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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2007-2008

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 15 novembre 2007

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Bernard Accoyer

1. Projet de loi de finances pour 2008 (seconde partie)

Justice

M. René Couanau, rapporteur spécial de la commission des finances.

Mme Michèle Tabarot, rapporteure pour avis de la commission des lois, pour l’administration pénitentiaire et la protection de la jeunesse.

M. Jean- Paul Garraud, rapporteur pour avis de la commission des lois, pour l’accès au droit.

MM.  Michel Vaxès,

Michel Hunault,

Étienne Blanc,

Alain Vidalies,

Patrick Braouezec,

Guy Geoffroy.

Présidence de M. Marc Le Fur

MM. Arnaud Montebourg,

Guénhaël Huet,

Serge Blisko,

Max Roustan.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice.

Réponses de Mme la garde des sceaux aux questions de : MM. Michel Vaxès, Jean-Jacques Candelier, Michel Hunault.

Rappel au règlement

MM. Arnaud Montebourg, le président.

Reprise de la discussion

Réponse de Mme la garde des sceaux des sceaux à une question de M. Jean-François Chossy.

M. Arnaud Montebourg.

Suspension et reprise de la séance

Rappel au règlement

MM. Alain Vidalies, le président.

Reprise de la discussion

Réponses de Mme la garde des sceaux aux questions de : MM. Philippe Goujon, Thierry Mariani.

Rappels au règlement

MM. Arnaud Montebourg, le président, Mme la garde des sceaux, MM. François Hollande, Jean-François Copé.

Reprise de la discussion

Réponses de Mme la garde des sceaux au questions de : MM. Jean-Jacques Urvoas, Bernard Lesterlin, Jean-Michel Clément, Bernard Gérard, Georges Fenech, Louis Cosyns.

Rappel au règlement

MM. Arnaud Montebourg, le président.

2. Ordre du jour des prochaines séances


Présidence de M. Bernard Accoyer

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Projet de loi de finances pour 2008

Seconde partie

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2008 (nos 189, 276).

Justice

M. le président. Nous abordons l’examen des crédits relatifs à la justice.

La parole est à M. René Couanau, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du plan.

M. René Couanau, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du plan. Madame la garde des sceaux, le budget que vous nous présentez pour 2008 est volontaire et dynamique : volontaire, parce qu’il tient les engagements pris, et dynamique parce qu’il s’inscrit totalement dans votre démarche déterminée de modernisation de la justice.

Les engagements pris ont été tenus. Nous nous étions engagés – dans un contexte financier et économique difficile – à donner la priorité à la justice dans ce premier budget de la législature. Avec une progression de 4,5 % et un montant global de 6 519 millions d'euros en crédits de paiement, avec une augmentation des moyens réels de fonctionnement hors personnel de 5 %, avec la création nette de 400 emplois nouveaux de magistrats, de greffiers et de personnels administratifs, et de 842 équivalents temps plein dans l'administration pénitentiaire, soit plus de 1 600 emplois en tout, la part de la justice dans le budget de l'État progresse de nouveau pour atteindre 2,4 %, alors qu’elle n’était que de 1,7 % en 2002.

Deuxième engagement tenu : les objectifs de la loi d'orientation et de programmation de septembre 2002 seront quasiment atteints en 2008 avec ce budget bien doté. Ce sera le cas pour le nombre de magistrats : la loi prévoyait la création de 950 emplois ; nous en serons à 963 en 2008. Certes, le taux de réalisation sera un peu plus faible pour les emplois du greffe – j'y reviendrai – ainsi que pour les juges de proximité, mais ceci sera corrigé dans le budget de 2008.

En définitive, les objectifs de la loi d'orientation auront été atteints, et ses orientations respectées. Nous retrouvons ces orientations dans les priorités de votre budget : l’amélioration durable des délais de décision – qui restent cependant supérieurs aux objectifs fixés – ; le renforcement de l'efficacité de la justice pénale ; l’exécution des décisions pénales améliorée grâce à la création des BEX, les bureaux d'exécution des peines ; l’augmentation de la capacité d'accueil des mineurs délinquants – six des sept établissements pour mineurs prévus sont déjà livrés.

Les engagements sont aussi tenus en matière de création d'établissements pénitentiaires nouveaux. La loi de programmation de 2002 a prévu la création de 13 200 places de détention. Largement engagé, le programme de construction d’établissements pour majeurs se poursuivra en 2008 à un rythme soutenu. À ce jour, vos services ont lancé les procédures pour dix-huit établissements, et les travaux d'aménagement de trois quartiers dits « courtes peines » sont en cours dans les établissements. À court terme, 2 000 places devraient ainsi être créées.

D'après les indications qui nous ont été données, l'ensemble du programme de création d'établissements pénitentiaires pour mineurs sera réalisé en 2009, ce qui peut être considéré comme une performance. La réalisation de quartiers pour mineurs dans les établissements sera achevée dans les mêmes délais.

Dernier engagement tenu, madame la garde des sceaux, et vous vous y êtes impliquée entièrement : la sécurisation des juridictions. Magistrats et personnels des greffes ont apprécié, je crois, que votre programme de sécurisation ait pu être lancé et réalisé dans des délais records.

La volonté de modernisation de la justice est, à l'évidence, au cœur de ce budget comme de la politique que vous mettez en œuvre. Cette modernisation passe d'abord, et nous partageons cette priorité, par une meilleure prise en considération des victimes. Le budget de cette action s'élève à près de 11 millions d'euros, hors personnel.

Elle implique aussi un accès plus facile, plus simple et plus rapide au droit et à la justice. Cet objectif mobilise davantage de crédits dans ce budget, mais sa réalisation se heurte à des difficultés de personnel face auxquelles il convient d'être vigilant.

Le thème de l’accès au droit et à la justice nous conduit naturellement à aborder la question de la carte judiciaire. Vous avez engagé cette réforme – souhaitée et attendue – avec vigueur. On ne peut laisser dire que vous l'ayez entreprise avec dogmatisme…

Mme Marylise Lebranchu. Ah non ! Pas toi René ! (Sourires.)

M. René Couanau, rapporteur spécial …puisque nous avons vu, au cours de ces derniers mois, évoluer vos propositions, appuyées sur celles des chefs de cour.

M. Jean-Jacques Urvoas. Ce n’est pas vrai !

M. Arnaud Montebourg. Vous manquez de conviction !

M. René Couanau, rapporteur spécial. Le schéma initial qui envisageait, par exemple, une cour d'appel par région et un tribunal de grande instance par département a été profondément assoupli. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

De même, en cas de regroupements de tribunaux de grande instance, des tribunaux d'instance seront renforcés, des maisons de la justice et du droit seront créées, et les pôles de l'instruction pourront être mis en place dans les TGI importants en mars 2008, comme le Parlement l'avait souhaité après la commission « Outreau ».

Il reste, madame la garde des sceaux, qu'une telle réforme vient modifier une carte historiquement figée et quelquefois déstabiliser des équilibres géographiques fragiles. Elle n'était donc pas spontanément reconnue comme nécessaire du point de vue de la proximité et de l'efficacité de la justice, ni comme souhaitable du point de vue de l'aménagement du territoire.

Mme Marylise Lebranchu. Bravo !

M. René Couanau, rapporteur spécial. Avant même les dernières évolutions, j'avais noté dans mon rapport que, pour réussir cette réforme, il fallait informer et consulter. Sans doute faut-il encore continuer aujourd’hui, pour convaincre totalement et résoudre des situations ponctuelles difficiles et complexes. Je sais que vous y êtes attentive.

Je note qu'aucune traduction chiffrée de la réforme ne figure au budget, à l'exception de quelques crédits d'accompagnement. À mes yeux, cela signifie que votre motivation n'est pas – contrairement au dire de certains – de nature économique et financière, même si la réforme a un impact financier évident mais non encore évalué. D’ailleurs, elle ne produira son plein effet qu’en 2009, en 2010, et ensuite.

Vous souhaitez accompagner les réformes engagées par l'introduction – coordonnée et plus déterminée – des nouvelles techniques informatiques et bureautiques, notamment à travers deux programmes : la modernisation de la chaîne pénale des TGI, et la dématérialisation des procédures pénales et des échanges en matière civile et administrative. Les crédits de paiement correspondants sont inscrits à ce budget, ils progressent, et une convention avec la Caisse des dépôts permettra de compléter ces moyens pour une mise en place rapide.

La création des bureaux d'exécution des peines – déjà évoquée – est presque achevée, grâce aux crédits que l'amendement Warsmann a permis d’inscrire. L'efficacité des BEX est particulièrement notable pour les audiences à juge unique et les audiences de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

La question de l’insuffisance du montant des frais de justice, longuement évoquée les années précédentes, a été résolue dans le budget précédent et dans celui-ci : ces frais ont progressé de près d’un tiers par rapport à 2002, passant de 300 millions d'euros à 405 millions d'euros cette année.

Enfin, et ce n'est pas mince, la gestion du personnel de la justice nécessitait la mise en place de véritables outils modernes de gestion des ressources humaines. C'est ce que vous avez entrepris, et nous vous encourageons dans ce sens, en souhaitant que la plus grande transparence soit assurée entre les directions centrales et les différentes juridictions, de façon à éviter certains sentiments d'inégalité de traitement, et à faciliter l'accélération des nominations sur les postes vacants.

Cette modernisation de la justice ne peut, naturellement, s'achever à la faveur d'un seul budget, si positif soit-il. Nous savons qu'elle devra être poursuivie avec les moyens correspondants au cours des prochaines années. Compte tenu du temps qui m’est imparti, je me bornerai à énoncer cinq domaines dans lesquels il me paraît nécessaire et inévitable de poursuivre, de renforcer ou d'entreprendre des actions.

Premier domaine : le fonctionnement de la justice. Il me semble – je ne sais pas si vous partagez cet avis – qu’il ne s’agit pas tant de créer de nouveaux postes de magistrats désormais, que de donner aux juges le temps de se consacrer aux justiciables. En clair : les futures dotations financières supplémentaires doivent servir à renforcer les effectifs des greffes et des services administratifs et techniques, de façon à accompagner efficacement le travail des magistrats qui, aujourd’hui, passent du temps à des tâches qui ne relèvent pas de leur compétence.

Deuxième domaine : l’accompagnement de la nouvelle politique pénale par les recherches d'alternatives à l'incarcération. D'ores et déjà, des évolutions sensibles sont intervenues. Le recours au placement sous surveillance électronique mobile, en nette progression en 2008, sera généralisé. Cependant, les missions des services pénitentiaires d'insertion et de probation – les SPIP, maillon essentiel de la politique pénitentiaire – doivent faire l'objet d'une clarification et d'une redéfinition de leurs méthodes d'intervention. Je sais que votre administration s'en préoccupe, d'autant plus que le budget de ces services connaîtra une progression significative de 8 % pour atteindre 336 millions d'euros en 2008.

Notons au passage que l'application du suivi socio-judiciaire se heurte depuis plusieurs années au manque de médecins coordonnateurs. Il faudra y remédier. Enfin, je voudrais souligner la mise en place d'un nouveau programme de prévention de la récidive, que vous avez doté de 1 million d'euros.

Troisième domaine qui appellera notre vigilance : le travail dans les établissements pénitentiaires, la formation et l'insertion professionnelle des détenus. Malgré des réalisations et des actions qu'il faut saluer, cet aspect de la politique pénitentiaire reste encore, dans notre pays, l'un des points faibles du système. Je connais les difficultés à surmonter pour réussir cette bonne préparation à la réinsertion après incarcération, mais je sais qu'en réunissant les moyens locaux d'autres ministères – par exemple celui du travail et de la formation professionnelle – on doit et on peut faire mieux.

Enfin, malgré la bonne réalisation du programme de construction et d'aménagement d'établissements pénitentiaires – qui permet d'ailleurs de faire progresser le nombre de places individuelles et de faire disparaître la quasi-totalité des structures à dortoirs –, malgré aussi les orientations de la nouvelle politique pénale, qui favorise les alternatives à l'incarcération, je note que le taux d'occupation moyen des établissements reste trop élevé. Actuellement, il se situe encore à 122 % et même à 149 % outre-mer. De plus, selon les prévisions de l'administration pénitentiaire, la population détenue devrait s'élever à 70 000 personnes en 2012, alors que le parc pénitentiaire ne compterait que 61 000 places à l'issue de l'actuel programmation.

Nous estimons donc nécessaire de préparer dès maintenant une nouvelle programmation, notamment de façon à résorber la surpopulation dans les maisons d'arrêt, laquelle peut atteindre des taux et générer des situations inacceptables.

Le dernier domaine est celui de la protection judiciaire de la jeunesse, qui se voit affecter un montant de 809 millions d'euros, et qui doit certainement faire l'objet d'améliorations de gestion, tant en ce qui concerne le personnel que pour le secteur associatif, dont tous les rapports publiés préconisent un certain assainissement.

Avant de terminer, je veux souligner à ce sujet que le bilan de la création et du fonctionnement des centres éducatifs fermés est très positif, comme l'a montré une étude précise portant sur les six cents mineurs sortis de ces centres depuis six mois.

Madame la garde des sceaux, je veux vous assurer de tout notre soutien dans la poursuite de la modernisation du système judiciaire et pénitentiaire, que vous avez résolument engagée. Dans cet esprit, la commission des finances a adopté, sur ma proposition, les crédits de la mission « Justice » pour 2008, et j’invite bien sûr l’Assemblée à en faire autant. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle Tabarot, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse.

Mme Michèle Tabarot, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2008 consacre la justice comme une priorité de l’État avec, pour le sixième exercice consécutif, une hausse significative des crédits de la mission qui lui est dévolue.

Les programmes « Administration pénitentiaire » et « Protection judiciaire de la jeunesse » progressent respectivement de 6,4 % et 1,6 %.

Le budget que nous examinons aujourd'hui est d'abord un budget de consolidation, en premier lieu parce qu'il permet la poursuite du programme immobilier lancé en 2002 dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation pour la justice, la LOPJ. Ainsi, d'ici à la fin de 2008 seront ouverts quatre établissements pénitentiaires représentant 2 550 places, 130 places supplémentaires dans les structures pour la protection judiciaire de la jeunesse – la PJJ – seront créées et trois établissements pénitentiaires pour mineurs, dont j'ai pu mesurer la pertinence, même s'il leur faut encore quelques mois de fonctionnement pour trouver leur pleine efficacité, seront construits.

En outre, ce budget autorisera des capacités de recrutement élevées. Les plafonds d'emplois de l'administration pénitentiaire augmenteront de 842 ETPT et ceux de la PJJ de 221 ETPT.

Enfin, madame la garde des sceaux, je tiens à saluer votre engagement en ce qui concerne les retards de paiement au secteur associatif de la PJJ. Ces difficultés récurrentes seront résolues l'an prochain. Je m’en réjouis car cela aura un impact direct sur la bonne exécution des décisions de justice.

Ce budget prévoit aussi des moyens spécifiques pour faire face aux évolutions de la délinquance. S’agissant, en premier lieu, de la situation des mineurs, quinze centres éducatifs fermés supplémentaires seront ouverts à l’horizon 2009. Les CEF ont en effet démontré leur efficacité. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, comme le rappelait M. Couanau : un an après leur passage dans ces structures, 61 % des mineurs accueillis n'ont pas récidivé.

Ce constat global sur les CEF appelle deux remarques de ma part.

Tout d'abord, pour ce qui concerne la maîtrise des coûts de fonctionnement, je souhaite que, pour chaque CEF, soit analysée la possibilité d'augmenter la capacité d'accueil car, actuellement, ces structures reçoivent de huit à douze jeunes, pour un encadrement de vingt-quatre personnes et un coût journalier d'environ 600 euros par mineur, ce qui semble relativement élevé.

Ma seconde observation porte sur la dégradation de l'état de santé des jeunes délinquants. Dans certains CEF, la moitié des jeunes pris en charge font l'objet d'une injonction de soins ou présentent des troubles mentaux. Il est important d'apporter des solutions adaptées, et je tiens à souligner l’initiative que vous avez prise, madame la garde des sceaux, de consacrer 2 millions d'euros à la mise en place de cinq CEF à prise en charge médico-psychiatrique renforcée. Cela répond à une vraie nécessité, et je serai particulièrement attentive aux retours de cette expérience.

Si nous attachons une grande importance à la santé des mineurs, il convient de réserver une attention toute particulière à celle des détenus majeurs. Nous pouvons nous féliciter que des évolutions importantes soient programmées en ce sens. Ainsi, des unités hospitalières spécialement aménagées seront créées. Les premières ouvertures auront lieu dès 2009 à Lyon et à Rennes. Parallèlement, les placements sous surveillance électronique, fixe ou mobile, seront encore développés. Enfin, un projet de loi sur les délinquants dangereux sera prochainement examiné.

Je souhaite que les réformes engagées soient aussi l’occasion de parvenir à l'instauration d'un véritable partage d'informations entre les différents acteurs du monde carcéral, afin d'éviter que ne se reproduisent certaines erreurs, telles que la prescription de médicaments contre les troubles sexuels à un pédophile récidiviste quelques jours avant sa libération.

Je voudrais terminer en soulignant que l'augmentation constante des crédits de la justice est la condition sine qua non de la réussite des réformes votées depuis 2002 pour restaurer l'autorité républicaine. Mais ces hausses seraient vaines si elles n'aboutissaient pas à l'amélioration des conditions de détention et de réinsertion. Dans cette optique, madame la garde des sceaux, la prochaine loi pénitentiaire devrait être une avancée notable. Je souhaite d'ailleurs, conformément aux préconisations du comité d'orientation, qu'un parcours de mobilisation soit mis en place pour chaque détenu, afin de mieux connaître son profil social et psychologique.

L’univers carcéral sera donc au cœur de nos débats dans les semaines et les mois à venir. L'effort budgétaire consenti est important. Il s'accompagnera d'une nécessaire réflexion de fond sur les conditions de détention, l'utilité de la peine et la dignité des détenus et du personnel. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour l’accès au droit.

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour l’accès au droit. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, mon temps de parole étant limité, j’apporterai simplement quelques éclairages sur le projet de budget des services judiciaires et de l'accès au droit.

Je commencerai par un premier éclairage budgétaire.

Alors que le projet de loi de finances pour 2008 prévoit que le budget total de l'État ne progresse que de 1,6 %, celui de la justice augmente de 4,5 %. Ce dernier s'élève ainsi, au total, à 6,52 milliards d'euros, ce qui représente 2,4 % du budget de l'État, contre 1,69 % en 2002. Depuis 2002, le budget de la justice a donc augmenté de près de 2 milliards d'euros.

Avec une dotation de 2 730,2 millions d'euros en crédits de paiement, le programme « Justice judiciaire » est en progression de 5,1 % par rapport à 2007. Au sein de ce programme, les crédits de l'action « Traitement et jugement des contentieux civils » sont en hausse de 13 % à périmètre constant. L'augmentation se justifie, d'une part, par une revalorisation des crédits du titre 2 permettant d'assurer la rémunération des magistrats et fonctionnaires contribuant à cette action et d'asseoir celle des arrivants et, d'autre part, par une sous-estimation des dépenses de personnel de cette action en 2007 par rapport au contentieux pénal.

Les crédits de l'action « Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales » diminuent de 4 % en autorisations d'engagement et de 1,6 % en crédits de paiement. L'enveloppe des frais de justice est stable en crédits de paiement. Plusieurs mesures d'économie ont permis de réduire ces dépenses – notamment les marchés sur les empreintes génétiques et sur la téléphonie.

Les efforts accomplis ont permis de réduire de 22 % les frais de justice au cours de l'année 2006, ce qui est considérable, mais certaines réformes récentes, génératrices de frais de justice, ainsi que les revalorisations des tarifs fixés par le code de procédure pénale, vont sans doute avoir un impact financier en 2008.

Les autres actions du programme « Justice judiciaire » connaissent une évolution favorable. Les crédits de l'action « Cassation » progressent de 7 % du fait d'une augmentation des crédits du titre 3 pour faire face à diverses charges telles que les loyers, la maintenance et l'informatique. L'action « Conseil supérieur de la magistrature » voit ses crédits augmenter fortement, tandis que ceux de l’action « Enregistrement des décisions judiciaires » diminuent en raison d’une légère surévaluation des dépenses de frais de justice, au regard de la consommation du premier semestre de 2007.

Mon deuxième éclairage porte sur les créations d'emplois dans les services judiciaires. Je souhaite m'y attarder car les écarts entre les annonces de créations de postes et les équivalents temps plein travaillé ont fait naître des incompréhensions. Comme je le détaille très précisément dans mon rapport, 965 départs en retraite sont prévus et 1 365 personnes seront recrutées. C'est donc très clair : entre le 31 décembre 2007 et le 31 décembre 2008, les services judiciaires compteront bien 400 agents de plus. Cependant, seuls les équivalents temps plein travaillé correspondants figurent dans le budget : cette variation est de 101 ETPT supplémentaires. Les données du projet annuel de performances corroborent donc bien vos annonces, madame la garde des sceaux.

Je profite de ce propos pour rappeler mon attachement à une meilleure prise en compte salariale des contraintes pesant sur les fonctionnaires des services judiciaires. Pour les magistrats, un effort significatif a été réalisé dès 2003, l’objectif étant la parité avec les magistrats des juridictions administratives et financières. Cela s'est accompagné d'une nouvelle modification du régime indemnitaire des magistrats, notamment avec l’instauration d'une part modulable. Cependant, le régime indemnitaire des greffiers en chef et des greffiers n'a pas évolué depuis 2001. Je crois qu'il est important de réduire l'écart entre le régime indemnitaire des magistrats et celui de l'ensemble des fonctionnaires des services judiciaires. Tous les personnels doivent être intéressés aux résultats des juridictions puisqu'ils y contribuent tous. La généralisation de la modulation des primes peut aider à combler le fossé entre magistrats et agents des services judiciaires, qui travaillent en fait en équipe.

Il est d'ailleurs aussi très important, à mon sens, d'améliorer le ratio entre le nombre de magistrats et celui des fonctionnaires de la justice. Un magistrat sans son greffier ne peut pas faire grand-chose. Le ratio est passé de 2,85 en 1997 à 2,53 en 2007. Cela s'explique par le fait que le rythme des créations de postes de magistrats est allé plus vite que celui des créations de postes de fonctionnaires. Je souhaitais simplement appeler votre attention sur ce point, madame la garde des sceaux, car je connais tout l'attachement que vous portez à cet esprit d'équipe qui devrait animer l’ensemble de nos juridictions et le fonctionnement des services.

Mon dernier éclairage porte sur les priorités de votre budget. Je m'attacherai surtout à souligner l'effort très important en faveur de la sécurisation des juridictions. Pour 2008, 39 millions d'euros sont prévus à cet effet, contre 15 millions d'euros en 2007. Pour faire fonctionner un portique de sécurité, il faut évidemment du personnel. J'ai déjà eu l'occasion, madame la garde des sceaux, de vous faire part de mon souhait que la réserve de l'administration pénitentiaire soit fortement mobilisée à cet effet.

Par ailleurs, il est proposé de doter le programme « Accès au droit et à la justice » de 335 millions d'euros en crédits de paiement, ce qui constitue une baisse apparente de 7 millions d'euros par rapport à 2007. En réalité, cette diminution sera plus que compensée par le plan de recouvrement des avances de frais de procédure faites au titre de l'aide juridictionnelle. En gestion, ce recouvrement viendra atténuer les charges de l'action par rétablissement de crédits à hauteur de 8,9 millions d'euros.

En conclusion, je voulais simplement souligner que la réforme de la carte judiciaire, que vous menez avec courage, madame la garde des sceaux, n'aura que peu d'impact budgétaire au cours de l'année 2008. La réforme doit en effet être mise en œuvre progressivement de 2008 à 2010. Dès lors, dans le budget de 2008, seule une dotation de 1,5 million d'euros a été prévue pour l'accompagnement social, afin que la situation particulière de chaque fonctionnaire soit prise en compte.

M. Serge Blisko. Ce n’est pas suffisant !

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis pour l’accès au droit. Aussi, je veux dire à ceux qui pourraient être tentés de voter contre le budget de la mission pour manifester un certain mécontentement à l’égard de cette réforme que cela n’a strictement rien à voir. Voter contre les crédits de la mission, ce n’est pas voter contre la carte judiciaire, mais contre un bon budget, dont l’augmentation, nette, est indispensable au bon fonctionnement du service public de la justice, auquel, mes chers collègues, nous sommes tous attachés.

M. Alain Vidalies. Mais il n’y a eu aucun débat sur la réforme de la carte judiciaire !

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis pour l’accès au droit. La commission des lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Accès au droit ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous allons maintenant entendre les orateurs inscrits.

La parole est à M. Michel Vaxès.

M. Michel Vaxès. Madame la garde des sceaux, vous nous présentez aujourd'hui votre premier budget de la législature, et il est vrai que vous êtes privilégiée. Vous le dites vous-même en rappelant que le budget de l’État n'augmente que de 1,6 % alors que le vôtre progresse de 4,5 %, et que l'État supprime 22 900 emplois tandis que les services de la justice bénéficient de 1 615 créations de postes. Cette augmentation est appréciable, et nous nous en félicitons.

La justice le mérite bien ! Plaçant la France au dix-septième rang des pays membres de l’Union européenne, elle est encore indigente et il faudra qu’elle poursuive son adaptation si l’on veut que la France gagne la place qui devrait être la sienne parmi les pays les plus riches de notre continent.

Se contenter d’une appréciation quantitative de ce budget serait une faute politique : comme les lois, les dotations budgétaires peuvent servir le meilleur, mais aussi nourrir le pire !

« Construisez des écoles, et vous fermerez des prisons » écrivait Victor Hugo. Il avait raison ! Privilégiez l’éducation et la réinsertion, et vous en appellerez moins à la répression ! Luttez contre l’injustice sociale, et vous garantirez la paix sociale ! C’est tout le contraire que fait le Gouvernement ! Je ne fais pas là l’apologie de la faiblesse : j’exprime la volonté de rompre un cercle vicieux, car le mal entraîne le mal.

Si, au-delà des mots, vous partagiez avec nous la conviction qu’une action efficace contre la délinquance et la récidive passe avant tout par une politique audacieuse de prévention et de réinsertion – à travers l’accompagnement social et l’action éducative –, c’est un autre budget que vous nous proposeriez.

Loin devant les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse et de l’accès au droit et à la justice, ceux de l’administration pénitentiaire enregistrent la plus forte augmentation. S’il s’agissait seulement de rendre plus dignes les conditions de détention, nous nous en réjouirions avec vous. Mais près de 63 % de ces crédits sont absorbés par la garde et le contrôle des personnes placées sous main de justice, et 80 % des effectifs de l’administration pénitentiaire sont affectés à cette mission. Comment pourrait-il en être autrement avec un taux d’occupation de 122 % ? Un quart seulement de ces crédits seront consacrés à l’accueil et à l’accompagnement.

Ces chiffres parlent : les missions de réinsertion, qui sont les meilleures armes contre la récidive, resteront malheureusement les parents pauvres de votre politique.

La mission « Protection judiciaire de la jeunesse » ne représente que 12 % de ce budget et, comme si c’était encore trop, les mesures éducatives et en milieu ouvert souffriront de la priorité accordée à l’enfermement. Enfin, l’expérimentation que vous avez décidée, et qui consiste à séparer les fonctions civiles et pénales du juge des enfants, participe de la même logique : c’est un nouveau pas vers l’abandon de la priorité éducative dans la réponse à la délinquance des mineurs.

Nos concitoyens aspirent, certes, à la tranquillité, mais vous ne pourrez répondre à cette aspiration qu’en vous attaquant aux causes de la délinquance. Et ce n’est ni en surpeuplant les prisons, ni en les multipliant, que vous y parviendrez. Regardez donc du côté du Québec, qui a réussi le pari de la prévention : dès le premier jour de détention, on prépare la sortie du détenu. Mais ce n’est pas le choix que vous faites, et j’ai bien peur que cela ne vous conduise à l’échec – je le regrette.

Compte tenu du temps qui m’a été imparti, je n’ai pu évoquer la réforme de la carte judiciaire. La présence d’un certain nombre de nos collègues à la droite de cet hémicycle montre que ce problème n’est pas seulement celui de l’opposition. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Daniel Mach. Mais si ! Tout va bien !

M. Arnaud Montebourg. Surtout à Perpignan !

M. François Calvet. Tout à fait ! Cette réforme est faite intelligemment !

M. Michel Vaxès. Pourquoi a-t-on pris certaines précautions pour l’examen de ce budget ?

Vous l’aurez compris, madame la ministre, nous voterons contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Au nom de mes collègues du groupe Nouveau Centre, madame la ministre, je salue votre projet de budget pour 2008. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Arnaud Montebourg. Les applaudissements sont rares !

M. Michel Hunault. Comme l’ont fort bien indiqué les trois rapporteurs, le budget de la justice, en augmentation sensible, représente cette année 2,4 % de celui de l’État.

M. Alain Vidalies. Demandez aux députés polynésiens ce qu’ils en pensent !

M. Michel Hunault. Un effort considérable de rattrapage est consenti, même si nous restons en retard par rapport aux autres pays européens. Je salue cet effort, chers collègues de l’opposition. D’ailleurs, pourquoi ne l’avez-vous pas réalisé lorsque vous étiez dans la majorité ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Je voudrais en particulier saluer l’augmentation de 8 % des crédits de l’administration pénitentiaire.

M. Daniel Mach. Eh oui !

M. Michel Hunault. Nous avons été nombreux à dénoncer depuis plusieurs années, notamment par le biais des commissions d’enquête, la situation dans les prisons françaises. Elles accueillent aujourd’hui plus de 61 000 détenus, alors que leur capacité est de 48 000 places. Grâce à votre budget, madame la ministre, nous allons poursuivre l’effort engagé sous la précédente législature par M. Perben et M. Clément. Nous pourrons ainsi rendre les prisons françaises plus dignes et les mettre en conformité avec les normes européennes.

Madame la ministre, vous êtes à la Chancellerie depuis cinq mois et vous avez déjà fait adopter une réforme à laquelle nous étions tous favorables, quelle que soit notre opinion politique.

Mme Marylise Lebranchu. Alors, c’est formidable !

M. Michel Hunault. Il s’agit de la création d’un contrôleur général des prisons et de tous les lieux privatifs de liberté.

M. Arnaud Montebourg. Il faudrait un contrôleur général de la Chancellerie ! (Sourires.)

M. Michel Hunault. Vous vous êtes aussi engagée à faire voter une loi d’orientation pénitentiaire pour mettre la France en conformité avec les règles définies par le Conseil de l’Europe. Ayons au moins l’honnêteté de saluer cette volonté ! Soyez assurée, madame la ministre, du soutien de la majorité pour mener à bien ces réformes exigeantes, qui n’ont pour but que la dignité des personnes privées de liberté.

Je salue également l’extraordinaire travail des personnels pénitentiaires, dont la mission est extrêmement difficile, et l’augmentation des crédits de la protection judiciaire de la jeunesse.

Venons-en au sujet qui fâche : la réforme de la carte judiciaire. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Arnaud Montebourg. Toujours des félicitations ?

M. Michel Hunault. Cette réforme, mesdames, messieurs de l’opposition, était l’une des trente mesures que les membres de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau avaient appelées de leurs vœux à l’unanimité.

M. François Calvet. Absolument !

M. Daniel Mach. Et personne ne l’avait contestée !

M. Michel Hunault. Cette commission d’enquête, je m’en souviens, avait été décidée après le drame d’Outreau, qui avait obligé le Chef de l’État et le garde des sceaux à présenter publiquement les excuses de la nation pour des dysfonctionnements qui n’avaient pas été à l’honneur de la justice de notre pays !

M. Arnaud Montebourg. Cela n’a aucun rapport avec les tribunaux d’instance !

M. Michel Hunault. Pendant six mois, nous avons tous travaillé, au-delà de nos clivages politiques, pour faire en sorte que ce scandale ne se reproduise jamais. Parmi les mesures qui ont été suggérées, il y avait la réforme de la carte judiciaire et la réorganisation de la justice.

M. Arnaud Montebourg. Aucun rapport !

M. Alain Vidalies. Quel dévouement ! Il mériterait d’être secrétaire d’État !

M. Michel Hunault. Vendredi dernier, madame la ministre, vous avez présenté cette réforme à Rennes : il y aura au moins un tribunal de grande instance par département, et des pôles de l’instruction seront créés pour lutter contre l’isolement des juges…

M. Arnaud Montebourg. Qui sont massacrés !

M. Michel Hunault. …qui sont de plus en plus confrontés à des affaires complexes, notamment en matière de crimes et de délits sexuels. Ce sont souvent des juges inexpérimentés, à qui l’on demande de rechercher la vérité sans leur en donner les moyens. La création de pôles de l’instruction permettra d’éviter des dysfonctionnements tels que ceux d’Outreau. C’est pourquoi les députés du groupe Nouveau Centre soutiennent votre réforme de la carte judiciaire. Mais cela n’exonère pas de la nécessaire concertation (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), de l’écoute, du respect des magistrats et des greffiers, qui s’interrogent.

Mme Françoise Hostalier. Et des élus !

M. Michel Hunault. Madame la ministre, vendredi dernier, en Bretagne, vous vous êtes engagée à assurer, dans un délai de trois ans, un service public de la justice pour tous, notamment avec la création, là où ce sera possible, de maisons du droit et de points d’accès au droit afin de regrouper tous ceux qui concourent à rendre la justice et à prévenir les conflits.

M. Alain Vidalies. Avec un tel centre, plus besoin de droite !

M. Michel Hunault. Il est facile de dire, que l’on soit dans la majorité ou dans l’opposition, que ce n’est pas le bon moment.

Mme Marylise Lebranchu. Ce n’est pas le sujet !

M. Michel Hunault. Mais tenez bon, madame la ministre : si nous voulons être crédibles, il nous faut concrétiser les conclusions de la commission d’enquête parlementaire, et donc créer des pôles de l’instruction, des points d’accès au droit et des maisons du droit.

M. Arnaud Montebourg. À quand votre entrée au Gouvernement, monsieur Hunault ?

M. Michel Hunault. Il aurait cependant été préférable, pour présenter cette réforme, d’améliorer la communication, au lieu d’annoncer que vous allez supprimer un tribunal de grande instance tout en maintenant un tribunal d’instance, qui abritera une chambre civile du tribunal de grande instance, les affaires pénales étant du seul ressort du tribunal du chef-lieu de département. Cette présentation ne reflète pas la dimension de votre réforme !

Certes, la discussion de votre budget se déroule dans un contexte d’incertitude et de malaise. Mais ce que nous n’admettons pas, avec mes collègues du Nouveau Centre,…

M. Alain Vidalies. Où sont-ils ?

M. Michel Hunault. …c’est le procès personnel qui vous est fait. J’entendais ce matin sur une radio nationale un élu de la nation dire que vous ne connaissez rien aux réalités, rien au monde rural.

M. Alain Vidalies. Qui a dit cela ?

M. Michel Hunault. J’apprécie pour ma part que le Gouvernement reflète ce qu’est la France d’aujourd’hui. Vous avez toute compétence, mais vous avez besoin du soutien du Parlement pour accomplir votre délicate mission. Le contrôle des prisons, la réforme de la carte judiciaire, la loi pénitentiaire sont des objectifs sur lesquels nous pouvons nous retrouver. Qu’ils soient pour nous l’occasion de réconcilier les Français avec leur justice ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Marylise Lebranchu et M. Arnaud Montebourg. C’est mal parti !

M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc.

M. Étienne Blanc. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le budget de la justice qui nous est présenté aujourd’hui peut être qualifié de budget de continuité. En matière budgétaire, le terme est parfois péjoratif – on se contente de peu et on reconduit ce peu. Mais il est utile de rappeler que, sous la précédente législature, le budget de la justice a augmenté, grâce à la majorité de notre assemblée, de 38 % en cinq ans. C’est l’un des rythmes de progression les plus élevés que nous ayons connus sous la Ve République !

M. Pascal Clément. Absolument !

M. Étienne Blanc. Vous nous proposez aujourd’hui, madame la garde des sceaux, de maintenir le cap, puisque vous nous proposez un budget en hausse de 4,5 % par rapport à 2007. Cette « continuité positive » mérite d’être soulignée.

Votre politique vise à doter l’institution judiciaire de moyens appropriés. Le budget de la justice est ainsi porté à 2,4 % du budget de la nation, contre 1,69 % en 2002 et 2,34 % en 2007.

M. Pascal Clément. Merci de le rappeler !

M. Étienne Blanc. La politique du Gouvernement s’inscrit donc dans la durée, et elle commence à porter ses fruits.

En second lieu, ce projet de loi de finances traduit clairement une priorité du Gouvernement. Vous l’avez rappelé à plusieurs reprises, madame la garde des sceaux, alors que le budget de l’État progresse de 1,6 %, votre budget augmente de 4,5 %, soit plus du double. Outre le renforcement continu des crédits de la justice, un effort particulier est porté sur votre ministère.

Ce budget peut aussi être qualifié de cohérent : cohérent avec la politique affichée par le Gouvernement, cohérent avec les réformes que nous avons entreprises sous cette législature. Il permet notamment de renforcer la lutte contre la récidive, comme nous l’avons voulu en adoptant la loi du 10 août 2007. Il permet également d’installer et de doter de moyens significatifs le contrôleur général des lieux de privation de liberté, prévu par la loi, que nous avons adoptée, du 30 octobre 2007. Cette cohérence s’inscrit en outre dans un schéma global de modernisation de l’institution judiciaire.

Enfin, ce budget traduit clairement les priorités du Gouvernement et de l’actuelle majorité. La première d’entre elles est la modernisation. Il faut moderniser le fonctionnement de notre justice : je pense, certes, aux locaux, mais, surtout, il nous faut doter les magistrats et les greffiers de moyens informatiques modernes. On est étonné lorsqu’on parle avec des greffiers, notamment dans le domaine de l’exécution des peines, lorsqu’on visite les services pénitentiaires d’insertion et de prévention, de la faiblesse des moyens informatiques. On est encore plus étonné lorsqu’on parle avec des juges de l’application des peines, qui sont en contact à la fois avec les greffiers et avec les services pénitentiaires, du caractère désuet des modes de fonctionnement. Oui, c’est une image désuète de la justice que nous donnons quand elle n’est pas capable de dématérialiser, de fluidifier la transmission des pièces. Or votre budget répond à cette préoccupation. L’engagement d’achever, dans le courant de l’année 2008, le programme Cassiopée et la dotation de 67 millions d’euros permettent enfin de répondre, dans une stratégie de dématérialisation et d’informatisation des greffes et des magistrats, à une nécessité de modernisation de l’institution judiciaire. Outre cette modernisation, ce budget dégage des moyens humains supplémentaires – mais cela a été largement expliqué –, avec 1 615 créations d’emplois, alors même que l’État s’est engagé à diminuer le nombre de ses agents publics. Cette politique des ressources humaines traduit la priorité que donne votre gouvernement au budget de la justice.

Un effort particulier est fait pour le programme « Administration pénitentiaire ». Il représente à lui seul 36,6 % du total des crédits de paiement de la mission « Justice ».

La population sous écrou s’élève à 61 810 personnes, soit un taux d’occupation moyen des établissements de 122,3 %. C’est une cause d’inquiétude pour les droits de l’homme, pour votre institution et pour tous les citoyens français, qui constatent qu’il y a là une véritable faiblesse. Votre budget y répond par la création de trois établissements pour mineurs et quatre pour majeurs, qui seront livrés dans le courant de l’année, et par 81 millions d’euros permettant de faire face aux travaux. Ce serait insuffisant s’il n’affichait pas aussi la nécessité de développer les aménagements de peines. Leur nombre, déjà en hausse en 2007, devra encore augmenter en 2008 : c’est le gage de « sorties sèches », devenues minoritaires par rapport aux sorties accompagnées.

Enfin, il faut noter un effort particulier dans le cadre du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » : la lutte contre la récidive des mineurs sera notamment améliorée par un renforcement des formations adaptées dans les établissements spécialisés. C’est une ligne forte de votre budget.

Un mot, pour terminer, sur l’accès au droit. Il connaît un renforcement de ses moyens, notamment par une augmentation de 11,3 % des crédits alloués à la médiation familiale et aux espaces rencontre. Il y a là de véritables souffrances pour les familles françaises qui se séparent et il est utile d’y apporter une réponse.

Continuité des efforts visant à donner à la justice les moyens des missions que lui confie la nation, cohérence politique et budgétaire entre les lois que nous adoptons et les moyens mis à disposition pour qu’elles soient mises en œuvre, modernisation de l’institution et clarté des priorités : pour ces quatre raisons, l’UMP votera les crédits de la mission « Justice ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies.

M. Alain Vidalies. Madame la ministre, vos décisions relatives à la réforme de la carte judiciaire entraînent dans tout le pays un mouvement de protestation sans précédent, qui mobilise tous les acteurs du monde judiciaire, les usagers et les élus locaux.

Les critiques portent à la fois sur la méthode et sur le fond.

Sur la méthode : il est extraordinaire que cette réforme brutale n'ait jamais fait l'objet du moindre débat devant le Parlement. C'est pourtant ici, devant la représentation nationale, que vous auriez dû préciser vos objectifs, les critères retenus et les moyens nécessaires. Nous sommes dès lors contraints d'engager ce débat de fond aujourd'hui, au détriment du débat budgétaire habituel.

Vous menez cette réforme au pas de charge, sans le moindre égard pour les opinions différentes de la vôtre. Madame la ministre, ce n'est pas forcément avoir raison que de mobiliser tout le monde contre soi ! Vous n'avez même pas respecté la méthodologie que vous aviez vous-même annoncée. Les représentants des magistrats et des avocats n'ont pu que constater les dégâts en refusant de continuer à siéger dans votre pseudo-comité consultatif. Vous évoquez souvent les conclusions de la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire d'Outreau pour justifier vos décisions. Certes, nous sommes favorables à la notion de pôle de l'instruction, mais vous savez parfaitement qu'il n'existe aucun lien entre la fermeture massive de tribunaux d'instance et la collégialité de l'instruction,…

M. Arnaud Montebourg. Aucun rapport, en effet !

M. Alain Vidalies. …qui ne concerne qu’un faible pourcentage des affaires pénales, mais qui ne concerne en rien les juridictions civiles. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Vous prétendez mettre en œuvre un projet qui était en attente depuis longtemps à la Chancellerie. Vous jouez sur les mots pour tromper l'opinion publique. Certes, la réforme de la carte judiciaire est un sujet d'actualité, mais encore faut-il répondre à la question : pour quoi faire ? Votre discours se limite à une approche comptable sans que, jamais depuis six mois, vous n'ayez exprimé vos positions de fond sur le rôle de la justice, l'accès au droit ou au juge. Vous passez directement aux travaux pratiques avec, pour cible principale, la fermeture de pratiquement 200 tribunaux d'instance. S'agit-il donc de juridictions qui fonctionnent mal ? De juridictions dont nos concitoyens se plaignent ? À l’évidence, non !

M. Daniel Mach. Mais si !

M. Alain Vidalies. C'est même le contraire, et il est tout à fait paradoxal que la majorité, après nous avoir vanté pendant cinq ans les mérites du juge de proximité, en vienne aujourd'hui à faire exactement le contraire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. François Calvet. Cela n’a rien à voir !

M. Daniel Mach. C’est la qualité de la justice qui compte !

M. Alain Vidalies. La question principale est celle de l'accès au juge. Les tribunaux d'instance s’occupent notamment des difficultés de la vie quotidienne : c'est le juge d’instance qui examine les rapports bailleur-locataire et s’occupe du surendettement, du droit de la consommation et du suivi des incapables majeurs. Vous affichez en permanence, madame la ministre, votre attention pour les victimes, mais c’est souvent devant le juge d'instance que se retrouvent celles du quotidien. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Arnaud Montebourg. C’est exact !

M. Alain Vidalies. Vous ignorez complètement les contraintes de déplacement qui leur seront imposées, alors que le simple bon sens devait en faire un critère déterminant. Quand il n'existe aucun transport en commun, l'éloignement du tribunal d'instance est un obstacle évident à l'accès au juge.

M. Daniel Mach. Le tribunal n’est pas une grande surface ! On n’y va pas tous les jours !

M. Alain Vidalies. Votre démarche n'est ni une réforme de la justice ni une actualisation de la carte judiciaire : c’est un simple plan de fermeture des tribunaux.

Les conséquences seront graves pour les justiciables, mais aussi pour les conditions de fonctionnement de la justice. Les tribunaux d'instance, qui occupent souvent des locaux mis à disposition par les collectivités locales, vont être, par décision unilatérale, transférés vers des tribunaux qui, la plupart du temps, sont dans l'impossibilité matérielle de les accueillir. L'état d'impréparation de votre projet est tel qu'aucune solution n'a été préalablement envisagée, et le coût pour l'État encore moins évalué. Nous ne sommes pas pour autant favorables au statu quo, car nous souhaitons une véritable réforme qui suppose la redéfinition préalable des compétences des juridictions. (« Absolument ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) L'accès au juge s'impose comme le critère déterminant pour toutes les procédures traitées aujourd'hui par les tribunaux d'instance, mais aussi pour toutes celles relevant du droit de la famille au sens large.

Dès lors, l’objectif devrait être la création de tribunaux de proximité ou de première instance, qui seraient compétents pour toutes ces procédures où la rencontre entre le juge et le justiciable est indispensable. Cette réforme préalable de la compétence des juridictions permettrait ensuite d’organiser la présence des autres juridictions chargées des contentieux plus spécialisés ou devant fonctionner en collégialité.

Nous avions un autre projet, radicalement différent du vôtre, tant sur la méthode que sur le fond. Nous aurions pu avoir ici, au Parlement, un véritable débat, qui n’aurait pas été forcément partisan. Mais vous avez choisi un autre chemin : celui d’une réforme imposée, brutale, sans réflexion de fond. Nous ne vous suivrons pas sur ce qui est une mauvaise pente pour la justice de la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. Madame la garde des sceaux, mon collègue Michel Vaxès vient de nous mettre en garde contre le budget que vous nous présentez, dont l'augmentation indéniable – 4,5 %, pour ceux qui ne l'auraient pas encore entendu – masque les réelles conséquences de votre politique en matière de justice. Et, au risque de passer pour un récidiviste, j’insiste sur le fait que cette augmentation se construit en grande partie sur un leurre.

Un leurre, d'abord, parce que ce budget se soucie en tout premier lieu de concrétiser la logique du tout sécuritaire, lancée par l’ancien ministre de l’intérieur et reprise par votre gouvernement ; une logique qui fait de la prison l'une des seules solutions – sinon la seule – à la délinquance juvénile et qui, dans le même temps, se garde bien de s’occuper de la délinquance, autrement plus dangereuse, car insidieuse, en col blanc. Ce que vous comptez faire du droit des affaires peut légitimement nous interpeller, voire nous inquiéter.

Un leurre, ensuite, car, même s'il a le mérite de remettre à flot des secteurs judiciaires et juridiques acculés à un retard considérable en matière de moyens techniques, matériels et humains, ce budget n’est absolument pas construit autour d’une vision de long terme, qui intégrerait les besoins citoyens et les nécessaires améliorations en matière d'accès au droit, secteur qui régresse considérablement dans votre budget. Ce que vous entendez faire de la carte judiciaire pose la question de votre conception de la justice.

En ce qui concerne les moyens, il est juste de reconnaître, madame la garde des sceaux, que ceux de mon département, la Seine-Saint-Denis, sont enfin hissés au niveau de la moyenne nationale. Mais ils ne font que colmater des brèches restées béantes trop longtemps. Aujourd'hui, et sans pour autant tomber dans les travers d'un plan Marshall, que je récuserais comme je les ai tous récusés jusqu'à présent, le tribunal de grande instance de Bobigny, deuxième juridiction de France, attend des mètres carrés supplémentaires, des moyens informatiques à la hauteur des missions qui sont confiées aux juges et, surtout, des moyens en personnels qualifiés, au statut clairement défini. Dans ce même TGI, qui voit défiler, chaque année, près 12 000 personnes, toutes catégories confondues, se posent toujours des problèmes d'accueil d'un public particulier, en très forte demande d'accès au droit. Comme le note très justement Philippe-Pierre Cabourdin, dans son introduction au projet annuel de performance relatif à la protection judiciaire de la jeunesse, « le contexte socio-économique, marqué par le chômage, la délinquance ou les exclusions, ne facilite pas l'action des services éducatifs ». Je le confirme.

Or ces difficultés ne touchent pas que les seuls services de la protection judiciaire de la jeunesse. Ne serait-il pas temps d’en prendre la mesure ? Comment comptez-vous y répondre ?

Permettez-moi d’insister sur le problème spécifique des enfants relevant de la pédopsychiatrie. En Seine-Saint-Denis, où seulement 14 lits leur sont destinés, au moins 130 d’entre eux ont été confiés cette année à l’aide sociale à l’enfance faute de place dans des structures adaptées. Dans le même temps, près de 5 000 enfants à qui des soins en pédopsychiatrie ont été prescrits, n’ont toujours pas, un an plus tard, reçu de soins thérapeutiques appropriés.

Au-delà de la remise à niveau des moyens, indispensable pour garantir une certaine équité entre les territoires, il y a urgence à lancer une vaste réflexion commune sur les enjeux à long terme – dix, quinze, voire vingt ans –, associant tous les professionnels de la justice, les élus – tous les élus – et les usagers – ceux qui partagent votre avis, madame la garde des sceaux, comme ceux qui ne le partagent pas.

Pourquoi rester sourd à ces professionnels, universitaires et chercheurs, qui s’évertuent à rappeler l’urgence d’un changement ? De réforme, vous ne retenez que le nom, en le vidant de son sens, pour désigner un système d’exclusion, la dégradation du service rendu aux usagers et la stigmatisation de populations déjà largement défavorisées.

Le traitement au cas par cas, au coup par coup, en fonction d’impératifs à court terme ou en réaction aux faits les plus divers – voire à de simples faits divers – coûte extrêmement cher aux contribuables français et rend la production comme l’exécution des décisions beaucoup plus difficiles, voire quasi impossibles.

Votre budget est donc coupé des réalités, sauf peut-être en matière pénitentiaire. Mais pouvez-vous décemment, d’un côté, mettre au ban de la société une population que vous dites « déviante » et, de l’autre, ne pas nous donner les moyens d’une incarcération digne d’une démocratie occidentale ?

La discussion de ce budget est malheureusement dominée par le tollé médiatique et la grogne politique, dans votre propre camp, suscités par l’annonce de la suppression de nombreux tribunaux. Mais ce sujet grave ne doit pas masquer la nécessité d’un réel débat sur ce pilier de notre République qu’est la justice.

Parce qu’il ne fait que tirer les conséquences financières des lois votées depuis juin dernier – contre lesquelles je me suis d’ailleurs battu – le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera contre ce projet de budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Daniel Mach. Quelle surprise !

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Madame la garde des sceaux, les chiffres, incontestables, ont été maintes fois rappelés depuis le début de notre séance. Tout le monde prend acte – y compris, et fort honnêtement, à gauche –, de l’augmentation conséquente des crédits attribués à la mission « Justice » pour l’année 2008. Mais, même si nous avons l’obligation légale de concevoir un budget en termes annuels, nous ne pouvons pas l’analyser – et celui-ci moins que tout autre – hors de son contexte.

Ce contexte, c’est la fin de la période d’application de la loi d’orientation et de programmation pour la justice votée en 2002, un effort sans précédent dont on aurait pu craindre qu’il ne soit poursuivi avec mollesse. Je me réjouis de voir au contraire que ce budget ne freine pas l’élan. Tant en volume que dans sa répartition, il témoigne de la volonté d’apporter une réponse pertinente aux évolutions de notre société, non seulement en matière de délinquance, mais aussi, plus généralement, s’agissant de nos comportements, de nos modes de vie.

Avec Dominique Perben, nous avons adapté la réponse judiciaire aux évolutions de la criminalité. Avec Pascal Clément, nous avons répondu, non pour solde de tout compte, mais le plus rapidement et le plus efficacement possible, aux attentes importantes du pays après la dramatique et lamentable affaire d’Outreau, ainsi qu’en matière de tutelles. Avec vous, madame la garde des sceaux, nous voulons poursuivre l’effort, en nous concentrant sur les aspects qualitatifs plutôt que quantitatifs.

En effet, selon toutes les associations professionnelles – et nous sommes nombreux à les rencontrer –, 8 000 magistrats suffisent à répondre aux besoins de notre population. Or ce chiffre est pratiquement atteint. La répartition des magistrats dans les juridictions ne relève donc plus d’une gestion de la pénurie, mais d’une meilleure utilisation des moyens.

Je formulerai quelques réflexions sur des sujets qui occupent le devant de l’actualité au risque de nous dissimuler l’essentiel, c’est-à-dire l’effort considérable proposé par ce budget en faveur d’une justice meilleure, plus équilibrée, plus forte et plus efficace.

Dans les premières années de la précédente législature, lorsque nous avons voulu créer les centres éducatifs fermés, nous avons été traités de dangereux répressifs. Comme je l’ai pourtant fait remarquer à l’époque, M. Jospin, en 2002, avait intégré pratiquement la même mesure dans son programme. Mais comme c’est nous qui avons eu le courage ordinaire de la concrétiser, ce n’était pas bien ! Que n’ai-je entendu lorsque, parmi les premiers, j’ai demandé que l’on en ouvre un dans ma commune ! Aujourd’hui, le constat est unanime : les centres éducatifs fermés sont efficaces, il faut continuer à en créer. Et certains admettent très discrètement que j’avais probablement raison.

Il en va de même de la carte judiciaire. Je reste perplexe en entendant nos collègues de l’opposition nous dire qu’ils ont des propositions à faire. Ils en ont toujours lorsqu’ils ne sont pas aux commandes, mais oublient d’en avoir quand, parvenus au pouvoir, ils sont supposés prendre des initiatives ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Certes, la réforme de la carte judiciaire laisse certains d’entre nous mécontents, peut-être à juste titre. Mais elle a le mérite d’exister, et de traduire la volonté du Gouvernement d’adapter la réponse judiciaire aux besoins de notre société. Vous avez fait valoir, madame la garde des sceaux, que l’accès au juge était important, mais que l’accès au droit l’était peut-être plus encore. Or la réforme de la carte judiciaire s’accompagne d’une véritable réflexion sur cette approche, à l’aune de laquelle nous pourrons juger de l’efficacité de votre action.

Pour ces raisons, et comme presque tous les membres de la majorité, je voterai sans aucun état d’âme et avec détermination les crédits de la mission « Justice ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Présidence de M. Marc Le Fur,
vice-président

(M. Marc Le Fur remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg.

M. Arnaud Montebourg. Madame la ministre, vous avez choisi le mépris des territoires, des élus et de la province.

Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Rien que cela !

M. Arnaud Montebourg. Votre ignorance exceptionnelle de la réalité concrète de la vie de nos concitoyens justiciables…

M. Daniel Mach. Ne soyez pas irrespectueux !

M. Arnaud Montebourg. …est à l’image de la brutalité de vos méthodes et de vos décisions.

Votre tour de France des tribunaux et des cours tourne au cauchemar sadomasochiste pour votre majorité (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), tant les incidents se multiplient : avocats molestés, élus humiliés, bâtonnier en grève de la faim depuis hier soir à Montluçon, personnels de justice méprisés, magistrats « préfectoralisés ». À quand la bastonnade généralisée ? (Mêmes mouvements.)

M. Marcel Bonnot. Tout ce qui est excessif est insignifiant !

M. Arnaud Montebourg. Les problèmes, vous ne les réglez pas, vous les créez ! Jugeons plutôt ce que le président de l’Union syndicale des magistrats, qui est loin d’avoir sa carte du Parti socialiste, a déclaré : « Nous dénonçons les risques très réels d’instauration de déserts judiciaires dans certaines régions et l’absurdité » – c’est un mot fort – « de cette réforme, qui s’attaque à ce qui fonctionne le mieux : la justice de proximité. C’est le justiciable qui sera la principale victime de cette réforme. » Tout est dit !

Vous fermez à la hache plus de 200 tribunaux d’instance, qui jugent en des délais records et satisfaisants, à la porte du domicile, pour envoyer les justiciables se faire juger dans des tribunaux engorgés, dans des délais moins favorables. Ce sont les territoires ruraux et les citoyens les plus modestes qui paieront le prix de cette contre-réforme ! D’ailleurs, lors de votre audition par la commission des lois, madame la ministre, vous nous avez promis de nous communiquer les délais de jugement, juridiction par juridiction. Nous attendons toujours cette information. Il est vrai qu’une réforme aveugle s’accommode mal de la transparence !

M. Guy Geoffroy. Vous n’avez jamais rien fait !

M. Arnaud Montebourg. Les éléments nous manquent pour mesurer l’impact en termes de qualité de service de cette véritable concentration judiciaire.

Vous avez prétendu avec la même fantaisie que la fermeture des tribunaux d’instance conduirait les juges à se déplacer à domicile pour les dossiers de tutelle. Il faudrait des postes de magistrats et de greffiers en chapelet : tous les ans, chacun des quatre tribunaux que vous fermez en Saône-et-Loire traite environ 850 dossiers de tutelle !

Nous comprenons – sans la moindre indulgence – pourquoi vous préférez vous réfugier dans le sanctuaire électoral le plus chic et le plus fortuné de Paris, celui du 7e arrondissement. Là-bas, on ne risque pas de vous désavouer, ni de vous poser de mauvaises questions ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Daniel Mach. Quel goujat !

M. Arnaud Montebourg. Vous avez également osé affirmer que c’était en raison des dérapages de l’affaire d’Outreau qu’il faudrait supprimer de 250 à 300 tribunaux, petits et moyens, qui seraient facteurs de mauvaise justice. Mais les 200 tribunaux d’instance dont vous ordonnez le massacre n’ont pas de compétence pénale, sauf en matière de contraventions !

M. François Calvet. Ce n’est pas vrai !

M. Arnaud Montebourg. Outreau n’a donc rien à voir avec votre réforme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Nous en avons déduit que, soit vous étiez ignorante du rapport sur l’affaire Outreau, soit vous vous moquiez ouvertement de la représentation nationale !

Mais le plus grave est dans ce que certains députés de la majorité, auxquels nous rendons hommage pour leur combativité dans ce dossier, ont dénoncé. M. Alain Gest, député de la Somme, et qui fut président du conseil général de ce département, a regretté publiquement, hier, dans un quotidien national « les traitements différenciés selon les départements où il y a des ministres ou non ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Nous aimerions savoir ce qu’il en est, et quelles sont les contreparties que le président du groupe UMP s’est vanté de pouvoir obtenir.

Vous avez eu l’audace d’affirmer que la réforme de la carte judiciaire économiserait les finances publiques. Or ce que nous voyons dans cette contre-réforme tendant à la concentration judiciaire, c’est qu’il faudra de gros investissements afin d’agrandir, de pousser les murs, de construire des palais de justice et des cités judiciaires ! Non seulement le service rendu au justiciable sera moins bon, mais il coûtera plus cher au contribuable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Et vous voudriez des félicitations ?

Vous avez entendu nos contre-propositions, destinées à améliorer la justice de proximité, …

M. Daniel Mach. Ce ne sont que des mots ! La justice n’a jamais été aussi lointaine !

M. Arnaud Montebourg. …et à élargir les compétences matérielles et juridictionnelles des tribunaux d’instance aux contentieux de l’exécution et de la famille, mais vous avez fermé obstinément vos écoutilles !

En conclusion, je voudrais m’adresser à nos honorables collègues de la majorité, aussi exaspérés que nous le sommes (« Pas du tout ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), à part quelques personnalités remarquables.

De tout temps, des ministres ont individuellement perdu la confiance de la majorité. Les députés ont toujours cherché le moyen de sanctionner un ministre sans retirer leur appui à la politique générale du Gouvernement qu’il soutienne. Il existe dans tous les pays européens des procédures permettant la mise en minorité d’une ou d’un ministre qui, à l’évidence, ne fait pas correctement son travail. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Daniel Mach. C’est du machisme !

M. Arnaud Montebourg. Cette procédure n’étant pas prévue dans la Constitution de 1958, il ne nous reste donc que la procédure budgétaire pour faire connaître la défiance qui s’installe…

M. Daniel Mach. Que vous installez !

M. Arnaud Montebourg. …tant dans le pays que dans votre propre majorité.

Le moment est venu, mes chers collègues, de censurer cette politique désastreuse. Nous demanderons un scrutin public pour que chacun prenne ses responsabilités. Pour notre part, nous nous prononcerons contre les crédits.

Nous espérons, madame la ministre, que votre excessif autoritarisme trouvera enfin un juste et nécessaire obstacle démocratique sur son chemin ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. Guénhaël Huet.

M. Guénhaël Huet. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, sur un sujet aussi sérieux que celui qui nous retient ce matin, mieux vaut éviter de tomber dans la caricature ou se réfugier dans l’excès. (« C’est vrai ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Rendre la justice est une prérogative très importante de l’État, une mission régalienne qui se confond avec l’origine même de la vie en société. C’est protéger le citoyen dans sa vie quotidienne, que ce soit en matière civile, commerciale, sociale ou pénale. Ce n’est donc ni une abstraction, ni une chose toute faite.

Il faut tenir compte d’un environnement judiciaire que l’on peut caractériser par quelques éléments fondamentaux.

Le souci de l’équité entre les parties implique et impose une pratique très affirmée, donc la professionnalisation des juges. Il faut avoir ensuite le souci de l’efficacité, ce qui commande de réduire les délais de procédure et d’exécution des décisions rendues par les juridictions de toute nature, notamment pénales. Il faut répondre à une diversification et à une banalisation de certaines formes de délinquance, qui appellent une réponse pénale aussi ferme et adaptée que possible, comme l’ont récemment voulu le Gouvernement et le législateur par la loi du 10 août 2007 relative à la récidive des mineurs. Enfin, il faut faire face à une « judiciarisation » croissante : dans bon nombre de situations, le recours au juge devient systématique, au détriment des conciliations de toute nature, institutionnalisées ou non.

Ces données incontournables plaident pour une modernisation et une rationalisation de notre appareil judiciaire. Le Président de la République, le Premier ministre, et vous-même, madame la garde des sceaux, ont souhaité faire de la justice la priorité du budget pour 2008. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Alors que le budget de l’État augmente globalement de 1,6 %, celui de la mission « Justice » progresse de 4,5 %, soit près de trois fois plus. C’est, madame la garde des sceaux, le signe d’une grande ambition pour notre justice.

M. Daniel Mach. Tout à fait !

M. Guénhaël Huet. Les 6,5 milliards d’euros qui constituent votre budget permettront d’assurer une justice plus rapide et plus efficace, une justice plus cohérente et plus lisible, plus ferme, plus humaine et, enfin, plus moderne.

La création de 1 615 emplois concerne l’ensemble des secteurs et des catégories d’agents dans les juridictions, dans les établissements pénitentiaires, dans les services de la protection judiciaire de la jeunesse et à la CNIL. L’exercice de la justice est donc très conforté, ainsi que les actions de prévention et de protection des individus. De même, l’accès au droit et à la justice se trouve renforcé avec la consolidation des crédits consacrés à l’aide juridictionnelle et l’augmentation des moyens affectés aux conseils départementaux de l’accès au droit et aux procédures de médiation et de résolution des conflits.

Ces différents éléments sont tout à fait positifs et vont dans le sens d’une justice plus moderne, plus efficace et plus humaine. Ils se conjuguent avec la réforme de la carte judiciaire qui, rappelons-le, n’avait pas été modifiée depuis 1958. Cette réforme, maintes fois reportée, inquiète beaucoup les personnels judiciaires, les auxiliaires de justice et les élus que nous sommes parce que la perte d’une juridiction est appréhendée comme un démantèlement du service public dans des régions où celui-ci est déjà à de nombreux égards mis à mal depuis plusieurs années, quelle que soit la majorité politique en place.

Dans ces conditions, madame la garde des sceaux, il importe que vous expliquiez précisément cette réforme de la carte judiciaire et que vous veilliez à ce qu’elle soit mise en œuvre sans brutalité mais, au contraire, progressivement. À cet égard, il apparaît opportun – et je vous remercie de prendre une position claire sur ce point – d’introduire dans les prochains mois une réforme législative de la compétence des tribunaux d’instance…

M. Arnaud Montebourg. Il n’y en aura plus !

M. Guénhaël Huet. …afin qu’elle s’étende définitivement au contentieux familial. Votre engagement sur ce point, madame la garde des sceaux, nous permettrait de réduire une grande part de l’inquiétude et de l’opposition qui se manifestent ces jours-ci.

Il importe, enfin, de tenir le plus grand compte des particularités locales afin d’éviter des dysfonctionnements.

M. Serge Blisko. C’est vrai ! Mais ce n’est pas gagné !

M. Guénhaël Huet. Nous vous faisons confiance, madame la garde des sceaux,…

M. Serge Blisko. Heureux homme !

M. Guénhaël Huet. …pour répondre à ces interrogations de moyen terme.

Pour l’heure, nous nous félicitons de ce projet de budget qui porte la marque de votre ambition pour la justice et qui engage, en ce début de législature, une modernisation réelle et une efficacité nouvelle de notre appareil judiciaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Serge Blisko.

M. Serge Blisko. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les budgets de la protection judiciaire de la jeunesse et de l'administration pénitentiaire sont malheureusement placés sous le signe du recours massif à l'enfermement.

Les actions de la PJJ se concentrent sur la prise en charge du secteur pénal le plus grave. Vous vous défaussez sur les associations habilitées et les conseils généraux, amenés à gérer les questions pénales plus légères, contrairement à l'esprit et à la lettre de l'ordonnance de 1945. Les établissements pour mineurs occupent une très grande place dans la présentation de la PJJ. Comme les années passées, les postes créés pour l'encadrement éducatif et les greffes seront absorbés par le secteur fermé, qui s'apprête à recevoir 300 jeunes de plus par an, au détriment des foyers d'action éducative et du milieu ouvert.

Votre obsession de l’enfermement conduit à la surpopulation carcérale. Depuis le rapport de septembre 2005 du Commissaire européen aux droits de l'homme, M. Gil-Robles, la condition pénitentiaire ne s’améliore pas. Comme l’a rappelé M. Hunault – même si sa conclusion était absurde au regard des propos qu’il a tenus – le taux d’occupation s’établissait à 120 % et l’on recensait 10 000 détenus en surnombre, avec des conséquences particulièrement néfastes que nous avons tous constatées : dégradation des conditions d'hygiène et de vie ; exacerbation des tensions et des violences ; mise en péril de la sécurité des personnels de surveillance. Si l’on en croit les prévisions non publiées de l’administration pénitentiaire, la surpopulation va s’accentuer. Je comprends d’ailleurs que vous n’ayez pas autorisé la publication de ces chiffres, puisqu’ils annoncent 80 000 détenus à l’horizon 2017. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Je souhaite, comme de nombreux collègues, que vous démentiez ce chiffre, madame la garde des sceaux !

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Où va-t-on les mettre ?

M. Serge Blisko. L'explosion de la population carcérale n’est pas le fait du hasard, elle est due à votre orientation de politique pénale : allongement de la durée des peines, instauration de peines planchers et quasi-disparition des libérations conditionnelles. À ce rythme, l'objectif de l'emprisonnement individuel, qui devait être atteint en juin 2008, avec cinq ans de retard, ne le sera jamais. Allons-nous oui ou non parler franchement et dire que l’on va trouver d’autres solutions et abandonner cet objectif ? Nous attendons votre réponse, madame la garde des sceaux.

Face à la surpopulation, vous vous contentez d’évoquer la construction de nouvelles prisons, indispensable au regard de l’état de dégradation indigne de certaines d’entre elles. Sept établissements devraient ouvrir en 2008 et sept autres en 2009. L'augmentation des capacités d'accueil du parc pénitentiaire ne peut qu'encourager le recours à la prison, perçu comme le seul moyen de traitement de la délinquance. Or c’est un cercle vicieux. Il faut, au contraire, développer des alternatives nouvelles à la détention et des aménagements de peine, non pour désengorger mécaniquement les maisons d'arrêt et pallier la suppression de la grâce présidentielle, mais pour assurer la réinsertion des condamnés et prévenir la récidive. Les détenus ayant bénéficié d'un aménagement de leur peine récidivent moins que ceux qui ont connu des « sorties sèches ». Or le budget pour 2008 ne prévoit que 6 millions d'euros pour la mise en œuvre de ce type de mesures et 3 000 bracelets mobiles ou fixes sont annoncés pour 2008, alors que l’on enregistre une sur-occupation carcérale de 120 %. Cela doit nous inciter à être beaucoup plus audacieux et imaginatifs !

Autre déception, la faible importance accordée aux juges de l’application des peines, qui accomplissent un travail admirable : le ministère annonce la création pour 2008 de 1 100 emplois de surveillants – c’est mieux – et de 579 nouveaux postes à répartir entre les conseillers d'insertion et de probation et les personnels techniques et administratifs. Ces effectifs devraient essentiellement être absorbés par les nouveaux établissements pénitentiaires au détriment des plus anciens, qui souffrent pourtant de fortes carences. Quant aux gardiens de prison, ils doivent faire face à public de plus en plus en plus difficile. En 2007, 600 agressions ont été recensées. À cause du retard pris dans la création des UHSA – unités hospitalières spécialement aménagées pour l’hospitalisation des personnes détenues atteintes de troubles mentaux, les surveillants gèrent des publics extrêmement difficiles. Le maintien en détention de malades mentaux provoque des drames comme l'a, hélas ! montré l'acte de cannibalisme perpétré dans la maison d'arrêt surpeuplée de Rouen, en janvier dernier – nous en reparlerons lors de l'examen de votre futur projet de loi.

Madame la garde des sceaux, le groupe socialiste regrette que les moyens dévolus à ces deux programmes ne soient pas orientés vers une autre philosophie pénale, celle qui consiste à donner du sens à la peine en vue de prévenir la récidive et de donner aux condamnés le maximum de chances de réinsertion.

Mme Marylise Lebranchu. Bravo !

M. Serge Blisko. C'est pourquoi le groupe socialiste votera contre vos crédits. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à M. Max Roustan, dernier orateur inscrit.

M. Max Roustan. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, lors de sa réunion du 25 juillet dernier, la Délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire de l’Assemblée nationale m’a désigné en tant que rapporteur sur la carte judiciaire. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Arnaud Montebourg. On est sauvés ! C’est bien payé ! (Rires.)

M. Max Roustan. Cela m’a permis d’avoir un éclairage particulier sur ce dossier. J’ai auditionné pendant plus de trente heures tous les acteurs de la justice, quels que soient leur corps et leur appartenance syndicale, ce qui m’a permis de recueillir les analyses de chacun. Tous se sont accordés sur la nécessité de réformer la carte judiciaire, mais les personnes auditionnées ont, dans leur majorité, dénoncé la méthode retenue. Le fait que la concertation ait eu lieu pendant l’été leur a donné le sentiment de n’être pas entendues. Enfin, compte tenu de l’importance de cette réforme, le calendrier n’a pas paru adapté en ce qu’il ne laissait pas suffisamment de temps au dialogue entre les différents acteurs, qui doivent quelquefois défendre des intérêts divergents. Ils ont aussi regretté que cette réforme soit purement mécanique, alors qu’elle était une chance pour réformer les contentieux. Le justiciable aurait été ainsi doublement gagnant. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Michel Vaxès. Très bien !

M. Max Roustan. L’urgence dans laquelle est menée cette réforme ne se comprend pas tant le sujet est délicat. La justice est un des derniers piliers de l’autorité de l’État. Elle doit être présente sur le territoire.

M. Alain Vidalies. Exactement ! C’est une mission régalienne !

M. Max Roustan. Vous justifiez votre rythme pour mener cette réforme par la loi du 5 mars 2006 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale. Or cette loi – que j’ai votée – ne concerne, comme son titre l’indique, que l’instruction et les pôles d’instruction, soit 5 % des affaires traitées.(« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) De plus, son article 8 dispose que le Gouvernement présentera au Parlement un rapport faisant part des perspectives d’évolution de la carte judiciaire. Cela aurait pu constituer une base de travail acceptable pour tous, acteurs de la vie judiciaire et élus.

Au mois d’octobre, j’ai rencontré votre cabinet pour relayer un certain nombre de craintes et de critiques. Vous avez infléchi votre méthode…

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Ah bon ?

M. Max Roustan. …et décidé d’annoncer votre réforme cour d’appel par cour d’appel, afin d’être au plus près des réalités du terrain. On ne peut que vous en féliciter. Dans le Gard, où je suis élu, les solutions annoncées ont permis de maintenir un certain équilibre. Le maintien du conseil de prud’hommes est une décision pleine de sagesse, dont je tiens à vous remercier publiquement à cette tribune.

M. Arnaud Montebourg. Vous êtes bien le seul !

M. Max Roustan. Des solutions existent donc.

À la veille de la fin de votre tour de France, de nombreuses inquiétudes demeurent. Les parlementaires, exclus des discussions puisque votre réforme purement mécanique se fera par voie réglementaire, sont frustrés et vous devez entendre et comprendre les propos de certains de mes collègues, qui soutiennent semaine après semaine l’action du Gouvernement. Un débat, même sans vote, était attendu par les députés. Cela aurait permis de mesurer en amont les conséquences de cette réforme, dont je rappelle qu’elle est capitale.

Des inquiétudes de deux ordres subsistent, budgétaires et techniques.

Sachant qu’une grande partie des annonces sur le schéma de réorganisation sont déjà faites, a-t-on une idée du coût global de la réforme et quelles sont les économies attendues à terme de la rationalisation des implantations ? L’impact budgétaire pour 2008 devrait être limité car la mise en œuvre de la réforme s’étalera sur trois ans, mais il ne sera pas nul.

N’oublions pas que la réforme des conseils de prud’hommes interviendra rapidement. C’est dès maintenant qu’il faut lancer études et travaux d’extension si l’on veut accueillir dès 2009 ou 2010 de nouveaux magistrats ou fonctionnaires sur des sites déjà saturés. À Toulouse ou à Rouen, des magistrats travaillent déjà dans des « Algeco ». Seuls 80 millions d’euros sont prévus en autorisations d’engagement en 2008 pour l’immobilier judiciaire, soit l’équivalent de la construction de deux à quatre tribunaux. Comment, avec un tel montant, pourrez-vous lancer les nouvelles opérations liées à la réforme de la carte judiciaire et à la poursuite des travaux très lourds de mise aux normes et de sécurisation des tribunaux ? Avez-vous une idée du coût global du volet immobilier ? Pourra-t-il être pris en charge par le budget de la justice dans les prochaines années ?

Des mesures d’accompagnement sont prévues, à hauteur de 1,5 million d’euros. Ce n’est forcément qu’une provision compte tenu du caractère progressif de la réforme. Environ 2 000 personnes seront touchées par cette réforme, principalement dans les catégories B – celle des greffiers – et C. À quelles mesures en leur faveur avez-vous réfléchi ?

Les avocats ont également fait l’objet de discussions, surtout ceux qui voient leur barreau disparaître. Des mesures de compensation sont-elles envisagées ?

Les crédits du programme « Justice judiciaire » prévoient un montant de 1,5 million d’euros au titre des mesures d’indemnisation des personnels, mais il ne peut s’agir que d’une provision. Pourriez-vous nous indiquer précisément la nature des mesures individuelles prévues et leur montant ? L’incertitude qui règne actuellement sur ces mesures ne fait qu’inquiéter le monde judiciaire.

Lorsqu’un tribunal d’instance ou un tribunal de grande instance ferme, qu’est-il prévu pour faciliter l’accès à la justice ? Envisagez-vous des audiences foraines comme solutions palliatives et allez-vous engager les moyens adéquats en termes de crédits immobiliers, technologiques et de soutien ?

Enfin, vous avez présenté le recours aux nouvelles technologies de l’information comme un palliatif à l’éloignement des justiciables. Comme j’ai pu le constater à Grenoble, la semaine dernière, la dématérialisation des procédures commence à se mettre en place pour le contentieux pénal et sera effective au 1er janvier pour l’ensemble des TGI. Indépendamment des problèmes d’équipement des avocats, bien réels, qu’est-il prévu pour les tribunaux d’instance, qui constituent le cœur votre réforme, et pour le justiciable qui les fréquente, qui ne passe souvent pas par un avocat ? Ce justiciable serait-il le grand oublié de cette réforme ? Aura-t-il accès à son dossier ? Avec quel financement ?

De nombreuses questions se posent, madame la garde des sceaux, et je vous remercie pour tous les éclairages que vous pourrez apporter à la représentation nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. – Mme Françoise Hostalier applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs, la justice est l’une des grandes missions de la République, et c’est une priorité pour les Français. C’est aussi une priorité du Gouvernement.

Le budget de la justice pour 2008 est ambitieux, vous nous l’avez bien montré dans votre exposé, monsieur Couanau, et je vous remercie pour l’examen très approfondi que vous avez effectué. Comme vous l’avez relevé, monsieur Vaxès, c’est le seul à bénéficier d’une forte augmentation à la fois de ses crédits et de ses emplois. Il augmente de 4,5 %, alors que le budget de l’État ne progresse que de 1,6 %, et 1 615 emplois sont créés, en plus du remplacement de tous les départs à la retraite. C’est un gros effort qui vous est proposé aujourd’hui.

Ceux qui animent la justice au quotidien, les magistrats, les greffiers, les fonctionnaires, font leur métier avec beaucoup de dévouement, ils ont la passion de la justice. Le Gouvernement vous demande de leur donner des moyens à la hauteur de cet engagement, mais, je souhaite être très claire, l’effort financier qui est demandé à la nation ne peut être dissocié d’un autre effort, celui qui concerne la réforme de la justice.

Nous voulons une justice qui réponde aux préoccupations des Français, une justice qui fonctionne mieux. Le budget de la justice pour 2008 est consacré à la réalisation de ces objectifs.

Tout d’abord, nous voulons une justice qui réponde aux préoccupations des Français. La justice répond concrètement à leurs préoccupations lorsqu’elle est plus ferme, plus attentive aux victimes et plus humaine.

La première mission de la justice est d’assurer la sécurité de tous et le respect de la loi. La justice doit être ferme quand elle punit, ferme pour protéger nos concitoyens. C’est une demande des Français, monsieur Braouezec.

C’est pourquoi le Parlement a adopté la loi du 10 août 2007, dont je salue le rapporteur, M. Geoffroy. Elle renforce la lutte contre la récidive. Plus de 2 231 décisions ont été rendues à ce jour sur son fondement. Elle respecte le pouvoir d’appréciation des juges et le principe d’individualisation des peines. Elle rappelle aussi que la violation répétée de la loi doit être effectivement réprimée.

Chacun est responsable de ses actes. C’est aussi vrai pour les mineurs. Nous ne pouvons les laisser s’ancrer dans la délinquance. Nous ne pouvons pas laisser se développer un sentiment d’impunité. Nous ne devons pas attendre qu’il soit trop tard pour réagir. J’ai posé un principe clair, dans le cadre d’une circulaire d’action publique : une infraction, une réponse pénale. Nous voulons une prise en charge plus rapide et plus efficace pour les mineurs délinquants. Le projet de budget s’inscrit dans cette volonté.

Les centres éducatifs fermés ont montré leur efficacité : 61 % des adolescents qui en sortent ne récidivent pas. En leur donnant les repères qui leur ont manqué, nous leur donnons également une nouvelle chance. Dix nouveaux centres ouvriront en 2008. Nous en aurons donc au total quarante-trois.

M. François Calvet. Très bien !

Mme la garde des sceaux. Cinq centres à dimension pédopsychiatrique seront opérationnels, madame Tabarot. J’ai bien noté votre intérêt pour ces centres. Je vous inviterai à venir les voir fonctionner.

Cent emplois supplémentaires permettront de renforcer l’action de la protection judiciaire de la jeunesse dans les centres fermés et les établissements pour mineurs. L’accompagnement éducatif des jeunes y gagnera encore en qualité.

Pour protéger les Français, il est également essentiel de prévoir des mesures de sûreté contre les pédophiles et les délinquants dangereux en fin de peine. Ce sera l’un des objets du projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la culpabilité civile. Je souhaite que vous puissiez l’examiner avant la fin de cette année.

L’attention portée aux victimes est aussi une forte attente des Français.

Les victimes ont souvent le sentiment que l’institution judiciaire gère en priorité la situation des personnes condamnées. Elles m’ont souvent dit que la justice les délaissait. Nous devons mieux les entendre. Nous devons mieux les accompagner tout au long de la procédure judiciaire. Il faut leur garantir que les peines prononcées seront bien exécutées. Il faut également leur garantir qu’elles pourront obtenir l’indemnisation à laquelle elles ont droit. Les trois quarts des victimes ne sont pas éligibles à la commission d’indemnisation des victimes d’infractions. On ne s’assure pas réellement de leur indemnisation effective. J’ai annoncé une série de mesures. Elles seront mises en œuvre dès 2008.

M. François Calvet. Très bien !

Mme la garde des sceaux. Nous créerons un service d’assistance au recouvrement des indemnisations. Il aidera les victimes non éligibles à la commission d’indemnisation. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Elles n’auront aucun frais à avancer pour obtenir les dommages et intérêts auxquels elles ont droit. Elles n’auront plus à assumer seules toutes les démarches. Elles ne seront plus obligées d’être en contact avec l’auteur des faits. Elles n’auront pas besoin de lui donner leurs coordonnées.

La commission d’indemnisation sera réformée. Elle sera rendue plus accessible. Le magistrat qui la préside recevra les attributions de juge délégué aux victimes. Les victimes et leurs avocats pourront le saisir. Un décret sera prochainement publié. Il entrera en vigueur dès le 1er janvier 2008.

L’action des associations d’aide aux victimes sera davantage soutenue. Les crédits qui leur sont destinés s’élèveront à 10,9 millions d’euros, en augmentation de près de 15 %.

L’accès au droit est une nécessité pour tous. L’an dernier, 905 000 justiciables ont été admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle ; 327 millions d’euros seront disponibles en 2008.

La justice est également humaine quand elle garantit la dignité des personnes détenues.

Cette volonté, vous l’avez exprimée. La loi du 30 octobre 2007 a institué un contrôleur général de tous les lieux de privation de liberté, dont le budget, inscrit dans le programme « Coordination du travail gouvernemental », qui relève du Premier ministre, a été voté la semaine dernière et s’élève à 2,5 millions d’euros.

Un projet de loi pénitentiaire qui redéfinira le rôle des prisons et améliorera les conditions de prise en charge des détenus est en cours d’élaboration.

Le comité d’orientation restreint doit me remettre prochainement une deuxième série de propositions concernant les missions des personnels. Tous s’acquittent de missions essentielles. Leurs conditions de travail sont souvent difficiles, parfois dangereuses. Je tiens à leur rendre hommage.

Le budget prévoit la création de 1 100 postes supplémentaires dans l’administration pénitentiaire. Je suis aussi attentive à la sécurité des personnels. Des mesures sont prises. J’ai signé le 12 septembre une convention avec les représentants des exploitants d’hélicoptères. Ce partenariat tant attendu devrait permettre de réduire le nombre des tentatives d’évasion par voie aérienne. Parallèlement, des travaux de sécurisation continueront à être réalisés dans tous les établissements.

En 2008, sept nouveaux établissements ouvriront leurs portes. Trois seront des établissements pour mineurs. Vous avez raison, monsieur Hunault, de souligner que c’est une priorité du Gouvernement. Grâce à ce budget, nous disposerons de 2 800 places supplémentaires.

La politique pénitentiaire doit aussi améliorer la réinsertion des détenus. C’est ainsi que nous lutterons efficacement contre la récidive. Il faut développer l’aménagement des peines et éviter toute « sortie sèche ». Nous allons consacrer 5,4 millions d’euros au financement des bracelets électroniques fixes ou mobiles – 3 000 bracelets seront disponibles dès 2008. Enfin, un million d’euros sera destiné au financement des associations qui accueillent des condamnés. Elles les accompagnent tout au long de l’aménagement de leur peine. En leur offrant un logement et un travail, elles augmentent considérablement leurs chances de réinsertion.

Vous le voyez, les chantiers engagés sont nombreux. Ils sont indispensables. Ce sont des réformes attendues des Français.

La justice doit aussi se réformer de l’intérieur.

Nous voulons que la justice fonctionne mieux. Elle fonctionnera mieux en s’appuyant sur une véritable politique des ressources humaines, en utilisant les outils de notre temps et en modernisant son organisation.

Nous avons commencé à mettre en place une véritable politique des ressources humaines.

La gestion des carrières des magistrats et des greffiers doit être modernisée. Le service de gestion des ressources humaines a été créé dès le 1er août dernier. Il y a de nombreux talents dans les juridictions, pour l’organisation, pour certains contentieux, pour une fonction en administration centrale ou à l’international. Il faut les valoriser. Nous devons utiliser au mieux ces compétences. C’est l’intérêt de tous.

En 2008, 400 emplois supplémentaires seront créés au profit des juridictions. Des emplois de magistrats sont destinés aux pôles anti-discrimination, au secrétariat général de tribunaux de grande instance et aux futurs pôles de l’instruction, d’autres seront utilisés pour des missions de magistrats placés, qui remplacent leurs collègues absents. Une bonne gestion des ressources humaines consiste à mettre les bonnes personnes aux bonnes fonctions. Comme vous l’avez souligné, monsieur Garraud, il y aura autant d’emplois nouveaux de greffiers que d’emplois nouveaux de magistrats.

La qualité du travail judiciaire dépend aussi de l’assistance qu’apporte le greffier au magistrat, et c’est pourquoi je souhaite que nous mettions en œuvre une véritable politique des ressources humaines.

Il faut également que la magistrature s’ouvre davantage à la société, dont elle doit refléter la diversité. L’École nationale de la magistrature sera modernisée. C’est la mission de son nouveau directeur. L’École doit former des magistrats efficaces, responsables et ouverts sur le monde. Elle doit développer chez les auditeurs de justice les qualités humaines indispensables à l’exercice de leurs futures fonctions.

M. Alain Vidalies. Vous enfoncez des portes ouvertes !

Mme la garde des sceaux. La formation des magistrats et des personnels judiciaires sera l’un des chantiers de la présidence française de l’Union européenne.

La justice prendra sa part de la politique d’égalité des chances. Dans cette perspective, une classe préparatoire intégrée à l’École nationale de la magistrature sera ouverte en janvier 2008. Elle est destinée à accueillir quinze étudiants de condition modeste ou boursiers qui veulent préparer le concours de la magistrature. Nous avons déjà reçu plus de 120 candidatures. La condition sociale ne doit pas être un frein à l’ouverture de la magistrature.

Je souhaite également que les femmes soient mieux représentées dans le corps judiciaire, notamment au plus haut niveau de responsabilités. Je me suis engagée à renouveler ce corps et à assurer la parité dans les nominations. En nommant hier cinq femmes parmi les dix procureurs généraux, nous avons fait passer leur représentation de 6 à 21 %. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Les personnels sont concernés par un autre volet essentiel : celui des conditions de travail. En 2008, nous consacrerons 121 millions d’euros à la rénovation de certains tribunaux – Perpignan est du nombre – ainsi qu’à la mise aux normes de sécurité incendie et d’accessibilité pour les personnes handicapées. (Mêmes mouvements.)

Pour les personnels comme pour les justiciables, nous renforçons la sécurité des palais de justice. Nous avons tous en tête les drames de Metz et de Laon. Ils ne doivent pas se reproduire. Cet été, j’ai débloqué vingt millions d’euros de crédits, jusque-là gelés, en faveur d’un plan de sécurisation des juridictions. Grâce à ce plan, 209 juridictions sont désormais équipées d’un portique de sécurité et 92 % des équipes de surveillance sont aujourd’hui en place. Cet effort sera poursuivi en 2008 à hauteur de 39 millions d’euros.

Je tiens ici à indiquer à quel point je suis attachée à la sécurité des magistrats et des personnels de justice, et je condamne solennellement la fusillade du tribunal Ajaccio survenue cette nuit.

Pour améliorer son fonctionnement, la justice doit utiliser les outils de son temps, notamment les nouvelles technologies, qui facilitent l’accès à la justice. Elles sont attendues dans les juridictions depuis 1999.

Mme Marylise Lebranchu. Ce n’est pas gentil pour M. Perben et M. Clément !

Mme la garde des sceaux. Vous avez raison de souligner, monsieur le député Blanc, qu’elles la rendent plus rapide, plus réactive, plus efficace. La numérisation des procédures pénales dès 2008, et civiles dès 2009, la communication électronique avec les auxiliaires de justice, la visioconférence permettront des améliorations sans précédent. Des sites pilotes les utilisent déjà avec des résultats prometteurs.

Demain, le justiciable et son avocat pourront suivre en ligne l’avancement de leur procédure sans avoir à se déplacer. Ils pourront recevoir un jugement par courrier électronique. Les greffes gagneront un temps précieux, qui pourra être consacré à des travaux plus utiles que la reprographie des dossiers. Plus de 67 millions d’euros seront consacrés en 2008 aux programmes informatiques de la justice.

Enfin, une justice qui fonctionne mieux, c’est une justice mieux organisée. L’affaire d’Outreau a particulièrement marqué les Français. Elle a montré combien la solitude du juge était dangereuse. Il faut que les magistrats puissent échanger entre eux, et que les plus expérimentés puissent conseiller les nouveaux.

Monsieur Montebourg, vous me faites un procès en incompétence. (« Goujat ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Arnaud Montebourg. Ce n’est pas moi, c’est la France qui vous le fait !

Mme la garde des sceaux. J’ai bien lu le rapport de la commission d’enquête, aussi bien que le rapport d’Henri Nallet, qui préconisait la départementalisation de la justice et la disparition de tous les tribunaux d’instance. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Georges Fenech. Ils sont amnésiques !

M. Arnaud Montebourg. Le rapport Nallet n’est pas une Bible ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. C’est le double langage du PS !

Mme la garde des sceaux. J’ai bien lu également le projet d’Élisabeth Guigou, fondé uniquement sur des critères d’activité.

Mme Muriel Marland-Militello. Absolument !

Mme la garde des sceaux. Vous me demandez, monsieur Montebourg, quel est le rapport avec l’affaire d’Outreau. Sachez que les conclusions de la commission Outreau ont démontré que la dispersion des moyens nuit à l’efficacité de la justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Arnaud Montebourg. Les tribunaux d’instance n’ont rien à voir avec l’affaire d’Outreau !

Mme la garde des sceaux. Sur les 475 tribunaux d’instance, une centaine ne comptent ni magistrats, ni fonctionnaires, ni greffiers. Allez donc expliquer aux Français pourquoi ils n’ont pas tous accès à la même justice ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Alain Vidalies. Qu’ont fait Perben et Clément pendant cinq ans ?

M. Étienne Blanc. Et les socialistes pendant vingt ans ?

Mme la garde des sceaux. C’est pourquoi le Parlement a voté la loi du 5 mars 2007, dont l’article 6 dispose que « dans certains tribunaux de grande instance – et non dans tous –, les juges d’instruction sont regroupés au sein d’un pôle de l’instruction ». Et le Parlement a confié au Gouvernement le soin de fixer par décret la liste des tribunaux concernés. Nous avons retenu les tribunaux de grande instance en mesure d’avoir une activité suffisante pour trois juges d’instruction, ce qui suppose une réflexion territoriale. Nous avons recherché un équilibre pour chaque région.

Mesdames, messieurs les députés, plusieurs d’entre vous ont évoqué la carte judiciaire. C’est un sujet qui va bien au-delà de la question des pôles de l’instruction, qui seront mis en place le 1er mars 2008, et a fortiori de notre débat d’aujourd’hui sur le budget de la justice, puisque la réforme sera étalée sur trois ans. Mais je vais bien sûr vous répondre.

Notre carte judiciaire, qui fixe l’implantation des juridictions, date de 1958, et elle n’a pas été modifiée depuis.

M. Daniel Mach. Elle est aussi moderne que le PS !

M. Alain Vidalies. Attention à la surchauffe, monsieur Mach !

M. Patrick Braouezec. La déshydratation est vite arrivée !

Mme la garde des sceaux. Cela signifie que la structure du service public de la justice n’a pas été réformée depuis 1958.

M. Daniel Mach. Comme le PS ! (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Un député du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Un brancard pour M. Mach !

Mme la garde des sceaux. Chacun connaît les difficultés de fonctionnement qu’elle engendre. Vous l’avez rappelé, monsieur Hunault, la commission Outreau avait unanimement reconnu la nécessité de réformer la carte judiciaire.

M. Guy Geoffroy. Absolument !

Mme Marylise Lebranchu. Ce n’est pas vrai !

M. Arnaud Montebourg. Nous avons le rapport ici ! Nous allons vous le lire !

Mme la garde des sceaux. Chacun comprend que l’on ne peut pas continuer à saupoudrer nos moyens sur 1 200 juridictions dispersées sur 800 sites.

Mme Catherine Quéré. La justice de proximité, c’est déjà fini ?

Mme la garde des sceaux. Les Français attendent que soit rendue une justice de même qualité sur tout le territoire, qui réponde rapidement à leurs besoins : c’est cela la justice de proximité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Lorsqu’on est victime d’une agression, lorsqu’on est en détresse, lorsqu’on exprime une souffrance ou un besoin de protection, on attend une réponse rapide, claire, lisible.

C’est la mission de la justice de régler les litiges, de juger les délits et les crimes. (« Quel scoop ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Ce n’est pas la proximité physique du tribunal qui importe. La proximité, c’est la satisfaction rapide du besoin de justice.

M. Alain Vidalies. Quel est ce charabia ?

Mme la garde des sceaux. Avoir accès à la justice, c’est pouvoir recourir au conseil d’un avocat, au service d’un huissier ou d’un notaire, ou des associations de victimes, qui font un travail formidable sur le terrain ; c’est pouvoir bénéficier de l’aide juridictionnelle. Grâce à l’Internet, ce sera bientôt pouvoir saisir n’importe quelle juridiction en France, où que vous soyez.

Mme Delphine Batho. Les personnes âgées apprécieront !

Mme la garde des sceaux. Nous ne sommes plus en 1958 : la présence d’un tribunal près de chez soi ne garantit pas une justice de proximité. (« Ça aide ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. Alain Vidalies. C’est une vision du 7e arrondissement !

Mme la garde des sceaux. La justice doit être une justice de qualité. Vous parlez, monsieur Vidalies, de l’accès au juge. Croyez-vous qu’un juge seul dans un tribunal d’instance, qui ne peut pas partager ses interrogations et ses doutes avec un collègue, ou qui ne peut pas exercer pleinement sa mission de juge des tutelles faute de pouvoir se déplacer, offre une justice de qualité ?

Notre réforme tient compte de la réalité du terrain, monsieur Montebourg. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Le rapporteur dit le contraire !

M. Alain Vidalies. Ce n’est pas l’avis de la délégation à l’aménagement du territoire ! Vous n’avez aucun respect pour l’Assemblée !

Mme la garde des sceaux. Pourquoi avons-nous demandé aux chefs de juridiction de nous faire connaître les propositions du terrain ; pourquoi vais-je recueillir dans chacune des régions les remarques des élus et des professions judiciaires, sinon pour tenir compte de la réalité de la justice ?

Il y a deux moyens de réformer la carte judiciaire : en parler et ne rien faire ; ou bien l’expliquer sur le terrain et agir.

Mesdames, messieurs les députés, la réorganisation de la carte judiciaire ne réglera pas à elle seule toutes les difficultés. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Mme Delphine Batho. C’est le moins que l’on puisse dire !

Mme Marylise Lebranchu. Elle va les aggraver au contraire !

M. Daniel Mach. Ce n’est pas ce que dit Georges Frêche !

Mme la garde des sceaux. Elle n’est que l’un des aspects de la réforme de la justice.

M. Daniel Mach. M. Frêche la trouve très bien !

M. Patrick Braouezec. Dans ce cas on est sauvé !

Mme la garde des sceaux. Tous les chantiers engagés sont essentiels pour restaurer la confiance des Français dans leur justice. Ils sont essentiels pour restaurer l’autorité et l’image de la justice.

M. Alain Vidalies. Vous devriez, madame la ministre, supprimer les tribunaux dans les circonscriptions de ceux de nos collègues qui sont d’accord avec votre réforme !

Mme la garde des sceaux. Le Gouvernement a conscience des besoins et des enjeux. Il a clairement fait du budget de la justice une de ses priorités. Celui-ci est attendu par l’ensemble des acteurs judiciaires. Je ne doute pas que vous aurez tous à cœur de confirmer cette priorité au service des justiciables de notre pays. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

M. le président. Nous en arrivons aux questions.

La parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Michel Vaxès. Madame la garde des sceaux, depuis que les premières critiques se sont fait entendre sur votre réforme de la carte judiciaire, vous n’avez cessé de proclamer que la justice de proximité ne serait pas remise en cause, et que cette réforme était pensée dans le seul intérêt du justiciable. Mais ces assurances sont démenties par la suppression de très nombreux tribunaux d’instance, juridictions de proximité par excellence, qui ont démontré leur efficacité et leur utilité.

Une justice facile d’accès est une justice proche du citoyen dans tous les sens du terme. C’est pourquoi, au-delà de la nécessaire proximité géographique, il est essentiel que certains contentieux restent le plus possible accessibles à des modes de saisine simples, sans représentation obligatoire par un avocat. Or nous avons lu, ici ou là, que la liberté du justiciable pourrait être remise en cause en la matière. Pour calmer la grogne des avocats, il semble en effet que vous seriez prête à envisager pour eux des mesures compensatoires, notamment en rendant obligatoire la représentation par un avocat pour certains contentieux. Un communiqué du Conseil national des barreaux précise que cette extension de la représentation en justice des parties serait envisagée tant en matière commerciale qu’en matière civile.

Confirmez-vous, madame la garde des sceaux, l’existence d’un tel accord entre la chancellerie et les avocats ? Si tel est le cas, pouvez-vous nous préciser les contentieux concernés ? Comment comptez-vous dans cette hypothèse garantir l’accès à la justice à des justiciables qui risquent de renoncer à demander réparation pour ne pas, par exemple, engager pour leur défense des frais supérieurs à la compensation du préjudice subi ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux. En ce qui concerne la facilité d’accès à la justice, je vous rappelle, monsieur le député, que le tribunal d’instance, tribunal de proximité, a été créé en 1958. Le 27 juin dernier, lors de la réunion du comité consultatif de la carte judiciaire, j’ai indiqué des critères, des principes et les différents schémas d’organisation envisageables, auxquels certains d’entre vous ont fait référence.

Un de ces schémas prévoyait la création d’un tribunal de première instance et des points d’accès, ou au juge, ou au droit. Cette solution n’a pas fait l’unanimité chez les élus, qui y étaient beaucoup moins favorables que les professions judiciaires, notamment les magistrats. Les élus ne partagent donc pas tous votre faveur pour le TPI.

En ce qui concerne la compétence d’attribution du tribunal d’instance, elle comprend pour l’essentiel, outre des affaires de surendettement et de crédits à la consommation, des dossiers de tutelle. Or, alors que les magistrats et les greffiers ont la faculté, dans l’exercice de cette dernière mission, de se rendre dans les hôpitaux, les maisons de retraite ou les établissements spécialisés, ils ne le font que rarement, et nous en revenons à la question de la dispersion des moyens : les juges des tribunaux d’instance sont souvent seuls, et doivent faire face à des tâches qui ne relèvent pas de leur mission.

En concentrant les moyens et en regroupant les juges d’instance, on pourra spécialiser un juge d’instance dans les affaires de tutelle, qui aura le temps de se déplacer pour exercer sa mission de juge des tutelles. Je vous rappelle qu’il s’agit d’assurer la protection de mineurs ou de majeurs incapables. Il est également, depuis la dernière réforme des tutelles, compétent en matière de mandat de protection future, qui permet d’organiser pour l’avenir la protection de ses biens, de sa personne, voire de ses enfants handicapés.

Si le juge des tutelles se déplace davantage, il sera mieux à même de traiter le dossier des tutelles. Sa fonction consiste à ouvrir la procédure et à évaluer la mesure. Le traitement du dossier des tutelles est d’ordre administratif et relève du greffe. En regroupant les moyens, nous renforçons donc la proximité du juge des tutelles.

Pour ce qui est du surendettement lié la consommation, la procédure s’effectue, comme vous le savez, sur dossier, sans comparution. Le justifiable n’a donc pas à se rendre chaque jour au tribunal d’instance pour suivre son dossier. Je le répète, la réorganisation des services des tribunaux d’instance nous permet d’observer que, pour l’essentiel, ils traitent des tutelles, que nous réglons par le regroupement des moyens.

M. Michel Vaxès. Seront-elles vraiment traitées ?

Mme la garde des sceaux. Oui, monsieur le député !

Quant à l’accès au droit, qui consiste à pouvoir se renseigner sur ses droits les plus élémentaires, il est aussi une forme d’accès à la citoyenneté. L’accès au juge signifie qu’il faut pouvoir demander au juge une décision de justice rapide, efficace et lisible, et c’est pourquoi il importe de recentrer le rôle du juge sur sa mission : juger. L’accès au droit est un engagement que nous avons pris et dont témoigne le budget. Nous développerons les points d’accès au droit, afin de permettre cet accès pour les plus démunis, les plus modestes, dans les endroits où il est nécessaire, comme certains quartiers difficiles.

Voilà donc, monsieur Vaxès, pour la réorganisation des tribunaux d’instance.

Pour ce qui concerne la représentation obligatoire, nous avons identifié plusieurs pistes de travail avec les instances nationales représentatives des avocats, qu’il s’agisse des barreaux ou des bâtonniers.

La première de ces pistes consiste, en cas de réorganisation des TGI, à réorganiser les barreaux. On comptait en effet, jusqu’à présent, un bâtonnier par barreau, de telle sorte que la transformation d’un TGI en tribunal d’instance « renforcé » entraîne automatiquement la disparition d’un bâtonnier. Il s’agit donc, avec la réorganisation du barreau que le Gouvernement étudie avec les avocats, de la réorganisation d’une profession – d’un ordre –, et nullement de la qualité de la justice.

La deuxième piste consiste à réexaminer les modalités de la multipostulation, afin de permettre à un avocat rattaché à un tribunal de grande instance de plaider dans un autre, au sein de la même cour d’appel, ce qui est aujourd’hui impossible. Cette mesure pourrait faciliter non seulement la tâche du justiciable, mais aussi celle de l’avocat.

La troisième piste consiste à examiner les contentieux pour lesquels pourrait être introduite la représentation obligatoire, qui ne sont pas nécessairement des contentieux d’instance. Pour certains contentieux, en effet, l’avocat n’est pas obligatoire – c’est le cas par exemple pour le contentieux de la consommation, qui relève du tribunal d’instance et n’impose pas de représentation obligatoire, et dans lequel le justiciable est souvent désorienté face à la complexité de la législation nationale et européenne. Il pourra donc être utile, dans certains domaines, d’être assisté d’un avocat.

La dernière piste, qui répond à la demande des avocats, consiste à faciliter l’accès à la magistrature à ceux d’entre eux qui souhaitent ne plus exercer la profession du barreau.

Voilà, monsieur le député, pour répondre à votre question, les pistes de travail et les compensations possibles que nous pouvons envisager pour les avocats. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier.

M. Jean-Jacques Candelier. Madame la ministre de la justice, au cours des dernières semaines, vous avez entamé, pourrait-on dire, le Tour de France de la grogne judiciaire. Au fil de vos déplacements, vous annoncez ici et là aux élus, citoyens, avocats, greffiers et magistrats la suppression ou le déplacement de plusieurs tribunaux, non sans quelques remous, y compris au sein de votre propre majorité.

Vous dites vouloir, madame la ministre, que les juridictions aient une taille adéquate pour optimiser les moyens budgétaires et humains qui leur sont affectés. Or, une meilleure répartition des moyens n’est pas, selon moi, le seul enjeu d’une réforme réussie de la justice : nous devons obtenir plus de moyens humains et financiers, car, même si le budget 2008 prévoit la création de 1 615 postes supplémentaires, c’est bien insuffisant. L’état de nos prisons, les événements d’Outreau ou les agressions récentes commises contre des magistrats dans les tribunaux sont là pour le prouver.

Pour le Nord-Pas-de-Calais, le vendredi 12 octobre dernier, à Lille, vous avez rendu votre verdict : suppression d’un tribunal de grande instance et de quatre tribunaux d’instance.

Je me suis réjoui du maintien des activités judiciaires à Douai, d’autant que vous n’avez pas rejeté la proposition d’étudier la création d’un pôle de l’instruction. J’ai cependant appris depuis lors qu’à compter du 1er mars 2008, seuls les pôles de l’instruction auront compétence pour instruire les affaires criminelles et les affaires correctionnelles dites complexes, alors que dans les juridictions qui n’auront pas de pôle de l’instruction, il ne restera qu’un juge d’instruction, et cela provisoirement jusqu’en 2010. Cela signifierait donc pour le Douaisis la disparition du tribunal de grande instance : d’où l’importance vitale d’obtenir ce pôle de l’instruction sur Douai, qui perdrait également son conseil de prud’hommes et son tribunal des affaires de sécurité sociale.

Douai semble remplir tous les critères, à l’exception d’un seul : le nombre de juges d’instruction – deux au lieu des trois requis. Cette condition ne me semble toutefois pas irréductible, puisque le TGI de Blois, par exemple, qui n’en a que deux, s’est vu attribuer un pôle de l’instruction. De plus, l’activité des deux juges d’instruction douaisiens, est nettement supérieure à la moyenne nationale. Par ailleurs, nous ne sommes pas les seuls à plaider en sa faveur, puisque le premier président et le procureur général l’ont déjà réclamé.

Ma question appelle donc, madame la ministre, une réponse que je souhaite très claire : au regard des nombreux arguments et critères favorables à sa création, vous déclarez-vous favorable à la mise en place d’un pôle de l’instruction sur Douai ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux. Je tiens d’abord à préciser, monsieur le député, que les pôles de l’instruction et la réforme de la carte judiciaire, qui fait l’objet de mon « tour de France », sont deux choses différentes. La loi du 5 mars 2007 m’impose la création des pôles de l’instruction – pour le 1er mars 2008 en matière criminelle, puis pour 2010 pour tous les délits et crimes. Il faut donc dissocier ces deux aspects que vous associez.

Selon vous, la création des pôles de l’instruction ferait tout perdre aux TGI qui n’en auront pas. Or, je le rappelle, le pénal n’est pas entièrement traité à l’instruction, puisque ce n’est le cas, au niveau national, que de moins de 5 % des affaires – il arrive même, dans certains TGI, que, sur 4 000 affaires pénales, 30 seulement relèvent de l’instruction. Remettons donc les choses dans leur contexte et parlons clairement, objectivement : ni les TGI, ni le pénal ne disparaîtront. Je le répète : le pénal ne se limite pas à l’instruction.

En deuxième lieu, si une affaire pénale est ouverte à l’instruction dans le ressort d’un TGI qui ne possède pas de pôle de l’instruction, le TGI est saisi et l’affaire est envoyée au pôle de l’instruction compétent, avant de revenir au TGI pour être jugée. La justice de proximité ne relève pas du pôle de l’instruction, qui est un pôle technique, spécialisé, destiné à des contentieux complexes.

En la matière, l’évolution de la tendance est révélatrice : personne n’a contesté, lors de leur création, les premiers pôles financiers, destinés à regrouper les moyens en réponse à des affaires politico-judiciaires et qui n’existent aujourd’hui qu’à Marseille, Lille, Lyon, Paris et Bordeaux. Les pôles de l’instruction sont eux aussi des pôles techniques spécialisés, auxquels sont affectés des magistrats compétents et spécialisés : par définition, il ne peut pas y en avoir partout. C’est de cette même tendance au regroupement des moyens pour mieux appréhender des contentieux complexes et spécialisés que témoignent la création des groupes d’intervention régionaux – les GIR –, en vue de la lutte contre l’économie souterraine, et celle des juridictions interrégionales spécialisées, visant la criminalité organisée et le terrorisme.

La création des pôles de l’instruction ne signifie donc pas la disparition du pôle pénal, mais une concentration des moyens, avec des magistrats plus spécialisés et mieux formés, pour le traitement des contentieux complexes. J’y insiste donc : les TGI ne possédant pas de pôle de l’instruction auront toujours un pôle pénal.

Il s’agit donc, non d’une suppression des TGI, mais de leur réorganisation. Un tribunal de grande instance transformé en tribunal d’instance « renforcé » reste compétent pour les affaires familiales, par exemple : on continuera d’y traiter des divorces et de droit des mineurs, lors d’audiences foraines. Il ne s’agit donc nullement de supprimer la justice civile, en particulier pour les affaires familiales, qui représentent le plus gros contentieux civil des tribunaux de grande instance.

Cela répond donc aussi, me semble-t-il, à votre question relative au tribunal de grande instance de Douai. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Pour le groupe Nouveau Centre, la parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Madame la ministre, vous avez évoqué dans votre intervention les points d’accès au droit. Nous aurons tout à l’heure l’occasion d’examiner un amendement que j’ai déposé au nom du groupe Nouveau Centre et que le président Le Fur a également déposé au nom du groupe UMP, portant sur les maisons de justice et du droit, qui concourent à la prévention de la délinquance et assurent la présence judiciaire de proximité.

Ma question porte sur les projets de carte judiciaire en Loire-Atlantique. Je salue la concertation qui a eu lieu, notamment sous la présidence du préfet, M. Hagelsteen, et au cours de laquelle vous avez écouté attentivement nos propositions relatives au maintien des tribunaux de grande instance de Saint-Nazaire et de Nantes et nous avez annoncé la suppression du tribunal d’instance de Paimboeuf et celle du tribunal d’instance de Chateaubriant.

Il n’aurait pas de sens, madame la ministre, de remplacer la centaine de tribunaux d’instance qui n’ont ni fonctionnaires, ni magistrats, ni greffiers par la multiplication de maisons du droit, et ce n’est pas de cela qu’il est ici question. Je tiens néanmoins vous alerter sur les conséquences qu’aurait pour le département de Loire-Atlantique la suppression du tribunal d’instance de Chateaubriant, distant de 65 kilomètres de Nantes, qui traite un contentieux exigeant, comme vous le savez, la proximité.

Seriez-vous favorable, madame la ministre, à la création, proposée par plusieurs élus, d’une maison du droit et d’accès au droit, qui permettrait le maintien service public de la justice ? Des audiences foraines pourraient être assurées, comme c’est le cas actuellement, par un juge qui viendrait régulièrement du tribunal de grande instance de Nantes, afin d’éviter à une population qui n’en a ni les moyens, ni les possibilités, de se rendre à Nantes pour traiter des contentieux qui relèvent habituellement de ce tribunal.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux. Il est vrai, monsieur Hunault, que l’accès au droit, dont on ne parlait pas voici encore dix ans, est devenu de plus en plus indispensable, notamment en termes de citoyenneté. Ainsi, non seulement les maisons de justice et du droit ont été confortées, mais elles seront encore développées. Ces maisons de justice et du droit de nouvelle génération intégreront les nouvelles technologies : on pourra, par le biais des nouvelles technologies, y introduire une instance ou déposer une requête, qui seront transmises au TGI du ressort. C’est là une première innovation concernant ces maisons de justice et du droit, où l’on trouvera des greffiers, des conciliateurs, des médiateurs, des délégués du procureur.

Comme j’ai pu en juger en entendant les propos tenus dans cet hémicycle, l’opposition, qui n’était guère favorable aux juges de proximité lors de leur création, les réclame aujourd’hui. Je puis vous confirmer, à cet égard, que j’ai procédé la semaine dernière au recrutement de 150 juges de proximité supplémentaires, que nous retrouverons dans ces maisons de justice et du droit pour traiter des litiges de la vie courante.

La transformation des tribunaux d’instance fait passer, je le répète, du fait au droit la situation de tribunaux qui n’ont ni magistrats, ni fonctionnaires, ni greffiers, et pour lesquels il n’y a ni accès ni besoin réel – étant entendu, je le rappelle aussi, que nous maintenons et développons la proximité pour ce qui est des tutelles. Pour le reste, nous développons les points d’accès au droit ou les maisons de justice et du droit.

Les maisons de justice et du droit seront donc développées là où elles seront nécessaires, et renforcées là où elles seront maintenues. Des audiences foraines pourront s’y tenir, qu’il s’agisse du juge pour enfants, des affaires familiales ou de contentieux civils.

Lorsque nous réorganisons un tribunal, nous établissons un schéma judiciaire approprié en consultation avec les chefs de cour. Tout est fait avec responsabilité.

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg, s’il s’agit vraiment d’un rappel au règlement…

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le président, je connais les règles qui président à nos débats. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Richard Mallié. C’est la meilleure !

M. le président. Les connaître est une chose, les appliquer en est une autre, monsieur Montebourg. (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Arnaud Montebourg. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 58, alinéa 1. Vous avez observé, monsieur le président, et nos collègues de la majorité également, que le président de la commission des lois, que nous estimons d’ailleurs beaucoup et avec qui nous travaillons, Jean-Luc Warsmann, ne s’est pas exprimé dans ce débat, ce qui est inhabituel sur un tel sujet.

M. Alain Vidalies. En plus, il est absent !

M. Arnaud Montebourg. Par ailleurs, il est absent la moitié du temps. Or je voudrais signaler à nos honorables collègues que M. Warsmann a manifesté publiquement dans son département contre les décisions prises au titre de la carte judiciaire. Je demande donc une suspension de séance en attendant qu’il vienne nous donner sa position sur les explications de Mme la ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Monsieur Montebourg, il est objectivement rare que des présidents de commission s’expriment à l’occasion des débats budgétaires. Le président de la commission des lois a souhaité céder son temps de parole à ses rapporteurs au fond et pour avis.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le président. Il n’y a donc pas lieu de suspendre la séance. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Alain Vidalies. La suspension de séance est de droit ! C’est le règlement, monsieur le président !

Mme Marylise Lebranchu. Elle est de droit !

Reprise de la discussion

M. le président. La parole est à M. Jean-François Chossy, pour poser une question, au titre du groupe UMP. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Jean-François Chossy. Madame la ministre, j’ai entendu, avant les effets de manches de M. Montebourg, des explications satisfaisantes sur l’ensemble de votre budget, exposées par de nombreux orateurs, particulièrement par quelqu’un en qui j’ai une grande confiance : mon collègue René Couanau. Mais celui-ci a dit également que si ce budget était bon, il s’agissait de poursuivre encore la réflexion sur la réforme de la carte judiciaire. Je considère son appel comme tout à fait nécessaire, madame la ministre.

En effet, je suis député d’un département de la Loire, élu d’une circonscription menacée par la suppression du tribunal de grande instance de Montbrison. Ce TGI rend, comme vous le souhaitez, une justice rapide,…

Mme Marylise Lebranchu. Eh bien, pas le mien !

M. Jean-François Chossy. …claire et lisible, ce qui correspond tout à fait aux vœux que vous exprimez ; il est situé dans un arrondissement en pleine expansion démographique – plus de 20 % –, ce qui est l’un de vos critères de maintien ; le ressort de sa juridiction couvre 41 % du territoire, ce qui est exceptionnel. Et cependant, je le répète, la justice y est rendue de façon sereine, claire, rapide et juste. Supprimer le tribunal de grande instance serait donc une erreur manifeste. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche). Je n’ai pas dit cela pour être applaudi par le parti socialiste, mais pour être écouté par ma famille politique. La suppression du TGI de Montbrison correspondrait à rayer de la carte un équipement utile à la population. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) La population a manifesté de façon très forte : le 3 octobre dernier, 2 000 personnes se sont réunies pour plaider la sauvegarde de ce tribunal ; le 8 novembre dernier, 300 élus – maires, conseillers municipaux, conseillers généraux et même députés – se sont réunis pour marquer leur attachement à ce territoire et à ce tribunal, et ils sont allés jusqu’à mettre leur démission en jeu s’ils n’étaient ni entendus ni compris.

Mme Marylise Lebranchu. Très bien !

M. Jean-François Chossy. Ma question est donc double, madame la ministre : accepteriez-vous de différer de quelques jours l’annonce qui doit être faite demain, pour permettre à ces élus et aux acteurs du monde judiciaire de vous rencontrer et de faire valoir leurs arguments ?

M. Arnaud Montebourg. Un sursis avant une mort certaine !

M. Jean-François Chossy. Quelle économie comptez-vous faire en supprimant ce tribunal hébergé à titre gratuit par une collectivité dont le président est parmi nous ce matin ? Je rappelle qu’il faudra continuer à rémunérer les magistrats concernés par le redéploiement. Je ne vois donc pas où est l’économie dans cette démarche. Nous ne manquons pas d’arguments pour empêcher le démantèlement de ce territoire, et nous sommes déterminés à le faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, ainsi que sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux. Monsieur le député, je me rends en effet demain à Lyon pour présenter le nouveau schéma de l’organisation judiciaire des cours d’appel de Lyon, Riom, Chambéry et Grenoble. S’agissant du TGI de Montbrison, 45 % du contentieux sont des affaires civiles, pour l’essentiel des affaires familiales. Il n’y a pas de juge pour enfants ni d’établissement pénitentiaire à proximité. Les chefs de cour m’ont donc proposé, dans leur rapport, la suppression du TGI tel qu’il est.

Mme Marylise Lebranchu. « Suppression » : le mot est juste !

Mme la garde des sceaux. Que signifie la suppression d’un TGI ? C’est la transformation d’un tribunal de grande instance en tribunal d’instance renforcé. Cela veut dire que les affaires familiales et les affaires civiles continueront à être traitées à Montbrison. Les personnes qui divorcent ou qui gèrent les droits de leurs enfants à Montbrison pourront toujours le faire sur place. Les chefs de cour rapporteurs ont organisé une concertation, consulté tous les acteurs judiciaires locaux et les professionnels concernés, et, dans leur rapport, ils ont maintenu et confirmé la transformation du TGI de Montbrison en tribunal d’instance renforcé : toute la justice de proximité, notamment la justice civile, est maintenue à Montbrison ; seul le pôle pénal sera regroupé, et renforcé, sur l’autre TGI.

Vous me demandez par ailleurs ce qu’il en est en termes d’économies. Ce n’est pas une réforme mécanique. Nous raisonnons vraiment en termes de qualité de la justice, et il est important de regrouper les moyens afin d’en avoir davantage, dans chaque pôle pénal, pour assurer l’application de la loi et l’exécution des sanctions pénales. L'Assemblée nationale a créé une mission parlementaire sur l’évaluation des sanctions pénales. Vous savez bien que beaucoup de courtes peines sont peu ou mal exécutées, parce que, dans un TGI où il n’y a qu’un procureur ou un substitut, on n’a pas assez de moyens pour le faire. Les bureaux d’exécution des peines, là où ils existent, fonctionnent très bien pour l’exécution des sanctions pénales.

M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Absolument !

Mme la garde des sceaux. Nous souhaitons, par le biais de cette réforme et du regroupement des moyens, notamment dans le cadre d’un pôle pénal, renforcer l’exécution des sanctions pénales. Et je me dois de rendre compte de l’exécution de ces sanctions dans le cadre des lois que vous, parlementaires, votez.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le président, nous sommes heureux que le président de la commission des lois soit revenu dans l’hémicycle. Nous souhaiterions qu’il ait la parole pour nous expliquer quelle est la position qu’il défend. En attendant – et ceci leur permettra de méditer sur ces problèmes –, nous demandons une suspension de séance pour une réunion de notre groupe.

M. le président. Elle est de droit.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures cinquante-cinq, est reprise à douze heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

M. Alain Vidalies. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies, pour un rappel au règlement.

M. Alain Vidalies. Une large part de nos débats porte aujourd’hui sur la carte judiciaire. Or, en lisant la presse ce matin et à travers un certain nombre de déclarations de députés de l’UMP, nous apprenons qu’il y a eu hier soir une réunion à Matignon, dont on nous a donné et le contenu et les objectifs.

Mme Marylise Lebranchu. C’est scandaleux !

M. le président. Monsieur Vidalies, votre intervention n’a pas de lien avec le fond du texte.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bien sûr que si !

M. le président. Je vous demande de conclure.

M. Alain Vidalies. Mais c’est un point important pour nous, monsieur le président. Ce n’est pas une petite affaire ! La presse, sans que cela ait été démenti, affirme que le Gouvernement a organisé cette réunion, où seuls étaient conviés les députés UMP, pour envisager des compensations sur les territoires touchés par la réforme. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Voici donc l’État UMP en marche, alors que la réforme concerne l’ensemble des Français !

M. le président. Il ne s’agit pas d’un rappel au règlement. Nous allons donc reprendre les questions…

M. Alain Vidalies. Si vous présidez comme cela, monsieur le président, nous allons utiliser toutes les ficelles du règlement et demander une nouvelle suspension de séance, car ce n’est pas acceptable. Mon rappel au règlement porte sur le fond ; si vous ne le comprenez pas, c’est que vous ne lisez pas la presse !

M. le président. Mon cher collègue, nous sommes dans le cadre d’une discussion budgétaire, où les temps de parole sont répartis selon les groupes. Je vous demande donc de conclure.

M. Alain Vidalies. Je conclus, monsieur le président.

Je demande au Gouvernement de s’expliquer et de nous dire à quel moment il entend organiser la même réunion avec l’ensemble des élus, pour que ses propositions aient un caractère républicain, et non plus partisan. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Reprise de la discussion

M. le président. Nous reprenons les questions.

M. Alain Vidalies. Le Gouvernement ne nous répond pas ?

Mme Marylise Lebranchu. Quel courage !

M. le président. Pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire, la parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la dangerosité particulière de certains délinquants atteints de troubles psychiatriques, notamment sexuels, est désormais reconnue comme une donnée essentielle à traiter en priorité, et l’attention que nous portons tous aux victimes conduit à dépasser l'opposition stérile entre réinsertion et protection de la société.

Un fait est établi : les personnes dangereuses atteintes de troubles mentaux sont en majorité prises en charge par le système pénitentiaire. De nombreux détenus présentent des antécédents psychiatriques : plus d'un tiers d'entre eux ont déjà consulté, avant même leur incarcération, 16 % ont déjà été hospitalisés pour des troubles psychiatriques, 18 % présentent un état dépressif majeur et près de 4 % souffrent d'une schizophrénie nécessitant un traitement, soit environ quatre fois plus que le taux observé pour la population dans son ensemble.

C'est pour traiter spécifiquement ces troubles mentaux qu'a été lancé un programme d'implantation d’unités hospitalières spécialement aménagées, pouvant accueillir, à terme, 705 détenus – c’est un progrès considérable.

Cependant, la très grande majorité des condamnés – et c’est logique – est appelée à sortir de prison, les plus dangereux y compris. Et c'est pour protéger la société de ces éléments les plus dangereux – notamment les délinquants sexuels – mais aussi pour les réinsérer que vous envisagez, madame la ministre, de créer une mesure de rétention de sûreté, inspirée des exemples allemand et néerlandais, ainsi que des travaux de la commission Burgelin, du rapport que j’avais présenté au Sénat et qui fut adopté à l’unanimité et enfin du rapport de notre collègue Jean-Paul Garraud.

À mi-chemin entre l'hôpital et la prison, seraient donc créés des « centres sociaux médico-judiciaires de sûreté », dernière solution, après la surveillance judiciaire – le bracelet électronique mobile –, pour ceux qui présentent une « particulière dangerosité » et un risque de récidive élevé.

Je souhaite donc, madame la ministre, que vous me précisiez les moyens budgétaires que vous envisagez de consacrer à la construction de ces centres ainsi que le calendrier de leur mise en œuvre.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux. Monsieur Philippe Goujon, vous posez une question pertinente sur la dangerosité et le risque de récidive des personnes atteintes de troubles mentaux, incarcérées ou en fin de peine, sachant qu’environ 20 % des personnes incarcérées sont atteintes de troubles psychiatriques ou psychotiques.

Conformément aux priorités déclarées du Gouvernement et à l’engagement du Président de la République, nous avons décidé de créer des hôpitaux-prisons, ces fameuses unités hospitalières spécialement aménagées. Deux d’entre elles, inscrites au budget pour 2008, doivent ouvrir en 2009 à Lyon et à Rennes, offrant respectivement 60 et 40 places, destinées aux détenus atteints de troubles et nécessitant un traitement. Cela nécessitera leur accord, puisqu’en l’état actuel de notre droit, on ne peut obliger quelqu’un à se soigner.

Concernant les détenus en fin de peine mais déclarés dangereux par un collège de médecins, une décision judiciaire permettra, à titre de sûreté et pour prévenir une éventuelle récidive, de les placer dans un centre médical spécialement dédié aux personnes dangereuses nécessitant des soins.

Nous aurons donc des hôpitaux-prisons pour les détenus, et ces centres pour les personnes en fin de peine considérées comme toujours dangereuses. Ce dispositif est conforme aux recommandations du rapport que vous avez établi en 2006 avec le sénateur Gautier, comme aux travaux sur la responsabilité pénale de M. Garraud, qui ont inspiré le projet de loi que je vous présenterai dans quelque temps.

M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani.

M. Thierry Mariani. Madame le garde des sceaux, vous ne vous étonnerez pas que je profite de cette séance pour vous interroger sur l’incidence de la réforme de la carte judiciaire dans le département du Vaucluse en général, et plus particulièrement dans la circonscription d’Orange.

Dois-je préciser que je soutiens naturellement votre réforme (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), qui nous apportera, j’en suis persuadé, une justice plus efficace, plus humaine et plus accessible.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous étiez sans doute à la réunion d’hier soir !

Mme Marylise Lebranchu. Qu’avez-vous obtenu en compensation ?

M. Thierry Mariani. Il me semble me souvenir d’un garde des sceaux, Élisabeth Guigou, implantée dans le Vaucluse, qui ne prenait même pas la peine de recevoir les élus de la majorité ni de l’opposition. Je ne pense donc pas que vous soyez les mieux placés pour nous donner des leçons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

J’en reviens donc au Vaucluse et au tribunal d’instance d’Orange. Je pourrais me lancer dans une longue énumération de chiffres visant à démontrer l’utilité de cette juridiction. Je pourrais, en effet, vous parler des 802 affaires terminées en 2006, des 368 dossiers de tutelle sur mineur et des 1 364 dossiers de tutelle sur majeurs. Je pourrais aussi épiloguer, s’agissant de la justice pénale, sur les 71 ordonnances et les 75 jugements de police rendus. J’en ferai l’économie, tout comme je vous épargnerai les discours sur le tribunal paritaire des baux ruraux, l’importance de la juridiction de proximité ou le départage prud'homal. Je pourrais en revanche vous parler longuement du professionnalisme des magistrats d’Orange… Vous voyez donc où je veux en venir.

M. Arnaud Montebourg. À part ça, vous êtes favorable à la réforme !

M. Thierry Mariani. Madame la ministre, vous étiez samedi dernier à Montpellier, pour communiquer aux élus locaux des éléments sur la réforme de la carte judiciaire. Ma question est donc des plus simples et porte sur l’avenir des institutions judiciaires situées dans ma circonscription d’Orange, qui dispose d’un tribunal d’instance à l’utilité reconnue et où l’activité prud'homale est significative, Dans la perspective tant d’une bonne administration de la justice que du service rendu au public, Orange doit, à mon sens, conserver ces deux structures. (Applaudissements et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Pouvez-vous donc me confirmer officiellement, madame la ministre, que ces deux structures seront bien maintenues dans le cadre de la réforme en cours ? Par ailleurs, il semble que le tribunal des prud’hommes de Carpentras doive être fusionné avec un autre tribunal. Pouvez-vous, dans ce cas, me confirmer que c’est bien avec Orange et non avec Avignon que le regroupement s’opérera, afin de respecter l’unité du barreau ?

M. Alain Vidalies. Vous êtes pour la réforme, mais chez les autres !

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux. Monsieur Mariani, le tribunal d’instance d’Orange a été maintenu (« Et voilà ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)

M. Alain Vidalies. Un petit remerciement pour le test ADN !

Mme Marylise Lebranchu. Il y a deux poids, deux mesures !

Mme la garde des sceaux. …compte tenu de son activité et du bassin d’emploi qu’il sert.

Les élus que j’ai rencontrés, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition, en ont été informés, et notre décision a fait l’objet d’un consensus.

Sur les CPH, la liste n’est pas encore totalement définie, mais sortira ce soir ou demain. Il faut en effet tenir compte des contraintes que constitue l’organisation en 2008 des élections prud’homales. La liste, connue sous quarante-huit heures, sera envoyée aux préfets en vue de la concertation prévue par la loi. Une chose est sûre, c’est que, dans le ressort Carpentras-Orange, un CPH sera maintenu.

D’une façon générale, la concertation sera renvoyée aux préfets dans le cadre de chacun des départements pour voir quels sont les CPH qui doivent être maintenus ou regroupés. Nous le saurons dans les prochains jours.

Rappels au règlement

M. Arnaud Montebourg. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. J’espère qu’il s’agit d’un vrai rappel au règlement, monsieur Montebourg...

M. Arnaud Montebourg. Malheureusement, oui !

M. le président. Dans ce cas, vous avez la parole.

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le président, nous voyons se dérouler devant nos yeux…

Mme Delphine Batho. Un marchandage !

M. Arnaud Montebourg. …les échanges sous forme de tractations dont parlait notre collègue Alain Vidalies, sur le dos de l’intérêt général et de la République. La réunion qui s’est tenue hier soir visait à accorder des contreparties aux députés de la majorité, aux amis du pouvoir !

M. Alain Vidalies. Tout à fait, et c’est scandaleux !

M. Thierry Mariani. Quelle imagination !

M. Arnaud Montebourg. Nous, nous ne sommes pas les amis du pouvoir, mais nous sommes des députés, des représentants de la nation, et les intérêts publics que nous avons à défendre sont de même nature que ceux que les amis du pouvoir pourraient prétendre défendre. Et ces derniers savent le faire dans des relations claniques et partisanes qui heurtent l’esprit dans lequel nous travaillons à cette réforme.

M. le président. Nous sommes loin du règlement ! Où voulez-vous en venir, mon cher collègue ?

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le président, par deux fois, nous avons laissé le temps à Mme la ministre de s’exprimer, mais elle n’a pas répondu à l’interpellation justifiée, modérée et courtoise de notre collègue Alain Vidalies. Nous demandons donc une suspension de séance pour qu’elle se prépare à ciseler sa réponse.

M. le président. Vous avez obtenu tout à l’heure une suspension de séance. Il n’y a pas lieu de les multiplier.

M. Arnaud Montebourg. La suspension de séance est de droit !

M. le président. Mon cher collègue, je vous propose de poursuivre la série des questions.

M. Alain Vidalies. La suspension est de droit !

M. le président. Je veux bien faire preuve de mansuétude pour que votre groupe puisse s’exprimer, mais tout à l’heure, à l’occasion de l’examen des amendements.

D’ailleurs, nous en venons aux questions du groupe socialiste. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Appliquez le règlement !

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le président, la seule chose qu’ont demandée les députés de l’opposition, c’est d’avoir une réunion avec Mme Dati comme les députés de la majorité. Nous sommes extrêmement surpris du peu d’impartialité qui caractérise cette affaire et de la manière dont on rachète quelques votes qui commençaient à s’égarer. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Monsieur Montebourg...

M. Arnaud Montebourg. Si nous n’obtenons pas une réponse à ce sujet, nous demanderons une suspension de séance pour réunir notre groupe ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. C’est scandaleux !

M. Arnaud Montebourg. Je vous rappelle, monsieur le président, que, conformément au règlement, cette suspension est de droit !

M. Alain Vidalies. Il va falloir réunir la conférence des présidents pour savoir pourquoi on nous refuse une réunion de groupe !

M. le président. Madame la garde des sceaux, vous avez demandé la parole. Je vous la donne.

Mme la garde des sceaux. Monsieur le député, je vais vous répondre sans agressivité et sans aucune invective.

J’ai toujours répondu. Cette réforme n’est ni de droite ni de gauche. Je n’ai favorisé personne, et j’ai vu tout le monde lors de mes déplacements. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Vous l’avez vous-même fait remarquer tout à l’heure, en indiquant que quelques parlementaires de la majorité, aussi, avaient pu être déçus par cette réforme, parfois incompris. Alors, ne dites pas tout et son contraire !

Dans le cadre du rapport des chefs de cour, le tribunal d’instance d’Orange était maintenu. Ce n’est donc pas le résultat d’une tractation, c’est l’intérêt du justiciable.

M. Alain Vidalies et Mme Marylise Lebranchu. Nous essayons de comprendre !

Mme la garde des sceaux. Madame Lebranchu, les invectives sont inutiles ! Nous pouvons nous parler, et je vous réponds !

M. Arnaud Montebourg. Il n’y a aucune invective, madame la ministre.

Mme la garde des sceaux. Christian Paul, lorsque je suis venue présenter la réforme de sa cour d’appel, la contestait et protestait. Je lui ai alors répondu : « Mais qu’avez-vous proposé pendant ces trois mois ? Rien ! » En huit jours, il a finalement fait une proposition ! Nous avons trouvé une solution avec un député socialiste ! Alors, ne me dites pas que nous n’entendons pas !

M. Arnaud Montebourg. J’ai fait des propositions !

Mme la garde des sceaux. Mais certains autres parlementaires se sont réveillés trois jours avant mon déplacement (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)...

Mme Marylise Lebranchu. Je vous ai demandé un rendez-vous en juillet !

Mme la garde des sceaux. … et n’ont fait aucune contre-proposition !

Mme Marylise Lebranchu. Nous n’avons pas été invités !

Mme la garde des sceaux. Quant à la réunion d’hier, à laquelle je n’ai pas participé, elle avait pour but de voir, pour certaines villes, donc pour des citoyens – et pas pour des parlementaires, pas pour un parti – quels étaient les projets en cours que nous pouvions ou accélérer ou mettre en œuvre dans l’intérêt des Français.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Nous n’y avons pas accès !

Mme la garde des sceaux. Vous pourrez en être destinataires ! Ce ne sont pas des projets pour des parlementaires UMP ; ce sont des projets dans l’intérêt des Français, à faire évoluer ou à développer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. François Hollande, pour un rappel au règlement.

M. François Hollande. La réforme de la carte judiciaire devait être fondée sur deux principes.

D’abord, le travail des chefs de cour qui devaient donner, cour d’appel après cour d’appel, leur vision de l’organisation judiciaire. Nous avions demandé, et nous n’étions pas les seuls, que leurs rapports soient publiés au moment de leur communication à la ministre. Je constate qu’ils ne l’ont été, le plus souvent, qu’après la décision. Or je pense qu’un dialogue entre les élus et la chancellerie sur la base du rapport des chefs de cour aurait permis de trouver, ici ou là, les ajustements, les adaptations nécessaires. C’est un premier manque sérieux à l’esprit même de la réforme.

Le second principe devait être la concertation avec les élus. Que l’on soit de gauche ou de droite, je pense qu’on veut accéder au cabinet de la ministre, à la ministre quand c’est possible. Personne ne peut utiliser sa fonction pour demander à être mieux traité que d’autres. Pour ce qui me concerne, j’ai pu obtenir un entretien téléphonique avec la ministre – je dois être privilégié ! (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Arnaud Montebourg. Félicitations !

M. François Hollande. J’aurais aimé avoir un rendez-vous au moins avec des membres du cabinet, et j’avais écrit bien avant la décision en ce sens. Car enfin, cette réforme doit être consentie par tous. Et je ne parle pas des barreaux, qui ont été souvent occultés, maltraités, méprisés.

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis pour l’accès au droit. Ce n’est pas un rappel au règlement, c’est une question !

M. François Hollande. Il y a eu une réunion hier. S’il doit y avoir des réunions avec la majorité, c’est tout à fait le droit de la ministre et de la majorité de les organiser. Mais moi, je demande qu’il n’y ait de privilège ni pour les uns ni pour les autres, qu’il n’y ait pas de traitement particulier, pas d’opacité. Les chefs de cour, eux non plus, n’ont pas été entendus. On me dit que, pour le tribunal d’Orange, la décision s’est faite sur la base du rapport des chefs de cour. Alors, pourquoi, pour d’autres tribunaux, ne trouverait-on pas également la solution sur la base des rapports des chefs de cour ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Je vous remercie, monsieur le président, de m’avoir permis de faire ce rappel au règlement. Puisque nous sommes tous là, en tout cas les plus concernés, et puisqu’il y a eu hier une réunion de la majorité avec des représentants du cabinet – peut-être en présence de Mme Dati, je ne sais pas –, je demande le parallélisme des formes : nous, députés de l’opposition, voulons nous réunir ce matin ou en début d’après-midi pour pouvoir, nous aussi, sur la base des rapports des chefs de cour, obtenir les ajustements nécessaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. le président. Chacun aura bien compris que nous sommes loin d’un rappel au règlement.

La parole est à M. Jean-François Copé.

M. Jean-François Copé. Monsieur le président, merci de m’autoriser, à mon tour, à faire un rappel au règlement.

Après avoir écouté M. Hollande s’exprimer sur la réforme de la carte judiciaire, je voudrais faire deux ou trois remarques.

La première pour rappeler que nous soutenons activement cette réforme qui correspond à un engagement que nous avons pris devant les Français et dont l’objectif, qui doit être partagé sur tous ces bancs – même parmi ceux qui, en d’autres temps, avaient les moyens de la faire et ne l’ont pas faite –, est de moderniser le service public de la justice, au service des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Deuxième remarque : je ne laisserai pas dire, comme l’ont fait M. Montebourg et, de manière plus courtoise, M. Hollande, qu’il y a eu, ici ou là, des passe-droits.

J’ajoute, pour que les choses soient parfaitement claires, qu’il n’y a pas eu de réunion de groupe de la majorité à Matignon.

Mme Delphine Batho. C’est faux !

M. Jean-François Copé. Des députés de la majorité ont sollicité un rendez-vous auprès du Premier ministre. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Je vous ai écoutés avec une grande patience, mesdames et messieurs de la gauche ! Alors, accordez-moi au moins deux minutes, car on ne peut pas dire que je sois beaucoup intervenu dans ce débat !

Cette réunion avait pour seul objectif d’évoquer ensemble des éléments relatifs à l’aménagement du territoire – dont je m’empresse de dire qu’il n’est ni de gauche ni de droite (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche) –, et il est tout à fait légitime que ces différents sujets soient abordés par les députés concernés, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition.

J’imagine que, si vous demandez à être reçus,…

M. François Hollande. Nous le demanderons !

M. Jean-François Copé. …vous le serez probablement, mais ce n’est pas mon affaire.

Mon affaire est de m’assurer que l’État est impartial sur tous ces sujets. (Rires sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), et les messages qui nous ont été adressés par le cabinet du Premier ministre vont dans ce sens.

Ce qui compte, monsieur Hollande, c’est que la réforme de la carte judiciaire se poursuive, conformément à l’intérêt général, et que cela se fasse dans le respect de l’aménagement du territoire. C’est bien dans cet esprit que nous travaillons département par département. Ne vous inquiétez donc pas pour le vôtre, tout cela est pris en compte,…

M. François Hollande. Par qui ?

M. Jean-François Copé. …au seul service de l’intérêt général. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Reprise de la discussion

M. le président. Mes chers collègues, après ces « rappels au règlement », nous en revenons aux questions.

La parole est à Jean-Jacques Urvoas, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Jean-Jacques Urvoas. Monsieur le président, je m’associe à la demande de François Hollande d'une réunion des parlementaires de l’opposition ici présents avec, si Mme la ministre ne peut pas se déplacer, un membre de son cabinet.

Je profite du privilège d’avoir la parole pour dire mon profond respect pour la fonction de l’exécutif. Qui plus est quand le ministre en charge du dossier est garde des sceaux de la République, ce qui n’est pas une tâche accessoire. Ce respect du législateur pour l’exécutif doit avoir pour pendant le respect de l’exécutif pour le législateur.

Madame la ministre, je vous ai écrit trois fois, conjointement avec le sénateur-maire UMP de Quimper ; à deux reprises, nous vous avons demandé des rendez-vous, mais je n’ai jamais reçu de réponse.

Vous avez dit tout à l’heure que la création des pôles de l’instruction n’avait pas grand-chose à voir avec la carte judiciaire. Mais je voudrais comprendre pourquoi, à Rennes, vendredi dernier, dans une réunion à laquelle étaient conviés les parlementaires des ressorts des cours d’appel de Rennes et d’Angers – où il y a eu dix-sept demandes de prise de parole et où seulement sept parlementaires ont pu s’exprimer –, lorsqu’en deux minutes et demie, montre en main, vous nous avez donné la liste de vos suggestions, vous avez suggéré qu’il n’y ait qu’un seul pôle de l’instruction dans le Finistère. Le critère ne peut pas être démographique, puisque dans d’autres départements dont la démographie est inférieure au Finistère il y a deux pôles de l’instruction. Cela ne peut pas être un critère lié au volume de l’activité, le tribunal de grande instance de Quimper ayant un volume d’activité continu depuis trois ans et supérieur à celui de Brest. Cela ne peut pas être dû au fait qu’il n’existerait que de petites affaires à Quimper, puisque c’est à Quimper qu’est actuellement instruite l’affaire du Bugaled-Breizh. Cela ne peut pas être l’absence de magistrats, le tribunal de grande instance de Brest et celui de Quimper ayant exactement le même nombre de magistrats de l’instruction.

Répondez-moi, car je voudrais pouvoir faire les contre-propositions que vous nous demandez. Quels critères vont ont amenée à suggérer qu’il n’y ait qu’un seul pôle de l’instruction dans le Finistère ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux. Je l’ai rappelé tout à l’heure, mais j’ai un peu de mal à me faire comprendre : il n’y a pas eu que cette intervention lors de ma venue à Rennes. Vous disiez tout à l’heure que je favorisais les parlementaires de la majorité. Vous-même avez révélé que vous m’aviez écrit, avec un parlementaire de la majorité, à propos d’une question concernant le pôle de l’instruction, qui n’a rien à voir avec la réforme de la carte judiciaire. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

En 2006, Quimper a traité 7 500 affaires poursuivables, soit une chute de 21 % pour les affaires pénales. Le nombre d’affaires à l’instruction est extrêmement faible. Brest est en augmentation : on est à plus de 7 800 affaires poursuivables. Ce sont des critères d’activité. Pour créer un pôle de l’instruction, il faut au minimum soixante affaires à l’instruction par juge d’instruction, et au minimum trois juges d’instruction. La dispersion des moyens nuit à la qualité. Si, en 2008, on prend en compte les instructions criminelles, en 2010, on considérera la totalité. Je ne vais donc pas créer des pôles qui seront reconfigurés en 2010.

L’intérêt, et pour les magistrats, et pour les fonctionnaires et greffiers, et pour les justiciables, c’est la stabilité de la justice. Il faut donc qu’il y ait trois magistrats instructeurs, avec un nombre d’affaires suffisant : soixante affaires à l’instruction et en augmentation, compte tenu du bassin. Il y a plus d’affaires à l’instruction à Brest, avec une évolution beaucoup plus forte qu’à Quimper. Ces critères d’activité sont objectifs et extrêmement importants.

Les pôles d’instruction, je le rappelle, ce n’est pas de la justice de proximité. Il faudrait savoir ce que l’on veut. Ou bien l’on redisperse les moyens, on recrée un drame d’Outreau, et vous en répondrez (Très vives protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche),…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous ne pouvez pas dire cela !

M. Christian Bataille. Cet argument n’est pas correct !

Mme la garde des sceaux. …ou bien l’on respecte la loi et l’on crée les pôles de l’instruction.

M. le président. La parole est à M. Bernard Lesterlin.

M. Bernard Lesterlin. Madame la ministre, j’étais hier soir au tribunal de grande instance de Montluçon, aux côtés du bâtonnier, de ses confrères et des fonctionnaires de votre ministère qui, de désespoir, ont entamé, mardi soir, une grève de la faim. Avec ses confrères bâtonniers de Vichy-Cusset et de Moulins, le bâtonnier avait enfin été reçu, l’après-midi même, par vos collaborateurs. Madame la ministre, dans l’Allier, tout le monde est solidaire. La détermination des Montluçonnais est totale, même s’ils ont provisoirement, à la demande de votre cabinet, suspendu — et non pas arrêté — leur mouvement, dans l’attente de l’annonce que vous devez faire demain matin, à Lyon.

À l’heure où je vous parle, les maires et mes collègues parlementaires de l’Allier sont à Moulins, chez le préfet, pour lui remettre leur écharpe en signe de protestation contre le projet de fermeture du TGI et du tribunal de commerce de Montluçon : votre cabinet a en effet distillé des informations à ce sujet, que vous n’avez jamais démenties. Comment pouvez-vous, sans plus de concertation, jeter autant de magistrats, de greffiers, d’avocats, dans un tel abîme d’incompréhension ? À Montluçon, ils rendent une justice de qualité, selon vos critères — proximité, rapidité, très bas taux de réformation. Puisque nous sommes dans un débat budgétaire, je peux même dire qu’ils rendent une justice économique : Montluçon dispose du ratio le plus bas du ressort de la cour d’appel de Riom entre le nombre de décisions prises et le nombre de magistrats et de fonctionnaires en poste.

Madame la ministre, qu’avez-vous prévu, dans votre budget, pour réparer cette casse du service public de la justice dans l’Allier ? Pour des raisons historiques, qui remontent à la dynastie des Bourbons, l’Allier a besoin d’un TGI à Montluçon, d’un TGI à Moulins et d’un TGI à Vichy-Cusset. C’est ainsi que fonctionne ce département : il faut le connaître. Les Bourbonnais ne comprennent pas. Ne les poussez pas au désespoir. Vous ne pouvez répondre que vous allez engager la concertation et que vous ne savez pas ce que vous allez nous dire demain matin, à Lyon. Nous y serons, madame la ministre, et nous y serons nombreux.

M. Daniel Mach. Des menaces ?

M. Bernard Lesterlin. Prononcez seulement un mot d’espoir. Les Montluçonnais sont des gens raisonnables et ils attendent ce dialogue. Venez leur parler — mais pas à Lyon, qui se trouve à trois heures et demie de route. Nous respectons votre personne, madame la ministre, mais nous ne pouvons accepter que vous organisiez le désordre dans notre justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux. Monsieur le député, les trois bâtonniers ont été reçus hier à mon cabinet. Nous les avons reçus et revus dans le cadre de la concertation organisée ces trois derniers mois. J’annoncerai demain le schéma d’organisation, vous le savez très bien. On me disait tout à l’heure que les rapports ne sont pas en ligne, que les gens sont dans l’angoisse. Les rapports sont mis en ligne le jour de ma visite. Pourquoi ?

M. Arnaud Montebourg. Pour empêcher le dialogue !

Mme la garde des sceaux. Pour éviter de créer de l’émoi pour rien. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. François Hollande. Mais ça nous aurait peut-être rassurés !

Mme la garde des sceaux. Certains tribunaux ont été réajustés. À Montluçon, nous en avons discuté avec les trois bâtonniers. Nous sommes en train d’étudier tout cela à la lumière des rapports des chefs de cour, qui seront demain en ligne, et la décision sera prise : elle est encore en cours de discussion. Le bâtonnier de Montluçon a été rassuré, puisqu’il a suspendu sa grève de la faim. Il y a eu une organisation entre les barreaux. Je reprends l’exemple de Brive et de Tulle. Les barreaux ont été d’accord pour avoir un pôle à Brive. Le député Hollande leur a proposé une solution qui n’a pas recueilli de consensus chez les avocats. Cette réforme de la carte judiciaire a un impact sur de nombreuses professions, sur de nombreux corps et sur de nombreux intérêts souvent contradictoires. Le Gouvernement entend trouver, autour de la table, un consensus. Les barreaux étaient d’accord pour maintenir le TGI à Brive, compte tenu de leurs activités.

M. François Hollande. Non, pas les barreaux !

Mme la garde des sceaux. Bien sûr que si ! J’ai reçu les bâtonniers, monsieur le député. Ils ont d’ailleurs fait une déclaration — et ce n’était pas en petit comité, c’était sur France 3 — pour dire qu’ils étaient satisfaits de la décision qui a été prise.

M. François Hollande. Je vais le leur demander tout de suite !

Mme la garde des sceaux. En ce qui concerne Montluçon, nous sommes en train d’organiser, d’ajuster, et la décision sera prise demain, mais nous sommes plutôt bien partis.

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément.

M. Jean-Michel Clément. Madame la ministre, je voudrais revenir à un sujet qui est lié, éminemment, à celui de la carte judiciaire : l’accès au droit et à la justice dans le cadre de l’aide juridictionnelle. Vous le savez, dans une société démocratique, cet accès constitue un droit fondamental pour tous et un impératif pour les pouvoirs publics. L’aide juridique se doit d’assurer un égal accès en obéissant à des exigences de qualité. Elle doit s’appliquer aussi bien à la justice judiciaire qu’à la justice administrative, à tous les degrés de juridiction.

En vérité, cet accès au droit est un révélateur du degré d’égalité démocratique, ou plutôt d’inégalité de droits et de moyens, d’une société. Or que constatons-nous ? Dans le budget 2008, le programme « Accès au droit et à la justice » ne représente que 5 % des moyens de la mission « Justice », contre 5,4 % en 2006. Parallèlement, le nombre de demandeurs d’aide juridictionnelle ne fait pourtant que progresser : 350 000 en 1992 ; 900 000 en 2006.

La loi sur l’immigration entraîne une augmentation du contentieux des étrangers, qui va consommer une enveloppe en diminution de 5,8 % en euros constants entre 1992 et 2007.

Le plafond d’éligibilité de l’aide juridictionnelle totale ne couvre en réalité que la population des plus pauvres de nos concitoyens, en termes statistiques.

Par ailleurs, l’effet de seuil en matière juridictionnelle partielle, comme en matière totale, est dévastateur pour le justiciable, qui doit, au surplus, supporter l’effet mécanique de l’augmentation du taux de TVA de 5,5 % à 19,6 %.

Enfin, le niveau de l’aide juridictionnelle se situe, en France, dans la moyenne la plus basse. Nous sommes le vingt-quatrième pays sur vingt-sept au niveau européen.

Madame la ministre, alors que votre politique en matière d’immigration et de contrôle du séjour des étrangers va inexorablement conduire à une augmentation des contentieux, comment envisagez-vous de compenser budgétairement ces consommations de crédits, alors même que les crédits inscrits sont déjà en diminution ?

Enfin, comment allez-vous concilier, demain, l’aide juridictionnelle avec la réforme de la carte judiciaire, quand on sait que les frais de déplacement ne sont pas indemnisables au titre de cette aide ? Ce sont encore les plus pauvres qui devront les supporter, et ils risquent de renoncer à accéder à la justice. N’est-ce pas là la justice que vous voulez : accessible pour ceux qui en auront les moyens, tout en privant de défense ceux qui ne disposeront pas de ressources nécessaires ?

C’est bien à un déni d’égalité démocratique que nous assistons, avec un budget d’accès à la justice en diminution, en même temps que la répression s’accroît et que la justice s’éloigne du justiciable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux. Monsieur le député, sur les 327 millions d’euros de crédits consacrés à l’aide juridictionnelle, moins de 320 seront consommés en 2007. Nous avons donc de la marge et nous reconduisons le même montant.

Vous établissez un lien avec la loi sur l’immigration. Plus nous régulerons les flux, moins nous aurons de contentieux. L’aide juridictionnelle ne va donc pas exploser, à moins d’imaginer une explosion de l’immigration clandestine. Mais nous sommes responsables, nous voulons réguler les flux, empêcher cette immigration clandestine, et nous aurons donc moins de contentieux. L’un découle de l’autre.

Vous dites que les plus démunis et les plus modestes doivent en bénéficier. Bien sûr, mais ils n’auront pas des kilomètres à faire. Les avocats ont demandé à utiliser les nouvelles technologies, pour éviter certains déplacements, et vous savez que l’essentiel des contentieux traités au tribunal de grande instance ne nécessite que la présence de l’avocat : ce n’est pas le justiciable qui se déplace, c’est l’avocat. Nous n’assisterons donc pas à une explosion de l’aide juridictionnelle.

Nous sommes extrêmement responsables : non seulement nous reconduisons les mêmes crédits, en sachant qu’ils n’ont pas été entièrement consommés en 2007, mais nous nous inspirerons du rapport du sénateur du Luart qui a fait des propositions en matière d’aide juridictionnelle, en instaurant, peut-être, une franchise sur l’aide juridictionnelle (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche)…

M. Jean-Michel Clément. Une franchise sur l’aide juridictionnelle, maintenant !

Mme la garde des sceaux. …ou un ticket modérateur. Je vous renvoie au rapport sénatorial.

M. le président. Nous revenons aux questions du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

La parole est à M. Bernard Gérard.

M. Bernard Gérard. Madame la ministre, avec un budget qui augmente de 4,5 % en 2008, l’État montre bien sa volonté de poursuivre la modernisation de la justice, dont la réforme de la carte judiciaire n’est qu’un outil, certes essentiel. Si l’on veut se tourner vers l’avenir, vers le justiciable, vers l’Europe, créer des pôles de compétence judiciaire, qui aideront nos pôles de compétitivité économique, il faut moderniser nos outils. Les grands cabinets anglo-saxons sont aujourd’hui les seuls à profiter de l’éparpillement de nos juridictions, de leur absence de spécialisation, de la taille désuète de nos barreaux. Conscientes de ces retards, les entreprises y remédient généralement en prévoyant des clauses attributives de juridiction, c’est-à-dire que l’on regroupe les procédures, à défaut d’avoir regroupé les tribunaux.

Mais je ne voudrais pas, madame la ministre, que la réforme de la carte judiciaire nous fasse oublier les efforts énormes qui sont consentis, dans ce budget, pour accélérer le rythme des procédures et simplifier l’accès des citoyens à la justice : 67 millions d’euros pour moderniser l’informatisation de nos tribunaux, c’est considérable et cela mérite d’être souligné.

Ma question est double. Aujourd’hui, on perd trop de temps dans les tribunaux à gérer la durée des procédures, et je souhaiterais que l’on oblige chaque barreau à signer des contrats de procédure avec les magistrats pour fixer la durée des procédures. On éviterait ainsi de perdre des journées de travail à réunir magistrats, greffiers et avocats, simplement pour savoir où en est une procédure, avant même qu’elle ne soit plaidée. Je crois que les barreaux sont prêts à cet effort. Tout le monde s’accorde à considérer que l’absence de contrats de procédure entraîne des pertes de temps dans les tribunaux français.

D’autre part, grâce à une réforme très simple, nous pourrions également accélérer les procès dans nos juridictions. Il suffirait tout simplement de demander que chaque assignation soit accompagnée de la signification des pièces elles-mêmes, et non pas d’un bordereau de communication de pièces, ce qui éviterait ce que l’on appelle des « audiences de rôle ». Ces mesures simples seraient, je crois, de nature à améliorer le cours de la justice.

Enfin, il faut également rapprocher la justice du citoyen en facilitant l’accès à la justice, notamment lorsqu’un justiciable, victime d’un délit, ne relève pas de l’aide juridictionnelle ou ne bénéficie pas d’une garantie défense et recours dans sa police d’assurance. Je souhaiterais donc que, dans cette hypothèse, pour les seules victimes de délits — qui hésitent bien souvent, pour des problèmes de coût, à se porter parties civiles —, soit étudiée la possibilité de déduire de leur impôt le montant de la consultation d’avocat et des honoraires de défense, à hauteur du barème de l’aide juridictionnelle. Ce serait là un signe fort adressé aux justiciables ainsi qu’en direction des barreaux.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux. Monsieur le député, le contrat de procédure qui est en vigueur depuis décembre 2005 est un outil extrêmement intéressant parce qu’il s’agit d’un contrat entre la juridiction, donc les magistrats, et l’avocat. Cela permet de savoir exactement, au moment où l’on dépose, quand la procédure se terminera.

Ce contrat est encore très peu utilisé, nous comptons le généraliser grâce aux nouvelles technologies, notamment dans le cadre de la mise en état. En effet, il ne sera plus nécessaire de se déplacer, de faire une audience de mise en état, tout sera fait en ligne. Cela fera gagner du temps aussi bien aux avocats, aux justiciables qu’aux magistrats fonctionnaires et aux greffiers.

S’agissant des bordereaux de communication de pièces, il serait évidemment plus pratique de tout donner et de tout notifier en même temps, mais cela risque de générer des coûts importants de notification, surtout quand les pièces sont nombreuses. Il faut donc trouver un équilibre : quand le dossier est trop important, le bordereau seul pourrait suffire, alors que, pour les affaires de taille moyenne, tout pourrait être communiqué en même temps, bordereau plus pièces. Il faudrait ajuster selon l’importance des affaires.

Pour les personnes qui ne souhaitent pas entamer des procédures en raison du coût de la justice, vous proposez des mesures de nature fiscale. Cela aurait un coût, c’est certain, qu’il faut évaluer.

Ce que je souhaite plutôt développer, pour les ménages ou les personnes de condition modeste qui ne sont pas éligibles notamment à l’aide juridictionnelle, c’est un assouplissement, dans le cadre de la réforme de la commission d’indemnisation des victimes d’infractions, des critères d’éligibilité et du délai pour constituer le dossier. Cela permettrait d’avoir plus de victimes éligibles à cette commission.

Par ailleurs, je vous indique que le SARVI, le service d’assistance au recouvrement des victimes d’infractions, permettra à l’État de procéder à des avances de frais pour que les personnes à revenus modestes non éligibles à l’aide juridictionnelle notamment puissent être indemnisées.

Nous travaillons sur ces pistes plutôt que sur de nouvelles déductions fiscales.

M. le président. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Je voudrais quand même rappeler que la carte judiciaire ne relève pas du Parlement, qu’elle est une responsabilité exclusivement gouvernementale.

Mme Marylise Lebranchu. Et alors ?

M. Arnaud Montebourg. On peut s’y intéresser tout de même !

M. Georges Fenech. Il était de la responsabilité du ministère de la justice de mettre en œuvre ce que le Parlement avait décidé dans la loi de mars 2007, à savoir la collégialité de l’instruction.

Mme Marylise Lebranchu. Mais non !

M. Georges Fenech. Si le ministre de la justice n’avait pas pris ses responsabilités en menant enfin la réforme de la carte judiciaire attendue depuis quarante ans, il aurait fallu abroger la loi…

Mme Marylise Lebranchu. Mais non !

M. Georges Fenech. …sur le principe de la collégialité, qui, je vous le rappelle, a été adoptée après que le consensus se fut dégagé au sein de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau.

M. Christian Bataille. Encore !

M. Georges Fenech. Du moins, il aurait fallu, comme cela s’est souvent produit dans le passé, repousser l’application de cette loi.

M. François Calvet. Il a raison !

M. Georges Fenech. J’indique par ailleurs à mon collègue Jean-François Chossy que, si la réforme de la carte judiciaire proposée à l’époque par Henri Nallet avait été appliquée, ce n’est pas simplement le tribunal de Montbrison qui aurait été atteint dans le département de la Loire – je parle en présence du président du conseil général de la Loire – mais également le tribunal de grande instance de Roanne, puisque Henri Nallet était, à l’époque, favorable à un TGI par département.

La réforme qui nous est proposée aujourd’hui n’est faite dans l’intérêt ni de notre majorité, ni de l’opposition, ni des professionnels de la justice ; elle a seulement pour objet l’intérêt du justiciable et des Français.

Ma question, madame la ministre, est dictée par une inquiétude : j’ai entendu dire que les magistrats s’apprêtaient à faire grève le 29 novembre alors que le droit de grève ne figure pas dans leurs statuts.

Mme Marylise Lebranchu. Mais vous l’avez faite en 2000, monsieur !

M. Georges Fenech. Ce n’est pas vrai, madame Lebranchu ! Je n’ai jamais fait grève.

Comment votre ministère compte-t-il gérer cette situation de fait et comment la continuité du service public de la justice sera-t-elle assurée ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux. Merci, monsieur Fenech, d’avoir de nouveau précisé les contours de la réforme de la carte judiciaire et d’avoir rappelé le rapport Nallet et son idée de départementalisation. Il serait sans doute utile de revoir aussi la définition de la justice et des contentieux. En 1958, et dans les années qui ont suivi, de nouveaux contentieux sont en effet apparus qu’on a attribués, sans en cerner toujours bien les contours, aux tribunaux d’instance et aux tribunaux de grande instance.

Mme Marylise Lebranchu. Voilà !

Mme la garde des sceaux. Peut-être conviendra-t-il de dessiner de nouveaux contours, mais, pour cela, il faut passer par la loi.

Mme Marylise Lebranchu. Il faut commencer par là !

Mme la garde des sceaux. Il faut déjà commencer par redéfinir les lieux où nous rendons la justice, avant de voir les contentieux que nous voulons y mettre.

M. Alain Cousin. Très bien !

Mme la garde des sceaux. S’agissant de la grève, l’USM, l’Union syndicale des magistrats, syndicat majoritaire des magistrats, n’a pas appelé à la grève. Elle ne souhaite pas faire grève, elle a appelé à une journée de mobilisation.

C’est une intersyndicale de fonctionnaires et de greffiers et le Syndicat de la magistrature qui ont appelé à une journée pour le 29 novembre. Mais nous allons nous revoir, nous sommes en train de discuter. Ils m’ont demandé pour l’essentiel d’examiner avec eux les mesures d’accompagnement social s’agissant des personnels impactés par la réforme de la carte judiciaire. Voilà sur quoi portent en ce moment nos réunions et nos rencontres.

M. le président. La parole est à M. Louis Cosyns.

M. Louis Cosyns. Madame le ministre, ma question est près proche de celle de mon collègue Goujon puisqu’elle touche à la prise en charge des détenus souffrant de troubles psychiatriques, notamment dans nos prisons.

Leur situation est assez préoccupante. Globalement, près de 40 % des personnes détenues relèvent d'une prise en charge psychiatrique : 3,8 % des détenus souffrent d'une schizophrénie nécessitant un traitement, soit environ quatre fois plus qu'en population générale, 17,9 % présentent un état dépressif majeur, soit quatre à cinq fois le taux en population générale, et 12 % souffrent d'anxiété généralisée.

Afin de faire face à cette dramatique situation, la loi d'orientation et de programmation de la justice de 2002 a prévu la mise en place d'unités hospitalières spécialement aménagées, les UHSA, pour l'hospitalisation complète des personnes détenues atteintes de troubles mentaux. Ces unités devaient constituer une amélioration de l'offre d'accès aux soins au bénéfice de ces patients détenus.

Or que constatons nous aujourd'hui ? Des retards majeurs dans l'ouverture de ces structures. Cela tient, à mon sens, à la façon dont on a réfléchi à leur implantation.

En effet, ces structures mobilisent un grand nombre de médecins psychiatres. En attendant la mise en place d'un véritable plan de recrutement, il convient de faire face à la souffrance des détenus atteints de troubles psychiatriques. Pour cela, il faut faire avec les moyens existants. C'est là où les modalités qui ont conduit au choix des sites d'implantation ont péché : alors que l'ouverture des UHSA repose en grande partie sur l'offre, on a réfléchi en termes de demande.

Je m'explique : au lieu d'analyser à l'échelle nationale les possibilités existant en matière d'offre de soins psychiatriques – chacun sait que la formation d'un psychiatre est longue, et il fallait voir où se situaient les psychiatres en exercice –, on a analysé les demandes, c'est-à-dire les besoins des détenus, dans un cadre régional, celui des directions régionales des services pénitentiaires.

Je tiens à rappeler que le cadre régional a déjà été dépassé pour les unités hospitalières sécurisées interrégionales, les UHSI, créées au sein ou près des CHU. Les UHSI sont un dispositif qui a vocation à être complété par les UHSA.

Face à cette situation, pouvez-vous m’assurer, madame le ministre, que pour la deuxième tranche d’implantation, pour laquelle les incertitudes sont nombreuses, on s'appliquera à choisir les sites d'implantation à une échelle nationale en regardant là où les moyens soignants sont en place, et qu'on étudiera ensuite les besoins des lieux de détention situés à proximité, en dépassant le barrage que constitue la notion de région administrative. Cela permettra d’apporter plus de pragmatisme et de souplesse pour une mise en place rapide et efficiente d'un dispositif que je soutiens personnellement.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux. Votre question comporte deux volets.

Pour les personnes atteintes de troubles mentaux en détention qui nécessitent une hospitalisation, deux tranches sont prévues pour un total, à terme, de 700 places : une première tranche de 400 places est programmée jusqu’à 2011, dont 100 places déjà financées pour 2009, à Lyon et à Rennes – ensuite les implantations se feront en fonction aussi des bassins de population carcérale.

Le second volet de votre question concerne les psychiatres en prison. Aujourd’hui, ils sont 180. Nous comptons augmenter ce nombre. Un directeur de projet a été désigné pour faire le lien entre le ministère de la santé et le ministère de la justice. Nous avons du mal à trouver des psychiatres qui acceptent de soigner les personnes détenues. Grâce au directeur de projet, leur recrutement devrait être facilité, notamment grâce à une revalorisation de leur rémunération.

Dans le cadre de l’obligation de soins pour les délinquants sexuels, la loi du 10 août 2007 a prévu d’augmenter le nombre des médecins coordonnateurs. Ils sont aujourd’hui 150, ils seront 450 au 1er mars 2008. C’est pour cela que nous avons différé l’application des dispositions de la loi du 10 août 2007 s’agissant de l’obligation de soins. Nous aurons également une centaine de psychiatres supplémentaires pour la détention.

Tous les volets de la psychiatrie ou de la pathologie sont pris en compte – prison, hospitalisation et sortie en cas de fin de peine – dans le cadre du budget, avec 100 places pour 2009 qui vont commencer à être financées dès 2008.

Mme Élisabeth Guigou. Vos prédécesseurs n’ont rien fait !

M. Arnaud Montebourg. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg, pour un rappel au règlement.

M. Arnaud Montebourg. La procédure budgétaire a ceci d’utile qu’elle permet un aller et retour permanent entre l’exécutif et l’Assemblée nationale.

Malgré tout, nous ne pouvons que constater le silence insistant de Mme la ministre quant à la demande pressante formulée par nos collègues Alain Vidalies, Jean-Jacques Urvoas, François Hollande, pour que les députés de l’opposition, qui n’ont pas droit de participer à des réunions à Matignon, puissent à leur tour être reçus pour exprimer des positions politiques d’intérêt général dont ils sont autant les porteurs que leurs honorables collègues de la majorité.

En outre, nous avons découvert tout à l’heure, au hasard d’une phrase, que la garde des sceaux s’apprêtait à proposer un ticket modérateur, des « franchises », sur l’aide juridictionnelle.

M. le président. Revenez au rappel au règlement, cher collègue.

M. Arnaud Montebourg. Après la taxe sur les malades, voici la taxe sur les victimes !

Nous souhaiterions en savoir davantage sur la nature de ce projet. Nous sommes dans un débat budgétaire. Or ce projet ne figure nulle part dans la colonne des recettes de la mission budgétaire dont nous débattons et que nous avons à contrôler. Cette proposition est anti-sociale, elle va rendre la justice encore plus inaccessible à ceux qui vont devoir faire davantage encore de kilomètres pour aller se faire juger.

M. le président. Il faut conclure, monsieur Montebourg.

M. Arnaud Montebourg. C’est pourquoi, monsieur le président, nous demandons une suspension de séance pour que notre groupe puisse se réunir et amener la ministre à répondre aux interpellations justifiées de l’opposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. le président. Mon cher collègue, nous allons faire mieux : nous allons, compte tenu de l’heure, suspendre nos travaux, pour les reprendre à quinze heures.

La suite de la discussion budgétaire est renvoyée à la prochaine séance.

2

Ordre du jour
des prochaines séances

M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :

Suite de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2008, n° 189 :

Rapport, n° 276, de M. Gilles Carrez, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du plan.

Justice (suite).

Enseignement scolaire :

Rapport spécial, n° 276, annexe XX, de M. Yves Censi, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du plan ;

Avis, n° 277, tome IV, de M. Frédéric Reiss, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

À vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2008, n° 189 :

Rapport, n° 276, de M. Gilles Carrez, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du plan.

Enseignement scolaire (suite).

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures.)