est le Parlement qui se coupe lui-même les ailes, puisqu’il va s’empêcher, désormais, d’introduire des mesures fiscales en dehors des lois de finances et de financement de la sécurité sociale.

- Ce Parlement était-il donc à ce point dépensier ?

- Pas du tout. L’examen des différents projets de loi récemment adoptés montre que c’est plutôt le Gouvernement qui était impécunieux. La plupart des niches qui ont été introduites l’ont été par ce gouvernement lui-même.

- Mais, j’y pense, pourquoi ne pas appliquer, tout simplement, ce qu’on proclame aujourd’hui à grands cris, au lieu de proclamer des règles que l’on n’a pas appliquées, ce qui ne fait que mieux montrer combien, jusqu’ici, elles ont été violées ?

- Eh bien, il y a, effectivement, les agences de notation, les marchés, et la crainte de perdre cette note, le triple A.

- Les marchés sont-ils à ce point bêtes qu’ils n’étudient pas les chiffres eux-mêmes, les résultats du pays en question – le chômage, les perspectives de croissance, le commerce extérieur – pour les comparer avec ceux des pays voisins et néanmoins amis, par exemple outre-Rhin, et avec la manière dont ils ont géré la crise ?

- Bien sûr, mais le Gouvernement nous dit que la crise a été exceptionnelle, et qu’il a donc tiré des leçons exceptionnelles de cette situation exceptionnelle.

- Cher Rica, je ne comprends pas. Je pensais que, précisément, en cas de circonstances exceptionnelles, il fallait pouvoir adopter une politique économique et budgétaire ad hoc, adaptée à ces circonstances, qui ne saurait donc être définie a priori, de toute éternité, et gravée dans le marbre constitutionnel.

- Peut-être as-tu raison. C’est ce qu’on appelle, dans une langue d’outre-Manche, le fine tuning économique.

- Et quand cette réforme s’appliquera-t-elle ? Immédiatement ?

- Non, mon cher Usbek. Elle s’appliquera en 2013.

- Excuse-moi, je n’ai pas compris. Il me semblait que, dans ce pays, il y avait des élections importantes en 2012, avec la possibilité, peut-être, d’une nouvelle majorité. En tout cas, il y aura un nouveau gouvernement. Ce texte s’appliquera donc pour une majorité à venir ? Et quand sera-t-il adopté ?

- Jamais !

- Comment cela, jamais ?

- Mais oui : pour une réforme constitutionnelle, il faut un calendrier particulier. Un vote du Congrès est nécessaire, à une majorité de 60 %. Avant la présidentielle de 2012, cela semble extrêmement compliqué, voire impossible, d’autant qu’aucun calendrier précis n’a été présenté jusque-là.

- Décidément, je ne comprends toujours pas. Il s’agit d’un texte majeur, définissant des principes pérennes, avec une procédure ad hoc nécessitant une réforme constitutionnelle, entraînant rien de moins qu’un dépouillement du Parlement lui-même. Au fait, tout cela pour quoi, mon cher Rica ?

- Eh bien, en fait, il s’agit tout simplement de tenter de piéger l’opposition. On ne savait plus trop quoi faire pour l’empêcher de mener une campagne contre la politique de ce gouvernement. On veut donc l’obliger, soit à voter pour, et alors on obtient quitus de l’ensemble de la politique économique qui a été menée depuis l’élection du Président de la République ; soit à voter contre, ce qu’elle va faire, et alors on pourra lui répéter pendant toute la campagne à venir qu’elle a refusé d’encadrer les déficits.

- Cette opposition était sans doute bien impécunieuse, au temps qu’elle était au pouvoir.

- Eh bien, d’après les grands économistes, pas vraiment. La dernière fois qu’elle fut au gouvernement, elle a plutôt bien géré les déficits, en les amenant sous les 2 %, donc bien loin des 3 % réglementaires.

- Cher Rica, décidément, je ne comprendrai jamais rien aux mœurs de ce pays, ni de ce Parlement, si ce n’est qu’il est bien triste qu’une enceinte aussi sérieuse soit occupée, ce soir, à des débats aussi inutiles. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud Robinet, pour le groupe UMP.

M. Arnaud Robinet. Je serai moins poétique et j’attendrai avec impatience la suite des histoires d’Usbek et Rica.

M. Jean Mallot. Ça nous change de Frédéric Lefebvre !

M. Arnaud Robinet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question de la maîtrise des finances publiques n’a pas toujours été au cœur du débat national. Croyant dans l’intervention d’un État fort jusque dans leur vie quotidienne, les Français ont, pendant longtemps, privilégié des projets politiques séduisants mais dispendieux, rejetant le manque d’ambition des tenants de la rigueur budgétaire. Aujourd’hui, la situation a changé : l’explosion de la dette publique est devenue pour nos concitoyens un motif d’inquiétude face à l’avenir et un motif de rejet de la classe politique. Cette défiance est légitime, puisqu’elle est la résultante du laxisme qui est reproché à la France par ses partenaires européens. La spirale de l’endettement, dans laquelle les socialistes ont pris une part décisive, est devenue insoutenable et incompréhensible.

Premièrement, la France a la pression fiscale la plus élevée des grands pays industrialisés, alors que les administrations publiques ne cessent de s’endetter depuis les années quatre-vingts.

Deuxièmement, le rapport de Michel Pébereau remis en 2005 indique très clairement que l’endettement a été largement utilisé pour financer les dépenses courantes de l’État et l’explosion de nos dépenses sociales, ce qui devrait être exclu par principe.

Le Gouvernement a donc décidé de rompre avec cet engrenage fatal, en commençant par prendre des mesures de bon sens. Le projet de loi constitutionnelle est ainsi une nouvelle étape importante. Ce projet est équilibré car il répond à deux impératifs : d’une part, la France engage une stratégie de retour à l’équilibre progressif et tend à en faire un objectif constitutionnel, auquel l’impatience du politique ne pourra plus déroger ; d’autre part, la souplesse reste de mise. L’Allemagne a fait des choix différents, qui sont propres à sa culture et à son histoire. Certains veulent à tout prix l’imiter et je sais gré au Gouvernement d’avoir écarté cette option.

Avec ce texte, nous n’avons donc désormais plus droit à l’erreur. Nous sommes contraints et forcés de respecter des engagements que la France n’a quasiment jamais tenus devant les institutions européennes. L’innovation des lois-cadres d’équilibre des finances publiques devra atteindre ses objectifs, sous peine de voir la constitution s’affaiblir.

Je tiens à insister particulièrement sur ce risque pour la force de la norme suprême. Constitutionnaliser notre impuissance publique reviendrait à faire reculer très gravement notre souveraineté nationale.

Au-delà de cette nouvelle révision constitutionnelle, le retour à l’équilibre sera aussi et surtout atteint par une réelle volonté politique, qui, jusque récemment, nous a cruellement fait défaut. En effet, le juge constitutionnel n’a pas vocation à remplacer le législateur.

Qu’il me soit permis, pour conclure, de regretter l’absence de consensus entre la droite et la gauche. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Mallot. Après ce que vous venez de dire, c’est plutôt entre vous qu’il n’y a pas de consensus !

M. Arnaud Robinet. Il faudra donc se faire une raison. En réalité, on retrouve un clivage qui n’est pas vraiment surprenant : d’un côté, la majorité actuelle décide de rompre avec un endettement aggravé par la crise ; de l’autre, la gauche prône comme toujours la multiplication des dépenses inconsidérées et le financement de promesses intenables ou hasardeuses.

M. Pierre-Alain Muet. Qui a doublé la dette en dix ans ?

M. Arnaud Robinet. Il n’est que de lire le projet 2012 présenté par le Parti socialiste.

M. Jean Mallot. Il vous embête, ce projet !

M. Arnaud Robinet. Hier, François Mitterrand ruinait les finances d’un État que Valéry Giscard d’Estaing avait laissées à l’équilibre. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Mallot. Pas du tout !

M. Arnaud Robinet. Aujourd’hui, les socialistes ruinent les régions et les collectivités qu’ils gouvernent. (Rires et vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Les Français jugeront. (Applaudissements sur divers bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean Launay.

M. Jean Launay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise financière a conduit trois pays de la zone euro dans une situation de quasi insolvabilité : la Grèce, l’Irlande et le Portugal. Et si, demain, l’Espagne, l’Italie, la France étaient touchées ?

La mise en œuvre de mesures destinées à retrouver la voie de l’équilibre des finances publiques est-elle indispensable ? Je réponds oui. Cependant l’accord bipartisan auquel vous appelez au nom de l’intérêt général et du sens de l’État, est-il jouable ? Je réponds non.

Vous justifiez l’inscription de l’équilibre des finances publiques dans la Constitution en faisant référence à nos enfants, auxquels nous ne devons pas transmettre une charge de dette et des déficits trop lourds, à la préservation de notre liberté de choix, à la protection de notre modèle social, à la garantie de notre souveraineté. Belles intentions ! Sauf que le texte que vous nous présentez est largement démenti par votre action passée, même si elle s’est récemment réorientée.

Votre bilan, c’est une dette et des déficit accrus, c’est le démantèlement du modèle social issu des acquis du Conseil national de la Résistance, c’est l’abandon de la capacité de l’action publique souveraine.

En fait, la véritable question posée par votre proposition est la suivante : à quoi cela sert-il de renforcer encore la rigueur avec laquelle les budgets initiaux sont votés, si l’on constate toujours les mêmes dérives dans leur application ?

M. Pierre-Alain Muet. Et voilà !

M. Jean Launay. En fait, l’objectif du Gouvernement, par ce texte, est avant tout de s’exonérer de ses fautes passées. Entre 2007 et 2011, la dette financière des administrations publiques est passée de 63,8 % à 86,8 % du PIB. Dans le même temps, le déficit de l’État a plus que doublé, atteignant 7,5 % du PIB à la fin de 2010 : la France connaît son plus lourd déficit de l’État depuis 1945.

La crise, que vous invoquez souvent, n’explique que pour un tiers, comme la Cour des comptes l’a souligné, la dégradation des soldes publics. Votre politique fiscale a amputé régulièrement, et annuellement, les recettes du budget de l’État, pour 20 milliards d’euros depuis 2007, pour 45 milliards d’euros depuis 2002. Dans ces conditions, parler de la maîtrise de la dépense publique relève de la provocation. Cette réforme n’est décidément pas la bonne.

En effet, les règles constitutionnelles d’objectifs existent déjà depuis 1995 : ce sont les critères de Maastricht. Vous les avez pourtant régulièrement violées, et vous n’avez en rien empêché la dégradation accélérée de nos comptes publics depuis 2007.

Il n’est pas possible d’ignorer la conjoncture, avec ses situations d’urgence, ou exceptionnelles, qui peuvent nécessiter des ouvertures rapides des crédits de l’État. Pour autant il n’est pas souhaitable de créer des sources de contentieux infinis avec le Conseil constitutionnel.

Je veux également répondre à l’argument selon lequel l’association du Parlement au semestre européen constituerait un progrès, par l’information accrue et par une plus grande implication dans le processus de maîtrise des dépenses publiques.

C’est un leurre ! En effet si le principe des lois-cadres d’équilibre des finances publiques était adopté, celles-ci seraient soumises au double contrôle du Conseil constitutionnel : d’une part, avant leur adoption ; d’autre part, par la vérification annuelle de la conformité des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale à l’effort programmé en loi-cadre.

En fait, le texte que vous nous proposez porte atteinte à l’initiative parlementaire…

M. Jean Mallot. Absolument !

M. Jean Launay. …dès lors que les modifications fiscales et sociales seraient réservées aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale. C’est, d’une part, oublier l’existence et le rôle de l’article 40 ; mais aussi, d’autre part, oublier le rôle décisif des Parlements nationaux. Jérôme Cahuzac, le président de notre commission des finances, le rappelait à Berlin, le 7 avril dernier, lors d’un échange avec nos homologues du Bundestag : les parlementaires sont dépositaires de la légitimité nationale et doivent pouvoir exercer leur rôle de contrôle avant, pendant et après les crises.

Dans ce texte, le rôle légitime du Parlement est occulté, au motif de l’urgence et de la rapidité – souvent nécessaire, d’ailleurs – des choix gouvernementaux.

Enfin, ce débat sur les règles pose la question du bon niveau de leur élaboration : national ou européen ? La profonde réforme du pacte de stabilité et de croissance, décidée lors du conseil des ministres des finances européen du 15 mars dernier à Bruxelles, va nous imposer, dès lors que notre dette publique se situe au-dessus du plafond de 6 % du PIB, une réduction drastique du ratio d’endettement, et une accélération des efforts de consolidation. Cet ajustement, s’il est ratifié par le Parlement européen en juin, posera véritablement l’enjeu. Le débat sur la réforme constitutionnelle que vous nous proposez n’est qu’une manœuvre politicienne de plus visant à masquer l’incurie de vos décisions passées. Cela, nous ne pouvons l’accepter.

Ce projet de loi constitutionnelle sur l’équilibre des finances publiques n’est donc pas acceptable politiquement. Cette réforme constitutionnelle supplémentaire, si elle était approuvée, imposerait à la majorité issue des urnes en 2012 de s’engager, via une loi-cadre, sur une trajectoire de retour à l’équilibre.

Monsieur le rapporteur général, entre votre plancher et votre plafond, nous voulons de la place pour la respiration des choix politiques. Nous aspirons à constituer cette majorité de demain avec tous nos partenaires. Nous travaillerons ensemble à ce nécessaire retour à l’équilibre des finances publiques, mais nous voulons le faire dans le cadre de nos programmes économiques et sociaux, de ces programmes qui auront mobilisé une majorité de Français pour leur redonner espoir et confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Guénhaël Huet.

M. Guénhaël Huet. Monsieur le ministre, voilà un projet de loi que nous attendions depuis longtemps. Lorsque je dis : « nous », c’est d’une grande partie de la classe politique que je parle (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.) La majorité, bien entendu, mais, au-delà, sur d’autres bancs également, même s’il semble bien difficile à certains de l’accepter ou de l’avouer.

M. Pierre-Alain Muet. C’est la révolution que tout le monde attendait !

M. Guénhaël Huet. « Nous », c’est surtout l’opinion publique, qui a bien compris que la France ne pouvait plus céder à la facilité et à la démagogie de celles et ceux qui prétendent, sans jamais l’expliquer, que l’État serait le seul à pouvoir se départir des équilibres financiers alors que tous les autres acteurs économiques, les ménages, les entreprises, les collectivités locales, y seraient soumis.

M. Jean Mallot. Vous qualifiez votre propre politique depuis 2002 de démagogique ?

M. Guénhaël Huet. Le résultat de cet aveuglement a été rappelé cet après-midi par le président Warsmann : une dette de 1 600 milliards d’euros, soit environ 25 000 euros par habitant de notre pays.

M. Jean Mallot. À qui la faute ?

M. Guénhaël Huet. Depuis deux ans maintenant, le service de la dette est devenu le premier poste de dépenses de l’État.

M. Pierre-Alain Muet. Quelle découverte !

M. Guénhaël Huet. Cette situation ne peut plus durer, sous peine de compromettre la croissance économique, notre pacte social et la crédibilité internationale de la France.

L’équilibre des finances publiques présente à l’évidence un aspect essentiellement économique. Il revêt également un intérêt politique, au vrai sens du terme, dans la mesure où il met en œuvre une responsabilité essentielle. Il s’agit même de la responsabilité originelle de la représentation nationale, car voter le budget est une mission fondamentale du Parlement. Le voter dans le souci de préserver les équilibres essentiels est une responsabilité non moins fondamentale.

L’équilibre des finances publiques revêt enfin un intérêt juridique, et c’est bien le sens du projet qui nous est proposé. Il s’agit d’abord de renforcer la gouvernance des finances publiques ; ensuite d’intégrer le principe d’équilibre dans le bloc de constitutionnalité ; enfin de rétablir une inégalité juridique entre l’État et les collectivités locales.

Pour atteindre ces objectifs, vous avez indiqué les trois séries de dispositions que vous nous proposez, monsieur le ministre : la mise en œuvre d’un nouvel instrument juridique, avec les lois-cadres d’équilibre des finances publiques ;…

M. Jean Mallot. Vous souvenez-vous que vous avez déjà voté quatre budgets ?

M. Pierre-Alain Muet. C’est de l’autocritique !

M. Guénhaël Huet. …la notion de monopole fiscal destinée à éviter, pour reprendre vos mots, le « mitage » de notre système fiscal ; la définition d’une nouvelle procédure du semestre européen auquel l’Assemblée nationale et le Sénat seront étroitement associés.

Il s’agit au final d’un dispositif très cohérent, qui allie la rigueur juridique et la souplesse institutionnelle, et je m’étonne que ceux qui sont chargés de faire le droit soient aussi ceux qui se méfient de la règle, a fortiori lorsqu’elle est de nature constitutionnelle.

Ce texte constitue un véritable progrès juridique, une condition sans doute non suffisante en elle-même, mais réellement nécessaire pour s’engager dans la voie de l’équilibre, c’est-à-dire dans la voie de la croissance économique, de la garantie de nos acquis sociaux (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC) et, surtout, dans la voie de la vérité et de la responsabilité envers les générations futures. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean Mallot. Pouvez-vous nous rappeler vos votes depuis 2007 ?

M. le président. La parole est à M. Marc Goua, dernier orateur inscrit.

M. Marc Goua. La crise économique commencée en 2008 a été le révélateur de la dégradation de nos comptes publics depuis 2002, accentuée d'année en année.

Il en va maintenant de la souveraineté de notre pays face aux marchés financiers internationaux. Toute dégradation de notre note de solvabilité entraînerait des conséquences sociales graves à travers un ou des plans de rigueur, sans parler de l'humiliation d'un appel à l'aide internationale. Il y a donc bien nécessité de réduire les déficits excessifs et d'arrêter la progression exponentielle de la dette publique.

De nombreuses règles existent et existaient avant même le déclenchement de la crise. Malheureusement, ces règles ont été allégrement transgressées par les gouvernements successifs depuis 2002, avec une accentuation notable depuis 2007.

Le traité de Maastricht fixe une limite de déficit public à 3 % du PIB et l'encours de la dette à 60 % du même PIB. Cela n'a quasiment jamais été respecté depuis 2002. De plus, vous avez violé, quelques semaines après son adoption, la règle de compensation de toute nouvelle dépense fiscale, lorsque vous avez fait voter la réduction de TVA dans la restauration.

Autre exemple emblématique : l'article 20 de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale a institué, dans l'ordonnance du 24 janvier 1996, un article qui dispose : « Tout nouveau transfert de dette à la Caisse d'amortissement de la dette sociale est accompagné d'une augmentation des recettes de la caisse permettant de ne pas accroître la durée d'amortissement de la dette sociale. » Ce principe vertueux a été remis en cause lors d'un projet de loi organique afin de reprendre les déficits cumulés de 55 milliards d'euros au titre des années 2008 et 2011 et, contrairement aux engagements, le remboursement de la dette a été allongé de quatre ans.

Ces exemples illustrent parfaitement l'attachement de votre gouvernement au respect des règles que vous avez vous-mêmes instituées.

Vous répondez que cela est dû à la crise, mais votre affirmation est contredite par la Cour des comptes,…

M. Pierre-Alain Muet. Et par les documents de Bercy !

M. Marc Goua. …qui pointe une augmentation de 0,6 % du déficit structurel et impute l'aggravation des déficits pour un tiers seulement à la crise. Pour les deux tiers, ce sont donc des causes structurelles directement imputables à votre politique de mitage des recettes à travers la prolifération des niches.

Votre responsabilité, monsieur le ministre du budget, est avérée. Vous vous évertuez à masquer cette réalité, mais sans grand succès, auprès de nos concitoyens. Face au tonneau des Danaïdes des niches, votre seule réplique est celle du gel des dotations aux collectivités territoriales et locales et le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux en mettant en péril le fonctionnement des services publics. En revanche pas touche à la niche Copé !

Dans l'exposé des motifs de votre projet de loi constitutionnelle, vous avancez que la situation actuelle ne peut s'expliquer simplement par la faiblesse de la volonté politique de tel ou tel gouvernement. Vous fuyez vos responsabilités d’autant que la situation actuelle s'explique également par votre manque de volonté politique ou, plus exactement, par votre politique de cadeaux fiscaux aux plus nantis de notre pays.

Aujourd'hui, soudainement touché par la grâce, vous nous proposez de créer un nouvel instrument miracle qui s'imposerait aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale et garantirait le respect d'une trajectoire de retour à l'équilibre budgétaire. Ces lois-cadres de programmation des finances publiques pluriannuelles seraient censées fixer une trajectoire impérative de réduction des déficits et la date de retour à l'équilibre structurel de nos finances.

Comme par un coup de baguette magique, une loi organique permettrait de redresser la trajectoire des finances. C’est le pays des Bisounours, la technique financière exposée aux enfants, la poudre de perlimpinpin ! Qui peut le croire, ou le faire croire ?

De plus, cet instrument, ce « machin » comme disait quelqu'un, ne tiendra pas compte de la conjoncture. Cependant il serait révisable tous les ans après un vote de modification par les assemblées.

Par ailleurs, le monopole des modifications des dispositions fiscales et sociales aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale reviendrait à réduire de façon drastique le pouvoir d'initiative parlementaire. Considérez-vous, monsieur le ministre, que les parlementaires ou les collectivités sont les premiers responsables du dérapage de nos comptes publics ?

L'article 40 constitue, en la matière, un instrument suffisant et les faits démontrent que c'est bien le Gouvernement qui, systématiquement, propose des modifications des dépenses fiscales avec pour unité de mesure le milliard d'euros.

L'article 11 du projet de loi étend ce principe de monopole aux impositions locales et aux transferts de ressources compensant les transferts de compétences aux collectivités territoriales. Cette disposition, si elle était adoptée, s'opposerait à l'autonomie des collectivités et au dépôt d'une loi relative aux collectivités territoriales ou à la décentralisation si celle-ci n'était pas une loi de finances. N'oubliez pas que depuis 2002, les gouvernements successifs ont transféré des compétences aux collectivités territoriales, sans les accompagner des ressources nécessaires, ce qui provoque les difficultés actuelles de nos départements.

En 2002, la dette représentait 58,8 % du PIB ; à la fin de 2010, elle atteignait 1 600 milliards d'euros soit plus de 80 % du PIB et, en 2013, elle sera de 1 800 milliards. Vous êtes responsables de cette explosion de la dette qui a progressé de 100 % en dix ans.

Vous n'avez pas jusqu’ici donné la preuve de votre attachement à l'équilibre des finances publiques et à la maîtrise de la dette. Votre repentance est bien tardive. L'équilibre des finances publiques est avant tout une affaire de volonté et de cohérence de politique économique et sociale.

Ce n'est pas en légiférant que vous résoudrez les problèmes, et vous le savez, mais en changeant radicalement de cap. Nous ne sommes pas dupes. Ce projet de loi constitutionnelle est un projet de circonstance, de circonstance électorale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La discussion générale est close.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, mercredi 4 mai à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques ;

Projet de loi fixant le nombre des conseillers territoriaux.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 4 mai 2011, à zéro heure dix.)