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SOMMAIRE
Présidence de M. Bernard Accoyer
M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement
Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi
Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi
Accident de radiothérapie à l’hôpital d’Épinal
Avenir de l’agriculture française
M. Michel Barnier, ministre de l’agriculture et de la pêche
Meurtre d'un humanitaire français au Tchad
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité
Plan pour la réussite en licence
Mme Valérie Pecresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche
Avenir de l’École du service de santé des armées et de la base aérienne de Bordeaux
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants
Régularisation des travailleurs sans papiers
Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication
Présidence de M. Marc Laffineur
2. Déclaration du Gouvernement sur les langues régionales et débat sur cette déclaration
M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Bacquet, pour le groupe socialiste, républicain, citoyen et divers gauche.
M. Jean-Paul Bacquet. Monsieur le Premier ministre, il est des jours où il reste difficile pour un député et pour nos concitoyens de comprendre la politique que vous menez. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Cela a commencé lors du débat sur les OGM où une ministre a demandé à ses collègues de prendre leurs responsabilités en dénonçant un concours de lâcheté et d’inélégance, avant de devoir s’expliquer et s’excuser devant son groupe politique.
Ce fut ensuite la Chine, la secrétaire d’État aux droits de l’homme, Mme Rama Yade, posant trois conditions pour que le Président de la République assiste à l’ouverture des jeux Olympiques, déclaration immédiatement contredite par M. Kouchner selon lequel il « ne s’agit pas de poser des conditions à la Chine ».
Puis ce fut Roselyne Bachelot qui a affirmé à la radio que « la question [était] posée » de savoir si l’assurance maladie devait se désengager complètement du remboursement des frais d’optique, avant de démentir elle-même ses propos dans cet hémicycle.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative. Comme vous y allez !
M. Jean-Paul Bacquet. Luc Chatel – porte parole du Gouvernement ! – a déclaré qu’aucune réforme des allocations familiales n’était envisagée, la secrétaire d’État à la famille, expliquant, le soir même à la télévision, le nouveau mode d’attribution de celles-ci… Quant au ministre du travail, Xavier Bertrand, il ajoutait de son côté : « Ce n’est pas un désengagement de l’État mais une mesure de simplification. » Alors qu’il s’agissait de compliquer un peu plus la compréhension du dispositif.
En ce qui concerne la carte famille nombreuse, Dominique Bussereau a annoncé qu’elle allait « certainement disparaître » tandis que Jean-Louis Borloo répondait qu’elle serait « maintenue d’une manière ou d’une autre ». Le Président de la République de conclure : « Je vous confirme que la carte famille nombreuse est maintenue avec l’ensemble des avantages qui y sont associés. »
Quant au RSA, pour finir, le ministre du budget, Éric Woerth, a souligné que sa généralisation devait tenir compte des contraintes budgétaires, provoquant l’inquiétude du haut commissaire du Gouvernement aux solidarités actives contre la pauvreté, Martin Hirsch : « Le Gouvernement lance un train de réformes, je ne veux pas que le wagon des pauvres soit décroché du train. »
Je pourrais continuer longtemps la liste des incohérences gouvernementales. Convenez donc, monsieur le Premier ministre, qu’il devient de plus en plus difficile de comprendre votre politique. Ma question est simple : y a-t-il encore un pilote dans l’avion et où nous conduit-il ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le député Bacquet, vous êtes un spécialiste.
M. Jean-Paul Bacquet. Vous avez raison !
M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Vous avez en effet des capacités d’auscultation qui nous ravissent et vous venez d’un parti où les contradictions internes, naturellement, n’existent pas. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. – Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Et nous savons qu’entre vous tous il y a unité de vue sur tous les sujets, ce qui nous laisse chaque jour admiratifs.
M. Jean-Pierre Brard. Nous ne sommes pas au Caveau de la République, monsieur le secrétaire d’État !
M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Depuis à peine un an, le Président de la République et le Gouvernement ont changé profondément le pays avec un objectif, une méthode et une responsabilité.
L’objectif, c’est le mouvement, c’est faire de la France un pays qui conserve son rang ;…
M. Frédéric Lefebvre. Eh oui !
M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. …mieux : qui gagne même plusieurs places.
M. Bruno Le Roux. C’est raté !
M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. C’est une France qui ne passe pas son temps à s’ausculter. C’est une France qui agit, qui se transforme pour le bénéfice de tous les Français.
La méthode, c’est la rupture ; pas la rupture pour le plaisir de la rupture, monsieur Bacquet,…
M. Jean-Pierre Brard. Pour la souffrance !
M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. …pas la rupture pour faire chic. C’est que nous devons rompre avec les conservatismes, avec les immobilismes qui ont fait tant de mal à notre pays depuis trente ans, à droite et à gauche de cet hémicycle.
M. Jean-Pierre Brard. Votre rupture, c’est une rupture d’anévrisme !
M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Nous avons besoin de ces réformes pour changer notre pays et nous avons besoin qu’elles forment un bloc afin qu’elles provoquent une réelle et forte impulsion pour le redressement.
Le troisième élément, c’est la responsabilité, celle du Président de la République, du Premier ministre et de l’ensemble du Gouvernement. Il ne s’agit pas seulement de la responsabilité devant le Parlement, certes,…
M. Bruno Le Roux. Jamais devant le Parlement, d’ailleurs !
M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. …mais devant tous les Français, devant l’ensemble de l’opinion publique. Vous en êtes témoin, monsieur Bacquet.
Je souhaite remercier à nouveau la majorité pour son action et sa loyauté. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
M. Bernard Deflesselles. Très bien !
M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Depuis un an, le chômage baisse. Depuis un an, les droits de succession sont supprimés. La réforme sur l’autonomie des universités est engagée,…
M. Bernard Deflesselles. Tout à fait !
M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. …tout comme celle des heures supplémentaires et celle des peines plancher en cas de récidive. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Où étiez-vous à ce moment-là, monsieur Bacquet ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) Vous étiez dans la contestation, dans l’opposition systématique. Vous n’avez apporté aucune proposition, aucune modification. Merci donc à la majorité et tant pis pour l’opposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. François de Rugy. Monsieur le président, chers collègues, je constate que les bancs du groupe UMP sont très clairsemés. Je ne sais s’il s’agit de l’effet du rétablissement du lundi de Pentecôte comme jour férié, reste qu’il est choquant de voir si peu de députés de la majorité. (Vives exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi… (Mêmes mouvements.) Ramenez le calme dans l’hémicycle, monsieur le président !
M. le président. Monsieur de Rugy, vous provoquez une partie de l’Assemblée et vous ne faites qu’en récolter les fruits. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. François de Rugy. Je vais donc tâcher de ne plus provoquer, mais je ne vous promets rien.
M. le président. Posez votre question car le temps passe, il ne vous reste qu’un peu plus d’une minute.
M. François de Rugy. Ma question s’adresse donc à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie, de l’emploi et du paquet fiscal. Il y a un an, Nicolas Sarkozy débutait sa présidence par une soirée au Fouquet’s et par quelques jours sur un yacht de luxe. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
En toute logique, madame la ministre, vous avez donc commencé votre action gouvernementale par remercier vos amis avec le paquet fiscal, véritable paquet cadeau pour les plus grosses fortunes de France. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Au moment où les Français doivent remplir leur déclaration d’impôt sur le revenu, ils doivent savoir que, selon les chiffres que vous avez vous-même fournis, mille contribuables seulement vont toucher un chèque-cadeau de 250 000 euros. Vous nous aviez assurés, en juillet dernier, que c’était pour faire revenir en France les riches émigrés partis dans les paradis fiscaux. Johnny Halliday paie-t-il maintenant ses impôts en France ?
Vous avez été élus sur la promesse de baisser les impôts. En fait, vous reprenez d’une main au plus grand nombre ce que vous avez donné de l’autre à un tout petit nombre. J’en veux pour preuve la mise en œuvre, d’abord, des franchises médicales, puis la mise en place de niches fiscales sur lesquelles je souhaite vous interroger.
Allez-vous remettre en cause la super-niche fiscale que vous avez instaurée en juillet dernier avec le bouclier fiscal ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) Ou bien allez-vous vous attaquer, comme nous commençons de l’entendre ou de le lire, à la demi-part fiscale accordée au père ou à la mère – c’est plus souvent la mère, d’ailleurs – qui élève seul ses enfants ? Allez-vous vous attaquer au crédit d’impôt pour les énergies renouvelables ou l’isolation des logements anciens, au moment même où vous augmentez les prix du gaz ? Allez-vous vous attaquer au chèque emploi service, utile pour les retraités qui ont une aide ménagère ou pour les jeunes parents ?...
M. le président. La parole est à Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi.
Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Monsieur le député de Rugy, je suis très heureuse que vous posiez cette question sur les niches fiscales. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Je souhaite au préalable expliquer ce dont il s’agit. Les niches fiscales recouvrent une multitude d’impositions. Ainsi la TVA à 5,5 % sur les travaux effectués en intérieur est-elle une niche fiscale. La défiscalisation des intérêts perçus grâce au livret A, c’est aussi une niche fiscale.
M. Pascal Terrasse. Ça promet !
Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Les exonérations qui s’appliquent aux emplois de services à domicile, c’est une niche fiscale. Enfin, vous avez eu raison de l’évoquer, le crédit d’impôt consenti en matière d’investissements dans des équipements énergétiquement « intelligents », c’est encore une niche fiscale.
Il existe donc une multitude de niches fiscales. Leur multiplication est un sport qui a été pratiqué par la gauche quand elle était au Gouvernement et par la droite quand, à son tour, elle exerçait le pouvoir. Seulement, notre majorité a le privilège d’avoir tenté de plafonner ces niches et d’en éliminer un certain nombre.
M. Frédéric Lefebvre. C’est très vrai !
Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a remis ce matin un rapport aux commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, rapport prévu par la loi de finances pour 2008 et destiné à permettre l’identification des niches fiscales paraissant les plus inéquitables, c’est-à-dire celles qui ne sont pas plafonnées.
Sur les cinq niches fiscales ainsi identifiées, nous formulons des propositions et je suis sûre que nous retrouverons l’ensemble des membres de cette assemblée pour rétablir l’équité fiscale dans ce domaine.
M. Jacques Desallangre. Il y a du boulot !
Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. C’est en tout cas la détermination du Gouvernement et de la majorité.
J’ajoute au passage que si la gauche n’avait pas décidé de déférer au Conseil constitutionnel les dispositions de la loi de finances débattues en décembre 2005 à l’initiative de Jean-François Copé, alors ministre délégué au budget, nous n’en serions pas à évoquer le plafonnement des niches. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. – Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Nicolas Perruchot, pour le groupe Nouveau Centre.
M. Nicolas Perruchot. Madame la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, les Français viennent de recevoir leur déclaration d’impôt sur le revenu et découvrent chaque année, vous venez de le rappeler, la litanie des niches fiscales qui permet à la plupart d’entre eux de bénéficier d’exonérations.
Ce qu’il y a de choquant avec les niches fiscales, c’est que certains des plus gros contribuables français ne paient aucun impôt sur le revenu. Dans le même temps, la presse s’est fait l’écho d’un rapport que vous deviez remettre aux commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Vous connaissez, madame la ministre, la détermination des députés du groupe Nouveau Centre à obtenir le plafonnement de ces niches fiscales. Nous menons ce combat depuis de nombreuses années, d’abord parce qu’il faut assurer l’équité fiscale entre nos concitoyens et ensuite parce qu’il s’agit de garantir une meilleure efficacité de ces niches.
M. Frédéric Lefebvre. Bravo !
M. Nicolas Perruchot. Dimanche dernier, vous avez dit vouloir « mettre un terme à tous ces abus » et, hier soir, vous avez souhaité le plafonnement de cinq niches fiscales. Je rappelle à cet égard que six des niches liées à l’impôt sur le revenu ne sont pas plafonnées.
Ma question diffère de celle posée par M. de Rugy. Ainsi je souhaite que vous informiez la représentation nationale sur le fait de savoir si le Gouvernement a un objectif chiffré et précis en matière d’économies à terme. Nous voyons en effet circuler, depuis quelques jours dans la presse, des chiffres différents. Aussi, entendez-vous réaliser un plafonnement par niche ou bien mettre en place un dispositif certes complexe mais utile de plafonnement par contribuable ?
M. le président. La parole est à Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi.
M. Jean-Pierre Brard. Et du Liechtenstein !
Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Monsieur le député Perruchot, je rappelle que nous avons travaillé dans deux directions. La première – chère à M. le député Méhaignerie, avec qui nous en avons débattu à l’occasion de la discussion du projet de loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat –, était celle de l’instauration d’un impôt minimum, un peu à l’image de celui qui existe aux États-Unis.
Le 15 octobre, nous avons remis à cette assemblée un rapport dans lequel nous avons écarté le principe de l’impôt minimum, d’une part parce qu’il est extraordinairement compliqué à mettre en œuvre et nous exposerait aux foudres du Conseil constitutionnel, et, d’autre part, parce qu’il ratisserait tellement large qu’il ne serait pas opérant.
M. Jean-Pierre Brard. Pourtant, ça marche aux États-Unis !
Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Nous avons donc examiné une autre piste, celle des niches fiscales les plus inéquitables, qui ne plafonnent pas le montant défiscalisé pour les contribuables.
M. François Hollande. Lesquelles ?
Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Nous avons étudié ces niches fiscales déplafonnées en préparant le rapport que j’ai remis aujourd’hui à la commission des finances et nous avons mis en évidence un certain nombre d’abus.
M. François Hollande. Lesquels ?
Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Au nom d’un principe d’égalité fiscale, le Gouvernement et la majorité souhaitent mettre fin à ces abus. (« Lesquels ? » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Il s’agit donc d’appliquer un principe d’équité, et nous nous y emploierons avec détermination. Mais il ne faut pas s’imaginer que, derrière le plafonnement des niches fiscales, il y a une caverne d’Ali Baba.
M. Jean-Pierre Brard. En tout cas, il y a les quarante voleurs ! (Sourires.)
Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Si c’était le cas, ça se saurait. Je doute fort que le plafonnement de ces niches fiscales, dont j’espère que nous pourrons débattre lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2009, nous offre de quoi combler tels déficits ou de financer telles dépenses. Quoi qu’il en soit, nous continuerons d’appliquer ce principe d’équité, car nous sommes déterminés à éliminer les abus. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
M. Marcel Rogemont. Les abus, c’est vous qui les provoquez !
M. le président. La parole est à M. Michel Heinrich, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Michel Heinrich. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative.
M. Patrick Roy. Et des franchises médicales ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Michel Heinrich. En octobre 2006, l’agence régionale de l’hospitalisation alerte l’opinion publique sur les erreurs de paramétrage d’un logiciel de radiothérapie au sein du service de radiothérapie de l’hôpital d’Épinal. À l’époque, vingt-trois patients étaient concernés. Après la mise en place d’un numéro Vert qui a mobilisé tous les praticiens de l’hôpital et à la suite de la mission confiée par le ministère de la santé au Dr Simon, chargé d’étudier tous les dossiers des patients du service, le bilan s’est révélé très lourd : ce sont 5 500 personnes qui ont été victimes de surirradiation entre 1987 et 2006.
Cette catastrophe est le résultat de défaillances à répétition, souvent indépendantes les unes des autres. Il s’agit du plus grave accident de radiothérapie ayant jamais touché un hôpital français.
Lors de sa visite de l’hôpital de Neufchâteau, dans les Vosges, le 17 avril dernier, le Président Sarkozy a rencontré les représentants des surirradiés d’Épinal. Il s’est engagé à ce que les indemnisations prévues leur soient versées au plus tard dans les deux mois. Vous-même avez rencontré les mêmes patients le 21 avril à Épinal et vous avez pu mesurer la dignité, mais aussi la détresse, des victimes.
Les médecins incriminés ont été frappés d’une interdiction temporaire d’exercer. Madame la ministre, je sais que vous apportez aux victimes et à leurs familles votre soutien le plus total.
M. Jean-Pierre Brard. C’est la ministre de la compassion !
M. Michel Heinrich. Pouvez-vous nous rappeler le contenu des mesures que vous avez prises pour qu’un accident de radiothérapie aussi grave ne puisse se reproduire ? Pouvez-vous également nous rappeler les sanctions que vous avez décidées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean-Pierre Brard. Allez, Roselyne, trois Pater et deux Ave !
M. le président. La parole est à Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative. Monsieur Heinrich, vous n’êtes pas seulement député, vous êtes également maire d’Épinal, et c’est dans votre ville que s’est produit le plus grave accident de radiothérapie que nous ayons eu à déplorer dans notre pays. C’est – vous avez employé le terme qui s’impose – une véritable catastrophe sanitaire : 5 500 malades ont été surirradiés ; certains ont perdu la vie ; d’autres en garderont à tout jamais les séquelles.
En tant que ministre de la santé, ma tâche est double. Je dois d’abord être aux côtés des victimes. Je dois ensuite faire en sorte qu’une telle catastrophe ne se reproduise jamais.
Être aux côtés des 5 000 irradiés d’Épinal, c’est les accompagner à tous moments dans la procédure judiciaire, pour qu’ils obtiennent réparation. C’est aussi avoir versé aux personnes les plus gravement irradiées une provision de 10 000 euros. Vous l’avez rappelé, j’ai eu l’occasion de rencontrer avec vous, le 21 avril, les surirradiés et leurs défenseurs, et j’ai voulu que les praticiens qui avaient été à l’origine de fautes soient l’objet de sanctions exemplaires. J’ai donc pris, à l’encontre de l’ancien chef de service, une mesure exceptionnelle de révocation. C’est extrêmement rare, puisque, sur 40 000 praticiens hospitaliers, un seul a été l’objet d’une telle mesure en 2007, et aucun en 2006. Cette peine est à la hauteur des fautes commises. Elle a été décidée après avis des deux conseils de discipline, de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Autorité de sûreté nucléaire. L’autre médecin a été simplement frappé d’un blâme.
Je veux aussi et surtout que cela ne se reproduise plus jamais. J’ai donc confié à l’Institut national du cancer, aux sociétés savantes et à l’ensemble des agents sanitaires du ministère le soin d’établir une feuille de route de radiothérapie. Elle permettra de veiller à la sécurité des pratiques et à la qualité des soins, tout en faisant en sorte que les informations sur les incidents ou sur les accidents remontent le plus vite possible jusqu’aux autorités, afin que celles-ci puissent prendre, en temps voulu, toutes les décisions nécessaires.
Oui, monsieur le député, plus jamais une catastrophe sanitaire comme celle d’Épinal ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Boulestin, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Mme Monique Boulestin. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, le prix du gaz va augmenter pour la troisième fois cette année. En janvier, nous avons subi une augmentation de 4 %, en avril, une nouvelle augmentation de 5,5 %, et, pour le mois de juillet, la presse nous annonce votre projet d’augmentation de 1,5 %.
En sept mois, c’est donc à une augmentation cumulée de 11 % qu’il faut faire face et, en deux ans et demi, à une augmentation de 40 %.
Sans nier le renchérissement actuel du prix du pétrole sur les marchés (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), nous savons tous que les salaires et les pensions ne sont indexés ni sur le prix du pétrole ni sur celui du gaz.
Une fois de plus, vous touchez au pouvoir d’achat de tous les Français – chômeurs, salariés, retraités et collectivités locales – dont les dépenses contraintes ne cessent d’augmenter et sont, pour la plupart, devenues insupportables.
M. Lucien Degauchy. Vous avez une solution ?
Mme Monique Boulestin. Petit à petit, vous créez une nouvelle économie, celle de la survie sociale.
Monsieur le Premier ministre, il existe des moyens pour atténuer ces augmentations répétées. Ainsi, je vous demande de suspendre la prochaine augmentation du prix du gaz proposée par la Commission de régulation de l’énergie : les actionnaires de Gaz de France doivent prendre toute leur part de l’effort demandé. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et sur quelques bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Je vous demande aussi d’élargir le nombre des bénéficiaires du tarif social : ils ne sont que 800 000 sur les 8 millions d’abonnés.
M. le président. Il va falloir poser votre question, madame.
Mme Monique Boulestin. J’y viens, monsieur le président.
Ensuite, en ce qui concerne les carburants je vous demande instamment de mettre enfin en place le chèque-transport voté par vous-même et qui n’a toujours pas été appliqué, alors qu’il permettrait d’amortir, pour nos concitoyens, le choc de l’augmentation du prix des carburants. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.
M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Madame Boulestin, vous venez de faire allusion à la déclaration de la Commission de régulation, qui a évoqué, hier et aujourd’hui, la nécessité d’augmenter les tarifs d’utilisation des canalisations françaises. Madame Boulestin, vous ne pouvez pas à ce point confondre les tarifs d’utilisation des 130 000 kilomètres de canalisation qui doivent être payés par Gaz de France, par Poweo et par tous les utilisateurs, avec le prix payé par le consommateur. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Vous savez aussi bien que moi, madame la députée, qu’il a été décidé de supprimer les canalisations en fonte grise, qui sont dangereuses – des drames récents nous l’ont malheureusement appris –, d’augmenter et de mieux entretenir les canalisations. Vous avez oublié de le dire dans votre question, mais le gestionnaire du réseau doit entretenir les 130 000 kilomètres de canalisation et augmenter ses capacités. Il existe, depuis longtemps, un tarif que vous avez institué : il n’avait pas augmenté depuis quatre ans. Il est affecté aux entreprises, et donc aux actionnaires. Il n’y aura donc pas d’augmentation pour le consommateur ou l’utilisateur.
Quant au tarif social, madame, vous devriez savoir que, pour 750 000 personnes, il sera mis en place le 1er juillet. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Armand Martin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Philippe Armand Martin. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question, qui s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de la pêche, concerne l’avenir de l’agriculture française et, plus précisément, les négociations menées dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce.
Il ressort de ces conversations que l’OMC rechercherait la conclusion d’un accord séparé sur l’agriculture dans le cadre des négociations menées à Doha en 2001. Alors que – convenons-en – au xxe siècle, l’agriculture a été marginalisée et les agriculteurs déconsidérés, ce secteur d’activité est et sera l’un des enjeux du xxie siècle, ce qui explique certainement l’empressement de l’OMC.
Les cours des produits agricoles ont connu une hausse moyenne de 35 % : elle atteint 120 % pour les céréales et 80 % pour le riz. Cette situation génère non seulement une crise alimentaire sans précédent, qui touche 100 millions de personnes dans les pays les plus faibles, mais aussi le retour au protectionnisme de certains États, tels que l’Ukraine ou l’Argentine.
Des raisons structurelles ont contribué à cette situation : la croissance de la population mondiale, l’augmentation de la consommation de produits agricoles dans les pays émergents, l’industrialisation et l’urbanisation qui ont réduit la part de terres cultivables.
Dès lors, de nouvelles politiques agricoles s’imposent. La France ne peut s’en exonérer, surtout qu’il s’agit pour notre pays d’un secteur d’activité qui a dégagé pour 2007 un excédent agroalimentaire de l’ordre de 9,1 milliards d’euros. Fort de ce constat et convaincu que, au-delà des enjeux économiques, l’agriculture participe aussi à la vitalité et à l’aménagement de notre territoire, il me semble d’autant plus important que le Gouvernement s’engage fermement en faveur de la promotion et de la défense de ce secteur d’activité.
C’est d’autant plus important que l’Organisation mondiale du commerce et les instances européennes intervenant en matière agricole voudraient redéfinir les contours d’un nouvel accord commercial agricole pour tendre vers un plus grand libéralisme. J’attire ici votre attention, monsieur le ministre, sur les conséquences qu’aurait un tel accord : il concernerait non seulement les productions alimentaires, qui connaissent actuellement une forte hausse, mais aussi toutes celles qui sont frappées par une concurrence étrangère, telles que l’élevage et la production de fruits et légumes.
En conséquence, monsieur le ministre, pouvez-vous m’indiquer la position que la France entend adopter dans le cadre des négociations qui sont menées à l’OMC concernant l’agriculture ? Pouvez-vous, en même temps, préciser votre proposition d’instaurer une organisation mondiale propre à l’agriculture ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Maxime Gremetz. Signé FNSEA !
M. le président. La parole est à M. Michel Barnier, ministre de l’agriculture et de la pêche.
M. Michel Barnier, ministre de l’agriculture et de la pêche. Monsieur Martin, face à la crise alimentaire que vous avez rappelée et qui frappe une quarantaine de pays, parmi les plus pauvres du globe, face à l’augmentation des prix des matières premières qui touche ces pays, mais qui nous touche aussi, en rendant extrêmement difficile le travail de nombre d’éleveurs européens, nous voulons être et nous sommes à la fois vigilants, actifs et solidaires.
Nous sommes en effet solidaires dans l’urgence, avec l’aide alimentaire que nous apportons avec les autres pays européens. Le Président de la République a décidé – Bernard Kouchner l’a rappelé – d’en porter immédiatement le montant à 60 millions d’euros.
Nous voulons aussi être actifs pour remettre l’agriculture en haut de l’agenda. Vous avez vous-même rappelé que, depuis une vingtaine d’années, l’agriculture, qui est pourtant le premier levier contre la pauvreté, était redescendue au quatrième ou au cinquième rang des priorités en matière de coopération et d’aide au développement.
Nous voulons aussi être actifs pour aider, région par région, les pays à mutualiser leur production, la gestion des risques et des crises, comme nous l’avons fait nous-mêmes en Europe, avec succès, depuis cinquante ans.
Nous serons également actifs avec nos partenaires pour demander la création d’un forum, où tous les grands acteurs internationaux pourraient se retrouver pour parler d’alimentation et d’agriculture.
Le Premier ministre François Fillon, Mme Christine Lagarde et moi-même nous trouvions, il y a quelques jours, à Washington et nous en avons parlé notamment avec M. Strauss-Kahn. Le FMI, la FAO, l’OMC, la Banque mondiale doivent travailler ensemble pour relever ce défi alimentaire.
Il se trouve, monsieur Martin, que nous discutons, à Genève, au moment où survient cette crise, un peu dans la précipitation, d’un accord pour libéraliser les échanges qui toucheraient en particulier l’agriculture.
Nous sommes très vigilants, parce que nous savons qu’un mauvais accord, c’est-à-dire un accord déséquilibré, qui ne serait pas réciproque, qui se contenterait de traiter la question agricole, sans la relier aux autres, serait non seulement un mauvais accord pour les agriculteurs européens et français, mais plus encore un accord désastreux pour l’économie des pays les plus pauvres.
Je vous rappelle que les pays d’Afrique font entrer leurs produits agricoles sur notre marché, en Europe, sans acquitter de droits de douane.
Voila pourquoi, monsieur Martin, nous devons être vigilants. Nous ne croyons pas que l’on puisse relever le défi de la sécurité alimentaire par la seule loi du libre échange et avec le moins-disant sanitaire et écologique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Hostalier, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Mme Françoise Hostalier. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères,
J'associe à cette question les membres du groupe d'amitié France-Tchad, que j'ai l'honneur de présider.
Même si, aujourd’hui, l'actualité ne nous montre plus ces images terribles des réfugiés et des déplacés dans les camps, sur le territoire de l'est du Tchad et au Darfour, la situation est loin d’être apaisée, elle est toujours aussi épouvantable.
Il aura fallu les meurtres ignobles de deux ressortissants français : le sergent Gilles Polin, âgé de vingt-huit ans, assassiné le 3 mars dernier, et Pascal Marlinge, membre de l'ONG Save the Children, assassiné le 1er mai dernier, pour qu'à nouveau nos yeux se tournent vers cette région.
Je vous demande, mes chers collègues, de rendre hommage à notre compatriote Pascal Marlinge, qui a donné sa vie en portant au plus haut les valeurs universelles que nous défendons tous ici. Nous assurons sa veuve et ses enfants de notre profonde compassion.
Pour répondre aux enjeux régionaux de la crise du Darfour, la France a été à l'initiative du déploiement de l'EUFOR, qui est la plus importante opération autonome de l'Union européenne, engagée sous mandat du Conseil de sécurité des Nations unies, par une résolution votée à l'unanimité.
Monsieur le ministre, je voudrais vous poser trois questions.
Premièrement, quel est, à ce jour, l'état du déploiement de l'EUFOR ?
Deuxièmement, quelle est la situation à l'est du Tchad, où sont parqués dans des camps environ 250 000 réfugiés et plus de 187 000 déplacés ?
Troisièmement, pouvez-vous nous donner quelques indications sur les orientations de la politique de la France envers le Tchad, qui, après les événements tragiques de février dernier, voit l'installation d'un nouveau gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet, secrétaire d’État chargé de la coopération et de la francophonie.
M. Alain Joyandet, secrétaire d’État chargé de la coopération et de la francophonie. Madame Hostalier, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de M. Bernard Kouchner.
Madame la députée, permettez-moi de m’associer à l’hommage que vous rendez à nos compatriotes, ces passionnés de l’humanitaire avaient voué leur vie au service des autres.
C’était d’ailleurs tout le sens de la présence, dimanche, de notre collègue Rama Yade, secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l’homme, auprès de la famille lors du retour de la dépouille mortelle de M. Marlinge.
Cette tragédie illustre malheureusement la pertinence de la résolution votée à l’unanimité par le Conseil de sécurité des Nations unies, autorisant le déploiement d’une présence internationale à l’est du Tchad et en République Centrafricaine. L’Europe a montré, à cette occasion, sa capacité à se mobiliser, tout particulièrement à l’initiative de la France.
Madame Hostalier, vous m’avez posé trois questions.
En ce qui concerne le déploiement de l’EUFOR à partir de juin prochain – c’est-à-dire avant la saison des pluies, puisque ce phénomène joue un grand rôle –, 3 700 hommes seront en place, dont environ 2 000 Français, pas moins de quinze nations européennes seront présentes sur le terrain.
S’agissant de la situation à l’est du Tchad, un important effort de reconstruction et de développement est en cours de mise en œuvre. Malgré les attaques de convois humanitaires, nombreuses actuellement, nous constatons les premiers effets positifs de la présence internationale, en particulier le retour spontané et volontaire de certaines populations déplacées. Nous devons les encourager et les soutenir.
Enfin, sur le plan politique, la nomination d’un nouveau Premier ministre à la tête d’un gouvernement d’ouverture a constitué une étape majeure. Celle-ci a été suivie par la décision de l’opposition de réintégrer les instances de dialogue politique prévues par l’accord signé le 13 août dernier par l’ensemble des partis politiques sous l’égide de l’Union européenne.
La situation devient plus favorable. Mais la France y restera évidemment très attentive. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Iborra, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Mme Monique Iborra. Ma question s'adresse à M. Xavier Bertrand, ministre des affaires sociales.
Nous avons eu, depuis l'élection du Président de la République, maintes fois l'occasion de noter la dégradation des relations du Gouvernement, qui frisent souvent le mépris, avec les collectivités locales.
Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. C’est faux !
Mme Monique Iborra. La devise pourrait être : « Le Gouvernement décide, les collectivités payent. » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. – Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Michel Herbillon. Caricature !
Mme Monique Iborra. Je voudrais évoquer l’exemple précis, qui va bien au-delà des collectivités,…
M. Yves Nicolin. Baratin !
Mme Monique Iborra. …des étudiants en travail social : assistantes sociales, éducateurs spécialisés, éducateurs de jeunes enfants, qui sont plus de 15 000 en France. Ils ne pourront pas valider leur diplôme en 2008 si vous ne tirez pas rapidement les conséquences d’une circulaire que vous avez prise sans aucune concertation, ni avec les établissements de formation, ni avec les employeurs, ni avec les régions, ni avec les départements, pourtant concernés, ni avec les étudiants eux-mêmes.
Vous avez pris cette circulaire en application de la loi sur l'égalité des chances. En effet, les étudiants en travail social – bac + 3 – ont été assimilés à ceux de l’enseignement supérieur et les associations loi de 1901 qui les accueillent à des entreprises. Or, ces établissements sont financés soit par l'État, soit par les collectivités locales, en particulier les conseils généraux.
Les budgets de ces établissements étaient, dans la majorité des cas, votés au moment où ils ont été informés de la parution de cette circulaire. Aujourd'hui, ces établissements associatifs ne disposent d’aucun crédit pour prendre en charge ces gratifications. Les étudiants, soit 15 000 personnes, se voient refuser l’accès aux stages.
D’autres étudiants, en sanitaire et social, titulaires comme eux d’un bac + 3 se demandent…
M. le président. Quelle est la question ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. – Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire…)
Mme Monique Iborra. J’y arrive !
Ils se demandent pourquoi ils ne peuvent accéder aux mêmes dispositions que vous avez réservées à un certain nombre d'entre eux.
Ma question est simple (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire)…
M. le président. Je vous remercie. La parole est à Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité. En prenant le décret d’application de la loi pour l’égalité des chances fixant le montant minimal de la gratification des stages, le Gouvernement a permis que la loi s’applique enfin sur ce point. C’est une avancée importante pour les étudiants, puisque, maintenant, la gratification est obligatoire pour les stages de plus de trois mois consécutifs. Elle est due, dès le premier jour de stage ; elle est égale à 30 % du SMIC, soit 398 euros.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Là n’est pas la question !
Mme la secrétaire d'État chargée de la solidarité. Mais vous avez raison, madame Iborra : il serait inimaginable que cette avancée entraîne un tarissement de l’offre de stages ou empêche certains étudiants de suivre leur formation.
M. Frédéric Cuvillier. C’est le cas !
Mme la secrétaire d'État chargée de la solidarité. C’est pourquoi, dans les structures qu’il finance, l’État a pris toutes ses responsabilités pour garantir que les stages puissent avoir lieu dans les établissements et les services médico-sociaux.
Les dépenses correspondant aux gratifications obligatoires seront prises en charge, notamment au titre de l’assurance maladie. Le financement existe donc bien. Il est intégré dans la tarification des établissements et services. M. Xavier Bertrand a d’ailleurs donné des instructions très claires en ce sens aux services déconcentrés, dès le mois de février.
Je sais que les autres employeurs que sont les conseils généraux partagent pleinement ce souci. C’est la raison pour laquelle ils ont été nombreux à choisir une approche pragmatique, en facilitant l’application de la gratification obligatoire dans les établissements et services. Les services de Xavier Bertrand sont en contact régulier avec l’ADS sur ce sujet.
Madame Iborra, M. Bertrand m’a chargé de vous dire qu’il était prêt à vous recevoir pour étudier, au niveau de l’Association des régions de France, comment pouvait être mise en œuvre la mesure pour les boursiers, qui relèvent de la compétence du conseil régional, afin de respecter la loi de 2006. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Nouveau Centre.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Louise Fort, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Mme Marie-Louise Fort. Madame la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, avant de poser la question, je voudrais rendre hommage au travail exceptionnel que vous avez accompli au cours de cette année. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Vous avez su prendre en compte nos suggestions et propositions. Soyez assurée de notre soutien à l’avenir pour permettre à notre université de retrouver toute sa place au niveau international. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Nouveau Centre. –Protestations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et sur de nombreux bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Les élèves de terminale se préparent à passer le baccalauréat dans quelques jours. S'ils réussissent, beaucoup d'entre eux rejoindront bientôt les bancs de l'université. La découverte d'un nouveau milieu, d'un nouveau rythme est une étape très importante dans la vie d'un jeune, et le choix d'une orientation n'est pas toujours facile.
Certains ont su élaborer un projet professionnel et personnel solide. Ceux-là réussiront. Mais beaucoup se retrouvent perdus, ne sachant pas trop vers quelle filière s'orienter.
C'est le manque d'informations qui les a poussés à aller à l'université, alors que d'autres possibilités s'offraient à eux. Ces étudiants-là sont plus fragiles, il faut leur accorder plus d'attention pour les aider à passer le cap de la première année.
La loi que vous avez portée, l'été dernier, avec intelligence, courage et finesse (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), loi dite d'autonomie des universités, pose les bases de la nouvelle université. Une université qui poursuit avant tout l'objectif de la réussite et de l'insertion professionnelle des étudiants. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Depuis la rentrée de septembre, vous avez lancé un certain nombre de chantiers : la réforme des bourses, l'opération campus et enfin le plan « Réussir en licence ».
Dans un contexte mondial de concurrence accrue et alors que la France s'est résolument inscrite dans la bataille mondiale de l'intelligence pour être leader dans l'économie de la connaissance, que faites-vous, madame la ministre, pour encourager les étudiants à aller plus loin que la première année de licence ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Pecresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Valérie Pecresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la députée, aujourd’hui, 50 % des étudiants échouent en première année à l’université. C’est une véritable sélection par l’échec et c’est un formidable gâchis humain.
Il est possible de réduire de moitié ce taux d’échec. C’est toute l’ambition du plan « Réussir en licence » qui sera lancé dès septembre dans toutes les universités de France.
La nouvelle licence sera accompagnée, renforcée et ouverte.
Accompagner les étudiants, c’est d’abord leur permettre de mûrir leur orientation dès la terminale en contact avec les universitaires. Tel est le sens de l’orientation active que je mets en place avec mon collègue Xavier Darcos. Mais accompagner les étudiants, c’est aussi mettre à leur disposition un professeur référent, en charge vingt étudiants qui pourront lui demander conseil tout au long de l’année.
L’accompagnement des étudiants se traduit aussi par des cours de soutien obligatoires en cas de difficulté par des étudiants-tuteurs rémunérés et la possibilité de se réorienter dès la fin du premier semestre pour éviter de faire fausse route trop longtemps.
La nouvelle licence sera aussi renforcée par cinq heures de cours supplémentaires par semaine et par étudiant parce que la première année à l’université doit devenir une année fondamentale qui consolide les acquis de la terminale et permet de fonder la réussite universitaire. Les étudiants devront pratiquer les langues, en particulier l’anglais, l’expression écrite et orale, et les technologies de l’information. Cette année sera pluridisciplinaire pour permettre aux étudiants de se doter de connaissances de base solides avant de se spécialiser progressivement.
Enfin, cette nouvelle licence sera ouverte sur les métiers. Désormais, les étudiants devront peaufiner leur projet professionnel en concertation avec les entreprises. D’ici à 2010, chaque cursus universitaire, y compris en sciences humaines et sociales, comportera un stage obligatoire.
Aussi, 730 millions d’euros seront consacrés en cinq ans aux projets des universités en fonction de la qualité pédagogique et des initiatives qu’elles prendront. Des universités en marche vers l’autonomie, des universités qui se mobilisent pour la réussite de leurs étudiants, qui entrent dans une culture du résultat, voilà, madame la députée, le nouveau visage de l’université française dès septembre 2008 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
M. le président. La parole est à Mme Chantal Bourragué, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Mme Chantal Bourragué. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
Sous l'impulsion du Président de la République, le Gouvernement a engagé une réforme ambitieuse destinée à la modernisation de notre défense. Le ministre de la défense a décidé, dans ce cadre, l'élaboration d'un nouveau Livre blanc sur la défense et sur la sécurité nationale. Ces réflexions permettront au Gouvernement d'évaluer, pour les quinze prochaines années, les menaces pesant sur notre pays et les moyens militaires nécessaires pour y faire face.
Par ailleurs, la révision générale des politiques publiques conduit le ministère de la défense à rationaliser le stationnement des unités militaires et des établissements civils. Ainsi, dans ce contexte, je tiens à souligner l'importance de deux implantations, à Bordeaux et dans sa périphérie.
Lors de son déplacement à Bordeaux, le 22 avril dernier, Hervé Morin a pu se rendre compte de l'attachement des élus et, en particulier, du maire de Bordeaux et de sa population à l'École du service de santé des armées. Par son histoire, par la qualité de son enseignement, l'école de santé navale de Bordeaux représente un site emblématique depuis plus d'un siècle.
La base aérienne 106 « Capitaine Michel Croci » de Bordeaux-Mérignac est devenue un pôle majeur de l'armée de l'air. Elle accueille en particulier le commandement du soutien des forces aériennes. Ces deux unités militaires constituent pour Bordeaux et ses environs des enjeux importants, notamment pour son tissu économique et social.
C'est pourquoi, à la veille de choix stratégiques en matière de défense, pouvez-vous faire part à la représentation nationale des grandes lignes qui guident cette réforme ?
Connaissant l'attachement de tous les bordelais et de mes collègues girondins à l'école de santé navale comme à la base aérienne, je vous remercie de bien vouloir nous informer sur l’avenir de ces deux sites. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants. Mme Chantal Bourragué vient de l’indiquer, nous sommes engagés dans une réforme sans précédent destinée à adapter notre outil de défense à la professionnalisation des armées et à la nouvelle donne internationale et aux nouvelles menaces.
Je dois dire – et c’est une exception par rapport à d’autres départements ministériels – que toutes les économies qui seront réalisées, année après année, grâce à cette réforme, se feront à budget constant au profit de nos équipements militaires et, bien sûr, de la condition militaire.
S’agissant des deux sites bordelais que vous avez évoqués – mais c’est également vrai pour les autres sites actuellement en discussion –, aucune décision n’a encore été prise. La concertation avec les parlementaires et les élus se poursuit.
M. Christian Paul. Ce n’est pas vrai !
M. Maxime Gremetz. C’est faux !
M. le secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants. Hervé Morin, vous l’avez dit, a rencontré le maire de Bordeaux, Alain Juppé. Ils ont évoqué de manière extrêmement précise la question – et je vous le confirme – du regroupement des écoles de service de santé sur un seul site. Deux sites sont envisageables : l’un à Lyon, …
M. Albert Facon. Lyon va gagner le gros lot !
M. le secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants. … l’autre à Bordeaux ; les deux présentent des avantages évidents et la réflexion se poursuit. Après la publication du Livre blanc et au terme des discussions, la décision sera prise au plus haut niveau par le chef de l’État, chef des armées.
S’agissant de la base aérienne de Bordeaux-Mérignac, vous avez rappelé ses atouts : elle accueille le commandement des forces de soutien aérien et plusieurs unités. Sans préjuger de la décision future, on peut dire qu’elle a vocation à être pérenne.
J’ajoute enfin qu’il y aura, dans le cadre de la modernisation, un certain nombre de suppressions d’unités ou de déplacements, mais, avec Hervé Morin, Hubert Falco et l’ensemble des ministres concernés, nous veillerons, sous l’autorité du Premier ministre, à ce que cela se fasse dans une vision consolidée de l’équilibre du territoire, car il s’agit à la fois d’un enjeu militaire et d’un enjeu d’aménagement du territoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à Mme Michèle Delaunay, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.
Mme Michèle Delaunay. Je remercie Mme Bourragué de me soutenir dans la défense de l’école de santé navale de Bordeaux ! (Sourires.)
Ma question s'adresse à M. le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire.
Monsieur le ministre, la grève des travailleurs sans papiers d'Île-de-France a fait prendre conscience à votre Gouvernement de l'absurdité de cette politique du chiffre, avec laquelle vous croyez rallier l'opinion des Français. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Les Français comprennent, en réalité, qu'il s'agit là d'une aberration politique, économique et, plus encore, humaine. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Politique, monsieur le ministre. En effet, le Président Sarkozy, dans sa récente intervention télévisée, a rappelé qu'il voulait être le Président de la valeur « travail ». Eh bien, voilà l'occasion de mettre enfin des faits en face des déclarations !
Ces sans papiers, monsieur le ministre, se lèvent tôt, se couchent souvent tard, pour assumer des tâches exigeantes. Allons-nous leur dire que le travail des uns n'a pas la même valeur que le travail des autres ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Les droits de l’homme !
Mme Michèle Delaunay. Allez-vous nous affirmer, comme le Président de la République l'a fait, que 22 % des étrangers en situation régulière seraient au chômage, chiffre sans fondement, démenti par tous les instituts de statistiques ? Alors, pourquoi cette communication bâtie sur des mensonges et des peurs supposées ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Richard Mallié. La question !
Mme Michèle Delaunay. C'est aussi – et cela, vous pouvez l’entendre – une aberration économique. Ces sans papiers, qui occupent bien souvent des emplois non pourvus, si on ne les régularise pas, les entreprises devront s'en passer. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
C'est enfin et surtout, monsieur le ministre, une aberration humaine, comme toute votre politique de reconduite à la frontière, d'affichage, de chiffres (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire),…
M. le président. Veuillez poser votre question, madame.
Mme Michèle Delaunay. …de quotas, quand chacun de ces travailleurs est justement une personne humaine. Ils ont appris notre langue, fait des efforts et travaillé à nos côtés.
Ma question est très concrète : allez-vous étendre la régularisation des sans papiers qui travaillent à l'ensemble du territoire…
M. Richard Mallié. Non !
Mme Michèle Delaunay. …et la fonder enfin sur des critères stables et transparents ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
M. le président. La parole est à M. Brice Hortefeux, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire.
M. Brice Hortefeux, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire. Madame la députée, vous m’interrogez sur un sujet, à l’évidence, sensible. Je vous répondrai donc précisément. Tout d’abord – et je vous demande de me croire – je ne jette pas la pierre à ceux qui ont pensé, sans doute avec beaucoup de naïveté, qu’en régularisant massivement...
M. Jean Glavany. C’est pourtant ce que vous faites, sans le dire !
M. le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire. …on repartirait sur des bases nouvelles et qu’on remettrait les compteurs à zéro ! En 1997, on a régularisé 80 000 personnes.
M. Jean Glavany. Vous régularisez sans le dire !
M. le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire. La conséquence fut immédiate : cela a provoqué un appel d’air formidable, et le nombre de demandeurs d’asile a été multiplié par quatre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
J’ajoute, madame la députée, que l’Italie et l’Espagne, que vous auriez pu citer, qui ont pratiqué de telles régularisations, y ont officiellement renoncé, voici plus d’un an et ils n’entendent plus le faire à l’avenir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Notre politique se veut simple, claire et juste. Le principe est simple : sauf cas particulier – humanitaire, sanitaire, social, le travail –…
Mme Michèle Delaunay. Eh oui, le travail !
M. le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire. …un étranger en situation irrégulière a vocation être reconduit dans son pays d’origine. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean Glavany. Vous ne répondez pas à la question qui vous a été posée !
M. le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire. J’ajoute que ce principe est appliqué par tous les pays d’Europe, quelle que soit leur sensibilité.
Concernant les travailleurs clandestins, c’est-à-dire ceux qui séjournent sur notre territoire sans y avoir été autorisés et qui y travaillent sans autorisation de travail ou avec des papiers frauduleux ou falsifiés,…
M. Maxime Gremetz. Ils paient pourtant des impôts. C’est honteux !
M. le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire. …je ne peux, alors que l’on demande tous les jours à tous les membres de la communauté nationale sans exception de respecter la loi, accorder une prime à l’illégalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Donc, pas de régularisation générale et massive ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
En revanche, je vous confirme, madame la députée, qu’il doit y avoir des critères pour des situations exceptionnelles.
M. Jean Glavany. Lesquels ?
M. le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire. M. Glavany m’approuve ! (Sourires.) Il m’a sollicité sur des sujets bien précis et je lui ai donné satisfaction !
Quels sont ces critères ? D’abord, un métier sous tension. Ensuite, une zone géographique déterminée, car les besoins ne sont pas les mêmes en Gironde, dans le Puy-de-Dôme, dans les Bouches-du-Rhône ou le Cantal. Par ailleurs, un vrai contrat de travail. Enfin, l’obligation pour les employeurs d’acquitter les taxes qui sont dues lorsqu’ils recrutent un étranger. Il n’est pas question qu’ils profitent d’une opportunité pour ne rien payer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. Merci, monsieur le ministre…
M. le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire. Je conclus, monsieur le président.
C’est un sujet très sensible ; je le dis en pensant particulièrement à Mme Pau-Langevin, qui a été obligée de quitter, voici quelques jours, une manifestation à ce propos sous protection policière. Ce genre de situation devrait conduire à plus de mesure et de pragmatisme !
Non aux régularisations générales ! Oui aux régularisations au cas par cas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à Mme Muriel Marland-Militello, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Mme Muriel Marland-Militello. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la culture et de la communication.
En 1950, Paris était la première place mondiale du marché de l’art. il fallait additionner les chiffes d’affaires de Christie’s et de Sotheby’s pour pouvoir égaler celui de Drouot !
Permettez-moi de vous dire que ce temps est bien loin ! Désormais, Paris est largement devancé par les États-Unis et l’Angleterre, qui, à eux deux, se partagent les trois quarts du marché mondial, Paris n’ayant plus que 6 % du marché de l’art mondial, et vient – nous venons de l’apprendre – de se faire ravir la troisième place par la Chine.
M. Maxime Gremetz. Oh !
Mme Muriel Marland-Militello. Pourtant, madame la ministre, le marché de l’art constitue un levier économique très important avec 50 000 à 100 000 emplois, plus de 10 000 entreprises et un chiffre d’affaires de plus de sept milliards d’euros. L’enjeu n’est pas mince !
En outre, le marché de l’art constitue un levier important pour la création contemporaine et pour le rayonnement culturel de notre pays. En permettant l’émergence de nouveaux talents, il enrichit notre patrimoine de demain.
Nous savons que les foires, les galeries, les marchés d’art attirent énormément de monde. Cette année, il y avait plus de 80 000 personnes à la FIAC, plus de 100 000 à la Biennale des antiquaires et 145 000 à la Biennale d’art contemporain de Lyon. Ces rencontres avec les artistes et leurs œuvres permettent à un public de tous horizons et de tous âges d’entretenir un rapport étroit avec le monde de l’art, qui sort ainsi du cercle restreint des initiés. Elles garantissent une meilleure démocratisation culturelle, que vous appelez, je le sais, de vos vœux.
M. le président. Votre question, s’il vous plaît, madame.
Mme Muriel Marland-Militello. Au regard de ces enjeux économiques et culturels, je vous demande, madame la ministre, quelles mesures vous comptez prendre pour redresser le marché de l’art et favoriser une plus grande démocratisation culturelle. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean-Pierre Brard. Et la fraude !
M. le président. La parole est à Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication.
Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication. Madame la députée, vous avez raison : le marché de l’art en France, qui représente des milliers d’entreprises et des dizaines de milliers d’emplois, est en crise. C’est pourquoi j’ai présenté un plan, il y a un mois, comprenant quatre axes essentiels.
Il s’agit tout d’abord de développer les achats d’œuvres d’art, ce qui bénéficiera aux jeunes artistes. Cela implique d’inciter les entreprises.
M. Jean-Pierre Brard. Avec nos sous !
Mme la ministre de la culture et de la communication. Nous connaissons déjà le mécénat dans les grandes sociétés mais nous visons aussi les très petites entreprises, dont nous savons qu’elles sont prêtes à se mobiliser. Il faut donc des dispositifs adaptés. Nous les mettrons en place et nous les ouvrirons aussi aux entreprises individuelles, donc aux professions libérales.
M. Albert Facon. Encore des niches fiscales !
Mme la ministre de la culture et de la communication. Cela implique également d’encourager les particuliers, notamment les classes moyennes.
M. Jean-Pierre Brard. Que faites-vous pour les RMIstes ?
Mme la ministre de la culture et de la communication. Selon un dispositif qui a fait ses preuves au Royaume-Uni, des prêts à taux zéro établis avec des banques partenaires permettront d’acheter des œuvres autour de 5 000 euros, ce qui correspond à la cote des jeunes artistes.
Le deuxième axe consiste à alléger la bureaucratie, qui est très lourde, – je pense, par exemple, au livre de police – et à instaurer une égalité entre les professionnels. Nos sociétés de vente ne bénéficient pas des mêmes avantages que celles d’autres pays. Elles ne peuvent ainsi pas faire ce que leurs homologues anglaises font, ce qui est totalement anormal. Nous nous battrons au niveau européen pour que le droit de suite ne nous pénalise plus et qu’il s’approche de celui en vigueur au Royaume-Uni.
Ensuite, troisième axe, nous mettons 116 millions d’euros sur le marché de l’art via les commandes publiques, les directions régionales à l’action culturelle et les écoles d’art.
Enfin, le quatrième axe s’appuie sur l’organisation de grandes expositions. Je pense à l’événement que représente Monumenta 2008 avec Richard Serra, dont toute la presse étrangère parle, ou encore l’exposition « Figuration narrative », au Grand Palais, qui donne un second souffle à la carrière d’artistes qui peignaient dans les années soixante. Cela aussi, c’est le dynamisme français. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.
Suspension et reprise de la séance
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Marc Laffineur.)
M. le président. La séance est reprise.
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur les langues régionales et le débat sur cette déclaration.
La parole est à Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication.
Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, en janvier dernier, lors de la révision constitutionnelle qui devait permettre la ratification du traité de Lisbonne, le Gouvernement avait pris l’engagement d’organiser un débat sur les langues régionales de France en réponse à une demande exprimée par nombre d’entre vous. Cet engagement est aujourd’hui tenu et je m’en félicite, malgré un ordre du jour que tout le monde sait particulièrement chargé.
C’est la première fois en effet depuis le début de la ve République qu’un gouvernement prend l’initiative d’organiser un débat sur cette grande question.
La place qu’occupent ou devraient occuper les langues régionales dans notre vie culturelle et dans notre société a toujours suscité la réflexion et prêté matière à controverse. C’est un sujet qui met aussitôt les esprits en mouvement, et il ne faut ni s’en étonner ni s’en plaindre. C’est que l’on touche ici à l’idée même que l’on se fait de l’identité française et de nation.
Parce qu’elles entretiennent les rapports les plus étroits avec la manière dont on décide de vivre ensemble, les langues jouent toujours ce rôle de catalyseur. Cette remarque vaut, bien sûr, pour la langue française.
Ce débat sera d’abord pour moi l’occasion de réaffirmer solennellement, au nom du Gouvernement mais aussi de nos compatriotes, l’attachement de notre pays à son patrimoine linguistique. En effet, si l’on retient, comme le font les linguistes, l’appellation de « langues de France » pour désigner les langues parlées depuis plusieurs générations par des citoyens français sur le territoire de la République, nous ne recensons pas moins de soixante-quinze langues différentes. Nul autre pays en Europe ne peut se targuer d’une telle richesse. Et parmi elles, les langues régionales ont le privilège d’avoir une assise territoriale depuis plusieurs siècles. Elles font partie intégrante de l’histoire et de la géographie de notre pays. Avec le français, elles sont notre bien commun, un élément de la richesse nationale et de notre rayonnement, et nous pouvons en tirer une légitime fierté.
M. André Schneider. Très bien !
Mme la ministre de la culture et de la communication. Leur diversité est le miroir même de la diversité française. Que l'on songe à l'originalité du basque, présent sur notre territoire bien avant le latin, bien avant le gaulois. Que l'on songe au breton, venu de Grande-Bretagne en Armorique au ve siècle, seule langue du groupe celtique encore parlée sur le continent. Que l'on songe aussi à toutes ces langues qui peuvent s'entendre en métropole, du nord au sud, et d'est en ouest : le flamand et le francique, l'alsacien et le corse, les langues d'oïl et les langues d'oc. Que l'on songe enfin, outre-mer, à l'ancienneté immémoriale des langues amérindiennes qui côtoient en Guyane un créole, qui s'est formé, lui, il n'y a pas quatre cents ans.
M. Victorin Lurel. Même dans le Pacifique !
Mme la ministre de la culture et de la communication. La France a été façonnée par des hommes et des femmes qui parlaient et qui parlent encore des langues qui ne sont pas toutes indo-européennes, des langues germaniques, une langue celtique et une poignée de langues romanes. C'est une réalité qu'on a tendance à oublier ou à occulter : le grand chant national est un chant à plusieurs voix. Ils parlaient provençal, ils parlaient breton, les cinq cents Marseillais et les trois cents Brestois qui, le 10 août 1792, ont pris d'assaut les Tuileries, aboli la monarchie et ouvert un chemin triomphant à la République !
Avec ses ombres et ses lumières, l'histoire a fait son œuvre. Notre pays a connu un processus d'unification linguistique sans équivalent dans le monde, qui a trouvé son aboutissement en 1992. À cette date en effet, un amendement à la Constitution a fait du français la langue officielle de la République, alors qu'aucun texte ne le mentionnait jusque-là. Deux ans plus tard était adoptée la loi Toubon relative à l'usage de la langue française. Grâce à ces deux textes, qui offrent aujourd'hui les meilleures garanties juridiques, la langue nationale continue à tenir son rôle symbolique, sa mission culturelle et son irremplaçable fonction de ferment de la cohésion sociale dans notre pays.
Nous ne sommes plus au temps où les écoliers corses ou alsaciens étaient punis pour avoir prononcé en classe quelques mots dans leur langue. Mais, il faut le reconnaître, les langues dites régionales ont souffert de ce processus d'unification et de la prééminence donnée à la langue unique qui s'est dans le même temps imposée en France. L'idée de généraliser l'usage du français dans un pays où la moitié des citoyens ne le maîtrisaient pas, cette idée chère aux hommes de la Révolution, qui a été mise en œuvre par la IIIe République, ce beau programme émancipateur n'a pas été pour rien dans le lent recul des langues régionales en France.
Telle est la réalité que nous devons assumer : aujourd'hui, moins de 10 % de Français pratiquent régulièrement une langue régionale, et les langues de France ne se transmettent plus guère dans le cadre familial. On peut le déplorer, mais c'est un fait. Si j'en crois les statistiques, en 1999 seul un Français sur quatre avait reçu de ses parents une langue autre que le français et un Français sur huit une langue régionale. Au sein même de cette minorité, seul un Français sur trois l'avait à son tour transmise à ses enfants. C'est dire que si la pluralité des langues est en France une réalité objective, constitutive de notre identité, c'est aujourd'hui une réalité menacée.
Cette menace, nous en avons pris conscience depuis plusieurs décennies et nous portons désormais un regard nouveau sur la pluralité culturelle dont est pétrie l'identité française. Nous devons évidemment défendre le français, mais l’apprendre et le défendre ne supposent pas de désapprendre d'autres langues. Et à quel titre la langue commune serait-elle la langue unique des Français ? L'heure est au pluralisme. En matière de langage, la société française se transforme à vive allure, dans ses pratiques comme dans ses représentations. La demande sociale dont beaucoup d'entre vous se sont fait l'écho, mesdames et messieurs les députés, ne saurait être sous-estimée.
Le patrimoine immatériel, la force vivante mais menacée que sont les langues de France exigent un effort de sauvegarde et de valorisation, et c'est le rôle des pouvoirs publics que de le conduire. Pour sa part, le Gouvernement auquel j'appartiens est décidé à le poursuivre. Cet effort porte principalement sur l'enseignement, les médias et l'action culturelle. Pour des langues dont la transmission n'est plus tellement assurée sur le mode traditionnel, c’est-à-dire par la famille et le milieu, il s'agit là en effet des principaux vecteurs de vitalité et des meilleures garanties d'avenir.
À l'école, d'abord. Mon collègue Xavier Darcos vous le confirmerait : les langues régionales ont toute leur place dans notre système éducatif. Selon une enquête réalisée par la direction générale de l'enseignement scolaire, 404 000 élèves avaient reçu en 2005-2006 un enseignement de langues régionales. Mais ce qu'il importe de retenir, je crois, c'est que ces effectifs ont connu dans la période récente une augmentation spectaculaire, puisqu'ils auraient décuplé en quinze ans et triplé au cours des cinq dernières années.
M. François Goulard. C’est un signe !
Mme la ministre de la culture et de la communication. Ces chiffres montrent bien qu'il y a une réelle attente de la part des familles et des plus jeunes. Dans le premier degré, près de 9 000 professeurs ont dispensé un enseignement en basque, breton, catalan, corse, créole, alsacien, francique, mosellan, langues d'oc, occitan, ou encore tahitien. Des CAPES ont été créés. Ainsi, dans le second degré, au collège et au lycée, 621 professeurs en majorité certifiés ou agrégés, peuvent se consacrer partiellement ou à plein temps à l’enseignement des langues régionales. Tous ces personnels bénéficient d'un accompagnement, essentiellement sous forme d'actions de formation.
L'enseignement des langues et cultures régionales peut prendre deux formes différentes : des cours dédiés à l'apprentissage de la langue elle-même ou une filière bilingue spécifique, où les cours sont dispensés pour moitié dans la langue régionale, pour moitié en français.
Par ailleurs, la loi d'orientation et de programme pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005, dite loi Fillon, précise que le développement et la valorisation des langues régionales doivent s'inscrire dans un partenariat étroit avec les collectivités territoriales, soumis à la signature de conventions. Je veux saluer à ce sujet l'implication de plus en plus forte des collectivités qui, en 2005-2006, ont contribué, pour plus de trois millions d'euros, à des actions de diffusion et d'enseignement.
Les langues régionales sont donc bien présentes dans les cursus scolaires. Elles le sont aussi dans les médias. Le Gouvernement veille à ce qu'aucun règlement ne vienne entraver la libre expression des langues régionales. En ce qui concerne la presse écrite, les publications concernées peuvent obtenir un numéro d'agrément auprès de la commission paritaire des publications et agences de presse, et bénéficier ainsi d'allégements fiscaux et postaux.
Autre exemple : depuis 2004, le bénéfice du système d'aide à la presse hebdomadaire régionale, jusque-là réservé aux publications en langue française, a été étendu aux « langues régionales en usage en France ».
Dans le domaine audiovisuel, la loi du 1er août 2000 relative à la liberté de communication précise que les sociétés qui ont des missions de service public doivent « mettre en valeur le patrimoine culturel et linguistique dans sa diversité régionale et locale ».
Les cahiers des charges de Radio France, RFO et France 3 prévoient que ces sociétés contribuent à l'expression des langues régionales.
M. Marc Le Fur. Elles peuvent mieux faire…
M. François Goulard. Il y a des progrès, mais c’est encore insuffisant !
Mme la ministre de la culture et de la communication. C'est ainsi que, chaque jour, plusieurs centaines de programmes sont diffusés sur le territoire français dans une dizaine de langues régionales, notamment outre-mer.
La présence des langues régionales à l'antenne peut aller de quelques minutes à plusieurs heures par jour, selon les langues, les chaînes ou stations, et le type de média. Toutefois, comme le Président de la République lui-même l'a noté, le temps accordé aux langues régionales dans l'audiovisuel public reste trop faible – c'est d’ailleurs l’une des principales doléances dont vous êtes saisis. Pour ma part, je veillerai à ce que les obligations du service public soient honorées. Le rattachement de la direction des médias à mon département ministériel devrait aller dans ce sens.
Par la création en 2001 d'une délégation générale à la langue française et aux langues de France, le ministère de la culture a clairement affirmé sa volonté de mener durablement une politique équilibrée, tenant compte de la pluralité des langues parlées sur notre territoire. Cet ancrage de la politique linguistique dans la politique culturelle nous invite à envisager les langues au travers de leur capacité à produire des œuvres de l'esprit, plutôt que comme de simples outils de communication. C'est pourquoi l'État soutient des œuvres qui, loin de tout folklore, contribuent à installer la création en langues de France dans le paysage culturel.
M. Frédéric Reiss. Très bien !
Mme la ministre de la culture et de la communication. Le livre reste bien sûr le principal support de diffusion culturelle. En aidant l'édition sur et dans les langues régionales ainsi que la traduction d’ouvrages dans ces langues, le ministère de la culture contribue à diffuser des littératures encore méconnues et des œuvres majeures de notre patrimoine littéraire. Le théâtre est un autre mode d'expression privilégié – le théâtre de la Rampe est par exemple une scène interrégionale occitane particulièrement dynamique –, de même que la chanson, avec le succès du site Internet « Langues de France en chansons ».
Dans dix jours, la Nuit des musées s'ouvrira pour la première fois aux langues de France. De nombreuses initiatives en langues régionales, en Alsace, au Pays Basque, dans le sud de la France, permettront au public venant à la rencontre des trésors de nos musées de prendre la mesure de la diversité linguistique de notre pays.
C'est aussi à travers de nombreux festivals que s'exprime le dynamisme de nos langues. Le ministère accorde toute son attention à ces manifestations qui sont l'occasion de découvrir de nouveaux talents ; citons notamment « Vibrations caraïbes » et « Influences caraïbes », où s’exprime la créativité des Antillais de l'Hexagone – où les Créoles occupent une place centrale.
Je ne saurais, enfin, oublier le cinéma, avec notamment le film Sempre vivu de Robin Renucci, tourné partiellement en langue corse, et, très récemment, une œuvre qui a battu tous les records de fréquentation et témoigne de l'attachement des Français à leurs particularismes linguistiques ; car chacun le sait, le ch'ti – même si Bienvenue chez les Ch’tis n’a pas été entièrement réalisé dans cette langue –, c'est du picard !
J'attache une importance particulière à la recherche sur les langues régionales et à la diffusion de ses résultats. C'est ainsi qu'en partenariat avec le CNRS, le site Internet « Corpus de la parole » donne gratuitement accès en ligne à un catalogue unique de fonds sonores de différentes langues parlées en France.
L'école, les médias et la création culturelle sont les pivots de la transmission et de la vitalité des langues régionales. Toutefois, une langue ne vit pleinement que si elle est aussi employée dans les circonstances ordinaires de la vie. La socialisation des langues dans l'espace public ne doit donc pas être négligée. La législation actuelle, quoique contraignante, permet de développer grandement leur visibilité, mais ses possibilités ne sont pas toujours exploitées. Les élus doivent ainsi savoir que les actes officiels des collectivités peuvent être publiés en langue régionale, du moment que, conformément à la loi, ils existent aussi en français – seule langue ayant valeur juridique, l'usage des autres langues étant autorisé en tant que traduction du français.
La visibilité des langues de France dans l'espace public passe aussi, comme chacun peut le constater, par la signalisation bilingue et la toponymie. Il est par exemple tout à fait légitime – et même souvent souhaitable – que, dans les zones concernées, les communes affichent leur nom dans leur langue, à l'entrée et à la sortie de l’agglomération. Il en va de même pour la signalisation directionnelle sur les routes et dans les rues : dans le centre de ma ville de Toulouse, elle est ainsi en deux langues, et je ne suis pas choquée de lire simultanément en occitan et en français le nom de la place du Capitole – ni de m'orienter grâce à des panneaux bilingues en Bretagne.
Dans tous ces domaines – médias, enseignement, activités culturelles, autorités administratives, services publics –, la France va en fait bien au-delà des objectifs de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signée par le Gouvernement en 1999, mais que notre pays n’a pas ratifiée, pour les raisons que vous savez et sur lesquelles nous reviendrons tout à l'heure.
Dans ce travail de valorisation et de développement des langues de France, l'État ne peut être seul. Les langues, leur usage et leur avenir sont d'abord de la responsabilité des citoyens. C'est à eux d'exprimer sous quel régime linguistique ils entendent vivre. Le souhait d’une grande majorité de Français semble aujourd'hui se porter vers la reconnaissance de leurs diverses langues et leur coexistence dans ce qu'on peut appeler un « plurilinguisme interne ».
Encore faut-il que les pouvoirs publics organisent les conditions de ce plurilinguisme. Pour les langues dites « régionales », les collectivités territoriales doivent être étroitement associées à cet effort : j'ai déjà évoqué les conventions signées avec l'État dans le secteur de l'enseignement, mais il en existe d’autres, qui les lient à d’importantes structures de promotion, comme l'Office de la langue bretonne,…
M. François Goulard. Qui effectue un travail remarquable !
Mme la ministre de la culture et de la communication. …l'Office public de la langue basque, l'Académie des langues kanak ou le Centre interrégional de développement de l'occitan, le CIRDOC.
Au cours de son histoire, le français n'a cessé de s'enrichir et de se renforcer au contact des autres langues de France, auxquelles il a emprunté des milliers de vocables, et auxquelles il en a transmis tout autant. C'est notre politique linguistique interne qui autorise la France à se prononcer en faveur du plurilinguisme au niveau européen. Les langues régionales sont une mise à l'épreuve concrète de la démocratie culturelle, le laboratoire où nous expérimentons notre capacité à nous penser tels que nous sommes et à accepter les implications de cette grande idée : la France est politiquement une et culturellement plurielle.
Mesdames et messieurs les députés, en raison de convictions antagonistes sur la place des langues régionales dans notre société, nous nous sommes opposés à plusieurs reprises dans cet hémicycle. À vrai dire, ce débat traverse l’ensemble des familles politiques : parce que la langue est une composante essentielle de notre identité, il touche à nos convictions les plus intimes. Je souhaite qu'il soit aujourd’hui conduit avec sérénité et, bien entendu, dans le respect des sensibilités de chacun. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès, premier orateur inscrit.
M. Michel Vaxès. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat trop longtemps repoussé a enfin lieu ! C'est un premier succès pour celles et ceux qui, des décennies durant, ont résisté à une conception réductrice des questions linguistiques. Résistance qui renvoie fondamentalement à deux conceptions opposées de l'organisation sociale : l'une marquée par les logiques de domination et de hiérarchisation, l'autre par celles de solidarité, de partage, de respect mutuel, de tolérance.
Cette avancée marque l'évolution d'une opinion qui adhère plus largement à l'idée que l'universalité de la culture n'est nullement incompatible avec la diversité de ses sources et la spécificité des individus, des groupes et des nations dont elle est l'expression. Le refus de toute hiérarchie normative a grandi ; il a renforcé l'exigence d'une création permanente fondée sur le respect et la valorisation de la diversité des expériences, des savoirs et de la fertilité des individus et des groupes qui font société. C’est de cette évolution que témoigne la transformation, en 2002, sans la moindre polémique, de la délégation générale à la langue française en délégation générale à la langue française et aux langues de France ; et c'est dans cette perspective qu'il convient d'aborder sereinement le débat sur les langues de France, leur reconnaissance par la République et leur place au sein de celle-ci.
Le plurilinguisme est une expression de la richesse de la diversité humaine. Cette perspective doit conduire la France à accepter sa diversité linguistique historique et, plus encore, à en faire un atout. Il convient donc, non seulement de la défendre, mais aussi de la promouvoir, dans l'espace privé comme dans l'espace public.
Pour être sincère, cette volonté exige, au-delà d’une nécessaire modification constitutionnelle, une loi donnant aux langues de France un statut et définissant le cadre de leur promotion. À défaut, c'est une part de notre patrimoine culturel qui serait définitivement perdu.
Cette exigence, les parlementaires communistes l'expriment depuis longtemps. Notre groupe a déposé deux propositions de loi, l’une le 27 mai 1986, l'autre le 14 octobre 1988, à l'initiative de Guy Hermier. L'interprétation par le Conseil constitutionnel de la modification de la loi fondamentale du 25 juin 1992 leur interdit d'être examinées : comme si l'acceptation par tous du français comme langue de la République devait exclure toute appropriation culturelle en matière linguistique !
Celles et ceux qui militent en faveur de la reconnaissance et de la promotion des langues de France ont donc été contraints d'apporter des réponses à des questions qui ne devraient pourtant plus se poser : sur l'héritage culturel, qu'il convient en permanence de revivifier ; sur les bienfaits cognitifs et pédagogiques du bilinguisme, que plus aucun spécialiste ne nie ; sur la meilleure compréhension du milieu local, de sa géographie et de son histoire, que permet la langue du terroir ; sur l’utilité de la diversité linguistique pour le français, lui-même confronté au risque de banalisation culturelle porté par une certaine conception de la mondialisation ; sur l’ouverture qu’elle offre aux espaces culturels voisins et, en conséquence, sa contribution à la construction d'une culture européenne commune ; sur le fait que, face à la diversité, il n'est de meilleur apprentissage de la tolérance que la prise de conscience de la diversité propre de la culture française ; enfin – pur bon sens ! – sur le fait que la France ne peut continuer à militer en faveur du respect de la diversité culturelle dans le monde tout en la refusant sur son propre territoire.
Hélas, au nom de présumés risques de replis identitaires, toute discussion sur la reconnaissance des langues de France a été rejetée, sans même que l’on s’aperçoive que ce rejet était un repli risquant, par les déceptions et les frustrations qu’il susciterait, de mener tout droit au péril qu'on disait vouloir éviter.
M. Marc Le Fur. Très bien !
M. Michel Vaxès. Le moment est maintenant venu d’évaluer ce qu'un effort national de revitalisation et de reconquête peut apporter au lien social et à l'essor culturel de notre pays.
La pluralité linguistique fait partie de la réalité française depuis les origines de l'État, depuis que les rois de France décidèrent d'annexer les territoires voisins. L'indispensable diffusion d'une langue commune a conduit à considérer que l'espace public devait être le domaine de la seule langue nationale, l'usage des autres langues devant être réservé à la seule sphère privée. Cette idée, apparemment logique, sert en fait, par le biais d'arguments fallacieux, à justifier le rejet de tout ce qui n'est pas le français. Derrière celui-ci, on retrouve le vieux mépris pour le parler des gens simples, des « gens de peu », comme on dit dans le Midi.
Si, par le passé, les langues régionales se sont transmises grâce à l'espace privé, c'est tout simplement parce que l'espace public – hormis celui réservé aux élites – n'imposait aucun choix linguistique. Or, aujourd'hui, aucune langue ne peut se transmettre en Europe sans son support. Nos voisins l'ont bien compris : la présence des langues à l'école, à la radio, à la télévision et dans la signalétique est indispensable à leur pratique.
Quand abandonnerons-nous le mythe d'une société monolithique où toute différence est jugée comme une déviance et un danger ? Ce mépris séculaire, cette méfiance affichée pour les langues de France, a provoqué au cours du XXe siècle leur déclin de plus en plus rapide et conduit des populations entières au reniement d'une part d'elles-mêmes – sans aucun profit pour la cohésion nationale puisque les conflits qui traversent la société ne sont, historiquement, jamais d'ordre linguistique, mais toujours économico-politiques, avec ou sans habillage religieux.
Quand comprendrons-nous que ce qui provoque la cohésion du corps social national autour de valeurs communes, ce sont les actes de solidarité et l'attention respectueuse portée aux singularités, qu’elles soient individuelles ou collectives ? Quand admettrons-nous qu'il est urgent d'encourager et de soutenir, en mobilisant les moyens adaptés, le respect de la diversité des langues et des cultures, ainsi que le développement des échanges et les fécondations mutuelles entre cultures ?
La cohésion nationale repose à la fois sur la coexistence dynamique des expressions les plus diverses de citoyens véritablement égaux et sur l'adhésion de tous à un projet collectif fondateur.
Puisque le modèle civique français est fondé sur le lien politique et non sur le lien ethnique, cette adhésion suppose en retour l'acceptation par la collectivité nationale de ces divers héritages linguistiques et culturels.
Accepter l’idée d’une association étroite entre le français et les autres langues de France implique que, sur tous les points du territoire national, l’école et les médias prennent acte de leur existence. Le contraire reviendrait à considérer que l'universel leur est définitivement interdit et qu'il serait réservé au seul français. En 1951, la loi Deixonne, adoptée à l'initiative d'André Tourné à la suite de deux propositions communistes de 1948, l'une sur le breton, l'autre sur le catalan, a représenté un incontestable progrès puisqu'elle reconnaissait la valeur des langues régionales et organisait leur enseignement. Elle n'en comportait pas moins des limites dans sa conception même et dans son champ d'application puisque n'étaient concernés que le catalan, la langue occitane, le basque et le breton, auxquels, depuis lors, ont été fort légitimement ajoutés le corse, l'alsacien et les créoles.
La reconnaissance de toutes ces cultures régionales, ainsi que de celles que je n’ai pas citées, élément fondamental de la culture française, légitime un effort national de revitalisation et de reconquête, qui suppose la mobilisation d'importants moyens en faveur du développement culturel régional. L'État doit être le garant des langues de France et de leur statut. Dans les domaines qui sont de sa compétence directe, il doit être également l'acteur de cette reconnaissance, en assumant notamment ses responsabilités en direction des médias et des institutions culturelles comme dans le domaine de l’enseignement. À côté de l'État, les autres collectivités territoriales ont leur rôle à jouer dans l'accompagnement de la politique générale concernant les langues de France. Cela implique la mobilisation de ressources financières complémentaires, l’aide à la création et, d'une manière générale, tout ce qui concerne l'expression à l'échelle locale de la spécificité linguistique et culturelle.
Les institutions européennes sont elles aussi concernées, tout d'abord parce que certaines langues de France sont transfrontalières ; ensuite parce que la question des langues régionales se pose désormais à l’échelle européenne. Au niveau mondial, les recommandations de l’ONU en matière de droits de l'homme et celles de l'UNESCO en matière de préservation de la diversité linguistique et culturelle doivent être prises en considération dans l'élaboration de la loi.
Les parlementaires communistes soutiennent des propositions élaborées avec les associations qui militent pour la prise en compte de la diversité linguistique et culturelle dans notre patrimoine national. S'il est peu pertinent de revendiquer une parité absolue entre le français et les autres langues, celles-ci doivent pouvoir avoir une place dans l'espace public qui leur permette d'être visibles et audibles. C'est la condition première de leur pratique.
Si l'accès aux langues régionales à l'école doit demeurer du domaine du libre choix, facultatif et optionnel, il doit toutefois être de droit, disions-nous dans notre proposition de 1988, car l'institution a, elle, l'obligation de rendre ce choix effectivement possible, par une offre généralisée partout où une de ces langues est pratiquée et où une demande significative se manifeste.
M. André Schneider et M. Frédéric Reiss. Très bien !
M. Michel Vaxès. Cela implique une information, complète et précise de toutes les familles ; une véritable politique de recrutement d'enseignants de la maternelle à l’université ; une politique dynamique de développement des filières bilingues à parité horaire et de l’enseignement par immersion, dans l'éducation nationale comme dans le secteur associatif, pour les élèves et les familles qui le souhaiteraient ; une valorisation dans le cadre des examens et des concours par l'ouverture d'épreuves bénéficiant de coefficients incitatifs ; une vraie place pour les langues régionales dans l'enseignement supérieur et les grands organismes de recherche et un développement de l'enseignement pour adultes, qui correspond à une demande et peut fournir des compétences utiles sur le plan professionnel. Enfin, une information minimale sur l'existence des langues et cultures régionales doit être offerte sur l'ensemble du territoire et intégrée dès le socle commun aux programmes de l'éducation nationale.
Si certains cahiers des charges de radios ou de télévisions publiques prévoient – vous l’avez rappelé, madame la ministre – la prise en compte des cultures régionales, dans la réalité, celles-ci sont souvent cantonnées à la seule dimension folklorique. Les grands réseaux nationaux, et pas seulement France 3, doivent mettre plus de moyens et de plages horaires à la disposition des producteurs d'émissions en langues régionales. La création de chaînes de télévision publiques propres aux diverses langues régionales répondrait à la revendication commune des associations les plus représentatives de chacune de ces langues. Au moment où les radios associatives émettant en langue régionale risquent de voir leur financement asséché par la fin annoncée de la publicité sur les chaînes publiques, publicité dont une partie des recettes, je le rappelle, leur était destinée, il convient que des financements publics nouveaux et suffisants leur soient alloués. La création en langue régionale doit être soutenue par une aide accrue du ministère de la culture, en partenariat avec les collectivités locales, afin de favoriser le contact et l'échange entre les créations et les grands lieux d'affichage culturel que sont, par exemple, les diverses manifestations nationales et régionales. Cette ouverture constitue le meilleur moyen de lutter contre la ghettoïsation de ces langues et des cultures dont elles sont porteuses.
La mise en place d'une politique ambitieuse par laquelle la nation reconnaîtrait la diversité de ses pratiques linguistiques doit s'accompagner de la création d'instances de contrôle indépendantes chargées de faire respecter la loi, de suivre l'évolution de sa mise en application et d’évaluer les effets des mesures prises. Leurs observations devraient faire l'objet d'un rapport annuel devant la représentation nationale.
La cohésion sociale, garante de l'unité républicaine, suppose que notre République accueille enfin la diversité comme une richesse à partager entre tous. L'UNESCO a fait de l’année 2008 l’année internationale des langues : profitons-en pour prolonger ce débat par l'élaboration d'une loi, sans laquelle nos échanges d’aujourd’hui ne seraient que bavardages stériles. Une loi qui donne enfin aux langues de France leur vraie place dans la nation : voilà ce que nous réclamons !
J’invite ceux qui, en dehors de cet hémicycle, ne seraient pas encore convaincus, à méditer cet extrait d'un discours sur le colonialisme prononcé le 26 février 1986 par Aimé Césaire aux États-Unis : « La négritude a été une révolte contre ce que j'appellerai le réductionnisme européen. Je veux parler de ce système de pensée ou plutôt de l'instinctive tendance d'une civilisation éminente et prestigieuse à abuser de son prestige même, pour faire le vide autour d'elle en ramenant abusivement la notion d'universel, chère à Léopold Sedar Senghor, à ses propres dimensions,…
M. le président. Il faut conclure.
M. Michel Vaxès. …autrement dit à penser l'universel à partir de ses seuls postulats et à travers ses catégories propres. On voit les conséquences que cela entraîne. Couper l'homme de lui-même, couper l'homme de ses racines, couper l'homme de l'univers, couper l'homme de l'humain et l'isoler en définitive dans un orgueil suicidaire sinon dans une forme rationnelle et scientifique de la barbarie. »
Tel est, aussi, l’hommage que je souhaitais rendre à Aimé Césaire. (Applaudissements sur tous les bancs de l’hémicycle.)
M. le président. La parole est à M. Michel Hunault.
M. Michel Hunault. Madame la ministre, je voudrais au nom de mes collègues du groupe Nouveau Centre me réjouir à mon tour de l’inscription à l’ordre du jour de nos travaux parlementaires de cette déclaration du Gouvernement sur les langues régionales suivie d’un débat.
Celui-ci en effet est une occasion rare, qui suscite beaucoup d’espoir pour tous ceux qui sont attachés à la reconnaissance des langues régionales en France. Disons-le très directement : l’organisation d’un tel débat n’est pas en contradiction avec l’exigence de la maîtrise de la langue française, qui est un souci du ministre de l’éducation nationale, ni avec l’enseignement des langues étrangères, indispensable dans le cadre de la mondialisation, ni, enfin, avec la défense du français à travers le monde. Je tiens d’ailleurs à saluer ici l’immense travail des hommes et des femmes engagés dans la francophonie, qui permettent à la langue française, symbole de la culture de la France, d’être véhiculée à travers le monde.
Pour autant, les langues régionales font partie de l’identité de nos régions à laquelle elles s’assimilent. Vous l’avez rappelé, madame la ministre : « les langues régionales font partie intégrante de notre pays ».
Le Conseil de l’Europe, cette grande et vieille institution créée au lendemain de la dernière guerre, symbole de la démocratie et des droits de l’homme et porteuse d’un idéal, a adopté une charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Pourquoi ? Parce que l’assemblée de Strasbourg considère à juste titre que la protection des langues régionales ou minoritaires historiques de l’Europe contribue à maintenir et à développer les traditions et la richesse culturelle de l’Europe.
Mme Arlette Franco et M. Daniel Mach. Très bien !
M. Michel Hunault. Il est urgent de s’en soucier car certaines langues risquent de disparaître au fil du temps. Elles sont aujourd'hui menacées, vous l’avez rappelé, madame la ministre.
La charte, qui considère que la pratique d’une langue régionale est un droit, précise également que la protection et l’encouragement des langues régionales ou minoritaires ne doivent pas se faire au détriment des langues officielles – ce point me paraît essentiel pour notre débat. C’est là, me semble-t-il, la pierre angulaire d’une position qui devrait tous nous rassembler.
Le Président de la République, alors qu’il était candidat à l’élection suprême, déclarait dans son discours de Caen, le 9 mars 2007 : « Le patrimoine linguistique de la France, ce n’est pas seulement le français : c’est aussi l’extraordinaire richesse de ses langues régionales. Je souhaite que leur enseignement soit correctement pris en charge par l’éducation nationale. Je souhaite que l’on soutienne leur pratique et leur diffusion. » Mais, précisait-il aussi, « je ne veux pas de cette logique de confrontation avec le français », élément de « l’unité française que nous avons mis si longtemps à construire et qui reste le bien le plus précieux mais aussi le plus fragile que nous ayons à léguer à nos enfants. » Cette position, je la fais mienne.
Être favorable aux langues régionales soulève nécessairement la question de la ratification de la charte du Conseil de l’Europe. Cette adoption, vous l’avez rappelé, madame la ministre, rendrait nécessaire la modification de l’article 2 de la Constitution ou, du moins, impliquerait qu’il fût complété. Il nous faut donc nous interroger sur les conséquences d’une telle modification. À titre personnel, je ne pense pas qu’il soit préférable, et du reste possible, de donner à un juge européen les moyens de se prononcer sur un élément essentiel de notre pacte républicain, lui-même élément fondateur de la nation française. Ce débat, organisé après la déclaration du Gouvernement, est le signe que nous pouvons dès aujourd'hui mettre tout en œuvre, non seulement pour reconnaître et transmettre, mais également pour pérenniser et favoriser la connaissance et l’enseignement des langues régionales. Faisons en sorte de respecter les principes et d’atteindre les objectifs, applicables à l’ensemble des langues régionales et minoritaires, qui sont inclus dans la charte européenne.
Ces objectifs, quels sont-ils ? La reconnaissance des langues régionales en tant qu’expression de la richesse culturelle ; la nécessité d’une action résolue de promotion des langues régionales afin de les sauvegarder – vous avez cité, madame la ministre, certaines initiatives concrètes qui vont déjà dans ce sens, grâce à l’appui des collectivités territoriales – ; la promotion des études et de la recherche sur les langues régionales dans les universités ; enfin, l’enseignement et l’étude des langues régionales, qui doivent bénéficier des moyens nécessaires, question sur laquelle je souhaite m’attarder car elle est essentielle.
À l’heure actuelle, la demande d’enseignement des langues régionales n’est pas considérée comme un droit par l’administration, mais comme une possibilité accordée en fonction des enseignants disponibles. C’est une question sensible, pas seulement en Bretagne. Il faut améliorer, notamment en termes de moyens, les conventions entre l’État et certaines écoles bilingues par la prise en charge des enseignants. Permettez-moi de suggérer, en prolongement de ce débat, non pas, comme l’orateur précédent, tant le vote d’une loi que plus modestement la tenue, sous votre autorité, madame la ministre, d’une table ronde avec le ministre de l’éducation nationale et les parlementaires, en vue de fixer les objectifs et de dégager les moyens humains permettant de faciliter, à titre facultatif et non pas obligatoire, l’enseignement des langues régionales, qui ont toute leur place dans le système éducatif.
M. François Bayrou. Quel galimatias !
M. Michel Hunault. Je le répète, le débat de cet après-midi, dans cet hémicycle, symbole à la fois de la démocratie française et de l’unité de la nation, n’est pas anachronique.
Démontrons que, dans une économie mondialisée, l’exigence de la maîtrise du français et d’une langue étrangère n’est pas en contradiction avec la sauvegarde et la pérennité de nos racines et de notre identité culturelle, véhiculée par les langues régionales. Je suis certain, pour ma part, que ce débat va y contribuer.
Vous avez cité, madame la ministre, l’Office de la langue bretonne : je souhaite que ce débat dans l’hémicycle soit pour nous l’occasion de rendre hommage à tous ceux dont les initiatives et le travail, accompli souvent au sein d’associations de bénévoles, contribuent à pérenniser les langues régionales, qui sont partie intégrante de notre identité et de notre culture. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur.
M. Marc Le Fur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour la première fois dans cet hémicycle, nous consacrons un débat aux langues régionales. Nous le devons à un engagement pris, et tenu, par le Premier ministre : qu’il lui en soit rendu hommage.
C’est vrai que nous avions déjà abordé cette question, mais c’était à l’occasion d’autres textes, un peu par hasard et en volant du temps. Aujourd’hui, nous l’abordons de front : pour la première fois dans cet hémicycle, nous allons parler des langues de métropole et d’outre-mer ; nous allons parler de notre « bien commun », pour reprendre votre expression, madame la ministre, qui est la bonne.
Nous attendons de ce débat qu’il ne soit pas un aboutissement mais un commencement. Il est passionné et passionnant : la meilleure preuve en est que beaucoup du groupe UMP auraient voulu s’exprimer et ne pourront pas le faire. (« C’est vrai ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Je tiens à saluer en particulier mes collègues Daniel Poulou et Jean Grenet, qui connaissent bien le pays basque, mes collègues bretons Ménard et Le Nay, ou encore Gabrielle Louis-Carabin, qui vient d’encore plus loin, et bien d’autres.
M. Jean-Frédéric Poisson. Et les Franciliens !
Mme Arlette Franco. Et les Catalans !
M. Marc Le Fur. Ce débat passionné et passionnant touche, non seulement l’esprit, mais aussi le cœur et les tripes de chacun d’entre nous, qui avons croisé ces langues au cours de notre existence. J’ai eu ainsi la chance d’apprendre le breton enfant, et plus tard j’ai découvert les richesses de cette seconde langue de Bretagne qu’est le gallo. Ce débat passionnant ne doit pas pour autant être passionnel : nous devons y introduire de la raison et du concret. Il faut pour cela combattre l’ignorance, voire l’arrogance, de certains et des idées reçues.
Une de ces idées reçues est que nous ne serions qu’une minorité à nous intéresser à ces questions. Mais ces langues ont des locuteurs, des enseignés et des enseignants, et je voudrais ici rendre hommage à tous ceux qui, depuis longtemps, s’investissent dans ces questions, au prix parfois de la moquerie, voire de l’insulte. Au-delà des locuteurs, il y a tous ceux qui, sans maîtriser ces langues, y voient un élément de leur identité : je pense aux diasporas de nos régions respectives, qui sont d’autant plus attachées à ces langues qu’elles en sont plus éloignées. Le succès de Bienvenue chez les Ch’tis n’est pas qu’un phénomène cinématographique, madame la ministre : c’est un phénomène sociologique. (« C’est vrai ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Il montre que les gens ont besoin de racines.
Nous devons combattre aussi l’idée reçue selon laquelle ces langues ne seraient qu’une survivance, une « affaire de vieux ». Allez dans les fest-noz, écoutez la musique celtique, voyez ce qui se passe dans nos régions : vous verrez que ces langues sont bien souvent un élément de la modernité. On nous oppose aussi qu’elles favoriseraient le « repli identitaire », mais ce sont souvent les régions les plus « identitaires » qui sont le plus à l’aise dans la mondialisation : comme si, pour aller loin, il fallait un port d’attache.
Mes chers collègues, nous devons en finir avec ce jacobinisme anachronique et outrancier, que nous croisons trop fréquemment puisqu’il existe dans toutes les familles politiques : chacun a son Mélenchon, mes chers collègues ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
M. Philippe Martin. Hélas non !
M. Daniel Mach. Heureusement non !
M. Marc Le Fur. Aujourd’hui heureusement, d’autres se font entendre, comme l’a dit M. Vaxès.
Ce que veulent ceux que nous avons auditionnés hier, David Grosclaude et les autres représentants des différentes langues régionales, c’est du concret : en matière d’enseignement – Alain Marc nous en parlera –, de la crèche à l’université ; en matière de média, et cela ne concerne pas uniquement France 3, et d’Internet : je salue à ce propos le combat de Christian Ménard pour faire du «. bzh » un élément d’identification, au même titre que le «. fr » ou le «. com ». (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Nous voulons aussi du concret en matière de signalétique.
Cela ne veut pas dire que rien n’a été fait jusqu’ici : beaucoup a été fait au fil des ans, et nous ne partons pas d’une page blanche. Mais il faut y introduire une plus grande ambition et une plus grande cohérence, car nos idées, aussi bonnes soient-elles, passeront au laminoir. Nous devons nous inspirer en particulier de l’esprit qui anima le général de Gaulle en 1969 : au lieu de redouter nos différences, il faut savoir s’en enrichir.
Puisque notre métier, à nous, législateurs, est de faire la loi, alors légiférons : j’espère, madame la ministre, que vous nous annoncerez très clairement qu’un projet de loi sera présenté. Cette loi serait l’aboutissement de la promesse faite par Nicolas Sarkozy, qui a été entendue dans nos régions, et nous permettrait d’avancer. Elle serait aussi une méthode, qui nous permettrait à la fois d’aborder des questions de principe et de traiter les problèmes concrets. J’espère que tous sur ces bancs contribueront à élaborer cette loi, avec tout le réseau associatif qui travaille sur le terrain.
M. Daniel Mach. C’est indispensable !
M. Marc Le Fur. Il nous faut un calendrier, madame la ministre : je souhaite pour ma part que nous puissions en débattre en 2009.
Cette loi devra non seulement définir des ambitions, mais aussi les moyens très concrets de les réaliser.
Il faut bien évidemment que la France, comme l’ont fait les autres pays européens, adopte la charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Mais si, comme je l’espère, le Gouvernement nous propose aujourd’hui qu’un projet de loi soit examiné, eh bien ! engageons-nous résolument dans ce combat pour une belle et grande loi de la République. Nous en faisons cinquante par an ! Pourquoi ne pas en consacrer une aux langues et aux cultures régionales ? Cela constituerait, pour les uns et les autres, une avancée, et un élément de stabilité et de sécurité.
M. Daniel Mach. Et de respect !
M. François Bayrou. La question ce n’est pas la loi, c’est la Constitution !
M. Marc Le Fur. Au travers de ce débat, mes chers collègues, nous touchons en fait des points fondamentaux. J’ai la conviction, pour ma part, que le mot « égalité », qui figure dans la devise de notre République, ne signifie pas « uniformité ». J’ai la conviction que l’unité de notre pays, à laquelle je suis très attaché, peut et doit se concilier avec l’altérité. J’ai la conviction également que nous ne devons pas être des clones les uns des autres, mais au contraire nous enrichir de nos différences. J’espère que la diversité des propos qui s’exprimeront au cours de ce débat y contribuera de façon positive ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Olivier-Coupeau.
Mme Françoise Olivier-Coupeau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en tant que présidente du groupe d’études sur les langues régionales, je me réjouis très sincèrement que notre assemblée ait organisé ce débat. Il est largement temps, en effet, que la représentation nationale puisse débattre sereinement de cette question. Nous devons tordre le cou aux idées préconçues afin de vaincre la frilosité de nos institutions et de convaincre le Gouvernement qu’il convient de considérer notre revendication comme une source de richesse pour la nation, et non comme une menace pour la République ou comme la manifestation archaïque d’un combat d’arrière-garde.
Je me permettrais néanmoins de déplorer qu’un débat d’une telle importance ait été programmé un 7 mai, en fin de journée, à la veille de commémorations nécessitant la présence des parlementaires dans leur circonscription. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Daniel Mach. Il a au moins le mérite d’exister !
Mme Françoise Olivier-Coupeau. Il méritait une plus grande affluence.
M. Marc Le Fur. Comme ça, on voit ceux qui sont intéressés !
Mme Françoise Olivier-Coupeau. Depuis plusieurs dizaines d’années, les organismes internationaux et européens n’ont cessé de développer une approche patrimoniale, qui valorise la langue et la culture comme des éléments du patrimoine de l’humanité, à favoriser et à préserver. L’interculturel et le plurilinguisme sont internationalement considérés comme une richesse, un trésor qu’il faut faire vivre et faire croître. À rebours de ces efforts, la France laisse peu à peu s’éteindre les soixante-quinze langues régionales qu’elle a la chance de posséder, faute de mettre en œuvre la politique linguistique volontariste et le dispositif législatif spécifique nécessaires à leur survie.
Je veux ici rappeler quelques fondamentaux : oui, je suis attachée à l’unité de la République et à la suprématie du français, garant de la cohésion nationale.
M. Émile Blessig. Très bien !
Mme Françoise Olivier-Coupeau. Il faut dire haut et fort que la reconnaissance de nos héritages culturels et linguistiques doit exclure toute forme de communautarisme.
M. Émile Blessig. Tout à fait !
Mme Françoise Olivier-Coupeau. Mais, comme M. Le Fur l’a rappelé, l’égalité n’est pas l’uniformité. Nous demandons simplement à vivre de manière sereine et positive les éléments constituant notre identité. Se sentir profondément bourguignon, provençal ou corse n’empêche pas d’être français. Parler, chanter en breton, en alsacien ou en basque n’empêche pas d’être patriote ! (« Absolument ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Affirmer son identité culturelle ne doit pas être considéré comme un refus des valeurs de la République ; vouloir parler sa langue ancestrale ne témoigne pas d’un repli identitaire. Il s’agit au contraire d’y puiser, pour le bénéfice de tous, une force supplémentaire pour affronter un contexte de mondialisation.
Le refus de la France de ratifier la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, fondé sur une interprétation contestable d’une décision du Conseil constitutionnel, n’aboutit qu’à une uniformisation factice de l’identité française. Dans toute l’Europe, que ce soit en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas, les langues régionales s’épanouissent ; 40 millions de citoyens européens utilisent régulièrement une langue régionale ou minoritaire, transmise de génération en génération, sans que l’affirmation de leur différence pose un problème particulier. Il est grand temps que notre pays, patrie des droits de l’homme, fasse droit à la diversité, à l’histoire et surtout à l’avenir.
C’est le sens de la proposition de loi que nous avons déposée et qui vise à compléter l’article 2 de la Constitution, selon lequel « la langue de la République est le français », par la précision « dans le respect des langues régionales qui font partie de notre patrimoine ».
M. Paul Giacobbi. Très bien !
Mme Françoise Olivier-Coupeau. À mon sens, ce texte résume parfaitement la finalité que nous donnons à ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, madame la ministre, c’est en tant que président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales que je tiens à apporter mon soutien total à tous les collègues ici présents.
M. Daniel Mach. Ça commence bien !
M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. J’ai mesuré, au cours des réunions préparatoires qui ont précédé ce débat, à la fois la détermination et la qualité des arguments de tous ceux qui estiment qu’un plus grand respect de ses langues régionales serait un enrichissement pour notre pays et un progrès pour chacun de nous. Je partage cette conviction et je souhaiterais que nous sachions, au terme de ce débat, à quoi il doit aboutir.
Il y a trois hypothèses. La première est celle d’une ratification de la charte, et les suggestions qui viennent d’être faites en ce sens ne sont pas à écarter. Une autre solution est de passer par la loi, comme notre collègue Marc Le Fur l’a parfaitement dit. On peut également introduire dans la Constitution la mention que les langues régionales doivent être respectées.
Je suis persuadé que nous évaluons tous, comme vous l’avez dit, madame la ministre, le poids de l’histoire et de notre héritage. Nous le connaissons bien : il a ses avantages, mais aussi ses limites. Il est encore profondément marqué par une certaine conception de la République, selon laquelle la citoyenneté suppose la suprématie d’une langue aux dépens des autres. Comme si les langues régionales pouvaient encore fragiliser l’identité nationale ! Je crains qu’une telle conception ne perdure, jusque dans le scepticisme manifesté par certains de nos collègues, qui ne sont pas nécessairement présents aujourd’hui.
Ces dernières années pourtant, certains faits politiques ont profondément changé l’approche des langues régionales.
L’adhésion de la France à l’Union européenne a entraîné une évolution de notre conception de l’État nation, encore renforcée par l’adoption des grandes lois de décentralisation. Grâce à l’intégration européenne, les citoyens français ont découvert que d’autres pays européens ont réussi à concilier remarquablement la valorisation des cultures et des langues régionales et le maintien d’une identité nationale – c’est notamment le cas de l’Espagne et de l’Italie, même si, en Espagne, le débat reste permanent.
De surcroît, comme cela a déjà été décrit, le fait que certaines régions aient manifestement plus de vitalité que d’autres n’est-il pas dû pour une part à leur attachement à ces repères et à la présence d’une culture régionale qui facilite le développement économique ?
M. Marc Le Fur. Tout à fait !
M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. La France a progressivement pris conscience de la richesse de son patrimoine linguistique et de la créativité de ses expressions artistiques. C’est ainsi que, dans une tribune publiée récemment, Marc Le Fur, d’autres députés et moi-même avons rappelé qu’aimer parler alsacien, basque, breton ou flamand et vouloir transmettre ces langues, ce n’est nullement trahir la France, mais l’enrichir.
Comment lever les obstacles à l’utilisation, à l’enseignement et à la diffusion des langues régionales, pour le bénéfice de la diversité et de la richesse culturelles de notre pays ?
Madame la ministre, la semaine prochaine, la commission des affaires sociales étudiera un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, visant notamment à la transposition de la directive européenne relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique. Je regrette beaucoup, pour ma part, que le Gouvernement français n’ait pas repris – mais nous avons encore une chance de le faire en commission mixte paritaire – l’article 5 de cette directive, consacré à l’action positive et selon lequel : « Pour assurer la pleine égalité dans la pratique, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un État membre de maintenir ou d’adapter des mesures spécifiques destinées à prévenir ou à compenser des désavantages liés à la race ou à l’origine ethnique ». Nous devons avancer dans cette voie si nous voulons renforcer la cohésion sociale dans notre pays. D’autres grands pays du monde ont montré que l’action positive avait permis des progrès certains en matière de culture et de cohésion sociale.
Je souhaite – et ce sera ma conclusion – que nous puissions aller dans ces différentes directions. Il conviendra notamment, en préalable à la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, d’apporter à la Constitution une légère modification,…
M. François Bayrou. Oui !
M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. consistant par exemple à y intégrer la mention : « dans le respect des langues régionales qui font partie de notre patrimoine » – qui suffirait à éviter une nouvelle censure du Conseil constitutionnel. Cette première orientation peut être complétée par les propositions de Marc Le Fur.
L’attachement de l’État aux langues régionales s’exprime dans le discours tenu le 9 mars 2007 par Nicolas Sarkozy, qui évoquait la France comme « une grande patrie faite d’une multitude de petites patries unies par une formidable volonté de vivre ensemble ». Voilà, madame la ministre, une porte ouverte vers une reconnaissance de la diversité de notre patrimoine culturel, une porte ouverte pour démontrer l’attachement des autorités nationales envers les langues régionales. Nous attendons donc que vous évoquiez, dans votre conclusion, cette double perspective d’une légère modification de la Charte en vue de sa ratification et d’une loi qui donne des perspectives et permette de répondre aux aspirations de nombreuses régions. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur de nombreux bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
M. le président. La parole est à M. André Schneider.
M. André Schneider. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous vivons aujourd’hui un moment historique. En effet, après des décennies de tergiversations, nous avons enfin dans cette enceinte – pour la première fois, j’y insiste – un débat sur les langues régionales, auxquelles, j’en suis sûr, nous sommes tous ici très attachés. Cela honore le Président de la République, qui tient une fois de plus les engagements du candidat Sarkozy. Cela honore le Gouvernement, madame la ministre. Cela honore notre assemblée, monsieur le président.
Permettez-moi, en outre, de préciser que je m’exprime au nom de l’ensemble des députés alsaciens de la majorité.
Comme vous l’avez souligné, madame la ministre, la France est riche de ses diversités – historique, culturelle, géographique, gastronomique et linguistique. Tout cela constitue un formidable patchwork, un camaïeu scintillant de richesses : c’est tout cela qu’on appelle notre patrimoine. Un de ses éléments les plus beaux et les plus magiques, parce que vivant témoignage de l’histoire de France, est notre diversité linguistique. Le nom de Strasbourg, ville dont je suis élu, signifie : bourg des Strassen, ou routes – soit « carrefour », ou « croisée des routes ». Si vous me permettez en outre une précision un peu chauvine, je rappellerai que le premier traité rédigé en langue française est…
M. Paul Giacobbi. Le serment de Strasbourg !
M. André Schneider. En effet, mon cher collègue : le serment de Strasbourg qui, en 842, partageait l’empire de Charlemagne.
Notre diversité linguistique est l’un des apports les plus précieux à notre patrimoine français. Comme d’autres l’ont fait avant moi sous d’autres formes, j’affirme que, loin de porter préjudice à l’unité nationale, elle en est le ciment.
Permettez à l’ancien professeur de français que je suis, militant convaincu de la francophonie, de plaider avec force pour la reconnaissance de nos langues régionales, fierté de nos terroirs, éléments forts de notre identité régionale et nationale. Il nous faut reconnaître enfin nos langues régionales comme telles. À ce stade de mon propos, je tiens à préciser que, comme la majorité de mes collègues de la délégation française à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dont certains sont présents aujourd’hui, je n’ai pas voté la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. C’est là cependant un tout autre débat et je vous propose de ne pas confondre les genres.
Il s’agit aujourd’hui de défendre le patrimoine français. Que seraient l’Alsace sans l’alsacien, la Bretagne sans le breton, la Corse sans le corse ? La France deviendrait terne et triste, notre belle diversité une sombre uniformité, notre patchwork culturel un fast-food sans saveur.
Lors du vote de la loi sur l’avenir de l’école, dite « loi Fillon », le 23 avril 2005, le rapporteur Frédéric Reiss avait proposé et fait adopter un amendement ainsi libellé : « Un enseignement de langues et cultures régionales peut être dispensé tout au long de la scolarité selon des modalités définies par voie de convention spécifique entre l’État et la région ou le département où ces langues sont en usage. Le recteur de l’académie concernée transmettra au Haut conseil de l’éducation un rapport annuel sur la mise en œuvre de la convention et les résultats obtenus. » Cet amendement pourrait servir de référence pour la loi que nous appelons de nos vœux.
Dans nos régions, nous l’avons compris depuis fort longtemps – c’est l’histoire qui le veut. Je rappelle en présence de mes nombreux collègues alsaciens qu’à l’école, les élèves de ma génération étaient sanctionnés, parfois corporellement, lorsque nous parlions alsacien, notre langue maternelle. C’est d’ailleurs l’une des motivations de l’engagement politique de bon nombre d’entre nous dans notre jeunesse.
Réveillons-nous, mes chers collègues ! Il est grand temps qu’avec les collectivités locales, la nation tout entière reconnaisse l’irremplaçable apport de nos langues régionales à notre richesse nationale. Donnons un nouvel élan à nos langues, donnons au ministre de l’éducation nationale des moyens spécifiques dans ce sens, soutenons les associations qui œuvrent depuis de nombreuses années avec compétence dans ce domaine, car chaque euro investi pour les langues régionales est un bon placement pour le rayonnement de la France !
En outre, ce camaïeu linguistique illustre avec force l’enracinement historique de la France en Europe depuis – je le répète avec quelque chauvinisme – le serment de Strasbourg de 842 que j’évoquais tout à l’heure.
Voilà pour la « mise en bouche » – si vous me permettez cette expression. Maintenant, madame la ministre, chers collègues, haut les cœurs ! Allons de l’avant et préparons ensemble le texte de la loi dont il faudra débattre ici rapidement. L’histoire de notre pays nous en sera reconnaissante. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, les propos que j’entends aujourd’hui me réjouissent et je les approuve.
J’interviens ici avec une certaine émotion, quelques jours après les funérailles nationales du poète Aimé Césaire, car le chantre humaniste de la négritude, le défenseur inlassable de l’identité nègre et martiniquaise, l’homme de synthèse, de liaison et de terminaison, comme il se qualifiait lui-même, amoureux de la langue française, celui-là même qui conjugua dans son œuvre et dans sa vie universalité et ce que nous appelons en Caraïbes « diversalité », s’il eût été présent dans cet hémicycle, n’eût pas manqué de nous exhorter, avec sa verve incandescente et ses fulgurances essentielles, à ne pas laisser dépérir – voire laisser mourir – des pans entiers de notre patrimoine linguistique national.
J’invoque son ombre tutélaire car, dans un débat comme celui qui nous occupe, touchant à un élément important de notre identité, il aurait, à n’en pas douter, tenté de faire comprendre et de faire prendre conscience à tous qu’il faut sortir en confiance de l’idéologie linguistique faite d’écrasement, d’humiliation – d’« abâtardissement », comme il aimait à le dire – des langues autres que le français, de cannibalisme langagier et, pour tout dire, de glottophagie recommencée.
Mes chers collègues, ce débat répond à une demande lancinante et récurrente qui saisit régulièrement des générations de parlementaires, qui s’obstinent à croire qu’en portant cette ambition de défense des langues régionales, ils ne sombrent pas dans l’irrédentisme et ne représentent pas l’anti-France.
Nous n’avons pas l’impression que, lorsque nous demandons avec obstination et depuis si longtemps – depuis le décret Lakanal du 27 brumaire, an III et depuis ce fameux article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 – 1’officialité, la co-officialité ou la quasi-officialité pour nos idiomes régionaux, nous défaisons la France ou portons atteinte à l’unité nationale ou à l’indivisibilité du pays.
Madame la ministre, comme cela a déjà été rappelé, 203 députés du groupe socialiste ont cosigné une proposition de loi constitutionnelle visant à faire sortir nos autres langues de France de la clandestinité, à les protéger et à leur donner un statut constitutionnel.
Il ne s’agit, somme toute, depuis 1958, que de la quatre-vingt-cinquième tentative pour vaincre l’indifférence des gouvernants et des majorités parlementaires successives et transcender les frayeurs quasi-métaphysiques qui les saisissent lorsqu’il s’agit de toucher au monolinguisme.
J’ai cru comprendre que du côté droit de l’hémicycle un groupe important de députés serait prêt à voter pour la reconnaissance, le respect et la promotion des langues régionales. Une majorité politique est donc possible pour voter la réforme.
Madame la ministre, je vous exhorte à l’audace. Exorcisez enfin cette malédiction qui nous a toujours fait renoncer de crainte d’ouvrir la boîte de Pandore ou de jouer aux apprentis sorciers déclenchant des forces qu’ils ne sauraient maîtriser. Aujourd’hui, les juristes le savent, toutes les conditions sont réunies pour donner un statut constitutionnel à nos langues sans pour autant porter atteinte à l’égalité des citoyens, toucher à l’unité nationale et à l’indivisibilité de la République.
On ne peut plus se satisfaire de croire, comme le Président de la République Jacques Chirac en son temps, que « l’on peut parfaitement reconnaître aux langues régionales leur place dans notre patrimoine culturel sans qu’il soit nécessaire de modifier notre Constitution ». Les lois Deixonne de 1951 – si M. Vaxès était encore là, je lui rappellerais que c’était un socialiste du Tarn –, Haby de 1975, Jospin de 1989 et Toubon de 1994 ne suffisent plus pour garantir respect et développement de ces langues.
Pire encore, l’article 2, alinéa 1, de la Constitution, qui dispose que « la langue de la République est le français », introduit pour résister à la colonisation impériale de l’anglais, ne protège plus vraiment notre langue de cette redoutable concurrence, compte tenu des décisions prétoriennes du Conseil constitutionnel. En effet, les décisions du Conseil dites « MURCEF » du 6 décembre 2001 et « Accord de Londres relatif au brevet européen » en date du 28 septembre 2006 suffisent à démontrer que l’article 2 de notre loi fondamentale ne défend pas efficacement le français contre l’anglais. En revanche, cet article est devenu un extraordinaire verrou contre les langues régionales. À l’instar de ce qu’il est advenu de l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, destinée à l’origine à s’opposer à l’emploi du latin dans les domaines juridique et commercial, le texte constitutionnel, censé nous protéger de l’anglais ou des autres langues nationales, se retourne contre les langues régionales et devient un formidable instrument de discriminations envers les langues de France autres que le français.
En vérité, tant que les langues régionales ne seront reconnues qu’au seul rang législatif en droit positif et qu’elles resteront linguae non gratae, n’ayant donc pas droit de cité dans la Constitution, elles garderont cette indignité que nous combattons.
Pourtant, la République connaît, et sans drame, deux régimes de cohabitation linguistique, de bilinguisme, voire de plurilinguisme : en Polynésie, de 1980 à 1995, et en Nouvelle-Calédonie où les vingt-huit langues Kanak jouissent d’une protection constitutionnelle, sans inconvénient majeur ni pour aucune langue ni pour l’unité de la République.
M. le président. Monsieur Lurel, je vous prie de conclure.
M. Victorin Lurel. Mes chers collègues, j’aimerais vous donner une raison supplémentaire pour vous inciter à mieux promouvoir nos langues et à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires : cette revendication doit être admise sur la base des droits fondamentaux, le droit à la langue ou les droits linguistiques reconnus à chacun comme éléments d’identité. C’est une autre version de l’individualisme possessif, car ce droit n’est pas reconnu à des minorités mais bien à des locuteurs.
La France ne saurait continuer à traiter ses langues régionales de façon pire – pardonnez-moi de le dire ici – que la Turquie, et refuser à ses citoyens d’utiliser, dans la sphère publique comme dans la sphère privée, la langue de leur terroir ou de leur choix.
Enfin, il ne vous aura pas échappé que la France joue sa crédibilité internationale : elle ne peut décemment exiger à l’OMC le respect de la diversité linguistique face aux langues impériales, obtenir à l’UNESCO la reconnaissance de cette diversité, et la refuser chez elle.
En conclusion, mes chers collègues, je crois fondamentalement que réhabiliter le plurilinguisme national n’est pas restaurer le babélisme : tout au contraire, c’est faire acte de tolérance et de progressisme. Nous attendons donc la modification de l’article 2 de notre Constitution et une loi portant promotion des langues et cultures régionales de France. De l’audace, encore de l’audace ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
M. François Bayrou et M. Jean Lassalle. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Daniel Mach.
M. Daniel Mach. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en cette année 2008 déclarée « Année internationale des langues » par l’UNESCO, je souhaite vivement saluer l’initiative du Gouvernement. En effet, l’engagement pris envers les langues régionales a été tenu et l’organisation de ce débat en est la concrétisation. Il consacre officiellement l’intérêt que le Gouvernement accorde à la préservation de notre diversité linguistique et culturelle, et je lui en suis extrêmement reconnaissant.
Cette discussion, depuis longtemps sollicitée et espérée, tant par les députés directement concernés que par les associations qui œuvrent chaque jour en ce domaine, revêt un aspect absolument primordial pour certains départements mais aussi pour le pays. La diversité, tant linguistique que culturelle, est une grande richesse pour les individus et les sociétés. Sa préservation est un enjeu majeur pour l’humanité. La volonté de nos concitoyens d’être reconnus dans leur identité propre au sein même des territoires dans lesquels ils vivent est indéniable. À cet égard, il est absolument crucial de permettre à nos langues de vivre et à ceux qui le désirent de les pratiquer.
Cependant, une menace pèse sournoisement sur nos langues régionales, et ce depuis de très nombreuses années. À titre d’exemple, les évolutions technologiques et, plus spécifiquement, le remplacement de la télévision analogique par le système numérique, risquent dangereusement de condamner la réception, dans les Pyrénées-Orientales, de TV3 et Canal 33, compromettant ainsi sévèrement la promotion et l’usage du catalan. Nous parlons donc ici de la survie de nos langues régionales.
M. François Calvet. C’est exact !
M. Daniel Mach. Aujourd’hui, porter les couleurs de sa région ne revient pas à se désolidariser de la nation, mais au contraire à intégrer l’histoire locale dans le patrimoine national. Le sentiment d’appartenance régionale ne revendique pas de séparation avec les autres cultures ou un refus de l’identité nationale, mais tout simplement le droit d’exister avec fierté dans un pays tout en revendiquant les couleurs de sa propre culture.
M. François Calvet. Tout à fait !
M. Daniel Mach. Dans de nombreuses régions, les langues locales, éléments forts de l’identité locale, ont souvent été interdites, ce qui a causé la perte de pans entiers de cultures riches en tradition et en histoire. Or, pour les habitants de ces régions, perdre un peu de leur identité revient en réalité à perdre un peu de leur histoire. Il n’est nullement question de remettre en cause la suprématie de la langue française, langue officielle de notre République, mais il est urgent de trouver des solutions pérennes qui permettent à nos langues régionales de se pratiquer, de se transmettre, de se développer.
La langue catalane présente une immense particularité. La constitution d’un groupe d’études sur les langues régionales à l’Assemblée nationale est une étape importante, et je l’ai intégré pour qu’enfin nos langues locales soient mises à l’honneur et considérées à leur juste valeur. Mais je suis sincèrement scandalisé que l’on m’oblige à parler du catalan comme d’une langue régionale : il est parlé par près de dix millions de personnes dans le monde !
M. François Calvet. Eh oui !
M. Daniel Mach. On ne peut pas en permanence continuer à gérer notre pays dans un esprit parisianiste. Paris est parfois bien loin de la France !
M. Marc Le Fur. Bravo !
M. Daniel Mach. Le catalan est une réalité qui ne mérite ni indifférence ni dédain. Trop longtemps il a été considéré comme un patois. Or il s’agit tout de même de la langue officielle de l’Andorre et de la Catalogne du Sud. Le catalan est le socle de négociations internationales et européennes, tant en termes d’échanges commerciaux que culturels ou économiques. Pour l’avenir professionnel de nos enfants, je vous avoue que l’enseignement du catalan dans les Pyrénées-Orientales représente un atout inestimable, car il offre la possibilité d’intégrer le marché du travail extrêmement dynamique de la Catalogne du Sud. Nos enfants ont parfois plus intérêt à envisager une carrière orientée vers le nord de l’Espagne que vers le nord de l’Europe. C’est là que les méthodes d’apprentissage en milieu scolarisé prennent toute leur envergure : les enseignements bilingues à parité horaire ou en immersion sont les seuls moyens de s’imprégner totalement d’une langue. Il est temps de proposer aux parents une totale liberté de choix en ce domaine, car il s’agit de l’avenir de leurs enfants.
Depuis plus de trente ans, les organismes internationaux n’ont cessé de rappeler l’importance des langues dans le patrimoine de l’humanité et d’inciter les États à prendre des mesures efficaces pour assurer leur défense et leur développement. Le Président de la République a officiellement déclaré dans la presse qu’un texte de loi reconnaissant l’importance que nous accordons aux langues régionales et le rôle de l’éducation nationale à cet égard permettrait d’assurer la protection juridique de ce patrimoine inestimable. De nombreux États ont déjà des législations reconnaissant cette diversité comme un atout remarquable pour leur développement économique, social et culturel.
Si j’adhère totalement à ce débat national auquel je participe avec satisfaction et fierté, je tiens cependant à vous faire part de l’état d’esprit qui anime mes concitoyens. Les humiliations historiques ont été lourdes pour les Catalans : le traité des Pyrénées, signé en 1659, a engendré de multiples incompréhensions ; les Catalans rejetés d’un côté de la frontière et intégrés de force afin de devenir français ont ressenti les pires sentiments – trahison, incompréhension, rejet des deux côtés.
M. le président. Il faut conclure.
M. Daniel Mach. Aujourd’hui encore, demeurent des stigmates d’humiliation à travers les tentatives de l’État d’affaiblir leur patrimoine culturel et historique.
L’État français devra tôt ou tard s’expliquer et assumer ses responsabilités pour enfin prendre des mesures concrètes en faveur des langues régionales. Reconnaissez, madame la ministre, qu’il n’est tout de même pas normal que d’un département à l’autre, ou d’une région à l’autre, la défense des langues régionales ne bénéficie pas des mêmes soutiens financiers.
M. le président. Je vous prie de conclure, mon cher collègue.
M. Daniel Mach. Ne passons pas à côté de cette opportunité quasi historique de donner aux langues régionales toute leur place dans notre société.
Pour finir sur une note d’humour, madame la ministre,… (Monsieur Daniel Mach s’exprime en catalan).
M. le président. Monsieur Mach, je vous rappelle qu’il est interdit de s’exprimer dans l’hémicycle dans une langue autre que la langue française.
M. Victorin Lurel. C’est dommage !
M. François Calvet. Au moins, on l’a entendue !
M. Daniel Mach. C’est vrai, aussi je traduis : « Les Catalans sont fiers, honnêtes et paisibles. Leur langue est un droit et ils savent où sont leurs devoirs ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur de nombreux bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
M. François Bayrou. On aurait le droit de parler anglais et pas catalan ? On parle comme on veut !
M. le président. Non ! Et vous n’avez pas la parole.
M. François Bayrou. Je la prends !
M. le président. La parole est à M. François de Rugy.
M. François de Rugy. Madame la ministre, mes chers collègues, on peut être surpris par l’organisation assez soudaine de ce débat. Je ne sais quelles en sont les motivations profondes, mais je m’en réjouis. Néanmoins, je tiens à le dire en préambule, pour les Verts, ce débat n’aura servi à rien s’il ne débouche pas concrètement sur une réforme constitutionnelle et législative. Il n’aura été qu’un débat de plus où nous aurons échangé, prononcé même quelques mots dans la langue de notre région, ce qui, finalement, n’aura fait qu’entretenir l’idée que les langues régionales ne relèvent que du folklore, et ne constituent pas une question sérieuse qui doit être traitée dans la loi et dans la Constitution.
Je me souviens que, lors de l’examen de la réforme constitutionnelle préalable à la ratification du traité modifé de Lisbonne, plusieurs collègues avaient déposé des amendements relatifs aux langues régionales. On leur avait dit alors qu’ils étaient hors sujet. Mais ils ne l’étaient pas, selon moi, puisque la France n’a toujours pas ratifié la Charte européenne des langues régionales. La question des langues régionales est donc étroitement imbriquée avec celle de la construction européenne – j’y reviendrai tout à l’heure. Le débat sur la réforme constitutionnelle, qui doit avoir lieu dans quelques semaines, pourrait être l’occasion de faire avancer concrètement les choses, mais nous sommes un peu inquiets car le projet du Gouvernement ne contient toujours aucune proposition pour la reconnaissance des langues régionales. J’espère que le Parlement saura remédier à cette frilosité – à cette absence même – du Gouvernement sur le sujet.
Je suis sûr que notre débat d’aujourd’hui permettra d’envisager un consensus qui dépasse les groupes parlementaires et les notions de gauche ou de droite, même s’il existe dans tous les groupes des opposants à la reconnaissance des langues régionales. J’espère d’ailleurs qu’ils s’exprimeront parce qu’il est plus sain que toutes les sensibilités soient représentées dans un tel débat.
J’ai rappelé les discussions que nous avions eues au moment de la ratification du traité de Lisbonne. Aujourd’hui, nous pouvons mettre en perspective notre débat sans vote avec la modification de nos institutions voulue par le Président de la République et le Gouvernement.
Tous les défenseurs des langues régionales, dont je fais partie, pointent du doigt l'article 2 de notre Constitution, et plus précisément son premier alinéa qui stipule : « la langue de la République est le français ». Je voudrais simplement vous livrer la réflexion de Guy Carcassonne, un constitutionaliste suffisamment éminent pour avoir participé récemment à la commission Balladur. Il qualifie cet alinéa d’un peu incongru et explique : « cette mention n'apporte rien que l'évidence n'ait déjà assuré, si ce n'est d'alimenter une demande reconventionnelle pour donner une existence de même type aux langues régionales ». Sans cet alinéa, après tout, on aurait pu considérer que « qui ne dit mot consent ». Guy Carcassonne poursuit : « aussi le constituant aurait-il pu aller jusqu'au bout de cette logique singulière, en inscrivant dans la Constitution que le territoire, l'histoire, la culture et la tradition de la République sont, respectivement, le territoire français, l'histoire de la France, la culture française et la tradition française ». Sans parler d'une référence – pourquoi pas ? – à la gastronomie française à laquelle nous sommes tous attachés. « C'eût été aussi justifié », conclut-il.
Quoi qu'il en soit, cette disposition est vécue concrètement non seulement comme un handicap, mais comme un obstacle à la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Guy Carcassonne, commentant la Constitution, indiquait que cet alinéa de l’article 2 « n'était pas vraiment nocif jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel l'invoque de manière excessivement rigide pour faire échec à la ratification de la Charte européenne pourtant pas bien méchante ».
Cette phrase lapidaire – « la langue de la République est le français » – n'est pas si anodine, et met la France dans une situation intenable. À cause de cet article, non seulement la France n’a toujours pas ratifié cette fameuse Charte des langues régionales, mais elle a aussi été obligée de refuser de signer certains éléments de conventions internationales qui prévoient la valorisation de la diversité linguistique. Il s'agit, par exemple, du pacte international relatif aux droits civils et politiques dont l’article 27 précise que les minorités linguistiques ne peuvent être privées du droit d'employer leur propre langue. La France n’a pas ratifié cet article, non plus que l’article 30 de la Convention relative aux droits de l'enfant qui énonce : « un enfant appartenant à une de ces minorités ne peut être privé du droit d'employer sa propre langue en commun avec les autres membres de son groupe ». À l’époque, ces éléments ont été déclarés contraires à l'article 2 de la Constitution.
Une certaine conception de la République – étatiste et, pour tout dire, assez nationaliste – détourne le modèle républicain. D’ailleurs, contrairement à une idée répandue, ce n’est pas la Révolution française qui se serait lancée dans une politique d’éradication des langues régionales dès 1789. À l’inverse, entre 1789 et 1792, une politique de développement, de soutien et de promotion des langues régionales a été conduite. Ce n’est qu’ensuite que des décisions très néfastes pour les langues régionales ont été prises.
Dans une certaine tradition républicaine, on veut un citoyen Français détaché de toute considération d'origine, de langue, de religion. Une fois défait de toutes ces caractéristiques contingentes, il peut être un bon élève, un bon électeur, un bon citoyen. Bien sûr, tout le monde approuve cette volonté d’autonomie et d’indépendance par rapport à toute pression, de quelque nature qu’elle soit. Mais c'est fermer les yeux sur la réalité pourtant bien vivante des langues régionales. Je vous épargnerai la liste complète de toutes les langues régionales – nous sommes assez nombreux ici pour représenter cette diversité –, mais comme des collègues l’ont souligné avec force avant moi, dans toutes les régions de la France métropolitaine et d’outre-mer, il existe des langues régionales, des traditions, des dialectes qui méritent d’être préservés. Or aujourd’hui, beaucoup de ces langues régionales sont menacées d’extinction, comme le breton évoqué tout à l’heure par Marc Le Fur.
De quoi avons-nous peur ? De quoi ont peur celles et ceux qui défendent cette vision rigide, fermée, de la Constitution française. Pourquoi ne défendons-nous pas ces langues régionales ? La France s'enorgueillit souvent d'être la patrie des droits de l'homme, même de façon parfois un peu arrogante à l’égard du reste de l’Europe ou du monde. Or, dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, il est écrit : « chacun peut se prévaloir de tous les droits et toutes les libertés proclamés dans la présente déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion ». L’article 2 inclut bien la langue ! Pourquoi les personnes ne parlant pas uniquement le français ne bénéficieraient-elles pas d'un égal accès à leur langue, d'un égal droit à l’apprendre, à la pratiquer et à la voir utilisée dans l’espace public ?
La France est attachée à son patrimoine culturel, gastronomique, géographique, à ses paysages, à cette grande diversité qui la caractérise. Pourquoi négligerait-elle, de façon absolument incompréhensible, son patrimoine linguistique, que l'UNESCO a classé au rang de patrimoine culturel immatériel ? Dans sa convention sur le patrimoine culturel universel, l’UNESCO définit la langue comme « le vecteur du patrimoine culturel immatériel ». C’est dire son importance !
La diversité linguistique fait partie du patrimoine de l'humanité, elle constitue une diversité culturelle et l'on doit lutter contre toute tentative d'uniformisation dans ce domaine. Toutes tendances politiques confondues, la France lutte contre l'hégémonie de la langue anglaise et défend la pluralité linguistique au niveau mondial et le Gouvernement vient de nommer un nouveau secrétaire d’État à la francophonie. Pourquoi ne défend-elle pas cette pluralité au niveau français ? Il est absurde que la France – ses institutions, sa Constitution, comme beaucoup de ses gouvernements d’ailleurs – refuse de faire vivre en son sein une diversité linguistique qu’elle appelle pourtant de ses vœux pour le monde.
Je tiens à préciser que, selon moi, cette sorte de micro-nationalisme développée par certains dans leur région est tout aussi absurde qu’un nationalisme français agressif, excluant, et débouchant sur le racisme ou la guerre. Nous n’avons aucun problème avec l’identité française. On peut se sentir autant français que breton, par exemple, qu’européen ou même citoyen du monde. Pour ma part, je suis né d’un père breton et d’une mère lorraine. On ne peut pas faire plus français en quelque sorte ! Ces deux régions possèdent une forte identité, une langue, ce qui ne les empêche pas de se sentir pleinement françaises. Les Lorrains – et notamment ceux de Moselle – se sont même battus et ont souffert dans leur chair particulièrement douloureusement pour être pleinement intégrés à la France, alors qu’ils parlent un dialecte plus proche de l’allemand que du français, au moins en Moselle. C’est dire si le sentiment d’appartenance à la France, si l’identité française ne sont absolument pas menacés par les langues régionales, bien au contraire !
Le sentiment d’appartenance multiple peut commencer à son quartier et s’étendre à son village, à sa ville, à sa région, à la France, à l’Europe et au monde. Ce sentiment de multi-appartenance est le meilleur antidote au racisme et à la peur de l’ouverture sur le monde. La mondialisation effraie – bien souvent à juste titre – parce qu’elle fait craindre une uniformisation, une disparition de la diversité culturelle et notamment linguistique. Cette uniformisation conduirait à un terrible appauvrissement culturel et, en retour, ne pourrait que susciter une crispation nationaliste, un néfaste repli sur soi en forme d’impasse. On est d’autant plus prêt à s’ouvrir à l’autre et sur le monde que l’on est clair sur qui l’on est et d’où l’on vient. Les langues régionales contribuent aussi à cette clarté.
Aujourd’hui, il faut faire preuve de volontarisme. Madame la ministre, nous souhaiterions vous entendre sur ce thème, car nous revenons de loin : c’est une politique d’éradication des langues régionales qui a été conduite en France, n’ayons pas peur de le dire. Ainsi, à une époque, dans la cour de certaines écoles de Bretagne, des panneaux indiquaient : « il est interdit de cracher par terre et de parler breton ». L’exemple breton n’est sans doute pas isolé et il faut être conscient que cette politique nationale d’éradication menée pendant tant de décennies a conduit à la quasi-disparition d’un certain nombre de parlers régionaux.
En même temps, il faut rester optimiste et positif : des exceptions ont déjà été concédées. Tout à l’heure, Victorin Lurel a évoqué la Nouvelle-Calédonie, mais on pourrait aussi citer la Corse. Alors que la Corse fait bien partie de la France, du territoire français, de la République française – aucun doute sur ce point –, la langue corse bénéficie d'un traitement spécifique. La loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse a inscrit : « la langue corse est une matière enseignée dans le cadre de l'horaire normal des écoles maternelles et primaires ».
Mme Marylise Lebranchu et M. Alain Rousset. Très bien !
M. François de Rugy. D’ailleurs, l'Assemblée de Corse adopte un plan de développement de l'enseignement de la langue corse et conclut avec l'État une convention pour sa mise en œuvre, en matière de formation initiale et continue des enseignants.
M. Paul Giacobbi. C’est exact !
M. François de Rugy. De l’extérieur, le résultat nous paraît assez probant : 46 écoles dispensent un enseignement bilingue à près de 3 000 élèves, soit plus de 13 % des enfants corses ; 92 % des élèves du primaire étudient la langue corse, dont 27 % à raison de trois heures hebdomadaires ou plus ; et plus de 68 % des élèves de sixième sont inscrits en langue corse. Malheureusement, le sort des autres régions n'est en rien comparable.
M. le président. Il va falloir conclure, monsieur de Rugy !
M. François de Rugy. J’aurais aimé parler aussi de l’audiovisuel, puisque, madame la ministre de la culture, vous êtes aussi concernée par ce dossier, et faire des comparaisons européennes. Je m’en abstiendrai. Pour conclure, je dirai simplement qu’il est temps que la France assume ses racines, sa culture, cette richesse linguistique qui fait sa force. Comme on le dit chez moi : Ya d’ar brezhoneg ! Oui à la langue bretonne, ainsi qu’aux autres langues régionales, que je ne peux malheureusement pas exprimer. Nous prenons rendez-vous pour les prochains débats. Kenavo ! À bientôt ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Mme Marylise Lebranchu. Ar wech all !
M. le président. À partir de maintenant, je ferai respecter strictement les temps de parole.
La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la ministre, mes chers collègues, je suis venu d’abord apporter mon soutien à tous les collègues qui pensent que les langues régionales constituent un atout pour notre pays, qu’elles doivent être préservées, sauvegardées, transmises, et valorisées.
Je voulais aussi remercier le Gouvernement, le Premier ministre et vous-même d’avoir organisé ce débat qui va nous faire sortir d’une impasse dans laquelle on voulait nous enfermer depuis un certain nombre d’années, et consistant à affirmer que la sauvegarde des langues régionales en France passe obligatoirement par la ratification de la Charte des langues régionales ou minoritaires signée à Budapest le 7 mai 1999. Sans charte, disaient certains, il n’y a pas de politique des langues régionales.
C’est une profonde erreur ! D’abord, comme le Conseil constitutionnel l’a indiqué le 15 juin 1999, la ratification de cette charte poserait des problèmes extrêmement lourds à notre pays. En effet, celle-ci oblige les pays signataires à encourager, dans leur législation, « l'usage oral ou écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique ». Cela est contraire à l'article 2 de notre Constitution, qui prévoit que « la langue de la République est le français ».
Ensuite, la Charte telle qu’elle est rédigée remet en cause des principes constitutionnels tels que l'égalité des citoyens devant la loi et l'unicité du peuple français, puisqu’elle confère « des droits spécifiques à des groupes de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l'intérieur de territoires dans lesquels ces langues sont pratiquées ».
M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. Mais non !
M. Paul Giacobbi. Je vais vous démontrer le contraire !
M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. Or les principes constitutionnels que je viens de citer interdisent la reconnaissance de « droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance. » C’est ce que le Conseil constitutionnel a rappelé.
Parmi les trente-neuf mesures sélectionnées par la France pour ratifier cet outil, un certain nombre poserait de multiples problèmes : traduire les lois les plus importantes dans l’ensemble des langues régionales ; développer la traduction, le doublage, le sous-titrage en langue locale d’« œuvres produites dans d'autres langues » ; traduire les « informations fournies par les autorités compétentes concernant les droits des consommateurs », et j’en passe.
Il s’agit donc d’une fausse voie. En l’état actuel des principes fondamentaux de notre pays, la ratification de la charte ne me semble pas possible du point de vue constitutionnel.
Toutefois, je veux dire aussi qu’une nouvelle étape est nécessaire quant à la politique de l’État en faveur des langues régionales : la bonne voie est, à droit constant, de prendre des mesures, notamment culturelles, et de les assortir de moyens pour entretenir et valoriser ce patrimoine. Il est en effet incontestable que ces langues représentent une partie de notre patrimoine, de nos origines, de nos valeurs, et que nous devons les transmettre aux générations futures.
Je me tourne vers vous, madame la ministre, pour que vous affirmiez clairement une telle volonté et dissipiez le faux-fuyant d’un débat juridique qui nous conduit dans une impasse. En revanche, de nombreux collègues, de la majorité en tout cas, souhaitent que le Gouvernement s’implique fortement dans des actions concrètes. La majorité est en effet très attachée à la sauvegarde de la culture et des traditions de notre pays, et les langues régionales de France en font partie. Je souhaite que le Gouvernement soit actif et innovant en la matière et, à ce titre, je lui apporte tout mon soutien. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. Merci pour votre concision, monsieur le président de la commission des lois.
La parole est à M. Robert Lecou.
M. Robert Lecou. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux d’abord remercier le Gouvernement, qui a tenu son engagement d’organiser ce débat sur les langues régionales en ce lieu symbolique de la nation française. Cette séance est un acte de progrès, qui permet d’affirmer une fois de plus que la diversité est source de richesse.
La France de Villers-Cotterêts, celle de 1792, celle de la guerre de 1914-1918 à aujourd’hui, cette France a forgé sa propre unité. Elle doit continuer à affirmer son identité. La langue française doit toujours être celle de la diplomatie et des Jeux olympiques, et la France des Lumières constituer une référence pour les droits de l’homme. La francophonie doit vivre, se dynamiser et amplifier le rayonnement de notre pays et de sa langue. Tel est l’un des motifs qui, au cours de la XIIe législature, inspirèrent au sein de notre assemblée la création d’un groupe de travail sur la diversité culturelle en Europe. Ce groupe a travaillé avec son homologue allemand en se donnant, entre autres objectifs, celui de lutter contre la domination sans partage d’une culture, d’un mode de vie et d’une langue uniques. Construire l’Europe sans anéantir nos identité respectives, mais au contraire en les valorisant, bref construire l’Europe de la diversité : telle était, et telle doit toujours être notre démarche dans un monde ouvert, qui a besoin de l’affirmation européenne avec l’engagement de la France et de l’Allemagne. C’est au cœur de notre réflexion et de notre action que j’ai eu l’occasion d’évoquer nos identités régionales et nos langues de France. Et c’est avec beaucoup de conviction et d’enthousiasme que j’ai défendu ces deux démarches : oui à l’Europe de la diversité culturelle de l’ensemble des pays qui la composent ; oui à l’occitan, pour exprimer l’extraordinaire richesse de la diversité française. Nos langues régionales, qui ont contribué à la formation de la langue française, participent en effet à la diversité culturelle de la France, donc à sa richesse.
Soyons audacieux pour nos langues, mes chers collègues, et soyons-le sans inquiétude pour l’unité de notre pays. Soyons confiants en redonnant leur place à nos langues, qui, avec nos cultures régionales, font partie du patrimoine de l’humanité. Donnons-leur donc les moyens de vivre et, pour ce faire, supprimons les blocages juridiques. Comme l’a préconisé le président de la commission des affaires culturelles, Pierre Méhaignerie, ajoutons à l’article 2 de la Constitution cette formule relative au respect de nos langues régionales. Permettons à la France de ratifier la Charte européenne. Légiférons, comme le propose Marc Le Fur avec passion, car c’est par la loi que l’on donnera à l’enseignement, aux médias et à la création culturelle les moyens de faire vivre nos belles langues régionales, ces langues de nos racines, qui favorisent en outre, pour nos enfants, l’apprentissage des langues étrangères et même des mathématiques.
Pour l’enseignement, je pense aux calendrettes et à la vivacité des écoliers ; pour les médias, je pense comme Jacques Domergue aux radios associatives et à la passion de leurs animateurs ; pour la création culturelle, au théâtre de La Rampe – que vous avez évoqué, madame la ministre.
Puisse donc cette réunion historique nous permettre d’avancer dans l’élan que le général de Gaulle lui-même avait compris et reconnu lorsqu’il déclarait à Lyon et à Quimper que la construction de l’unité française était achevée, et qu’il convenait de laisser s’exprimer les énergies locales.
M. Marc Le Fur. Très bien !
M. Robert Lecou. Élan également repris à son compte par le Président de la République lorsqu’il demandait de réfléchir à des propositions très concrètes pour sécuriser une fois pour toutes la situation des langues régionales de France, notre patrimoine, notre richesse. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à Mme Marylise Lebranchu.
Mme Marylise Lebranchu. Madame la ministre, tout à l’heure, nous étions en haleine, dans l’attente que vous annonciez l’amendement à la Constitution et le projet de loi – car l’un ne va pas sans l’autre, mais nous avons été déçus. Je crois avoir compris et j’espère que vous allez vous exprimer à nouveau.
M. Warsmann a estimé qu’il n’était pas nécessaire de ratifier la Charte ni de réviser la Constitution. Je lui rappelle qu’une loi, votée par l’Assemblée il y a longtemps, autorisait l’enseignement dans les écoles Diwan en Bretagne. Une partie des parlementaires avaient alors saisi le Conseil constitutionnel et la loi fut enterrée au motif que notre Constitution ne permettait pas de l’appliquer. C’est donc bien la preuve – n’en déplaise à M. Warsmann, qui aurait dû consulter ses archives – que si nous ne modifions pas la Constitution, il suffira de saisir le Conseil constitutionnel pour mettre à la poubelle tout texte relatif aux langues régionales. C’est frustrant et humiliant et, comme je l’ai toujours dit, l’humiliation entraîne la violence.
Nous devons procéder par ordre : d’abord modifier la Constitution, puis faire une loi.
J’ai lu dans un débat entre Marc Le Fur et Jean-Jacques Urvoas – aujourd’hui privé de parole car il y a trop d’inscrits –…
M. Jean-Frédéric Poisson. C’est dommage !
Mme Marylise Lebranchu. …que le président du conseil régional de Bretagne proposait d’expérimenter certaines mesures. Mais on pourrait très bien arguer qu’une telle expérimentation est, elle aussi, inconstitutionnelle ! On en revient toujours au même problème, et c’est bien pourquoi nous demandons que soit amendé l’article 2 de la Constitution.
On me rappelle souvent, et avec raison, que ce dernier fut voté lorsque la gauche était majoritaire. À l’époque, il s’agissait de protéger le français contre la montée de l’anglais, notamment, comme on l’a vu avec les brevets, dans le domaine du droit. On affirmait alors que l’utilisation de la langue anglaise facilitait l’application d’un droit anglo-saxon au niveau communautaire. D’où l’idée de rappeler que le français était la langue de la République.
Langue commune, et non langue unique, avez-vous déclaré tout à l’heure, madame la ministre. J’ai trouvé cette expression intéressante, car il s’agit bien de cela. L’un de nos collègues des Verts citait, pour sa part, une expression reprise par Yann-Ber Piriou dans l’un de ses ouvrages : nous avons en effet besoin de reconnaître un patrimoine, l’enjeu en est culturel et identitaire. J’aurais aimé que Mme la garde des sceaux soit assise à vos côtés, madame la ministre, pour nous annoncer la révision constitutionnelle que nous demandons.
La République n’est pas en danger lorsque, ici ou là, on parle des langues différentes, lorsque les Catalans français dialoguent avec les Catalans espagnols, lorsque des enfants immergés dans le bilinguisme en retirent une extraordinaire facilité pour apprendre jusqu’à six langues. Ils sont citoyens d’un territoire, mais aussi de France, d’Europe et du monde.
Il serait archaïque de rester dans la contradiction entre, d’une part, la langue de notre République, une et indivisible, et, d’autre part, le droit de s’exprimer dans une langue régionale. On a cité Aimé Césaire, et l’on pourrait citer bien d’autres écrivains sur le sujet. Quiconque a eu la chance de recevoir une langue en héritage n’a pas le droit d’y renoncer : chacun peut le comprendre. De même, un pays qui a la chance d’avoir autant de langues sur son territoire…
M. le président. Veuillez conclure.
Mme Marylise Lebranchu. …tout en ayant su réaliser son unité, peut réviser sa Constitution pour leur donner enfin les moyens de vivre. Préservons ce merveilleux patrimoine, car ce sont les mots qui font les personnes et les échanges. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. Camille de Rocca Serra.
M. Camille de Rocca Serra. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie le Premier ministre qui a tenu son engagement d’organiser ce débat, préalable à celui du projet de révision constitutionnelle qui doit bientôt venir en discussion.
La nature même du thème que nous abordons a suscité depuis la Révolution des discussions passionnées, trop souvent crispées. Le temps est venu de poser la question du devenir des parlers de nos régions. Je veux ici réaffirmer ce qu’il y a déjà quarante ans, à Lyon, le général de Gaulle exprimait dans un discours fameux sur la réforme régionale, à savoir que l'effort de centralisation, qui fut longtemps nécessaire à la France pour maintenir son unité, ne s'imposait plus. Oui, mes chers collègues, notre République est prête à reconnaître sa diversité, car notre nation est assez forte pour asseoir son épanouissement sur la richesse des cultures et des territoires.
M. Yves Censi. Bravo !
M. Camille de Rocca Serra. La langue française est chez elle en Corse comme en Alsace, en Occitanie, en Bretagne ou ailleurs ; mieux encore, elle y est renforcée par la variété des langues régionales. Réfléchissons à une identité française sereine et abordons cette question sans tabou ni crispation. Entre un jacobinisme borné et une tendance à la folklorisation, entre un républicanisme intégriste et une approche ethnique exacerbée, je veux vous persuader qu'il y a une voie médiane,…
M. Marc Le Fur. Très bien !
M. Camille de Rocca Serra. …celle d'un véritable statut reconnaissant les langues de France comme notre patrimoine commun.
Je l'affirme, nos langues régionales sont les ferments de la cohésion sociale, les liens qui resserrent l'harmonie territoriale. Cette dimension est aujourd'hui évidente. À l'occasion de son dernier déplacement en Corse – où vous étiez présente, madame la ministre –, le Président de la République n'a-t-il pas déclaré devant les élus de l'île : « Renier l'identité d'une région, c'est renier une partie de l’identité de la nation » ? Et d’ajouter : « S'il faut aller plus loin pour que la langue corse reste vivante, je suis prêt à aller plus loin. Je suis prêt à en discuter avec vous sans tabou. La seule limite, c'est que le français demeure la langue de la République. C’est la seule limite. »
Cette limite est également mienne. Parler corse ou parler quelque langue régionale que ce soit permet de se positionner dans l'ensemble national en y fusionnant son altérité régionale. C'est en ce sens que, dès 2004, j'avais cosigné l'amendement, déposé par mon collègue et ami Marc Le Fur, prévoyant que le français soit « la langue de la République dans le respect des langues régionales qui fondent sa diversité ». Parler corse, c'est aussi s'ouvrir à la construction européenne en tendant une main fraternelle à l'Italie, comme parler alsacien, basque ou catalan est un gage d'amitié envers nos voisins allemands ou espagnols.
En cette enceinte chargée d'histoire et de symboles, je veux vous dire tout haut ce que trop de Corses n'arrivent pas à faire entendre : « Si mon âme est corse, mon cœur est français. Pourquoi dès lors perdre mon identité au bénéfice d'être français ? Je suis et veux être français au bénéfice de mon identité. »
Oui, l’alchimie entre identité et altérité permet à chacun de s’identifier pleinement à la Nation, à condition que celle-ci n’entende pas nier pas ses diversités mais les fasse converger vers un sens commun.
Oui, il nous appartient de combiner nos richesses linguistiques et culturelles pour servir le dialogue et les échanges nécessaires. À la lumière de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui énonce que l’universalisme doit reposer sur une conception de la diversité linguistique et culturelle qui dépasse à la fois les tendances à l’homogénéisation et les tendances à l’isolement, facteur d’exclusion, il nous faut trouver la meilleure formule pour faire fructifier notre patrimoine linguistique national sans contrevenir au dogme républicain.
La Charte européenne des langues régionales et minoritaires, adoptée en 1992, a ouvert le débat et nous a posé collectivement un problème. Si elle a le mérite d’avoir été conçue comme un instrument de défense, elle nécessite une mise en adéquation juridique avec notre ordre national.
Les réserves et déclarations formulées par la France en 1999 sont légitimes, mais il convient de les dépasser, et donc de les traduire dans notre droit national. Nous avons collectivement le devoir de rendre juridiquement opérant, pertinent et effectif un texte porteur d’avenir pour notre patrimoine linguistique.
Je décèle dans cette enceinte une volonté forte, après les engagements du candidat Sarkozy, aujourd’hui Président de la République, et ceux du Premier ministre.
Trouvons ensemble la meilleure solution. Si l’obstacle est constitutionnel, est-il possible de réviser la Constitution sans en dénaturer la portée ? Si la révision constitutionnelle est un obstacle infranchissable, une formulation législative peut-elle garantir l’indispensable sécurité juridique ? S’il est enfin possible de rendre compatible la Charte en la révisant ou en l’amendant par le biais de protocoles additionnels, profitons de la présidence française de l’Union européenne pour lui donner un second souffle !
M. le président. Veuillez conclure…
M. Camille de Rocca Serra. Vous le voyez, mes chers collègues, des solutions concrètes à un problème concret peuvent être esquissées.
M. le président. Il faut conclure, monsieur de Rocca Serra !
M. Camille de Rocca Serra. Si vous le permettez, monsieur le président, je voudrais dire ici solennellement que la langue corse ne doit pas mourir et qu’elle ne mourra pas ! Elle vivra grâce à tous ceux qui la transmettent et qui la parlent, à tous ceux qui ne la parlent pas, mais qui, malgré tout, l’aiment. La langue corse vivra, comme vivra le breton, l’alsacien, le basque, le catalan, l’occitan, les langues créoles. Elle vivra car, si nous laissons mourir la langue corse, c’est que nous acceptons collectivement que meure un jour la langue française.
Il n’est jamais trop tard pour bien faire, madame la ministre. Alors, agissons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
M. le président. La parole est à M. Armand Jung.
M. Armand Jung. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis la Seconde Guerre mondiale, une série impressionnante de documents relatifs à la reconnaissance, à divers degrés, des langues régionales de notre pays a été rédigée ou déposée sur le Bureau de l’Assemblée nationale : propositions de loi simples ou constitutionnelles, amendements, décrets, circulaires.
Des ministres de tous bords, des membres de l’actuel gouvernement, trois Présidents de la République – dont celui actuellement en exercice – ont pris des engagements précis en faveur des langues et des cultures régionales. Pour l’instant, aucune de ces démarches n’a abouti. C’est comme si la République était mise en danger, comme si l’unité de notre pays était menacée, comme si l’on redoutait une revendication identitaire ou je ne sais quel nationalisme régional. Mais peut-être est-ce tout simplement le traditionnel centralisme jacobin qui tente de maintenir coûte que coûte son hégémonie ! Comment interpréter autrement la récente décision du ministre de l’intérieur de supprimer sans crier gare, en Alsace-Moselle, la traduction des professions de foi en allemand ? Aucune raison, pas même financière, ne justifiait une telle décision, inutile et blessante pour les habitants des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle !
Et pourtant, des millions de Français maîtrisent les langues régionales, ces langues à la fois populaires et littéraires, et qui représentent souvent un atout économique incomparable.
Jean Jaurès, pour ne citer que lui, utilisait l’occitan pour s’adresser aux foules. En Alsace, la Révolution française s’est faite en langue régionale, aux cris de Freiheit – liberté – Gleichheit – égalité – Bruderliebe – fraternité – et avec une version de la Marseillaise en allemand, forme standard des dialectes alsaciens et mosellans. C’est dans cette langue encore qu’ont été menées les grèves de 1920, de 1936 et de 1968 dans les transports, les usines, les bureaux. C’est également en alsacien que les supporters du Racing Club de Strasbourg soutiennent leur équipe de football.
La littérature, ancienne et actuelle, et la créativité des langues régionales sont renommées. Le premier poème rimé en allemand vient d’Alsace. La première Bible a été imprimée à Strasbourg. Le premier roman populaire, le premier journal en langue allemande ont été composés et publiés en Alsace. Ces œuvres, à l’instar de celle d’Aimé Césaire, représentent un enrichissement culturel pour la France et pour ses habitants.
Avec la langue nationale et la langue régionale, les Alsaciens et les Mosellans peuvent s’entretenir et travailler avec 67 millions de francophones et 100 millions de germanophones. L’économie de l’Alsace s’inscrit dans la région du Rhin supérieur et l’espace Saar-Lor-Lux. L’allemand et la langue régionale représentent des atouts incomparables sur le plan économique, favorisant l’implantation de nouvelles entreprises, l’emploi, l’exportation, le tourisme. Aujourd’hui, 12 % des actifs alsaciens travaillent en Suisse germanophone et en Allemagne, et l’Alsace compte environ 650 000 locuteurs. C’est la proportion la plus forte parmi les langues régionales de France et l’effectif le plus important s’agissant des adultes. Quant au taux de transmission familiale résiduelle, d’une génération à la suivante, il est encore le meilleur, avec le corse, puisqu’il atteint 10 %. Mais en 2050, serons-nous les derniers 10 000 locuteurs désespérés, alors qu’il en faut au minimum 100 000 pour qu’une langue survive ?
Prenons l’exemple du projet de création de I’Eurodistrict Strasbourg-Kehl-Ortenau, décidé en 2003 au plus haut niveau par Jacques Chirac et Gerhard Schröder et visant à renforcer de manière spécifique et originale la coopération franco-allemande. Il paraît inimaginable que les débats entre Français et Allemands s’y déroulent avec des traducteurs, ce qui est malheureusement le cas aujourd’hui ! Il y a une trentaine d’années, pourtant, l’Alsace fournissait une proportion majeure du personnel germanophone dans toute la France : enseignants, diplomates, techniciens, cadres, militaires. Aujourd’hui, elle ne trouve même plus sur son propre territoire les germanophones dont elle aurait besoin pour ses administrations publiques, son enseignement, ses entreprises.
À la veille de la présidence française de l’Union européenne et alors que l’on s’apprête à modifier de manière substantielle notre Constitution, il est indispensable de modifier son article 2 afin qu’il désigne les langues régionales comme faisant partie intégrante de notre patrimoine commun. Une telle modification de la Constitution ouvrirait la voie à la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signée par le gouvernement de Lionel Jospin.
M. le président. Veuillez conclure…
M. Armand Jung. Mesdames et messieurs, chers amis, aucune langue n’est supérieure aux autres. La richesse de notre histoire commune réside dans la diversité de nos parlers et de nos langues. Reconnaître les langues et les cultures régionales, c’est reconnaître une place à l’autre. Refuser de le faire, c’est prendre le risque d’installer notre pays dans une situation « monolangue ».
M. le président. Je vous prie de conclure !
M. Armand Jung. Je conclus, monsieur le président !
Si je me félicite de la tenue de ce débat à l’Assemblée nationale, je voudrais mettre en garde le Gouvernement contre la tentation de faire miroiter de faux espoirs à nos provinces, sous peine de provoquer la déception, voire la révolte de celles et ceux qui attendent depuis si longtemps que la République reconnaisse leur spécificité linguistique et culturelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
M. le président. Vous devez conclure !
M. Armand Jung. Mais la reconnaissance des langues régionales, monsieur le président, consiste d’abord à prononcer correctement le nom des parlementaires qui siègent dans cet hémicycle !
M. le président. Je vous prie de bien vouloir m’excuser, cher collègue, si j’ai mal prononcé votre nom.
La parole est à M. Yves Censi.
M. Yves Censi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui devant la représentation nationale d’un sujet fondamental : il s’agit de nos langues, que je qualifie de langues patrimoniales de France, et non de langues régionales – concept trop réducteur et dévoyé. En tant que citoyens français – j’insiste sur ce point –, nous avons une responsabilité en matière de langues régionales. C’est une question fondamentale car celles-ci, comme toutes les langues, véhiculent notre pensée : elles sont les premiers supports de notre culture et la première expression de notre identité.
Je le dis d’emblée car je souhaite concentrer mon message sur ce point essentiel, madame la ministre. Quand je parle de pensée, de culture et d’identité, notions auxquelles vous avez toujours été très attachée, je n’évoque ni des particularismes, ni des minorités, ni des comportements confinés à la marge de la France : c’est bien d’identité nationale, de culture nationale et de pensée nationale que je parle.
Mes chers collègues, affirmons haut et fort que la richesse linguistique de la France renforce ce que nous sommes et ce qu’est la République Française. Elle renforce notre identité, non seulement dans notre propre maison – je parle de la France –, mais aussi dans le monde.
C’est pourquoi je remercie M. le Premier ministre et la représentation nationale, en particulier notre collègue Marc Le Fur pour ce débat au sein de notre hémicycle. Il est historique, pas seulement parce qu’il est le premier du genre, mais aussi parce qu’il montre enfin où se situe le vrai sujet. Le vrai sujet, même si cela peut paraître paradoxal à certains, c’est le renforcement de la Nation ; c’est aussi l’affirmation claire de nos valeurs démocrates républicaines ; c’est enfin de dire que ce sont les citoyens de la République Française, tels qu’ils sont dans la splendeur de leur diversité – et non comme certains voudraient qu’ils soient – qui fondent la Nation.
Sur un plan sémantique, chacun sait que les langues de France ont largement contribué à construire le français, défini aujourd’hui dans notre Constitution comme langue officielle de la République. Sans nos langues et cultures patrimoniales de France, mes chers collègues, il n’y aurait pas de français. Sans elles, notre culture se réduirait à un mythe. Sans elles, la Ville de Paris, notre capitale, ne serait plus un formidable lieu de synthèse culturelle, mais une localité qui tenterait d’imposer à tous sa vision.
Notre débat, mes chers collègues, doit nous permettre de sortir officiellement du déni de ce que nous sommes. Il nous faut reconnaître que la diversité de nos accents et de notre vocabulaire quand nous parlons français révèle beaucoup plus que des lieux géographiques ou des points cardinaux. Évoquer un accent du sud est en soi un déni, car il s’agit en réalité de l’accent occitan, provençal, corse, basque ou catalan, c’est-à-dire de la marque d’une langue. Le déni, c’est la haine de soi, laquelle conduit au rejet des autres.
Je me battrai donc, mes chers collègues, pour que demeure cette reconnaissance indispensable, voire vitale, dans une République épanouie. La volonté de nos concitoyens pour apprendre, pratiquer, écrire et chanter nos langues vernaculaires ne cesse de croître, et ce phénomène n’est ni local ni minoritaire. Nous le constatons partout : il s’agit d’un phénomène national.
Ce phénomène, je le dis haut et fort, ne justifie aucune tentation régionaliste. Certains, pourtant très minoritaires, utilisent la défense des langues qu’ils appellent régionales dans leur combat pour le régionalisme, le séparatisme, voire les nationalismes, et donc l’affaiblissement de notre République. Cette confusion, ces amalgames conduisent à une impasse et ne peuvent que nuire à l’aspiration légitime des Françaises et des Français à vivre avec leurs langues de France. Je les invite à relire le manifeste occitan et antirégionaliste de Félix Castan, que je me plais à citer dans cette enceinte. D’ailleurs, en tant que député de la Nation, occitan, parlerai-je de la langue de la région Midi-Pyrénées, ou de l’une des sept autres régions, où la « lango nostro » trouve ses origines ? En bref, je dis oui aux langues patrimoniales de France, mais non à la confusion sémantique contenue dans l’expression « langues régionales ».
À l’opposé, il existe des intégristes « anti-langues de France », « anti-France » devrais-je dire, et qui, depuis plusieurs décennies, utilisent les failles de notre législation pour imposer une lecture fausse et uniforme de la culture de France.
Vous l’aurez compris, l’un et l’autre se nourrissent de leurs sophismes et de leurs doctrines sectaires. Renvoyons-les dos à dos et anéantissons ce faux clivage, contraire à l’esprit de notre République et aux aspirations de nos concitoyens.
Ce débat a pour but de nous apporter des éclaircissements, mais il doit aussi nous permettre d’agir. Il nous appartient de définir dans la loi ce qu’est une « langue patrimoniale de France », et d’en préciser la liste. Nous devons le faire en considérant la langue elle-même, et non les territoires ou, pour m’exprimer comme les monarques de l’Ancien Régime, les provinces.
Modifions la loi Toubon en y ajoutant la référence aux langues patrimoniales de France, ce qui supprimera certains freins au déploiement naturel de nos langues. Ce sera un très grand progrès pour notre pays.
Enfin, madame la ministre, j’attire votre attention et celle du Gouvernement sur l’intérêt des méthodes d’enseignement dites par immersion. Cette expérience grandeur nature mériterait une évaluation, ce qui nous permettrait de constater que les enfants ayant bénéficié de cette pratique ont un niveau de français très sensiblement supérieur à celui de leurs camarades ayant reçu un enseignement classique. Je vous le demande donc officiellement : l’État doit procéder à une expertise, et je suis certain que celle-ci confirmera mes propos.
En conclusion, je dirai : vive l’occitan, vive les langues patrimoniales de France, vive le français, et vive la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. Alain Rousset.
M. Alain Rousset. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur ce qui a déjà été dit, et mieux que je ne saurais le faire.
Le constat que nous pouvons faire à ce moment du débat, c’est que le Gouvernement doit surmonter l’obstacle constitutionnel, ce qui constituera la base sur laquelle nous pourrons progresser – faute de quoi nous en resterons au stade du discours. Pourtant, nous pouvons d’ores et déjà avancer, avec les collectivités locales notamment. En Aquitaine, grâce à la convention spécifique du Pays basque, nous disposons, monsieur le maire de Bayonne, d’un outil sans précédent qui nous permet de mener des expérimentations. Il conviendrait d’élargir ce dispositif à d’autres régions, mais nous pouvons déjà avancer en la matière.
Cela suppose aussi, madame la ministre, que votre collègue de l’éducation nationale – et nous regrettons qu’il n’assiste pas à ce débat – réfléchisse avec les collectivités au meilleur moyen d’informer les élèves et leurs familles que l’enseignement de l’occitan, du basque, du breton, de l’alsacien, du corse ou d’autres langues régionales, est possible. Faute de quoi, nous allons assister à un foisonnement d’initiatives familiales, conformément à ce que nous connaissons déjà. L’enseignement public doit prendre l'initiative en matière d’information et de moyens éducatifs, ce dont nous ne disposons pas totalement aujourd’hui. Je pense, par exemple, à la ville de Périgueux où, au moment de passer le baccalauréat, certains élèves se sont aperçus qu’il y avait un enseignant capable de dispenser des cours d’occitan.
Je vous livre la réflexion que nous menons aujourd’hui sur les médias, domaine dont vous avez aussi la charge, madame la ministre. France 3 a un défi à relever avec les régions, et nous sommes prêts à nous y associer, pour ce qui concerne la diffusion de la langue. Et, à cet égard, nous sommes mauvais, voire très mauvais.
M. Marc Le Fur. C’est, hélas, vrai !
M. Alain Rousset. Les régions Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées et Aquitaine ont lancé un certain nombre d’expériences, mais cela reste extrêmement difficile, sauf à se borner à rediffuser quelques émissions.
Je ferai deux suggestions, madame la ministre.
D’abord, les régions sont prêtes, avec d’autres collectivités, à créer un conseil national et régional des langues régionales, en vue de disposer d’un lieu partenarial pour débattre de ces questions. Car, n’en doutons pas, le défi à relever n’est plus celui de l’identité nationale – cela a été démontré –, mais celui de l’achèvement de la décentralisation. Si la bataille pour les langues régionales est aussi difficile à mener en France, il en va de même pour la décentralisation. Le blocage jacobin est dans notre pays d’ordre culturel et lié à des peurs. Il en est de même pour ce qui concerne les langues régionales.
M. Jean Lassalle. C’est vrai !
Mme Marylise Lebranchu. C’est très juste !
M. Alain Rousset. La deuxième bataille à mener est celle de la francophonie. Avant de participer aux fêtes du 400e anniversaire de la découverte de Québec, j’ai lu, dans un article écrit par un géographe québécois, que nous étions de 178 millions à 200 millions de locuteurs français dans le monde et que l’avenir de la francophonie se situait aujourd’hui en Afrique. Dans cette perspective, nous pouvons être de 600 à 800 millions de locuteurs français. Le défi à relever passe par le codéveloppement avec l’Afrique. Vous devez, madame la ministre, vous saisir de ce défi avec l’ensemble du Gouvernement.
Nous avons un autre défi à relever à l’intérieur même de nos frontières : celui de la lutte contre l’illettrisme.
M. Jean Lassalle. En effet.
M. Alain Rousset. Je suis persuadé que, si nous mettons tous nos efforts en commun, État et collectivités locales, pour lutter contre l’illettrisme dans notre pays, le français peut aussi beaucoup progresser. (Applaudissements sur divers bancs.)
M. le président. La parole est à M. Jean Lassalle.
M. Jean Lassalle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lorsque je suis entré à l’école primaire, à l’âge de six ans, j’avais appris le béarnais et je ne connaissais pas un mot de français. J’ai fait ce que j’ai pu et je suis très fier d’avoir appris tant bien que mal le français. Lorsque des centaines de milliers de jeunes gens sont partis de la gare de Bayonne, monsieur le maire, ou de celle de Pau, pour devenir, il y a un peu moins d’un siècle, les héros anonymes du Chemin des Dames, ils parlaient beaucoup mieux le basque et le béarnais que le français. Pourtant, ils ont tout donné pour que nous soyons aujourd’hui ceux que nous sommes devenus.
Madame la ministre, l’ouverture d’un tel débat dans notre assemblée est un moment historique. J’espère que nous ne décevrons pas les espoirs qu’il fait naître partout dans notre pays.
On peut ressentir la même émotion en regardant un paysage familier, en s’attablant devant un fromage qui l’est tout autant ou en parlant une langue qui a toujours été celle de vos pères. Ce petit frisson sur l’échine, on le ressent aussi en écoutant, dans un stade, monter des chants d’encouragement prononcés dans toutes les langues de notre pays. On ressent ce même frisson en entendant chanter la Marseillaise, lorsque les diables tricolores entrent sur le terrain. J’ai compris que tout cela n’était que mésentente entre les hommes qui peuplent notre pays, lequel est pourtant, aujourd’hui, le plus avancé dans l’histoire de l’humanité.
De la même manière que l’on peut apprécier un paysage ou un mets, on doit pouvoir reconnaître ce que les langues, les identités, les cultures et l’histoire nous ont donné, partout dans notre pays. Je remercie Marc le Fur pour sa constance, Daniel Poulou et François Bayrou pour leur présence, et que je tenais à citer. Je remercie, enfin, toutes celles et tous ceux qui luttent en faveur des langues régionales.
Si nous parvenons à modifier l’article 2 de la Constitution, la caisse d’allocations familiales de Pau ne pourra plus dire qu’elle ne peut pas ouvrir une crèche en vallée d’Ossau parce qu’on risque d’y apprendre l’occitan !
M. Yves Censi. Eh oui ! Cela existe !
M. Jean Lassalle. Elle le fera en toute sérénité, parce que le danger que court la France aujourd’hui est ailleurs. Ce danger, contre lequel, ensemble, nous défendons notre pays, c’est qu’on ne parle plus le français à l’extérieur de nos frontières. Le français est en train de s’écrouler, comme les langues régionales ont commencé de le faire il y a cinquante ans. Il faut que nous nous unissions pour le défendre, tout en parlant toutes nos langues.
Un autre danger réside dans le fait que, déçus par les espoirs qu’avait fait naître un objectif semblant à portée de main, des nationalistes furieux se relèvent demain comme ils le firent naguère pour ensanglanter à nouveau nos pays qui n’aspirent qu’à la paix. (Applaudissements sur divers bancs.)
M. Paul Giacobbi. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Michel Liebgott.
M. Michel Liebgott. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, je vais, moi aussi, contribuer à la diversité de notre débat, en vous parlant du francique, qu’il s’agisse du francique mosellan, rhénan ou luxembourgeois. Je voudrais aborder le francique dans ses différentes dimensions : historique, linguistique, culturelle, politique et économique. Je rappelle que le francique n’est pas l’alsacien, même si le droit local rassemble l’Alsace et la Moselle.
J’évoquerai d’abord sa dimension historique. Clovis, premier roi des Francs, et Charlemagne, empereur des Romains, ont eu pour langue maternelle le francique rhénan, car les serments de Strasbourg, prémices du traité de Verdun de 843 ont été rédigés dans cette langue. C’est dire si le francique nous rattache à l’histoire de notre pays et à la formation de notre unité nationale.
S’agissant de sa dimension linguistique, si nombre de mots français sont issus du latin ou du grec, nombreux sont ceux qui proviennent directement ou indirectement du francique. De surcroît, le francique possède toujours localement une grande valeur communicative, la solidarité entre les générations s’exprimant souvent par le biais de ce langage.
Le francique présente également une large dimension culturelle. Les noms des villages et des rues – et, plus généralement, la toponymie – proviennent souvent du francique, ainsi que des mots familiers qui sont prononcés en francique. C’est incontestablement un élément d’identité.
Je tiens à souligner l’importance du francique dans le domaine politique. Étant une langue transfrontalière, le francique est une valeur forte. Si l’Europe est aujourd’hui constituée, elle est aussi faite de diversité. Le francique, parlé par 450 000 personnes, est aujourd’hui la langue nationale du Grand-Duché de Luxembourg – avec la richesse dont atteste son rang de premier pays pour le PIB par habitant ; elle est également parlée dans les Länder allemands de la Sarre, de la Rhénanie-Palatinat, ainsi que dans le Bade-Wurtemberg et dans le pays d’Arlon, au sud de la Belgique. L’Europe s’est donc aussi construite autour de cette variété linguistique.
J’évoquerai enfin la dimension économique du francique. Avec la disparition des frontières, les travailleurs se déplacent sans limites et, aujourd’hui, ce sont plus de 100 000 Lorrains qui vont quotidiennement travailler au Luxembourg, évitant ainsi à la région Lorraine de connaître une situation bien plus catastrophique, son taux de chômage étant à peu près similaire au chiffre national. Je signale au passage que, depuis 1984, le francique est la langue nationale du Luxembourg.
Si nous sommes réunis aujourd’hui, c’est parce que nous ne voulons plus être stigmatisés, et nous souhaitons que ce débat marque un commencement et non une fin. Faisons en sorte que plus jamais des arrêtés fixant les programmes d’enseignement – comme ceux du 20 mars et du 25 juillet 2007 – pour le palier 1 du collège et pour l’école primaire, « oublient » que les langues régionales d’Alsace et des pays mosellans existent et sont encore largement pratiquées. Car, si on les oublie aujourd’hui, qu’en sera-t-il demain lorsque ceux qui les parlent auront peu à peu disparu ?
Je ne puis donc qu’appuyer la volonté exprimée par nombre de mes collègues de voir rapidement modifier l’article 2 de notre Constitution. Les lois qui en découleront pourront être appliquées en toute liberté, sans attenter à l’unité de notre pays, qui n’a rien à redouter de la richesse née de sa diversité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
M. le président. La parole est à Mme Muriel Marland-Militello.
Mme Muriel Marland-Militello. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis très heureuse de pouvoir aujourd’hui m'exprimer sur le sujet des langues régionales. J'ai également le plaisir d'associer à ces propos notre premier questeur, M. Richard Mallié.
Stendhal écrivait : « Le premier instrument du génie d'un peuple, c'est sa langue. » Le débat qui nous réunit cet après-midi m’évoque à une boîte de Pandore qu'il convient d’ouvrir avec la plus grande prudence. L'enjeu sous-jacent n'est pas mince : il s'agit de notre unité nationale. Ne l'oublions pas !
Si, comme le dit Ernest Renan, « l'existence d'une nation est un plébiscite de tous les jours », je suis persuadée que, dans notre État unitaire et décentralisé, la langue est l’un des ingrédients les plus importants qui composent notre nation. Ouvrir cette boîte de Pandore, même dans des conditions de sécurité adéquates, demande du courage. À ce titre, je tiens à vous féliciter, madame la ministre, d'avoir permis ce débat, qui me concerne tout particulièrement en tant que Française, niçoise et élue des Alpes-Maritimes.
Je tiens d’abord à rappeler devant la représentation nationale que la langue française est l'âme de la France, et qu’elle doit le rester. Notre langue commune participe de notre identité commune. À ce titre, je suis opposée à ce que les langues régionales ou minoritaires deviennent des langues officielles de la République au même titre que le français. C'est pourquoi, outre les problèmes de coût que cela poserait, je trouve inutile de rendre obligatoire la traduction en langues régionales des lois et des actes des collectivités territoriales.
Mme Gabrielle Louis-Carabin et M. Marc Le Fur. Nous n’avons jamais demandé cela !
Mme Muriel Marland-Militello. L'enseignement de la langue française, fruit d'un métissage et d'une histoire multiséculaires, doit rester seul obligatoire. Les actions de Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale, en faveur de la maîtrise de la langue française à l'école, vont dans le bon sens. Car comment peut-on s'intégrer et trouver sa place dans une société dont on ne maîtrise pas la langue commune ?
Néanmoins, et c'est bien l'objet de mon intervention, cette nécessaire unité linguistique ne s'oppose pas à une meilleure reconnaissance de nos langues régionales. Et, en la matière, des progrès restent à faire.
Nos langues régionales sont l’esprit et la culture de nos régions. À ce titre, elles font partie intégrante de notre patrimoine culturel français. Et nous avons tout lieu de nous réjouir de l’intérêt des jeunes générations pour ce patrimoine.
C’est pourquoi le problème essentiel est à mes yeux celui de la transmission des langues régionales. Chaque élève qui veut apprendre la langue régionale de son territoire et se familiariser ainsi avec cette culture doit pouvoir le faire. Et, pour cela, la priorité est de former et d’affecter un nombre suffisant de professeurs dans ces langues.
Pour être légitimée, les langues régionales doivent être reconnues par l’État, et l’une des formes de cette reconnaissance est le diplôme. Avec Christian Kert, nous posons donc la question : pourquoi n’y a-t-il pas d’agrégation de langue d’oc, alors qu’il en existe pour toutes sortes de langues peu parlées, et qui ont peut-être donné moins de poètes ? Cet enseignement devrait s’effectuer dans le respect des variétés dialectales de Provence, de Languedoc, de Limousin, d’Auvergne, de Béarn et de Gascogne. C’est cela, la multiplicité des cultures, qui fait que chacun, étant reconnu pour ce qu’il est, accepte les autres. Autre signe de reconnaissance : sans être nécessairement obligatoire, cet enseignement devrait être inclus dans les horaires normaux ; et la répartition au sein de chaque région devrait être équitable. À cet égard, l’enseignement du nissart est un peu défavorisé.
À nos yeux, il s’agit donc moins d’un problème constitutionnel qu’une question de moyens financiers et d’organisation de l’enseignement.
M. le président. Il vous faut conclure, chère collègue !
Mme Muriel Marland-Militello. Depuis le rapport Poignant de 1998, resté lettre morte, plus aucun état des lieux sur les langues régionales n’a été réalisé. Dix ans après, un nouveau rapport serait le bienvenu pour nous suggérer des propositions concrètes. En revanche, une modification constitutionnelle ne me paraît nullement requise. Une loi suffira.
Et si je devais résumer ma position d’une formule, je dirais : « Une langue pour notre nation, des langues pour nos régions ! »
M. Christian Kert et M. Jean-Philippe Maurer. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi.
M. Paul Giacobbi. Monsieur le président, mes chers collègues, depuis 2002, à chaque révision de la Constitution, nous avons eu dans cette assemblée un débat incident sur les langues de France.
M. Marc Le Fur. Tout à fait.
M. Paul Giacobbi. À chaque fois, les mêmes contrevérités ont été réitérées. Je me réjouis aujourd’hui de voir que ceux qui s’opposent aux langues régionales avec acharnement évitent au moins la récidive – par leur absence !
M. Marc Le Fur. Très bien !
M. Paul Giacobbi. Les langues régionales sont bien des langues, c’est ce qu’affirment les linguistes. Claude Hagège et bien d’autres reconnaissent ainsi la qualité de langue au corse, au picard ou au breton, sans évoquer le basque ou l’occitan.
La République n’est pas menacée dans son unité par une ratification de la Charte européenne des langues régionales alors même que l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la Hongrie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède et, bien entendu, la Suisse l’ont ratifiée depuis longtemps sans en avoir en aucune manière souffert.
L’actualité olympique nous rappelle que la France mène dans le monde une action exemplaire pour défendre les langues minoritaires, en particulier du tibétain au Tibet. Nous devrions peut-être nous en inspirer. Ainsi, les mêmes qui moquent les langues minoritaires veulent imposer à la République populaire de Chine que le tibétain soit enseigné, qu’il constitue une langue officielle des services publics et de l’administration. Non seulement ils n’ont jamais mis les pieds dans la région, mais ils ignorent que le tibétain n’est pas employé dans les prières, qui sont psalmodiées en sanskrit !
Rappelons-nous qu’il a fallu très longtemps pour que le français prenne une valeur de langue officielle : au moins sept siècles, entre les serments de Strasbourg en 842 à l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539. Jusque-là, le français n’était pas reconnu comme une langue, mais comme une corruption fautive du latin, voire comme un parler barbare.
Aujourd’hui, dans le monde, le français s’efface. Il disparaît ou s’affaiblit même dans nos anciennes possessions. Il est marginalisé dans les organisations internationales où il représente au mieux le dixième de l’anglais et où est utilisé contre lui le même argument que celui qu’emploie M. Warsmann à propos des langues régionales : la traduction coûte cher. Moyennant quoi on ne traduit plus à l’ONU, sauf de manière marginale, grotesque.
Dans bien des domaines essentiels, des sciences au droit et même dans les humanités, le français recule au point que, même en France, il n’est plus possible d’accéder à un certain niveau professionnel, scientifique ou universitaire, sans maîtriser l’anglais. En réalité, insensiblement, ce qui arrive aujourd’hui au français sur le plan international ressemble à s’y méprendre à ce qui est arrivé à nos langues régionales au fil des siècles.
Tout montre que les langues régionales agonisent en France. Mais, en ce domaine, rien n’est irréversible. Les langues peuvent renaître ou retrouver vie par la reconnaissance, voire l’officialisation. L’hébreu, le norvégien et bien d’autres langues ont été exhumées, adaptées au monde moderne, et manifestent vigueur et succès aujourd’hui.
Le français lui-même a besoin de se régénérer par ces différences, par la confrontation. Ce n’est pas par hasard si beaucoup de nos grands écrivains, de François Villon à Victor Hugo, n’ont pas négligé d’étudier et d’admirer les parlés différents, jusqu’à l’argot, tant méprisé par nos élites, mais tant apprécié des plus grands créateurs de la langue française. L’un des derniers textes que j’ai lu en en français – il faut le citer car, de nos jours, le bon français, le vrai français, constitue une extrême rareté – est le manifeste du collectif « Qui fait la France », preuve que la pratique de l’argot des banlieues n’empêche pas de parler français, le vrai français, voire de proclamer son amour de la France.
La globalisation linguistique nous conduirait non pas à une « super-langue » très élaborée, mais au contraire à un « basic globish », sorte de volapük utilitaire et acculturé.
Ce débat devrait donc être le dernier, au moins sur les principes. Nous devons trancher, en repoussant toute hypocrisie et tout faux-semblant : soit la majorité de cette assemblée accepte les langues régionales et minoritaires, comme l’ont fait la plupart des grandes nations du continent européen, et on règle le débat constitutionnel en acceptant d’inclure un article dans la révision à venir ; soit on refuse purement et simplement de reconnaître nos langues régionales, et la France revient sur sa signature de la Charte européenne des langues minoritaires.
M. le président. Il va falloir conclure…
M. Paul Giacobbi. Je vais conclure, monsieur le président.
À cet égard, il faut être précis sur le plan constitutionnel. Même s’il est allé bien au-delà de la doctrine, le Conseil constitutionnel a posé un obstacle. Le débat de ce jour n’a de sens que si le Gouvernement s’exprime ce point : allons-nous, oui ou non, modifier notre Constitution pour nous permettre de ratifier la Charte ? Allons-nous adopter le modèle turc ou nous inspirer de l’exemple donné par la quasi-totalité des pays de l’Union européenne ? C’est la seule question qui vaille. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Domergue.
M. Jacques Domergue. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, je suis très heureux qu’un tel débat soit organisé aujourd’hui. Les difficultés que j’ai eues pour m’inscrire prouvent d’ailleurs qu’il suscite le plus grand intérêt.
Né à Perpignan, j’ai parlé le catalan dans mon enfance. J’ai donc eu très tôt la possibilité d’apprécier les nuances de cette langue, sa sensibilité et ses spécificités – au point que certains mots ne peuvent être traduits en français. Cet acquis du plus jeune âge représente à mes yeux une richesse incontestable pour un individu.
Aujourd’hui député de l’Hérault, je suis confronté au problème de l’occitan. J’ai découvert l’occitan au travers des radios associatives, très actives dans notre région, mais également des écoles « calendrettes ». J’ai eu la chance d’en visiter une la première année de mon mandat, un de ses élèves ayant été élu au Parlement des enfants. J’étais auparavant convaincu qu’au XXIe siècle, à l’heure de la mondialisation, il ne pouvait y avoir de place, en matière de contact humain, que pour l’internationalisation, et que seul l’anglais était à même de permettre de communiquer sur cette planète. À quoi bon, dès lors, apprendre une langue régionale ? Mais, en visitant cette école, en discutant avec les enseignants, les parents et les enfants eux-mêmes, j’ai pris conscience de la richesse acquise par ces derniers. Cet apprentissage avait ouvert, dans leurs cerveaux, des portes qui seraient restées fermées en d’autres circonstances. En outre, cet acquis leur donnera un accès à d’autres langues, dont l’anglais.
Ce retour aux langues régionales, à l’heure de la mondialisation, n’a donc rien de réducteur. Au contraire, notre patrimoine constitue un socle solide sur lequel s’asseoir afin d’affronter les réalités du monde moderne.
En 2004, le président de la région Languedoc-Roussillon, Georges Frêche, a voulu changer le nom de la région en Septimanie. S’il a échoué, c’est uniquement parce qu’il a traité le catalan de patois. Cette insulte, ce mépris manifesté à l’égard des Catalans et des Languedociens ont provoqué une levée de bouclier dans la région.
Il est bien entendu hors de question de mettre en danger l’unité nationale et la force du français. L’apprentissage des langues régionales n’est d’ailleurs pas incompatible avec la promotion de la francophonie, bien au contraire. Mais il faut savoir ce que nous voulons, madame la ministre. Si nous voulons éveiller l’esprit des Français, faire en sorte que chacun puise sa force dans ses propres racines, il est indispensable de faire figurer les langues régionales à côté de notre langue maternelle, le français. Si certains voulaient saisir l’occasion pour mettre en péril l’unité du pays au nom des particularismes régionaux, je comprendrais que s’expriment des réticences. Mais la solution proposée par le président de la commission des affaires sociales me paraît raisonnable. Elle représente une façon de promouvoir les langues régionales sans mettre en danger l’unité nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. Simon Renucci.
M. Simon Renucci. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, avec la majorité des collègues du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et apparentés, nous avons au début de l’année déposé une proposition de loi constitutionnelle tendant à la reconnaissance des langues régionales. Elle visait à compléter le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution par ces simples mots : « dans le respect des langues régionales qui font partie de notre patrimoine » afin de permettre la ratification par notre pays de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Mais que de réticences et de résistances à ces quelques mots !
Depuis l’édit de Villers-Cotterêts de 1539, qui consacre le français comme la langue officielle de la France, le pouvoir politique, quels que soient le régime et la tendance en place, a fait en sorte qu’il devienne la seule langue de France. Les grands événements de notre histoire, tels que la Révolution, ou la perte de l’Alsace et de la Lorraine en 1870, ont forgé un triptyque indissociable : langue, État, nation.
Il est incontestable que la République a accompli une œuvre considérable : la maîtrise de la langue française par le peuple a ainsi joué un rôle déterminant dans le recul des obscurantismes et de l’ignorance. Mais faut-il pour autant occulter les réalités culturelles et linguistiques de nos régions, au prix de la disparition de certaines d’entre elles ?
Le temps est désormais venu pour que notre pays réévalue la situation. En France métropolitaine – d’autres parleront bien mieux que moi de la situation dans les DOM-TOM –, trente langues survivent et se côtoient : l’alsacien, le breton, le champenois, le corse, le flamand, le lorrain, le picard, pour n’en citer que quelques-unes. Dans les régions concernées, souvent transfrontalières, le bilinguisme est vécu comme une richesse partagée, dans le respect d'un passé singulier, d'une histoire particulière, qui fondent, par consentement mutuel, l’idée d’égalité.
Au plan européen et international, nous nous battons, avec raison, pour sauver le plurilinguisme dans les institutions et notamment pour que le français, face aux attaques continuelles de l'anglais, reste une langue officielle. Il faut, c'est évident, que les représentants de chaque pays européen parlent leur langue d'origine pour être compris de leurs concitoyens.
Si nous sommes si attachés au plurilinguisme européen et international, pourquoi, dans un souci de cohérence, ne pas le reconnaître en France ?
M. Paul Giacobbi. Très bien !
M. Simon Renucci. Ce principe, en effet, ne saurait s'arrêter aux frontières.
Depuis Prosper Mérimée, nous avons pu concevoir la sauvegarde d'un patrimoine matériel, renforcé et reconnu par la loi Malraux, mais qu'en est-il des langues et des cultures comme patrimoine vivant à préserver ? Que faire ? En Corse, la loi du 22 janvier 2002 – fruit du processus de Matignon cher à Lionel Jospin – a confié à l'Assemblée de Corse le soin d'élaborer un plan de développement de la langue et de la culture corses. Sont entre autres proposés trois heures hebdomadaires d'enseignement à tous les niveaux, la généralisation du bilinguisme à l'école maternelle, la création d'au moins un site bilingue du premier degré par secteur de collège. Ce plan s'est élaboré dans un cadre conventionnel et partenarial avec l'État. Ce sont ces expériences que notre droit positif doit entériner. La Charte n'est qu'une consécration. Nous devons, enfin, adopter ces quelques mots adossés à notre Constitution, que chacun de nous égrène : « dans le respect des langues régionales qui font partie de notre patrimoine ».
Je suis convaincu comme le professeur Cerquiglini que l'objet de ce débat n'est pas la langue elle-même, mais les représentations liées à la langue. La France n'est pas menacée par les identités régionales. N'ayons pas peur !
J'ai toujours défendu les langues et la culture régionales. Une langue ne se réduit pas au nombre de locuteurs. Elle appelle le partage comme le pain. C'est une richesse commune.
J'ai vécu mon enfance à Cozanno, un village du sud de la Corse, dans la vallée du Taravu. On y parle le corse, celui du lien dans la vie quotidienne. Ma mère, une institutrice du style « IIIe République » nous apprenait le français, clef des sciences et de l’instruction. J'ai grandi dans cette même appartenance, où, dans un village corse, au fronton de l'école de la République, je lisais nos principes : la liberté de mes origines, l’égalité de mes droits, la fraternité entre tous. Cela, je le pense, ne m’a pas nui.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Simon Renucci. Je suis convaincu, madame la ministre, qu'en intégrant dans notre ordre la Charte des langues régionales et minoritaires vous rendrez nos identités plus riches, les Français plus ouverts, notre pays plus grand et, au fond, plus généreux.
Nos langues régionales sont les saveurs et les couleurs de la France, sa vérité et son authenticité.
Sur le plan symbolique, pour nos régions, la France est la mère Patrie. Alors, comme en Corse, disons : « O Ma, parla mi corsu ! » – « Maman, parle-moi Corse ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, l’occasion nous est donnée aujourd’hui de débattre des langues régionales. Cette volonté du Premier ministre est, pour nous, un premier pas vers leur reconnaissance. En effet, elles ont été trop longtemps méprisées ou ignorées par notre nation, qui prône, par ailleurs, la diversité culturelle dans le monde. Cette initiative du chef du Gouvernement est aujourd’hui à souligner. Des collègues comme Marc Le Fur, Camille de Rocca Serra et d’autres nous ont bien aidés en la matière.
Trop souvent, le débat sur les langues régionales se révèle réducteur, victime d’une méconnaissance qui confine à la caricature. Non, l’attention et l’encouragement à une meilleure connaissance de ces langues ne sont pas une atteinte à l’unité de la République.
Trop longtemps, l’unicité d’une langue – le Français – a été confondue avec l’unité de la République.
Dans un autre domaine, l’étude des langues régionales ne conduit pas à un affaiblissement du français, bien au contraire. En effet, leur enseignement, selon les deux modalités que sont l’immersion – souvent dans des écoles associatives – ou le bilinguisme – dans l’éducation nationale –, conduit aux résultats suivants : les évaluations nationales faites en français et en mathématiques sont, en moyenne, supérieures à celles des élèves monolingues et les bénéfices pour l’apprentissage d’autres langues sont démontrés.
M. Marc Le Fur. C’est très vrai !
M. Alain Marc. J’évoquerai ici les chiffres disponibles pour l’académie de Toulouse et l’enseignement de l’occitan en 2007 : 1 780 élèves suivent leur scolarité en section bilingue, 600 en immersion dans les calandretas ; plus de 40 000 élèves suivent un enseignement extensif de la langue, c’est-à-dire une sensibilisation avec, en moyenne, une vingtaine de séances par an. Une thèse soutenue par une étudiante de troisième cycle, fin 2007, à l’Université de Toulouse II-Le Mirail, souligne le développement des compétences métalinguistiques par les élèves suivant cet enseignement, lesquelles permettent des résultats supérieurs aux évaluations régionales et nationales en français, en mathématiques et en langues étrangères. On pourrait objecter que ce sont les catégories socioprofessionnelles dites supérieures qui suivent cet enseignement. Eh bien, non ! les CSP sont identiques à celles des enfants suivant un enseignement monolingue.
Je me permettrai de faire une citation à portée générale qui date de 1995 : « Le souci de veiller à la préservation du patrimoine national dans l’expression de sa diversité, ainsi que la nécessité de maintenir l’identité culturelle à l’intérieur de la communauté nationale m’amènent à réaffirmer l’engagement de l’État en faveur de cet enseignement. » Savez-vous qui est l’auteur de ces propos ? Xavier Darcos, alors directeur du cabinet du ministre de l’éducation nationale. Cette citation est tirée d’une circulaire qui a permis des progrès notables de cet enseignement dans nos régions. Mais nous savons aussi le peu d’empressement, voire le refus tacite ou explicite, de certains recteurs d’académie à l’appliquer.
Outre l’enseignement, les aspects culturels ne doivent pas être négligés. Pourquoi la signalétique de nos villes et de nos villages ne serait-elle pas bilingue ? Pourquoi occulterions-nous dans nos manuels d’histoire ce que nous fûmes ? Eh bien, oui ! les troubadours s’exprimaient en occitan ! Pourquoi ne pas être fiers de l’apport de ces cultures à la France ? Pourquoi la modeste part accordée aux langues régionales sur les ondes de l’audiovisuel public doit-elle toujours être l’objet d’âpres négociations ?
Aujourd’hui, la nation française n’a plus à craindre de ses langues régionales. Leur place doit être clairement affirmée par la représentation nationale, et ce par une loi pour prolonger ce débat et inscrire dans le marbre leur reconnaissance.
Comme vient de le souligner un orateur, ce moment est historique. Il nous faut une loi, sauf à ce que la France, qui perd chaque jour un peu de sa substance en laissant s’affaiblir nos langues et nos cultures régionales, s’affaiblisse elle-même.
Ensemble, légiférons, musclons nos cultures régionales diverses, et notre culture française, dans sa diversité, sera, elle, plus forte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Simon Renucci. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Lou Marcel.
Mme Marie-Lou Marcel. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, trente et un départements français, peuplés de 15 millions d'habitants, appartiennent linguistiquement à l'Occitanie.
Si le nombre des locuteurs quotidiens représente aujourd'hui moins de 10 % de cette population, la compréhension de la langue existe pour 20 %.
Toutes les enquêtes, même pour des régions d'Occitanie éloignées de son cœur historique, telle l'Auvergne, démontrent qu'une large majorité de cette population est favorable au maintien et au développement des efforts tendant à propager l'enseignement de la langue et son utilisation dans les médias, la vie quotidienne, les créations artistiques et littéraires. À Béziers, au printemps 2007, une manifestation à l’appel de l’ensemble des associations occitanes a réuni plus de plus de 20 000 personnes, parmi lesquelles une majorité de jeunes et de nombreux élus de tous bords politiques.
M. Yves Censi. J’y étais !
Mme Marie-Lou Marcel. Une dynamique s'est créée, malgré le recul de la transmission familiale d'une langue et d'une culture séculaires.
Des troubadours du XIIIe siècle à Frédéric Mistral, prix Nobel de littérature en 1904, cette langue a nourri de prestigieuses créations poétiques diffusées dans l'Europe entière, tout en continuant à dire dans les moindres chaumières « l'eau, le vent, le travail et l'émotion des hommes », comme l'écrit si bien Claude Marti.
Aujourd'hui plusieurs dizaines de milliers d'écoliers, de collégiens et de lycéens apprennent la langue et, à côté des calandretas, qui pratiquent une immersion approfondie, se sont ouvertes des classes bilingues. Enfin, de nombreux adultes, soucieux de retrouver leurs racines ou d'acquérir par ce biais une meilleure intégration dans leur pays d'adoption, peuplent les cours dispensés par l'Institut d'études occitanes.
Eu égard à cette réalité et au péril toujours présent de l'extinction, la législation française souffre d'un retard incompréhensible à l'échelle de l'Europe. En effet, dans cet espace, depuis des décennies, le statut des nombreuses langues dites « régionales » bénéficie d'une reconnaissance et d'une protection officielles sans dommage pour l'unité et pour la croissance des nations. Certes, en des temps révolus, certains ont pu craindre qu'une protection des langues régionales ne porte atteinte à la cohésion de la nation française. Mais on peut observer que nous devons à des instituteurs publics la rénovation et l'application pédagogique de la langue d’oc. Citons, pour nous en tenir aux seuls Occitans, les Languedociens Antonin Perbosc et Prosper Estieu. Le provençal Célestin Freinet n’a pas, quant à lui, hésité à utiliser l'occitan dans ses méthodes de pédagogie active si novatrices et universellement saluées. La défense de l'occitan ne menaçait en rien l'unité nationale, mais apportait au contraire aux jeunes citoyens, outre un complément de formation et une connaissance de leurs racines, une ouverture aux autres langues latines et un message de fraternité à l'égard des peuples du monde entier. C'est la loi du 11 janvier 1951, rapportée par Maurice Deixonne, député socialiste du Tarn, qui rend possible l'enseignement des langues régionales dans les écoles de la République. Ce sont les circulaires des ministres socialistes de l'éducation nationale Alain Savary, en 1982, et Lionel Jospin, en 1990, qui encouragèrent la diffusion de cet enseignement, la création en 1992 du CAPES d'occitan venant consolider ces mesures.
M. Alain Marc. Vous oubliez Xavier Darcos !
Mme Marie-Lou Marcel. Et ce sont des régions socialistes – Aquitaine, Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon – qui ont voté récemment des plans de développement de la langue et de la culture occitanes (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire)…
M. Yves Censi. C’est faux ! Il y en avait avant dans les Pyrénées !
Mme Marie-Lou Marcel. Ce que je dis est tout à fait vrai !
Ces régions socialistes ont voté récemment ces plans dans un climat de large majorité transcendant les clivages politiques.
M. Yves Censi. Cela dérape ! Des régions de droite l’ont également fait !
Mme Marie-Lou Marcel. Non, l'apprentissage et la diffusion de l'occitan ne relèvent pas d'un registre de nostalgie ni d'archaïsme ! Les touristes et les hommes d'affaires qui se rendent à Barcelone peuvent observer en direct que l'accès au catalan est immédiat pour tout pratiquant de la langue d’oc ! Ainsi se trouvent vérifiées les intuitions exprimées dès 1911, au cours d'un voyage à Lisbonne, par un grand socialiste, mais aussi un grand penseur reconnu et révéré bien au-delà de notre seule famille politique : Jean Jaurès.
Mme Gabrielle Louis-Carabin. Quelle sectaire !
Mme Marie-Lou Marcel. Il écrit dans La Dépêche du Midi, le 15 août 1911 : « Quelle joie et quelle force pour notre France du Midi si, par une connaissance plus rationnelle et plus réfléchie de sa propre langue et par quelques comparaisons très simples avec le français d'une part, avec l'espagnol et le portugais d'autre part, elle sentait jusque dans son organisme la solidarité profonde de sa vie avec toute la civilisation latine. »
M. le président. Je vous demande de bien vouloir conclure, chère collègue.
Mme Marie-Lou Marcel. Les mesures nécessaires en matière d'enseignement, de diffusion médiatique et d'aide aux créations littéraires et artistiques exigent un préalable très attendu. À cet égard, les parlementaires, Frédérique Massat et Henri Nayrou, estiment comme moi qu'un statut légal est indispensable pour servir de support à cette promotion. C'est pourquoi l’amendement à l'article 2 de notre Constitution, que déposera notre groupe, doit recueillir sur ces bancs l'assentiment le plus large. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, permettez-moi, tout d’abord, de dire combien je me réjouis que, dans cet hémicycle, mon patronyme flamand soit toujours prononcé correctement !
Madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite d'abord exprimer toute ma satisfaction quant à la tenue de ce débat sur les langues de France, le premier de la Ve République concernant cette thématique. Il est donc important que la représentation nationale se penche sur cette composante essentielle de notre société.
En effet, s'exprimer sur les langues patrimoniales, c'est mettre en avant la richesse culturelle de notre pays, c'est promouvoir les particularités qui font la diversité de l'Hexagone, c'est aussi s'intéresser au besoin d'identité et répondre aux attentes des Français, soucieux de retrouver leurs racines.
Naturellement, dans ce souhait de reconnaissance, il n'est pas question, ici, de céder à quelque tentation régionaliste ou intégriste que ce soit. La diversité culturelle et linguistique de la France fait sa richesse et son unité. Les langues régionales participent avec ardeur à la promotion des terroirs locaux, mais aussi au développement économique de nos régions, notamment des zones transfrontalières, puisque les langues dites minoritaires sont autant d’outils d'échanges représentant un atout supplémentaire certain pour l’activité festive et touristique de ces territoires.
Madame la ministre, mes chers collègues, en tant que député des Flandres et plus précisément de Bergues, je souhaite vous dire toute la place que tient le flamand dans le Nord.
Un grand nombre de nos concitoyens le parlent encore et y tiennent plus que tout. Pour eux, ce n’est pas une langue marquant un séparatisme vis-à-vis de la France et du français, mais c’est une langue parlée pour le plaisir, symbolique de l’identité flamande, elle-même composante de l’identité française.
Depuis sa création en 2004, l’Institut de la langue régionale flamande œuvre dans le sens de la promotion et du développement de ce patrimoine. En quatre ans, le nombre d’élèves suivant les cours de flamand dispensés par cette association a été multiplié par cinq. Un centre de ressources documentaires flamand a pu voir le jour à Steenvoorde, grâce à l’action conjointe de l’Institut et de Jean-Pierre Bataille, conseiller régional et maire de la ville. Cet espace est ouvert à tous au sein d’un centre culturel. Dans ma circonscription, plusieurs villages imprégnés de la culture flamande ont opté pour un affichage des plaques de rues dans les deux langues. C’est le cas dans ma commune de Brouckerque, où les lieux-dits ne se prononcent qu’en flamand. Faut-il aussi rappeler la complémentarité entre l’apprentissage de la langue régionale flamande et la pratique du néerlandais ?
Pour accompagner ces initiatives et cet élan, il est nécessaire d’aboutir à une loi qui définirait un cadre et clarifierait la situation actuelle des langues régionales, en reconnaissant la diversité culturelle qu’elles apportent.
Après les premières assises des langues régionales de France en 2003, dont il est urgent d’organiser une seconde session, les associations attendent aujourd’hui une égalité de traitement entre les différentes langues de France, mais aussi une reconnaissance de l’existence des langues régionales « hors les murs » de l’école. Nous attendons un encouragement de l’enseignement bilingue par une adaptation des moyens dans les milieux scolaires et associatifs, et ce de façon concrète. De telles avancées permettraient de valoriser notre patrimoine et donneraient un écho particulier au mot « égalité » de notre devise, inscrite sur les frontons de toutes les mairies de France et énoncée à l’article 2 de notre Constitution, dans lequel est précisé que la langue de la République est le français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme la ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, la vigueur et la conviction, l’inspiration et même la dimension personnelle de nombre d’interventions témoignent de la place qu’occupe dans le débat public la question des langues régionales.
Si la représentation nationale s’en est saisie, c’est que, au-delà du cadre de nos institutions et des milieux spécialisés, elle intéresse, voire passionne l’ensemble des Français. Ils sont en droit d’attendre des réponses claires aux interrogations que certains d’entre vous ont formulées.
Le Gouvernement ne souhaite pas s’engager dans un processus de révision constitutionnelle pour ratifier la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, et tout d’abord pour des raisons de principe.
Vous vous souvenez sans doute que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 15 juin 1999, avait relevé que la ratification de la Charte supposait l’adhésion au préambule de ce texte ainsi qu’aux dispositions générales et à ses objectifs et principes – parties I et II – qui ne sont pas dépourvues de toute portée normative.
La ratification de la Charte implique la reconnaissance, qui n’est pas simplement symbolique, d’un droit imprescriptible de parler une langue régionale, notamment dans la sphère publique. Ce droit figure en effet explicitement dans le préambule de la Charte, ce qui, comme l’a souligné le Conseil constitutionnel, est contraire à des principes constitutionnels aussi fondamentaux que l’indivisibilité de la République, l’égalité devant la loi et l’unité du peuple français.
Les réserves posées par le Conseil vont donc au-delà de l’articulation de la Charte avec l’article 2 de la Constitution, aux termes duquel la langue de la République est le français. Elles engagent ce que l’on peut appeler notre noyau dur constitutionnel, qui interdit de conférer des droits particuliers à des groupes spécifiques et, qui plus est, sur des territoires déterminés. L’expression « minorités linguistiques », qui est souvent employée pour parler de minorités linguistiquement opprimées, ce qui peut exister dans de nombreux pays, me paraît d’ailleurs tout à fait contraire à la philosophie et à la réalité de notre république française.
Par ailleurs, personne ici ne pourrait se déclarer partisan d’une administration nationale et territoriale obligée, dans une région donnée, de s’exprimer aussi dans la langue déclarée langue de cette région, avec des fonctionnaires obligés, pour être recrutés, de maîtriser aussi cette langue afin de faire droit à des revendications légitimées par la Charte. Ce serait pourtant l’une des conséquences possibles de la logique de ce texte.
Mme Marylise Lebranchu. Mais non !
Mme la ministre de la culture et de la communication. Le gouvernement signataire de la Charte en 1999 avait bien conscience de ce risque, qui avait assorti sa signature d’une déclaration interprétative. Mais qui nous assure qu’une autre interprétation ne pourrait en être faite, et puis qui en jugerait ?
Évidemment, vous me direz que nos grands voisins européens, comme l’Allemagne, l’Espagne, la Grande-Bretagne, ont ratifié la Charte.
Mme Marylise Lebranchu. Absolument ! Ils sont modernes, eux !
M. Yves Censi. Vous étiez garde des sceaux à l’époque !
Mme Marylise Lebranchu. C’est Jacques Chirac qui m’a empêché de ratifier !
M. Yves Censi. Comment s’appelait le Premier ministre ?
M. le président. Seule Mme la ministre a la parole.
Mme la ministre de la culture et de la communication. Il faut convenir que la forme de l’État n’y est pas la même qu’en France, ni la place des langues régionales.
La question de la langue a toujours revêtu une dimension particulière dans notre histoire institutionnelle et politique depuis que l’ordonnance de Villers-Cotterêts, en 1539, a imposé au Parlement et aux tribunaux l’usage du français, un peu contre le latin, en effet. Il n’est donc pas étonnant que la langue de la République occupe une place symbolique et particulière dans notre socle de références communes.
D’ailleurs, cette ratification supposerait que soient clairement identifiées les langues auxquelles ce texte a vocation à s’appliquer. En 1999, un groupe de travail piloté par les ministères chargés de l’éducation nationale et de la culture s’était appliqué à les recenser, je l’ai évoqué tout à l’heure. Quelque soixante-dix-neuf langues avaient alors été identifiées, dont trente-neuf outre-mer, sous la dénomination « langues de France ». S’agissant de la France métropolitaine, cet ensemble incluait l’ensemble des langues concernées par la loi Deixonne, basque, breton, catalan, gallo, langues mosellanes, langues régionales d’Alsace et langue d’oc dans ses différentes variétés, auxquelles s’ajoutaient notamment le flamand occidental, le franco-provençal et les langues d’oïl, ainsi d’ailleurs que cinq autres langues parlées par des ressortissants français sur le territoire de la République : berbère, arabe dialectal, yiddish, romani, arménien occidental.
On mesure donc la difficulté pour la France de fixer le périmètre d’application de la Charte, et cela d’autant plus que celle-ci ne fournit pas d’indications sur les critères d’éligibilité, comme le nombre minimum de locuteurs. Le risque de dispersion de l’aide et des moyens serait réel, au détriment des langues les plus représentatives.
Mme Marylise Lebranchu. Bon, on peut rentrer à la maison…
Mme la ministre de la culture et de la communication. La Charte présente par ailleurs la particularité d’être un texte à options. Les États qui y adhèrent s’engagent à respecter, outre les principes et objectifs généraux, au moins trente-cinq des quatre-vingt-dix-huit mesures qu’elle propose.
La France a sélectionné, lors de la signature de la Charte, une liste de trente-neuf engagements et, parmi ceux-ci, figurait l’engagement de rendre accessibles dans les langues régionales minoritaires les textes législatifs nationaux les plus importants, à moins que ces textes ne soient déjà disponibles autrement. Cela représenterait à coup sûr un coût très important pour l’État, avec une obligation de traduction très vaste, proportionnelle au nombre de langues retenu, et cette obligation ne concernerait pas seulement les textes futurs, mais également notre stock législatif, avec un travail forcément subjectif de sélection des textes les plus importants à traduire.
Quant aux collectivités territoriales, elles ne seraient, certes pas obligées de traduire les textes officiels dont elles sont à l’origine, mais leur refus pourrait sans doute être contesté devant les tribunaux sur le fondement de ce droit imprescriptible de parler une langue régionale que reconnaît le préambule de la Charte.
Pour conclure, ratifier la Charte serait contraire à nos principes. L’appliquer serait difficile, coûteux et d’une portée pratique pour le moins discutable. Elle n’apporterait au mieux qu’une réponse symbolique à la question posée, qui, elle, est bien réelle : comment mieux faire vivre les langues régionales dans notre pays ?
Cela dit, notre refus de ratifier n’est pas du tout incompatible avec la promotion et la protection du pluralisme linguistique. Il faut veiller à ne pas opposer les langues régionales à la langue de la République. La singularité française, nous l’avons tous dit, se nourrit de la richesse de nos territoires, et les langues régionales font partie de notre patrimoine commun.
Reconnaître la diversité linguistique, ce n’est pas nécessairement reconnaître des droits spécifiques et imprescriptibles aux locuteurs de ces langues dans la sphère publique. C’est d’abord encourager leur usage, permettre leur enseignement chaque fois que les familles le demandent, favoriser leurs expressions culturelles, artistiques, médiatiques sur tout le territoire.
À cet égard, nous aurions avantage à y voir plus clair sur ce qu’autorise le cadre législatif et réglementaire actuel. Les attendus du Conseil constitutionnel nous montrent la voie. En jugeant que n’était contraire à la Constitution, eu égard à leur nature, aucun des engagements souscrits par la France, dont la plupart, au demeurant, se bornent à reconnaître des pratiques déjà mises en œuvre en faveur des langues régionales, le Conseil nous ouvre une très large marge de manœuvre, et ma conviction est qu’elle est insuffisamment exploitée. En réalité, de nombreuses dispositions législatives existent déjà dans les cinq domaines énumérés par la Charte : médias, activités et équipements culturels, échanges transfrontaliers, justice, autorités administratives et services publics.
S’agissant d’ailleurs de la justice, des autorités administratives et des services publics, je l’ai rappelé, aucune disposition n’interdit à une collectivité locale de traduire ses propres délibérations. Mais ne pas interdire ne signifie pas prescrire ou imposer, et la nuance est importante.
De même, rien ne nous empêche de mettre en valeur les bonnes pratiques et de conforter s’il y a lieu les territorialisations existantes, dans le respect de nos valeurs républicaines. En effet, le principe de la demande des familles étant clairement posé, nous pourrions développer des conventions avec les collectivités locales et les associations, à l’image de celles qui régissent l’enseignement et la promotion de la langue basque dans les Pyrénées-Atlantiques, où a été mis en place un très remarquable office public de la langue basque, qui a été cité.
Si les dispositions légales et réglementaires existent pour favoriser l’apprentissage ou l’usage des langues régionales, il est vrai que l’état du droit en la matière est insuffisamment connu et qu’il constitue souvent un véritable maquis.
Ce dont nous avons besoin, je crois, à ce stade, c’est d’un cadre de référence. Le Gouvernement vous proposera un texte de loi, ainsi que le Président de la République en avait émis l’idée lors de la campagne électorale. Ce texte pourra récapituler l’existant et entrer dans le concret, pour reprendre l’expression de M. Le Fur, dans le domaine des médias, et ont d’ailleurs été évoqués des problèmes aussi précis que le passage de l’analogique au numérique ou des télévisions en langue régionale, dans le domaine de l’enseignement bien sûr, de la signalisation ou encore de la toponymie. Ce projet devrait vous être présenté assez rapidement.
Voilà, mesdames, messieurs, l’approche du Gouvernement pour accroître la place des langues régionales sur notre territoire et garantir à terme leur vitalité. Il s’agit en fait de permettre et non pas de contraindre, d’inciter, de développer et non pas d’imposer. Il s’agit d’ouvrir un espace d’expression plus large à d’autres langues historiquement parlées sur notre territoire, en bref de favoriser vraiment l’exercice d’une liberté d’expression.
Cette liberté, nous la garantirons avec le souci de respecter les principes de nos textes fondamentaux et le rôle primordial du français, notamment en matière d’apprentissages. Le Premier ministre l’a rappelé dans le rapport au Parlement sur l’emploi de la langue française, notre langue commune est au plus profond le lien qui nous rassemble autour des valeurs de la République. Il n’est évidemment pas question de transiger sur le statut des Français, mais aucun d’entre vous ne le demande.
En donnant une forme institutionnelle à la notion de patrimoine linguistique, en inscrivant dans la loi la diversité linguistique interne, nous conforterons la bataille que nous menons en Europe et dans le monde pour favoriser le multilinguisme et la diversité culturelle. Vous l’avez rappelé très justement, les régions ayant les plus fortes identités linguistiques sont souvent celles qui sont le plus à l’aise dans la mondialisation.
Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. C’est vrai !
Mme la ministre de la culture et de la communication. Souvent, les enfants qui maîtrisent une langue régionale sont mieux armés pour parler d’autres langues, les langues étrangères comme le français.
Je ne doute pas que le Parlement, renforcé dans ses pouvoirs par la réforme des institutions, prendra toute sa part à l’élaboration de cette loi. J’ai d’ailleurs entendu aujourd’hui avec beaucoup d’intérêt nombre d’idées, de suggestions, de propositions précises, qui montrent le degré de son engagement sur cet important sujet. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. Merci, madame la ministre, pour ces avancées importantes.
Le débat est clos.
M. le président. Prochaine séance, mardi 13 mai, à neuf heures trente :
Questions orales sans débat.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures trente.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral
de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma