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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2011-2012

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 1er décembre 2011

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing

1. Fonds européen de développement social, solidaire et écologique

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

M. Jean Leonetti, ministre chargé des affaires européennes

Discussion générale

M. Jean-Claude Sandrier

M. Pierre Lequiller

M. Christophe Caresche

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur

M. Jean Leonetti, ministre

Explication de vote

M. Éric Raoult

Vote sur les conclusions de rejet de la commission

2. Responsabilité civile et pénale du Président de la République

M. Noël Mamère, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Discussion générale

Mme Anny Poursinoff

M. Philippe Houillon

M. Jean-Jacques Urvoas

M. Yves Cochet

M. René Dosière

M. Noël Mamère, rapporteur

M. Michel Mercier, garde des sceaux

Discussion des articles

Article 1er

Article 2

Article 3

Article 4

M. Noël Mamère,

Application de l’article 44, alinéa 3, de la Constitution

M. Michel Mercier,

3. Transparence de la vie publique et prévention des conflits d'intérêts

M. François de Rugy, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. François Sauvadet, ministre de la fonction publique

Discussion générale

M. Yves Cochet

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Fonds européen de développement social, solidaire et écologique

Discussion d’une proposition de résolution européenne

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution européenne relative à la mise en place d’un fonds européen de développement social, solidaire et écologique (nos 3867, 3939 et 3972).

La parole est à M. Jean-Pierre Brard, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le président, monsieur le ministre chargé des affaires européennes, mes chers collègues, le projet de résolution que je présente aujourd’hui est le fruit d’un travail commun entre les députés communistes, républicains et du Parti de gauche et le groupe Die Linkeau Bundestag. C’est pour nous un moment chargé d’émotion, car c’est la première fois dans l’histoire de nos deux assemblées que de tels liens se tissent.

Ce travail commun, nous le portons ce matin, comme nos camarades du groupe Die Linke le feront ce soir au Bundestag, afin de donner au couple franco-allemand un autre visage que celui d’Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, qui nous est imposé. Vous reconnaîtrez avec moi, monsieur le ministre, que l’enjeu le mérite.

Avec nos collègues allemands, nous voulons porter l’exigence d’un autre avenir pour l’Europe et d’une autre vision du couple franco-allemand. C’est un travail de pédagogie politique auquel nous nous livrons car, grâce à cette proposition de résolution franco-allemande, nous faisons la démonstration que d’autres relations entre nos deux peuples sont possibles. Le couple franco-allemand peut vraiment être un moteur pour l’Europe, à condition qu’il ne soit pas le fer de lance – certains pourraient même dire, si j’en crois les médias, la pointe du casque – de la vaste offensive que les marchés mènent actuellement contre la démocratie.

À ceux qui nous proposent une réédition moderne de la Sainte-Alliance – je sais que vous avez des lettres, monsieur le ministre – où Nicolas Sarkozy et Angela Merkel remplacent Guizot et Metternich, nous opposons l’héritage de Jean Jaurès et de Rosa Luxembourg, qui, le 29 juillet 1914, à la veille du premier conflit mondial, appelaient encore les peuples à refuser la guerre.

Les réponses que le duo infernal Sarkozy-Merkel apporte à la crise économique systémique que nous subissons ne nous conviennent pas. Les tractations en coulisse, les petits arrangements coupables qui écrasent les peuples et bafouent les souverainetés nationales, nous n’en voulons pas ! La diplomatie du troc que pratiquent Mme Merkel et M. Sarkozy, nous la rejetons. Règle d’or contre eurobonds, FMI contre BCE : les monnaies d’échange des accords Sarkozy-Merkel, c’est le pilori pour les peuples. Nous n’acceptons pas ce fédéralisme caporalisé qui, sous couvert de rigueur budgétaire, prive progressivement les peuples de leur contrôle souverain et organise la mainmise de la finance sur les gouvernements d’Europe.

Le couple franco-allemand, tel que nous le voyons, doit être utilisé, non comme un instrument au service des marchés, mais comme un outil entre les mains de nos deux peuples pour construire une autre Europe, une Europe qui non seulement donne de l’espoir aux peuples européens, mais qui devienne un phare pour la planète tout entière.

Pour qu’un couple dure, chacun des deux partenaires doit pouvoir compter sur l’autre, avoir confiance en l’autre. Chacun doit pouvoir trouver en l’autre une complémentarité et un soutien de chaque instant. Respect mutuel, franchise, soutien dans l’épreuve : voilà – et je pense que vous êtes d’accord avec moi au moins sur ce point, monsieur le ministre – quelques-unes des qualités essentielles qui fondent un couple heureux. A contrario, le chacun pour soi, la cupidité et le mépris ne peuvent mener qu’au divorce. De ce point de vue, le couple franco-allemand, comme les relations entre les différents États de l’Union, ne font pas exception. Avec nos camarades allemands, nous opposons la solidarité à la discipline, la fraternité à l’arrogance et la concertation aux oukases.

Depuis plus d’une décennie, la plupart des pays européens se sont lancés dans une course au moins-disant fiscal, que vous baptisez pudiquement « attractivité fiscale ». Cette course a abouti à un abandon massif de recettes fiscales – 100 milliards d’euros par an, selon notre rapporteur général, Gilles Carrez – et à un transfert de la fiscalité des bases les plus mobiles, c’est-à-dire le capital, les ménages les plus aisés et les grandes entreprises multinationales, vers les bases les moins mobiles : classes moyennes et populaires, petites entreprises.

Comme le disait notre collègue du Bundestag Richard Pitterle lors de sa venue à Paris en octobre dernier, le temps est venu de « mettre fin à la redistribution des richesses du bas vers le haut », car cette politique a eu deux effets que nous payons collectivement aujourd’hui.

D’une part, elle a conduit à l’augmentation du déficit public et de la dette, dont le Gouvernement se sert comme alibi pour imposer aux peuples le pain sec de l’austérité. D’autre part, elle s’est traduite par des politiques de recherche de compétitivité non coopérative – comprenez : dumping fiscal et social – dont l’Allemagne est l’exemple type. En effet, qu’a fait ce pays de si remarquable pour que vous le présentiez comme le modèle à suivre ?

Est-ce sa neuvième place au rang des paradis fiscaux – si l’on en croit la revue Financial Secrecy Index – que vous jalousez ? Ces vingt dernières années, l’Allemagne est le pays d’Europe qui a créé le moins d’emplois. C’est celui, à l’exception de la Bulgarie et de la Roumanie, où la hausse des inégalités de revenus a été la plus forte. C’est celui où la part des salaires dans la valeur ajoutée a le plus diminué, où le pourcentage de chômeurs indemnisés a le plus baissé. Dans ce que vous présentez comme un pays modèle, 18 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.

Allez voir, mes chers collègues, la longueur des files d’attente devant les soupes populaires à Berlin. Cela vous immunisera contre le « miracle allemand », auquel vous croyez et qui n’est qu’un mirage. En Allemagne, un emploi sur trois est un emploi précaire ; un sur dix est un job à moins de 400 euros par mois ; 2,5 millions de personnes travaillent pour moins de cinq euros de l’heure. Les salaires ont été bloqués et la TVA sociale a transféré le financement de la protection sociale des entreprises vers les ménages. Et ne venez pas me dire que tout cela, c’est Schröder. Certes, c’est lui qui a fait cela, mais cela ne veut pas dire qu’il est un homme de gauche. La preuve, il est actionnaire de Gazprom !

Voilà où nous en sommes aujourd’hui. De la mer Baltique aux Alpes, du Rhin à l’Oder, l’Allemagne s’enfonce dans la pauvreté et la misère. Je vous renvoie aux derniers chiffres qui viennent d’être publiés. Est-ce cela que vous voulez pour la France ? Ce sont pourtant les conséquences de l’avantage comparatif des Allemands.

Il s’agit d’un avantage comparatif à l’égard, non de la Chine ou du Brésil, mais de la France et de l’Italie. Les déficits grecs, portugais, espagnols ou français financent l’excédent allemand, tout comme le déficit américain finance l’excédent chinois. Si la France se lance dans une politique dite de convergence avec l’Allemagne, vers qui ce pays exportera-t-il ? La politique du passager clandestin ne peut fonctionner que lorsqu’il n’y en a qu’un ; si personne ne paie son billet, le système s’effondre. Vouloir exporter l’Agenda 2010 à toute l’Europe est non seulement irrationnel, mais aussi suicidaire.

La réunion des ministres des finances de la zone euro avant-hier a confirmé les craintes déjà exprimées par notre groupe à cette tribune. Le fonds européen de stabilité financière ne sera pas en mesure de faire face aux exigences du renflouement conjoint de l’Espagne et de l’Italie. C’est désormais le FMI que Mme Merkel et M. Sarkozy veulent appeler à la rescousse. La maison Europe brûle et les pompiers choisissent d’appeler le pyromane pour contenir l’incendie !

Toute l’agitation médiatique du Président de la République n’y pourra rien changer, pas même le grand spectacle de ce soir. Toujours en retard sur les événements et incapable intellectuellement de comprendre ou d’accepter de traiter les raisons profondes de la crise, le couple Sarkozy-Merkel a choisi de satisfaire les exigences des marchés et de faire payer aux peuples cette énième crise du capitalisme.

Il est donc temps de passer d’un système faisant la part belle à l’arrogance, à la cupidité et au chacun pour soi, à un système coopératif, solidaire et fondé sur le respect mutuel. C’est pourquoi nous vous proposons, avec nos collègues de Die Linke,de changer de concept et de faire entrer l’Europe dans une logique de convergence sociale, d’harmonisation fiscale, de montée en puissance d’un budget européen soutenant les filières industrielles, les investissements d’avenir et la relance de la consommation intérieure tout en préservant un système de protection sociale qui, en France, a fait ses preuves.

C’est tout le sens de cette proposition de résolution. Elle vise, dans un premier temps, à créer un fonds européen de développement social, solidaire et écologique qui, en canalisant des financements importants au service de grands projets d’intérêt général, pourra être un véritable instrument de gouvernance économique.

Pour répondre aux interrogations formulées en commission des affaires européennes par notre collègue Pascale Gruny, ce fonds sera, dans notre esprit, complémentaire des trois fonds européens existants – le fonds européen de développement régional, le fonds social européen et le fonds de cohésion –, censés renforcer la cohésion économique et sociale entre pays et régions de l’Union.

Son financement sera assuré, d’une part, par la mobilisation de l’épargne populaire, sur laquelle veulent faire main basse les établissements bancaires, et d’autre part, par l’émission de titres publics de développement social, lui donnant accès à la monnaie de la Banque centrale.

M. le président. Merci d’en venir à vos propos conclusifs, monsieur le rapporteur.

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. Monsieur le président, je vous entends, mais vous reconnaîtrez que c’est un événement important que ce débat.

Notre deuxième proposition consiste en la création d’une taxe portant sur un patrimoine excédant un million d’euros : la « taxe sur les millionnaires », comme on l’appelle à Berlin. Cette taxe aura une double vertu : abonder les budgets nationaux, et aller vers une plus grande harmonisation. C’est une nécessité que même le gouvernement technocratique de M. Mario Monti semble avoir comprise, lui qui a proposé le rétablissement d’un ISF en Italie.

Enfin, nous soutenons plusieurs mesures incontournables afin de lutter contre la spéculation en général, et la spéculation sur les dettes souveraines en particulier : adoption – enfin ! – de la taxe sur les transactions financières dès 2012 ; interdiction des ventes à découvert et des CDS sur les dettes publiques ; fermeture des marchés de gré à gré grâce au rapatriement des transactions sur les marchés réglementés ; interdiction du trading haute fréquence, dont l’utilité sociale n’a jamais pu être démontrée et qui a, au contraire, fait la preuve de sa nocivité ; enfin, interdiction aux agences de notation de porter une appréciation sur les dettes souveraines.

Mes chers collègues, comme le disait l’autre jour Michel Diefenbacher à nos collègues de la commission des affaires européennes, notre proposition est « idéologiquement cohérente ».

Riches de notre passé commun, si terrible et si beau, nous, parlementaires français et allemands, portons une responsabilité particulière devant l’histoire de l’Europe qui s’est construite à la faveur de la réconciliation de nos deux peuples – et il nous faut rendre ici hommage au général de Gaulle et à Konrad Adenauer, qui ont été visionnaires avant d’autres. Cette Europe pourrait désormais périr de la main même de ceux qui l’ont enfantée si nous la laissions dans les mains du couple Sarkozy-Merkel qui, avec arrogance, veulent imposer leurs choix aux autres peuples, choix qui correspondent non pas à l’intérêt des peuples, mais à ceux des actionnaires.

Je termine, monsieur le président.

M. le président. Oui, merci.

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. Mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui à un tournant de notre histoire. Allemands et Français ne pourront, seuls, mener à bien le combat contre le coup d’État de Goldman Sachs et consorts sur l’Europe. C’est avec les Grecs, les Portugais, les Italiens, les Espagnols, les Slovènes et tous les autres que nous parviendrons à mettre en échec l’offensive anti-démocratique que mènent les marchés contre nos peuples.

Aujourd’hui, ce n’est qu’une étape : à l’initiative de Die Linke, rendez-vous…

M. le président. Il faut conclure, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. …est déjà pris le 16 décembre prochain avec des parlementaires de toute l’Europe pour organiser la riposte face à l’OPA hostile de la finance sur nos démocraties. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean Leonetti, ministre chargé des affaires européennes.

M. Jean Leonetti, ministre chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le rapporteur, vous savez que je suis un adepte des propos nuancés, modérés et équilibrés. C’est pourquoi j’ai beaucoup apprécié ce que vous venez de dire, monsieur le rapporteur. Cette caricature dessine, en creux, les contours de ce que pourrait être une Europe qui se construit dans l’équilibre.

Avant de vous exposer les propositions et la situation de la France dans l’Union européenne, je ne peux pas ne pas vous faire part de ma perplexité.

Effectivement, je suis perplexe. Le texte que vous nous proposez oscille entre le refus absolu de l’Europe,…

M. Jean-Claude Sandrier. Mais non, ce n’est pas du tout ça !

M. Jean Leonetti, ministre. …qui ne serait synonyme que « d’attaque intolérable contre les principes démocratiques les plus élémentaires », et la perception, un peu désappointée, qu’il n’est de solution autre qu’européenne.

Il ne manque qu’un petit élément dans la perspective que vous avez développée : la démocratie. Lorsque vous dites que le visage franco-allemand de la Chancelière et du Président de la République française nous a été « imposé », vous oubliez que c’est la démocratie qui a fait que ces deux dirigeants de deux grands peuples européens nous représentent aujourd’hui.

Perplexité aussi, parce que, tout en plaçant très haut la liberté pour chaque État membre de suivre sa propre voie en matière de politique économique, vous voulez imposer le même modèle pour tous les pays sans passer par les Parlements nationaux, qui, vous le savez, sont majoritairement opposés aux propositions que vous faites.

Perplexité encore, car la seule solution esquissée à la crise est de faire de la dette pour réparer la dette. Si aujourd’hui l’Europe et l’euro sont en difficulté, ce n’est pas parce qu’il y a l’Europe, ni parce que l’on a créé l’euro ; c’est simplement parce qu’un certain nombre d’États ont une dette souveraine insoutenable.

Enfin, perplexité amusée, lorsque je lis vos regrets sur les réformes que la gauche allemande de M. Schröder a mis en œuvre pour regagner la compétitivité qui faisait défaut à l’économie allemande…

M. Jean-Claude Sandrier. Pour quel résultat ?

M. Jean Leonetti, ministre. …pendant qu’en France, nous réduisions la durée du travail et abaissions de soixante-cinq à soixante ans l’âge du départ en retraite. S’il existe aujourd’hui un décalage entre une Allemagne qui a fait un effort responsable sous un gouvernement socialiste…

M. Jean-Claude Sandrier. Avec quel résultat pour le peuple allemand ?

M. Jean Leonetti, ministre. …et une France qui, gouvernée par l’union de la gauche, a tourné le dos au réalisme, c’est bien durant cette période-là qu’il s’est produit.

Je souhaiterais vous opposer une vision de l’Europe plus constructive, plus responsable, plus solidaire, et surtout mieux gérée, tournée vers l’avenir, et qui tient compte des réalités du monde.

Vous avez dit que, dans un couple, il faut savoir compter sur l’autre. Vous avez bien raison. Mais pour qu’un couple dure, monsieur Brard, il faut aussi des compromis. Entre la France et l’Allemagne, le dialogue est fait de solidarité, mais aussi de concessions mutuelles. Lorsque je vais en Allemagne, les journalistes allemands me demandent comment il se fait que la Chancelière allemande cède à toutes les propositions que lui fait le Président de la République ! Et en France, les journalistes me posent exactement la même question : comment se fait-il que la France suive le diktat allemand ?

Sur ce point, monsieur Brard, ne parlez pas de casque à pointe. Pas vous ! On a entendu certains irresponsables dire que Mme Merkel serait un nouveau Bismarck, ou encore que le Président de la République se rend en Allemagne comme Daladier est allé rencontrer Hitler à Munich.

M. Jean-Claude Sandrier. C’est à nous qu’il faut répondre, monsieur le ministre, pas à d’autres.

M. Jean Leonetti, ministre. Ces propos inadmissibles sont l’expression d’un vieux fonds de germanophobie, et relèvent d’une xénophobie que je n’accepte pas. Je suis sûr que l’homme éclairé que vous êtes les rejette avec autant de violence que moi.

Comment pourrait-on s’y prendre pour pour taxer toutes les personnes au niveau de l’Union européenne sans passer par les Parlements nationaux ?

M. Jean-Claude Sandrier. C’est ce que vous voulez faire, non ?

M. Jean Leonetti, ministre. Il ne me paraît pas très raisonnable d’imaginer que la situation d’endettement des États pourrait trouver une solution dans ces vieilles recettes de taxation des personnes, qui ne serviraient qu’à augmenter les impôts sur l’ensemble des pays européens.

M. Jean-Claude Sandrier. Il ne s’agit pas de taxer les « personnes », mais les milliardaires !

M. Jean Leonetti, ministre. J’en viens à la proposition d’imposer une prise de participation majoritaire des États au capital des banques européennes exposées au risque de défaut de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal. Je ne m’attarderai pas une nouvelle fois sur l’irréalisme juridique de la proposition, mais dans le cas contraire, je crois que le groupe GDR serait le premier à s’en inquiéter, tant nous partageons, j’en suis sûr – en tout cas, avec vous, monsieur Brard –, le même attachement à la défense du statut public de certaines de nos entreprises.

Le Gouvernement partage toutefois le souci de voir les banques consacrer leur activité à l’économie réelle. C’est la finalité des interventions de la Banque centrale européenne, dont je rappelle qu’elle est indépendante, ce que personne ne conteste ni de ce côté-ci, ni de l’autre côté du Rhin. C’est aussi le sens de l’obligation faite aux banques de renforcer leurs fonds propres, une obligation imposée par le gouvernement que vous dénoncez. Je rappellerai, enfin, l’investissement particulier du Premier ministre sur ce sujet, qui a réuni l’ensemble des banques pour les rappeler à leur devoir élémentaire.

Pour en venir à la proposition principale de créer un fonds européen de développement social, solidaire et écologique, je ne soutiens pas ce projet, bien que je soutienne l’idée que l’Europe doit être solidaire et s’investir dans le développement durable. Car cela reviendrait, si je comprends bien, à financer par la création monétaire les coûts de fonctionnement de projets aux finalités les plus variées, allant de la protection de l’environnement aux services publics nationaux. Il va sans dire que faire reposer cette idée sur l’achat de titres de dette par la Banque centrale européenne manque de toute crédibilité, et est même totalement incompatible avec la mission de la BCE.

Par ailleurs, il ne me semble pas cohérent de faire appel au niveau européen pour financer, pour les seuls pays de la zone euro, des projets qui relèveraient de toute évidence de la subsidiarité, et donc de chaque État membre. Je pense en particulier aux politiques de l’emploi.

En revanche, d’autres politiques visées dans votre proposition font déjà l’objet de soutiens et de coordination européens dans le cadre du budget communautaire. Nous sommes en train de négocier le cadre financier pour la période 2014-2020. Je ne suis pas favorable à ce que ces dépenses, parfaitement légitimes sur le fond, même s’il faut toujours veiller à l’efficacité de la dépense européenne, soient encore financées par un recours à la dette. L’immense avantage du budget européen est qu’il est équilibré. Pour rééquilibrer les finances des États membres, faudrait-il déséquilibrer le budget européen ?

Je voudrais, en revanche, dire un mot d’une proposition d’inspiration voisine, qui semble bien plus fondée. Vous savez que la Commission a proposé la création de project bonds, c’est-à-dire des financements de projets concrets à partir d’émissions de titres européens.

Nous sommes ouverts au recours à ces instruments financiers. Ils sont innovants, et s’ils sont bien encadrés, ils peuvent apporter des éléments de croissance à l’Europe de demain. Nous souhaitons qu’ils portent sur des projets dont la rentabilité socioéconomique est prouvée, avec une implication de la Banque européenne d’investissement et des garanties claires sur l’absence de risque pour le budget communautaire.

En ce qui concerne les différentes mesures préconisées pour lutter contre la spéculation sur les dettes souveraines, je vous ferai observer qu’une partie du travail est en cours. On ne peut pas dire que rien n’est fait en ce domaine. Cela a été l’objet d’une âpre et difficile négociation au cours des G20.

L’interdiction des ventes à découvert a significativement progressé avec l’accord intervenu en octobre entre la Commission, le Conseil et le Parlement, un accord qui devait être définitivement adopté en novembre. Voilà qui devrait vous satisfaire ! Il permettra à l’Autorité européenne des marchés financiers d’interdire au niveau européen une large partie des ventes à découvert, en complément des mesures prises par les régulateurs nationaux.

Il interdit également les opérations sur les CDS nus, c’est-à-dire ceux qui portent sur la dette souveraine. Car ils jouent un rôle important dans la spéculation, la volatilité et la fébrilité de nos marchés financiers.

Pour ce qui est du trading haute fréquence, la révision de la directive sur les marchés d’instruments financiers, lancée au mois d’octobre, doit contrôler beaucoup plus étroitement cette pratique qui entraîne des réactions en chaîne que l’on peut difficilement maîtriser.

Enfin, merci, monsieur Brard…

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. De quoi ?

M. Jean Leonetti, ministre. …de dire que vous êtes pour la taxe sur les transactions financières qu’ont proposée le Président de la République et Angela Merkel.

M. Jean-Claude Sandrier. Cela fait trente ans que nous le proposons !

M. Éric Raoult. Cela fait trente ans que vous perdez les élections !

M. Jean Leonetti, ministre. Oui, cela fait trente ans que vous le proposez, et c’est nous qui le faisons !

M. Roland Muzeau. Vous avez de l’humour !

M. Jean Leonetti, ministre. C’est une grande satisfaction de constater qu’il y en a qui parlent et d’autres qui agissent !

La taxe sur les transactions financières se mettra en place, monsieur Brard.

M. Jean-Claude Sandrier. C’est là qu’il faut rire, monsieur le ministre ?

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. Oui, on peut compter sur vous, monsieur le ministre, pour qu’elle se mette en place à la saint Glinglin !

M. Jean Leonetti, ministre. Elle ne se mettra peut-être pas en place avec tous les États du monde, parce que nous n’avons pas la possibilité de l’imposer à l’ensemble des démocraties. Elle ne se mettra peut-être même pas en place sur l’ensemble de l’Europe. En tout cas, la France et l’Allemagne avanceront sur ces propositions, franchissant ainsi une étape essentielle, à la fois morale, politique et économique, dans l’avancement de l’intégration européenne.

Enfin, le fait d’interdire – c’est un mot qui ne vous déplaît pas…

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. Vous, vous voulez punir !

M. Jean Leonetti, ministre. Quand on se passe de la démocratie et qu’on renationalise tout, on aboutit à une Europe qui ressemble quand même un tout petit peu à l’Union soviétique.

M. Éric Raoult. Eh oui !

M. Roland Muzeau. Non, on fait simplement preuve du courage politique, que vous n’avez pas !

M. Jean Leonetti, ministre. N’y aurait-il pas là comme une nostalgie d’un système dont l’efficacité, par ailleurs, n’est peut-être pas votre préoccupation première ? Bon sang ne saurait mentir et vos anciennes appartenances pourraient vous trahir au dernier moment, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. Mais mon sang est rouge, je ne le conteste pas !

M. Jean Leonetti, ministre. Le mien aussi.

M. Jean-Claude Sandrier. C’est d’un haut niveau, monsieur le ministre !

M. Roland Muzeau. Les « cocos à Moscou », ça vous manque !

M. Éric Raoult. Même à Moscou, ils n’en veulent plus, des cocos !

M. Roland Muzeau. Ah, vous êtes là, monsieur Raoult ?

M. Jean Leonetti, ministre. Aujourd’hui, nous sommes à la croisée des chemins. Nous devons passer à une Europe plus intégrée, à une Europe qui trouve un équilibre entre plus de solidarité et plus de discipline à la fois. La discipline sans la solidarité, c’est la récession pour les États. Mais la solidarité sans la discipline, cela aboutit à la situation de la Grèce, à la faillite et à la misère pour les peuples.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable à cette proposition de résolution. Aujourd’hui, l’Europe est, plus que jamais, en train de se construire. Elle se construit sans vous, monsieur Brard, et sans le parti auquel vous appartenez, mais dans l’union des peuples et pour les peuples. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Christophe Caresche. Je demande à voir !

M. Éric Raoult. Voilà un vrai Européen !

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Sandrier, premier orateur inscrit.

M. Jean-Claude Sandrier. Tout d’abord, je voudrais dire que la beauté et la noblesse du débat politique, vous en conviendrez certainement avec moi, monsieur le ministre, existent quand l’adversaire politique répond aux arguments sans les caricaturer. Ce n’est pas ce que vous venez de faire. C’est dommage.

M. Jean Leonetti, ministre. C’est bien que vous ne débutiez pas votre propos par une caricature !

M. Jean-Claude Sandrier. En septembre 2008, à Toulon, Nicolas Sarkozy avait insisté sur la nécessité de « moraliser le capitalisme financier » et de mettre l’économie de marché « au service du développement, au service de la société, au service de tous ». Il s’attaquait alors, ou faisait semblant de s’attaquer, à une mission impossible. Car on ne peut moraliser un système pour lequel l’homme est un moyen et non une fin.

Le chef de l’État devrait aujourd’hui de nouveau prendre la parole dans la préfecture varoise mais, trois ans après, son discours prendra des accents bien différents. Il expliquera sans doute que le combat continue pour la « moralisation du capitalisme », via les sommets du G20, mais il ne pourra maquiller la réalité et déguiser son bilan et celui de sa majorité.

Il saute aux yeux de tous nos concitoyens que non seulement les marchés n’ont pas été domptés mais qu’ils ont resserré encore leur emprise sur des gouvernements et qu’ils imposent comme jamais leur loi aux peuples, quand ils ne dirigent pas directement les gouvernements par l’entremise d’anciens conseillers d’une grande banque d’affaire, comme en Italie ou en Grèce. Il n’est pas jusqu’au dirigeant du FMI qui ne soit directement issu du petit mais ô combien puissant cercle des oligarques.

M. Éric Raoult. Oh !

M. Jean-Claude Sandrier. Le Président et sa majorité nous expliqueront que les données ont changé, que, depuis septembre 2008, nous avons connu successivement trois crises : une crise bancaire, une crise économique et une crise de la dette. Ce qu’ils omettent de dire, c’est que l’enchaînement de ces différentes crises ne doit rien au hasard et engage très directement la responsabilité du Gouvernement dans la situation économique que traverse actuellement notre pays. D’ailleurs, le rapport de l’ONU sur la crise établit clairement, avec justesse et pertinence, cette responsabilité des gouvernements.

Nous vous avions, en 2008, invités à faire en sorte que l’État entre massivement au capital des banques françaises en difficulté afin de réorienter leur activité vers leur cœur de métier, c’est-à-dire le financement de l’économie et l’offre de crédit aux ménages et aux entreprises. Vous avez préféré leur signer un chèque en blanc. Les banques ont ainsi pu renouer avec les bénéfices, mais sans le moindre bénéfice économique et social pour notre pays, qui s’est, au contraire, enfoncé dans la crise, faute d’une politique de relance vigoureuse.

Sur la question de l’endettement public, à l’origine de la prétendue crise de la dette actuelle, il faut, là aussi, rappeler les faits. Vous ne cessez de clamer que notre pays a vécu depuis trente ans au-dessus de ses moyens. C’est parfaitement mensonger. Si notre pays s’est endetté dans de telles proportions, c’est d’abord parce qu’il est légalement contraint, depuis bientôt quarante ans, de s’adresser aux marchés financiers pour se financer. Interdiction lui est faite depuis 1973 de se financer auprès de la Banque de France, comme interdiction lui est faite de se financer auprès de la BCE depuis le fameux et funeste traité de Maastricht.

Cette situation a eu pour conséquence de contraindre les États à se financer à des taux réels souvent supérieurs à leur propre taux de croissance, ce qui fait que la dette augmente mécaniquement chaque année en produisant un effet boule-de-neige proprement catastrophique. Nous ne parlons pas ici de peccadilles : en l’absence de tout versement d’intérêts, le stock de la dette publique serait aujourd’hui de 17 % du produit intérieur brut, et non de 86 %. Quant à ces 86 %, ils sont inévitablement faux, puisqu’ils comparent un stock, la dette, à rembourser en moyenne sur cette année, à un flux, le produit intérieur brut, qui est annuel. La dette française est donc en réalité de 12 %.

L’autre facteur d’endettement est bien évidemment la politique fiscale irresponsable conduite depuis 2002.

Contrairement à l’antienne dont la majorité nous rebat les oreilles, ce n’est pas l’explosion des dépenses publiques qui a creusé les déficits, mais les abandons massifs de recettes fiscales. Sans les cadeaux fiscaux consentis depuis 2002, ainsi que le rappelait le rapport publié l’an passé par notre collègue Gilles Carrez, la France aurait connu un excédent budgétaire en 2006, 2007 et 2008. En 2009, le déficit lié à la crise n’aurait été que de 3,3 % du produit intérieur brut, au lieu des 7,5 % effectivement constatés !

M. Roland Muzeau. Eh oui !

M. Jean-Claude Sandrier. Notre pays n’est évidemment pas le seul à s’être engagé dans cette politique d’endettement suicidaire. Cette politique lui a été dictée par les traités européens et la Commission européenne. La ligne directrice de la stratégie de Lisbonne a été de sacrifier l’État dit Providence sur l’autel de la compétitivité. De cette concurrence effrénée au moins-disant fiscal et social, dont Joseph Stiglitz dit qu’elle tourne au délire, l’Allemagne est sortie gagnante mais, même si cela peut paraître paradoxal, pas le peuple allemand !

L’Allemagne est parvenue, Jean-Pierre Brard vient de le rappeler, comme nul autre pays de l’Union à doper sa compétitivité, mais à quel prix : gel des salaires et des pensions, déréglementation du marché du travail, réduction drastique des dépenses et des services publics. Les conséquences sont une demande intérieure atone, un taux de pauvreté parmi les plus élevés d’Europe – plus de 17 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, contre 13,5 % en France, taux déjà trop élevé. Un emploi sur trois est un emploi précaire, 2,5 millions de salariés travaillant pour moins de 5 euros de l’heure. Et vous osez encore présenter l’Allemagne comme un exemple à suivre ? Non, merci !

Si nous voulons sortir la France et l’Europe de la crise, ce n’est pas en prenant pour modèle l’Allemagne. C’est pourtant la voie que l’Europe a décidé de suivre en recommandant des politiques d’austérité qui, en comprimant la demande, risquent d’enfoncer l’ensemble des pays de l’Union dans une spirale de récession, y compris l’Allemagne, qui réalise 40 % de ses exportations à l’intérieur de la zone euro !

Vous voulez rassurer les marchés en faisant de l’austérité l’unique horizon politique, jusqu’à en inscrire le principe dans les traités et à en contrôler la mise en œuvre dans chaque État, quitte à les traduire devant un tribunal, au mépris de la souveraineté des peuples. L’Europe est malade de la dictature imposée par les marchés, malade de la complaisance des gouvernements à l’égard de cette dictature.

Vous tentez d’attiser les peurs pour imposer l’idée qu’il n’y a pas d’alternative à votre politique. La présente proposition de résolution européenne déposée en commun avec nos collègues du parti allemand Die Linke au Bundestag apporte un clair démenti à ces piteuses affirmations.

Il existe des solutions construites sur une tout autre logique politique, économique et sociale, une logique dans laquelle les hommes et les femmes comptent plus que les marchés financiers et les spéculateurs.

Ces solutions mettent en avant quelques propositions de bon sens, qu’il appartient, je le souligne, à chacun de nos Parlements d’adopter : l’instauration d’une taxe sur les transactions financières en Allemagne et en France dès l’an prochain, la prise de participation majoritaire et active des États au capital des principales banques, la priorité étant que les banques changent de comportements, cessent de courir après les profits pour simplement financer l’économie. La banque doit impérativement redevenir un métier ennuyeux, selon l’heureuse formule de Keynes.

Mais, outre l’instauration d’une taxe sur les transactions financières, à laquelle certains semblent se rallier aujourd’hui sans pour autant se précipiter pour sa mise en œuvre, et c’est un euphémisme, outre la prise de participation majoritaire des États au capital des banques systémiques afin d’en piloter les stratégies, ou bien encore la taxation des millionnaires en euros par la voie d’un ISF européen, le cœur de notre proposition est bien l’instauration d’un fonds européen de développement social et solidaire.

Un tel fonds d’investissement public, à l’interface entre la BCE et les États, aurait vocation à desserrer l’emprise des marchés financiers telle qu’elle résulte de la nouvelle architecture du fonds européen de stabilisation financière. Le financement de ce fonds serait en effet assuré notamment par l’émission de titres publics de développement social lui permettant un accès à la monnaie Banque centrale.

Cette création monétaire permettrait d’allouer des masses importantes de financement, à des taux d’intérêts nuls ou très bas, entre les pays membres de la zone euro, pour leurs besoins propres en termes d’investissements, que ce soit dans les services publics, les transports, l’énergie, la recherche, l’éducation, la formation, la protection de l’environnement, ou encore la lutte contre le réchauffement climatique.

Afin de ne pas provoquer d’hyper-inflation, le fonds devrait aussi financièrement s’appuyer sur une mobilisation de l’épargne populaire à l’échelle européenne, par la mise en place de produits d’épargne publique spécifiques.

La priorité aujourd’hui n’est pas de réduire toujours davantage les dépenses publiques et le pouvoir d’achat de nos concitoyens, de se résigner à l’austérité,. Elle est de renouer avec la croissance et, conjointement, avec l’ambition d’une Europe à la mesure de l’espérance des peuples. C’est le sens et l’ambition que porte notre projet, qui pose les premiers jalons d’une nouvelle construction européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lequiller.

M. Pierre Lequiller. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, la proposition de résolution européenne que nous présentent M. Jean-Pierre Brard et plusieurs de ses collègues du groupe GDR a été rejetée par la commission des affaires européennes de notre assemblée, puis par la commission des finances. Malgré la présentation convaincue qu’en a fait notre collègue ce matin…

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. Mais pas assez convaincante, visiblement.

M. Pierre Lequiller. …avec des références historiques qu’il prise, le groupe UMP appelle de nouveau à son rejet.

La critique ne porte ni sur l’objectif de lutte contre les abus de la spéculation financière, ni bien entendu sur la démarche franco-allemande, qui a amené les auteurs de ce texte et leurs collègues allemands du groupe Die Linke du Bundestag à élaborer ensemble, pour la première fois, je crois, une proposition de résolution européenne. La critique porte sur le fond.

À propos de relations franco-allemandes, je voudrais m’élever contre certains propos – je sais que ce ne sont pas les vôtres, monsieur Brard – comparant Mme Merkel à Bismarck et dire combien j’ai été choqué plus encore par les déclarations de M. Le Guen, comparant les rencontres de Nicolas Sarkozy avec Mme Merkel au voyage de Daladier à Munich.

M. Éric Raoult. Incroyable !

M. Pierre Lequiller. C’est évidemment insultant pour le Président de la République, mais encore plus pour la Chancelière allemande.

M. Éric Raoult. Exactement !

M. Pierre Lequiller. Je voudrais dire l’émoi qu’ont suscité ces déclarations en Allemagne, conduisant le président du groupe d’amitié Allemagne-France, Andreas Schockenhoff, à rédiger un communiqué pour s’élever contre cette comparaison absolument scandaleuse.

M. Éric Raoult. Même Brard était gêné !

M. Pierre Lequiller. Le jeu qui consiste à dire sans arrêt que Nicolas Sarkozy est à la remorque d’Angela Merkel – le reproche inverse est fait, en Allemagne, à la Chancelière –, est vraiment absurde.

M. Jean-Claude Sandrier. C’est à nous que vous devez répondre, monsieur Lequiller, pas à d’autres !

M. Pierre Lequiller. Je voudrais quand même rappeler que, à chaque fois – et cela tient sans doute à la manière différente dont fonctionnent nos deux démocraties –, le Président de la République a été à l’initiative. Sans Nicolas Sarkozy, il n’y aurait pas eu de réunion des chefs d’État et de gouvernement en 2008 pour répondre à la crise bancaire ; il n’y aurait aujourd’hui ni gouvernance économique – le mot était banni par les Allemands –, ni solidarité financière, celle-ci étant rejetée outre-Rhin au nom des traités, ni fonds européen de stabilité financière. Sans Nicolas Sarkozy, il n’y aurait pas de convergence fiscale entre l’Allemagne et la France. Je rappelle enfin que la BCE a décidé, sous l’impulsion de M. Trichet, de racheter 200 milliards de dettes souveraines sur les marchés secondaires.

J’en viens au fond de votre proposition, monsieur Brard. La lutte contre les excès de la spéculation financière est au cœur des travaux de réforme de la régulation financière menés par l’Union européenne et le G20. Encore faut-il engager cette lutte de manière efficace et réaliste, ce qui suppose de faire preuve d’une certaine compréhension du fonctionnement des marchés financiers que l’on veut punir. Interdire purement et simplement, comme le prônent les auteurs de la proposition de résolution, certaines pratiques des marchés financiers est totalement dépourvu de sens. Ces marchés sont dématérialisés et, pour eux, les frontières nationales n’existent plus depuis longtemps.

Que se passerait-il si, comme cela est proposé, la France et l’Allemagne interdisaient les ventes à découvert, les CDS, les marchés de gré à gré, et le trading à haute fréquence ? Ces transactions iraient tout simplement, en quelques dixièmes de seconde, se nouer à Londres, à New York ou à Tokyo. En revanche, le travail effectué par le commissaire Michel Barnier, dans le cadre de l’Union et du G20, pour réglementer et réguler ces transactions est, lui, positif.

Il est non seulement illusoire mais contre-productif d’envisager l’interdiction de ces activités à l’échelle de deux pays seulement. L’encadrement des activités financières et la lutte contre l’hypertrophie de la sphère financière par rapport à l’économie réelle, qui sont absolument essentiels et qui constituent une priorité du Président de la République et de ses homologues européens, passent par d’autres voies, la principale étant la transparence.

La taxe sur les transactions financières fait partie des propositions que soutiennent le Président de la République et Mme Merkel, dans le cadre de l’Union européenne comme dans celui du G20, et nous avons voté ici, à la quasi-unanimité, une proposition de résolution en ce sens. Nous espérons que cette taxe pourra venir abonder le budget européen en fonds propres.

La proposition de résolution réclame l’interdiction pour les agences de notation de noter les dettes souveraines. Là encore, si je comprends la démarche, je conteste la solution proposée. Les agences de notation ont certes une responsabilité importante dans la crise des dettes souveraines et elles sont parfois, légitimement, mises en accusation, car leur gouvernance ne les prémunit pas contre les conflits d’intérêt et leurs méthodologies sont parfois opaques.

M. Jean-Claude Sandrier. Eh bien, voilà !

M. Pierre Lequiller. La place trop grande que la réglementation en vigueur accorde aux notes qu’elles émettent est désormais remise en question. L’Union européenne, comme l’a dit M. le ministre, agit dans ce domaine : deux règlements ont déjà été adoptés et un troisième texte est en discussion.

M. Jean-Claude Sandrier. On n’agit pas vite, et pas fort !

M. Pierre Lequiller. Je ne m’étendrai pas sur la proposition de nationaliser les banques européennes. Cette idée n’est sur la table ni en France ni en Allemagne. Quant à l’instauration d’un nouveau fonds européen, est-il vraiment besoin de créer encore un nouvel instrument ? Commençons par optimiser l’utilisation des instruments européens existants, qu’il s’agisse du FESF, de la Banque européenne d’investissement, des fonds structurels européens ou des initiatives lancées conjointement par la Caisse des dépôts et cinq de ses homologues européens pour soutenir de grands projets d’investissement, à travers les project bonds.

Il est d’autres points de divergence essentiels qui nous conduisent à rejeter cette proposition de résolution. Soulignons d’abord qu’elle s’oppose fondamentalement aux efforts de maîtrise de l’endettement public engagés par les États européens. Réduire l’endettement n’est pas une posture idéologique, c’est une question de bon sens, de préservation de l’intérêt public et de notre souveraineté. C’est pour nous une exigence absolue et c’est le sens du principe de la règle d’or, proposé par la France et l’Allemagne pour l’ensemble des pays de la zone euro et adopté lors du sommet du 27 octobre. Il a déjà été adopté par la droite et la gauche espagnoles,…

M. Roland Muzeau. La « gauche espagnole » est à droite. Elle a fait une politique de droite.

M. Pierre Lequiller. …et je souhaite que la France l’adopte à son tour.

Par ailleurs, la proposition va à l’encontre de la coordination budgétaire européenne. Or la crise de l’euro que nous vivons en ce moment est fortement liée à l’insuffisance de la convergence économique, budgétaire et fiscale entre les Dix-Sept. L’union monétaire doit impérativement s’accompagner d’une union budgétaire et fiscale progressive. La France – et l’Allemagne nous a rejoints sur ce plan – a toujours été favorable à ce « gouvernement européen », qui est le complément de la solidarité financière mise en œuvre à travers le FESF.

Le semestre européen, que la proposition de résolution met en cause, est l’un des éléments essentiels de coordination. Il ne s’agit nullement de dissoudre la souveraineté budgétaire des parlements nationaux, mais de mieux l’encadrer et de respecter effectivement les règles de coordination que nous avons établies ensemble au niveau européen. Cet effort de coordination économique est la contrepartie nécessaire à la solidarité financière européenne. Il est surtout la contrepartie nécessaire à l’existence même de l’euro, car on ne peut avoir de monnaie commune sans politiques économiques et budgétaires convergentes.

Le choix d’une intégration économique et financière accrue de l’Europe est un choix politique majeur, porté par le Président de la République et la Chancelière Merkel. Il résulte de la constatation de l’interdépendance étroite des pays européens, tant en matière économique qu’en matière politique. Nos destins sont liés. Il s’agit de savoir si nous voulons exercer ensemble, dans le monde, une souveraineté reconquise, partagée, pour défendre nos intérêts et nos valeurs, ou si nous nous résignons à être sous l’influence des grands États continents, la Chine, le Brésil, les États-Unis, l’Afrique du Sud demain. La préférence de l’UMP va évidemment à une Europe forte.

M. Jean-Claude Sandrier. Une Europe forte pour servir à quoi ?

M. Pierre Lequiller. Car sans une Europe forte, la France ne sera pas forte. La France doit donc prendre la tête de ce combat. Le groupe UMP n’est pas favorable à cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. On avait compris !

M. le président. La parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais saluer cette initiative, pour au moins deux raisons.

La première, c’est qu’elle est une initiative européenne associant le groupe GDR et le groupe Die Linke, de même que s’étaient associés il y a peu le parti socialiste et le SPD. Dans ce moment où chacun mesure que l’histoire de l’Europe est en train de s’écrire, il faut saluer ces partis politiques, quels qu’ils soient, qui essaient de construire avec d’autres partis, en particulier allemands, des propositions et des réponses à la crise que nous traversons.

La seconde, c’est que cette proposition montre qu’il existe une ou des alternatives à la politique qui nous est actuellement proposée par la France et l’Allemagne. Et cela, c’est très important, parce que depuis des semaines – voire depuis des années, puisqu’on nous tient ce discours depuis le déclenchement de la crise –, on nous explique, comme M. Lequiller vient encore de le faire à l’instant, qu’il n’y a qu’une politique possible, une politique de désendettement, de restrictions budgétaires, d’austérité, de rigueur. En d’autres termes, il n’y aurait pas d’issue : il faudrait impérativement que les pays européens se serrent la ceinture !

Je pense qu’il y a des alternatives. Elles peuvent évidemment être discutées, mais elles existent, et c’est une bonne chose, car le pire pour l’Europe serait l’absence de débat, l’absence de confrontation entre plusieurs réponses possibles.

Vous avez raison, monsieur le ministre, d’avoir fustigé le nationalisme et certaines déclarations nauséabondes qui nous font remonter de manière inquiétante le fil de l’histoire.

M. Éric Raoult. Celles de Montebourg !

M. Christophe Caresche. Mais si vous voulez éviter le nationalisme, il faut apporter, au niveau européen, des réponses qui soient comprises par les peuples. Il faut aussi que vous acceptiez de reconnaître que d’autres réponses sont possibles. C’est l’existence d’un débat qui nous permettra d’éviter les crispations nationales, qui sont à craindre dans le moment que nous vivons.

À cet égard, les décisions qui se préparent dans les discussions actuelles du couple franco-allemand ont quelque chose de profondément choquant. Il est choquant de constater que, alors que l’Europe est financièrement au bord du gouffre, l’on continue à discuter de la question de savoir si, juridiquement, la Banque centrale européenne peut intervenir ou non.

Il y a des moments, dans l’histoire, où il faut savoir prendre certaines dispositions, même si elles ne sont pas prévues par les traités, même si elles y dérogent. C’est cela, le courage politique ; c’est cela, la responsabilité politique : mettre en place des mesures qui permettent d’éviter le pire. Je le dis d’autant mieux qu’il me semble que c’est la position française. Soit l’idée d’une intervention de la BCE est défendue, soit elle est mise de côté, mais alors cela risque de poser de nombreux problèmes.

De même, il est choquant que l’on veuille judiciariser les budgets européens et rendre le Pacte de stabilité opposable devant la Cour de justice, au risque de remettre en cause la souveraineté budgétaire des États. Les parlementaires que nous sommes ne l’accepteront pas. Il n’est pas acceptable que l’élaboration du budget soit prise dans un carcan juridique qui nous empêcherait d’exercer notre responsabilité.

M. Jean-Claude Sandrier. Absolument !

M. Christophe Caresche. La réponse à apporter n’est évidemment pas d’ordre judiciaire ou juridique, comme il en est question aujourd’hui. Elle doit être une réponse démocratique. Bien entendu, il faut faire preuve de responsabilité dans le domaine des finances publiques, mais cela doit se faire dans un cadre démocratique : que la Cour de justice ou un commissaire européen décide du budget de la France ne serait pas acceptable.

De telles propositions sont choquantes pour beaucoup de citoyens. À poursuivre dans cette voie, on finira par rendre l’Europe haïssable à leurs yeux, avec tous les risques ce que cela comporte. Ce nationalisme, que vous stigmatisez, dont vous ne voulez pas, vous l’aurez. Avec toutes les conséquences qui en découleront.

M. Éric Raoult. C’est laborieux ! Vous êtes meilleur sur la sécurité.

M. Christophe Caresche. Monsieur Raoult, ne jouez pas le sniper dans ses basses œuvres…

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. Mais M. Raoult est un sniper !

M. Noël Mamère. Un simplificateur !

M. Christophe Caresche.…alors que nous essayons de mener un débat – laborieusement peut-être ; mais je suis un laborieux, et je le revendique. D’ailleurs, il n’y a peut-être pas assez de laborieux dans le personnel politique !

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. Certes non.

M. Christophe Caresche. Il faut, disais-je, ouvrir d’autres perspectives, à commencer par des perspectives de relance économique : l’austérité partout en Europe, cela mène directement à la récession. Il faut trouver des leviers pour relancer la croissance. Plusieurs propositions sont sur la table, comme le budget européen ou le fonds de développement social, solidaire et écologique qu’on nous propose ce matin. Bref, il faut trouver les moyens de relancer la croissance en Europe, et à cet égard, le Gouvernement ne fait pas de propositions d’envergure ou vraiment crédibles.

Il faut aussi mieux réguler les activités bancaires et financières. Un certain nombre d’éléments sont en discussion, vous l’avez souligné à juste titre, monsieur le ministre. M. Barnier exprime aussi sur ce plan un certain volontarisme, reconnaissons-le. Mais tout cela est extrêmement lent : il faut des années pour prendre des décisions, qui ensuite ne sont mises en œuvre que très lentement, comme l’expliquait un député européen de l’UMP, M. Gauzès, à propos des agences de notation. Et la nouvelle Autorité européenne des marchés financiers, l’ESMA, se caractérise surtout par son immobilisme. Il y a urgence à avancer sur ces questions.

De même, M. Sarkozy et Mme Merkel ont parlé de la taxe sur les transactions financières. Mais au-delà de ces déclarations d’intention, on ne voit pas d’accord entre la France et l’Allemagne sur ses modalités. Que pensent-elles de la proposition de la Commission européenne ? Cette taxe sera-t-elle affectée aux budgets nationaux ou au budget européen ? Autant de questions qui, pour le moment, restent sans réponse.

Dans ces domaines, les déclarations de bonnes intentions ne sont pas suivies de résultats, au grand désespoir des peuples européens, qui ont le sentiment de payer les errements d’un système financier qui a complètement perdu la tête.

Pour toutes ces raisons, je pense que cette proposition va dans le bon sens. Ou pourrait certes discuter de certaines modalités, mais M. Brard a surtout présenté un cadre politique. Ce qui nous est proposé montre qu’une alternative est possible, et, soulignons-le, une alternative européenne. Personne ici ne parle de revenir à une perspective purement nationale. À mes yeux, la sortie de crise passe par une intégration plus forte au niveau européen, mais certainement pas dans les conditions prévues actuellement. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Éric Raoult. Quand c’est flou, il y a un loup !

M. Roland Muzeau. Tout cela est trop compliqué pour M. Raoult !

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. Bien des choses ont été dites et le débat pourrait se prolonger toute la journée.

Dans vos propos, monsieur le ministre, j’ai repéré une pépite luisant faiblement. Nous allons essayer de lui donner plus d’éclat. À la fin de votre discours, concernant la taxe sur les transactions financières, vous avez donné un rôle spécifique à l’Allemagne et à la France. C’est quelque chose de nouveau. D’ailleurs, M. Lequiller n’a pas tenu exactement le même discours. Ce sont là des différences visibles au microscope, bien sûr. Vous avez évoqué – sans prononcer le mot, certes – la possibilité d’une initiative franco-allemande. Pour faire resplendir cette idée au mieux, dès la fin de ce débat nous allons appeler nos camarades à Berlin pour que ce soir, au Bundestag, ils interrogent leur Gouvernement pour savoir s’il est prêt à s’engager avec la France dans la mise en place d’une taxe sur les transactions financières. Au moins, dans l’immédiat notre débat aura servi à cela.

Vous avez exprimé votre « perplexité ». Mais c’est sans doute dans votre nature de médecin, et c’est d’ailleurs rassurant pour vos patients. (Sourires.)

Vous avez parlé, à notre propos, d’un refus absolu de l’Europe. Non, nous sommes des Européens convaincus !

M. Éric Raoult. Votre Europe, c’est l’Europe de l’Est !

M. Roland Muzeau. C’est l’Europe des peuples !

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. Et ce n’est pas d’aujourd’hui.

Mme Muriel Marland-Militello. Bien sûr que ce n’est pas d’aujourd’hui, puisque c’est l’Europe stalinienne !

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. Karl Liebknecht, Rosa Luxemburg, Jaurès, cela nous donne un peu d’ancienneté par rapport à certains dont la filiation politique est étroitement nationaliste. Les adversaires de Jaurès, un Maurras, un Barrès, c’est de votre côté qu’ils étaient, chers collègues de droite, pas du nôtre !

M. Éric Raoult. Et les partisans du pacte germano-soviétique, ils étaient où ? Et Thorez, il était où ?

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. Et où était de Gaulle ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Ils ont pourtant participé tous les deux à la libération de la France.

Mais revenons à notre sujet, si vous le voulez bien. Monsieur le ministre, c’est la politique que vous menez actuellement qui risque de conduire au refus de l’Europe par les peuples. Voyez la protestation qui monte. Cela devrait tous nous inquiéter, car derrière elle, c’est le nationalisme qui se profile.

M. Éric Raoult. Il faut rétablir le rideau de fer !

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. Je vous laisse la responsabilité de vos propositions.

Ce qui se passe en Hongrie, aux Pays-Bas, dans certaines provinces belges, c’est très inquiétant. On n’avancera pas par la confrontation, ni en faisant resurgir les haines nationalistes.

Quant à la démocratie, vous êtes un démocrate non pratiquant, monsieur le ministre. Rappelez-vous le référendum de 2005 sur le traité constitutionnel : 55 % des Français vous ont botté les fesses. Vous vous êtes assis sur ce résultat, et une fois élu, le Président de la République n’a rien eu de plus pressé que de récrire une autre version du traité, sans la soumettre au peuple français, évidemment !

M. Roland Muzeau. Eh oui !

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. Or, si la démocratie parlementaire est indispensable, elle n’est que délégation. La forme ultime de la démocratie, c’est celle par laquelle le peuple exerce directement sa souveraineté.

M. Éric Raoult. Les soviets !

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. Les soviets ont été une belle expérience pendant une période, monsieur Raoult. Si vous voulez, on peut faire une expérimentation au Raincy.

Pour poursuivre mon propos, monsieur le ministre, vous avez refusé au peuple grec le droit de s’exprimer. Ce n’est pas vieux, ça ! Et vous nous parlez de démocratie ! Pis encore, vous mettez les budgets nationaux sous le contrôle de la BCE et de la Commission européenne. S’agissant de cette dernière, il faudra d’ailleurs me convaincre de sa légitimité. Par qui est-elle élue, déjà ? Si elle est désignée par le peuple, c’est au troisième ou au quatrième degré.

Pierre Lequiller a dit, lui, qu’il voulait « encadrer » les budgets nationaux. Quand on dit cela, j’entends : « abaisser les parlements nationaux ». Vous n’échapperez pas à la discussion sur cette question fondamentale. Le rejet de plus en plus fort par les peuples de cette Europe, qui ne représente pas leurs intérêts, repose justement sur cet abaissement.

Quant à l’accusation de vouloir « faire de la dette pour réparer la dette », je réponds que ce n’est pas du tout notre propos. Nous ne sommes pas favorables à la dette en soi. En revanche, nous sommes défavorables à tout ce qui déséquilibre les rapports entre les États. Faire du déficit n’est pas en soi une bonne chose. Mais faire des excédents non plus. Les excédents massifs se font forcément au détriment d’autres pays. Et les rééquilibrages à l’intérieur de l’Union passent forcément par des redistributions, mais pas sur le mode du denier du culte. Votre vocabulaire européen, c’est avant tout sanctions et punitions. Pour notre part, nous parlons de coopération réfléchie.

L’Allemagne a des excédents importants. Je pense qu’on devrait instaurer dans l’Union européenne de nouvelles règles obligeant les pays qui ont de tels excédents à les redistribuer à leur peuple, en pouvoir d’achat et en investissements dans les infrastructures, ce qui en ferait de meilleurs clients pour les pays en difficulté. Les transferts seraient alors positifs.

Quant à la germanophobie, cela n’a jamais été notre tasse de thé. Notre Allemagne, c’est celle de Karl Liebknecht, Rosa Luxembourg, Ernst Thälmann, mais pas seulement. C’est aussi celle de Heinrich Böll, de Werner Herzog, c’est l’Allemagne de Goethe bien sûr, comme celle du pasteur Niemöller, un des courageux qui, pendant la guerre, s’opposèrent aux nazis en Allemagne même. Il faut toujours le rappeler. Nous nous inscrivons dans une tradition de solidarité et de fraternité avec ceux qui se battent pour la reconnaissance de l’humanité des hommes.

Mais par ailleurs, l’Allemagne n’est pas un modèle. Le modèle reste à construire. Nous avons besoin d’un modèle porteur d’humanisme, qui donne de l’espérance aux peuples d’Europe. Mais où est l’espérance aujourd’hui ? On ne la trouve pas dans les manifestations qui ont lieu ici et là, car elles expriment une protestation contre les politiques menées.

Nous avons besoin d’une Europe qui construise cette nouvelle humanité, qui donne un espoir à la jeunesse et qui dessine un nouvel avenir, non pas seulement pour l’Europe, mais pour que celle-ci devienne un point de repère positif pour toute la planète.

M. le président. Merci de conclure, monsieur le rapporteur.

Mme Muriel Marland-Militello. Oui, il serait temps de conclure.

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. Ma chère collègue, vous êtes impatiente parce que vous n’aimez que la soupe qu’on vous sert d’habitude. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Éric Raoult. Ne devenez pas insultant !

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. Dès qu’on vous présente quelque chose de nouveau, vous trouvez que cela a mauvais goût.

M. Frédéric Reiss. Vous terminez mal, monsieur Brard ! Dommage !

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. Si je ne suis pas interrompu, je vais pouvoir conclure.

Monsieur le ministre, monsieur Lequiller, vos conceptions et les nôtres s’opposent : c’est toute la noblesse du débat politique.

Chacun doit être convaincu que nous ne sommes pas au bout de la crise, parce que vous n’avez proposé aucune solution de fond. Nous sommes au début, si nous n’y prenons garde, d’un processus dangereux et inquiétant qui peut conduire au délitement de l’Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. Gérard Charasse. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean Leonetti, ministre. Je parlerai, brièvement, des aspects positifs de ce débat.

M. Jean-Pierre Brard, rapporteur. La pépite !

M. Jean Leonetti, ministre. Il n’est jamais mauvais de débattre. Même antagonistes, les positions qui s’expriment permettent de faire apparaître un certain nombre de choses.

Tout d’abord, je relève que nous avons été unanimes dans la dénonciation des propos irresponsables, xénophobes…

M. Jean-Claude Sandrier. Très bien !

M. Jean Leonetti, ministre. …et anti-européens tenus par un certain nombre de dirigeants politiques.

M. Éric Raoult. De dirigeants socialistes !

M. Jean Leonetti, ministre. De dirigeants socialistes, oui. Il est tout à l’honneur du Parlement d’affirmer que, dans une période de crise, les solutions ne se trouvent pas dans le nationalisme étroit, dans le populisme, dans le repli des peuples sur eux-mêmes. Elles se trouvent dans la solidarité, dans la réflexion commune, dans les échanges.

Deuxième élément positif, il semble que l’idée d’une taxe sur les transactions financières, proposée par Nicolas Sarkozy, validée par Angela Merkel et étudiée au cours du G20, recueille l’assentiment de tous. Bien sûr que l’Europe est lente, mais c’est parce qu’elle est démocratique et qu’il faut que chaque peuple se prononce. La démocratie constitue-t-elle une faiblesse ? Je ne le pense pas.

Comme vous le disiez, monsieur Brard, le modèle européen est à construire. Non, la France ne cherche pas à imiter qui que ce soit : son passé est suffisamment prestigieux et son destin suffisamment porteur d’espérance pour qu’elle n’ait pas besoin de vouloir « faire comme » tel ou tel pays, aussi digne d’admiration soit-il. Le modèle européen est à construire, et il ne se construira pas en rejetant le peuple mais avec son assentiment.

Un mot sur la démocratie. Elle ne consiste pas à renier les traités, comme le propose M. Caresche : « il y a urgence ; renions les traités. » Non !

La démocratie ne consiste pas non plus, dans une période difficile où se posent des problèmes complexes, à soumettre au peuple une question à laquelle il ne pourrait répondre que par oui ou par non.

En revanche, il y a bien démocratie lorsqu’un candidat à l’élection présidentielle annonce clairement, avant son élection au suffrage universel, qu’il proposera l’adoption d’un traité simplifié. Cette démarche, qui a abouti au traité de Lisbonne, a validé la position de la France du point de vue démocratique.

À ce sujet, monsieur Caresche, je vous le dis amicalement, lors de la campagne pour l’élection présidentielle, il faudra que le parti socialiste sorte du flou laborieux qui ressort de la position que vous avez tenté d’exprimer aujourd’hui.

M. Éric Raoult. Quand c’est flou, il y a un loup !

M. Jean Leonetti, ministre. Il faudra quand même que vous nous disiez clairement, à un moment donné, pour quelle Europe vous êtes. M. Brard a été clair : nous avons bien compris ce qu’ils veulent, eux. Par contre, nous n’avons pas bien compris ce que vous souhaitiez, vous.

Vous avez dit que cette proposition de résolution était « intéressante ». Vous avez dit que nos positions n’étaient « pas dénuées d’intérêt ». À un moment donné, il sera nécessaire d’être clair, parce que le peuple français doit être informé du projet européen de chaque candidat. À travers les propos de M. Brard, j’ai bien compris quel était le projet européen de M. Mélenchon. À travers les vôtres, monsieur Caresche, je n’ai pas compris quel était le projet européen de M. Hollande.

Le projet européen du Gouvernement, soutenu par la majorité, c’est la discipline budgétaire et la solidarité.

C’est la discipline budgétaire, parce que nous ne devons pas créer de la dette pour régler le problème de la dette, d’autant qu’elle sera payée par les générations futures. C’est aussi la solidarité, parce que nous ne laisserons tomber ni la Grèce, ni aucun pays qui aura accepté cette discipline. Nous ne laisserons aucun peuple sombrer dans la misère ou dans les difficultés.

Monsieur Brard, pour Jean-Jacques Rousseau, philosophe dont je crois savoir que vous ne le rejetez pas en bloc, la liberté est l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite. Ensemble, prescrivons-nous la règle d’or,…

M. Gérard Charasse. Vous auriez pu y penser avant.

M. Jean Leonetti, ministre. …et faisons en sorte que cette discipline librement consentie soit facteur de croissance et de démocratie !

Oui, l’Europe doit porter la croissance. Oui, les perspectives financières de demain doivent porter la croissance.

M. Yves Cochet. C’est ce qu’on appelle le wishful thinking !

M. Jean Leonetti, ministre. Ce projet européen est porteur d’espoir, et c’est pourquoi nous le préférons au « réenchantement du rêve français ». Car le rêve est suivi d’un réveil, alors que l’espoir permet de construire un avenir imaginé ensemble. Construisons ensemble cette Europe solidaire et réaliste !

M. Jean-Claude Sandrier. Votre « Europe solidaire », c’est l’Europe du fric !

M. Jean Leonetti, ministre. Cette Europe doit être en mesure de susciter l’adhésion des peuples. Il ne faut pas leur forcer la main en restant dans le flou. Vous avez voulu tenir des propos équilibrés, monsieur Caresche, mais il faudra bien que vous sortiez du flou. Il me semble d’ailleurs que c’est un responsable socialiste qui a dit : « Quand c’est flou, il y a un loup. » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire ayant conclu au rejet de l’article unique de la proposition de résolution, l’Assemblée, conformément à l’article 151-7, alinéa 2, du règlement, est appelée à voter sur ces conclusions de rejet.

Si ces conclusions sont adoptées, la proposition de résolution sera rejetée.

Si elles sont rejetées, nous examinerons l’article unique de la proposition.

Explication de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Éric Raoult, pour le groupe UMP.

M. Éric Raoult. Le groupe UMP votera pour les conclusions de rejet de la commission, comme l’a dit avant moi notre collègue Lequiller.

Je veux dire un mot concernant les interventions de nos collègues de l’opposition. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Christophe Caresche. Vous n’êtes pas là pour faire des commentaires !

M. Éric Raoult. Messieurs de l’opposition, vous n’êtes pas des censeurs, mais des collègues.

Monsieur Caresche, vous êtes meilleur sur la sécurité que sur l’Europe. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Monsieur Sandrier, vous avez demandé à la droite de ne pas vous caricaturer : à votre tour, ne caricaturez pas la droite !

M. Roland Muzeau. Vous vous croyez au Raincy, dans un meeting politique ! Nous sommes à l’Assemblée nationale, monsieur Raoult, pas dans un préau d’école !

M. Éric Raoult. Enfin, monsieur Brard, nous avons été très heureux de vous entendre car cela montre que vous êtes revenu parmi nous en pleine santé, ce dont nous nous réjouissons. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Vote sur les conclusions de rejet de la commission

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix les conclusions de rejet de la commission.

(Les conclusions de rejet de la commission sont adoptées.)

M. le président. L’Assemblée ayant adopté les conclusions de rejet de la commission, la proposition de résolution est rejetée.

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Responsabilité civile et pénale du Président de la République

Discussion d’une proposition de loi constitutionnelle

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle de M. Noël Mamère, Mme Anny Poursinoff, M. Yves Cochet et M. François de Rugy établissant la responsabilité civile et pénale du Président de la République pour les actes commis antérieurement à sa prise de fonction ou détachables de celle-ci, et supprimant la Cour de justice de la République (nos 3817, 3949).

La parole est à M. Noël Mamère, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Noël Mamère, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, j’ai donc l’honneur de vous présenter une proposition de loi constitutionnelle déposée par Anny Poursinoff, Yves Cochet, François de Rugy et moi-même. Elle vise à mettre fin à une anomalie de nos institutions et de notre démocratie, qui mine l’esprit public et qui, en creusant le fossé de la défiance, éloigne un peu plus encore les citoyens des élus.

Le Président de la République bénéficie aujourd’hui d’une sorte d’impunité, d’immunité ou d’inviolabilité. Les trois termes sont déjà employés, et l’on peut y ajouter celui d’«injusticiabilité », si l’on se réfère à des normes beaucoup plus juridiques. Cette situation insupportable trouve son origine dans la révision constitutionnelle du 23 février 2007, qui permet au Président de la République de bénéficier d’une impunité totale.

L’actuel Président de la République, M. Sarkozy, avait promis que cette révision constitutionnelle serait traduite dans une loi organique. Ce texte n’est toujours pas arrivé.

M. Philippe Houillon. Mais si !

M. Noël Mamère, rapporteur. Certes, un projet de loi organique a été examiné récemment par la commission des lois et il a fait l’objet d’un rapport de Philippe Houillon, mais il y a fort à parier qu’il ne sera pas voté d’ici à la fin de la législature. D’une certaine manière, il y a donc eu mensonge ou tromperie, puisque les citoyens avaient pu penser que, à la faveur de cette loi organique, la pyramide républicaine pourrait enfin être remise sur ses pieds.

L’arrêt Breisacher, rendu le 10 octobre 2001 par la Cour de cassation, a permis d’assurer l’inviolabilité temporaire du Président de la République. Soyons clairs : ni les députés d’Europe Écologie les Verts ni les sénateurs qui, demain, reprendront cette proposition de loi constitutionnelle, n’entendent remettre en cause l’immunité dont doit bénéficier le Président de la République dans l’exercice de ses fonctions afin d’assurer la continuité républicaine.

Nous voulons seulement revenir à la doctrine qui a prévalu entre la IIIe République et 1993. Elle permettait d’engager la responsabilité du chef de l’État pour des actes commis avant son mandat ou détachables de ce dernier. En 1974, M. René Dumont, premier candidat écologiste à l’élection présidentielle, avait attaqué en justice M. Giscard d’Estaing, qui venait d’être élu Président de la République, pour contravention aux règles de l’affichage. Les juges avaient accepté de se saisir de cette affaire : ils considéraient donc que l’instance introduite contre le Président en exercice était recevable. Si le tribunal d’instance avait relaxé le Président de la République, il reste que le principe de sa responsabilité avait été reconnu par les juges.

Les révisions constitutionnelles de 1993 et de 2007 sont revenues sur cette pratique. Entre ces deux dates, quelques « échanges de bons procédés » ont eu lieu entre le président du Conseil constitutionnel, M. Roland Dumas, et le Président Jacques Chirac. Coïncidence frappante, ce matin même, le jour même où la présente proposition de loi est examinée ici en séance publique, un grand juriste, qui n’est pas réputé pour ses positions gauchistes – il a présidé l’université d’Assas, qui n’était pas un repaire de gauchistes –,…

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Elle ne l’est toujours pas ! (Sourires.)

M. Noël Mamère, rapporteur. …a reconnu dans la presse que le Conseil constitutionnel dont il était membre avait été victime – et je reprends là son propre terme – d’une « entourloupe », à l’initiative de son président, Roland Dumas, lorsqu’il s’était agi de valider les comptes de campagne de l’élection présidentielle de 1995.

M. Jean-Pierre Schosteck. Ce témoin a la mémoire vacillante : il n’est pas sûr de tout cela !

M. Noël Mamère, rapporteur. Roland Dumas, avait rencontré durant une heure le président élu, Jacques Chirac, avant de pousser le Conseil à valider, « à l’insu de son plein gré », les comptes de campagne de M. Édouard Balladur, malgré l’origine inconnue de 10 millions de francs en liquide, censés provenir de la vente de tee-shirts. Décidément, M. Édouard Balladur était meilleur commercial que politique !

Nous apprenons ainsi, par un de nos grands juristes, que le Conseil constitutionnel s’est soumis à des directives politiques !

Cela ne peut manquer de nous rappeler certains sujets tabous, que le secret défense interdit d’évoquer devant les Français, et à propos desquels, on le sait, les juges d’instruction subissent des pressions parfois venues du sommet de l’État. Je veux parler de l’affaire Karachi. Cette déclaration du professeur Robert relancera sans doute les interrogations des juges et des Français sur ce que l’on appelle les rétrocommissions, qui auraient permis le financement de la campagne de l’ancien Premier ministre, qui a finalement échoué devant son ami de trente ans, Jacques Chirac.

Notre proposition consiste à remettre en cause l’inviolabilité temporaire du chef de l’État en réformant l’article 67 de notre Constitution, mais aussi à supprimer la Cour de justice de la République, qui constitue, à nos yeux, une justice d’exception. Nous ne le proposons pas pour le plaisir de supprimer une cour de justice, mais parce que nous estimons anormal que les membres du Gouvernement ne puissent être jugés que par cette Cour formée de leurs pairs – je suis moi-même suppléant, à la Cour de justice de la République, de mon collègue Tony Dreyfus et à ce titre, nous avons eu à juger M. Pasqua, dernière personne, à ce jour, à avoir comparu devant la Cour.

Dans une grande démocratie comme la nôtre, on ne peut pas dire qu’il y ait égalité de tous devant la loi si l’on permet que subsistent des justices d’exception pour les membres du Gouvernement. C’est pourquoi nous proposons une réforme de l’article 68-1 de la Constitution, visant à la suppression de la Cour de justice de la République.

Pour ce qui est de la suppression du principe de l’inviolabilité temporaire du Président de la République pendant l’exercice de son mandat, l’article 67 de la Constitution prévoira désormais que le Président de la République est « civilement et pénalement responsable des actes commis antérieurement à sa prise de fonction ou détachables de celle-ci ». Vous vous souvenez sans doute, monsieur le garde des sceaux, de la récente affaire des sondages, où la justice s’est déclarée incompétente en raison de l’inviolabilité temporaire accordée au Président de la République. Ce qui est absolument incroyable et ne manque pas de nous révulser au regard de notre conception de la démocratie et de ses principes, c’est que non seulement le Président de la République n’ait pu être poursuivi ou mis en cause, mais que ses collaborateurs aient bénéficié de la même impunité. Cette couverture constitue une très grande inégalité…

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Cela reste assez restreint !

M. Noël Mamère, rapporteur. Peu importe, monsieur le garde des sceaux : la loi n’a pas vocation à couvrir les collaborateurs du Président de la République, mais seulement à assurer l’impunité ou l’inviolabilité temporaire du Président de la République. Le fait que ses plus proches collaborateurs bénéficient, par extension, de la même protection que lui constitue bel et bien une anomalie juridique et politique.

Comme l’a souligné, à juste titre, notre collègue sénateur Robert Badinter au moment de la réforme de 2007 – contre laquelle se sont prononcés les écologistes, dans la perspective de la proposition de loi que je vous présente aujourd’hui –, tous les Français sont censés être égaux devant la loi civile. Je souligne que notre proposition s’inscrit dans un ensemble cohérent puisque, dans quelques instants, François de Rugy viendra présenter à cette même tribune une proposition de loi visant à assurer la transparence de la vie politique et de son financement, et à mettre un terme aux conflits d’intérêts. Nous voyons tous les jours à quoi peuvent aboutir les conflits d’intérêts…

M. Yves Cochet. Eh oui !

M. Noël Mamère, rapporteur. …et nous avons d’ailleurs entendu très récemment un ancien ministre de la défense interpellé, à la radio, sur la vente d’un cheval à un émir, conclue alors qu’il négociait avec ce même émir, mais en tant que ministre, des contrats d’armement. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Au fil des réformes de circonstance, destinées à permettre à certains responsables politiques d’échapper aux poursuites, nous nous sommes éloignés de la République exemplaire, ou République des biens communs, à laquelle nous aspirons. Comment peut-on prétendre que notre République est irréprochable, comme l’a fait le Président de la République lors d’un de ses « discours fondateurs » dont il nous gratifie avant chaque élection – ce sera d’ailleurs le cas, paraît-il, ce soir à Toulon, –, quand on fait tout pour organiser l’irresponsabilité des plus hautes autorités de l’État ?

C’est une réalité juridique et politique, dont les citoyens ont conscience : les plus hauts responsables de l’État se protègent contre les aléas susceptibles de permettre leur mise en cause devant la justice. C’est une entrave aux principes édictés par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi qu’au principe fondamental du code civil, datant de Napoléon, en vertu duquel tous les Français sont égaux devant la justice. Nous sommes bien loin de la République exemplaire, qu’il nous appartient de consolider et de remettre sur ses pieds si nous voulons rétablir la confiance entre les citoyens et les responsables politiques, faute de quoi nous jetterions ces malheureux citoyens dans les bras de ces marchands d’illusions qui empoisonnent notre pays et qui sont aujourd’hui très puissants dans un certain nombre de pays européens, comme l’a souligné tout à l’heure notre collègue Caresche !

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Mamère.

M. Noël Mamère, rapporteur. Je vais conclure, monsieur le président, mais je tiens à souligner que nous disposons de fort peu de temps, dans le cadre de ce que l’on appelle les « niches » parlementaires – une expression qui en dit long sur la consistance du pouvoir d’initiative des députés !

M. François de Rugy. C’est insultant ! « Députés, à la niche ! »

M. Noël Mamère, rapporteur. Nous sommes déjà très peu consultés sur des sujets pourtant essentiels – je pense en particulier aux débats relatifs à l’Europe, dont nous sommes complètement exclus –, alors que nous sommes investis, en vertu de la Constitution, du rôle de représentants du peuple, porteurs d’une part de la souveraineté nationale. Alors, quand je viens présenter une proposition de loi visant à remettre à l’endroit la pyramide républicaine, afin que la République exemplaire à laquelle nous aspirons ait enfin un sens politique, ne venez pas rogner mon intervention au motif que je dépasse de deux minutes les dix minutes de temps de parole qui me sont accordées, monsieur le président !

Remettre en cause l’inviolabilité temporaire du Président de la République, c’est faire en sorte que le chef de l’État puisse venir s’expliquer devant les tribunaux pour des actes accomplis avant sa prise de fonctions, ou détachables de sa fonction. Vous qui êtes un homme sensé et responsable, monsieur le garde des sceaux, vous conviendrez avec moi qu’il n’est pas normal que l’ex-Président de la République, M. Chirac, se soit retrouvé devant les tribunaux pour des faits commis vingt ans avant qu’il ne soit convoqué ! De bonnes âmes se sont émues que l’on traîne un vieil homme devant la justice. Mais que n’a-t-il comparu plus tôt devant les juges, alors qu’il était Président de la République, pour des actes qui n’étaient pas attachés à sa fonction ? Considérer que le Président de la République est un justiciable comme les autres nous aurait permis de sortir de la suspicion et du tribunal de la rumeur.

Afin d’éviter la répétition d’instances judiciaires, nous proposons la mise en place d’une commission de filtrage, composée de représentants du Conseil d’État, de la Cour des comptes et de la Cour de cassation, nommés pour cinq ans et se prononçant, lors d’une délibération publique, sur la possibilité de voir le Président de la République en exercice aller témoigner en justice ou faire lui-même l’objet d’une instruction. La même commission se substituera également à la Cour de justice de la République. Il va sans dire que la Cour pénale internationale aura vocation à être saisie pour les crimes contre l’humanité, et que, par ailleurs, le Président de la République ne pourra faire l’objet d’une arrestation ou de toute autre mesure privative de liberté que sous réserve de l’autorisation de l’Assemblée nationale statuant à la majorité absolue de ses membres.

Tels sont les éléments essentiels de la proposition de loi que j’ai eu l’honneur de présenter devant vous. Je sais, monsieur le garde des sceaux, votre attachement aux principes républicains et à la démocratie. Notre rôle est de renforcer la République et je suis convaincu que vous et votre majorité aurez à cœur de soutenir notre proposition, afin que la confiance soit enfin rétablie entre les citoyens et les hommes politiques.

Quinze minutes et vingt-cinq secondes, monsieur le président : je vous prie de m’excuser d’avoir pris tant de temps pour parler d’un sujet si peu essentiel. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. Je vous ai laissé développer vos arguments, monsieur le rapporteur.

La parole est à M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, les Français ont une relation particulière avec le Président de la République. Ils l’élisent directement, ce qui lui confère une légitimité sans égale au sein de nos institutions.

La Constitution confie, en outre, au Président de la République le rôle éminent de garant de la continuité de l’État. Le général de Gaulle résumait la place centrale du Président de la République dans nos institutions en le définissant, en 1964, comme « l’homme de la nation, mis en place par elle-même pour répondre de son destin ».

Investi de la confiance de la nation et chargé de la représenter, le chef de l’État est supposé observer un comportement vertueux dans l’exercice de son mandat. Mais il doit aussi être protégé à l’égard des poursuites qui pourraient viser à paralyser ou à amoindrir la fonction présidentielle.

Nécessaire, et d’ailleurs établie dès la Constitution du 3 septembre 1791, cette protection doit cependant être conciliée avec nos principes fondamentaux. Parmi ces principes, figure celui de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, selon lequel la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».

C’est la conjugaison de ces deux exigences qui doit guider le pouvoir constituant lorsqu’il définit les règles applicables aux poursuites pénales dirigées contre les plus hautes autorités de l’État.

La proposition de loi constitutionnelle établissant la responsabilité civile et pénale du Président de la République pour les actes commis antérieurement à sa prise de fonction ou détachables de celle-ci, et supprimant la Cour de justice de la République a, comme l’indique son intitulé, deux objets bien différents, qui vont d’ailleurs à l’encontre des principes que j’ai rappelés.

Il s’agit tout d’abord de modifier l’article 67 de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle du 23 février 2007. Il convient de rappeler que les solutions adoptées à cette occasion par le constituant sont très largement inspirées du rapport établi par la commission spéciale créée par décret du 4 juillet 2002 et présidée par le professeur Avril. Pour reprendre les termes du rapport de cette commission, « tout Président détient un mandat de représentation nationale, garantit la continuité de l’État et s’inscrit dans la séparation des pouvoirs. À ce triple titre, sa fonction doit être protégée contre ce qui pourrait abusivement l’atteindre, de bonne ou de mauvaise foi ».

Selon l’article 5 de la Constitution, le Président de la République « assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. » Il assure ainsi, dans la VRépublique, la plus haute fonction du pouvoir exécutif ; il est, pour reprendre une expression bien connue mais très juste, la clé de voûte de notre système institutionnel.

À ce titre, le chef de l’État bénéficie d’une double protection : l’irresponsabilité, en vertu de laquelle il n’a pas à répondre des actes accomplis en sa qualité de Président de la République – principe, je le rappelle, commun à la plupart des démocraties contemporaines –, et l’inviolabilité, qui, pendant la durée de son mandat, le protège des poursuites judiciaires, de tout acte d’enquête et, bien sûr, de toute mesure privative ou restrictive de liberté. L’inviolabilité est absolue, mais temporaire ; l’irresponsabilité est définitive, mais limitée dans son champ.

La proposition de loi ne revient pas sur l’irresponsabilité du Président de la République à raison des actes accomplis dans le cadre de son mandat. En revanche, elle précise qu’il est « civilement et pénalement responsable des actes commis antérieurement à sa fonction ou détachables de celles-ci ». Or c’est ce que prévoit déjà la Constitution : l’irresponsabilité du Président de la République est bien limitée aux actes accomplis en cette qualité. Sont donc exclus à la fois les faits commis antérieurement à l’élection et ceux qui ne sont pas accomplis en qualité de chef de l’État.

La proposition de loi prévoit un dispositif totalement différent du droit actuel quant à l’inviolabilité du Président de la République, qui n’est, selon moi, pas acceptable.

Actuellement, le chef de l’État ne peut, pendant la durée de son mandat, et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner, non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. A ce système simple et facile à mettre en œuvre, les auteurs de la proposition de loi souhaitent substituer un dispositif qui, d’une part, permettrait les actes d’information, d’instruction ou de poursuite contre le chef de l’État après avis public et motivé d’une commission composée de magistrats et, d’autre part, autoriserait l’arrestation, voire l’incarcération du Président de la République, après autorisation de l’Assemblée nationale statuant à la majorité.

Cela revient à mettre en cause l’objectif principal assigné à l’inviolabilité du Président de la République : assurer la séparation des pouvoirs et mettre la fonction de chef de l’État à l’abri des procédures judiciaires. De ce point de vue, l’idée même que l’on puisse permettre à l’Assemblée nationale d’autoriser l’incarcération du chef de l’État est inenvisageable. En effet, si le chef de l’État a commis un acte d’une gravité telle qu’elle pourrait conduire à son incarcération, c’est la procédure de l’article 68, qui permet au Parlement réuni en Haute Cour de prononcer la destitution du Président de la République, qui doit être utilisée pour mettre fin à son mandat.

Pour des actes ou des litiges de moindre gravité, il faut que le chef de l’État demeure totalement hors du champ d’action de l’autorité judiciaire au sens le plus large. Tout procès pourrait en effet être instrumentalisé à des fins politiques et mettre le chef de l’État dans une position politiquement difficile.

Le dispositif constitutionnel actuel pose-t-il un problème moral ? Non, car il n’institue aucune impunité : les actes détachables de la fonction ou commis antérieurement au mandat peuvent être poursuivis une fois le mandat achevé. Je rappelle à ce propos, que la réforme constitutionnelle a limité à deux le nombre des mandats qui peuvent être exercés consécutivement. Si des préjudices peuvent naître de ce différé, ils sont indemnisables.

Ce dispositif a-t-il créé des dysfonctionnements importants de la justice ? Je ne le crois pas. En revanche, le dispositif proposé ne manquerait pas de créer des polémiques sans fin sur les décisions que la commission de filtrage serait amenée à prendre.

Ce dispositif affaiblit-il la fonction présidentielle ? Certainement pas. Le Président de la République demeure en effet un requérant comme les autres. Il peut notamment attaquer en diffamation ou engager la responsabilité civile de toute personne lui ayant causé un préjudice, et ce sans attendre la fin de son mandat.

La proposition de loi constitutionnelle vise ensuite de supprimer la Cour de justice de la République. Le texte prévoit que les ministres puissent relever des juridictions de droit commun y compris pour les actes accomplis dans le cadre de leurs fonctions, dès lors que les procédures dirigées contre eux sont filtrées par une commission composée exclusivement de magistrats.

Les ministres bénéficient d’un privilège de juridiction au plan pénal devant la Cour de justice de la République lorsqu’est engagée leur responsabilité pour les délits et crimes qu’ils auraient commis dans leurs fonctions. En confiant ce contentieux à une juridiction spécifique, le constituant a souhaité éviter aussi que des recours infondés viennent paralyser l’action du Gouvernement ; les constitutionnalistes y voient un parallèle avec l’immunité dont bénéficient les parlementaires. En proposant la création de la Cour de justice de la République, le doyen Vedel soulignait les principes qui la fondent encore aujourd’hui : par sa composition et son fonctionnement, elle est « une instance juridictionnelle conciliant les principes judiciaires et la séparation des pouvoirs ». Préserver cette juridiction spécifique, c’est éviter que les ministres « soient constamment exposés à devoir se justifier devant les juges de leur activité ministérielle ». La responsabilité politique, disait le doyen Vedel, ne doit pas être transformée en responsabilité pénale.

Or, dès lors qu’il s’agit d’actes commis dans l’exercice de leurs fonctions, se pose immanquablement la question du régime de responsabilité qui doit être mis en œuvre. Faire le départ entre ce qui relève de l’action politique et d’une démarche purement personnelle n’est pas chose facile. A cela, il convient d’ajouter que les décisions prises par la Cour de Justice de la République, qui comprend trois magistrats, dont l’un est son Président, peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant la chambre criminelle de la Cour de cassation. La procédure de filtrage des procédures que la proposition de loi prévoit de confier à une commission composée de magistrats ne fera rien de plus que ce que fait aujourd’hui la commission des requêtes de la Cour de justice de la République, qui est elle-même composée uniquement de magistrats.

Comme vous l’aurez compris, les dispositions que le constituant a retenues tant pour la responsabilité du président de la République que pour celle des ministres garantissent l’équilibre et le bon fonctionnement de nos institutions. Je crois que modifier ces dispositifs, comme le suggère la proposition de loi soumise à votre examen, c’est risquer de les déstabiliser. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Anny Poursinoff.

Mme Anny Poursinoff. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « l’histoire des grands princes est souvent le récit des fautes des hommes », écrivait Voltaire. L’Ancien régime est derrière nous depuis suffisamment longtemps pour que nous puissions, sur ce point tout au moins, faire mentir le philosophe des lumières.

Des juristes l’ont dit avant moi, la France manifeste parfois une fâcheuse nostalgie de la monarchie. À nous donc d’opérer une véritable révolution. Je ne parle pas ici de la nécessaire révolution écologique de notre société, mais bien de la réforme constitutionnelle qui mettrait fin, dans certains cas, à l’impunité du chef de l’État et restaurerait ainsi l’égalité devant la loi, tout en prenant les précautions nécessaires pour que les plus hautes fonctions puissent être exercées dans la plus grande sérénité.

L’image de la classe politique est aujourd’hui extrêmement dégradée. Ainsi, selon un sondage de septembre dernier, 72 % de nos concitoyennes et de nos concitoyens estiment que les élus et les dirigeants politiques sont « plutôt corrompus ». Seule une République exemplaire pourra mettre fin au tourbillon des suspicions. Seule une République exemplaire pourra mettre fin à la valse des mallettes, de Neuilly à Karachi, en passant par Libreville.

M. Paul Jeanneteau. C’est scandaleux !

Mme Anny Poursinoff. Faut-il rappeler à nos collègues de l’UMP que, lors de sa campagne présidentielle – je ne parle pas de celle qu’il mène actuellement, mais de la précédente –, le Président de la République avait promis aux Françaises et aux Français une « République irréprochable » ?

M. Yves Cochet. On en rit encore !

Mme Anny Poursinoff. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Noël Mamère s’est posé, pour nous tous, cette question. La mauvaise réputation de la classe politique française s’étend au-delà de nos frontières : l’ONG Transparency International, dont le travail est mondialement reconnu, dénonce les affaires qui entachent l’image de notre pays.

Pour lutter contre la crise démocratique qui pousse nos concitoyennes et concitoyens à délaisser les urnes, il est de notre devoir de mettre en œuvre des changements de grande ampleur. Tel est bien l’objet des trois propositions de loi que les écologistes présentent aujourd’hui.

Les nombreux conflits d’intérêts qui ont malheureusement émaillé notre vie politique depuis quelques années ne sauraient perdurer. Faut-il rappeler qu’un de nos collègues de l’UMP, et non des moindres, cumulait, jusqu’à il y a peu, son mandat de parlementaire avec une activité d’avocat d’affaires ?

M. François de Rugy. Quel scandale !

Mme Anny Poursinoff. Pour remédier à cette situation, il est essentiel que le Président de la République, les ministres, les élus, les hauts fonctionnaires et les collaborateurs politiques proches rendent publiques des déclarations d’intérêts précises.

Restaurer l’éthique dans la vie publique : voilà ce que nos concitoyennes et nos concitoyens attendent, quelle que soit leur appartenance politique.

À cet égard, la possibilité de lever partiellement l’impunité du chef de l’État fait partie de l’arsenal des mesures nécessaires. Celui-ci doit en effet pouvoir être traduit devant les tribunaux s’il a commis des délits antérieurement à sa prise de fonction ou détachables de celle-ci. Bien entendu, des mécanismes de filtrage doivent être prévus afin d’éviter les procédures abusives.

Tel est l’objet de cette proposition de loi, que je vous propose d’adopter.

M. Yves Cochet et M. François de Rugy. Très bien !

Mme Anny Poursinoff. Vous aurez noté, monsieur le président, qu’en n’utilisant pas tout mon temps de parole, j’ai compensé le dépassement de Noël Mamère.

M. Noël Mamère, rapporteur. C’est la mutualisation ! (Sourires.)

M. le président. J’avais remarqué, ma chère collègue, et je suis sensible à ce principe.

Mme Anny Poursinoff. Il nous est très cher !

M. le président. La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise par le groupe GDR et rapportée par Noël Mamère ne tend à rien de moins que supprimer la Cour de justice de la République et l’inviolabilité dont bénéficie le Président de la République. Les questions qu’elles soulèvent sont si nombreuses que, bien entendu, nous ne la voterons pas. Reste que je m’interroge : une proposition de loi qui intervient « après la bagarre », c’est-à-dire après que la discussion a eu lieu, que l’Assemblée s’est prononcée, que la réforme constitutionnelle a été votée à la majorité qualifiée et que la loi organique vient d’être adoptée par la commission des lois et sera examinée en séance publique en janvier, une telle proposition de loi est-elle vraiment une proposition de loi ? N’est-ce pas plutôt, monsieur le rapporteur, une sorte de tract, de billet d’humeur, bref, un moyen de communication…

M. François de Rugy. Un peu de décence, tout de même !

M. Philippe Houillon. Il est dommage que vous n’utilisiez pas ces niches pour faire de véritables propositions innovantes,…

M. Yves Cochet. Mais c’est une véritable proposition innovante !

M. Philippe Houillon. … au lieu de revenir sur des choses déjà jugées, si je puis dire.

M. François de Rugy. Déjà jugées ? Nous ne sommes pas dans un tribunal !

M. Noël Mamère, rapporteur. Les choses ne sont pas figées : l’Assemblée ne se prononce pas une fois pour toutes !

M. Philippe Houillon. La réforme constitutionnelle de 2007 a mis en place un système équilibré, conforme au dispositif retenu par la quasi totalité des pays démocratiques. C’est ce dont nous avons déjà débattu, et que nous avons adopté avec les articles 67 et 68 de la Constitution.

L’article 67 consacre le principe de l’irresponsabilité du Président de la République pour les actes accomplis en cette qualité. Cette irresponsabilité est définitive, mais limitée dans son champ. La proposition du groupe GDR reprend, du reste, cette idée ; il ne s’agit donc pas d’une véritable innovation. Le même article établit, en outre, un régime d’inviolabilité absolue, mais temporaire, du chef de l’État. Quant à l’article 68, il permet à la Haute Cour de destituer le Président de la République en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat.

Ce système, parfaitement équilibré, conforme à l’esprit de nos institutions et commun à la plupart des démocraties, s’explique par le fait que le Président de la République est la clé de voûte de nos institutions. Aux termes de la Constitution, celui-ci assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’État ; ce n’est pas rien. Il est le garant de l’indépendance nationale, ce qui n’est pas rien non plus, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. Il doit donc pouvoir exercer son mandat en toute indépendance. Contrairement à ce que vous disiez, monsieur le rapporteur, le Président de la République, en raison du rôle qui lui est conféré par la Constitution, n’est pas un justiciable comme les autres.

Il faut simplement accepter cette idée : du fait qu’il a une fonction particulière, institutionnelle, il n’est pas un personnage comme les autres.

M. Yves Cochet. C’est sûr, hélas !

M. Philippe Houillon. La proposition de loi suggère de mettre fin au principe de l’inviolabilité du Président de la République, c’est-à-dire de permettre sa poursuite pour les actes commis antérieurement à l’exercice de ses fonctions ou qui n’ont pas de lien avec celles-ci et en sont détachables, ainsi que son arrestation et son incarcération, après autorisation de l’Assemblée nationale. Je n’ai pas le temps d’entrer dans les détails, mais cela pose encore bien d’autres problèmes juridiques du fait, entre autres, de la séparation des pouvoirs. Il est évident que nous ne pouvons pas voter ce genre de texte.

Du reste, s’il existait des faits si graves qu’ils justifient l’incarcération du Président de la République, nous avons une réponse constitutionnelle avec l’article 68 qui permet sa destitution. Il ne me paraît pas utile d’utiliser tout mon temps de parole pour dire des évidences : des réponses existent déjà dans les textes que nous avons adoptés très récemment, et encore il y a une dizaine de jours à peine à la commission des lois. Nous opposerons, bien évidemment, un refus à ce texte.

Je ne répéterai pas ce qu’a excellemment dit le ministre de la justice à l’instant s’agissant du problème d’ordre moral qui se poserait. En vérité, il n’y a pas d’impunité, mais simplement un différé. Si ce différé cause préjudice, il y a matière à indemnisation, le moment venu, devant les juridictions de droit commun qui redeviennent compétentes.

Le deuxième sujet traité par la proposition de loi est la suppression de la Cour de justice de la République, dans le but de faire des ministres des justiciables comme les autres. À ceci près, monsieur le rapporteur, que j’ai l’impression que vous n’êtes pas intellectuellement clair avec vous-même. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)

M. Yves Cochet. C’est une attaque personnelle !

M. Noël Mamère, rapporteur. Je suis un peu confus, c’est vrai. Déjà à l’école, j’avais de gros problèmes. (Sourires.)

M. Philippe Houillon. N’y voyez aucune attaque personnelle : j’ai beaucoup de sympathie pour M. Mamère. Nous discutons sur le fond de son texte et je lui donne mon sentiment sur ce qu’il a développé.

De deux choses l’une, monsieur le rapporteur : ou vous voulez une procédure de droit commun, considérant, ce qui peut se défendre, que les ministres sont des justiciables comme les autres. Mais, à ce moment-là – et c’est pourquoi je dis que vous avez un problème de raisonnement –, pourquoi instituer une commission ? Auriez-vous, à un moment, eu la main tremblante, à défaut d’avoir su exprimer véritablement votre façon de voir les choses ? Ou ce sont des justiciables comme les autres, point-barre, ou ce ne sont pas tout à fait des justiciables comme les autres, et vous instituez une commission filtre pensant qu’il y a quand même un problème.

Dès lors, pourquoi proposer un dispositif qui, finalement, ressemble à la commission des requêtes de la Cour de justice de la République ? C’est la réinvention de l’eau chaude ! Ce n’est pas la peine de modifier les textes que nous avons déjà.

Ou vous allez au bout de votre idée, et l’on peut comprendre le débat, ou vous n’y allez pas. Et vous n’y êtes pas allé puisque vous maintenez un système à peu près identique ; auquel cas ce n’est pas la peine de réformer pour le plaisir de réformer. Voilà pourquoi nous ne soutiendrons pas un texte qui, en l’état, ne présente aucune utilité.

Au final, monsieur le président, j’aurai gagné une minute trente sur mon temps de parole…

M. le président. Nous y sommes sensibles !

La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas.

M. Jean-Jacques Urvoas. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il faut toujours être attentif quand les écologistes s’intéressent au statut du Président de la République. Si je me souviens bien, c’était un contribuable parisien, par ailleurs militant écologiste, Michel Breisacher, qui s’était constitué partie civile en lieu et place de la ville de Paris, en vertu d’une autorisation donnée par le tribunal administratif, saisi le 21 novembre 2000 par les juges d’instruction d’une requête en vue de l’audition comme témoin de Jacques Chirac.

Ce dernier était, au moment des faits incriminés, maire de Paris mais était devenu chef de l’État au moment où la contestation est intervenue. C’est parce que Michel Breisacher avait porté requête devant le tribunal administratif que la Cour de Cassation avait été conduite à trancher le périmètre de protection du Président de la République. Ce fut le fameux arrêt Breisacher du 10 octobre 2001 dont, par la suite, l’article 67 de la Constitution consacra les conclusions en les généralisant. À l’époque, d’ailleurs, cette jurisprudence ne fut pas contestée.

Aujourd’hui, le groupe GDR nous fait une double proposition : établir la responsabilité civile et pénale du Président de la République pour les actes commis antérieurement à sa prise de fonction ou détachables de celle-ci ; supprimer la Cour de justice de la République, transformant ainsi les ministres en justiciables ordinaires.

À la différence de Philippe Houillon, je commencerai par le second point et démontrerai, à l’inverse de ce qu’il a tenté de faire, que la suppression de la Cour de justice de la République est parfaitement légitime.

En 1993, le gouvernement Balladur avait privilégié la voie constitutionnelle à un chemin législatif parfaitement possible : il aurait suffi d’adopter une loi interprétative destinée à contraindre la chambre criminelle de changer sa jurisprudence. Ce n’est pas le choix qu’a fait la majorité de l’époque, et la révision constitutionnelle du 27 juillet 1993 créa donc la Cour de justice de la République dont le fonctionnement fut réglé par la loi organique du 23 novembre suivant. Ces textes marquaient une avancée.

Bien sûr, la composition de la Cour de justice restait majoritairement assurée par des élus, mais les ministres ne pouvaient plus échapper à un procès, ce qui était une rupture avec le passé.

Pour autant, il est vite apparu que ces textes avaient été mal conçus : les victimes n’ont pas le droit de se porter parties civiles ; les avocats n’ont d’autre solution que de présenter leurs réquisitoires à la presse ; les inspirateurs des décisions ministérielles ne pouvant être poursuivis comme complices devant la Cour, un autre procès devrait leur être fait, qui ferait ressortir les insuffisances du premier.

C’est ce que reconnaissait le doyen Vedel, inspirateur de la réforme, dans une interview à Libération, le 1er mars 1999 : « Il faut reconnaître qu’on s’est fourré le doigt dans l’œil, et on était plusieurs ». C’était admettre que cette réforme, bien inspirée mais mal écrite, ne produisait pas les effets attendus.

Il est facile de le dire a posteriori, à l’époque, chacun avait péché par excès de conservatisme. Personne ou presque n’avait osé remettre en cause ce qui était considéré comme un acquis républicain : l’existence d’une juridiction particulière, politique, pour juger les fautes pénales commises par les ministres.

Au moins, sous la IIIe République, les juges de droit commun demeuraient-ils compétents tant que les députés n’en décidaient pas autrement et ne mettaient pas en œuvre la Haute Cour. Mais d’une compétence concurrente de la juridiction politique, on est passé à une compétence exclusive.

Cette erreur a été maintenue en 1993. C’est elle que la proposition de loi de Noël Mamère suggère de réparer, cette fois de manière franche, non pas en revenant au système de la IIIe République, dont les vertus ne sont plus adaptées, mais en établissant la compétence exclusive des tribunaux de droit commun. Comment ne pas l’approuver ?

Une juridiction politique, fût-elle mâtinée de magistrats, ne produira jamais des jugements parfaitement acceptés. Comme l’a très justement montré le professeur Olivier Beaud, les thèmes composant la justice politique ne sont pas complémentaires ; ils sont antinomiques. Le soupçon de partialité pèsera toujours sur la Cour de justice de la République. Si elle condamne, on imputera la décision à la présence majoritaire de l’autre camp parmi les juges ; si elle acquitte, la connivence entre politiques sera stigmatisée. Que les arguments se contredisent n’altère malheureusement pas leur efficacité. La Cour de justice de la République est un bon exemple de confusion entre le politique et le judiciaire.

La conclusion s’impose d’elle-même : la faute pénale d’un ministre doit être jugée par un tribunal pénal de droit commun. Le tribunal ne peut différer, que l’on soit ministre ou simple citoyen.

Tout aussi simple est la seconde orientation que défend la proposition de loi s’agissant du régime de responsabilité du Président de la République. Ce texte met le doigt, chacun l’a reconnu, sur une question centrale, laissée pendante depuis la révision de 2007 : la portée de l’irresponsabilité juridictionnelle du chef de l’État. Celle-ci, en raison des articles 67 et 68, est doublement excessive.

D’abord, au regard du droit européen, notamment de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui demande le procès équitable. En effet, le Président de la République peut porter plainte, peut se constituer partie civile, peut même obtenir des condamnations à l’euro symbolique – je fais ici allusion à la décision de la cour d’appel de Versailles du 8 janvier 2010 visant une personne reconnue coupable d’escroquerie à la carte bancaire au détriment de Nicolas Sarkozy. Par contre, le même chef de l’État, ne peut être interrogé, même comme témoin, ni poursuivi devant aucune juridiction, même pour des faits commis antérieurement ou des faits détachables de la fonction de Président de la République. À l’évidence, contrairement à ce que disait Philippe Houillon, il y a là un déséquilibre avéré.

L’injusticiabilité du Président est tout autant excessive au regard de l’interprétation qui vient d’en être faite. Je pense notamment à deux affaires. La première date de 2007 et concerne l’assassinat du juge français Bernard Borrel à Djibouti, le 19 octobre 1995. Le 2 mai 2007, les deux juges d’instruction qui enquêtaient sur cette affaire se sont vu interdire l’entrée du palais de l’Élysée alors qu’ils souhaitaient perquisitionner le bureau d’un collaborateur de la cellule africaine du Président de la République. Autrement dit, l’irresponsabilité présidentielle s’étend aussi aux locaux dans lesquels travaille un collaborateur du Président de la République.

La seconde affaire, Noël Mamère l’a rappelée, date du 7 novembre 2011. La Cour d’appel de Paris a décidé que l’ancienne directrice de cabinet du Président, qui n’avait pas respecté le code des marchés publics, était couverte par l’article 67 de la Constitution.

Ainsi, dorénavant, l’irresponsabilité présidentielle s’étend également à ses collaborateurs.

M. Philippe Houillon. Pas toujours.

M. Jean-Jacques Urvoas. Je rappelle respectueusement au garde des sceaux que si les cabinets des ministres sont réglementés par une loi du 13 juillet 1911 – et non 2011 comme l’indique, par erreur, le compte rendu de la commission –, les collaborateurs du Président de la République n’existent pas juridiquement. Ils sont nommés par un simple arrêté du Président de la République publié au Journal officiel, sont rémunérés par leur corps d’origine ou bénéficient, dans de rares cas, d’un statut de contractuel. Le seul collaborateur du Président de la République qui bénéficie d’une couverture est le coordonnateur national du renseignement. Il n’y a pas d’autre collaborateur du Président de la République sur un plan législatif.

Il est donc pertinent de corriger de tels excès.

Si la responsabilité politique est un chantier à part, et sans doute difficilement perfectible, la remise à plat de l’irresponsabilité juridictionnelle du Président pour les actes antérieurs et extérieurs à sa fonction est indispensable. Il faut veiller à ce que personne ne soit au-dessus de la règle de droit. C’est la démarche que nous proposent Noël Mamère et ses collègues.

J’ai dit, en commission, notre accord ; on me permettra d’émettre une réserve ou deux sur le mécanisme imaginé.

M. Philippe Houillon. Ah, tout de même !

M. Jean-Jacques Urvoas. Il me semble qu’il existe un mélange des genres peu heureux dans les dispositifs décrits : selon la gravité de la mesure prise à rencontre du Président serait requis soit l’avis de d’une commission de hauts magistrats pour un éventuel témoignage devant une juridiction ou tout autre acte d’information, soit l’autorisation de l’Assemblée nationale statuant à la majorité de ses membres s’il est question d’arrestation ou de toute autre mesure restrictive de liberté.

La procédure serait donc judiciaire jusqu’à un certain stade, et politique au-delà. Cela me semble facteur de risque, notamment parce que la décision de l’Assemblée serait chronologiquement seconde.

Enfin, compte tenu de ce qui nous a été proposé, et contrairement aux propos de notre collègue Philippe Houillon, la procédure de destitution ne dissocie pas la responsabilité pénale ou civile du Président de la République de sa responsabilité politique.

Nous avons donc une sensibilité différente ; c’est la raison pour laquelle nous approuverons cette proposition de loi sur le principe, même si nous en contestons les modalités pour le moment. Peut-être que le débat que nous allons avoir sur la discussion des articles nous permettra d’avancer pour les corriger.

Je vous remercie, monsieur le président, de m’avoir accordé trente secondes supplémentaires…

M. le président. La parole est à M. Yves Cochet, du groupe GDR.

M. Yves Cochet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous savons que la frontière est assez fine entre l’immunité et l’impunité, c’est d’ailleurs une question intéressante du point de vue intellectuel. Certains de nos concitoyens confondent d’ailleurs parfois les deux termes.

Mais depuis deux siècles, la règle est que tous les Français sont égaux devant la loi civile. Pourtant, la Constitution, en son article 67, a dérogé à ce principe du code civil. La présidence de la République semble être une forteresse judiciaire et juridique. Nous ne l’acceptons pas, et c’est l’objet de la proposition de loi que nous défendons aujourd’hui.

La question de l’immunité du chef de l’État avait déjà commencé à défrayer la chronique judiciaire dans les années 2000, quand Jacques Chirac, alors Président de la République, était cerné par des affaires antérieures à son mandat. À l’époque, le juge d’instruction Éric Halphen voulait l’entendre comme témoin dans l’affaire des HLM de Paris.

Les plus grandes instances juridiques du pays avaient été mises à contribution, Conseil constitutionnel et Cour de cassation en tête, et une commission avait été nommée en 2002 pour plancher sur le sujet. Le débat a été finalement tranché par la réforme constitutionnelle du 23 février 2007 introduisant l’article 67 relatif à l’irresponsabilité présidentielle.

Dans le dossier concernant les dépenses de l’Élysée en sondages, que notre ami René Dosière ici présent connaît bien, la cour d’appel de Paris a refusé le 7 novembre dernier, l’ouverture d’une enquête pénale sur un proche de Nicolas Sarkozy pour favoritisme. La cour estime donc que, non seulement l’immunité pénale du Président de la République empêche toute investigation sur ses propres actes, mais qu’elle s’étend aussi à ses proches, comme vient de le rappeler notre collègue Jean-Jacques Urvoas.

La décision de la Cour d’appel est une preuve malheureuse supplémentaire du problème posé par le statut pénal du chef de l’État : en fait, ce statut entrave la justice et la démocratie.

L’arrêt de la cour d’appel aboutit à faire de l’Élysée une zone de non-droit où aucune enquête n’est possible. En affirmant que « la sérénité nécessaire » à la mission du président de la République peut l’amener à ordonner à ses collaborateurs de signer des contrats illicites ou litigieux, pouvant provoquer un détournement de financement public, la Cour d’appel n’a-t-elle pas injurié la fonction même du président de la République, par une sorte de retour de boomerang ?

Cette proposition de loi propose donc deux grandes modifications.

Tout d’abord en finir avec l’immunité temporaire du Président de la République pour les actes détachables de sa fonction, qui résulte de la jurisprudence Breisacher de la Cour de cassation de 2001. Les instances et procédures ne pouvant être reprises ou engagées contre le Président à l’expiration de son mandat qu’à l’issue d’un délai d’un mois suivant la cessation de ses fonctions, les faits sont jugés bien des années après leur commission.

Comment faire reconnaître ses droits face à un Président de la République inatteignable judiciairement ? Comment des individus ordinaires peuvent-ils voir réparer les préjudices civils qu’ils ont subis du fait du Président de la République – par exemple un défaut de paiement de loyer ?

En réalité, l’inviolabilité judiciaire du chef de l’État pendant la durée de son mandat ne protège en rien la dignité de sa fonction ; elle risque, au contraire, d’aggraver les soupçons contre son titulaire et de laisser libre cours au tribunal de la rumeur. Une procédure judiciaire est contradictoire et publique : ce sont ces deux caractéristiques qui garantissent une République de la transparence, une République exemplaire.

La deuxième réforme proposée par ce texte vise à faire des ministres des justiciables ordinaires ne bénéficiant plus d’un privilège de juridiction. Les ministres ou anciens ministres sont le cas échéant appelés à être jugés par des parlementaires ; c’est là un privilège de juridiction que nous récusons.

Au nom du principe d’égalité devant la loi, on ne peut se satisfaire d’un tel privilège. Il est bien entendu indispensable d’éviter les procédures abusives destinées à détourner la procédure pénale de sa vocation originelle en vue de mettre en cause la responsabilité politique des membres du Gouvernement, rien ne justifie pour autant que ces derniers bénéficient d’un privilège de juridiction devant la Cour de justice de la République leur permettant d’être jugés par des parlementaires qui sont en réalité leurs pairs, avec les contradictions que notre collègue Urvoas vient de mettre en évidence.

Notre proposition de loi répond à ces distorsions d’égalité. C’est pour cette raison principale, mes chers collègues, que je vous invite à la voter.

M. le président. La parole est à M. René Dosière.

M. René Dosière. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, Jean-Jacques Urvoas ayant dit l’essentiel, et même presque tout…

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Et même le reste !

M. René Dosière. …il me permet d’aborder deux questions que la présente proposition de loi ne règle pas. Et comme on peut préjuger que la majorité de cette Assemblée émettra, hélas ! le même vote que celui qui est intervenu en commission, je me permets de soulever ces deux aspects qui devront bien être traités un jour ou l’autre.

Ma première observation a trait à la déclaration de patrimoine du Président de la République. Si les déclarations de patrimoine des responsables politiques sont confidentielles, celle du Président de la République est la seule à être rendue publique. Mais contrairement à celle des députés, qui est vérifiée par une commission, celle du Président de la République n’est vérifiée par personne. Le Conseil constitutionnel la reçoit, mais se borne à jouer le rôle de simple facteur : il la transmet au Journal Officiel qui la publie.

Quelles sont les conséquences de cet état de fait ? Prenons le cas des deux déclarations de patrimoine, initiale et terminale, de Jacques Chirac, à l’issue de ses douze ans de présidence pendant lesquels il a été logé et nourri aux frais de la République, comme cela était la tradition à l’époque. Pendant ces douze ans, le Président de la République a touché environ 3 millions d’euros. Dans la mesure où il n’a pas eu de dépenses à effectuer, on pourrait penser que sa déclaration de patrimoine ferait apparaître l’usage qu’il a fait de ces 3 millions d’euros de revenu, pour s’acheter un appartement, par exemple, ou toute autre chose. Or il se trouve que la déclaration terminale de patrimoine de Jacques Chirac est pratiquement équivalente à sa déclaration initiale : elle ne fait apparaître aucun enrichissement n’apparaît, on observe même une petite diminution de son patrimoine.

M. François de Rugy. C’est incroyable !

M. René Dosière. Qu’a-t-il fait des 3 millions d’euros de traitement qu’il a touchés ? Ce n’est pas logique. Une des deux déclarations doit être inexacte.

Prenons maintenant le cas de son successeur. L’actuel président a fait une déclaration de patrimoine commune avec son épouse à son arrivée à l’Élysée. En fin de présidence, il sera amené à en faire une seconde. Comment pourra-t-on comparer les deux déclarations alors que sa situation personnelle aura changé ? Il a fait sa déclaration initiale en commun avec son épouse…

M. Yves Cochet. Laquelle ?

M. René Dosière. Sa déclaration terminale n’aura plus rien à voir, puisque sa situation matrimoniale a changé.

Autrement dit, la déclaration de patrimoine en fin de mandat n’a aucune utilité s’il n’est pas possible de la comparer à la déclaration initiale. C’est pourquoi j’avais proposé que si la situation personnelle du Président de la République changeait, il fasse à tout le moins une nouvelle déclaration de patrimoine, mais la majorité s’en était offusqué. En l’état actuel, la déclaration de patrimoine du Président de la République ne sert à rien ; peut-être vaut-il mieux éviter d’en faire une et de la publier plutôt que de laisser croire au citoyen que cela pourrait servir à quelque chose.

Ma deuxième observation, qui n’est pas traitée par la proposition de loi, a trait à la modification de nature presque constitutionnelle qui a été exercée par le Président de la République lorsqu’il a créé, en quelque sorte, un budget annexe à la Président de la République en décidant d’utiliser la réserve ministérielle du ministère de l’intérieur. Aujourd’hui, c’est le Président de la République qui attribue aux élus locaux les diverses subventions d’intérêt local diverses que le ministre de l’intérieur gère habituellement, soit 20 millions d’euros dans le budget de 2012.

M. Yves Cochet. C’est très choquant !

M. René Dosière. Le Président de la République n’a pas à gérer les crédits du ministère de l’intérieur. Nous sommes en pleine dérive constitutionnelle. Le Président de la République a son propre budget, il n’a pas à aller utiliser le budget des différents ministères.

Voilà aussi un point qu’il serait utile de régler pour éviter des dérives. Il vaut d’ailleurs mieux essayer de le traiter à froid, à plus forte raison depuis que la multiplication des voyages du Président de la République,…

M. Christophe Caresche. Des voyages électoraux !

M. René Dosière. …dont le rythme a doublé, qui lui permet naturellement d’utiliser encore plus largement la réserve du ministère de l’intérieur pour distribuer un certain nombre de subventions.

Voilà deux aspects, certes annexes, mais qu’il est bon d’avoir en tête lorsqu’on examine la situation du Président de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Noël Mamère, rapporteur. Contrairement à ce qu’affirme notre collègue Houillon, notre proposition de loi est tout à fait cohérente. Ce n’est pas un tract, ni une coquetterie rédigée sur un coin de table.

Vous étiez déjà député, monsieur Houillon, lorsqu’un très petit nombre d’entre nous avait protesté contre l’impunité accordée au Président de la République par le Conseil constitutionnel et son président de l’époque. Dois-je vous rappeler que j’avais été rappelé à l’ordre par le président de l’Assemblée nationale de l’époque, Raymond Forni, qui n’était pas de droite, pour avoir évoqué les questions liées à des actes antérieurs à la prise de fonction du Président de la République – il s’agissait des faux électeurs dans le 5e arrondissement.

Nous nous inscrivons donc dans une continuité, une cohérence, et nous considérons que ce n’est pas parce qu’il y a eu une réforme constitutionnelle en 2007 que nous devons vitrifier la loi. Nous avons le droit, c’est même notre devoir, après avoir voté contre cette réforme constitutionnelle, d’appeler à améliorer le statut du Président de la République dans le sens d’une responsabilité accrue, comme cela était le cas jusqu’en 1990.

Évidemment, vos paroles sont aussi des effets de tribune, nous jouons ici un jeu de rôles. Mais essayons de l’éviter sur des sujets aussi importants, d’autant que, cher collègue, vous ne nous aviez pas habitués à de tels comportements jusqu’à présent. Je vous remercie donc de bien vouloir considérer que notre proposition de loi vaut mieux qu’un tract et qu’elle s’inspire d’une volonté d’améliorer nos principes démocratiques.

Je voudrais remercier notre collègue Jean-Jacques Urvoas pour la qualité de son intervention. Il a précisé d’une manière juridiquement très fine les motifs de cette proposition de loi.

En se fondant sur des arguments juridiques très précis – l’histoire de notre Constitution et son évolution –, Jean-Jacques Urvoas a démontré la validité de notre proposition de loi constitutionnelle et son sens politique.

M. Philippe Houillon. Il a terminé sur des réserves !

M. Noël Mamère, rapporteur. Je suis d’accord sur le fait qu’il serait possible de l’améliorer ; encore faudrait-il que nous ayons un débat. Mais tout porte à croire, conformément à la pratique à laquelle le Gouvernement nous a habitués, que l’article 96 va bientôt être invoqué, ce qui coupera court à toute discussion. Cela en dit long également sur l’hypocrisie de ce gouvernement et du Président de la République, qui prétendait renforcer les pouvoirs du Parlement et le pouvoir d’initiative aux députés : nous sommes là encore dans le domaine des faux-semblants. Il faudra en rediscuter lorsque nous aurons tourné la page du sarkozysme.

Et puisque je parle du sarkozysme, je voudrais montrer l’ampleur de la duplicité du Président de la République, assurément très fort sur les mots et les annonces, mais qui, en général, ne tient pas les promesses qu’il fait aux Français. Il n’est qu’à citer, et cela vaut son pesant d’or, son discours du 12 juillet 2007 à Épinal : « Il ne peut y avoir de pouvoir fort sans responsabilité forte… Je ne peux pas faire semblant d’être responsable alors que les Français ont fait de moi le premier des responsables… Au nom de quoi le chef de l’État, qui devrait être le premier des Français, serait donc le seul à devoir s’organiser pour ne pas avoir à assumer ses responsabilités ? Je suis responsable. »

M. Yves Cochet. Ce sont des mots !

M. Noël Mamère. Telle est la réalité : un Président qui promet beaucoup – la suppression des paradis fiscaux, l’établissement de la taxation sur les transactions financières –, qui promet d’être responsable et qui s’organise pour que son irresponsabilité et son impunité soient totales.

Monsieur Houillon, vous avez dit, il y a quelques instants, que la proposition de loi organique que vous avez présentée à la commission des lois, il y a une semaine, serait normalement examinée au mois de janvier. Nous verrons ce qu’il en adviendra et si elle pourra passer. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Deux règles, deux principes sont en concurrence, entre lesquels il faut trouver un équilibre, et chacun essaie de le faire avec ses convictions. Il est nécessaire, d’un côté, de faire en sorte que l’article VI de la Déclaration de 1789 s’applique : la loi est la même pour tous, elle doit donc s’appliquer à tous. D’un autre côté, il y a un principe d’une valeur au moins équivalente : le Président de la République doit être libre dans l’exercice politique de son pouvoir pendant la durée de son mandat.

La Constitution, pour cela, a prévu deux mesures.

Premièrement, une mesure traditionnelle, qui existe depuis toujours : on ne peut jamais mettre en cause la responsabilité du Président pour les actes qu’il commet en qualité de Président de la République. Le texte qui nous est présenté ne touche pas à ce principe.

Deuxièmement, une règle tout aussi valable, dont le champ dans le temps est limité : le principe de l’inviolabilité du Président de la République. On ne peut le mettre en cause pour des actes commis soit avant, soit pendant l’exercice de son mandat, qui n’ont pas de liens avec la fonction présidentielle. le Président ne peut être inquiété ni faire l’objet de mesures privatives de liberté, de mesures d’enquête, etc.

Ce principe d’inviolabilité a été particulièrement bien rappelée par l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, il y a quelques jours. J’admire toujours les capacités juridiques de M. Urvoas et son analyse, qui, comme l’a fait remarquer M. Mamère, est toujours très fine. Mais il a très naturellement une petite tendance à interpréter le droit dans le sens utile à sa démonstration.

M. Jean-Michel Clément. M. Urvoas n’interprète pas le droit, il l’enseigne !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je ne vais pas le lui reprocher, je veux seulement lui montrer que nous ne sommes pas dupes de son grand savoir-faire… M. Urvoas n’arrivera cependant pas à nous faire prendre des vessies pour des lanternes !

La cour d’appel de Paris a fixé la portée du principe d’inviolabilité : le Président doit pouvoir exercer sa mission dans la sérénité. C’est la raison pour laquelle elle a étendu ce principe d’inviolabilité non pas, comme vous l’avez dit faussement, mais vous le saviez, à tous les collaborateurs du Président de la République, mais à ceux qui n’existent pas, comme vous l’avez finement montré. Ces collaborateurs qui n’existent pas sont eux-mêmes le Président de la République : c’est la raison pour laquelle ils doivent bénéficier de ce principe d’inviolabilité. Vous êtes trop au fait même du droit, monsieur Urvoas, pour ne pas savoir pour savoir que ces collaborateurs n’existent que parce que le Président de la République les a désignés ; ils ne sont que la bouche du Président et n’ont par eux-mêmes aucune autonomie. Vous avez rappelé fort justement la loi de 1911 : c’est justement parce qu’ils n’existent pas qu’ils sont comme étant le Président, qu’ils bénéficient de la même inviolabilité que lui. Je vois que nous sommes parfaitement d’accord sur ce point-là.

M. Jean-Jacques Urvoas. Non !

M. Christophe Caresche. C’est énorme !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ce qui ne peut me surprendre, connaissant votre grande science du droit.

M. Jean-Jacques Urvoas. Je loue votre habilité !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Il faut bien que je sois habile face à vous. J’essaie d’y parvenir…

M. Jean-Jacques Urvoas. Et vous y arrivez !

M. Jean-Michel Clément. Remarquablement !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. M. Dosière enfin a largement mis en évidence les lacunes de ce texte. Il l’a enterré de façon définitive en soulignant tout ce qui lui manquait. M. Urvoas a rappelé qu’il était évidemment d’accord avec la proposition de loi, mais en aucune façon avec les modalités d’organisation qu’elle prévoyait.

M. Christophe Caresche. Vous soulagez votre conscience !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je pense donc que le Gouvernement soulagera tout le monde en demandant à l’Assemblée, en application de l’article 96 du règlement, la réserve de tous les votes.

M. le président. La réserve est de droit.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant les articles de la proposition de loi constitutionnelle dans le texte dont l’Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n’a pas adopté de texte.

Article 1er

M. le président. Je vous rappelle qu’à la demande du Gouvernement, les votes ont été réservés.

(Le vote sur l’article 1er est réservé.)

Article 2

(Le vote sur l’article 2 est réservé.)

Article 3

(Le vote sur l’article 3 est réservé.)

Article 4

(Le vote sur l’article 4 est réservé.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Noël Mamère, rapporteur. Monsieur le président, votre embarras montre à quel point nous sommes dans une situation contradictoire.

Je parlais tout à l’heure de faux-semblants. M. le garde des sceaux a excipé de l’article 96 du règlement pour bloquer toute discussion. Vous appelez maintenant chacun des articles soumis à la discussion, cela ne va pas du tout : on nous incite à discuter d’articles sur lesquels sur lesquels nous ne pouvons pas voter, puisque le Gouvernement a demandé un vote bloqué et que le vote solennel est prévu mardi prochain.

M. Bernard Roman. Comme d’habitude !

M. Noël Mamère, rapporteur. Pour reprendre l’expression que vous avez utilisée à l’instant, monsieur le garde des sceaux, arrêtez de nous faire prendre des vessies pour des lanternes en nous faisant croire qu’il y a un débat sur cette proposition de loi alors même que vous vous êtes attaché à supprimer toute discussion !

M. Bernard Roman. À bâillonner l’opposition !

M. Noël Mamère, rapporteur. J’aurais été très content, monsieur Urvoas, ainsi que mes collègues Europe Ecologie les Verts, qui siègent sur les bancs de cette assemblée, de discuter des articles et de les améliorer grâce à des amendements, ce qui est un droit imprescriptible reconnu à chaque député.

Je conclus provisoirement, monsieur le garde des sceaux, que vous ne voulez aucune discussion, que l’amélioration du statut du Président de la République ne vous intéresse pas ou qu’à rebours, vous préférez continuer de le laisser dans l’impunité et l’irresponsabilité.

Nous examinons des articles sans pouvoir procéder à un véritable examen : autrement dit, nous sommes dans une situation virtuelle que l’on pourrait considérer comme « politiquement hors sol ». Mais je voudrais tout de même revenir aux propos tenus sur cette contradiction du statut du Président de la République, qu’a très bien soulignée M. Urvoas : le Président de la République peut attaquer quelqu’un en diffamation, mais, lorsqu’il s’agit de l’attaquer au civil ou au pénal pour des actes antérieurs à sa prise de fonction ou détachables de celle-ci, c’est : circulez, il n’y a rien à voir… Cette situation est inacceptable. Chacun d’entre nous – je ne remets aucunement en cause votre esprit républicain, monsieur le garde des sceaux – devrait s’accorder à rectifier pour qu’il y ait effectivement un sentiment d’égalité devant la loi.

Sincèrement, je ne pense pas que l’on fragilise le statut du Président de la République en remettant en cause l’inviolabilité temporaire, puisque tout cela est encadré par un certain nombre de règles. Ne nous faites pas dire ce que nous n’avons pas proposé. Nous n’avons jamais envisagé de fragiliser le Président de la République : nous laissons perdurer un certain nombre d’éléments, qui permettent d’assurer la continuité républicaine et de garantir, pour des actes totalement liés à sa fonction, la protection du Président de la République.

Un de vos prédécesseurs, M. Perben, a fait voter un certain nombre de lois : loi Perben I, loi Perben II, qui ont rendue l’immunité des parlementaires totalement virtuelle. Je peux en parler d’expérience : je me souviens d’avoir été l’objet d’un procès, que je demandais ; mais l’Assemblée nationale ne m’a pas du tout protégé par une immunité qui n’existait plus, puisque la loi Perben I et la loi Perben II ont réduit à néant l’immunité qui nous protégeait jadis. De ce point de vue, je ne suis pas de ceux qui pensent qu’un parlementaire ne doit pas bénéficier d’une immunité ; encore faut-il en définir le périmètre et les causes. C’est cela qu’il faut revoir. Ce sera sans doute l’objet de nouvelles propositions de loi que nous aurons bientôt l’occasion de déposer.

Enfin, je recommande vivement à notre collègue Dosière de revenir dans quelques instants afin de commenter la proposition de loi de notre collègue François de Rugy, puisque ses propos s’adressaient plutôt à celle-ci plus qu’à notre texte, puisque notre proposition de loi constitutionnelle ne traitait nullement de la transparence de la vie publique et du patrimoine, mais du statut civil et pénal du chef de l’État. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur Mamère, le Gouvernement n’a en rien empêché la discussion sur les articles ni le dépôt des amendements : j’ai simplement demandé la réserve des votes. Vous pouviez parfaitement discuter sur tous les articles. Le Gouvernement est pour cela à votre disposition.

M. le président. Monsieur le rapporteur, je vous rappelle que la commission n’a pas adopté le texte de la proposition de loi constitutionnelle et qu’aucun amendement n’a été déposé.

Application de l’article 44, alinéa 3, de la Constitution

M. le président. La parole est à le M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur le président, en application de l’article 44, alinéa 3 de la Constitution, le Gouvernement demande à l’Assemblée de se prononcer par un seul vote sur les articles et sur l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle.

M. le président. Il en est pris acte.

Mes chers collègues, nous avons terminé l’examen de la proposition de loi constitutionnelle.

Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l’ensemble de la proposition, auront lieu le mardi 6 décembre, après le débat préalable au Conseil européen.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à douze heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Transparence de la vie publique et prévention des conflits d'intérêts

Discussion d'une proposition de loi organique et d'une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique et de la proposition de loi de M. François de Rugy et plusieurs de ses collègues relatives à la transparence de la vie publique et à la prévention des conflits d’intérêts (n°s 3838, 3866, 3997, 3998).

La Conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.

La parole est à M. François de Rugy, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. François de Rugy, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre de la fonction publique, mes chers collègues, un sondage récent indique que 72 % des Français jugent les élus et les dirigeants politiques «plutôt corrompus», et 19% les considèrent «plutôt honnêtes». Ce pourcentage constitue le plus fort taux jamais enregistré dans les enquêtes d’opinion depuis 1977. Ce jugement n'est pas seulement terriblement injuste pour les élus ; il est délétère pour toute action publique, au moment même où la crise nous ramène à l'essentiel, c'est-à-dire à la nécessité de la confiance entre gouvernants et citoyens, pour adopter de nouvelles politiques courageuses.

Quel que soit le banc sur lequel nous siégeons dans cet hémicycle, il nous faut réagir à cette défiance, à cette crise de confiance. Il nous faut agir car cette défiance a un terreau : le sentiment d’impuissance, que nos concitoyens ressentent et expriment, de nos élus face à la crise économique et sociale. Cette défiance trouve en internet un accélérateur puissant, qui permet la diffusion rapide et à grande échelle de rumeurs parfois totalement infondées. Mais elle a aussi un combustible : l'opacité, le sentiment donné d'impunité des responsables pris en défaut, le contournement des règles, parfois organisé et ouvertement toléré.

Si les facteurs généraux de défiance nous dépassent largement, il en est un sur lequel nous pouvons agir, c'est celui de la transparence de la vie publique.

« République irréprochable», …

M. Yves Cochet. Hum !

M. François de Rugy, rapporteur. …création par le Président de la République d'une commission pour la réflexion sur les conflits d'intérêts dans la vie publique : oui, on parle de la transparence, on s'y réfère, on s’en réclame. Mais dans les faits, rien ne se passe. Le projet de loi sur les conflits d'intérêts présenté récemment en Conseil des ministres, ne sera, selon toute vraisemblance, pas voté avant la fin de la législature, si toutefois il est inscrit à l’ordre du jour.

M. Bernard Roman. C’est fait exprès !

M. François de Rugy, rapporteur. C'est précisément ce hiatus entre la parole politique et les actes qui nourrit la défiance et le rejet de nos concitoyens. En déposant ces deux propositions de loi, nous offrons l'occasion de passer enfin à l'action : saisissons-là, car la démocratie est fragile et doit être concrètement et sans cesse renforcée.

Je voudrais faire une remarque liminaire sur la transparence et son principe même, en écho aux débats que nous avons eus en commission des lois. Des débats qui ont vu fleurir des objections souvent très surprenantes. On a, par exemple, entendu que promouvoir la transparence serait précisément instaurer le doute quant à la probité des responsables publics. L'un de nos collègues a illustré cette assertion de manière triviale en commission : « Qui se sent morveux se mouche… » Cette thèse confond le remède et le mal.

La recherche d'une plus grande transparence n'est pas le signe d'une démarche populiste, bien au contraire : elle en constitue la plus puissante et le plus efficace antidote dès lors qu'il n'y a rien à cacher !

On nous a mis en garde contre l'excès de transparence qui conduirait au voyeurisme. Rappelons que pour le patrimoine, la transparence est déjà effective par le biais des déclarations d’intérêts, qui sont publiques, des commissaires et des parlementaires européens, mais aussi des ministres français, depuis une instruction du Premier ministre du 16 mars dernier. Il est vrai que c’est récent. Je n'ai pas alors entendu les députés de la majorité s’en offusquer et parler de voyeurisme.

On nous a dit aussi : « Attention, la recherche de transparence, c'est une quête sans fin ». Pour ma part, j’ai fait la transparence sur les revenus, l’indemnité représentative de frais de mandat, les moyens de fonctionnement, l’utilisation du crédit collaborateurs, la réserve parlementaire. D’autres députés l’ont fait – peu nombreux, il faut bien le dire. Croyez-en mon expérience : nos concitoyens n'y trouvent pas à redire, bien au contraire. Les questions qu'ils se posaient en silence, ils les expriment au grand jour, ce qui offre au moins l'occasion d'y répondre tranquillement et sereinement. Je préfère y répondre plutôt que l'on s'imagine que je puise dans les crédits de fonctionnement parlementaire pour des dépenses personnelles, de joaillerie ou d’horlogerie par exemple…

M. Yves Cochet. À qui fait-il donc allusion ?

M. François de Rugy, rapporteur. La transparence n'est pas une fin en soi, mais un moyen pour rétablir la confiance. Au moins, la discussion en commission a-t-elle permis de dégager un consensus sur un point : chacun reconnaît que notre législation sur la transparence comporte des lacunes importantes.

Premier exemple : le quatrième parti bénéficiaire de la seconde fraction du financement public dédié aux partis politiques est Fetia Api. Cela doit vous dire quelque chose, monsieur le ministre… (Sourires.)

M. Bernard Roman. Ah ! La Polynésie ! Papeete ! Tahiti !

M. François de Rugy, rapporteur. Ce nom n'évoque rien pour l'écrasante majorité de nos concitoyens, qui participent aux élections et connaissent les noms des partis, l’UMP, le parti socialiste, Europe Écologie-Les Verts, le Nouveau Centre – peut-être moins connu ; en tout cas, ils doivent commencer à le connaître…(Sourires.)

Le Fetia Api est un petit parti polynésien qui a recueilli aux dernières élections législatives 1 021 voix – score assez modeste, même pour la Polynésie – et qui perçoit 1,4 million d'euros par an de la part de l'État. Plus d'une trentaine de parlementaires – métropolitains, évidemment – s'y sont rattachés afin que ce parti puisse ensuite reverser à la formation politique métropolitaine à laquelle ils appartiennent les sommes qu'il perçoit de l'État et que les règles applicables en métropole ne leur permettraient pas de percevoir.

M. Yves Cochet. Quel scandale !

M. François de Rugy, rapporteur. Cette situation a été jugée légale…

M. Jean-Pierre Nicolas. Eh oui !

M. François de Rugy, rapporteur. …mais elle constitue clairement un détournement de la loi sur le financement public des partis.

J’en viens à mon deuxième exemple : un couple fortuné peut financer pratiquement l'intégralité de la campagne d'un candidat aux élections législatives. C’est un sujet important, à l’approche des prochaines échéances électorales ; certains de nos collègues ont peut-être déjà collecté des dons et engagé des dépenses dans cette perspective.

Vous savez certainement que les dons des particuliers à un candidat sont plafonnés à 4 600 euros, soit 9 200 euros pour un couple. Il faut y ajouter, potentiellement, deux fois 7 500 euros – somme qui correspond au plafond de dons annuels à un parti politique – qui peuvent être versés au micro-parti du candidat, avec les avantages fiscaux qui s’y attachent. Ce même couple peut encore verser deux fois 7 500 au parti du candidat, lequel pourra financer la campagne électorale de celui-ci. Au total, vous pouvez faire le calcul avec moi, ce couple peut donc donner près de 40 000 euros à un seul candidat, ce qui représente la moitié du montant du plafond moyen de dépenses pour une élection législative, qui se situe aux alentours de 70 000 euros.

Il faut savoir que ces plafonds de don avaient été instaurés pour s'assurer précisément qu'une personne fortunée ne puisse pas avoir une influence déterminante sur un élu. On peut même considérer que de telles pratiques constituent en réalité une rupture d’égalité des citoyens devant le suffrage universel. Et je ne parle pas du fait que les montants évoqués ne prennent pas en compte les cotisations que les particuliers peuvent verser à un parti, lesquelles sont absolument sans limite.

Le premier cercle cher à l’UMP et à son ancien trésorier, Éric Woerth, n’a pas été créé pour rien. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Yves Cochet. Ses membres ne paient même pas d’impôt !

M. François de Rugy. Troisième exemple : savez-vous sur combien de poursuites judiciaires ont débouché les contrôles de la Commission pour la transparence financière de la vie politique depuis sa création, il y a vingt-trois ans ?

M. Bernard Roman. Zéro !

M. François de Rugy. Aucune en effet, alors même que les dossiers sur lesquels elle a dû statuer étaient assez fournis. En réalité, le contrôle qu’elle exerce n’a pas d’effet dissuasif, alors que la peur de la sanction est normalement un moyen de dissuasion.

Dernier exemple : personne n'est en mesure de dire comment est utilisée précisément la réserve parlementaire. Son montant serait pourtant, d’après les calculs, supérieur à 100 millions d'euros. Nous proposons qu’elle fasse l’objet d’une totale transparence.

Les propositions que nous vous présentons visent à en finir avec plusieurs de ces détournements de la loi et plusieurs de ses lacunes. Nous proposons d'imposer à tous les responsables publics de faire chaque année des déclarations portant sur les revenus perçus au titre de leurs mandats ainsi que, pour les parlementaires, sur l'utilisation des moyens de fonctionnement qui leur sont alloués – ce qui est tout à fait normal – et de les rendre publiques. Cela permettra par la même occasion d’y voir plus clair en cas de cumul des mandats. Vous savez que, pour notre part, nous sommes favorables à ce qu’une loi y mette fin. En attendant, nous considérons qu’une plus grande transparence permettrait de mettre en évidence les situations d’inégalité qu’ils créent entre les élus.

En deuxième lieu, les propositions de loi complètent le dispositif existant en matière de prévention des conflits d'intérêts. En la matière, nous avons retenu les propositions formulées par la commission Sauvé, il y a plus d’un an. Elles ont donné lieu à un projet de loi qui, lui, n’a pas repris la totalité de ces conclusions.

M. François Sauvadet, ministre. Il en a repris l’essentiel !

M. François de Rugy. Nous considérons qu’elles contribueraient à assainir les relations entre les citoyens et leurs élus.

Il s’agirait d’obliger les élus à déclarer leurs intérêts et leur patrimoine, lequel, nous le savons, est un élément d’intérêt non négligeable pour de nombreuses personnalités politiques.

Nous proposons également de rendre obligatoire la séparation de la gestion des actifs, lorsqu’ils sont importants, pour les ministres et les principaux membres de leur cabinet – certains l’ont déjà fait de leur propre chef.

Nous proposons la mise en place d’un déontologue que tout élu pourrait consulter, à chaque échelon de la représentation politique, et la création d’une autorité de la déontologie de la vie publique.

Pour conclure, je citerai une phrase récente de Pierre Rosanvallon : « Si on ne comprend pas que la morale publique, ce n'est pas simplement respecter la légalité, on ne comprend pas l'essentiel. Cette morale implique d'être au-dessus de tout soupçon. La qualité attendue d'une personnalité politique n'est pas qu'elle ne soit pas pénalement coupable d'une malversation, c'est qu'elle soit au-dessus de tout soupçon. […] On ne peut pas prétendre incarner l'intérêt général si on ne se détache pas lisiblement pour tous les citoyens des intérêts particuliers. »

Pour lever les soupçons, il faut passer à l’action et mettre en œuvre une réelle transparence.

Il y a tout juste un an, je défendais devant cette même assemblée une proposition de loi organique visant à mettre en œuvre la réforme de l’article 11 de la Constitution, relatif au référendum citoyen. À l’époque, le ministre nous avait répondu : « N'ayez crainte, nous avons un projet de loi en préparation ».

M. Bernard Roman. N’allez pas répondre la même chose aujourd’hui, monsieur le ministre !

M. François de Rugy, rapporteur. Ce projet de loi a été présenté en conseil des ministres le 22 décembre 2010. Il n’est toujours pas inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée et si jamais il l’est, nous savons bien qu’il ne pourra être adopté avant la fin de la législature alors qu’il doit mettre en œuvre une réforme adoptée en juillet 2008. Ne perpétuons cette pratique détestable qui participe de la dévaluation de la parole politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Yves Cochet, Mme Anny Poursinoff et M. Noël Mamère. Très bien !

M. le président. La parole est à M. François Sauvadet, ministre de la fonction publique.

M. François Sauvadet, ministre de la fonction publique. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, il y a une conviction que nous avons en partage : la démocratie ne saurait fonctionner sans une totale transparence des conditions dans lesquelles chacun est appelé à exercer ses responsabilités.

En soumettant aujourd'hui à votre assemblée ces deux propositions de loi concernant les moyens juridiques d'assurer cette transparence, monsieur de Rugy, vous nous permettez aujourd'hui d’ouvrir un débat et de dresser un inventaire du droit applicable ainsi que des pistes à suivre pour son amélioration. Le Gouvernement s'est engagé de manière volontariste dans cette voie de la transparence.

Je rappellerai d’abord que nous ne partons pas d’une page blanche. Le droit applicable a considérablement évolué au cours des vingt-cinq dernières années. Je veux rappeler les lois du 11 mars 1988 et du 19 janvier 1995, qui ont permis d'accroître de manière considérable la transparence et 1'encadrement juridique de notre vie politique. Ces textes ont ainsi consacré les grands principes qui régissent aujourd'hui le financement par l'État des partis politiques, conformément à l'article 4 de la Constitution, article qui, dans son troisième alinéa, issu de la révision constitutionnelle de 2008, confère désormais à la loi le soin de garantir les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la nation.

M. Jean-Pierre Nicolas. Absolument !

M. François Sauvadet, ministre. Ces deux textes ont également permis de fixer des règles précises en ce qui concerne le financement de la vie politique par des personnes privées.

Si ces grandes lois ont pu voir le jour, c'est qu'elles ont été discutées dans un esprit transpartisan, en toute responsabilité, et, c’est aussi, je veux insister sur ce point, parce qu'elles ont été adoptées dans un esprit permanent de recherche du consensus.

M. Yves Cochet. Elles sont insuffisantes !

M. François Sauvadet, ministre. J'observe simplement une chose, monsieur le rapporteur : depuis désormais plusieurs mois, vous semblez vouloir faire du financement de la vie politique l'un des classiques des séances dont l’ordre du jour est réservé aux groupes de l'opposition.

M. François Rochebloine. Eh oui !

M. François de Rugy. C’est un vrai problème !

M. François Sauvadet, ministre. Le groupe socialiste a en effet présenté une proposition de loi portant renforcement des exigences de transparence financière de la vie politique, une proposition de loi constitutionnelle ainsi qu'une proposition de loi pour une République qualifiée de « décente ». Vous avez vous-même déposé une proposition tendant à la création d'une commission d'enquête relative au financement des partis politiques, le 7 juillet 2010. Et ce sont donc deux nouveaux textes, une proposition de loi organique et une proposition de loi, toutes deux relatives à la transparence de la vie publique et à la prévention des conflits d'intérêt, que vous soumettez aujourd'hui à l'Assemblée nationale.

Je veux revenir sur le débat qui a eu lieu il y a à peine quelques mois devant le Parlement, qui a débouché sur l'adoption des lois du 14 avril 2011. Sans en faire une présentation exhaustive, je rappellerai que ces lois nous ont permis d'actualiser de nombreuses dispositions tant de notre code électoral que de la loi du 11 mars 1988.

Je veux citer les avancées importantes qu’elles comportent.

Il n'y avait pas de compte de campagne pour les sénateurs ; désormais, c’est le cas. C’est grâce à la loi votée par le Parlement, à l’initiative du Gouvernement, que nous avons pu progresser.

La modernisation du régime de la bonne foi dans la présentation et l’examen des comptes des candidats, autant de dispositions introduites par ces textes, qui apportent une dimension nouvelle et contribuent à la transparence.

Ces textes ont également inscrit dans notre droit la désignation d'un mandataire financier comme formalité préalable à tout dépôt de candidature, la mise en place d'un droit au compte bancaire, un régime d'inéligibilité pouvant aller jusqu'à trois ans et s'appliquant pour tous les mandats en cas de manquement, la création enfin d'une nouvelle incrimination à l’encontre des personnes assujetties à l'obligation de dépôt de déclaration de situation patrimoniale auprès de la Commission pour la transparence financière de la vie politique, lorsqu’elles se rendent coupables de déclaration volontairement partielle ou mensongère. Tous ces dispositifs ont permis de renforcer les règles de transparence.

À cette occasion, les questions relatives au plafonnement des dons aux partis politiques et aux candidats, le régime d'aide publique aux partis et mouvements politiques ainsi que le régime des déclarations de patrimoine ont été largement débattus dans votre assemblée.

Ces mesures ont fait l'objet de longues discussions en commission comme en séance publique – je veux à cet égard saluer le travail conjoint du rapporteur Charles de la Verpillière et du président de votre commission des lois, Jean-Luc Warsmann. Le Sénat a ensuite enrichi ces textes des conclusions de son propre groupe travail transpartisan – j’insiste sur ce point – sur l'encadrement juridique des campagnes électorales.

Ces lois sont d'adoption récente. Leurs dispositions seront mises en oeuvre à l'occasion des prochaines élections, présidentielles et législatives en 2012 et sénatoriales en 2014.

M. Yves Cochet. Elles sont insuffisantes !

M. François Sauvadet, ministre. Il est donc trop tôt aujourd'hui pour faire un bilan circonstancié et objectif de ces avancées législatives alors même qu’elles n’ont pas encore trouvé à s’appliquer. Le Gouvernement donnera par conséquent un avis défavorable à toutes les dispositions de vos propositions de loi, dont nous avons longuement débattu par ailleurs.

Au-delà des dispositions touchant au financement de la vie politique, ces deux propositions de loi portent également sur les questions de déontologie et de prévention des conflits d'intérêt dans la vie publique. Ces sujets correspondent, nous le savons, à une aspiration constante de nos citoyens qui veulent légitimement être en mesure de placer une confiance totale tant dans leurs institutions que dans leurs administrations et dans leur justice ainsi que dans les hommes et les femmes qui y contribuent.

M. Yves Cochet. Et dans les éleveurs de chevaux ?

M. François Sauvadet, ministre. Fort de cette conviction, le Président de la République avait confié dès septembre 2010 à une commission de réflexion présidée par le vice-président du Conseil d'État, Jean-Marc Sauvé, la mission de déterminer des règles susceptibles de mieux prévenir les conflits d'intérêts dans la vie publique.

M. Yves Cochet. Ils existent bel et bien !

M. François Sauvadet, ministre. Dans son rapport, la commission a constaté que la France disposait en la matière d'un arsenal juridique important dans son volet répressif. En revanche, elle a montré que la prévention, la transparence et la sensibilisation aux conflits d'intérêt demeuraient insuffisamment développées dans notre pays.

À la demande du Président de la République et du Premier ministre, j'ai présenté en conseil des ministres, au mois de septembre, un projet de loi qui s'inscrit dans le prolongement du rapport de la commission. Vous avez dit qu’il ne reprenait pas l’essentiel de ses conclusions…

M. François de Rugy. Pas la totalité !

M. François Sauvadet, ministre. Je vous remercie de cette précision, car il en reprend bien l’essentiel, dans une logique assumée par le Gouvernement.

M. Jean-Pierre Nicolas. C’est très important !

M. François Sauvadet, ministre. Le Gouvernement veut prévenir. Notre logique est celle de la responsabilisation individuelle : nous voulons que chacun soit éclairé sur l’exercice de ses fonctions. Ce projet de loi propose ainsi de fixer les principes et les règles de portée générale de nature à garantir que les responsables publics agissent au service de l’intérêt général et non de leurs intérêts propres, et ce sous la coordination et la supervision d’une autorité indépendante qui soit à même d’en contrôler l’application.

Il instaure par ailleurs des obligations nouvelles d’information et de comportement permettant aux autorités administratives et aux responsables publics de prévenir les risques de conflits d’intérêts. Ce sont notamment – vous n’y avez pas fait allusion, me semble-t-il – les déclarations d’intérêts et les règles de déport : lorsqu’on a constaté qu’il pouvait y avoir conflit, la personne concernée se met hors de la situation qui pourrait la placer face à un conflit d’intérêts. Ce sera, je crois, une avancée pour prévenir les risques et aussi, permettez-moi de vous le dire, pour sortir de ce climat de suspicion permanente sur de pseudo-conflits d’intérêts non avérés, ou en tout cas dont les contours n’ont jamais été clairement définis.

Ce projet de loi consacre les principes fondamentaux qui doivent aux yeux du Gouvernement guider l’action des responsables publics. Je pense notamment à l’obligation de probité et à celle d’impartialité.

S’agissant des mesures individuelles, le projet de loi instaure, je l’ai dit, un mécanisme de déport, ce qui conduit une personne à s’éloigner du traitement d’une affaire lorsqu’elle estime que son impartialité serait susceptible d’être mise en cause par les tiers. C’est là encore une avancée considérable, et directement inspirée du rapport Sauvé dont vous avez fait état.

Le projet de loi institue également une déclaration d’intérêts obligatoire lors de la prise de fonctions de certains responsables publics, tels que les membres du Gouvernement et les membres des cabinets ministériels, ou encore les titulaires des emplois les plus importants de la fonction publique. Cela concerne plus de 4 500 hauts responsables. Je précise, pour que le débat soit très clair, qu’il ne s’agit pas seulement d’une déclaration de patrimoine : c’est une déclaration de tous les éléments pertinents, par exemple les placements financiers.

M. François Rochebloine. Eh oui !

M. François Sauvadet, ministre. Je vous rappelle d’ailleurs que le Premier ministre a envoyé à l’ensemble des membres du Gouvernement une circulaire suivant laquelle tous ceux qui disposent d’un patrimoine doivent en confier la gestion à un tiers, afin qu’il n’y ait aucune suspicion. Cette circulaire s’applique d’ores et déjà : nous n’avons donc pas attendu la loi. La déclaration d’intérêts a été mise en ligne sur le site du Gouvernement et chacun peut consulter l’état de la situation d’intérêts de tout ministre du Gouvernement de la France.

C’est dans ce contexte que nous devons aborder le débat que vous nous suggérez : nous ne sommes pas face à une page blanche ; le Gouvernement n’est pas resté inactif face à une certaine suspicion vis-à-vis des élus : ce sentiment, c’est vrai, existe dans notre pays, et il est d’ailleurs nourri par certains…

M. François Rochebloine. En effet !

M. François Sauvadet, ministre. …qui y trouvent des moyens de s’opposer, quand ce devrait être plutôt l’occasion de nous accorder pour participer au bon exercice d’une démocratie vivante.

M. Dominique Le Mèner. Ce n’est pas faux !

M. François Sauvadet, ministre. Enfin, nous créerons une Autorité de la déontologie de la vie publique précisément chargée de conseiller, à leur demande, les personnes qui s’interrogeraient sur leur situation, leur travail, leurs fonctions. Je note d’ailleurs que vos deux propositions de loi reprennent cette idée, monsieur le rapporteur.

Cette autorité assurera les missions aujourd’hui dévolues aux commissions de déontologie – car, je veux le rappeler, il en existe déjà deux, l’une pour à la fonction publique civile, l’autre pour les militaires ; elles traitent les questions de départ vers le secteur privé ou de cumul d’activités.

Ce texte traduit donc bien la volonté du Gouvernement de prévenir les risques de conflits d’intérêts et de promouvoir un État exemplaire, permettant aux responsables publics de mieux articuler l’éthique individuelle et l’éthique collective dans l’exercice des responsabilités dont ils ont reçu la charge.

Le projet de loi que j’ai présenté le 27 juillet fixe un cadre commun de la déontologie de la vie publique dans la sphère exécutive, et a un champ plus large et plus cohérent que les dispositions contenues dans les deux propositions de loi qui nous sont soumises aujourd’hui. Il contient certaines dispositions que vous avez reprises : l’obligation de déclaration d’intérêts pour les personnes exerçant les fonctions les plus importantes, l’obligation de déport ou la mise en place d’une Autorité de la déontologie de la vie publique.

Je veux aussi saluer les initiatives prises par le Parlement parallèlement à ce projet de loi. Le Sénat a pris un certain nombre de dispositions visant à prévenir les conflits d’intérêts ; il a mis en place dès novembre 2009 un comité de déontologie, et votre assemblée s’est dotée au mois de juin dernier d’un déontologue.

Mesdames et messieurs les députés, je souhaite que le projet de loi que j’ai présenté il y a quelques mois, qui a été déposé sur le bureau de votre assemblée, et qui a fait l’objet d’une vaste concertation avec chacun d’entre vous, puisse être examiné. Dans l’attente de ce débat, le Gouvernement donnera un avis défavorable sur les deux propositions de loi qui vous sont soumises aujourd’hui.

M. Yves Cochet. C’est dommage !

M. François Sauvadet, ministre. Vous êtes dans une situation un peu paradoxale, je vous le dis comme je le pense : vous regrettez la suspicion que nourrit la population à l’égard des responsables publics, mais en même temps vous donnez l’impression, par ces dépôts successifs de propositions de loi, que finalement tout resterait à faire !

En tout cas, le Gouvernement assume avec beaucoup de fermeté sa volonté de travailler à construire un État exemplaire ; il le fait avec le concours du Parlement, car cet objectif nous est commun. C’est un bien précieux, la confiance ; la solliciter, c’est exigeant, et il faut pour cela beaucoup de responsabilité. Au cours des cinq dernières années, tous les dispositifs législatifs ont beaucoup progressé, que ce soit à l’initiative du Gouvernement ou des parlementaires.

Je souhaite qu’au moins ce débat puisse permettre de rappeler à chacun de nos compatriotes que nous disposons désormais d’un cadre juridique qui leur permet d’être rassurés sur le bon exercice de la démocratie et de la responsabilité qui nous est confiée par la volonté du peuple. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Bernard Roman. On peut mieux faire, quand même !

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, selon nous, la République se doit d’être exemplaire et impartiale. Elle ne confond pas l’argent public et l’argent privé ; elle ne se fait pas au profit de quelques-uns ni aux dépens du plus grand nombre. Dans notre République, la loi doit être la même pour tous et l’égalité doit être réelle.

Par le contrôle des élus du peuple, l’exercice d’un mandat doit devenir exemplaire en matière de transparence financière. Avec ces deux propositions de loi, nous vous proposons une refondation écologiste de nos institutions et de nos valeurs, ce qui se traduit par plusieurs avancées.

Pour commencer, nous voulons empêcher le détournement de la législation relative au financement des partis politiques, notamment outre-mer – M. le rapporteur y a fait allusion. En cas de déclaration de patrimoine sciemment frauduleuse, des sanctions doivent être instaurées. Les dons des personnes physiques aux partis politiques doivent être plafonnés.

J’ai pris connaissance, ne participant pas moi-même à la commission des lois, des débats qui s’y sont déroulés. J’ai été étonné de la redondance de certains arguments opposés à nos propositions : comme l’a dit M. le rapporteur, beaucoup mettaient ainsi en garde contre la tentation du totalitarisme et du voyeurisme ! « Ceux qui entretiennent la suspicion à l’égard des élus, systématiquement présentés comme des corrompus, les trouveront de toute manière insuffisantes », a-t-on entendu. Comme si les dispositions actuelles étaient parfaites ! Vous sembliez d’ailleurs vouloir nous le démontrer, monsieur le ministre. Je ne vois là que de la mauvaise foi, voire du déni.

M. François Sauvadet, ministre. Oh !

M. Yves Cochet. En effet, si l’on suivait cette logique, il ne faudrait plus rien faire, pour ne pas éveiller la défiance. Nos concitoyens pourraient au contraire penser que s’il y a une telle réticence vis-à-vis de la transparence, c’est parce que les parlementaires n’assument pas leur situation privilégiée !

M. François Rochebloine. Quels privilèges ?

M. Yves Cochet. On nous a également rétorqué que nos propositions étaient trop précises, et par là même faillibles. Nous sommes bien sûr preneurs d’amendements visant à rectifier certains interstices qui vous sembleraient néfastes.

Mais les textes que nous vous soumettons ne font pas pour autant de nous des chevaliers blancs : nous ne sommes pas génétiquement différents des autres parlementaires, ni d’ailleurs de tous nos concitoyens. Nous n’avons pas la prétention d’être omniscients et de régler tous les problèmes : ce que nous proposons, c’est un pas en avant, pour accompagner, d’ailleurs, ce que vous avez décrit, monsieur le ministre ; c’est une démarche veut servir d’exemple, d’amorce, de nouvelle avancée vers la transparence.

La plupart du temps, les questions que nous mettons sur le tapis sont justement laissées en dessous du tapis. Nos solutions sont simples et pourraient s’appliquer immédiatement.

Ainsi, qui oserait déclarer qu’il est favorable à l’opacité et à l’impunité ? Personne. Il faut donc continuer à améliorer la transparence, et prévoir une échelle de sanctions dissuasives. Ces propositions de loi nous mettent en cohérence avec le principe d’exemplarité, et corrigent des abus installés depuis trop longtemps.

Nous sommes, comme sans doute l’ensemble des députés présents ici, des républicains et des enfants de la Révolution française. Ce genre de combat ne doit donc pas nous effrayer.

Ainsi, pour assurer la transparence sur le patrimoine des élus, nous proposons à tous les candidats d’exposer publiquement, en temps réel, toutes leurs dépenses de campagne, afin de redonner confiance aux citoyens. Tout élu mis en examen pour un délit financier devrait immédiatement, c’est une évidence, se mettre en congé de ses mandats.

Aujourd’hui, les déclarations de patrimoine existent, mais elles sont tenues secrètes : c’est tout de même curieux. En assurant la transparence, nous pourrions savoir beaucoup plus tôt et plus simplement si tel ou tel responsable politique dispose, par exemple, d’un logement social alors qu’il est par ailleurs propriétaire de biens immobiliers – je ne cite pas de noms, mais il arrive que la presse se fasse l’écho de certaines histoires… C’est ainsi que l’on pourrait savoir si quelques élus disposent de comptes bancaires dans les paradis fiscaux, ou des participations dans des compagnies privées, avec des conflits d’intérêts potentiels.

Des informations déformées, fantaisistes et malveillantes, circulent déjà dans différents médias qui voudraient attiser l’antiparlementarisme.

M. François Rochebloine. Eh oui !

M. Yves Cochet. Évidemment, ce n’est pas notre propos.

M. Jean-Pierre Schosteck. Vraiment ?

M. Yves Cochet. Le seul antidote à cette désinformation serait une déclaration annuelle de revenus et de patrimoine, afin de répondre à un questionnement légitime de nos compatriotes.

Notre République a une tradition incongrue : celle de la réserve parlementaire. Chaque année, comme vous le savez tous, chaque député se voit allouer une certaine somme par la commission des finances, à charge pour lui de la redistribuer à qui peut être subventionné par l’État, afin de financer des projets d’investissements de toutes sortes.

M. Jean-Pierre Schosteck. C’est ridicule !

M. François Rochebloine. Et pour redistribuer, vous êtes champions !

M. Yves Cochet. Laissez-moi terminer mon propos et vous allez comprendre !

Chers collègues de l’UMP, dites-moi le montant de la réserve parlementaire que vous avez reçue cette année, et je vous dirai la mienne ! Nous comparerons, et nous verrons qu’il n’y a pas d’égalité !

M. Noël Mamère et Mme Anny Poursinoff. Très bien !

M. Yves Cochet. Nous proposons au minimum l’égalité, sinon la transparence, c’est-à-dire que tout le monde sache qui a reçu combien, et ce qu’il en fait. Ce serait tout de même la meilleure des choses.

M. Jean-Pierre Schosteck. On sait bien que cela va vers les communes !

M. Bernard Roman. Non, on ne sait pas ! Et c’est vrai qu’on voudrait bien savoir !

M. Yves Cochet. Vous parlez des communes, mais ces fonds peuvent aller vers d’autres investissements.

Cette inéquité, alliée à l’opacité, risque d’accroître certaines dérives clientélistes. Notre proposition de loi ne propose pas de supprimer le système de la réserve parlementaire, mais de la rendre équitable, égalitaire et publique.

Nous sommes à vrai dire un certain nombre – je pense notamment à ma collègue Anny Poursinoff – à nous interroger sur l’existence même de la réserve parlementaire. À mon avis, sa survie est liée à celle du mode de scrutin uninominal à deux tours, voire au cumul des mandats : évidemment, en tant que parlementaire, on a un peu d’argent supplémentaire, et on arrose ! C’est du clientélisme !

M. François Rochebloine. C’est parfait pour financer des associations, n’est-ce pas ? Pour ça, vous êtes champions !

M. Yves Cochet. Je ne suis donc pas certain qu’il faille la conserver, mais après discussion au sein de notre groupe, nous avons décidé de la rendre égalitaire et publique. Ce serait le premier pas ; mon sentiment, c’est qu’il faudra aller plus loin et la supprimer tout à fait.

Je n’ai pas fait de recherches historiques précises, mais je ne serais pas étonné que cela remonte à l’ancien régime, au temps des fermiers généraux, qui versaient au roi l’argent que celui-ci voulait, mais qui avaient le droit de garder pour eux le reste de ce qu’ils arrivaient à récolter !

M. Jean-Pierre Schosteck. C’est ridicule !

M. Yves Cochet. Je crois que ce n’est vraiment pas de bonne méthode ; mais enfin il y a, y compris entre nous, débat sur ce point.

Je continue mon propos. Monsieur le rapporteur en a très bien parlé : les micro-partis posent problème. Je vais évidemment donner quelques exemples qui, pour être amusants, n’en sont pas moins scandaleux. Cette question a été notamment révélée, on s’en souvient bien, par l’affaire Woerth.

En 1990, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques recensait vingt-huit partis politiques. C’était il y a vingt ans ; en 2004, elle en comptait 255 ! Évidemment, personne ne les connaît. Qui sait que M. Fillon, Premier ministre, a créé un parti qui s’appelle France 9 ? Qui sait que Christian Estrosi a lancé l’Alliance Méditerranée-Alpes ? Qui sait que Michèle Alliot-Marie – dont on connaît les vicissitudes par ailleurs – s’appuie sur une association qui s’appelle Le Chêne ? Qui sait que Laurent Wauquiez a créé un groupe nommé Nouvel Oxygène ?

M. Jean-Pierre Schosteck. C’est indécent ! Misérable !

M. Yves Cochet. Ah, mais moi, je n’ai pas créé de micro-parti, vous pouvez vérifier ! Je ne continue pas toute la liste, mais je citerai encore Jean-François Copé, patron de votre parti – il est à la fois patron de votre parti, maire et député : comment fait-il ? C’est sans doute un super-homme !

Eh bien, Jean-François Copé a créé en plus Génération France, et Jean-Pierre Raffarin Dialogue & Initiative. Quant à M. Balkany, il a Le Rassemblement pour Levallois – c’est un parti politique, sans doute dans l’intérêt de la France !

M. Jean-Pierre Schosteck. Et alors ?

M. Bernard Roman. Et Claude Guéant ?

M. Yves Cochet. Je vous parle des 255 partis qui existaient en 2004.

Bien évidemment, ces structures cachent une réalité beaucoup plus crue : ce sont des niches fiscales épargnées, des pompes à finances pour les grands partis. En la matière, le principe des vases communicants s’applique instantanément. Le rapporteur a cité l’exemple d’un petit parti polynésien, mais il en existe des dizaines d’autres, ce qui est parfaitement scandaleux.

En fait, ces associations sont des structures de circonstances, des coquilles vides, à l’exception peut-être de celle de M. Copé – peut-être a-t-il d’autres intentions pour plus tard.

En tout cas, rien n’interdit aux micropartis de multiplier les dons. Alors qu’en l’état actuel du droit, le montant des dons pour une même personne physique est limité à 7 500 euros, notre proposition vise à réinstaurer strictement cette limite.

J’en viens à la question du cumul des activités. Être parlementaire, c’est un vrai travail à 100 %, voire à 150 %.

M. François Rochebloine. Ça, c’est vrai !

M. Yves Cochet. Nous faisons deux journées en une. Si nous ne sommes pas très nombreux dans cet hémicycle, c’est que nous devons aussi être présents en commission, assurer des permanences dans les groupes et dans nos circonscriptions. Nous étudions les projets de loi, nous les critiquons, nous intervenons en séance publique, nous déposons des amendements, nous proposons des textes de loi, nous rédigeons des questions écrites. À cela s’ajoutent les rencontres avec les forces de la nation, les associations, les syndicats, etc. Bref, tout cela représente un énorme travail.

En devenant élus de la nation, nous nous engageons à représenter tous les administrés de la France, et pas seulement ceux de notre circonscription. Pour ma part, je suis député de Paris – pour quelques jours encore, puisqu’il est probable que, la semaine prochaine, je serai député européen par une bizarrerie de la loi. Mais c’est ainsi.

M. Lionel Tardy. Ce n’est pas glorieux ! C’est du conflit d’intérêts !

M. Yves Cochet. Chers collègues, vous pourrez voter pour moi la semaine prochaine !

M. Christophe Caresche. N’en faites pas trop ! Allez-y mollo !

M. le président. Monsieur Cochet, ne vous laissez pas interrompre, d’autant qu’il est temps de conclure !

M. Yves Cochet. J’en reviens au cumul d’activités. Par exemple, il est permis à un parlementaire de commencer une activité d’avocat ou de conseil durant son mandat. Daniel Lebègue, président de Transparence international France, estime que des dizaines de parlementaires cumulent une activité de conseil avec leur mandat parlementaire. Ce qui constitue potentiellement un conflit d’intérêts dans la mesure où ceux-ci bénéficient d’indemnités destinées à assurer l’égal accès aux fonctions électives où l’activité d’avocat et de conseil ne s’inscrit pas dans le prolongement de cette activité parlementaire.

En conclusion, ce que nous proposons est une forme d’avancée démocratique, de réenchantement de la vie politique qui suppose à la fois d’interdire le cumul des mandats et des activités, mais aussi de favoriser toutes les formes de démocratie citoyenne pour contrôler nos élus, c’est-à-dire nous-mêmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite de la discussion des propositions de lois organique et ordinaire relatives à la transparence de la vie publique et à la prévention des conflits d’intérêts ;

Discussion de la proposition de loi relative à l'encadrement des loyers et au renforcement de la solidarité urbaine ;

Discussion de la proposition de loi visant à encadrer les prix des produits alimentaires ;

Discussion de la proposition de résolution portant sur l’accessibilité universelle pour les personnes en situation de handicap.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures cinq.)