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SOMMAIRE
Présidence de M. Bernard Accoyer
. Déclaration du Gouvernement préalable au Conseil européen et débat sur cette déclaration
M. Laurent Wauquiez, ministre chargé des affaires européennes
M. Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes
M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères
Présidence de Mme Élisabeth Guigou
2. Situation de l’industrie ferroviaire française
M. Alain Bocquet, M. Francis Hillmeyer, M. Jean-Marie Binetruy, M. Jean Grellier
3. Projet de loi de finances rectificative pour 2010 (suite)
Amendement no 59
Amendement no 58
Amendement no 239
Amendement no 373
Amendement no 39
Amendement no 374
Amendements nos 68, 241, 2 rectifié, 379 (sous-amendement)
M. Gilles Carrez, rapporteur général
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
M. le président. L’ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement préalable au Conseil européen et le débat sur cette déclaration.
La parole est à M. Laurent Wauquiez, ministre chargé des affaires européennes.
M. Laurent Wauquiez, ministre chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les députés, je suis naturellement très heureux et très honoré de m’exprimer devant la représentation nationale, trois semaines après que le Président de la République a souhaité me confier la responsabilité des affaires européennes auprès de Michèle Alliot-Marie.
Mon intervention se situe dans un contexte de danger, de défis, mais dans lequel nous avons plus que jamais besoin de l’Europe et de la coopération entre les institutions européennes et les parlements nationaux. Je songe au Parlement européen et, au premier chef, à l’Assemblée nationale.
À cet égard, je tiens à saluer le travail du président de la commission des affaires européennes, Pierre Lequiller, qui s’est efforcé de rapprocher, dans le cadre du traité de Lisbonne, votre travail et celui des parlementaires européens.
M. Jean-Pierre Brard. Lequiller, l’homme des sacristies polonaises !
M. Laurent Wauquiez, ministre. Je vous présenterai bien entendu les principaux enjeux du prochain Conseil européen des 16 et 17 décembre. Mais je veux d’abord vous exposer les premières orientations permettant de relever les défis auxquels nous sommes confrontés en matière de politique européenne.
C’est animé de convictions profondément européennes que j’endosse mes responsabilités. En m’exprimant ici, j’ai naturellement une pensée pour celui qui fut le commissaire européen de la France avant Michel Barnier : Jacques Barrot, qui siégea longtemps à l’Assemblée nationale et qui nous a transmis ses convictions européennes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
M. Éric Raoult. Très bien !
M. Laurent Wauquiez, ministre. Ensuite, je suis convaincu que, plus que jamais, nous avons besoin d’Europe : nous avons plus besoin d’elle après la crise qu’avant. Car, dans un univers où des entités géopolitiques massives nous font face – la Chine, l’Inde, où le Président de la République était il y a peu en déplacement, le Brésil –, l’Europe est une question de bon sens. Elle l’est aussi parce que, dans les crises que nous traversons, elle doit être à la fois notre meilleur bouclier et notre meilleure épée.
Mais je suis également convaincu que l’Europe doit aussi évoluer : l’Europe de l’après-crise ne peut être semblable à celle d’avant. Trop souvent, par le passé, on a caricaturé l’Europe en la présentant comme le bras armé de la dérégulation. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)
M. Jean-Paul Lecoq. Était-ce une caricature ?
M. Laurent Wauquiez, ministre. En cette période de sortie de crise, nous avons besoin d’une Europe qui revendique sa capacité à protéger nos concitoyens et à s’affirmer sur la scène internationale et dans les échanges commerciaux, afin de protéger aussi nos emplois et d’aider nos entreprises à se développer. Il y aura donc, dans la phase qui s’ouvre aujourd’hui, de véritables opportunités à saisir.
Cela suppose en outre que la France joue pleinement son rôle, comme elle a su le faire au cours de la présidence française de l’Union européenne : en étant à la fois volontariste et animée du sens du collectif. C’est cet état d’esprit que je souhaite que nous retrouvions.
M. Jean-Pierre Brard. Il faut en parler à Merkel, du sens du collectif de Nicolas !
M. Laurent Wauquiez, ministre. À cette fin, il faut faire certains choix de méthode.
Il faut d’abord choisir délibérément une méthode de travail collective, qui consiste à collaborer avec les différentes institutions européennes. Nous avons besoin de la Commission, et nous avons besoin de travailler avec elle dans le respect et la confiance mutuelle, compte tenu surtout des nouveaux éléments récemment mis sur la table par le président Barroso ou par Michel Barnier.
De ce point de vue, n’opposons pas l’action intergouvernementale et la méthode communautaire. Ce sont de vieux débats, désormais tranchés. Quels que soient les sujets abordés, les deux voies ne sont pas exclusives l’une de l’autre : il faut articuler le choix d’une méthode de coopération entre les États dans certains domaines et celui de la méthode communautaire dans d’autres.
Un deuxième point de méthode concerne le Parlement européen, dont le siège est à Strasbourg – je tiens à le souligner devant la représentation nationale.
M. André Schneider. Très bien !
M. Laurent Wauquiez, ministre. Nous tenons naturellement à défendre cette localisation du Parlement européen.
M. Manuel Valls. Bravo !
M. Laurent Wauquiez, ministre. Le Parlement s’est affirmé dans le cadre du traité de Lisbonne. Il pèse aujourd’hui de manière importante dans les débats européens. La France a besoin d’y exercer pleinement son influence et d’y renforcer notre place et notre travail commun.
M. Loïc Bouvard. Très bien !
M. Laurent Wauquiez, ministre. S’y ajoutent plusieurs choix en termes de coopération avec les différents États membres.
Tout récemment encore, à propos du budget, de la crise irlandaise ou de l’instauration de mécanismes pérennes concernant l’euro, la dynamique collective unissant la France et l’Allemagne s’est révélée absolument cruciale. Les choses avancent en Europe quand la France et l’Allemagne sont capables de se mettre d’accord et de dégager, quelles que soient nos positions respectives, le sens de l’intérêt général communautaire.
Je m’attacherai donc à renforcer notre relation avec l’Allemagne, qui est entrée dans une phase de maturité, quittant la période sentimentaliste des grandes déclarations pour celle où chacun de nos deux pays défend ses intérêts – ce qui est normal –, tout en étant capable de faire les compromis nécessaires pour dégager des projets communs. Le Président de la République et Angela Merkel en ont encore donné la preuve tout récemment, à l’occasion de la crise de l’euro.
M. Jean-Pierre Brard. C’est l’amour tendre avec le casque à pointe !
M. Laurent Wauquiez, ministre. Toutefois, cette relation ne peut être exclusive : notre pays doit s’efforcer de construire systématiquement des coalitions et des alliances permettant de travailler, autour de ce noyau dur, avec tous les pays de l’Union européenne.
À ce titre, je souhaite que nous nous investissions plus spécifiquement dans notre relation avec l’Europe centrale. Je sais que de nombreux parlementaires ici présents partagent ce point de vue. Cette relation est une source d’équilibre pour la France ; elle est importante à l’approche des présidences hongroise, puis polonaise ; et elle peut nous permettre de progresser ensemble sur plusieurs sujets déterminants – je songe notamment à la politique agricole commune, à laquelle nous travaillons conjointement, Bruno Le Maire et moi-même.
Nous veillerons donc plus particulièrement à construire des relations durables avec la Hongrie et la Pologne, c’est-à-dire avec les deux prochains pays qui prendront la présidence de l’Union. Je me suis rendu dès la semaine dernière à Budapest pour que nous réfléchissions ensemble à un agenda commun. Dans cette perspective, trois grandes priorités se dégagent pour l’année à venir.
La première – je l’ai évoquée –, c’est consolider l’image d’une Europe qui protège. Plusieurs éléments sont en train de changer en Europe, dont l’intégration du principe de réciprocité à notre politique commerciale…
M. Jacques Myard. Enfin !
M. Laurent Wauquiez, ministre. …et la prise en considération des services d’intérêt européen dans l’approche du marché intérieur telle qu’elle est développée par Michel Barnier. S’y ajoute la formulation de plusieurs principes simples. Ainsi, l’Europe ouvre 80 % de ses marchés publics à la concurrence internationale, alors que, pour la Chine ou le Brésil, ce pourcentage se réduit à néant ; l’Europe doit-elle donc conserver une conception du libre-échange compréhensible, mais parfois un peu naïve ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
M. Jean-Pierre Brard et M. Jean-Paul Lecoq. Il est temps de se poser la question !
M. Laurent Wauquiez, ministre. La priorité est de défendre nos emplois et nos industries, et de contribuer à faire émerger des champions industriels européens dans une concurrence devenue effrénée.
M. Jean-Pierre Brard. Enfin, il découvre la lune !
M. Jacques Myard. On fait des progrès !
M. Laurent Wauquiez, ministre. Deuxième priorité : veiller à une gestion apaisée de nos frontières et du processus d’élargissement. Par le passé, ce dernier a souvent dépendu de décisions purement politiques relevant de négociations internationales et de relations extérieures, au lieu de faire l’objet d’une évaluation fondée sur des critères objectifs.
De ce point de vue, l’année 2011 nous confrontera à une question majeure : la Roumanie et la Bulgarie peuvent-elles entrer dans l’espace Schengen ? Il s’agit d’une décision essentielle : dès lors qu’elles y entrent, leur frontière devient notre frontière. Pour le dire autrement, en termes de gestion des flux migratoires, c’est une décision déterminante qui nous attend. Ce que dit la France, très simplement, c’est que, bien entendu, la Roumanie et la Bulgarie ne trouveront pas porte close,…
Un député du groupe GDR. Au moins, elle n’est pas ouverte !
M. Laurent Wauquiez, ministre. … mais que des critères simples doivent être respectés.
Le premier, c’est que nous devons être sûrs de nos frontières. Or la Roumanie ne reconnaît pas de frontière avec la Moldavie, et des flux passent entre les deux pays, alors que nous reconnaissons une frontière avec la Moldavie. Cela pose un problème, qui fait pour l’instant obstacle à l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’espace Schengen.
Second problème : si nous leur confions nos frontières, il est légitime que nous ayons toutes les garanties nous assurant qu’elles sont bien gardées, par des douaniers en mesure d’exercer toute la vigilance que nous sommes en droit d’attendre. Or, aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Un processus de surveillance de la situation en Roumanie et en Bulgarie est en cours, sous l’égide de la Commission européenne, qui s’intéresse notamment aux problèmes de corruption. Et, pour l’instant, le travail n’est pas satisfaisant.
Je le dis donc très clairement au nom du gouvernement français : nous ne mettrons pas le doigt dans un engrenage qui affaiblirait nos frontières et la capacité de l’Europe à gérer et à contrôler ses flux migratoires. J’espère que nous aurons sur ce point le soutien de la représentation nationale. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Par ailleurs, nous devons faire progresser concrètement l’Europe sur des sujets identifiables par tous nos compatriotes. Sur ce point, je veux vous livrer le fruit de ma réflexion. Les élus nationaux que vous êtes savent parfaitement que, pour tous les outils communautaires, nous avons basculé dans un système pesant, dont les processus d’instruction administrative peuvent eux-mêmes être très lourds et très coûteux, et compliquer l’inscription dans des projets européens, pour les élus locaux comme pour nos industries. C’est en quelque sorte le résultat de la crise qui a suivi la chute de la commission Santer et abouti à l’adoption de procédures de contrôle très exigeantes et très lourdes. En voici quelques illustrations simples. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Le recours aux fonds FSE est devenu très difficile et très coûteux en termes d’ingénierie administrative pour nos associations ou nos collectivités locales. N’y a-t-il pas matière à simplifier la procédure ?
Le fonds d’ajustement à la mondialisation, qui doit théoriquement bénéficier au tissu industriel, ce qui se révèle d’une très grande utilité dans la crise actuelle,…
M. Christian Paul. C’est dérisoire !
M. Laurent Wauquiez, ministre. …est très difficile à mobiliser, voire quasiment impossible pour les PME. Nous vous proposons donc d’ouvrir une réflexion, portée conjointement par la Commission et plusieurs États membres, consistant à examiner les outils communautaires les uns après les autres pour voir comment simplifier les choses et alléger les contraintes de traitement administratives.
M. Michel Herbillon. Très bonne initiative !
M. Laurent Wauquiez, ministre. Cette initiative pourra s’accompagner d’un travail de réflexion sur nos normes car bien souvent, c’est le pouvoir réglementaire français qui surajoute aux règlements européens en étant plus royaliste que le roi. De ce point de vue, il faut sans doute revenir à quelque chose de plus simple, permettant d’avoir des normes adaptées à nos besoins en évitant tout excès de technocratie.
J’en viens au prochain Conseil européen. Plusieurs sujets seront abordés lors de ce Conseil, important et attendu. Il arrive à un moment où certains veulent tester la capacité de l’Europe à agir et à avancer.
M. Jean-Paul Bacquet. Il serait temps !
M. Laurent Wauquiez, ministre. Il donnera l’occasion à l’Europe de montrer qu’elle sait être au rendez-vous en cette période de sortie de crise,…
M. Jean-Pierre Brard. Il est temps que vous en parliez !
M. Laurent Wauquiez, ministre. …en particulier pour ce qui est de l’euro.
En matière de politique économique, il va s'agir de mettre en œuvre les orientations arrêtées lors de la réunion des 28 et 29 octobre. Je pense notamment à la mise en place d'un mécanisme pérenne de gestion des crises, qui constitue un signal fort.
Faisons un petit retour en arrière. Il y a un an et demi, l’euro n’était accompagné d’aucun mécanisme de gestion des crises : la gestion de la crise grecque a nécessité six mois de négociations. Aujourd’hui, non seulement l’Europe a été capable de prendre des décisions en quinze jours pour ce qui est de la crise irlandaise,…
M. Marc Dolez. À quel prix !
M. Jean-Paul Bacquet. Vous n’avez même pas demandé à l’Irlande de modifier sa fiscalité. Elle continue son dumping !
M. Laurent Wauquiez, ministre. …mais elle bénéficiera aussi, grâce notamment au travail mené par le Président de la République et Angela Merkel, d’un mécanisme pérenne de gestion de crise, qui s’accompagnera d’un accord sur les contours du futur mécanisme européen de stabilité.
Les consultations menées permettent de prévoir ce qui est un point décisif, notamment pour nos compatriotes : la participation du secteur privé. Personne ne comprendrait qu’après 2013, lorsqu’il y a des problèmes de créances et de dettes, le secteur privé ne soit pas mis à contribution dans la restauration de la solvabilité de la dette de tel ou tel État membre.
M. Jean-Pierre Brard. Il serait temps !
M. Laurent Wauquiez, ministre. En matière de gouvernance économique, le Conseil européen a repris les conclusions du groupe Van Rompuy. L’examen des propositions législatives de la Commission a débuté au Conseil. Nous serons très attentifs à ce que ces conclusions soient reprises dans leur entier, et non pas seulement un tout petit spectre. De ce point de vue, je soutiens la proposition de Pierre Lequiller sur le gouvernement économique européen.
J’ajouterai un mot sur l’adoption du budget 2011, qui est pour moi très emblématique. Lorsque nous sommes arrivés, il y a quinze jours, l’écho était que l’Europe ne parviendrait pas à se doter d’un budget en 2011. Or la non-adoption de ce budget placerait le budget de la France en très grande difficulté. Songez seulement que cela se traduirait par un alourdissement de notre charge financière de 2 milliards d’euros.
Dans ces conditions, un immense travail de coordination a été entrepris avec le Parlement européen, avec l’ensemble des États membres et avec la Commission pour essayer de dégager des positions de compromis. Aujourd’hui, je vous le dis, nous ne sommes pas très loin d’arriver à un accord qui permettra, pour 2011, de doter l’Europe d’un budget en ordre de bataille : il affirmera de vraies ambitions européennes tout en tenant compte des efforts que nous devons tous partager en matière de finances et de régulation budgétaire. Personne ne comprendrait qu’au moment où dans tous les États membres, les responsables politiques font des efforts, l’Europe ne partage pas elle aussi ces efforts. Concilier ambitions européennes et bonne gestion des crédits affectés au niveau européen, voilà une logique qui va dans le bon sens.
Nous devons aussi avoir conscience, en France comme au niveau communautaire, que sur le plan politique, c’est la fin des registres type liste au Père Noël. Tous les responsables doivent tirer des leçons. Une approche politique consistant à continuer à croire qu’en temps de crise, on peut faire des promesses coûteuses, est irresponsable.
M. Roland Muzeau. Qu’en est-il des engagements sur les paradis fiscaux ?
M. Laurent Wauquiez, ministre. La dynamique européenne et la crise nous conduisent tous à un devoir de responsabilité politique dans la bonne gestion des deniers publics.
Mesdames, messieurs les députés, je suis convaincu que nous sommes à un tournant. (Exclamations sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
M. Hervé Féron. Que de banalités !
M. Laurent Wauquiez, ministre. Jamais le besoin d’Europe, en cette période de sortie de crise, n’a été aussi important.
M. Jean-Pierre Brard. Il se caricature lui-même !
M. Laurent Wauquiez, ministre. Dans le même temps, le risque existe que certains caricaturent l’Europe et repeignent toutes ses actions en noir.
Nous avons donc besoin d’une mobilisation pour repartir à l’offensive sur le terrain européen, avancer sur la voie d’une Europe capable de mieux protéger l’ensemble de nos compatriotes, nos emplois et nos entreprises, réaffirmant ainsi la nécessité en cette période d’une Europe utile. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Hervé Féron. Vingt minutes pour ne rien dire !
M. le président. Pour le groupe Nouveau Centre, la parole est à M. Nicolas Perruchot.
M. Nicolas Perruchot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Grèce hier, l'Irlande aujourd'hui, qui demain…
M. Jean-Pierre Brard. L’Espagne, le Portugal !
M. Nicolas Perruchot. …et à quand notre tour ? Voilà bien, au fond, la première question que se posent avec nous près de 500 millions d'Européens à quelques jours du traditionnel Conseil de décembre.
Plus de deux ans après l'éclatement de la bulle spéculative des subprimes et alors que les principaux indicateurs économiques semblaient en France, comme chez la plupart de nos partenaires européens, enfin en mesure de repasser au vert, la perspective, voici quelques jours, d'une faillite pure et simple de l'économie irlandaise a résonné pour chacun de nous comme un nouveau coup de tonnerre.
M. Jean-Paul Bacquet. On aurait mieux fait d’écouter les Français !
M. Nicolas Perruchot. Tirant les leçons de la crise grecque, l'Europe a été en mesure cette fois-ci d'apporter sans délai son soutien au gouvernement irlandais, permettant ainsi d'éloigner les risques d'une faillite à court et moyen terme de ce qu'on appelait, avant-hier encore et avec une certaine admiration, le « tigre celtique ».
M. Jean-Pierre Brard. Un tigre de papier, oui !
M. Nicolas Perruchot. Pour autant, il est inutile de le nier, la zone euro traverse sans doute actuellement encore la plus grave crise de sa jeune histoire.
M. Jacques Desallangre. Et ce n’est pas fini !
M. Nicolas Perruchot. La crainte d'un effet de dominos frappant tour à tour l'ensemble des économies de l'Union reste bien entendu dans tous les esprits et, à bien des égards, la vraie question consiste aujourd'hui à savoir combien de temps encore l'Europe pourra s'en tenir à cette seule logique du colmatage. Sauver ce qui constitue une économie périphérique est une chose, sauver une économie majeure en est une autre et, mes chers collègues, l'Europe en aurait-elle demain encore véritablement les moyens ?
M. Jacques Desallangre. Voilà une bonne question !
M. Jean-Paul Lecoq. Attendons les réponses !
M. Nicolas Perruchot. Il est courant, dans le débat public, d'invoquer la crise économique, celle qui plonge ses racines dans les méandres de la finance internationale, pour expliquer l'orage qui menace encore. Reconnaissons, mes chers collègues, que c'est là, à tout le moins, une réponse facile pour les responsables publics que nous sommes.
La réalité, c'est que sur le plan de la soutenabilité des dettes souveraines, la crise que nous traversons a au mieux joué le rôle d'un révélateur. Nous-mêmes et ceux qui nous ont précédés dans cet hémicycle n'avons eu de cesse depuis trente ans de voter, loi de finances après loi de finances, des budgets en déséquilibre, le plus souvent pour financer des chimères plutôt que pour investir dans l'avenir.
La réalité, chacun la connaît, c'est que les niveaux d'endettement des économies européennes, à ce point vertigineux qu'ils en semblaient irréels, précédaient de très loin la chute de Lehman Brothers. La réalité, c'est que la crise nous impose aujourd'hui, à nous ainsi qu'à l'ensemble de nos partenaires européens, de répondre à l'une de nos faiblesses les plus structurelles en replaçant enfin nos finances publiques dans une dynamique vertueuse.
Les déclarations d'intention et les premiers signes en direction d'une plus grande discipline budgétaire pour indispensables qu'ils soient s'inscrivent résolument dans une perspective de temps long et ne sauraient en eux-mêmes répondre à l'urgence d'une situation où les marchés financiers semblent, chaque mois sinon chaque semaine, en mesure de faire vaciller une nouvelle économie de la zone euro.
M. Jacques Desallangre. Voilà !
M. Nicolas Perruchot. Oui, il est indispensable de prendre à l'échelon national des mesures à même de ramener à moyen terme nos finances publiques dans les rails du pacte de stabilité…
M. Jacques Desallangre. Il faut surtout les ramener à la raison !
M. Nicolas Perruchot. …et par là de préserver la crédibilité de notre signature AAA. Mais ce dont l'Europe a besoin aujourd'hui, c'est de définir enfin la traduction à la fois politique et juridique de la notion de solidarité européenne, c'est de sortir de la seule logique du sauvetage pour mettre en place les mécanismes à même de prévenir les futures crises, c'est également et enfin, mes chers collègues, de lever cette incohérence originelle consistant pour les États de la zone euro à se doter d'une monnaie unique sans prendre le temps d'une véritable coordination des politiques économiques.
À cet égard, le Conseil européen d'octobre a été l'occasion d'ouvrir, dans le prolongement de l'accord franco-allemand trouvé à Deauville, des pistes de réflexion et des chantiers qu'il semble désormais indispensable de prolonger et de concrétiser.
Il en va ainsi, tout d'abord, du mécanisme de gestion de crise destiné à préserver la stabilité de la zone euro, qui ne pouvait être pérennisé que par une révision du traité de Lisbonne. Si les vingt-sept ont acté en octobre dernier le principe d'une révision partielle et limitée du traité, il appartiendra désormais au Conseil de se prononcer sur le contenu même de cette révision et par là sur les grands traits que prendra, à l'horizon 2013, cet embryon de fonds monétaire européen. Là encore, il faut sans doute rappeler les réticences initiales, celles de la Commission comme de certains États membres qui n'hésitaient pas à qualifier de pure folie la simple perspective d'une révision pour mesurer ensuite que les faits de ces dernières semaines ont bien malheureusement donné raison à la position franco-allemande.
Pour notre part, monsieur le ministre, nous soutenons résolument cette perspective en ce qu'elle constitue, pour les Européens, le seul moyen de reprendre durablement leur destin en main. Ce mécanisme de gestion de crise devra avant toute chose être en mesure de conforter la crédibilité des économies européennes, mais il importe aussi qu'il constitue à l’encontre des spéculateurs une véritable arme de dissuasion aux mains des vingt-sept.
M. Jean-Paul Lecoq. Ils auront certainement très peur !
M. Nicolas Perruchot. À ce titre, la proposition allemande de convier certaines composantes du secteur privé, notamment celles qui tirent profit de ces tornades spéculatives, à participer à ce fonds commun nous parait, dans son principe, également des plus pertinentes.
L'institutionnalisation de ce principe de solidarité européenne ne pouvant cependant aller sans contreparties, le dernier Conseil européen s'est également engagé, sur la base du rapport Van Rompuy, vers un renforcement de la gouvernance économique de l'Union. Nous avons, je crois, trop souvent regretté dans cet hémicycle les limites de l'intégration et celles de la monnaie unique pour ne pas saluer dans cette séquence une avancée déterminante pour la construction européenne.
Dans ce débat, pourtant, un point semble avoir focalisé à lui seul l'attention, je pense à la possibilité qui serait ouverte au Conseil de prendre des sanctions de nature politique à l’encontre d'un État violant de manière grave et répétée les critères du pacte de stabilité et de croissance. Pour autant, mes chers collègues, il faut là aussi faire preuve de bon sens et admettre que l'éventail de sanctions actuellement aux mains des institutions communautaires semble pour le moins inapproprié sinon purement contre-productif. Comment, en effet, ne pas trouver paradoxal de sanctionner par des amendes pouvant atteindre des montants importants le fait pour un État de se trouver en situation de déficit excessif ? Il s'agit par là simplement de crédibiliser le pacte de stabilité dans son volet correctif, tout en lui garantissant une certaine flexibilité dans la mesure où la décision finale reviendrait aux seuls chefs d'État et de gouvernement.
En tout état de cause, cette question reste en réalité largement périphérique et elle ne saurait masquer les étapes déterminantes que le Conseil s'apprête à franchir vers la coordination des politiques budgétaires – c'est l'objet du fameux projet de « semestre européen » où les parlements nationaux conserveront toute leur place –, vers la coordination des politiques macroéconomiques, lesquelles ne sont en réalité que des étapes vers le véritable chantier qui attend l'Europe, celui de la convergence fiscale.
Une fois encore, qu’on le reconnaisse ou non, la question qui se pose à l'Europe est celle de savoir si elle entend enfin assumer pleinement son horizon politique et par là, mes chers collègues, son horizon fédéral.
M. Jean-Pierre Brard. Il ne manquerait plus que ça !
M. Nicolas Perruchot. C’est parce que nous croyons que l’Europe n’est pas, n’a jamais été et ne sera jamais un simple projet de coopération régionale, mais qu’elle est bien plus un projet politique d’unification d’un continent autour d’un destin commun, que nous ne doutons pas des réponses qui devront être apportées par le Conseil européen à cette crise sans précédent. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)
M. le président. Pour le groupe GDR, la parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
M. Jean-Paul Lecoq. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'Union européenne est toujours en crise. Certes, celle-ci peut prendre diverses formes, qu'elle soit de nature politique, institutionnelle, économique ou financière. Mais en réalité, toutes ces crises sont liées entre elles. C'est ce que nous démontrent les derniers épisodes relatifs au sauvetage de la Grèce et de l'Irlande. Dans les deux cas, les choix politiques inscrits dans les traités institutifs expliquent en grande partie cette fragilisation financière des États. On pense notamment au principe de la libre circulation des capitaux et aux critères du pacte de stabilité dont les seuls juges sont désormais les agences de notation et les marchés financiers.
L'avenir des peuples européens tient à la volonté d'intérêts purement privés, dont la seule logique est celle du profit à court terme. Les peuples sont ainsi perdants à tous les coups. En effet, lorsque les règles du marché sont à l'origine même de la faillite des banques, c'est aux peuples qu’il revient de renflouer ces mêmes banques.
Le plan de sauvetage conjoint de l'Union européenne et du Fonds monétaire international, c'est-à-dire de l'argent public, vise précisément à sauver de la faillite les banques irlandaises. Dans le cas irlandais, c'est le secteur bancaire qui a fragilisé l'État dans son ensemble. Les banques ont profité de la dérégulation financière et des taux d'intérêt bas offerts par l'euro pour prêter tous azimuts, créant ainsi une bulle immobilière. Du reste, votre gouvernement voyait en l’Irlande l’exemple de ce qu’il fallait faire en Europe. Lorsque cette bulle a éclaté, le système bancaire n'a pu résister que grâce à la garantie accordée par l'État à la dette bancaire. Mais le sauvetage des banques locales a coûté cher : 50 milliards d'euros en recapitalisation et 80 milliards d'euros d'actifs toxiques cantonnés dans une structure de défaisance, une facture qui a fait plonger le déficit public irlandais à 32 % du PIB.
Face à cette situation, les marchés financiers ont paniqué, redoutant que l'Irlande ne soit incapable de faire face à ses remboursements. Ils se sont alors mis à exiger une prime de risque de plus en plus importante, lui interdisant en fait de se financer sur les marchés. C'est pour mettre l'Irlande à l'abri des marchés que l'Union européenne a été obligée d'intervenir.
La logique du plan annoncée est claire : on nationalise les pertes et on privatise les profits. Les créanciers des banques irlandaises, banques et fonds d’investissements européens et internationaux, ne veulent pas perdre un centime d'euro. Les autorités irlandaises nationalisent leurs banques pour pouvoir rembourser toutes les dettes et rassurer les milieux financiers avec pour ambition de reprivatiser par la suite. L'Irlande ayant déjà adopté plusieurs plans de rigueur pour redresser ses comptes publics, notamment avec un plan prévoyant d'économiser 15 milliards d'euros sur quatre ans, l'Union et le FMI n'ont pas réclamé de nouvelles mesures en contrepartie de leur aide.
Au regard du budget irlandais et de la taille de ce pays, l'effort engagé par le peuple irlandais est considérable et les conséquences sont dévastatrices : augmentation du chômage, aggravation de la pauvreté et de la précarité, casse des droits sociaux et des services publics.
La vraie contrepartie au plan de sauvetage serait, en fait, une restructuration de la dette bancaire, seul moyen de faire supporter une partie des pertes à ceux qui ont prêté de l'argent aux banques et qui sont donc aussi responsables de l'emballement bancaire irlandais. Mais, pour l'heure, il n'est pas question d'exiger une restructuration de la dette bancaire – remboursement partiel des créances, étalement des échéances, etc.
Au final, avec le cas irlandais nous assistons une fois de plus à la capitulation du politique face à la pression des marchés.
M. Marc Dolez. Eh oui !
M. Jean-Paul Lecoq. Ne pas faire payer les banques et leurs actionnaires en restructurant la dette bancaire irlandaise est inadmissible, et ce quel que soit le risque systémique. En outre, la logique actuelle de financements négociés au coup par coup, aux conditions du marché, enfonce l'économie européenne dans la crise. Avec le cas irlandais, preuve est faite que cette logique ne fonctionne pas. On l’a vu, les marchés n'ont pas été rassurés par le plan de sauvetage. Ainsi, la dictature des marchés continue : passés les premiers instants de répit, de nouveaux signes de tension sont réapparus sur les marchés. Une question revient sans cesse, et vous l’avez dit : quel État sera la prochaine cible des attaques spéculatives ?
M. Jean-Pierre Brard. Le Portugal !
M. Jean-Paul Lecoq. « Le plan de sauvetage irlandais peut peut-être calmer les craintes à court terme mais ne résout rien sur le long terme», constate Sylvain Broyer, chef économiste de Natixis à Francfort.
Que propose l'Union européenne ?
M. Jean-Paul Bacquet. Rien !
M. Jean-Paul Lecoq. On va passer d'un pays à un autre, accroître le financement de l'Europe au fil des plans d'aide, créer de la récession, ce qui entraînera des problèmes de déficit public encore plus grands, et accumuler de la dette de manière totalement désorganisée, sans perspective claire. C'est incompréhensible : comment sortir de la spirale de la dette, si l'on en crée toujours plus ?
La politique suivie par l'Europe a atteint ses limites. Il est impossible de rassurer, de manière pérenne, les marchés financiers, et vous le savez. Il faut donc changer de politique.
Alors que, partout, les indignations, donc les résistances à l'austérité s'expriment avec de plus en plus de force, il est urgent de dégager l'Europe de la tutelle des marchés financiers. Cela suppose notamment de faire jouer un autre rôle à la Banque centrale européenne…
M. Jacques Desallangre et M. Marc Dolez. Très bien !
M. Jean-Paul Lecoq. …qui ne peut financer directement les États à bas taux d'intérêt, de revoir la philosophie d'un pacte de stabilité qui rationne les dépenses publiques, de favoriser les investissements utiles à l'emploi, à la formation et au développement des territoires grâce à un crédit sélectif et, évidemment, de taxer les mouvements de capitaux pour bloquer la spéculation.
M. Marc Dolez. Très bien !
M. Jean-Paul Lecoq. Nous, députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche, avons soumis une proposition de loi en faveur d'une fiscalité juste et efficace que vous avez balayée d'un revers de mains. Ce texte prévoyait la justice fiscale pour nos concitoyens et une autre répartition des richesses favorisant l'investissement dans l'économie réelle, c'est-à-dire l'emploi, la formation, les salaires et la protection sociale.
Vous avez aussi rejeté notre proposition de loi constitutionnelle garantissant la souveraineté du peuple en matière budgétaire, laquelle s'oppose au processus qui se met progressivement en place au niveau européen et qui conduit à soumettre a priori les procédures budgétaires nationales à une surveillance communautaire injustifiable. Même si vous vous en défendez, monsieur le président de la commission, monsieur le ministre, ce que vous appelez le gouvernement économique européen est en fait la soumission des budgets nationaux et la perte de la souveraineté nationale de notre pays et de nos concitoyens. (« Bien sûr ! » sur les bancs du groupe GDR.) Ce procédé est inacceptable. Il cherche à imposer aux peuples européens des politiques libérales, celles-là mêmes qui ont conduit à la crise que nous subissons.
Il n'est que temps de tirer les leçons des cinglants démentis apportés, semaine après semaine, au dogme de l'efficience des marchés et de rompre avec les politiques libérales menées ces dernières décennies. Mais les marchés ne sont pas les seuls en cause.
Les États semblent parfaitement s'accommoder de leur rôle de sauveurs des banques et autres intérêts financiers privés. Or les différents gouvernements nationaux ont été élus non pas pour jouer les supplétifs des spéculateurs, mais pour défendre les intérêts des peuples. Dès lors, nous vous demandons de faire entendre la voix de la France au prochain Conseil européen pour initier une transformation radicale de la construction européenne sans laquelle l'Europe ne pourra retrouver la légitimité populaire et démocratique qui lui fait aujourd'hui tellement défaut. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SRC.) .)
M. Roland Muzeau. Souvenez-vous de 2005 !
M. le président. Pour le groupe UMP, la parole est à M. Michel Herbillon.
M. Michel Herbillon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd'hui, à la veille de la réunion d'un Conseil européen qui s'annonce stratégique et qui, malheureusement, n'intervient pas dans un climat économique et financier très serein.
M. Jean-Pierre Brard. La preuve, c’est que le Premier ministre n’est pas là !
M. Michel Herbillon. Voilà plus de dix ans que la monnaie unique a été créée. Elle connaît, depuis un an, une mise à l'épreuve d'envergure avec les assauts spéculatifs successifs des marchés sur les dettes souveraines grecque et irlandaise.
En vérité, il s'agit plus que d'une simple défiance des marchés envers la dette souveraine d'un pays. La question sous-jacente à ces crises répétées est celle de la solidarité financière réelle des États membres de la zone euro.
Si nous faisons preuve de solidarité maintenant, la monnaie unique ne pourra plus être remise en cause. N'oublions pas qu'un des principes clés des relations financières et de l'économie de marché, et qui vaut plus que jamais aujourd'hui, est le principe de confiance. Et la confiance des marchés ne viendra que grâce à la solidarité affichée et absolue des États membres.
M. Jean-Pierre Brard. C’est Alice aux pays des merveilles !
M. Michel Herbillon. Petit à petit, nous sommes en train de refonder la confiance en Europe, avec plusieurs décisions dont on ne mesure pas encore suffisamment l'impact historique.
Un semestre européen des finances publiques a été instauré, pierre manquante à l'édifice budgétaire de l'Union économique et monétaire. En complémentarité avec la réforme du Pacte de stabilité et de croissance, il permettra d'accentuer la coordination entre les différentes politiques budgétaires des États membres et de mieux intégrer la dimension européenne dans les budgets nationaux.
M. Marcel Rogemont. Il y a du travail !
M. Michel Herbillon. Par ailleurs, un mécanisme pérenne de solidarité financière et de gestion des crises, remplaçant l'actuel Fonds européen de stabilité financière, sera mis en place et permettra ainsi de parer au risque de défaut d'un État. Selon moi, ce fonds devrait impérativement être également abondé par les banques, car leurs pratiques spéculatives sont responsables de l'instabilité budgétaire que nous connaissons. Les inclure dans un mécanisme assurantiel contre le défaut des États permettrait de responsabiliser leurs comportements sur les marchés financiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Une autre grande avancée, peut-être la plus importante, est l'instauration d'une surveillance non plus seulement budgétaire, mais aussi macro-économique. Avec cette nouveauté, nous nous dotons des outils qui nous permettront d'éviter que les précédents de l’Espagne et de l’Irlande, deux pays dont les marchés immobiliers et bancaires étaient particulièrement déséquilibrés, se répètent. Véritable vigie de contrôle, ce mécanisme de surveillance macro-économique permettra à un État de déceler tout déséquilibre de son marché intérieur.
Nous complétons ainsi le dispositif de l'Union économique et monétaire avec un arsenal juridique, économique et financier qui permettra à l'euro de redevenir la monnaie stable qu'elle était encore il y a quelques mois. Voyons le côté positif de cette crise : nous avons appris de nos erreurs et de nos manquements initiaux.
Mme Nicole Ameline. Très bien !
M. Michel Herbillon. En outre, la crise que nous avons connue a permis de donner un nouveau souffle à la réflexion sur le Gouvernement économique européen,…
M. Jean-Pierre Brard. Vous, vous ne manquez pas de souffle !
M. Michel Herbillon. …une réflexion qui a été portée au sein du groupe UMP par Jean-François Copé, et au sein de la commission des affaires européennes, présidée par Pierre Lequiller, par mon collègue socialiste Christophe Caresche et moi-même. Nous avons présenté notre rapport intitulé « Pour un gouvernement économique européen » – titre délibérément volontariste –, dont les conclusions ont été votées à l’unanimité par la commission des affaires européennes de l’Assemblée.
Au-delà des mécanismes mis en place pour parer à l'urgence de la situation, c’est bien l'ébauche de l'Europe de demain qui a émergé. Je tiens à évoquer, à ce titre, deux idées qui me semblent illustrer ce tournant et sur lesquelles je souhaiterais avoir vos réactions, monsieur le ministre.
Nous proposons de créer un emprunt européen destiné à financer des investissements dans les projets d'intérêt commun ainsi que la mutualisation d’une partie des budgets des États nationaux pour faire émerger de grands projets dans les domaines de la recherche, de l'innovation, de l'énergie, des transports, de la défense ou encore du numérique. Cette proposition, si elle était retenue, permettrait peut-être de dépasser la querelle un peu stérile relative à l'augmentation du budget européen. Si l'heure n'est pas à une forte augmentation du budget de l'Union européenne, compte tenu des difficultés budgétaires des États membres, elle n'est pas non plus à l'abandon de tout projet à vocation communautaire.
Cette proposition permettrait peut-être également de donner corps à la stratégie UE 2020 qui, si l’on veut qu'elle ne soit pas aussi incantatoire que la stratégie de Lisbonne qui s’est soldée par un échec, doit proposer des solutions de financement pragmatiques et engageantes.
Pour rester non seulement compétitive, mais aussi attractive vis-à-vis de nos concitoyens, l'Union européenne doit se fédérer autour de grands projets, comme en ont porté jadis nos illustres prédécesseurs.
Je sais que nombre d'entre vous sont parfois dubitatifs, pour ne pas dire plus, sur les avancées qui apparaissent timorées de l'Union européenne. D'autres sont tout simplement rétifs à l'idée européenne. Mais ce que nous vivons à l'heure actuelle est pourtant un vrai tournant dont nous ne mesurons pas encore tous les effets.
Le caractère chaotique et parfois difficile des négociations entre les différents États, qui est la cause de ce scepticisme, s’explique par le fait qu’on ne change pas aussi facilement les habitudes des vieilles nations.
Nous ne sortirons de la crise que tous ensemble. Après la crise, nous avons encore plus besoin d’Europe, d’une Europe qui protège nos concitoyens.
Qu’un pays comme l’Allemagne accepte de s’engager dans un gouvernement économique européen, alors même que cette expression était proscrite dans ce pays il y a encore quelque temps, montre que la vigueur de l’idée européenne n’est pas morte et que l’Union n’est pas simplement un marché, mais qu’elle porte un projet politique plus ambitieux.
M. Élie Aboud, Mme Nicole Ameline et Mme Isabelle Vasseur. Très bien !
M. Michel Herbillon. Bien sûr, il ne s’agit ni de gommer toutes les identités nationales au nom de l’Europe politique ni d’avancer à marche forcée. Il y a là un enjeu important pour le futur gouvernement économique européen que j’appelle de mes vœux.
Nous devons concevoir un dispositif qui intègre les parlements nationaux et le Parlement européen, cher Pierre Lequiller, ce qui permettra d’ailleurs de renforcer l’indispensable coopération entre ceux-ci. En effet, on ne peut pas imaginer que les représentations nationales soient exclues du processus ni qu’elles ne continuent pas à garder la haute main sur la répartition des crédits budgétaires au sein de chaque État.
Par ailleurs, quelles que soient les dispositions qui seront finalement adoptées pour construire un véritable gouvernement économique européen, ces réformes devront être suffisamment lisibles et appréhensibles par les citoyens européens.
Dans ce cadre, monsieur le ministre, j’attends du Gouvernement auquel vous appartenez qu’il mette en œuvre un ensemble de mesures d’information des citoyens, et notamment des Français, afin de renforcer la légitimité démocratique du nouveau système et d’empêcher qu’il soit perçu comme une ingérence excessive de l’Europe dans les budgets nationaux ou comme une contrainte supplémentaire exercée au nom de celle-ci.
M. Jean-Paul Lecoq. Ce n’est pas une perception ; c’est une réalité !
M. Michel Herbillon. Car, au fond, le seul véritable enjeu auquel nous avons à faire face tient en une question : comment réveiller la conviction européenne de nos concitoyens ? Et c’est par des initiatives concrètes que nous y parviendrons.
M. Jean-Pierre Brard. Un référendum !
M. Michel Herbillon. Songeons au couple franco-allemand qui est si fécond dans le contexte que nous connaissons actuellement et qui constitue un socle pour bâtir des coopérations renforcées avec d’autres pays de l’Union. Je salue toutes les initiatives qui tendent à rapprocher nos deux pays, et je pense que le couple franco-allemand doit montrer l’exemple sur la voie d’une économie commune et unifiée. L’énorme travail entrepris en ce moment entre nos deux pays pour le rapprochement de nos fiscalités,…
M. Jean-Pierre Brard. Il n’en est rien !
M. Michel Herbillon. …thématique ô combien stratégique et symbolique, est exemplaire.
M. Jean-Pierre Brard. Affabulation !
M. Michel Herbillon. En rapprochant nos modèles fiscaux et, donc, en fondant notre compétitivité sur des critères communs, nous arrêtons de jouer l’un contre l’autre. Assurément, pour tous nos grands partenaires internationaux, ce sera le gage d’une stabilité très attrayante pour l’investissement économique : les deux plus grosses économies de la zone euro, qui représentent, à elles seules, plus de 50 % du PIB de la zone, pèseront davantage auprès de nos partenaires internationaux.
M. Jean-Pierre Brard. Michel Herbillon, c’est comme Charles Perrault !
M. Michel Herbillon. Espérons que l’exemple de la France et de l’Allemagne en matière de fiscalité inspirera d’autres pays,…
M. Jean-Pierre Brard. Et le Chat Botté, c’est Angela Merkel !
M. Michel Herbillon. …dont l’Irlande qui, nous le savons, reste fermement accrochée à son taux d’imposition sur les sociétés.
Tout le monde va devoir faire des efforts, mais il faut savoir ce que l’on veut. Auparavant, le bonheur des uns a fait le malheur des autres : pensons aux faibles taux d’intérêt pratiqués par la BCE qui ont favorisé les croissances atones de l’Allemagne et de la France, mais créé, par la même occasion, des bulles en Irlande et en Espagne.
M. Roland Muzeau. Ce n’est pas comme cela que ça s’est passé !
M. Henri Emmanuelli. Pas du tout !
M. Michel Herbillon. Si l’on veut éviter que ce genre de précédents se reproduise, il faudra consentir à ces efforts d’harmonisation.
Au final, si nous formons un tout homogène, nous y gagnerons tous, notamment par rapport à l’extérieur. Car la compétition ne se déroule pas seulement entre les pays européens ; elle a aussi lieu avec les États-Unis, le Brésil et à la Chine.
Mme Isabelle Vasseur. Très bien !
M. Michel Herbillon. « Espérer, c’est démentir l’avenir » disait Cioran. Oui, je crois qu’il est temps d’espérer, car l’avenir de l’Europe n’est pas aussi sombre qu’on veut bien le croire.
La période trouble que nous vivons en ce moment ne trouvera d’issue que dans l’affirmation d’une volonté politique forte. L’heure n’est plus aux hésitations ; elle est à l’action calme et résolue. « En avant, calme et droit », ce conseil bien connu des amateurs d’équitation s’applique aussi à l’Europe, surtout dans les périodes difficiles.
Aujourd’hui, la question n’est plus de savoir si nous voulons une meilleure gouvernance économique de l’Europe. La crise y a répondu pour nous, et le choix n’est plus à faire. Mes chers collègues, la question est désormais de savoir comment les pays de l’Union vont organiser cette gouvernance économique pour que l’Europe soit plus compétitive…
M. Roland Muzeau. Habituellement, vous connaissez déjà toutes les réponses à l’avance !
M. Michel Herbillon. …et que son rayonnement corresponde à sa volonté et à son poids économique et politique. Ce sera l’un des enjeux du prochain Conseil européen. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. Pour le groupe SRC, la parole est à M. Christophe Caresche.
M. Christophe Caresche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à nouveau l’Europe se retrouve confrontée à la crise, et à ses responsabilités. Après la Grèce, l’Irlande a sollicité l’aide européenne pour faire face au financement de sa dette.
Sans dramatiser la situation, chacun sent bien que les décisions qui seront prises au prochain Conseil européen pèseront lourd sur l’avenir. Ce qui se jouera à ce conseil, c’est la capacité de l’Europe à opposer une réponse forte et durable aux marchés financiers. L’Europe saura-t-elle desserrer la contrainte qui s’exerce sur plusieurs pays européens et qui menace la stabilité de l’euro ?
Ce qui se jouera, c’est aussi la crédibilité de l’Europe aux yeux des citoyens qui la composent. La crise de l’euro est une crise de l’Europe, car elle met fondamentalement en cause la confiance que les Européens ont dans l’Europe, ses institutions et sa monnaie. Si l’Europe ne parvient pas à surmonter cette crise, alors les citoyens européens se détourneront encore un peu plus d’elle.
M. Jean-Pierre Brard. Souvenez-vous de 2005 !
M. Christophe Caresche. Les conséquences ne seront pas seulement économiques. Elles seront politiques avec la montée des replis nationaux et, à terme, la dislocation de l’idéal européen.
M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est pas mal vu !
M. Christophe Caresche. Le Conseil européen doit examiner la mise en place d’un mécanisme destiné à juguler la crise des dettes souveraines qui menacent certains pays européens. Il s’agit de pérenniser et d’améliorer le dispositif provisoire, prévu jusqu’en 2013, qui a été mis on place pour aider la Grèce et, maintenant, l’Irlande.
À quelques jours de ce Conseil, plusieurs questions demeurent, qui font douter de la capacité de l’Europe à sortir renforcée de cette discussion. Je voudrais évoquer trois d’entre elles.
La première concerne le montant du fonds de stabilisation qui sera pérennisé après 2013. Il serait inchangé, mais certains considèrent – cela a été l’objet de la discussion inaboutie, hier, à Bruxelles, notamment avec le directeur général du FMI – qu’il faudrait sensiblement l’augmenter et même le doubler. D’autres estiment que le montant actuel sera suffisant et redoutent que, en le relevant, on n’accroisse la tension sur les marchés. On peut comprendre ce raisonnement, mais s’il s’agit d’élaborer une réponse durable à la crise, il est préférable de prévoir d’emblée un montant de crédit qui permette de faire face à toutes les situations et qui mette fin à l’incertitude concernant la volonté de l’Europe d’intervenir pour aider un État membre en difficulté.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner votre position précise sur ce sujet ? J’ai été étonné que vous n’abordiez pas cette question, alors qu’elle est au cœur des discussions et, peut-être même, des blocages rencontrés dans la perspective du prochain Conseil européen.
Ma deuxième interrogation porte sur la participation du secteur privé au mécanisme de crise. Après bien des atermoiements, il est acquis que le secteur privé, c’est-à-dire le système financier, sera mis à contribution dans l’hypothèse d’une restructuration de la dette d’un pays qui ferait défaut. Ce point a donné lieu à un long débat, notamment entre la France et l’Allemagne. Cette dernière souhaitait en effet que les investisseurs privés, détenteurs de dettes publiques, soient automatiquement sanctionnés en cas de défaillance. L’aide de l’Europe à un pays en difficulté aurait été conditionnée par la restructuration de sa dette. La France a, semble-t-il, défendu une position plus souple car elle a considéré que cette question pouvait alimenter la tension sur les marchés. Cela a d’ailleurs été le cas, et cette tension a probablement accéléré la crise irlandaise.
Dans la situation actuelle, il convient de rester extrêmement prudent en matière d’annonces qui peuvent précipiter la crise. En tout état de cause, il faut garantir la solvabilité des États confrontés à des attaques spéculatives injustifiées.
Le dispositif qui ne prévoit la restructuration de la dette qu’en dernier recours va donc plutôt dans le bon sens. Les États européens souffrent non pas d’une crise de solvabilité, mais d’abord d’une crise de liquidité.
Il faudra aussi être clair sur la responsabilité du secteur financier. Il n’est pas concevable que l’argent public puisse continuer à renflouer les banques sans aucune contrepartie.
M. Jean-Pierre Brard et M. Marcel Rogemont. Très bien !
M. Christophe Caresche. Comme le rappelait hier, Jacques Delors, plus de 4 000 milliards d’euros – 4 589 pour être exact – ont été apportés en garantie ou prêtés aux banques par les États. Ces sommes sont considérables. Il faut rétablir un rapport de forces avec un système financier qui a perdu tout repère. Il faut restaurer un principe de responsabilité selon lequel les banques doivent participer à l’apurement des situations financières des pays surendettés.
M. Jean-Pierre Brard. Nationalisation !
M. Christophe Caresche. Les banques ont fait d’énormes profits, et tant mieux pour elles, mais elles doivent aussi prendre leur part des pertes.
M. Marcel Rogemont. M. Wauquiez ne veut pas !
M. Christophe Caresche. Sur ce point, nous attendons les propositions du Gouvernement.
À quelle hauteur les investisseurs privés participeront-ils au règlement de la dette des États qui feraient défaut dans le cadre des clauses d’action collective ? Quel sera le montant de la décote qui leur sera appliquée ? Ces questions devraient légitimement trouver des réponses lors du prochain Conseil européen.
M. Marcel Rogemont. Monsieur le ministre, avez-vous des réponses ?
M. Christophe Caresche. De même, la France devrait soutenir, dans le cadre des discussions du G 20 qu’elle présidera, la proposition du FMI de créer une taxe sur les banques ou un bonus-malus pour financer un fonds assurantiel destiné à venir en aide aux banques en difficulté. Si on veut éviter ce qui s’est passé en Irlande, et qui peut se reproduire demain ailleurs, il faut que les banques trouvent en elles-mêmes les moyens d’assurer leur pérennité.
La troisième interrogation concerne la politique monétaire de la Banque centrale européenne. Je sais bien qu’elle ne dépend pas des instances européennes puisque la BCE est indépendante.
M. Jacques Myard. C’est scandaleux !
M. Jean-Pierre Brard. En tout cas, elle n’est pas indépendante du capital !
M. Christophe Caresche. Mais cela n’interdit évidemment pas de juger son action. Il faut poursuivre, et même amplifier, l’assouplissement des règles d’intervention de la Banque centrale européenne. Ce qui menace l’Europe,..
M. Jean-Paul Lecoq. C’est le traité de Lisbonne !
M. Christophe Caresche. …ce n’est pas l’inflation ; c’est, au contraire, la déflation.
Dans l’hypothèse où la crise des dettes souveraines des pays européens se précipiterait, la BCE devra prendre ses responsabilités, c’est-à-dire s’apprêter à intervenir massivement. Elle dispose, semble-t-il, d’une majorité pour cela. Elle a d’ailleurs commencé à agir en ce sens, ce que nous devons saluer, en n’hésitant pas à remettre en cause les principes d’intervention qui étaient les siens, sans céder pour autant à la pression des marchés.
Dans ce contexte, On ne peut qu’être inquiet de la perspective du remplacement de l’actuel directeur de la BCE, dont le mandat se termine en 2011. La France devra être très vigilante sur la nomination de son successeur. Dans tous les cas, pour notre part, nous le serons et cette nomination devra se faire à partir d’une orientation clairement définie.
M. Jean-Pierre Brard. Pourquoi ? Il y a pire ?
M. Christophe Caresche. Oui !
On le voit, il y a encore beaucoup d’incertitudes sur l’efficacité du mécanisme de crise qui sera examiné au prochain Conseil. D’autant que d’autres propositions existaient, qui ont été malheureusement écartées. Je pense à la proposition de M. Jean-Claude Juncker et M. Giulio Tremonti : ils ont suggéré de mettre en place un mécanisme de mutualisation d’une partie des dettes souveraines et de recourir à des eurobonds. Cette proposition reprend les réflexions – dont celle du groupe socialiste au Parlement européen – visant à distinguer entre dette bleue et dette rouge afin d’alléger le fardeau de la dette pesant sur les États européens. Elle a été écartée par la France et par l’Allemagne sous prétexte qu’elle ne favoriserait pas la responsabilité et la vertu budgétaire et financière des États. Elle offrait pourtant une solution judicieuse aux problèmes d’accès au financement des États en difficulté.
Il faut continuer à approfondir cette piste de réflexion, avec l’objectif d’offrir à chaque État de la zone euro un accès au crédit à des conditions satisfaisantes. On pourrait aussi imaginer, sur le modèle du serpent monétaire, que les taux d’intérêt auxquels empruntent les États soient contenus dans une bande de fluctuation limitée. On ne peut d’ailleurs que regretter les conditions exorbitantes dans lesquelles les États de l’Union européenne sont venus en aide à la Grèce et à l’Irlande avec des prêts à 5, voire à 6 %, soit des taux qui sont, évidemment, beaucoup trop élevés.
M. Marcel Rogemont. Scandaleux !
M. Christophe Caresche. Cette proposition avait également le mérite d’esquisser une solution au problème de croissance que vont connaître la plupart des États européens. Comment un État surendetté pourra-t-il retrouver une perspective de croissance durable, dans un contexte d’euro fort, sans marge de relance budgétaire et avec une concurrence européenne et internationale agressive ? Ce n’est plus une course à handicap que vont courir ces pays, c’est une course perdue d’avance. Chacun sait bien que le point aveugle de l’approche budgétaire et financière des responsables européens aujourd’hui, c’est la question de la croissance et de la reprise en Europe. Il faut impérativement ouvrir des perspectives dans ce domaine.
D’abord, en ayant une vision réaliste du rythme auquel l’ajustement budgétaire doit se faire. La rapidité, l’ampleur des efforts qui sont demandés à certains pays ne sont pas soutenables économiquement et socialement.
Ensuite, en impulsant une véritable coordination des politiques économiques au niveau européen. L’insuffisance de cette coordination est un constat récurrent depuis la création de l’euro. Certains pays ont des excédents alors que d’autres accumulent des déficits publics ou privés. Et la crise, loin de rapprocher les économies européennes, contribue à les éloigner encore un peu plus.
Aux efforts demandés aux uns doit correspondre la relance chez les autres. L’Europe n’est pas condamnée à la juxtaposition de plans de rigueur. Elle a des marges de manœuvre. Il faut, de ce point de vue, approfondir la discussion avec l’Allemagne en lui faisant valoir qu’elle a intérêt à la reprise en Europe, et pas seulement chez elle. Au passage, nous regrettons vivement que le gouvernement français, qui s’y était engagé ici même, n’ait pas obtenu une harmonisation fiscale dans le cadre de l’aide à l’Irlande.
Enfin, comme cela a été dit, il faut donner à l’Europe les moyens d’investir et de soutenir les dépenses d’avenir. La question du budget européen est, semble-t-il, en voie de règlement, monsieur le ministre, mais d’une manière qui n’est pas satisfaisante puisque celui-ci n’augmentera que très faiblement.
Nous suggérons, avec le parti socialiste européen, qu’une taxe européenne sur les transactions financières soit créée pour alimenter un fonds du même budget européen pour mener une politique d’investissement et de grands équipements au niveau européen. Ce sont 200 milliards d’euros qui pourraient être mobilisés à cette fin.
J’en termine. Chacun sent bien que l’Europe est à la croisée des chemins. C’est par une plus grande intégration qu’elle pourra faire face aux défis auxquels elle est confrontée. C’est notre conviction. Loin du repli national, c’est par plus d’Europe que l’on répondra aux aspirations des Européens. Mais pour cela, il faut tracer une perspective, il faut porter une ambition et refuser de s’enfermer, comme aujourd’hui, dans un accompagnement à la petite semaine de la crise.
Il manque à l’Europe une voix forte, comme le faisait justement remarquer hier Helmut Schmidt, une voix à laquelle les Européens pourraient adhérer dans ces circonstances si difficiles. La France pourrait être cette voix. La France devrait être cette voix. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes.
M. Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme il est désormais de coutume, en ces gros temps de tempêtes économiques et financières, nous voilà à la veille d’un Conseil européen majeur. Nous n’avons devant nous qu’une alternative : céder à la tentation du repli sur soi – mais c’est alors se résigner au déclin – ou forger ensemble les instruments collectifs pour maîtriser notre destin économique.
Le chemin parcouru par l’Europe au cours de ces années de crise, notamment sur la base d’un couple franco-allemand solide, comme vous l’avez très bien dit, monsieur le ministre, est d’ores et déjà impressionnant, il faut le dire haut et fort.
Je veux citer notamment la réaction immédiate et totalement unie de l’Europe en 2008, sous la présidence française de Nicolas Sarkozy, pour faire face à la crise bancaire.
Je pense également au fonds de solidarité, instrument collectif majeur, précurseur d’un fonds monétaire européen. De même, le « semestre européen »», applicable dès 2011, est à présent le gage de nos engagements d’assainissement budgétaire.
S’agissant du gouvernement économique, monsieur Caresche, vous avez dit que la France devait faire entendre sa voix. Mais cela fait des années et des années que les gouvernements, de droite comme de gauche, réclament un gouvernement économique. M. Delors le réclamait déjà. Je constate que c’est grâce à l’entente entre Nicolas Sarkozy et la Chancelière d’Allemagne que nous sommes arrivés à un gouvernement économique accepté par l’Allemagne.
M. André Wojciechowski. Très juste !
M. Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes. Je veux également citer la moralisation financière. L’Europe dispose désormais d’un système de supervision financière global, doté de réels moyens d’intervention.
Ajoutons le renforcement sensible du poids de la Banque centrale européenne : elle a su tenir la ligne juste de l’intérêt européen.
Mais il nous faut aller encore plus loin dans le renforcement de la gouvernance et de la solidarité. Rien n’est pire, face à des marchés erratiques,…
M. Roland Muzeau. C’est qui, « les marchés » ?
M. Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes. …que l’incertitude. Pour aller plus loin, je voudrais rapidement souligner cinq directions prioritaires.
Tout d’abord, la pérennisation du fonds de solidarité financière. La décision de confirmer ce mécanisme au-delà de 2013 a été prise. Le Conseil européen – et je salue à cet égard l’action de M. Van Rompuy – doit en préciser les modalités. Pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, comment se prépare le Conseil européen sur ce qu’il est convenu à présent d’appeler le « mécanisme permanent de stabilisation » ?
Deuxième priorité : le dispositif de solidarité doit se fonder sur un effort juste des uns et des autres.
M. André Wojciechowski. Un effort équitable !
M. Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes. Soyons attentifs aux montées des extrémismes et des replis nationalistes.
M. Roland Muzeau. Grâce à qui ? Grâce à vos politiques !
M. Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes. Je me félicite, par exemple, que les investisseurs soient appelés à assumer éventuellement leur part de responsabilité financière en cas de difficulté des débiteurs publics. Cette demande de l’Allemagne est juste ; la France l’a soutenue – ce qui devrait rassurer M. Caresche – et le Conseil européen doit à présent le confirmer. Pouvez vous, monsieur le ministre, nous indiquer l’état des discussions sur ce sujet clé ?
Troisième priorité : un effort renouvelé de prévention des crises bancaires. Il faut aller plus loin dans la régulation et la prévention, pour rétablir la confiance dans la solidité des banques. On a bien vu, avec l’Irlande, les limites des « stress tests » effectués au niveau européen.
M. Henri Emmanuelli. Ça, oui !
M. Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes. Il faut aussi renforcer les pouvoirs d’Eurostat, pour qu’elle puisse elle-même établir les statistiques des États, et non pas seulement contrôler les statistiques nationales, avec les risques d’erreurs majeures que l’on a constatés, notamment dans l’exemple grec.
Quatrième direction prioritaire : des politiques économiques ambitieuses et cohérentes, fondées sur un effort d’investissement coordonné, couplé aux nécessaires réformes structurelles, au service d’une croissance durable. Le gouvernement économique ne doit pas se résumer au renforcement des disciplines budgétaires. Dans cet esprit, nous devons briser deux tabous.
Le premier est le cloisonnement stérile qui isole les budgets nationaux du budget européen. Il faut mutualiser progressivement certaines politiques d’investissement. À cet égard, j’insisterai en particulier sur le domaine de la recherche. Sachons nous impliquer pour promouvoir cette coordination budgétaire. Il convient d’associer les parlements nationaux, notamment à travers la « Conférence budgétaire » interparlementaire annuelle sur les programmes de stabilité, que j’ai proposée, sur le rapport de la commission des affaires européennes dit rapport Herbillon-Caresche. Nous en avons discuté avec le président de la commission des finances, Jérôme Cahuzac, et le rapporteur général, Gilles Carrez. Le président Accoyer l’a proposé au Président du Parlement européen, M. Buzek, ainsi qu’à la présidence belge.
M. André Wojciechowski. Très bien !
M. Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, et je vous en remercie par avance, pour défendre cette idée, dont je peux d’ailleurs souligner, puisque je rentre de Bruxelles, qu’elle recueille un avis très favorable au sein des instances européennes.
En parallèle, abordons franchement, dans le cadre du traité, la question des « ressources propres ».
Le second tabou est celui des coopérations renforcées. Les plus lucides, les plus audacieux, doivent pouvoir librement aller de l’avant. L’harmonisation des bases de l’impôt sur les sociétés et le projet de brevet européen, défendu par Michel Barnier, sont deux sujets prioritaires.
Bâtir le second pilier de l’Union économique et monétaire est désormais le défi majeur autour duquel se joue notre avenir commun. Sous la pression des événements et de la crise, au-delà des aspects strictement économiques et financiers, cette évolution, malgré tous les Cassandre, constitue un pas majeur vers l’Europe politique à laquelle nous aspirons.
Notre conviction, c’est que la solution est évidemment non pas dans moins d’Europe, mais dans plus d’Europe, dans beaucoup plus de solidarité au sein de la zone euro comme de l’Europe tout entière. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
M. le président. La parole est à M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères.
M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen des 16 et 17 décembre prochains se tiendra à peine plus d’un an après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009. Je crois que nous pouvons tous nous féliciter de constater que ce sommet des chefs d’État et de gouvernement abordera des sujets importants, ayant fait l’objet d’un intense travail de préparation, et qu’il le fera sous l’égide d’un président stable.
C’est précisément pour améliorer l’efficacité des travaux du Conseil européen que le traité de Lisbonne avait prévu cette présidence stable. N’oublions pas de dire ce qui va bien, ce qui marche en Europe, en des temps où, par ailleurs, les difficultés ne manquent pas.
M. André Wojciechowski. Tout à fait !
M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Le Conseil européen de décembre sera consacré en priorité, cela a été dit, à la politique économique, et notamment à la manière dont l’Union devra adapter ses règles et procédures à la gestion de crise dans la zone euro.
La France a beaucoup pesé dans cette négociation, en lien avec ses principaux partenaires. Je suis confiant dans le résultat du sommet sur ce point, le but étant d’approfondir les compétences du gouvernement économique européen.
Tous les orateurs précédents ayant déjà abordé ces questions économiques, financières et monétaires, je m’attacherai pour ma part au deuxième grand volet des travaux du sommet qui se tiendra la semaine prochaine, à savoir les relations de l’Union européenne avec ses partenaires stratégiques.
Que l’Union doive s’efforcer de parler d’une seule voix, et d’une voix forte, aux États-Unis, à la Chine ou à la Russie, nul n’en doute. Je note au passage que, là aussi, avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’Union s’est dotée d’outils plus cohérents et, espérons-le, plus efficaces pour parler au monde. Nous n’ignorons pas, cependant, que la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité…
M. Jacques Myard. Qui c’est ?
M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. …tout comme le service pour l’action extérieure de l’Union sont encore en phase de rodage. Mais c’est justement dans cette phase de commencement qu’il importe de fixer à l’Union de hautes ambitions. Les échanges au sein du Conseil européen permettront aux vingt-sept, je l’espère, de se hisser au niveau qui convient. À cet égard, la France sera un acteur majeur,…
M. André Wojciechowski. Il faut qu’elle le soit !
M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. …je dirai même indispensable, dans la séquence qui s’ouvre, avec la présidence du G20 et du G8.
C’est pourquoi, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me semble que cette réunion du Conseil européen devra être l’enceinte appropriée pour permettre d’articuler le plus efficacement possible, d’une part, les présidences françaises du G20 et du G8, et d’autre part, le dialogue stratégique que l’Union européenne entend mener avec ses grands partenaires. Ce serait un formidable effet de levier, allant dans le sens d’une meilleure gouvernance mondiale, si les priorités que le Président de la République a fixées pour le G20 et le G8 pouvaient être amplifiées par les vingt-sept États membres s’exprimant d’une seule voix.
M. Louis Giscard d’Estaing. Bien sûr !
M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Je ne citerai que quelques exemples permettant d’illustrer mon propos.
Tout d’abord, la question de la gouvernance financière à l’échelle mondiale. Elle est aujourd’hui cruciale, et ce sera un grand chantier multilatéral, en 2011, dans le débat sur la régulation des changes et sur les mécanismes à trouver pour éviter toute guerre des monnaies entre le dollar, l’euro et le yuan. Je suis convaincu qu’un soutien européen aux efforts de la France pour ses deux présidences de 2011 serait non seulement un symbole, mais aussi une chance supplémentaire de succès.
Autre exemple, dans le dialogue avec les grands pays émergents, le bon niveau d’intervention est bien sûr, du point de vue qui est le nôtre, celui des vingt-sept. Face au groupe formé par le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine – le BRIC – ou encore, sur les questions de lutte contre le changement climatique, face au groupe BASIC, Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine, nous voyons bien que le G20 et le G8 ne pourront produire de grands résultats sans un minimum de cohésion européenne. Là encore, un soutien de l’Union à la présidence française serait précieux.
Cela vaut non seulement pour le climat, mais également pour l’essor des financements innovants en matière d’aide au développement, ou pour la lutte contre l’excessive volatilité des cours des matières premières.
En dernier exemple, alors que l’affaire WikiLeaksdéfraie la chronique, au cours de l’audition que la commission des affaires étrangères a récemment organisée sur les perspectives offertes par la présidence française du G20 et du G8, nous avons pu échanger sur le thème de l’internet. Le Président de la République a souhaité en faire un des nouveaux sujets à traiter au sein du G8. Les enjeux en sont aussi vastes que cruciaux. Outre les questions de sécurité et de lutte contre les cyber-attaques, il s’agit d’enjeux économiques, commerciaux et fiscaux.
M. Jacques Myard. Et d’enjeux politiques !
M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Il s’agit également de propriété intellectuelle, et de l’accès de tous à la société de l’information.
M. Louis Giscard d'Estaing. Très juste !
M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. L’Europe ne manque pas de sujets de dialogue avec ses partenaires stratégiques. Il faut, me semble-t-il, privilégier l’efficacité. Et l’efficacité, c’est de soutenir à vingt-sept les efforts de la France dans les enceintes multilatérales qu’elle présidera en 2011. C’est ce soutien, monsieur le ministre, qu’il faut requérir de nos partenaires lors de ce Conseil européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Wauquiez, ministre. Tout en relevant la qualité des interventions des uns et des autres, et la précision sur ces questions européennes des différents orateurs, je vais essayer de répondre précisément aux questions soulevées.
Tout d’abord, je souhaite remercier M. Perruchot pour l’état très précis qu’il a restitué des progrès accomplis pour la protection de l’euro. Rappelons-nous du moment de la création de l’euro, le principal reproche était alors que nous n’avions pas de mécanisme permettant de faire face à une crise qui affecterait un État. Aujourd’hui, nous en avons un.
Vous avez rappelé la comparaison entre le mécanisme de soutien à l’Irlande et celui pour la Grèce. Six longs mois de négociations pour aboutir à une action dans le cas de la Grèce, quinze jours pour l’Irlande, avec une accélération due notamment à une implication personnelle du Président, que je vous remercie de relever.
M. Jean-Pierre Brard. Idolâtre !
M. Henri Emmanuelli. Il n’avait pas le choix.
M. Laurent Wauquiez, ministre. Aujourd’hui, enfin, nous arrivons à la mise en place d’un mécanisme pérenne de gestion.
Vous avez raison, cette crise révèle les failles qui existaient dans notre mécanisme de gestion de l’euro. Nous sommes en train d’en sortir en tirant étape après étape les leçons qui nous permettent de renforcer la gestion de notre monnaie commune. C’est bien l’esprit de ce que nous sommes en train de faire. Lorsqu’il y a un incendie, il faut aller l’éteindre, mais il faut aussi en tirer les conséquences sur le mode de gestion global de notre monnaie commune.
M. Henri Emmanuelli. Que fait-on des pyromanes ?
M. Laurent Wauquiez, ministre. Je reviendrai, en réponse aux autres questions qui ont été posées, sur les sujets de la gouvernance économique ou de la surveillance et de la régulation bancaire. Au fur et à mesure de cette épreuve, l’euro se renforce.
En réponse à l’intervention de M. Lecoq, s’agissant particulièrement de la gestion de notre budget et des interrogations concernant la souveraineté nationale en matière de budget européen, je suis convaincu que la mise en place du semestre européen ne met pas en péril la souveraineté nationale, bien au contraire. C’est une simple procédure d’information et de concertation en amont qui va nous permettre de progresser sur un point que M. Lequiller a relevé : éviter que nous décidions de stratégies européennes déconnectées de leur mise en œuvre à l’échelon national. La stratégie de Lisbonne en a trop souffert.
M. Jean-Paul Lecoq. Et cela s’appelle comment ?
M. Jean-Pierre Brard. De l’alignement !
M. Laurent Wauquiez, ministre. Ce que je souhaite, c’est que la stratégie Europe 2020, faite sur les bases des propositions que nous portons, soit aussi déclinée dans nos actions internes. Nous ne sommes pas seuls à partager cette conviction, puisque le groupe GDR a déposé une proposition de loi sur ce sujet, qui a recueilli 23 voix contre 410 votes défavorables. Cela montre bien que l’ensemble de la représentation nationale partage cette vision et considère que notre souveraineté nationale est préservée.
M. Jean-Pierre Brard. Et alors ? En 2005, ici c’était « oui », et pour le pays c’était « non » !
M. Laurent Wauquiez, ministre. S’agissant de l’intervention de M. Herbillon sur les questions d’innovation et de recherche, il s’agit d’un domaine dans lequel l’Europe souffre d’un excès de contraintes et de régulations technocratiques. Il est trop difficile de bénéficier des outils au soutien de l’innovation et de la recherche qui s’adressent aux PME et à nos principaux organismes de recherche.
En la matière, la France veut d’abord se doter d’un fonds européen des brevets. Trop de nos brevets européens dorment et ne génèrent pas de déclinaisons économiques ou en termes d’emploi. Le Premier ministre a rappelé lors de sa déclaration de politique générale que ce fonds européen des brevets peut être utilisé de façon beaucoup plus offensive.
Ensuite, il faut pouvoir bénéficier de financements innovants et d’un fonds à destination de nos PME permettant de soutenir des innovations. Nous travaillons sur ce sujet avec Christine Lagarde, il y a beaucoup à gagner.
Dernier aspect, le brevet européen. C’est un sujet qui dort depuis vingt ans dans les cartons de l’Union européenne. Sur ce sujet, la détermination d’un certain nombre de pays est clairement affirmée. Nous sommes allés au bout de notre marge de négociation. Nous sommes allés au bout des efforts pour chercher des solutions de compromis entre les différents États. Pendant ce temps, nos entreprises attendent. Le brevet européen est un enjeu majeur, car c’est aujourd’hui aux États-unis que vont nos brevets. Nous avons donc décidé de mettre en place une coopération renforcée qui nous permettra d’avancer et de placer chacun face à ses responsabilités. Nous espérons que de nombreux pays se joindront à nous et que nous pourrons enfin progresser, dès l’année prochaine, sur ce sujet qui a trop attendu.
Monsieur Caresche, je vous ferai deux réponses très précises. Concernant la participation des créanciers privés, vous avez parfaitement raison de souligner qu’elle n’était pas prévue. La mise en place du mécanisme pérenne de gestion de crise permet maintenant de prévoir systématiquement une participation des créanciers au cas par cas. Cette participation repose sur un outil qui est d’ailleurs utilisé au niveau du FMI, les clauses d’action collective, qui seront mises en œuvre dans des modalités comparables. Ces clauses permettront d’éviter qu’une minorité de créanciers privés s’oppose à ce que nous ayons la participation dans le cadre d’un dispositif de solvabilité en cas de défaillance sur une créance d’État.
Ce dispositif nous permet de garantir la priorité de remboursement des États, et donc du contribuable. Et il assure la priorité de remboursement pour les créances et les emprunts qui ont été portés par les États avant les créances privées. Ce point est absolument déterminant, et nous assumons cette décision, prise conjointement par la France et l’Allemagne, et qui sera applicable à compter de 2013.
S’agissant du FMI, nous disposons d’un outil, puisque nous avons mis en place un fonds nous permettant de réagir aux crises. Vous l’avez dit, nous devons faire attention, dans ces périodes, à mener des politiques responsables. Chaque parole excessive – cela n’a pas été votre cas – peut nourrir l’anxiété, la peur irrationnelle, ou les attaques spéculatives. Ce fonds est correctement doté, il est solide, il nous permet de faire face. Ouvrir le sujet de nouveaux montants aujourd’hui, c’est désigner de nouvelles cibles et nous ne voulons pas aller dans cette direction.
Je voudrais souligner les propos du président Lequiller sur la coopération franco-allemande et ce qu’elle nous a permis de faire. Cette coopération commence par la comparaison des intérêts de chaque pays. Sur chaque sujet, nous dégageons des points de convergence et d’équilibre qui vont dans le sens de l’intérêt communautaire. Comme vous l’avez rappelé, ce fut le cas sur le budget 2011, sur l’Irlande, et sur le mécanisme de gestion pérenne des crises. Je pense que c’est ce qui fait la force de la relation franco-allemande en ce moment. Chacun respecte des intérêts qui ne sont pas forcément les siens, mais sur tous les sujets, à l’arrivée, une position commune émerge et permet de faire avancer l’Europe.
De ce point de vue, les positions qui vont être portées par M. Van Rompuy et au sein de la Commission reposent sur un principe assez simple : celui d’une révision la plus limitée possible du traité. Tout raffinement, toute volonté d’ouvrir une révision qui serait trop large se traduirait en effet par un processus de transposition lourd et difficile. Ce dont nous avons besoin, c’est de montrer de la détermination et de la rapidité. Il importe que l’Europe fasse très rapidement preuve de sa capacité à ajuster ses mécanismes et à faire face en défendant sa monnaie de façon conjointe.
M. Michel Herbillon. Très bien !
M. Laurent Wauquiez, ministre. Évitons-nous des luxes de raffinement, et faisons une révision simple, limitée à quelques éléments très sobres, qui nous permette de nous doter ensuite de ce mécanisme de prévention des crises à l’avenir.
Vous avez relevé deux autres éléments, monsieur Lequiller. Le renforcement de la régulation bancaire, tout d’abord. La crise irlandaise doit aussi nous interroger. L’Irlande remplissait parfaitement les critères de Maastricht. Les mailles du filet n’ont pas permis d’identifier les problèmes qui apparaissaient. Cela signifie que nous devons resserrer les mailles de ce filet pour éviter que ces crises rampantes puissent à nouveau surgir, en agissant sur deux volets. Le premier est la régulation bancaire. Celle-ci était insuffisante dans le cas de l’Irlande, et cela est l’objet du paquet « Barnier », que le commissaire a dévoilé. Le second volet est qu’il ne faut pas se contenter d’avoir pour critère le déficit ou le ratio dette sur PIB. Il faut une approche de bon sens consistant à se demander si le modèle économique, la pente de croissance suivie par un État, lui permet de rembourser ses dettes et de ne pas générer une crise qui va ensuite affecter ses voisins. Toutes les propositions conjointes vont dans le sens d’une surveillance fondée sur ces principes de bon sens avec un panorama macroéconomique plutôt qu’un spectre d’analyse trop étroit et nécessairement limité.
Pour ce qui est de l’information des parlements nationaux, nous sommes bien entendu ouverts, et l’expertise que vous avez su construire au niveau de la Commission est un bon gage de l’importance de cette juste information du Parlement européen sur les questions budgétaires.
Le président Poniatowski a insisté sur deux sujets. S’agissant de la bonne coordination entre l’échelon européen et la gestion du G8 et du G20, c’est bien entendu la volonté du Président de la République, et nous avons commencé avec Christine Lagarde à poser des jalons pour le Parlement européen, pour la Commission, pour l’ensemble des États membres – je l’évoquais avec la présidence hongroise – et bien entendu, pour les parlements nationaux.
S’agissant du dialogue stratégique avec nos grands voisins, n’ayons pas peur d’avoir de l’ambition. Ce sont des relations extérieures qui comportent bien entendu une dimension européenne. Les améliorations récentes de nos relations avec la Russie en sont une incarnation. La volonté d’avancer sur l’UPM en est un exemple, et les efforts destinés à doter l’Union européenne d’un service de relations extérieures digne de ce nom va dans ce sens, et c’est aussi pour cela qu’il nous faut un budget 2011. Sinon, ce service qui aura à sa tête un diplomate français, ce qui est une grande victoire pour notre pays, ne sera pas doté d’ambitions suffisantes.
Sur tous ces sujets, je suis convaincu que l’Europe peut traverser la crise et en sortir avec des outils renforcés. Elle peut également retrouver les chemins d’une bonne et juste ambition européenne. Cette même conviction s’est retrouvée dans toutes vos interventions. Nous avons encore plus besoin de l’Europe après la crise qu’avant. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et NC.)
M. le président. Le débat est clos.
(Mme Élisabeth Guigou remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)
Débat sur une proposition de résolution
tendant à la création d’une commission d’enquête
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. Alain Bocquet et plusieurs de ses collègues tendant à la création d’une commission d’enquête sur la situation de l’industrie ferroviaire française : production de matériels roulants « voyageurs » et fret (nos 2978, 2997).
Je rappelle que, cette discussion étant organisée en application de l’article 141, alinéa 3, du règlement, elle comprend uniquement une phase d’explications de vote, à l’exclusion de toute autre prise de parole.
Mme la présidente. Dans les explications de vote sur la proposition de résolution, chaque orateur dispose de cinq minutes.
La parole est à M. Alain Bocquet, pour le groupe GDR.
M. Alain Bocquet. Notre industrie ferroviaire est à la croisée des chemins. Nombre de ses 20 000 salariés et équipementiers, qui ont fait sa réussite aux côtés des constructeurs implantés dans notre pays, se posent la question de leur avenir.
Un quotidien du Nord-Pas-de-Calais, première région ferroviaire française avec 30 % de l’activité nationale et près de 10 000 emplois, posait récemment le problème en ces termes : « Ferroviaire, marché porteur et pourtant… », et témoignait des préoccupations des sous-traitants de ce secteur. Des préoccupations qui ne devraient pas avoir lieu d’être quand développement durable, objectif de réduction des émissions de C02, évolution du « marché » voyageurs, rythme et niveau des commandes de matériels roulants, résultats financiers des groupes constructeurs représentent autant de gages d’un essor possible de cette industrie.
Inventorier ces atouts, c’est mettre d’emblée l’accent sur sa capacité à pérenniser les positions acquises, et à se développer en demeurant à la pointe de l’innovation technologique mondiale et en créant de la richesse et de l’emploi.
Tous les éléments sont réunis pour concevoir cet essor en termes de filière industrielle ; un enjeu majeur hors duquel il n’est pas de salut. Or les stratégies de groupes, comme Alstom ou Bombardier, sont ouvertement de pousser les feux de l’externalisation de l’outil de production en Chine, en Inde pour se focaliser sur la conquête des marchés asiatiques. Les sous-traitants sont incités à leur emboîter le pas. Mais c’est une stratégie de l’échec, ainsi que le montre à sa manière une contre-enquête du quotidien Le Monde sur le sauvetage du « Made in France », en rappelant que les pays émergents « sophistiquent leurs productions… bénéficiant d’une main-d’œuvre éduquée peu chère, et des transferts de technologies que les États développés, la France entre autres, leur ont concédés pour obtenir des contrats à l’exportation ».
Équipementiers et sous-traitants tirent la sonnette d’alarme, à l’exemple de l’association des industries ferroviaires du Nord-Pas-de-Calais, qui s’interroge : « Quand Alstom et Bombardier ont des programmes sur dix ans, pourquoi les équipementiers n’ont-ils, eux, de commandes que pour un an ? »
À cette question s’en ajoute une autre : que pèseront très vite les stratégies délocalisatrices des grands constructeurs face à des géants asiatiques disposant demain des hommes, des savoir-faire, des technologies qu’on leur livre et des marchés ? Nombre des difficultés de notre industrie ferroviaire tournent autour de ces questions, déjà pointées lors des États généraux de l’industrie.
S’y ajoute notamment celle d’obtenir que toute la filière française tire bénéfice du niveau exceptionnel des commandes passées par la SNCF, la RATP, les syndicats intercommunaux de transport, les régions. L’argent public doit créer de l’emploi, non du chômage. Or ces commandes ne garantissent pas que PME et PMI françaises soient associées. Leurs dirigeants le disent. Il faut remédier à cette situation.
La question du fret ferroviaire représente elle aussi un enjeu majeur. D’abord, pour sauver la production en France de matériels roulants adaptés, alors que se poursuit la saignée d’entreprises et d’emplois qui vide ce secteur de sa substance. Ensuite, parce que le fret ferroviaire est un atout au service des bassins de vie et de l’activité d’innombrables entreprises. Enfin, parce que autour de cette question s’expriment des désaccords avec les orientations de la SNCF qui sacrifient le wagon isolé et tiennent la France à l’écart du projet Xrail auquel adhérent pas moins de onze pays européens. Il y a place en France pour la création d’un pôle industriel ferroviaire du fret.
Enfin, je veux revenir sur l’importance de l’activité ferroviaire face aux enjeux du développement durable. L’industrie ferroviaire a vocation à devenir un pilier de la transition écologique et sociale de la France. Elle a vocation à permettre le transfert de la route au rail. Moins chère et largement plus écologique, elle est l’industrie clé des objectifs de réduction de gaz à effet de serre. Tels sont les principaux éléments, brièvement résumés, qui conduisent le groupe de la Gauche démocrate et républicaine à voter pour cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Francis Hillmeyer, pour le groupe Nouveau Centre.
M. Francis Hillmeyer. Depuis 1981 et la mise en service de la première génération du train à grande vitesse, l’industrie ferroviaire a connu une modernisation sans précédent. La proposition de résolution déposée par le groupe GDR nous donne l’occasion de nous arrêter un instant sur ce grand champion de l’industrie française et d’observer plus avant la situation économique de ce secteur.
L’industrie ferroviaire française tient sa force d’un savoir-faire unique, hérité d’une longue tradition, et s’est considérablement enrichie au cours des vingt-cinq dernières années, en particulier grâce aux efforts d’équipements déployés en matière de transport de voyageurs.
Sur le marché intérieur, la demande de transport de voyageurs par le rail est en constante augmentation. Notons que l’utilisation de l’automobile par les Français a baissé de 1,4 % de 2004 à 2005 et de 2 % de 2005 à 2006. Les transports urbains connaissent enfin un véritable essor. Le transport régional de voyageurs affiche des chiffres de croissance supérieurs à 10 % dans certaines régions.
D’autres facteurs socioculturels sont favorables au rail. La prise de conscience des préoccupations écologiques et le Grenelle de l’environnement ont véritablement créé une dynamique positive autour du rail, pour les voyageurs ainsi que pour le rail-fret.
Le transport par rail profite aussi des investissements structurels réalisés par les pouvoirs publics. Nous ne pouvons que nous en réjouir. Le plan de relance de l’économie a concerné directement l’industrie ferroviaire à travers quatre chantiers très structurants, notamment en termes d’aménagement du territoire, thématique chère au groupe Nouveau Centre. Je pense, bien entendu, non seulement à la deuxième phase de la ligne à grande vitesse Est, mais aussi à la ligne Bretagne-Pays de la Loire, à Tours-Bordeaux ou au TGV Rhin-Rhône.
Pour répondre à la critique émise par le groupe GDR, ces projets ont certes été confiés aux grandes entreprises françaises du secteur, mais l’effet d’entraînement ne peut être balayé du revers de la main. Voyez, par exemple, le dynamisme du premier constructeur français de matériel fret qu’est l’ABRFI de Chateaubriant dans la circonscription de mon collègue Michel Hunault.
Le savoir-faire français, c’est bien sûr le savoir-faire des PME-PMI. C’est aussi et surtout l’innovation portée par les centres et les laboratoires de recherche des pôles de compétitivité, comme i-Trans qui travaille sur l’interopérabilité pour le secteur ferroviaire, l’intermodalité pour le transport de fret ou de voyageurs, l’intelligence des systèmes de transport et l’innovation pour le développement économique. Notons que ce samedi le premier TRAM-TRAIN de France est mis en service dans l’agglomération Mulhousienne.
Développons nos pôles d’excellence, car l’industrie ferroviaire française c’est plus de 17 000 emplois directs. Dans la région Nord-Pas-de-Calais, qui couvre près de 40 % de l’activité, plus de 10 000 personnes travaillent, dont 60 % dans les PME. En temps de crise, elles sont les premières touchées, d’où l’importance de l’action publique et de la capacité de réaction, de renouvellement, de structuration du secteur.
Je vous le concède, mes chers collègues, nous observons, depuis plusieurs années, un phénomène de délocalisation des activités de nos pays industriels vers les pays émergents. Et la crise financière que nous continuons de traverser n’a pas du tout ralenti ce phénomène. Nous sommes clairement devant une compétition internationale. Face à celle-ci il nous faut trouver les moyens de gagner.
Au groupe Nouveau Centre, nous pensons qu’une coopération franco-allemande et une intégration européenne autour de l’industrie ferroviaire sont indispensables. Face à la Chine qui investit 50 milliards d’euros par an, l’Europe doit se serrer les coudes.
Je vous le dis, il faut être réaliste et pragmatique. Nous devons continuer le développement de notre excellence dans le secteur ferroviaire à travers la création de grands groupes européens. Monsieur le ministre, portez ce grand sujet sur la scène européenne.
Une autre solution consiste à diversifier. Regardons le secteur automobile. Aujourd’hui, il est mis à mal et l’industrie ferroviaire offre des opportunités de marché intéressantes dans la construction des matériels roulants, dans l’entretien, la maintenance et l’ingénierie. C’est une piste pour les entreprises de la filière automobile. Les méthodologies sont transférables et les savoir-faire acquis au contact des constructeurs automobiles représentent des atouts pour travailler avec le ferroviaire. C’est la stratégie choisie par Otima ou Bretagne Ateliers, qui ont réussi à décrocher des marchés avec Alstom ou Bombardier.
Les métiers ne sont toutefois pas identiques, des adaptations sont donc indispensables, nous ne le nions pas. Mais le secteur ferroviaire peut être le moteur économique efficient. Son avenir, comme celui de l’ensemble de l’industrie française, c’est bien sûr l’innovation. Et au groupe Nouveau Centre, nous nous battons pour cela.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Binetruy, pour le groupe UMP.
M. Jean-Marie Binetruy. Nous examinons aujourd’hui une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la situation de l’industrie ferroviaire française, déposée par M. Alain Bocquet et les membres du groupe GDR le 19 novembre dernier.
Il s’agit de créer une commission d’enquête de trente membres sur la situation de l’industrie ferroviaire française, qui envisagerait les pratiques pénalisant la sous-traitance, les moyens de pallier ces difficultés, les solutions à mettre en œuvre pour pérenniser cette industrie, développer l’emploi et améliorer les conditions de travail dans la filière. L’objet est louable.
L’industrie ferroviaire est un élément essentiel de notre économie. Rappelons que la France est devenue, en 2008, la deuxième puissance ferroviaire européenne avec un chiffre d’affaires de 3,3 milliards d’euros, notamment grâce au développement des modes de transports ferrés : tramways, trains régionaux, TGV.
Monsieur Bocquet, votre constat est bien pessimiste. Les constructeurs ferroviaires se portent bien et connaissent des résultats financiers en progression, depuis plusieurs années, grâce notamment au sauvetage d’Alstom par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’économie, et aux commandes importantes qu’ils reçoivent sur les marchés français et international. Cependant, le dynamisme de ce marché ne profiterait pas à l’industrie ferroviaire française en raison des transferts de technologies et des centres de décision à l’étranger.
Vous estimez en outre que les commandes de l’État ou des régions seraient essentiellement fabriquées par les usines des grands constructeurs situées en Europe de l’Est, ce qui serait préjudiciable à l’industrie ferroviaire française, notamment en termes d’emploi. Bien entendu, ce sont l’État et la SNCF qui auraient une part de responsabilité dans cette situation.
Je regrette que l’exposé des motifs de la proposition de résolution et votre rapport présupposent les conclusions de la commission d’enquête. Dès l’introduction du rapport, le ton est donné : « Dominée par la recherche du profit notre industrie ferroviaire se heurte en effet au refus délibéré des principaux constructeurs et donneurs d’ordres implantés sur notre territoire de raisonner en termes de filière industrielle et d’agir en conséquence. »
M. Jean-Pierre Brard. C’est vrai ou non ?
M. Jean-Marie Binetruy. « L’attentisme de l’État et son suivisme vis-à-vis des politiques conduites par la SNCF en matière de fret ferroviaire accentuent les difficultés endurées par la France et par ses salariés. »
M. Roland Muzeau. C’est exact !
M. Jean-Marie Binetruy. Puisque vous auriez déjà constaté tout cela, quel est l’intérêt de créer une commission d’enquête ? Proposez plutôt des mesures concrètes pour mettre fin à ce que vous qualifiez de « pratiques intolérables » – je cite toujours l’exposé des motifs de la proposition de résolution.
Le Gouvernement et la majorité parlementaire entreprennent pourtant de mettre en place des mesures concrètes. Je suis élu d’un département frontalier qui connaît bien la situation des constructeurs et des sous-traitants. Il faut plutôt chercher les raisons de la désindustrialisation de notre pays dans les charges qui pèsent sur les entreprises…
M. Jean-Pierre Brard. Pas du tout !
M. Jean-Marie Binetruy. …et la complexité de notre législation.
M. Roland Muzeau. Tout à l’heure, vous avez dit que les entreprises étaient en bonne santé !
M. Jean-Marie Binetruy. Je vous invite à lire le rapport d’Étienne Blanc sur les questions frontalières.
Équilibrer les relations au sein de notre industrie entre sous-traitants et donneurs d’ordre est au cœur de nos préoccupations. Les États généraux de l’industrie ont abouti à vingt-trois mesures concrètes. Des comités de filières ont été créés pour renforcer la compétitivité économique des filières en France comme à l’international.
Un médiateur de la sous-traitance a été nommé par le Gouvernement. Jean-Claude Volot a fait de véritables propositions pour améliorer le cadre réglementaire et législatif applicable aux relations interentreprises dans le secteur industriel. Dans son rapport remis en septembre dernier, il propose de renforcer la protection des sous-traitants, notamment en favorisant l’établissement d’un contrat écrit équilibré ou à défaut l’application de clauses types communes à négocier par filière dans le cadre des comités stratégiques de filière, et en encourageant la reconnaissance par le donneur d’ordre principal des sous-traitants de rang 2, de manière à éviter les faillites en cascade lorsqu’un fournisseur se trouve en difficulté.
Ce matin, le quotidien Les Échos consacre une pleine page à ce médiateur de la sous-traitance, le qualifiant « d’acteur clé de la politique industrielle ». Je vous encourage à lire cet article, mes chers collègues. Il apparaît que le médiateur traite en permanence douze à quinze médiations collectives et soixante-cinq à soixante-dix médiations individuelles. De nombreux sous-traitants, qui jusqu’à présent n’osaient pas dénoncer les pratiques commerciales de leur principal client, se rassemblent et saisissent aujourd’hui le médiateur. Il s’agit là d’une avancée majeure pour les sous-traitants qui, j’en suis sûr, portera ses fruits.
Par ailleurs, l’engagement national pour le fret ferroviaire lancé en 2009 constitue une mesure majeure qui mobilisera 7 milliards d’euros de l’État d’ici à 2020 et 1 milliard d’euros de la SNCF d’ici à 2015. Cet engagement bénéficiera à toute la filière et ce n’est pas rien.
Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue.
M. Jean-Marie Binetruy. Parce que la création d’une commission d’enquête ne servira pas à revitaliser l’industrie ferroviaire française – le problème est plus général –, parce que le Gouvernement et la majorité parlementaire ont déjà adopté des mesures concrètes en faveur de l’industrie ferroviaire française, qui doivent produire leurs effets, le groupe UMP s’est abstenu sur la proposition de résolution lors de son examen en commission des affaires économiques et fera de même aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Grellier, pour le groupe SRC.
M. Jean Grellier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos collègues du groupe GDR souhaitent créer une commission d’enquête sur la situation de l’industrie ferroviaire française. Le groupe SRC appuie cette démarche et souhaite donner un avis favorable à sa création. Compte tenu des enjeux industriels que représente la filière ferroviaire, d’autres procédures auraient sans doute pu être mises en œuvre, dans le cadre d’une mission d’information par exemple. Mais il est vrai que la commission d’enquête apporte une dimension institutionnelle plus forte. Compte tenu des inquiétudes qui pèsent sur la production industrielle de notre pays, d’autres filières – je pense à l’automobile, l’énergie, l’agro-alimentaire, les éco-industries et bien d’autres – mériteraient une attention similaire. Il faut souhaiter que la démarche engagée aujourd’hui, spécifiquement sur la filière ferroviaire, puisse nourrir en réflexions et propositions d’autres approches pour d’autres filières industrielles.
Nous partageons les grandes lignes de la proposition de résolution. Compte tenu des enjeux du concept de développement durable, de la mutation écologique de notre économie, la filière industrielle du ferroviaire peut entrevoir un développement soutenu dans les prochaines années, qui se traduit déjà par les résultats financiers très positifs des principaux groupes industriels du secteur. Cependant, il est nécessaire de mieux connaître leur stratégie à court et moyen terme, notamment dans leur développement à l’international, de manière qu’un équilibre soit respecté avec le maintien important d’activités dans notre pays, y compris dans le domaine de la recherche et de la production, afin d’éviter qu’ils ne soient tentés par des délocalisations s’appuyant sur la conquête de nouveaux marchés dans les pays émergents.
C’est à ce niveau que doit intervenir la nécessaire régulation publique, d’autant que l’essentiel du soutien du marché dans ce secteur provient de la commande publique ou parapublique.
Dans ce contexte, il est nécessaire de développer un véritable partenariat au sein de la filière entre les grands donneurs d’ordre et les multiples sous-traitants répartis sur nos territoires. Les pratiques « d’enchères inversées » ou de « déférencement », qui sont fondamentalement des non-sens économiques, doivent laisser la place à des relations contractuelles claires et équilibrées, faisant ressortir les savoir-faire qui ont été acquis au fur et à mesure des années et qui sont indispensables à l’ensemble de la filière.
M. Roland Muzeau. Voilà !
M. Jean Grellier. Il ne s’agit pas de laisser disparaître tous ces savoir-faire comme cela se passe en silence dans d’autres filières industrielles, mais au contraire de les conforter et de leur donner les moyens de leur développement de manière qu’ils participent à l’évolution et à la modernisation de toute la filière industrielle.
S’il est sans doute nécessaire de constituer un pôle industriel ferroviaire français qui doit également intégrer l’activité du fret, il n’est pas possible d’ignorer la dimension européenne d’une véritable économie industrielle. Pour cela, il faut sortir de la crise économique et financière qui paralyse aujourd’hui l’Europe et construire, enfin, une Europe économique et sociale qui doit s’engager très rapidement dans une harmonisation fiscale et sociale qui n’a que trop tardée, afin que des dynamiques de coopération puissent se construire entre les différents pays dans la clarté et sur des bases saines.
Ainsi, notre industrie, en général, et ferroviaire, en particulier, pourrait s’intégrer dans cette dimension européenne qui peut lui ouvrir de nouvelles perspectives et pourrait, une fois harmonisée, poser les conditions d’échanges mondialisés mieux contrôlés et mieux maîtrisés. C’est dans cet esprit que les dix représentants de notre groupe s’engagent dans les travaux à mener au sein de cette commission d’enquête. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. Je rappelle qu’aux termes de l’article 141, alinéa 3, du règlement, la demande de création d’une commission d’enquête est rejetée si la majorité des trois cinquièmes des membres de l’Assemblée s’y oppose, soit 347 voix.
En outre, seuls les députés défavorables à la création de la commission d’enquête participent au scrutin.
Je soumets à l’Assemblée la demande de création d’une commission d’enquête.
La majorité requise n’est pas atteinte. En conséquence, la demande de création d’une commission d’enquête est adoptée. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
(La proposition de résolution est adoptée.)
Mme la présidente. Afin de permettre la constitution de la commission d’enquête dont l’Assemblée vient de décider la création, MM. les présidents des groupes voudront bien faire connaître, conformément à l’article 25 du règlement, avant le mardi 14 décembre 2010 à quinze heures, le nom des candidats qu’ils proposent. La nomination prendra effet dès la publication de ces candidatures au Journal officiel.
La parole est à M. Yves Cochet.
M. Yves Cochet. Nous sommes satisfaits par le vote qui vient d’avoir lieu.
Il y a quelques jours, nous avons écrit au président de l’Assemblée nationale pour indiquer que nous espérions que M. Alain Bocquet préside la commission d’enquête, mais que nous souhaiterions qu’un autre membre de notre groupe puisse y participer.
Avez-vous, madame la présidente, connaissance de la réponse de M. Accoyer ? Il me semblerait légitime que sur les trente membres que comptera la commission, parmi la dizaine d’élus du groupe SRC et les nombreux députés de l’UMP, notre groupe puisse être représenté par une autre personne en plus du président Bocquet, étant entendu que celui-ci nous représentera parfaitement.
Mme la présidente. Je n’ai pas la réponse à votre demande…
M. Jean-Pierre Brard. La Poste marche mal depuis que Quilès ne s’en occupe plus !
Mme la présidente. …qui est en cours d’examen. Nous connaissons tous la diligence et la compétence des services de l’Assemblée nationale, vous ne manquerez donc pas d’obtenir une réponse rapidement.
M. Yves Cochet. Merci, madame la présidente.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à dix-sept heures.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2010 (nos 2944, 2998, 2990)
La parole est à M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement, pour répondre aux orateurs.
M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, je reviendrai tout d’abord sur la méthode retenue pour ce projet de loi de finances rectificative. J’ai entendu et je respecte les observations formulées par différents intervenants au cours de la discussion générale. À M. le rapporteur général, M. Goua et M. Muet notamment, je répondrai que les contraintes de calendrier nous conduisent à examiner ce projet de loi avant la fin du débat en première lecture du PLF 2011. C’est un exercice difficile, une contrainte réelle pour le Parlement mais aussi pour le Gouvernement, sachez-le.
Plusieurs d’entre vous – MM. Carrez, Muet, Brard et Goua – ont signalé que ce projet de loi comporte une série de réformes d’envergure : la réforme des sociétés de personnes ; la réforme des taxes d’urbanisme ; la réforme des valeurs locatives foncières. Ces réformes auraient mérité, j’en conviens, davantage de temps pour un examen approfondi par votre assemblée. Il s’agit toutefois de mesures nécessaires à la modernisation de notre système fiscal, qui sera l’axe principal des réformes et des réflexions que nous entreprendrons dans les prochains mois, dès le début de l’année 2011.
La longueur de certains textes – quatorze pages pour celui qui est relatif aux sociétés de personnes – s’explique évidemment par la profondeur de la réforme entreprise. Il s’agit de reconstruire l’ensemble d’un dispositif qui porte sur une matière en effet complexe, ce qui explique que nous aboutissions à un texte d’une telle longueur. Ayant bien conscience des difficultés que cela pose, nous veillerons la prochaine fois, comme nous l’avons fait pour la révision des valeurs locatives foncières, à associer plus en amont les représentants de la commission des finances et à laisser plus de temps à cette assemblée pour expertiser les textes qui lui sont soumis.
J’en viens au premier point, essentiel, du rapport de Gilles Carrez, concernant le coût de la réforme de la taxe professionnelle.
Monsieur le rapporteur général, vous estimez qu’il « pourrait être compris entre 7 et 8 milliards d’euros, soit près de deux fois le coût de 3,9 milliards initialement prévu », tandis que le projet de loi de finances pour 2011 évalue l’impact de la réforme de la taxe professionnelle sur les finances publiques à 7,3 milliards en 2010 et 4,7 milliards nets d’impôts sur les sociétés en régime de croisière. Trois facteurs expliquent l’écart entre nos évaluations.
D’abord, vous comptez dans le coût de la réforme l’annulation par le Conseil constitutionnel de la taxe carbone. Vous conviendrez avec moi, monsieur le rapporteur général, que si cette annulation représente un coût indéniable pour les finances publiques – 1,9 milliard d’euros –,…
M. Christian Eckert. Eh oui !
M. François Baroin, ministre. …celui-ci n’est pas directement lié à la réforme de la taxe professionnelle.
M. Christian Eckert. Vous auriez pu la remplacer !
M. François Baroin, ministre. Ensuite, si ce sujet vous motive encore, cher Gilles Carrez, vous ajoutez dans vos calculs le coût imputable à l’annulation par le Conseil constitutionnel du dispositif de taxation des titulaires de bénéfices non commerciaux sur 5,5 % de leurs recettes. La suppression de ce dispositif, héritage de l’ancienne taxe professionnelle, a en réalité coûté 800 millions d’euros bruts aux finances publiques. Sur ce point, je précise que l’estimation présentée par le Gouvernement dans le projet de loi de finances intègre déjà ce surcoût – veuillez m’excuser si la présentation n’était pas claire –, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de l’ajouter une seconde fois.
Enfin, l’estimation du coût de la réforme a effectivement été révisée à la hausse de 400 millions d’euros par le Gouvernement : estimé à 4,3 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2010, il a été fixé à 4,7 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2011. Cette révision tient simplement compte de la discussion parlementaire. Le Parlement a apporté – et il faut s’en féliciter – une contribution décisive à cette réforme, de sorte que le texte de la loi de finances pour 2010 est sensiblement différent du projet présenté au Parlement. Les évolutions ont été nombreuses. Certaines ont été coûteuses pour les finances publiques, par exemple celles qui ont conduit à majorer les modalités de calcul de la compensation-relais ou à rebaser le prélèvement France Télécom.
Pour finir, je vous fais observer que ces estimations sont fondées sur des hypothèses. En réalité, le coût de la réforme de la taxe professionnelle ne se révélera qu’à l’épreuve des faits. De ce point de vue, nous avons des espoirs sérieux, raisonnables et étayés d’atteindre les chiffres que nous vous proposons.
D’ailleurs, les premiers éléments constatés sur les recettes encaissées révèlent deux bonnes nouvelles.
Premièrement, le coût lié à l’année de transition de la réforme – l’année 2010 – a été massivement surestimé. Alors qu’il avait été estimé à 11,7 milliards d’euros dans le PLF 2010, le coût observé ne devrait être in fine que de 7,5 milliards d’euros.
Deuxièmement, les nouvelles impositions instaurées en lieu et place de la taxe professionnelle ont un rendement qui, si les tendances observées dans les premiers encaissements se confirment, devrait être supérieur aux prévisions : la CVAE et les IFER enregistreraient une plus-value respective de 200 millions d’euros.
Voilà, monsieur le rapporteur général, l’éclairage que je souhaitais porter à la connaissance de l’Assemblée nationale. Il n’y aura donc pas de mauvaise surprise sur le coût de la réforme ; celui-ci n’a pas été sous-évalué. Compte tenu de votre engagement sur ce point, il me paraissait précieux de vous répondre de manière exhaustive et de vous détailler la position du Gouvernement et de mon ministère.
Venons-en à l’équilibre de ce projet de loi de finances et d’abord aux sujets relatifs aux dépenses, qui ont été évoqués par vous-même, cher Gilles Carrez, mais aussi par l’ensemble des intervenants.
Monsieur le rapporteur général et monsieur le président de la commission des finances, vous indiquez que le Gouvernement n’arrive pas maîtriser les dépenses de personnel ni à engranger les économies prévues grâce au non-remplacement d’un départ en retraite sur deux.
Nous avons ouvert, vous l’avez rappelé, 900 millions d’euros dans le cadre du décret d’avance. C’était indispensable pour assurer la paye des fonctionnaires. Nous avons gagé au maximum cette ouverture par des annulations sur d’autres dépenses de personnel, à hauteur de 170 millions d’euros, si bien que l’ouverture nette n’est que d’un peu plus de 700 millions d’euros, un montant gagé sur d’autres dépenses.
Enfin, vous indiquez, M. le rapporteur général, que le dépassement final devrait s’élever à environ 500 millions d’euros. Il faut en effet tenir compte de l’évolution des dépenses de pensions et de la fongibilité asymétrique. Celle-ci permet aux ministères qui font davantage d’économies sur le personnel – il y en a – d’utiliser ces marges à d’autres dépenses.
Nous examinerons précisément le dépassement réel dans le cadre de la loi de règlement. À cette occasion, le Gouvernement soulignera ses priorités politiques dans tel ou tel secteur.
Ces dépassements signifient-ils que les économies liées à la règle du non-remplacement d’un départ en retraite sur deux ne fonctionnent pas ? Non. Notre analyse est très différente.
L’essentiel de ce dépassement, et de très loin, est mécanique et lié à un phénomène que vous avez d’ailleurs souligné l’un et l’autre : les départs en retraites constatés en 2009 et anticipés en 2010 ont été moins nombreux que prévu. Ces quelque 15 000 départs en moins pèsent évidemment sur le budget de personnel des ministères, au premier rang desquels l’éducation nationale. Premier pourvoyeur du dispositif global, le ministère de l’éducation nationale doit supprimer plus de 30 000 postes.
Le reste des dépassements, vous l’avez indiqué, est dû aux mesures qui accompagnent des restructurations – dans le domaine de la défense par exemple – ou à la réalisation d’heures supplémentaires, essentiellement dans l’éducation nationale.
Gilles Carrez, vous mentionnez aussi un retour catégoriel supérieur à ce qui était prévu dans les ministères, une sorte d’effet d’aubaine des moindres départs en retraite. Charles de Courson indique, quant à lui, un taux de retour catégoriel de 73 % qui paraît très excessif. Il faudra en effet analyser finement, au vu des résultats définitifs de l’exécution. À ce stade, nous estimons que ce phénomène est beaucoup plus limité, de l’ordre de quelques dizaines de millions d’euros seulement. Nous regarderons néanmoins le sujet, une fois les résultats disponibles, mais nous sommes très loin des chiffres annoncés par Charles de Courson.
Les dépenses de personnel sont donc maîtrisées, hors décalages des départs en retraite, et les réformes permettant de réduire les effectifs sont bien en cours. Les moindres départs en retraite peuvent peser sur leur calendrier de réalisation, mais pas sur leur mise en œuvre effective à terme.
Quelles sont les raisons de ces moindres départs en retraite ? La crise et l’annonce de la réforme ont certainement induit un temps de latence psychologique et humain bien légitime au sein de la fonction publique. Les gens, dont le compteur de la vie a tourné et qui pourraient faire valoir leurs droits, ont retardé leur départ.
Jérôme Cahuzac, ces réformes rapporteront donc, bien évidemment, beaucoup plus que 100 millions d’euros par an ! Les économies que nous avons prévues seront au rendez-vous, dès lors que les départs en retraite qui ont été retardés s’effectueront, inéluctablement, dans les prochaines années.
Concernant les dépenses d’intervention, vous l’avez indiqué également, nous présentons dans ce collectif plus de 3 milliards d’euros d’ouvertures de crédits, qui sont évidemment gagés totalement par des annulations à due concurrence.
Nous respectons ainsi la norme de dépense dans un contexte difficile, et je remercie notamment Michel Bouvard de l’avoir souligné dans son intervention. C’est un point important qui montre notre détermination à maîtriser les dépenses. Par l’utilisation de ce « notre » collectif, permettez-moi de vous associer à la poursuite d’un objectif partagé.
Ces ouvertures sont très largement exceptionnelles et conjoncturelles. Près de 1,4 milliard d’euros concerne le budget de l’emploi, parce qu’il était indispensable de soutenir l’activité et l’emploi des plus fragiles en période de crise. D’autres bénéficient à la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », en raison évidemment des difficultés plus grandes de retour à l’emploi des personnes handicapées, qui pèsent notamment sur la dépense de l’allocation aux adultes handicapés. Ces ouvertures concernent aussi l’hébergement d’urgence ou les aides au logement, sensibles eux aussi à la situation économique.
En face de ces dépassements très largement exceptionnels, nous mettons en regard une moindre dépense, elle aussi ponctuelle, sur la charge de la dette et, dans une moindre mesure, sur les prélèvements en faveur des collectivités locales et de l’Union européenne. Jérôme Cahuzac a d’ailleurs souligné que l’action du Gouvernement en faveur de la limitation des dépenses de l’Union européenne n’était pas neutre.
C’est donc au total un schéma équilibré qui permet de faire face à des dépenses pour l’essentiel obligatoires, sans remettre en cause nos engagements de maîtrise des dépenses.
Selon le rapporteur général et Charles de Courson, les dérapages constatés en 2010 seraient « reconductibles » ou « structurels » et pèseront sur les années suivantes. Les dépassements dont nous parlons cette année ne sont pas des surprises. En très grande majorité, ils ont été anticipés et intégrés dans le projet de loi de finances pour l’année prochaine. Nous ne cachons pas ces dépenses sous le tapis, sous la moquette. Nous n’essayons pas de faire un ménage virtuel. Ces dépenses ont été prises en compte dans la construction budgétaire.
Quelques exemples peuvent étayer ma démonstration. Le budget de l’emploi, sur lequel nous faisons entre 1 et 1,5 milliard d’euros d’économies, reste pourtant stable en valeur, parce que nous avons tenu compte de l’impact, en 2011, des dérapages constatés en 2010.
Nous avons eu un débat assez vigoureux sur les contrats aidés. Est-il terminé ? Je l’espère. Quoi qu’il en soit, nous faisons moins de contrats aidés en 2011, car la situation économique s’améliore. Or la dotation pour les contrats aidés augmente, elle, de 400 millions d’euros en 2011. Cette évolution montre l’existence d’un effet retard par rapport à une montée en puissance liée à la gestion de la sortie de crise.
La dotation pour l’AAH est réévaluée de près de 700 millions d’euros, selon la même analyse économique. De la même façon, nous tenons compte du dépassement lié aux moindres départs en retraite sur lequel je me suis déjà longuement expliqué.
S’agissant de vos interrogations sur l’évolution des recettes, je rappelle que ce collectif ne comporte rien de nouveau par rapport aux dernières évaluations révisées.
Je veux relativiser les choses et des propos peut-être un peu soutenus sur ce point. Nous avions prévu 252 milliards d’euros de recettes fiscales en loi de finances initiale pour 2010. Ce chiffre avait été revu à la hausse dans le précédent collectif et porté à 255,3 milliards d’euros afin de tenir compte notamment d’une réévaluation de l’impôt sur les sociétés en lien avec la reprise économique. Avec le président Jérôme Cahuzac nous avons des débats sur le degré d’élasticité de notre économie, et ce sujet va certainement continuer à nourrir nos échanges. Alors que le montant de l’impôt sur les sociétés était inscrit à 33 milliards d’euros dans les prévisions initiales, nous en attendons près de 35 milliards d’euros, un chiffre qui n’est pas modifié dans le présent collectif. Nous attendons d’ici peu les résultats du cinquième acompte qui permettront d’en savoir davantage.
Au total, dans ce collectif, les recettes fiscales s’établissent à 255 milliards d’euros : 300 millions d’euros de moins, soit 0,1 % du total, c’est vraiment l’épaisseur du trait ! Nous avons donc calculé et visé plutôt juste.
Dans un contexte incertain, après la crise que nous avons vécue, il a pu être difficile de prévoir de façon extrêmement précise l’évolution de ces recettes. Ainsi, puisque vous l’avez mentionné, les premières remontées sur la TVA nous ont conduits à revoir d’abord le rendement à la hausse de 2 milliards d’euros par rapport à la loi de finances initiales, pour tenir compte des plus-values constatées fin 2009 et des nouvelles prévisions macroéconomiques. Les encaissements constatés nous conduisent à réviser nos estimations légèrement à la baisse : 600 millions d’euros en moins, ce qui est très inférieur à la réévaluation précédente.
Il est donc excessif de dire que l’État ne protège pas ses recettes ou que la reprise n’est pas au rendez-vous. En réalité, nous sommes globalement en ligne avec ce que nous avions prévu.
Enfin, je rappelle quand même que nous allons faire un effort sans précédent de réduction des niches fiscales – ces fameuses « termites » dénoncées par le rapporteur général – pour un total de 10 milliards d’euros dès l’année prochaine. On ne peut pas dire que l’État laisse s’effriter ses recettes fiscales ; au contraire, il agit sur cette source de dépense de nature fiscale. Je ne reviens pas sur ce sujet dont nous avons longuement parlé et dont nous reparlerons très certainement l’année prochaine.
Concernant les recettes non fiscales, nous avons effectivement eu la possibilité de prélever en 2010 un peu plus de 700 millions d’euros sur les fonds d’épargne gérés par la Caisse des dépôts. Ce n’est pas la mesure « au forceps » décrite par Jérôme Cahuzac, mais un prélèvement classique et qui respecte les règles, notamment les règles prudentielles des fonds d’épargne, et qui a pu être effectué en raison de la meilleure santé financière que prévu de ces fonds.
Il en va de même du prélèvement sur la Caisse des dépôts elle-même, qui tient seulement compte de l’amélioration de son résultat.
M. Michel Bouvard. Pas seulement !
M. François Baroin, ministre. Je félicite le président de la commission de surveillance de la CDC et je rappelle d’ailleurs qu’il s’agit essentiellement d’un prélèvement équivalent à l’impôt sur les sociétés.
Vous indiquez ensuite, monsieur le président de la commission des finances, que notre programmation des finances publiques serait « périmée », car nos hypothèses d’élasticité des recettes à la croissance, notamment dans les documents envoyés aux autorités européennes, seraient trop optimistes. Je vous rassure, si c’est possible : au moment de la présentation des lois de finances en septembre et de la programmation pluriannuelle de nos finances publiques pour les années 2011-2014, nous avons révisé notre cadrage macroéconomique et de finances publiques pour l’année 2010.
Les informations que vous mentionnez sur les recettes ont d’ores et déjà été intégrées à notre nouvelle prévision de déficit public pour l’année 2010. Le souffle de la réunion de Fort de Brégançon de la fin du mois d’août continue de nous donner de l’élan. La sincérité du Gouvernement dans son approche macroéconomique est, pour nous, un gage de son objectivité dans l’évaluation des recettes attendues pour l’année prochaine.
L’élasticité des recettes fiscales nettes pour cette année n’est plus de 2 ; elle a été révisée à 1,7, selon un mouvement parallèle à celui de la prévision de croissance, qui a été rabaissée de 2,5 à 2 points. Il y a donc une cohérence dans nos prévisions. L’écart que vous montrez du doigt, monsieur le président Cahuzac, n’existe plus. La trajectoire pluriannuelle de finances publiques de la loi de programmation des finances publiques n’est donc pas obsolète puisqu’elle intègre bien ces nouvelles informations sur les recettes.
Je précise d’ailleurs, pour rassurer, là encore, Jérôme Cahuzac sur les conditions de financement de notre dette, que nous gardons toute la confiance des agences de notations et des investisseurs, ce qui nous permet de nous financer à moindre coût sur les marchés financiers. La hausse des taux d’intérêt de la France au plus fort de la crise est restée relativement limitée et, depuis, le spread avec l’Allemagne s’est replié au niveau de celui du début de l’année.
M. Jean-Pierre Brard. Vous voulez certainement parler de l’écart avec l’Allemagne !
M. Henri Emmanuelli. M. le ministre veut faire moderne !
M. Jean-Pierre Brard. C’est plutôt la marque d’un esprit colonisé !
M. François Baroin, ministre. Il est à noter qu’actuellement, les investisseurs se réfugient plutôt vers les émetteurs dont la signature est la meilleure, et nous bénéficions de ce report vers la qualité. Nos taux de refinancement restent bas : aux alentours de 3,2 % à dix ans. Nous ferons tout pour conserver cette confiance. Cela passe prioritairement, comme je l’ai souligné à de nombreuses reprises, par une détermination sans faiblesse et un respect sans faille de notre trajectoire de consolidation des finances publiques, en d’autres termes, de réduction de notre niveau de déficit.
Pour finir, et sans entrer dans un débat de fond sur les nombreuses mesures fiscales, je voudrais répondre brièvement sur deux sujets.
Premièrement, M. Jérôme Cahuzac et M. Jean-Pierre Balligand m’ont alerté sur l’absence d’évaluation du coût budgétaire de la réforme des sociétés de personnes. Nous aurons l’occasion d’en reparler lorsque nous aborderons l’examen de ce texte, notamment de l’amendement du rapporteur général. Mais, comme je l’ai dit hier soir, le Gouvernement n’est pas opposé à procéder par étapes, pour répondre à toutes les attentes de votre assemblée.
Deuxièmement, M. Nayrou s’est ému de la suppression par le Sénat de la réduction d’impôt tourisme, plus connue sous le nom de Demessine. La proposition de suppression qui a été présentée par le rapporteur général, M. Marini, et adopté par la commission des finances du Sénat a recueilli un avis favorable du Gouvernement.
M. Michel Bouvard. Comment ?
M. François Baroin, ministre. Nous avons fait le constat de l’échec de ce dispositif : d’abord, sur le plan de l’efficacité de la dépense publique en matière de développement touristique car, dans certaines situations, l’offre est inappropriée au regard du potentiel touristique ; ensuite, sur le plan de la protection des investisseurs, car – et vous l’avez signalé à juste titre – ce dispositif a conduit à des situations délicates, voire dramatiques, pour les investisseurs qui se sont endettés et ne retirent pas les revenus escomptés de leur bien.
M. Michel Bouvard. Belle concertation avec le Parlement sur le sujet !
M. Jean-Pierre Brard. Ce n’est que de l’anticommunisme, c’est contre Mme Demessine !
M. François Baroin, ministre. Je rappelle toutefois que nous maintenons le dispositif pour la rénovation du parc de logements existants, pour encourager leurs propriétaires à engager les travaux à cette fin.
M. Michel Bouvard. Nous avons proposé un contrôle des communes. Nos amendements ont été refusés !
M. François Baroin, ministre. Je me suis efforcé de donner des éléments de réponse les plus précis possible à l’issue de cette discussion générale. Cela nous permettra, je l’espère, d’aborder sereinement l’examen des amendements.
M. Jean-Pierre Brard. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
M. Jean-Pierre Brard. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 58, alinéas 1 et 2.
Je formulerai d’abord une remarque de forme qui vaut pour le ministre, même si les rappels au règlement ne s’adressent pas habituellement au Gouvernement. Ici, nous parlons français, monsieur le ministre, comme nous y invite la loi Toubon. Donc le spread n’existe pas. Même Mme Lagarde parle maintenant français dans cet hémicycle. Or rappelez-vous comment elle parlait au début.
Puisque vous parliez des Allemands, vous auriez peut-être pu employer le mot d’Unterschied, en tout cas pas celui de spread !
M. François Goulard. Ce n’est pas la bonne traduction.
M. Jean-Pierre Brard. Vous avez raison. Donc, parlons français !
M. Gilles Carrez, rapporteur général. En allemand, on dit également spread !
M. Jean-Pierre Brard. Non, ce n’est pas de l’allemand !
Madame la présidente, je souhaite faire deux remarques de principe, pour ne plus y revenir dans le débat. Cela nous fera gagner du temps.
M. le ministre vient, sur le ton de l’évidence et d’une voix monocorde, d’énumérer les suppressions d’emplois prévues dans la fonction publique : non-remplacement d’un départ sur deux à la retraite, 30 000 suppressions de postes à l’éducation nationale. Il a cité ces chiffres sans âme, sans émotion, comme si cela n’avait aucune conséquence sur l’éducation de nos enfants, à un moment où l’OCDE vient de classer la France d’une façon fort médiocre. Votre voix, monsieur le ministre, était encore plus neutre que celle des présentateurs à la télévision quand ils annoncent les prévisions météorologiques. Cela devrait pourtant vous faire quelque chose. Mais non, vous êtes un comptable. Vous comptez les petits sous, pour en garder assez pour ceux qui spéculent.
M. Henri Emmanuelli. Il n’a pas de cœur !
M. Jean-Pierre Brard. Seconde remarque : s’il est des sujets, monsieur le ministre, que vous énoncez un peu comme le prêtre au moment des vêpres ou des matines, quand il égrène les grains de son chapelet sur un ton monocorde, il en est d’autres que vous n’évoquez pas du tout. Bien que j’en aie parlé hier, vous n’avez rien dit des paradis fiscaux, où il y a pourtant des sous. Vous n’avez pas répondu à la liste publiée par le Comité catholique contre la faim et pour le développement, véritable acte d’accusation contre le Gouvernement, qui montre à quel point M. Sarkozy a voulu faire prendre des vessies pour des lanternes aux Français – à ceux qui le croient encore.
Mme la présidente. Il vous faut maintenant conclure, monsieur Brard.
M. Jean-Pierre Brard. Je vais conclure, madame la présidente, puisque vous me le demandez.
Le silence du ministre confine à la connivence, si ce n’est à la complicité. En effet, pas plus que n’ont été évoqués les paradis fiscaux, avec tout l’argent qui nous est volé, il n’a été question de la mafia russe qui peuple les villages de l’arrière-pays niçois avec la complicité du gouvernement français, et de la pratique de Tartuffe qui est menée vis-à-vis des amis du camarade Poutine, qui sont protégés par le fils Pougatchev et son ami Nicolas.
Mme la présidente. Je vous fais remarquer, monsieur Brard, que vous avez dépassé non seulement votre temps de parole, mais également le cadre d’un rappel au règlement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.
M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Avant que ne s'engage le débat sur les articles de ce collectif budgétaire, je souhaiterais dire un mot de la manière dont l'article 40 de la Constitution fut appliqué aux 367 amendements déposés en séance sur ce texte.
Moins de soixante amendements ont été déclarés irrecevables, soit 16 %, proportion identique à celle constatée lors de l’examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2011.
Certains d'entre eux avaient d'ailleurs déjà été jugés irrecevables en commission : leurs auteurs ayant souhaité les redéposer, les mêmes causes ont produit les mêmes effets et ils ont été censurés au titre de l’article 40.
Je pense notamment aux nombreux amendements concernant la prorogation de l'affichage du coût de la collecte et du recyclage des équipements électriques ou électroniques, dont certains collègues se sont émus de la censure. Si cette disposition a été créée par une loi de finances rectificative, c’est parce qu'elle s'inscrivait dans le cadre de la mise en place d'une éco-contribution à la charge des fabricants et des revendeurs de ce type de produits. Or la modification d'une disposition introduite en loi de finances ne suffit pas pour justifier son rattachement systématique au domaine des lois de finances. En l'occurrence, la disposition en question n’est ni fiscale ni budgétaire, et elle n'a pas de lien avec l'information et le contrôle du Parlement en matière de finances publiques. Elle est donc clairement cavalière.
J'ai également dû déclarer irrecevables, car étrangers au domaine des lois de finances, des amendements prévoyant d'interdire certaines activités en lien avec des paradis fiscaux ou de renforcer les règles prudentielles s'appliquant au secteur bancaire ou assurantiel. Ces dispositions n'ont aucun impact fiscal ou budgétaire et sont sans lien avec le contrôle fiscal, contrairement à d'autres amendements qui prévoyaient, par exemple, la déclaration systématique à l'administration fiscale de certains montages ou de certaines pratiques, comme les prix de transfert, lesquels amendements ont, naturellement, été jugés recevables.
De rares amendements ont été déclarés irrecevables au motif qu'ils engendraient une perte de recettes pour une personne publique alors qu'ils n'étaient pas gagés. Je le rappelle, mes chers collègues, un amendement parlementaire peut tout à fait proposer l'élargissement d'un amortissement exceptionnel, l'augmentation du plafond de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises ou la prorogation d'un cas d'exonération de droits de mutation, mais à la seule et unique condition qu'il soit gagé pour la personne publique qui subit la perte de recettes.
J'ai tenté d’appliquer l'article 40 avec le plus de discernement possible, et j'ai constamment cherché à l'appliquer, lorsque cela était possible, avec la souplesse nécessaire à l’initiative parlementaire.
À la différence de mes prédécesseurs, qui ont toujours considéré que la garantie financière de l'État constituait une charge publique éventuelle, j'ai déclaré recevable un amendement proposant de proroger la garantie de l'État en matière d'assurance-crédit aux PME, à partir du moment où l'on pouvait considérer que cette garantie était déjà existante et que l'objet principal de l'amendement – en l’espèce de notre collègue Lionel Tardy – n'était pas d'occasionner un coût supplémentaire pour l'État, mais d’en différer la charge dans le temps.
En matière de trésorerie des personnes publiques, j'ai également choisi de faire preuve de plus de souplesse que mes prédécesseurs, qui ont toujours considéré que le décalage dans le temps du paiement d'un impôt, même bref et limité, entraînait mécaniquement un coût pour la personne publique concernée. J'ai ainsi accepté le dépôt d'un amendement qui prévoit d'aligner les périodes de régularisation de TVA et de clôture des comptes des entreprises, considérant que la perte éventuelle de recettes pour l'État ne dépassait pas le cadre annuel et n'emportait pas d'effet financier massif.
Il reste donc, mes chers collègues, plus de 300 amendements en discussion, qui nous donneront, je n'en doute pas, l'occasion d'un débat nourri. D’ailleurs que pourrions-nous faire d’autre au regard de la neige qui tombe actuellement ? Il est donc certain que ce débat sera intéressant.
M. Jean-Pierre Brard. C’est moins cher que le cinéma !
M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Mes chers collègues, je vous remercie par avance de la compréhension dont vous voudrez bien faire preuve à l’égard du président de la commission des finances, qui s’efforce d’appliquer l’article 40 avec le plus de discernement et de souplesse possible : discernement pour appliquer un article qui s’impose à tous, souplesse pour ne pas brider l’initiative parlementaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson. M. le président de la commission des finances a globalement raison dans ses décisions, à l’exception d’une : il est quand même difficile de déclarer irrecevable un amendement qui modifie un texte adopté en loi de finances rectificative. Il fait preuve en général d’un certain libéralisme. Son attitude est d’autant plus surprenante concernant une disposition adoptée en loi de finances rectificative.
Mme la présidente. J’appelle maintenant les articles de la première partie du projet de loi de finances rectificative pour 2010.
Avant d’entamer la discussion des articles, je vous informe qu’à la demande du Gouvernement, nous commencerons la séance de vingt et une heures trente par l’examen de l’article 14, puis, à la demande de la commission, de l’article 30 et des amendements après l’article 30. Nous reprendrons ensuite la discussion des articles là où nous en serons rendus à la fin de la séance de cet après-midi.
Mme la présidente. Je suis saisie d'un amendement n° 59.
La parole est à M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.
M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
(L'amendement n° 59, accepté par le Gouvernement, est adopté.)
(L'article 1er, amendé, est adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie d'un amendement n° 58.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Gilles Carrez, rapporteur général. Amendement rédactionnel.
(L'amendement n° 58, accepté par le Gouvernement, est adopté.)
(L'article 2 , amendé, est adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie d'un amendement n° 239 portant article additionnel après l’article 2.
La parole est à M. Thierry Carcenac.
M. Thierry Carcenac. L’écart entre le montant des compensations et concours versés aux départements au titre du revenu de solidarité active, de l’allocation personnalisée d’autonomie et de la prestation de compensation du handicap et le montant des dépenses réellement exposées par ces derniers au titre de ces trois allocations de solidarité nationale est aujourd’hui tel qu’il met en péril l’équilibre financier d’un grand nombre de budgets départementaux. Cet écart est estimé aujourd’hui entre 5,2 milliards et 5,4 milliards d’euros. Dans ce cadre, l’amendement prévoit la création d’un fonds exceptionnel de péréquation de la compensation des allocations individuelles de solidarité départementales.
D’autres systèmes de péréquation ont été mis en place dans le cadre de la loi de finances initiale mais nous n’en voyons pas encore les effets. Je pense que nous les verrons en 2011.
Dans son article 34, la loi de finances rectificative prévoit un prélèvement exceptionnel de 75 millions d’euros sur les ressources de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie retracées au sein de la section mentionnée au IV de l’article L. 14-10-5 du code de l’action sociale et des familles. Néanmoins, le Gouvernement n’a pas encore indiqué quelles seraient les modalités de répartition des 75 millions restants entre les départements les plus en difficulté.
Je note, par ailleurs, que de nombreux débats se sont déroulés dans les différentes structures – tel le Comité des finances locales –, ce qui, avec le rapport Jamet ou le rapport Carrez-Thénault, prouve que tous les partenaires reconnaissent qu’il y a des difficultés. À quoi bon discuter encore de ces questions ? Comme le disait M. Balligand, il serait temps de passer aux actes. Le Sénat débattra demain du financement des allocations universelles. Pourquoi reporter au lendemain ce que l’on peut faire le jour même ? C’est pourquoi le groupe SRC propose cet amendement qui a pour objet d’alimenter le fonds de péréquation à hauteur de 1 milliard, ce qui est bien loin de l’écart de financement de 5,2 ou 5,4 milliards.
Enfin, on ne peut pas dire qu’il faut renationaliser tous ces dispositifs.
M. François Goulard. Si !
M. Thierry Carcenac. En effet, avec la mise en œuvre de l’APA, par exemple, on a pu constater dans les départements une gestion au niveau local moins dépensière, en même temps qu’une action de proximité plus efficace.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gilles Carrez, rapporteur général. La commission a rejeté cet amendement, comme elle l’avait fait en loi de finances initiale pour 2011. Nous aborderons cette question à l’article 34, mais je voudrais d’ores et déjà en dire deux mots. C’est dès 1982 que les transferts de compétences ont été organisés ; vingt ans plus tard, le principe de leur compensation a été introduit dans la Constitution. La compensation est fondée sur une photographie des dépenses et des recettes qui vont les compenser à l’instant du transfert ; après quoi recettes et dépenses vivent leur vie. Cela peut donner des résultats très positifs, comme avec les aides sociales et les droits de mutation, dans les années quatre-vingt. Mais cela peut aussi donner des résultats négatifs, avec des évolutions divergentes, telle, en 2002, l’APA, dont un ministre de l’époque annonçait que la compensation serait à peu près de 50 %, mais qui fut ensuite revue à 35 %, et qui est aujourd’hui à 29 %.
M. Charles de Courson. En moyenne !
M. Gilles Carrez, rapporteur général. Autre exemple : en 2005, la TIPP devait compenser le transfert du RMI, mais, malgré la clause de sauvegarde, tout le monde connaît la dynamique de cette taxe et celle du RMI-RSA.
Le problème, cependant, c’est que les prestations comme le RSA, l’APA ou la PCH sont fixées à un niveau national, et que les départements n’ont aucune marge de manœuvre. C’est donc au plan local qu’on organise la solidarité nationale. J’ai entendu tout à l’heure le mot de « recentralisation ». Si les écarts devaient continuer à se creuser, il faudrait peut-être en effet se poser la question du traitement d’ensemble.
M. Henri Emmanuelli. Moi, je suis pour !
M. Gilles Carrez, rapporteur général. En même temps, vous voyez bien, monsieur Carcenac, que le sujet n’est pas lié à telle ou telle période, à telle ou telle majorité depuis 1982, mais qu’il s’agit d’un sujet de fond, traité de façon temporaire par l’article 34, avec la mise en place de ces 150 millions d’euros. On pourra ajouter un petit quelque chose avec la péréquation, mais – je répète ce que j’avais indiqué dans le rapport que m’avait commandé le Président de la République pour préparer la conférence des finances publiques –, ces solutions ne sont pas à l’échelle du problème structurel qui se pose à nous. Il faudra bien, à un moment ou à un autre, le traiter. En ce qui concerne l’APA, le Gouvernement a répondu en renvoyant à la réforme de la dépendance. Mais les aspirations qui accompagnent cette réforme sont assez divergentes : pour les uns, elle devrait permettre de dépenser moins, en tout cas en termes de dépenses publiques ; pour les autres, elle devrait permettre de rendre un service de meilleure qualité. Vous voyez donc les difficultés de la réforme.
L’avis de la commission est donc défavorable, mais je suis convaincu que cette question se reposera de manière récurrente, sinon lancinante, dans les prochaines années.
M. Christian Eckert. En attendant, on fait quoi ?
Mme la présidente. La parole est à M. François Goulard.
M. François Goulard. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’amendement présenté par M. Carcenac soulève un problème bien réel. Le rapporteur général a très clairement expliqué la divergence qui existe entre les dépenses et les ressources transférées. Je le rejoins pour considérer anormal qu’une prestation définie nationalement, sur laquelle la collectivité locale n’a pratiquement pas prise, relève d’un financement local, et plus encore si l’on considère la nature des ressources des départements qui sont les plus concernés par ces transferts. Donner à une collectivité la responsabilité de verser une prestation définie nationalement, c’est une fausse décentralisation ; lui transférer une compétence qui consiste à appliquer des règles fixées nationalement, c’est encore une fausse décentralisation. C’est donc une question de fond qui se pose là.
Pour intéressant qu’il soit, le mécanisme de péréquation proposé est insuffisant. Il faudra revenir à une centralisation de ce type de prestations. Ainsi, les CAF sont aussi aptes à payer le RSA que les services des conseils généraux. Nous aurions là, je crois, des économies à réaliser, car, sur le terrain, les services ont été doublonnés. Il faudra bien, tôt ou tard, traiter cette question, qui n’est abordée ni dans la réforme de la fiscalité locale ni dans celle des collectivités territoriales, mais qui s’imposera à nous pour des raisons de cohérence et de logique, autant que pour des raisons financières.
M. Yves Vandewalle. C’est très juste, et il faut le faire le plus vite possible !
Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson. Personne ne peut contester que la question se pose. Mais il faut également se demander si la gestion des prestations nationales est homogène dans tous les départements. Avec M. le rapporteur général, nous avons fait réaliser divers travaux sur ce sujet, pour comprendre les différences, département par département. Or on voit que, si certains savent bien gérer ces dossiers, d’autres le font beaucoup moins bien. Il est dommage que notre collègue Bartolone ne soit pas là : il représente un département où, à une époque, les taux d’insertion sur le RMI étaient de 15 %, alors que, dans les Landes, c’était moins.
M. Henri Emmanuelli. Ça dépend de la sociologie !
M. Charles de Courson. Quinze pour cent, cela veut dire qu’on ne fait rien ! Et on pourrait citer d’autres exemples !
M. Jean-Pierre Brard. C’est de la provocation ! C’est l’arrogance de l’aristocratie !
M. Charles de Courson. Monsieur Brard, l’aristocratie vous dit qu’il faut être rigoureux et ne pas considérer que tout le monde gère les prestations de façon homogène.
L’étude économétrique que nous avons fait réaliser explique plus de 80 % des écarts à l’aide de deux ou trois facteurs. L’idée serait donc de se mettre d’accord sur une formule qui servirait de base à la compensation. Ceux qui gèrent bien ont un petit bonus ; ceux qui gèrent mal ont un petit malus.
D’autre part, on a parlé de recentraliser. Mais distribuer de l’argent, ce n’est pas le tout : il faut aussi gérer les personnes. Pensez-vous, mon cher collègue Goulard, que la CAF ait les services sociaux adéquats ? Prenez le cas du RSA : il ne s’agit pas simplement de donner de l’argent aux gens, il faut les aider à se réinsérer. Qui dispose de services sociaux capables d’affronter cela ? Sûrement pas les CAF.
Il faut, je crois, prévoir un budget annexe pour ces prestations légales, avoir le courage d’accorder aux conseils généraux une marge dans la fixation, une possibilité de moduler. Ce n’est pas la même chose d’être au RMI dans la Creuse ou en Seine-Saint-Denis.
M. Jean-Pierre Brard. Je ne vous le fais pas dire !
M. Charles de Courson. Il faut un financement nationalisé sur la base d’objectifs, et un différentiel de responsabilisation. Ce serait un système cohérent. C’est pourquoi je ne voterai pas l’amendement de notre collègue, qui considère que tout le monde gère de la même façon.
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Emmanuelli.
M. Henri Emmanuelli. Si j’approuve l’approche de M. le rapporteur général et, d’une certaine manière, celle de M. Goulard, je ne suis pas du tout d’accord avec M. de Courson.
M. François Goulard. C’est que nous sommes des roturiers !
M. Henri Emmanuelli. Il est vrai que, dans mon département, le taux de RMI est très faible, mais je ne m’en vante pas, parce que cela s’explique par des raisons sociologiques : nous n’avons ni grand centre urbain ni ancienne zone industrielle déshéritée, nous n’avons pas, comme les Pyrénées-Orientales, une énorme communauté d’une nature un peu particulière qui augmente le taux. Le différentiel entre ceux qui gèrent bien et ceux qui gèrent mal ne doit pas être si important. Mais la vraie problématique a été formulée : il s’agit d’une dépense définie par la loi, et qui s’impose donc comme une obligation. Chaque fois qu’il m’est arrivé d’aller au tribunal pour contester un RMI, j’ai perdu le procès. J’ai même perdu contre une dame qui touchait le RMI et se promenait en Bentley ! Faute d’être allés espionner ce qui se passait la nuit chez elle, nous n’avons pas été en mesure de dire au tribunal si elle était la compagne d’un homme qui avait les moyens ou une personne hébergée, sans revenus. Nous avons même perdu en appel. Telles sont les aberrations auxquelles on aboutit.
Dès lors qu’il existe des critères nationaux de dépense, je ne suis pas contre la recentralisation. Nous n’avons jamais demandé à gérer le RMI. Souvenez-vous, monsieur Goulard, c’est M. Raffarin qui nous l’a imposé. À l’époque, M. Copé disait : « Ne vous faites pas de soucis, ce sera compensé à l’euro près. »
M. Henri Nayrou. « À l’euro près » !
M. Charles de Courson. Et l’APA ? Vous avez voté pour !
M. Henri Emmanuelli. Pour l’APA, ce fut la même chose. Au départ, nous avons voté la création de la prestation. Mais ne cherchez pas à tout embrouiller, monsieur de Courson. Personne ne conteste que nous l’ayons votée. Mais souvenez-vous qu’aucun département n’avait demandé à gérer le RMI. Quoi qu’il en soit, nous nous trouvons aujourd’hui devant une situation de fait.
M. Carrez l’a bien dit, mais la situation est encore plus grave. J’ai entendu dire que les départements n’avaient qu’à économiser sur d’autres dépenses. C’est idiot ! Dans les départements, les dépenses sociales représentent entre 50 et 60 %, après quoi il y a la masse salariale. Si on veut maintenir ne serait-ce que la moitié des investissements, on ne voit pas où se situe la marge d’économies. Cette année, certains départements ne pourront pas verser les prestations jusqu’au bout. Or une seule prestation se prête à cela : le RSA. Si les départements cessent de verser aux CAF, que se passera-t-il ? Les CAF assigneront-elles les départements devant les tribunaux ? Il sera intéressant de suivre ce sketch ! S’il n’y a pas de réaction rapide, monsieur le ministre, c’est ainsi que cela se terminera, il ne peut en être autrement.
Dernier point : avec quoi doit-on financer la solidarité nationale ? Avec le foncier bâti ? C’est grotesque ! Peut-on vraiment financer une prestation nationale avec un impôt qui ne se distingue pas par sa justice ? Il ne suffit pas de parler de solidarité, il faut voir comment la financer. En l’occurrence, on le fait de la pire des manières. Monsieur le ministre, je suis sûr que mon intervention ne vous passionne pas, mais sachez que vous avez un problème auquel, même en fermant les yeux, vous n’échapperez pas.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
M. Jean-Pierre Brard. Moi aussi, je partage l’avis du rapporteur général, de François Goulard et d’Henri Emmanuelli. Pour une fois, nous pouvons être d’accord sur ce que sont les fausses décentralisations. Toutefois, monsieur Goulard, je ne suis pas favorable à une décentralisation et à des transferts de moyens qui entraîneraient, pour les collectivités concernées, la liberté de définir leur politique, car il s’agit d’une rupture de l’égalité républicaine. Or, de Lille à Marseille, les droits de nos concitoyens doivent être identiques.
Mais quand j’entends M. de Courson, mon sang ne fait qu’un tour ! À force d’avoir trop fréquenté la rue Cambon, notre collègue est atteint du syndrome de la Cour des comptes, qui lui fait voir les livres de comptes mais pas la réalité telle que Victor Hugo savait si bien la décrire.
Madame la présidente, vous qui connaissez bien la Seine-Saint-Denis, si vous me permettez une suggestion, vous devriez prendre M. de Courson sous le bras un soir, l’emmener dans une cité de Bondy, l’y abandonner et le récupérer le lendemain matin.
M. François Goulard. Dans quel état ? (Sourires.)
M. Jean-Pierre Brard. Dans quel état ? Je vous assure que les habitants de la Seine-Saint-Denis sont gens fort paisibles, mais qui connaissent le réel. Ils ne sont pas comme M. de Courson, dont on voit bien la filiation avec Marie-Antoinette qui disait des Parisiennes qui venaient réclamer du pain : « Elles n’ont pas de pain ? Qu’elles mangent de la brioche ! »
En Seine-Saint-Denis, nous ne sommes ni rue Cambon ni dans les vignobles de la Marne chers à notre collègue Charles de Courson, nous sommes dans la misère, dans les ghettos fabriqués autrefois par la ville de Paris qui a utilisé la Seine-Saint-Denis comme un dépotoir. L’on ne peut accepter de personnes qui ne franchissent jamais le périphérique qu’elles traitent nos populations avec cette arrogance et ce dédain, comme s’il n’y avait que de bons gestionnaires d’un côté et de mauvais de l’autre. J’ai plutôt tendance à penser qu’il y a, d’un côté, ceux qui défendent les privilégiés et, de l’autre, ceux qui défendent les exploités.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François Baroin, ministre. Ce débat est bien connu, et je respecte évidemment les positions des uns et des autres. Étant moi-même élu local, je connais bien ces difficultés.
M. Jean-Pierre Brard. À Troyes aussi, il y a de la misère !
M. François Baroin, ministre. Je rappelle que ce projet de loi de finances rectificative prévoit déjà un fonds de soutien et d’accompagnement des départements, d’un montant de 150 millions d’euros.
M. Pierre-Alain Muet. Ce n’est rien !
M. Henri Emmanuelli. On parle de milliards, en l’occurrence !
M. François Baroin, ministre. Vous dites que c’est insuffisant, que ce n’est rien, mais vous êtes les premiers à dire qu’il faut serrer un peu plus la vis, que nous sommes laxistes. Il ne faut pas être trop contradictoire dans l’exposé de vos motifs.
J’entends encore la déclaration faite hier à la tribune par M. Muet qui défendait une motion de procédure visant à retoquer ce projet de loi de finances rectificative avant même qu’on en discute. Il ne faut pas être complètement incohérent.
M. Henri Emmanuelli. On parle de milliards d’euros, monsieur le ministre !
M. François Baroin, ministre. Oui, on parle d’un milliard d’euros.
M. Henri Emmanuelli. De plusieurs milliards d’euros !
M. François Baroin, ministre. Non, on parle d’un milliard d’euros. Telle est la déclinaison de l’amendement, et vous reconnaissez, je crois, la validité de mon chiffrage. Un milliard d’euros, ce n’est pas soutenable aujourd’hui, en l’état de nos finances publiques.
C’est bien la raison pour laquelle le Gouvernement engage – avec courage, je crois – une réflexion sur le financement de la dépendance, problématique étroitement liée aux figures imposées en matière d’accompagnement des personnes les plus défavorisées et les plus fragiles. L’APA est au cœur de cette problématique.
Faut-il aller plus loin dans la réflexion ? Je crois qu’il ne faut pas avoir peur du débat sur la dépendance, l’affronter avec courage et responsabilité. Cette question se pose à nous tous, que l’on soit de droite ou de gauche. Il conviendra de voir ensuite quelles sont les conséquences et quelle est la répartition des responsabilités entre l’État et les collectivités territoriales dans l’accompagnement.
Mme Marie-Christine Dalloz. Très bien !
M. François Baroin, ministre. En outre, je voudrais simplement rappeler que si les tarifs sont, c’est vrai, fixés au niveau national, les plans d’aide, par exemple pour l’APA, sont définis au niveau local. Par exemple, le nombre d’heures effectuées est arrêté dans le cadre du plan départemental.
Vous voyez bien qu’il existe encore des marges de discussion. Il n’y avait rien, et conscients de la difficulté, nous proposons ce plan ; à ce stade, nous ne pouvons aller plus loin. C’est pourquoi le Gouvernement est défavorable à l’amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.
M. Pierre-Alain Muet. On ne peut pas évacuer ce problème comme le fait le ministre. Il s’agit de solidarité nationale. L’écart entre les dépenses que les départements sont amenés à faire et la compensation est aujourd’hui considérable : il s’élève à 5,2 milliards d’euros. Le ministre nous répond avec les 150 millions d’euros du fonds de péréquation prévus à l’article 34, mais ce n’est pas la question !
En fait, avec ce dispositif, le Gouvernement se défausse complètement sur les départements pour assurer à sa place le fonctionnement de mécanismes de solidarité nationale. Mais comment les départements vont-ils financer cela ? En augmentant les taxes foncières ? Financer des mécanismes de solidarité par l’augmentation des taxes foncières des départements est une aberration complète ! L’État doit prendre ses responsabilités.
L’amendement de Thierry Carcenac, qui tend à instaurer un fonds d’un montant de l’ordre d’un milliard d’euros, avec 60 % de compensation et 40 % de péréquation, répond à l’urgence. Encore ne le fait-il pas complètement.
L’intervention du rapporteur général m’a parue très modérée. En commission, il nous avait effectivement dit que les 150 millions d’euros prévus n’étaient absolument pas à la hauteur du problème : « la péréquation ne peut que mettre un peu d’huile dans les rouages ; au rythme actuel, un certain nombre de départements ne passeront pas l’année 2012 ». Il faut donc être raisonnable, et je pense, monsieur le ministre, que vous ne pouvez pas vous défausser sur cette question.
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Nayrou.
M. Henri Nayrou. Je reviens, monsieur le ministre, sur ce que vous avez dit à propos de l’APA. J’ai eu l’occasion de vous dire, hier, qu’il n’y avait pas à faire de commentaires superflus : ce sont les conseils généraux qui font les plans d’aide, sans regimber.
Le problème se pose pour le RSA. Comme vient de le dire M. Emmanuelli, il est clair que des conseils généraux vont arrêter de verser ce que vous avez exigé qu’ils versent à la CAF. C’est l’État qui prend toutes les décisions en matière d’attribution du RSA, c’est donc à l’État d’assumer cette responsabilité. Vous ne vous en sortirez pas avec 150 millions d’euros.
Vous avez évoqué tout à l’heure la fin du dispositif Demessine. Comme je vous l’ai déjà demandé hier soir, je voudrais que vous preniez l’engagement que les particuliers investisseurs qui se sont engagés avant la date fatidique et un peu trop proche du 31 décembre 2010 soient traités conformément au plan initial de la loi Demessine.
(L’amendement n° 239 n’est pas adopté.)
M. Henri Emmanuelli. Rendez-vous en mars : il y aura des contentieux sévères !
(L’article 3 est adopté.)
(L’article 4 est adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson. Au III de l’article 5, le plafond d’autorisation d’emplois est relevé d’environ 9 000 emplois. Or vous nous avez indiqué tout à l’heure, monsieur le ministre, que le nombre de départs à la retraite était inférieur de 15 000 à ce qui avait été envisagé en loi de finances initiale. Si un départ en retraite sur deux donne lieu à remplacement, nous devrions obtenir le nombre de 7 500. Pourriez-vous nous éclairer sur l’écart constaté ? Neuf mille emplois, ce n’est tout de même pas rien au regard d’une trentaine de milliers d’emplois qu’il était prévu, en loi de finances initiales, de supprimer.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. François Baroin, ministre. Je répondrai plus tard.
(L’article 5 et l’état A annexé sont adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble de la première partie du projet de loi de finances rectificative pour 2010.
(L’ensemble de la première partie est adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 370.
La parole est à M. le ministre.
M. François Baroin, ministre. L’amendement a pour objet d’ouvrir un montant de 9,5 millions d’euros au profit de l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger, afin de permettre le financement de trois nouvelles opérations immobilières : la construction d’une école maternelle à Bruxelles ; la construction d’un deuxième site du lycée français d’Amman ; l’acquisition et la rénovation de nouveaux locaux pour le collège Voltaire de Berlin. L’engagement du Gouvernement en faveur de ces opérations avait été rappelé par Mme Alliot-Marie lors du débat sur le projet de loi de finances au Sénat.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gilles Carrez, rapporteur. Cet amendement n’a pas été examiné par la commission mais j’émets un avis favorable.
Je m’adresse plus particulièrement à Charles de Courson qui m’interrogeait hier sur ce point. Avec la loi de programmation pluriannuelle, on a interdit aux opérateurs de s’endetter, à deux ou trois exceptions près. Il faut donc mettre en place des autorisations de programme pour éviter que l’AEFE ne s’endette pour ses projets immobiliers.
J’en profite pour vous demander, monsieur le ministre, si cette règle va être appliquée à la lettre à tous les opérateurs hors les deux ou trois nommément évoqués dans la loi de programmation pluriannuelle, dont la CADES.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Bouvard.
M. Michel Bouvard. Cet amendement m’amène à revenir sur l’intervention d’hier, et sur la manière dont on conçoit, au niveau de l’État, une politique immobilière.
On peut s’étonner que des opérations de construction d’établissements scolaires arrivent ainsi dans un collectif. J’ose imaginer que ces opérations ont tout de même été étudiées en amont, que l’on a eu le temps de réfléchir au moment où l’on aurait besoin de crédits. Tout cela devrait trouver sa place dans une loi de finances initiale et non pas dans un collectif. Il y a de quoi s’interroger sur la stratégie immobilière de l’État, des ministères et des opérateurs de l’État. En l’occurrence, le procédé est tout à fait insatisfaisant, d’autant que trois opérations immobilières sont en jeu et qu’il ne s’agit pas, à l’évidence, d’une occasion d’acquisition à moindre coût à saisir en cours d’année sur laquelle on n’aurait pas eu le temps d’engager une réflexion très en amont.
Il faudra peut-être réfléchir à compléter la LOLF par une disposition qui interdirait d’inscrire des opérations immobilières ailleurs qu’en loi de finances initiale.
Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson. Je pense que le Gouvernement a raison, puisqu’il respecte l’article 11 de la loi de programmation, mais je tiens à signaler une situation à M. le ministre.
Je représente l’Assemblée nationale au conseil d’administration de l’EPFR. Quelle n’a pas été ma surprise en découvrant, dans le projet de budget pour l’année 2011, que l’endettement augmentait de 3,8 millions d’euros. Certes, on me dira que ce ne sont que 3,8 millions, alors que l’endettement global de l’EPFR est de 4,52 milliards. Mais ce sont tout de même 3,8 millions d’euros ! J’ai donc dit au président du conseil d’administration que je ne voterai pas le budget d’investissement, qui contrevient aux dispositions que nous avons adoptées. Le président, tout à fait ennuyé, m’a dit qu’il allait vous saisir de cette affaire. Pour ma part, je l’ai assuré que nous en avions discuté avec le Gouvernement et que cette règle s’appliquait à tous les établissements publics, sauf trois. Cet amendement confirme donc les propos que j’ai tenus en conseil d’administration. Je vous le signale, monsieur le ministre, ce dossier va arriver sur votre bureau. Cela illustre bien que certains n’ont toujours pas compris qu’il y avait un article 11 dans la loi de programmation.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Mancel.
M. Jean-François Mancel. Je voudrais que M. le ministre nous donne une explication approfondie à propos de l’AEFE. Comme l’a très bien dit le rapporteur général, l’amendement procède de l’interdiction posée par la loi de programmation, qui empêche les opérateurs d’emprunter à plus de douze mois.
Je pense que personne n’a bien vu le problème. En réalité, l’AEFE avait lancé un programme d’investissement ; elle devait emprunter sur les trois établissements que le ministre a cités tout à l’heure, mais elle ne peut plus le faire, compte tenu de l’application de la loi de programmation. Dès lors, le Gouvernement est contraint, si j’ai bien compris, de changer sa stratégie et de procéder à un abondement en autorisations d’engagement et en crédits de paiement.
M. Michel Bouvard. Cela aurait dû figurer en loi de finances initiale !
M. Jean-François Mancel. Il y a plusieurs conséquences.
Certes, nous allons voter cette disposition pour 2011 ; mais la loi de programmation couvrant les années 2012 et 2013, il faudra sans doute reconduire le dispositif pour les programmations futures de l’AEFE en 2012 et en 2013.
Par ailleurs, si l’AEFE avait pu emprunter, les prêts étaient en partie remboursés par les parents d’élèves à travers les droits d’écolage. Or dans le cas qui nous occupe, le Gouvernement va assumer l’intégralité de la dépense.
Pour ces raisons, je souhaiterais avoir quelques informations complémentaires de la part du ministre.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Michel Bouvard. Cette disposition n’a rien à faire dans un collectif ! Elle aurait dû figurer en loi de finances initiale !
M. Gilles Carrez, rapporteur général. Non, monsieur Bouvard. Permettez-moi d’évoquer plus largement ce sujet, car il est important.
Au cours des dernières années, à l’initiative de la commission des finances, nous avons, petit à petit, aidé les ministres à faire rentrer les opérateurs de l’État dans la norme générale.
M. Michel Bouvard. Absolument !
M. Gilles Carrez, rapporteur général. Cela a d’abord été la norme générale de dépense, question que nous avons traitée dans le cadre de la LOLF, Michel Bouvard s’en souvient. Nous nous sommes ensuite attaqués aux effectifs et aux emplois.
Mais nous nous sommes rendu compte, le président Cahuzac s’en souvient, que nous avions une ligne de fuite sur la dette. Or ce qui est très préoccupant aujourd’hui, c’est la dette de l’État. Nous nous sommes aperçus que les opérateurs, bras séculier dans différents domaines de l’État,…
M. Michel Bouvard. S’endettaient !
M. Gilles Carrez, rapporteur général. …avaient des capacités d’endettement illimitées. Cette question a été traitée par l’article 11 de la loi de programmation pluriannuelle. Cet article conserve des exceptions évidentes, et notamment la CADES, que j’ai citée il y a un instant. Mais il interdit à tous les autres opérateurs de s’endetter pour une durée supérieure à un an.
Toutefois, cela s’est passé rapidement. Si l’on prend l’exemple de l’AEFE, Jean-François Mancel a tout à fait raison. Ces opérations étaient bien connues et elles sont passées devant le conseil d’administration. Monsieur Bouvard, si elles n’ont pas été inscrites en loi de finances initiale, c’est que l’on ne peut pas demander au conseil d’administration de l’AEFE d’être au courant de telle ou telle disposition de la loi de programmation. Il me semble que c’est tout à fait compréhensible.
M. Michel Bouvard. Il y a des représentants de l’État dans les conseils d’administration.
M. Gilles Carrez, rapporteur général. D’ailleurs, quand Charles de Courson évoque l’EPFR, je pense qu’il s’agit exactement du même problème.
Par conséquent, monsieur Bouvard, l’amendement du Gouvernement est dans les clous.
M. Michel Bouvard. L’amendement est logique, mais il aurait dû figurer en loi de finances initiale !
M. Gilles Carrez, rapporteur général. Sur le fond, monsieur le ministre, cette règle, qui vaut jusqu’en 2014 conformément à la loi de programmation, va être assez contraignante. Je pense, par exemple, à la Société du Grand Paris, à toutes sortes d’établissements publics dont on nous dit qu’ils vont emprunter. Or ils ne pourront pas le faire. Il y aura donc une information transversale à faire passer auprès des ministères dont dépendent les opérateurs pour leur expliquer que nous allons voter, avant la fin de l’année, l’article 11 de la loi de programmation pluriannuelle.
M. François Goulard. Très juste !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. François Baroin, ministre. D’abord, je veux remercier Michel Bouvard et tous les membres de la commission des finances d’avoir exercé un accompagnement vertueux aux côtés du Gouvernement pour obtenir enfin une intégration pleine et entière du dispositif des opérateurs, d’une part dans l’évaluation du patrimoine de l’État, d’autre part dans l’application de règles de gestion qui vont de la gestion du patrimoine immobilier à l’incapacité légale de s’endetter au-delà de douze mois, sans oublier le niveau de rémunération de ses dirigeants. Personne n’oublie, au sein de la commission des finances comme dans cet hémicycle, les éléments de débat qui ont entouré la question problématique des relations entre l’État, la tutelle et les opérateurs, ne serait-ce que pour avoir des informations.
M. Louis Giscard d’Estaing. Absolument !
M. François Baroin, ministre. Nous avons beaucoup avancé. En l’occurrence, il ne s’agit que de la stricte application de ces dispositions et je remercie le rapporteur général pour son intervention explicite. En réalité, ces opérations étaient déjà prévues. Ce que nous évoquons ensemble, s’agissant notamment de la règle de l’endettement, n’a été validé que dans la loi de programmation des finances publiques. Or ces initiatives, d’envergure modeste, avaient été décidées par le ministère des affaires étrangères dans le cadre du précédent plan triennal.
Pour être conforme à ce que vous avez voté dans la loi de programmation des finances publiques, il n’y avait pas d’autre solution pour le Gouvernement que de déposer cet amendement afin de ne pas être contraint de demander dans l’immédiat une dérogation à un dispositif à peine voté. Pour cette raison, je salue l’analyse de Jean-François Mancel, implacable sur ce point.
Au fond, ce débat nous aura permis de constater que nous avions la même position !
(L’amendement n° 370 est adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 375.
La parole est à M. Yves Deniaud.
M. Yves Deniaud. Cet amendement fait suite au débat que nous avons eu en commission des finances à propos du décret d’avance.
Le ministère de la justice a entrepris, ce qui est une excellente initiative, de regrouper dans un site unique des services actuellement dispersés dans différents immeubles parisiens, l’État n’étant propriétaire que du seul hôtel de Bourvallais, place Vendôme, qui est le siège du ministère. Pour regrouper ces services, deux immeubles ont été proposés, le 4 novembre, au Conseil de l’immobilier de l’État, l’un Porte d’Issy, l’autre Porte de Bagnolet.
Dans les deux cas, il n’était envisagé que de louer. S’agissant de services qui sont l’archétype des services pérennes de l’État, la règle de bon sens veut qu’ils soient logés dans des locaux domaniaux, donc que l’État en soit propriétaire. (« Bien sûr ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
M. Louis Giscard d’Estaing. C’est de bon sens.
M. Yves Deniaud. La position du Conseil de l’immobilier de l’État a été extrêmement ferme : la priorité devait être donnée à l’achat.
Je précise que les loyers étaient de 18 millions d’euros par an pour l’immeuble de la Porte d’Issy et de 14 millions pour celui de la Porte de Bagnolet. L’immeuble de la Porte d’Issy étant le seul proposé à la vente, le Conseil de l’immobilier de l’État a préconisé de l’acheter, car même s’il était plus cher que l’autre immeuble, cette opération était plus intéressante que la location.
Suite à cette proposition, le Gouvernement a présenté un décret d’avance comportant 232 millions d’euros d’autorisations d’engagement, pris un peu « par surprise ». Je laisserai au président de la commission des finances et au rapporteur général le soin de dire ce qu’ils pensent de cette formule. Quoi qu’il en soit, la commission des finances a émis un avis défavorable à cette opération, recommandant de suivre la position du Conseil de l’immobilier de l’État et de se tourner vers l’achat.
Entre-temps, deux informations capitales ont été transmises.
La première, c’est que l’immeuble de la Porte de Bagnolet était également accessible à l’achat pour un montant inférieur de 72 millions d’euros au prix de vente de l’immeuble de la Porte d’Issy – c’est l’objet de l’amendement que nous présentons.
La deuxième information capitale est que les représentants des personnels des administrations concernées, invités à visiter les lieux, se sont prononcés unanimement et sans réserve pour l’immeuble de la Porte de Bagnolet.
Le bon sens financier et social…
M. Richard Mallié. En effet !
M. Louis Giscard d’Estaing. À tous points de vue.
M. Yves Deniaud. …commande donc que l’État devienne propriétaire de l’immeuble de la Porte de Bagnolet plutôt que locataire, voire propriétaire de la Porte d’Issy. À une époque où toute dépense superfétatoire est bannie – y compris en seconde délibération ! –, il serait paradoxal que, en dépit de ces deux arguments de bon sens, l’on refuse une économie de 72 millions d’euros.
Pourquoi un tel acharnement à défendre la Porte d’Issy ? Il paraîtrait que certains hauts dignitaires de la Chancellerie, contre l’avis de la très grande majorité des fonctionnaires travaillant dans ses services, ont estimé que leur dignité serait outragée si l’État ne les localisait pas à proximité de leur domicile et à l’endroit qu’ils ont eux-mêmes choisi ! Ce n’est pas à un quarteron de fonctionnaires pas encore à la retraite de décider contre l’intérêt financier de l’État et le bon sens social manifesté par la majorité des fonctionnaires ! (« Très bien ! » et applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
M. Jean-Pierre Brard. Je n’utiliserai pas la formule que vient d’employer notre collègue d’un « quarteron de fonctionnaires »,…
M. Richard Mallié. C’est dommage, c’était du Brard dans le texte !
M. Jean-Pierre Brard. …car ce serait confondre la nomenklatura avec la masse des fonctionnaires qui a le sens de l’État et de l’intérêt collectif. Et, dans ce cas particulier, l’intérêt collectif est très simple : un enfant de CE2 peut le comprendre dès lors que l’instituteur lui a expliqué les additions et les soustractions ! (Sourires.)
Les chiffres cités par Yves Deniaud sont tout à fait éclairants. Il nous faut être d’autant plus vigilants en ces affaires qu’il y a tout de même quelques aventures récentes, comme celle de l’Imprimerie nationale et du Centre de conférences Kléber, qui devraient nous inciter, non à la prudence, mais à la vigilance et à l’exigence vis-à-vis de hauts fonctionnaires qui vivent dans un petit carré au centre de Paris et qui ont le grand frisson dès lors qu’on leur parle de la banlieue ! Pourtant, Gilles Carrez, notre collègue Gaudron et moi-même, nous en venons tous les jours, nous y survivons et même nous y vivons bien !
M. François Goulard. Plus ou moins bien…
M. Jean-Pierre Brard. C’est également votre cas, madame la présidente. Nous ne pouvons pas laisser des hauts fonctionnaires coupés du réel, complètement formatés parce qu’ils se sont reproduits entre eux et ont grandi ensemble, dire des contrevérités. Les fonctionnaires de Bercy sont venus voir sur place, Porte de Bagnolet. Comme tous ceux qui sont implantés à Montreuil, les magistrats qui se prononcent sur les affaires d’asile, par exemple, le centre de formation de Bercy, l’ACOSS, ou encore de grandes sociétés comme Air France qui a implanté sa direction commerciale à Montreuil, ces gens-là y vivent heureux.
La Porte de Bagnolet est à côté, le secteur est très bien desservi par les transports en commun, les fonctionnaires y trouveront des loyers moins chers que là où l’on veut les embarquer actuellement. Notre collègue Deniaud a tout à fait raison et le Parlement joue son rôle, dans l’esprit de la LOLF, en veillant à la pertinence de la dépense publique. Chaque euro doit être dépensé avec circonspection.
M. Richard Mallié. Et discernement.
M. Jean-Pierre Brard. Il faut donc soutenir le projet de la Porte de Bagnolet. C’est un devoir commun de veiller à ce que l’implantation ne se fasse pas Porte d’Issy. Il faut démontrer à ce quarteron de fonctionnaires que vous évoquiez, monsieur Deniaud, mais qui n’ont rien à voir, dans les faits, avec la fonction publique, que ce ne sont pas eux qui décident, mais les parlementaires, dans le sens du service public et de l’intérêt général.
J’espère que, demain, d’autres fonctionnaires iront s’installer à Bondy, par exemple, où il serait vraiment nécessaire d’implanter des emplois, non seulement pour vous faire plaisir, madame la présidente, puisque c’est votre circonscription, ainsi qu’à Gilbert Roger qui en est le maire, mais aussi parce que plus ces territoires auront d’emplois, plus ils vivront de façon autonome, et moins il y aura de difficultés sociales. L’emploi et l’habitat seront proches et il n’y aura pas de vastes zones dortoirs.
Alors, oui ! Vive la porte de Bagnolet ! Et merci, mon cher compatriote Deniaud, d’avoir soutenu un tel projet. Bien que Normand, vous penchez vers l’Est, face à ces hauts fonctionnaires qui confondent la Seine-Saint-Denis avec la Sibérie ! (Rires.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gilles Carrez, rapporteur général. Je me tournerai vers le ministre parce qu’il est parfaitement bien placé.
M. Jean-Pierre Brard. Il est à l’Est, lui aussi, à Troyes !
M. Gilles Carrez, rapporteur général. Nous lui proposons de réaliser 70 millions d’euros d’économies : il ne peut qu’être heureux. Mais surtout, il a installé ses hauts fonctionnaires et ses fonctionnaires à Montreuil et dans la commune limitrophe de Vincennes. Quand on interroge la Direction générale des douanes ou les services installés à Montreuil,…
M. Jean-Pierre Brard. Ils sont excellents !
M. Gilles Carrez, rapporteur général. …ils nous disent vivre cette installation comme un quasi-paradis. Je ne vois pas pourquoi ce qui est vécu comme un paradis par les hauts fonctionnaires de Bercy serait vécu comme un enfer par les hauts fonctionnaires de la Chancellerie ! C’est, par conséquent, vous, monsieur le ministre, qui allez vous faire l’avocat auprès de votre collègue du transfert de la Chancellerie Porte de Bagnolet.
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le rapporteur général, c’était moi le « dieu du paradis » à l’époque ! C’était différent !
Mme la présidente. Avant de vous donner la parole, monsieur Goulard, je vais demander au ministre de donner l’avis du Gouvernement sur cet amendement.
M. François Baroin, ministre. Je suis à la disposition du Parlement sous votre autorité, madame la présidente, de surcroît sous le regard bienveillant d’une ancienne garde des sceaux.
Mme la présidente. Vous pouvez intervenir à tout moment, monsieur le ministre.
M. François Baroin, ministre. Ma réponse sera très brève. Ainsi sollicité par le rapporteur général, et vous comprendrez la puissance de cette position, je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée.
M. Jean-Pierre Brard. Très bien ! Voilà un ministre qui respecte le Parlement, même si c’est par intermittence !
Mme la présidente. La parole est à M. François Goulard.
M. François Goulard. Cet amendement est très symbolique et il illustre la volonté parlementaire de réduire la dépense publique dans des conditions excellemment présentées par notre collègue Deniaud.
Le ministre a, en l’occurrence, fait preuve de sagesse, mais sa sagesse est constante et quotidienne !
M. Jean-Pierre Brard. Non, intermittente !
M. François Goulard. Je lui signale toutefois, ainsi qu’à ses services, que, s’agissant du ministère de la culture, je suis, pour ma part, assez heurté par l’aisance dans laquelle vit le CNC dont les ressources augmentent considérablement. Le CNC est largement implanté dans le XVIe arrondissement, l’un des plus chers de Paris. Il me semble également nécessaire de revoir cette situation. Les fonctionnaires du ministère de la culture ou des organismes rattachés pourraient, eux aussi, goûter au charme de l’est parisien !
M. Jean-Pierre Brard. À Montreuil et à Bagnolet !
M. François Goulard. C’est ma contribution du moment à un programme d’économies en matière immobilière.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Cette opération a d’abord fait l’objet d’une disposition en décret d’avance. Il a été rappelé par notre collègue Deniaud et par le rapporteur général que la commission avait émis, à l’unanimité, un avis tout à fait défavorable à cette disposition. Je crois avoir compris qu’en dépit de cet avis défavorable, le Gouvernement a pris ce décret. Il ne restait donc plus à l’Assemblée nationale que la voie d’amendement pour faire prévaloir ce que tous nous semblons discerner comme étant le bon sens.
M. Michel Bouvard. Cela fait 2 millions d’économies par député présent aujourd’hui !
M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Une prise à bail s’élève à 230 millions d’euros et un achat à 150 millions. Face à un tel choix, le ministre a raison de s’en remettre à la sagesse des parlementaires. Cette décision est juridiquement incontestable, puisque l’amendement revient à diminuer, à due concurrence de la différence entre les deux sommes évoquées, les autorisations d’engagement. Pour autant, nous n’émettons pas une quelconque injonction en direction du Gouvernement, car, comme vous le savez, le Parlement n’y est pas autorisé.
Le bon sens et la nature juridique incontestable de cette proposition font que chacun peut y trouver son compte. Je vous remercie donc, monsieur le ministre, d’en avoir appelé à la sagesse de l’Assemblée.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Mallié.
M. Richard Mallié. Pour enlever, si je puis dire, la décision aux derniers collègues qui n’auraient pas compris, j’ajouterai que nous avons eu l’occasion d’étudier ce dossier lors d’une réunion du Conseil de l’immobilier de l’État à la veille du 11 novembre.
M. Jean Mallot. C’était un dimanche ? (Sourires.)
M. Richard Mallié. Non, c’était un jeudi.
M. Jean Mallot. Pourtant, vous êtes un adepte du travail le dimanche ! (Sourires.)
M. Richard Mallié. Nous avons été réunis en urgence et, lorsque nous en avons demandé les raisons, on nous a répondu que le promoteur souhaitait savoir avant le 11 novembre ce que nous comptions faire. Peut-être pouvait-on, à la veille du 11 novembre, nous laisser une semaine de réflexion. Or nous avons appris qu’en fait, l’administration discutait depuis plus d’un an avec ce promoteur.
M. Jean-Pierre Brard. Voilà !
M. Richard Mallié. Et c’est au dernier moment que l’on nous a demandé de prendre une décision dans les vingt-quatre heures, voire dans les minutes. C’est anormal. Nous représentons tout de même le peuple ! C’est nous qui autorisons les dépenses. Être mis ainsi devant le fait accompli nous semble inconvenant. Quant à moi, je me félicite que, de M. Brard à M. Gandolfi-Scheit, il y ait unanimité sur ce point. Je suis très heureux du vote qui va intervenir.
M. Christian Eckert. Pourvu qu’il n’y ait pas de seconde délibération !
(L’amendement n° 375 est adopté.)
Mme la présidente. Je constate que le vote est acquis à l’unanimité. Cela me fait très plaisir, si vous me permettez ce commentaire ! (Sourires et applaudissements.)
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
M. Jean-Pierre Brard. Il faut toujours aller au bout de nos actions, madame la présidente. Ce bon vote est un signal de rééquilibrage, y compris entre l’ouest et l’est parisien ! Je comprends, madame la présidente, que vous vous ravissiez également, non seulement parce que vous êtes élue de la Seine-Saint-Denis, mais parce que vous êtes ancienne garde des sceaux et que vous avez dû aussi affronter cette nomenklatura qui considère que les ministres passent mais que l’administration reste.
Je souhaiterais que notre rapporteur général aille jusqu’au bout des investigations et que nous puissions identifier les hauts fonctionnaires qui se sont permis de « tordre » la décision. En effet, dans l’affaire de l’Imprimerie nationale et du Centre de conférences Kléber, nous ne connaissons toujours pas les vrais coupables de la gabegie qui a coûté plusieurs centaines de millions aux finances publiques.
Nous protégeons, par cet amendement, le Gouvernement d’une dépense inconsidérée. Cela doit servir d’avertissement à ceux qui seraient tentés, dans l’entre-deux, de violer la volonté que nous exprimons au nom du peuple français !
Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 372.
La parole est à M. le ministre.
M. François Baroin, ministre. Cet amendement vise à majorer le montant de la dotation générale de décentralisation relative à la formation professionnelle allouée à Mayotte pour ajuster son droit à compensation du fait du transfert anticipé de la compétence en matière de formation professionnelle.
(L’amendement n° 372, accepté par la commission, est adopté.)
(L’article 6 et l’état B annexé, amendés, sont adoptés.)
(L’article 7 et l’état C annexé sont adoptés.)
Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 373.
La parole est à M. le ministre.
M. François Baroin, ministre. Cet amendement vise à permettre le transfert à l’opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture, issu de la fusion de l’Établissement public de maîtrise d’ouvrage des travaux culturels et du Service national des travaux, une autorisation d’engagement relative à des opérations en cours au sein du SNT et qui doivent être désormais poursuivies par le nouvel opérateur.
(L’amendement n° 373, accepté par la commission, est adopté.)
(L’article 8 et l’état D annexé, amendés, sont adoptés.)
(L’article 9 est adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement de coordination, n° 39, présenté par M. Gilles Carrez.
(L’amendement n° 39, accepté par le Gouvernement, est adopté.)
(L’article 10, amendé, est adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 374.
La parole est à M. le ministre.
M. François Baroin, ministre. Le présent amendement a pour objet de ratifier le deuxième décret d’avance pour 2010 signé le 30 novembre dernier.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gilles Carrez, rapporteur général. Avis favorable. Je précise, bien entendu, et je m’adresse notamment à M. Deniaud, que, dans ce décret d’avance, figurait la somme de 232 millions d’euros, laquelle a été modifiée par le vote qui vient d’intervenir. Ce vote l’emporte et définit un crédit non plus de 232 millions d’euros, mais de 160 millions d’euros.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Ce décret, que nous ratifions par notre vote, avait prévu l’ouverture du budget pour la prise à bail dont le montant a été indiqué par notre collègue Deniaud.
Vous vous souvenez probablement que certains – mais pas vous, monsieur le ministre – ont justifié la seconde délibération voulue par le Gouvernement, après l’examen des articles non rattachés, par le fait qu’il convenait de brider l’ardeur dépensière des députés, alors même que les amendements supprimés ne prévoyaient pas de dépenses supplémentaires mais apportaient des recettes supplémentaires à l’État.
Il me semble que l’amendement que nous avons adopté et l’examen du décret d’avance qu’il nous revient de ratifier démontrent que, contrairement peut-être au pouvoir exécutif, les députés et les sénateurs ne sont pas dépensiers, car ils veillent aux dépenses publiques. Cet exemple ne vaut certainement pas loi générale, monsieur le ministre. Permettez-moi tout de même de faire cette remarque à cette occasion.
(L’amendement n° 374 est adopté.)
(L’article 11, amendé, est adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 68 et 241, tendant à supprimer l’article 12.
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l’amendement n° 68.
M. Jean-Pierre Brard. Avec cet article visant les sociétés de personnes, le Gouvernement agit comme à son habitude : il ne respecte pas le Parlement et se propose encore d’aggraver les déficits publics.
De l’aveu même de Bercy, cet article était en préparation depuis quatre ans. Rendez-vous compte ! On le glisse, à l’esbroufe, en douce, dans un projet de loi de finances rectificative, à la fin de l’année, alors que la neige tombe dehors…
M. Jean Mallot. Elle va bientôt tomber dedans !
M. Jean-Pierre Brard. Certes, parce qu’il n’y a même plus de sous pour entretenir les toitures dans cette maison !
Nous n’avons pas encore terminé l’examen du projet de loi de finances initiale que l’on introduit, dans ce projet de loi de finances rectificative, un texte en préparation depuis déjà quatre années ! Pourquoi la commission des finances n’a-t-elle jamais été ni informée ni associée à son élaboration ?
Monsieur le ministre, vous nous proposez d’adopter un article de 370 alinéas sans aucun travail de collaboration en amont et sans la moindre évaluation préalable sérieuse. Vous vous êtes contenté d’accompagner cet article d’un exposé des motifs de quelques lignes seulement, qui n’en explique pas les tenants et encore moins les aboutissants. N’en déplaise au Gouvernement et peut-être à ces personnes qu’évoquait précédemment M. Deniaud, le Parlement n’est pas une chambre d’enregistrement. C’est en tout cas ce que nous pensons à gauche. Il arrive, vous l’avez constaté précédemment, que nos collègues de l’UMP ne se laissent pas faire non plus. C’est hélas rare.
M. Michel Piron. Non !
M. Jean-Pierre Brard. Le présent article propose, notamment, d’ouvrir aux associés des sociétés de personnes le bénéfice de régimes fiscaux tels que l’intégration fiscale, le régime des sociétés mères et le taux réduit sur certaines plus-values. Il s’agit, autrement dit, de leur permettre de bénéficier de dispositifs dont le Conseil des prélèvements obligatoires a récemment souligné le coût exorbitant pour nos finances publiques, puisque ces mesures dérogatoires ont coûté très exactement 71,3 milliards en 2010.
Vous nous proposez donc de réduire encore le rendement de l’impôt sur les sociétés plutôt que de vous attacher à le rendre plus juste, comme si, pour reprendre l’expression de notre excellent collègue François Goulard – qui, décidément, se « gauchit » depuis qu’il est dans la zone d’attraction de Dominique de Villepin –, nous croulions sous les recettes fiscales ! Mais nous savons que, dès qu’il s’agit d’attribuer des cadeaux fiscaux et de répondre aux exigences de la place de Paris, qui vous aurait, semble-t-il, inspiré cette mesure, vous n’êtes pas à une contradiction près !
Imaginez ce que peuvent penser les gens qui nous regardent ! Vous essayez de serrer le pouvoir d’achat des Français et, en même temps, vous donnez à nouveau un maximum de possibilités à des gens qui sont déjà très étoffés.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Alain Muet, pour défendre l’amendement n° 241.
M. Pierre-Alain Muet. Si nous avons déposé cet amendement de suppression, c’est d’abord parce que nous avons découvert en commission un article de quatorze pages et 370 alinéas, modifiant les règles régissant les sociétés de personnes, avec un exposé des motifs de seulement quatorze lignes.
Nous l’avons examiné, nous en avons discuté, et nous avons vu qu’il tendait à modifier profondément la situation des sociétés de personnes, notamment pour permettre à celles qui sont associées à des personnes morales de bénéficier de deux dispositifs et de réaliser la plus grande optimisation fiscale possible.
Le ministre nous a reproché un amendement d’un milliard, mais nous allons proposer, dans la suite du débat, de nombreux amendements qui permettraient au contraire de faire des économies et de financer largement ce milliard. Il y a en tout cas une façon de réaliser des économies : c’est de ne pas voter cet article.
Cela étant, le rapporteur général nous a convaincus qu’il y avait un élément à conserver dans l’article 12, qui améliore la tunnelisation. Je suis donc prêt à me rallier à son amendement, qui supprime tout ce qui est à supprimer mais conserve la partie relative à la tunnelisation, qui, elle, a un sens.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission sur ces deux amendements ?
M. Gilles Carrez, rapporteur général. L’article 12 vaut la peine qu’on s’y attarde quelques instants, et je remercie M. Muet d’avoir fait état par anticipation de la position qu’a prise la commission des finances.
Les sociétés de personnes sont considérées dans notre droit fiscal comme translucides. Elles ne sont pas totalement transparentes puisque ce sont des entités fiscales à part entière qui peuvent faire apparaître des produits, des charges, un résultat, mais elles sont translucides et donc transparentes au sens où les associés qui les détiennent se voient imposer le résultat de l’entité transparente, au prorata de leur quote-part. S’ils ont par exemple 25 % d’une société en nom collectif, 25 % du résultat remontera et sera imposé entre leurs mains.
Il y a deux catégories d’associés : les associés particuliers, personnes physiques, entrepreneurs individuels, assujettis à l’impôt sur le revenu, et les personnes morales, assujetties à l’impôt sur les sociétés.
Cet article, d’une complexité effroyable, sur lequel l’administration travaille, nous a-t-elle dit, depuis quatre ans, nous a été présenté dans les conditions que vous savez. Je les ai évoquées hier soir ; inutile d’y revenir. Il a fallu travailler d’arrache-pied pour essayer de comprendre.
Notre premier réflexe, comme l’a souligné Pierre-Alain Muet, a été de le rejeter, d’autant qu’il n’était assorti d’aucune étude d’impact. Cependant, en regardant de plus près, nous nous sommes rendu compte qu’il avait deux volets bien distincts : l’un qui améliore le dispositif, concernant les personnes assujetties à l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire les particuliers et les entreprises individuelles, qui peuvent déclarer différentes catégories de revenus – bénéfices agricoles, bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices non commerciaux ou revenus de capitaux mobiliers ; l’autre relatif aux personnes morales, qui, elles, sont assujetties à l’impôt sur les sociétés.
Dans le premier volet, il n’est pas proposé une réforme de la fiscalité des sociétés de personnes, mais, en fait, une réforme de ce qu’on appelle la théorie du bilan, c’est-à-dire la possibilité, pour un entrepreneur individuel, un artisan par exemple, assujetti aux BIC, d’inscrire à son actif un bien n’ayant aucune relation avec son activité professionnelle. Imaginons qu’il inscrive à son actif un bateau. S’il l’a acheté à crédit et a donc des frais financiers ou s’il l’exploite et que cela génère des pertes, il peut imputer les charges et les pertes directement sur son revenu professionnel.
Depuis une quinzaine d’années, sous les différentes majorités d’ailleurs, avec deux grandes étapes, 1995-1996 puis 1999-2000, nous avons essayé de renforcer le principe de tunnelisation, celui selon lequel on ne peut imputer des déficits ou des bénéfices que sur la même catégorie de revenus. Il n’est ainsi possible d’imputer des déficits fonciers que sur des bénéfices fonciers. Il subsiste toutefois une petite tolérance puisque l’on peut imputer des déficits sur le revenu global, par exemple sur son revenu salarial, à hauteur de 10 700 euros au plus, montant qui n’a d’ailleurs pas bougé depuis très longtemps. C’est la règle de tunnelisation. Si je fais un déficit industriel et commercial dans le cadre d’une activité professionnelle, je ne peux l’imputer que sur le bénéfice industriel et commercial que je réalise dans le cadre d’une autre activité.
Ce n’est pas son volet principal, mais l’article 12 comporte quelques pages qui renforcent le principe de tunnelisation et qui, de ce fait – puisque l’on corrige la théorie du bilan – ont un impact sur les sociétés de personnes parce que, par symétrie ou par miroir, la modification qui va dans le sens de la tunnelisation des revenus de l’entrepreneur individuel assujetti à l’impôt sur le revenu va s’appliquer aussi dès lors qu’il est associé, par exemple, dans une société en nom collectif. C’est une bonne chose et, à la suite d’un long travail et d’un long débat en commission des finances, nous vous proposons de conserver cette partie de l’article.
Sur le second volet, les choses sont beaucoup plus incertaines. Si l’on adoptait les mesures proposées, des personnes morales soumises à l’impôt sur les sociétés pourraient combiner les avantages de la société de personnes avec ceux de régimes favorables, dont je me refuse à dire que ce sont des niches, mais qui sont des régimes dérogatoires, tels le régime mère-fille, le régime d’intégration fiscale ou l’exonération des plus-values de cession des titres de participation.
Dans le cas d’une société de personnes, les personnes morales assujetties à l’impôt sur les sociétés peuvent remonter sur leurs résultats la totalité du déficit. Si je veux remonter un dividende d’une filiale que je détiens à plus de 5 %, je ne serai bien sûr pas imposé sur ce dividende puisque le bénéfice a déjà été imposé au niveau de la filiale, mais j’aurai à payer une quote-part de 5 %. Si je passe par une société de personnes, il n’y a pas de quote-part. Si je veux intégrer un déficit en le consolidant sur un bénéfice, ce n’est possible dans le cas d’un groupe ayant plusieurs filiales, une qui est déficitaire et une qui est bénéficiaire, qu’à condition que je sois en régime d’intégration fiscale et que je détienne ces filiales à 95 % au moins. Ce n’est pas le cas pour les sociétés de personnes.
J’ai donc demandé au ministère de me fournir les études d’impact pour voir ce que pourrait donner la combinaison des avantages liés aux sociétés de personnes avec ceux de ces différents régimes. Le conseil des impôts, qui nous a remis son rapport début octobre, a chiffré le coût du régime mère-fille à une trentaine de milliards d’euros et celui du régime d’intégration fiscale à une vingtaine de milliards. Quant à l’exonération des titres de participation, son coût est chiffré en régime de croisière à 8 milliards d’euros. Ce sont des dispositifs qui représentent à eux seuls des dizaines de milliards. La combinaison avec les avantages de la société de personnes ne risque-t-elle pas de dynamiser ces différentes modalités dérogatoires au calcul de l’impôt ?
On avait mal évalué, il y a quelques années, le coût de l’exonération des titres de participation. Je rappelle, parce que je souhaite que le débat soit le plus serein possible, qu’un tel régime avait été proposé dès 2001. Je ne dis pas qu’il aurait été adopté mais il avait été proposé. C’était l’époque où Renault avait monté une société holding, ainsi qu’EADS, à Amsterdam, parce qu’ils ne pouvaient pas faire autrement pour faire circuler leurs participations. Le problème, c’est que l’on n’avait pas fait d’étude d’impact avant de l’adopter en 2004 et que le coût a été très supérieur à ce qui avait été prévu. Il ne faudrait pas que les choses se reproduisent, d’où la nécessité absolue d’avoir des études d’impact.
L’administration n’a pas été en mesure de nous en fournir et je vous proposerai, dans l’amendement de la commission des finances, d’adopter les mesures permettant de renforcer le principe de tunnelisation, qui vont dans le bon sens, pour les particuliers entrepreneurs individuels et donc, par conséquence, dans les sociétés de personnes, pour les associés entrepreneurs individuels ou particuliers ; et, pour le second volet, qui concerne les personnes morales assujetties à l’impôt sur les sociétés, de demander un rapport au Gouvernement pour fin mars ou début avril qui nous permettra de traiter éventuellement cette question dans le cadre du collectif du mois de juin. Cela me semble être la solution la plus sage et aussi, monsieur le ministre, celle qui correspond le mieux à votre souci de maintenir les recettes au niveau où elles sont aujourd’hui.
M. Pierre-Alain Muet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Garrigue.
M. Daniel Garrigue. Cet article touche en réalité à trois questions qui se posent plus généralement pour l’ensemble de l’impôt sur les sociétés.
La première, c’est le rendement de l’impôt. Nous savons, monsieur le ministre, que le taux réel varie considérablement suivant la taille et la nature des sociétés. Nous avons le précédent fâcheux d’une mesure qui coûte beaucoup plus cher que ce qui était envisagé initialement ; nous pouvons donc légitimement avoir des craintes pour le dispositif proposé aujourd’hui dans l’article 12, sans véritable étude d’impact.
La deuxième, c’est la transparence. Il est vrai que, par nature, les sociétés de personnes devraient être plus transparentes que les autres sociétés, et l’exposé des motifs insiste sur cet élément. Toutefois, dans les observations du rapporteur général, il est beaucoup question de semi-transparence ou de translucidité. Il y a le problème de la tunnelisation mais, sur de nombreux aspects, nous avons besoin d’y voir plus clair.
La troisième, c’est l’harmonisation. Un effort d’harmonisation est accompli, dans le cadre de l’Union européenne, pour l’impôt sur les sociétés, particulièrement pour son assiette. Je voudrais savoir, parce que ce n’est évoqué nulle part, si cet article est lié d’une façon ou d’une autre à cet effort.
Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson. Cela fait quatre ans que le Gouvernement travaille sur ce texte, et il est tout de même assez intéressant de lire l’évaluation préalable, qui fait quinze pages. Je vais formuler deux remarques, monsieur le ministre.
La première porte sur la forme.
L’incidence budgétaire de la réforme n’est pas chiffrable.
Nous ne pouvons l’accepter dans la mesure où, comme l’a rappelé le rapporteur général, il est sûr que cela aura un coût sur la partie personne morale, car cela revient à faire sortir le 5 % de l’assiette. Il faudrait au moins avoir un ordre de grandeur mais nous ne sommes pas dans une situation qui nous le permette. D’où la position sage de la commission, adoptée à l’unanimité : sortir cette partie du dispositif.
Enfin, je ne résiste pas au plaisir de rappeler quels étaient les choix implicites dans cette réforme importante.
En tout et pour tout, trois options étaient possibles. En ce qui concerne la première, la généralisation de l’IS, tout le monde comprend que ce n’était pas une bonne solution. Le choix portait donc en réalité sur le passage de la « translucidité » fiscale à la transparence totale ou à la transparence rationalisée. C’est cette dernière qu’a choisie le Gouvernement, mais je m’interroge, monsieur le ministre, sur la raison pour laquelle il n’a pas choisi la transparence totale.
M. Jean Mallot. En effet, ce n’est pas clair ! (Sourires.)
M. Charles de Courson. Je cite l’argument employé contre celle-ci : « Elle ne serait qu’apparente du point de vue fiscal puisqu’elle ne viserait que les impôts autres que l’impôt sur le revenu ou l’impôt sur les sociétés pour lequel la transparence n’est généralement pas reconnue. » Monsieur le ministre, pourquoi ne pas étendre la transparence ? Pourquoi ne pas aller jusqu’au bout ?
Il serait intéressant, lors des débats que nous aurons sur la seconde partie, dans quelques mois, de pousser à fond l’hypothèse h2. Je suis pour la deuxième option plutôt que pour la troisième.
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Giscard d’Estaing.
M. Louis Giscard d’Estaing. Monsieur le ministre, vous comprenez bien que cet article 12 nous a interpellés quand nous en avons pris connaissance lors de l’examen du texte en commission. Il s’agit d’un article de dix-sept pages, déposé dans les conditions qu’a rappelées le rapporteur général.
Il pose plusieurs questions.
Tout d’abord, à quoi sert un projet de loi de finances rectificative ? Est-ce bien l’occasion d’aborder la réforme du régime des sociétés de personnes, dans une forme d’urgence, sans que les parlementaires que nous sommes aient la possibilité d’examiner la proposition d’une façon aussi approfondie que le sujet le nécessite ?
En outre, comme le président de la commission des finances l’a rappelé, l’article 40 a été opposé à certains amendements que nous avions déposés sur des sujets pourtant traités en loi de finances rectificative. Nous avons là une interrogation de principe.
L’article concerne toutes les sociétés de personnes : groupements de coopération sanitaire, sociétés civiles professionnelles… Cela présente deux difficultés.
D’abord, l’impact n’en est pas chiffrable.
Ensuite, j’ai du mal à comprendre l’intitulé « Renforcer l’attractivité du territoire » qui figure en tête de l’article. Renforcer l’attractivité du territoire par ce régime de société suppose d’introduire des dispositions fiscales plus avantageuses pour des investisseurs extérieurs ; dans ce cas, ce sont des recettes fiscales en moins. Il faudrait à tout le moins un débat au fond.
Enfin, s’agissant des notions de translucidité et de transparence, nous avons besoin d’y voir plus clair.
M. Jean Mallot. C’est le cas de le dire ! (Sourires.)
M. Louis Giscard d’Estaing. Cet article est un contre-exemple pour le travail législatif : comment peut-on réformer l’ensemble du régime des sociétés de personnes à l’occasion d’un projet de loi de finances rectificative, dans un article de dix-sept pages ? Je crois que la commission des finances a montré la voie de la sagesse en adoptant l’amendement présenté par le rapporteur général.
Mme Arlette Grosskost. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Je souscris aux différents propos qui viennent d’être tenus. Le consensus sur l’amendement du rapporteur général, que je crois très satisfaisant, ne devrait pas poser de problème. Adoptons ce qui peut l’être et expertisons le reste ; nous sommes aujourd’hui dans l’ignorance des conséquences que ces dispositions pourraient comporter.
Cet article, proposé par le Gouvernement dans le cadre de la loi de finances rectificative, est tout de même révélateur d’une difficulté concernant ce qui n’est plus une niche mais que, par commodité de langage, nous continuons d’appeler « niche Copé » : la déductibilité des plus-values de cessions de titres de participation dès lors que la détention est supérieure à deux ans. Dans l’étude d’impact, dont les insuffisances ont été signalées, il est néanmoins précisé que l’adoption des dispositions soumises au Parlement est nécessaire pour permettre, dans certains cas, l’application de ce dispositif objectivement favorable : il faut la loi pour que cet avantage fiscal puisse être consenti par l’administration.
Or le rapporteur général indique, dans son rapport, que, bien que la loi n’existe pas – et pour cause puisque c’est l’article que le Gouvernement nous demande de voter et que nous nous apprêtons à ne pas adopter –, « la doctrine a autorisé le bénéfice des taux réduits des plus-values à long terme aux sociétés de personnes imposables dans le chef d’associés soumis à l’impôt sur les sociétés ».
Monsieur le ministre, dès lors qu’une disposition législative est nécessaire pour que cet avantage s’applique, dans quelle mesure est-il légitime, puisque l’explication a lieu à présent devant le Parlement, que cette doctrine persiste ? Je souhaite que vous nous indiquiez quelle sera votre attitude : soit vous maintenez cette doctrine alors même que la loi est nécessaire, soit – et je crois que ce serait plus sage – vous la suspendez le temps que le Parlement se prononce sur ce point précis, dont vous reconnaissez vous-même qu’il appelle l’intervention du législateur.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
M. Jean-Pierre Brard. Nous connaissons la limite de nos pouvoirs ici. Il faut donc toujours faire de la pédagogie pour que les gens qui nous regardent comprennent les enjeux.
Chacun a pu entendre les propos de M. Charles-Amédée de Courson ou de Louis Giscard d’Estaing, qui se demandent pourquoi le Gouvernement ne va pas jusqu’à la transparence totale. Nous pourrions ajouter : pourquoi, après avoir étudié un texte pendant quatre ans, le « fourgue »-t-il en douce, à l’esbroufe, dans un projet de loi de finances rectificative ? C’est très simple : toute la politique du Gouvernement est dans cet article. Il s’agit de beurrer la tartine des privilégiés, mais sans que cela se sache ! (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Je le dis à Charles-Amédée de Courson : les Français vont reprendre la Bastille. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Vous qui êtes les fondés de pouvoir des privilégiés, vous ne le souhaitez pas ! Certains d’entre vous sont cependant de vrais républicains et sont choqués par certaines choses : ils voudraient que l’État fonctionne mieux, avec un minimum de transparence et de respect des parlementaires.
Je précise tout cela pour les gens qui nous regardent et ne doivent plus rien y comprendre. M. de Courson, M. Giscard d’Estaing, le Gouvernement, c’est pourtant la même farine. Après vous être opposés avec des trémolos dans la voix, chers collègues, vous finissez toujours par vous coucher devant le Gouvernement ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Nous nous rappelons les feuilles roses du projet de loi de finances initiale. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et NC.) Ne protestez pas : c’est la vérité ! Mais vous n’aimez pas que l’on vous tende le miroir dans lequel vous vous voyez comme vous êtes, avec toutes les turpitudes que vous couvrez !
J’approuve les propos de Pierre-Alain Muet sur la tunnellisation. Il s’agit de moraliser et de rendre cohérent. Ce n’est pas que tout cela ne mérite inventaire, mais nous nous y remettrons, chers collègues, quand une partie d’entre vous ne sera plus sur ces bancs, en 2012. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Piron.
M. Michel Piron. Je dois avouer qu’entre « transparence » et « translucidité », après avoir relu le passage sur l’option deux, à la page 47, j’ai besoin d’un éclairage sur un point de doctrine.
M. Jean-Pierre Brard. Et pourtant M. Piron est un lettré !
M. Michel Piron. Il est écrit que, si une approche de pure transparence présenterait des avantages, elle reviendrait cependant à nier sur le plan fiscal l’autonomie dont disposent la plupart des sociétés. En opposant l’autonomie des sociétés à l’approche de pure transparence, monsieur le ministre, ne présupposez-vous pas que la première serait un principe d’obscurité ?
M. Jean-Pierre Brard. C’est bien vu !
M. Michel Piron. Cet argument m’inquiète, car si c’est le cas, comment ne pas adhérer à une transparence qui reviendrait à contraindre un excès d’autonomie afin d’y voir plus clair ? Cependant, je ne doute pas que quelques explications complémentaires me permettront de parvenir à un point de vue plus rationnel.
M. Jean-Pierre Brard. C’est digne de Marguerite Yourcenar ! (Sourires.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François Baroin, ministre. Au fond, c’est assez simple.
Tout d’abord, je remercie le rapporteur général et la commission d’avoir trouvé le juste équilibre entre le besoin d’avancer dans la lutte contre l’optimisation par les particuliers et la nécessité de prendre du temps, par le dépôt d’un rapport, pour évaluer précisément les besoins de la lutte contre l’optimisation par les entreprises.
En ce qui concerne la transparence, nous sommes fondés à nous interroger sur la réalité de la double imposition dans les cas où un associé est traité comme une entreprise. Il existe, dans ces situations, des éléments d’injustice qui peuvent parfois nous éloigner des objectifs d’équité fiscale, lesquels visent à renforcer l’attractivité et nécessitent une simplification du régime, une harmonisation de notre droit par rapport à l’étranger, ainsi qu’une suppression des cas de double imposition.
Dans la transparence totale, le contrôle est effectué sur chacun des associés. Dans la transparence rationalisée – qui était le point d’équilibre proposé par le Gouvernement –, c’est la société qui est contrôlée ; cela était plus simple. À l’évidence, au vu de nos débats, nous avons besoin d’un peu de temps. J’indique donc dès à présent que le Gouvernement est défavorable aux amendements de suppression mais il donnera un avis de sagesse à l’amendement d’équilibre proposé par le rapporteur général.
M. le président Cahuzac m’a interrogé sur la niche Copé. Nous avons déjà eu ce débat. Il ne s’agit pas tout à fait d’une niche ; nous différons sur cette appréciation.
En outre, nous ne pourrons pas envoyer de droits d’auteur !
Cette facilité de langage nous amène en effet à un constat d’évidence : si vous supprimez le dispositif, qui est plutôt une modalité de calcul d’une fiscalité particulière, concernant les éléments de plus-values sur les entreprises fiscalisées à l’étranger, par une loi qui impose un changement sur ce point, un nouveau dispositif sera immédiatement organisé par les entreprises à l’étranger. Cela se passait d’ailleurs ainsi avant, et la modification apportée par le ministre du budget de l’époque, Jean-François Copé, a permis, non pas de ponctionner les caisses de l’État de quelque 20 milliards, mais de pouvoir affirmer, facialement, dans une certaine logique de patriotisme économique, que la France réalise ces opérations sur son territoire.
Cela est donc au fond assez virtuel. Je comprends que vous puissiez le prendre comme un symbole, dans une doctrine politique que vous développez dans vos combats personnels – non en votre qualité de président de la commission des finances –, mais cela ne rapportera rien aux caisses de l’État. Ce n’est pas un sujet budgétaire, ce n’est pas un élément de combat de finances publiques.
Je tiens à souligner le caractère théorique du passage d’un taux d’imposition de 33 % à 16 % car il y a un décalage fiscal entre ce qui est facialement proposé dans le cadre de l’IS et la réalité de la fiscalité de ces éléments de dividendes. Cela m’amène bien sûr, une fois encore, à ne pas être d’accord avec vous, monsieur le président Cahuzac.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. J’ai bien dit que c’est par commodité de langage que j’ai appelé ce dispositif « niche Copé ». Il est tout de même plus facile de l’énoncer ainsi que d’évoquer « un dispositif libre de droits pour les plus-values de cession de parts d’entreprise détenues depuis plus de deux ans ». Mais dont acte.
Cela étant, quand ce dispositif a été adopté, il s’agissait bien d’une niche fiscale, et ce n’est que récemment, à l’initiative de votre administration, qu’il a été sorti de la nomenclature des niches pour devenir une modalité particulière de calcul de l’impôt. Ce n’en est donc plus une, mais c’en fut une.
Quant à ma question, elle ne portait pas sur le maintien du dispositif.
Vous avez eu raison d’indiquer que c’est l’objet d’une divergence politique entre majorité et opposition – chacun sait quel est notre choix –, mais tel n’était pas le sens de ma question. J’entendais vous interroger sur une difficulté juridique car, dans l’étude d’impact que vous avez fournie au Parlement, il est clairement indiqué que, pour que des sociétés de personnes bénéficient de cet avantage fiscal, il faut que l’article 12 soit adopté. Or, dans son rapport, Gilles Carrez rappelle, références à l’appui, qu’une instruction les en fait déjà bénéficier.
De deux choses l’une : ou bien la loi est nécessaire, ce qui suppose que cette instruction outrepasse les droits du ministre en la matière, et la chose est sérieuse ; ou bien cette instruction suffit, et la loi n’est dès lors pas nécessaire. Dans ce dernier cas, vous pourriez continuer à faire bénéficier de cet avantage fiscal les sociétés de personnes concernées sans attendre une loi. Toutefois si le vote de cet article est nécessaire, il est de ma responsabilité, de la responsabilité inhérente à la fonction que j’occupe, de vous demander si vous comptez, au moins temporairement, suspendre l’application de cet avantage fiscal.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Gilles Carrez, rapporteur général. Je vais apporter plusieurs précisions par rapport à la question posée par le président de la commission des finances.
Premièrement, il est vrai que c’est la doctrine, à travers une instruction, qui, en 2008, a étendu aux sociétés de personnes la possibilité de bénéficier d’exonération de plus-value sur les cessions de titres de participation. Cependant, comme toujours, la doctrine s’est inscrite dans une continuité historique : la notion de plus-value à long terme, au-delà de deux ans, introduite il y a très longtemps et distincte de la notion de plus-value de court terme, concernait dès l’origine les sociétés de personnes. Le président Cahuzac l’a rappelé : l’exonération des titres de participation ne concerne que les participations détenues depuis au moins deux ans. Ce régime fiscal s’inscrit donc dans la perspective historique des plus-values à long terme, et concerne aussi les sociétés de personnes.
Deuxièmement, il y a surtout la question de l’éligibilité des sociétés de personnes au régime de groupe, donc à l’intégration fiscale, et l’éligibilité au régime mère-fille.
M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Je suis d’accord.
M. Gilles Carrez, rapporteur général. Ce sont des points essentiels.
Un autre point est quelque peu marginal : les plus-values d’opérations immobilières cédées à des sociétés d’investissement immobilier cotées – les SIIC –, d’autant plus que ce dispositif expire fin 2012.
Il me semble que la doctrine actuelle peut perdurer encore quelque temps, surtout si l’on traite cette question à partir du rapport que va nous remettre le Gouvernement pour le collectif prévu en juin prochain.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
M. Jean-Pierre Brard. J’interviens à nouveau, madame la présidente, toujours pour continuer dans l’effort de pédagogie.
Nous avons la chance d’avoir un ministre dont je ne partage pas les options, mais dont chacun reconnaît que c’est un homme brillant.
M. François Scellier. Attention : il faut se méfier des compliments de M. Brard ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Brard. Il est capable, comme nos meilleurs savants qui nous font comprendre les mystères de l’infiniment grand dans l’univers ou de l’infiniment petit dans la cellule, d’utiliser les mots de la langue de tous les jours, ceux que chacun comprend. Pourtant, les gens qui nous regardent auront été frappés de ne rien comprendre à ses propos. Pourquoi donc ? Parce que c’est délibéré ! Le Gouvernement a en effet été pris les doigts dans le pot de confiture, et il lui faut maintenant embrumer pour que la note politique ne soit pas chère à payer.
Aussi, la réponse du ministre est-elle tout à fait incompréhensible pour le commun des mortels alors que les interventions de Louis Giscard d’Estaing, de Charles de Courson – ce qui n’est pas toujours le cas – et de Michel Piron étaient tout à fait claires. Je tiens à le souligner pour les gens qui nous regardent : quand un membre du Gouvernement s’explique de telle manière qu’il rend la matière complètement opaque, il faut toujours se demander à qui cela profite.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. François Baroin, ministre. Monsieur Brard, ma réponse vous a au moins permis de rebondir et de développer avec constance vos convictions.
Pour compléter les précisions du rapporteur général, je pense que cet article représente le bon équilibre. Il n’est pas question de suspendre l’application de la doctrine fiscale par rapport à ce que vous appelez « la niche Copé », monsieur le président Cahuzac.
En proposant de s’en remettre à la sagesse de l’Assemblée sur l’amendement de M. Carrez, le Gouvernement entend travailler en deux temps : il y a cette loi de finances rectificative, puis nous aurons rendez-vous en juin avec un véhicule législatif, budgétaire et fiscal qui portera sur la réforme du patrimoine. Ce rendez-vous est inscrit dans notre calendrier équilibré. Nous aurons alors le rapport et la possibilité de travailler sur la lutte contre l’optimisation fiscale des entreprises, et ainsi, enfin, l’occasion de stabiliser sur le plan fiscal les éléments de doctrine, sur le point soulevé par les orateurs précédents comme sur tant d’autres, et d’adresser un message durable aux particuliers et aux entreprises.
Mme la présidente. L’amendement n° 241 a été retiré.
(L’amendement n° 68 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Nous en venons à l’amendement n° 2 rectifié qui a déjà été défendu.
La parole est à M. Charles de Courson pour défendre le sous-amendement n° 379.
M. Charles de Courson. En l’état actuel du droit, les personnes mariées ou pacsées sont considérées comme une personne unique pour l’appréciation des seuils d’imposition des plus-values professionnelles lorsqu’elles sont associées dans la même entreprise, alors que tel n’est pas le cas si elles ne sont ni mariées ni pacsées.
Il s’agit donc, avec ce petit sous-amendement, de compléter ce que propose notre rapporteur général pour que toutes les personnes associées soient traitées de la même façon.
M. Nicolas Perruchot. C’est du bon sens !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gilles Carrez, rapporteur général. Quand Charles de Courson parle « d’un petit sous-amendement » de rien du tout, on a tendance à se méfier. (Sourires.)
Mon cher collègue, ce n’est pas un sous-amendement de rien du tout. Pour les plus-values professionnelles, il existe des seuils, soit appréciés en valeur nette de l’entreprise, soit par rapport à son chiffre d’affaires ; je renvoie aux lois Dutreil. Bien entendu, ce qui compte, c’est l’entité-entreprise. On ne va pas multiplier les seuils par autant de membres de la famille qui travaillent dans la société. Si l’on acceptait aujourd’hui le conjoint comme personne associée distincte, je suis sûr qu’au mois de juin, vous nous proposeriez le fils ou la fille qui y travaille aussi.
M. Charles de Courson. Mais non !
M. Gilles Carrez, rapporteur général. En raison de la portée de ce sous-amendement, j’y suis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson. Que l’on soit bien clair, monsieur le rapporteur général : ce sous-amendement concerne uniquement les associés qui ont une déclaration commune, c’est-à-dire les personnes unies par les liens du mariage ou pacsées.
M. Jean-Pierre Brard. Pas ceux qui vivent dans le péché !
M. Charles de Courson. Cela est logique puisque les concubins, eux, fournissent deux déclarations et bénéficient ainsi de deux abattements qui se cumulent. Le dispositif actuel est anti-mariage et anti-pacsage. (Mouvements divers.)
M. Jean-Pierre Brard. C’est l’ordre moral !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François Baroin, ministre. Je partage tout à fait l’avis de Gilles Carrez. Je ne me méfie pas par nature de Charles-Amédée de Courson, mais, comme on se connaît depuis si longtemps et que nous sommes voisins, je regarde avec beaucoup de précision et beaucoup d’attention ses productions, notamment ses productions parlementaires.
Il ne s’agit pas du tout d’un petit sous-amendement. Il aurait même des conséquences importantes. L’argumentation développée par Gilles Carrez est aussi celle du Gouvernement, dont l’avis est également défavorable.
Par ailleurs, je rappelle que, sur l’amendement, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée.
(Le sous-amendement n° 379 n’est pas adopté.)
(L’amendement n° 2 rectifié est adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Gilles Carrez, rapporteur général. Je demande une suspension de séance, madame la présidente.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à dix-neuf heures vingt-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
Mme la présidente. Nous en venons aux amendements portant article additionnel après l’article 12.
Je suis d’abord saisie de deux amendements identiques, nos 69 et 234.
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l’amendement n° 69.
M. Jean-Pierre Brard. Une fois n’est pas coutume : nous allons dans le sens du Président de la République. Celui-ci veut toujours aller vite, il veut que sa volonté soit exaucée pour la veille ; eh bien, voilà un amendement qui va vous permettre de faire du zèle, monsieur le ministre, et de gagner en estime auprès du Président de la République.
Cet amendement tend tout simplement à supprimer le bouclier fiscal.
À l’heure où le Gouvernement s’engage à réduire de 2 milliards d’euros par an, entre 2011 et 2013, les niches fiscales et sociales qui plombent les caisses de l’État et servent de prétexte pour remettre en cause notre système de protection sociale ; alors que l’on annonce aux Français un énième plan de rigueur – même si notre langue est suffisamment riche pour vous permettre d’utiliser d’autres termes –, la suppression d’un dispositif aussi absurde que le bouclier fiscal s’impose.
Il est absurde, mais là n’est peut-être pas l’essentiel, n’est-ce pas, monsieur Schneider ? On pourrait plutôt dire qu’il s’agit d’un dispositif de classe, puisqu’il ne bénéficie qu’aux privilégiés de la fortune. Même modeste, il représente à lui seul une dépense fiscale équivalente à l’ensemble des annulations de crédits prévues à l’avant-dernier projet de loi de finances rectificative.
Le Gouvernement ose prétendre que le bouclier fiscal bénéficie à une majorité de personnes aux faibles revenus alors que les 4 140 contribuables aux revenus les plus élevés raflent la mise et ont perçu 87 % des sommes restituées au titre de ce bouclier !
Par ailleurs, il faut que le Gouvernement cesse avec la désinformation.
Au service d’information du Gouvernement, on a inventé une nouvelle formule dans l’histoire des sondages. Désormais, s’appuyant sur le storytelling, ils servent à raconter de belles histoires aux Français pour leur faire avaler la politique gouvernementale et la présenter sous des atours censés rendre la potion indolore. Arrêtez donc de répéter à longueur de temps que personne ne doit se voir confisquer plus de 50 % des revenus de son travail alors que le bouclier fiscal protège avant tout des revenus du patrimoine.
L’unique objectif du Gouvernement est de permettre aux grandes fortunes françaises d’échapper à l’impôt, en violation du principe constitutionnel qui veut que chacun paie l’impôt à proportion de ses facultés contributives. C’est donc une raison de plus pour supprimer ce dispositif.
Et ne venez pas nous dire que vous supprimerez tout en même temps : le bouclier fiscal et l’ISF. Le bouclier fiscal coûte quelques centaines de millions d’euros alors que l’ISF rapporte plusieurs milliards d’euros. Traiter les deux dispositifs ensemble permet de faire croire que l’on prend une disposition équitable alors qu’en réalité, on donne des avantages supplémentaires aux privilégiés de la fortune.
Je propose de faire de la pédagogie, monsieur le ministre, et je sais que vous y êtes sensible. Notre amendement – vous savez bien que c’est un cheval, une alouette – vise donc à supprimer d’abord le bouclier fiscal, ce qui permettra d’aborder la question de l’ISF isolément afin que votre politique apparaisse toute nue, dans toute son obscénité.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Eckert, pour soutenir l’amendement n° 234.
M. Christian Eckert. Cet amendement identique propose donc de supprimer le bouclier fiscal. Je connais d’avance la réponse du ministre qui consistera à nous renvoyer au mois de juin.
J’ai lu attentivement l’interview qu’il a donnée au Monde.
M. Gilles Carrez, rapporteur général. Excellente interview !
M. Christian Eckert. Les socialistes auraient, d’après lui, une position figée et se refuseraient à toucher à l’ISF. Il ferait mieux de laisser aux socialistes leur propre liberté de penser, en attendant de voir quelles seront leurs propositions.
Je vais revenir sur deux points.
Tout d’abord, je constate que si le Gouvernement appelle à une convergence systématique entre la France et l’Allemagne, il ne l’évoque que pour l’impôt sur le patrimoine et il évite d’y faire référence pour l’impôt sur les revenus. Or vous savez pertinemment qu’il existe des différences importantes entre nos deux pays pour ces deux impositions. En particulier l’imposition sur les revenus est nettement plus lourde en Allemagne qu’en France. Nous y verrons plus clair à la suite du rapport attendu de la Cour des comptes et de son homologue allemande.
Ensuite, il me semble que vous commettez une erreur en limitant le débat à la seule question de l’impôt sur le patrimoine. En effet, la fiscalité du patrimoine oblige à distinguer entre le patrimoine dormant, qui ne rapporte rien, et le patrimoine actif, qui a une utilité économique. Or certains députés de la majorité ont manifesté l’intention, en déposant un amendement, de remplacer l’ISF par un impôt sur les revenus du patrimoine, du moins partiellement. À partir du moment où l’on veut imposer séparément les revenus du patrimoine et ceux du travail, on perd la notion de progressivité de l’impôt, ce qui est une erreur fondamentale.
Je ne sais si le ministre souhaitera réagir à ces quelques réflexions par rapport aux propositions qu’on a pu lire ici ou là dans la presse. En tous les cas, il est bien clair que pour nous il ne s’agit pas d’isoler la question de l’impôt sur le patrimoine des autres questions touchant à l’injustice et à l’inégalité fiscales. Nous voulons au contraire élaborer un système qui permette de réintégrer de la progressivité dans l’impôt.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gilles Carrez, rapporteur général. La commission a donné un avis défavorable. Il s’agit d’un sujet bien connu qui n’appellera de ma part que deux ou trois phrases de commentaire.
Le bouclier fiscal n’est que le prolongement du plafonnement de l’ISF que vous avez introduit en 1988 : ils procèdent tous deux de la même logique. Certes le bouclier fiscal l’amplifie mais il ne doit son existence qu’au plafonnement de l’ISF qui, dans certaines conditions, est un impôt confiscatoire. Finalement, le seul reproche que vous nous faites, c’est d’avoir débaptisé le plafonnement pour l’appeler bouclier fiscal.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François Baroin, ministre. Même avis.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Garrigue.
M. Daniel Garrigue. Aujourd’hui, lorsqu’on dénonce le bouclier fiscal, on a un peu l’impression de donner le coup de pied de l’âne compte tenu du nombre de ceux, dont vous êtes, monsieur le ministre, qui ont exprimé leurs doutes ou leur opposition à son égard.
Certes, le bouclier fiscal renvoie à une question de justice, mais il a aussi un caractère profondément bloquant. Face à la gravité des déficits auxquels nous sommes confrontés, nous sommes obligés de définir une politique d’ensemble pour les réduire. Cela passe par des efforts d’économies, à condition qu’ils ne créent pas trop de dysfonctionnements, mais cela passe aussi par une progression des prélèvements. Or, chaque fois que nous avons un débat sur cette question, nous sommes bloqués – on l’a vu encore récemment avec le financement de la CADES – par le problème du bouclier fiscal, qui est totalement dogmatique. Soulever ce problème, c’est vraiment aller contre le rétablissement de nos finances publiques.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
M. Jean-Pierre Brard. Si nous suivions le rythme de M. le rapporteur général et de M. le ministre, nous passerions sur des sujets aussi importants à la vitesse d’une étoile filante sur l’horizon. Pourtant ces sujets renvoient à l’essence même de la politique du Gouvernement : comment, dans une période de crise, il réussit néanmoins à enrichir les plus riches alors que les fins de mois sont difficiles pour nos concitoyens qui ne vivent que de leur travail. C’est la même chose partout en France. Je pense que notre collègue André Schneider est d’accord avec moi : en Alsace, malgré le statut local, c’est pareil.
Selon le rapporteur général « le bouclier fiscal est le prolongement du plafonnement de l’ISF ». Imaginons que nous arrêtions un passant rue de l’Université et que nous lui répétions cette phrase. Que voulez-vous qu’il y comprenne ?
M. Gilles Carrez, rapporteur général. Mais vous, vous avez compris !
M. Jean-Pierre Brard. Le problème, ce n’est pas moi : vous connaissez mon positionnement et je connais le vôtre, monsieur le rapporteur général. Notre problème, ce sont nos concitoyens. Nous avons besoin qu’ils comprennent car un citoyen qui comprend, c’est un citoyen qui pourra se révolter contre votre politique : avec cette prise de conscience, il pourra agir pour la justice et combattre ceux que vous protégez.
Vous affirmez que l’ISF est confiscatoire. Or il ne confisque en rien les revenus. Que dit la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? Que chacun doit contribuer en proportion de ses facultés. Or vous ne voulez pas tout mettre sur la table.
Ainsi que Christian Eckert l’a rappelé, nous avons fait des propositions en matière d’impôt sur la fortune. Nous avons ainsi proposé d’en relever le plancher, c’est-à-dire le montant minimum qui déclenche le paiement de l’impôt, – je parle pour les gens qui nous regardent – et d’en élargir l’assiette, c’est-à-dire de mettre davantage d’éléments dans la base qui détermine le calcul de la contribution en ajoutant aux revenus du patrimoine, les biens industriels et les œuvres d’art qui, comme vous le savez, sont un vecteur du blanchiment de l’argent sale. Nous avons toutefois prévu des exonérations pour les propriétaires d’œuvres d’art qui les présenteraient d’emblée.
Contrairement à nous, vous ne cherchez pas un impôt juste, vous voulez simplement faire en sorte que ceux qui ont les moyens ne le paient pas. Vous faites la promotion des voleurs. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Je vous citerai trois noms, au risque de choquer de chastes oreilles : Alain Delon, exilé fiscal dont vous avez fait le parrain du pavillon français à Shanghai, Alain Prost, Johnny Hallyday. Voilà vos idoles ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Après avoir mangé, la tête dans l’auge, profitant de notre système de santé et d’éducation, ils trahissent l’intérêt national en allant placer leur argent ailleurs.
M. Yves Censi. Vous nous avez déjà fait ce numéro plusieurs fois !
M. Jean-Pierre Brard. En refusant de payer leurs impôts sur le territoire national, ils refusent d’être solidaires des gamins de Bondy et de Montreuil qui ont pourtant besoin de la solidarité des plus riches car ils ne sont pas nés avec une cuillère d’or dans la bouche.
(Les amendements identiques nos 69 et 234 ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Alain Muet pour défendre l’amendement n° 286.
M. Pierre-Alain Muet. Cet amendement propose de retirer du bouclier fiscal l’impôt de solidarité sur la fortune. Pourquoi, me direz-vous, alors que le bouclier a été inventé pour contourner l’ISF ? Eh bien, cet amendement est un cadeau que je fais à mes collègues de la majorité.
M. Yves Censi. Merci !
M. Nicolas Perruchot. C’est bientôt Noël !
M. Pierre-Alain Muet. Le Président de la République affirme que le bouclier fiscal vise à faire en sorte que personne ne travaille pas plus d’un jour sur deux pour l’État. Or nous savons que, pour l’essentiel, le bouclier fiscal est destiné à protéger non pas les revenus du travail mais les revenus du capital.
En retirant l’ISF, le bouclier fiscal sera donc en cohérence avec le principe du Président de la République. Il n’y a qu’un seul petit problème : il ne restera plus rien dans le bouclier fiscal. Cela tient à une raison très simple : il est strictement impossible, avec les seuls revenus du travail, de bénéficier de ce dispositif.
M. Jean-Pierre Brard. Très bien !
M. Pierre-Alain Muet. Voilà mon cadeau, je ne doute pas que vous allez l’accepter, chers collègues de la majorité.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gilles Carrez, rapporteur général. Défavorable.
Mme la présidente. Le Gouvernement est également défavorable.
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
M. Jean-Pierre Brard. Madame la présidente, vous imaginez bien que je soutiens cet amendement du Père Noël Pierre-Alain Muet qui, avec sa barbe blanche et sa hotte, vient déverser de l’argent dans les caisses de l’État, argent que le Gouvernement ne veut pas prendre parce qu’il appartient aux riches.
Voyez comme le rapporteur général et le ministre sont concis dès lors qu’il s’agit de débats de fond. Le rapporteur général se contente de dire « Défavorable », le ministre en reste à la langue des signes (Sourires). Quand il s’agit des privilégiés, vous avez les moyens de l’efficacité, mais les Français qui, eux, triment et qui ont des difficultés, ne vous voient pas.
(L’amendement n° 286 n’est pas adopté.)
M. Jean-Pierre Brard. Ce sont des Pères Fouettard !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Alain Muet, pour soutenir l’amendement n° 245.
M. Pierre-Alain Muet. Monsieur le ministre, vous n’avez pas voulu de mon premier cadeau. Qu’à cela ne tienne : je vous en fais un second ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Peut-être vous souvenez-vous que la majorité a commencé à se poser la question du bouclier fiscal quand il s’est agi de financer le RSA par un prélèvement sur le capital. Elle s’était aperçue alors que tous les détenteurs de capital et de revenus du capital seraient concernés par ce prélèvement, à l’exception des plus riches, c’est-à-dire ceux qui bénéficient du bouclier fiscal.
Il existe une façon simple de revenir à une vraie solidarité : faire en sorte que le RSA soit financé par tous les revenus du capital, y compris les plus élevés, en ne prenant pas en compte, dans les impositions permettant de calculer le bouclier fiscal, le prélèvement social finançant le RSA. Je suis étonné que vous n’ayez pas repris cette proposition.
(L’amendement n° 245, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. Jean-Pierre Brard. On veut faire des cadeaux, mais personne n’en veut !
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Eckert, pour soutenir l’amendement n° 230.
M. Christian Eckert. Il s’agit d’un amendement de bon sens.
La question du bouclier fiscal s’est posée à nouveau lors de discussion sur le RSA mais aussi lors de l’affaire Bettencourt, puis Woerth-Bettencourt, et maintenant Woerth tout seul.
Mme Marie-Christine Dalloz. Quelle indignité !
M. Christian Eckert. En tout cas, il a été choquant de constater que 30 millions d’euros avaient été restitués et qu’une fraude fiscale évidente avait peut-être été reconnue ; je laisse le soin aux enquêtes de le démontrer.
Avec cet amendement, nous proposons qu’avant toute restitution au titre du bouclier fiscal, le foyer fiscal fasse l’objet d’un contrôle fiscal approfondi.
Une telle disposition me paraît d’autant plus nécessaire qu’il semble qu’un certain nombre de contribuables renonceraient à demander la restitution au titre du bouclier, car ils craignent un contrôle fiscal.
M. Michel Bouvard. Il faudrait peut-être ajouter une garde à vue !
M. Christian Eckert. Monsieur Bouvard, je ne comprends pas votre colère à ce sujet. Une telle disposition me semble évidente. Peut-être même faudrait-il présenter un sous-amendement qui fixerait un seuil.
Madame la présidente, j’en profite pour demander au ministre des précisions sur les résultats de l’exploitation des listes et des cellules de dégrisement. La commission des finances avait auditionné M. Parini sur ce thème. Pourrait-on avoir un bilan des contrôles issus à la fois des listes récupérées ici ou là et des cellules de dégrisement mises en place ?
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gilles Carrez, rapporteur général. Défavorable.
Mme la présidente. Le Gouvernement est également défavorable.
La parole est à M. Jean-Michel Fourgous.
M. Jean-Michel Fourgous. Je suis surpris que l’on ose associer à ce débat les créateurs de richesses, les artistes, les sportifs. Je rappelle que 80 % des artistes préférés des Français sont exilés à l’extérieur de la France, essentiellement à cause de cet impôt.
M. Jean-Pierre Brard. Il y en a même qui aimaient Mesrine !
M. Jean-Michel Fourgous. Nous sommes le seul pays au monde à avoir gardé ce repoussoir de la croissance qu’est l’ISF. Je vous rappelle que la première variable de la croissance du PIB marchand c’est le capital, les deux autres étant le travail et l’intelligence. On ne peut pas passer son temps à martyriser le capital, ce que certains font pourtant dans cet hémicycle. On a même entendu que quelqu’un qui paie l’ISF serait un voleur !
M. Jean-Pierre Brard. Ceux qui y échappent !
M. Jean-Michel Fourgous. Ainsi 500 000 personnes se font donc traiter de voleurs par des députés. Messieurs de l’opposition, je vous en prie : nous sommes en 2010 ! Et, vous qui répétez à longueur de journée qu’il existe des injustices, je vous rappelle que 10 % des Français paient 80 % de l’impôt sur le revenu. Vous trouvez cela juste ?
Vous dites également que l’écart entre les riches et les pauvres ne cesse de se creuser. C’est faux. En effet, le rapport entre le décile inférieur et le décile supérieur de l’impôt sur le revenu est passé de six à trois. Vous ne pouvez pas continuer à faire de la désinformation. Le message du parti socialiste ne peut pas être fondé sur le seul mensonge.
Les PME françaises sont deux à trois fois moins capitalisées que leurs concurrentes anglaises ou allemandes. Croyez-vous que l’on réussira à accueillir des capitaux ou des talents si vous continuez à martyriser le capital, le profit, l’économie de marché ? Je trouve scandaleux qu’on ait osé traiter de voleurs ceux qui paient l’ISF, qui représente l’essentiel des ressources fiscales. (Applaudissements sur divers bancs du groupe UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
M. Jean-Pierre Brard. Je m’inquiéterai quand M. Fourgous sera d’accord avec moi !
Ce qui me choque le plus, c’est qu’il renie ses origines, lui qui est né dans le quartier Bel air à Montreuil. Décidément ce sont ceux qui renient leurs origines qui deviennent les pires !
Je n’ai jamais dit que ceux qui paient l’ISF étaient des voleurs. Ce sont ceux qui s’y soustraient qui le sont. Que vous les défendiez, c’est normal ; vous siégez à droite pour cela. Et vous avez certainement remarqué que nous ne siégeons pas du même côté de l’hémicycle.
Vous dites que nous sommes le seul pays au monde à taxer ainsi, mais vous savez bien que ce n’est pas vrai. Un citoyen américain, par exemple, doit payer des impôts sur tout, y compris sur ce qui n’est pas sur le territoire américain, sinon il risque d’avoir de graves ennuis. Vous avez dit un gros mensonge, comme d’habitude d’ailleurs.
M. Yves Censi. Vous radotez !
M. Jean-Pierre Brard. Vous parlez de ceux qui paient l’impôt sur le revenu, mais vous oubliez que tous les Français paient la CSG et la TVA, ce dernier impôt étant le plus injuste puisque le SDF paie la TVA sur la baguette de pain.
Je terminerai mon propos par une comparaison.
Je ne sais pas si vous êtes propriétaire, monsieur le ministre, mais quand on achète une maison et que l’on contracte un emprunt, la compagnie d’assurances vous demande de passer un examen médical. M. Eckert propose la même chose que la visite médicale en prévoyant qu’un inspecteur des impôts puisse venir regarder si le contribuable qui demande à bénéficier du bouclier fiscal le mérite ou non. Je ne vois pas pourquoi ce qui est bon pour une compagnie d’assurances ne le serait pas pour le trésor public.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.
M. Pierre-Alain Muet. Monsieur Fourgous, il est vrai tous les Français paient l’impôt sur le revenu puisqu’ils paient la CSG. Pour avoir un impôt sur le revenu comparable à celui de nos voisins européens, soit entre 7 % et 10 % du PIB, il faut faire la somme de l’impôt sur le revenu, 3 % du PIB environ, et de la CSG. C’est pourquoi nous proposons une réforme d’ensemble qui vise à les fusionner.
Autre remarque : en France, les revenus du capital sont beaucoup moins taxés que ceux du travail. Ils bénéficient notamment du prélèvement libératoire.
M. Jean-Pierre Brard. Eh oui !
M. Pierre-Alain Muet. Et, paradoxe, les dix plus hauts revenus ne sont pas soumis à la tranche de 40 %, puisqu’ils paient moins de 20 % d’impôt sur le revenu,…
M. Philippe Vigier. C’est vrai !
M. Pierre-Alain Muet. …parce qu’il existe de multiples façons d’échapper à l’imposition, comme l’assurance-vie et, surtout, les prélèvements libératoires. S’il y a une réforme à faire pour rétablir la justice fiscale, c’est bien celle qui consiste à taxer de la même façon les revenus du capital et ceux du travail, alors qu’aujourd’hui ils le sont deux fois moins. Nous défendrons ultérieurement un amendement qui fait cette proposition.
(L’amendement n° 230 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Alain Muet, pour soutenir l’amendement n° 293.
M. Pierre-Alain Muet. Nous abordons un sujet qui ne peut qu’intéresser le ministre puisqu’il s’agit de s’aligner sur la fiscalité allemande, ce que le Gouvernement se flatte de vouloir faire.
On sait bien que la possibilité de déduire tous les intérêts de l’impôt sur les sociétés conduit à favoriser l’endettement plutôt que le recours aux fonds propres. Au vu de la situation économique actuelle, c’est absurde.
Notre amendement propose de reprendre ce qui existe en Allemagne, à savoir limiter la déduction des intérêts d’emprunt à 30 %. Peut-être allez-vous refuser notre proposition aujourd’hui, mais vous la reprendrez quand vous ferez la comparaison avec l’Allemagne.
J’invite M. le rapporteur général et M. le ministre à examiner attentivement cet amendement, d’autant qu’un excellent rapport du conseil des prélèvements obligatoires indique – écoutez-moi bien, monsieur le rapporteur général, vous qui êtes à la recherche de ressources fiscales – que cet alignement sur la situation allemande non seulement favoriserait les fonds propres plutôt que l’endettement, mais rapporterait sur trois ans 11,3 milliards d’euros.
Des rapports aussi solides et sérieux que ceux du conseil des prélèvements obligatoires devraient être examinés attentivement par le Gouvernement parce qu’il y a là une mesure fiscale qui se conjugue avec l’efficacité économique.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gilles Carrez, rapporteur général. Défavorable.
Mme la présidente. Même avis du Gouvernement.
La parole est à M. Jean-Pierre Brard.
M. Jean-Pierre Brard. Nous abordons là une proposition du Président de la République qui l’a présentée comme une proposition phare : le rapprochement des fiscalités française et allemande.
Je comprends que le ministre ne veuille pas répondre, car il se trouverait en difficulté.
En vérité, le Président de la République a sorti cette proposition de son chapeau sans en parler au préalable avec la partie allemande. Or les Allemands ne sont pas du tout intéressés par ce sujet, et vous connaissez l’affection distante de la Chancelière pour le Président de la République.
M. François Scellier. On n’en sait rien !
M. Jean-Pierre Brard. Il suffit de lire les journaux allemands, mon cher collègue ! Vous sauriez tout sur la distance qu’il reste à combler entre la Chancelière et le Président de la République. Avec cette affaire, on n’a pas rapproché les deux personnages.
Néanmoins, puisqu’il a été décidé de se pencher sur ce sujet, faisons-le. Et pourquoi ne pas prendre en compte dès maintenant une proposition qui va vers un rapprochement dans le bon sens, et que proposent nos collègues socialistes ? Le rapporteur général et le ministre ne peuvent pas se contenter d’exprimer un avis défavorable. Après tout, à quoi sont-ils défavorables ? Contestent-ils la position du Président de la République ? Ce serait un scoop ! Il serait en effet intéressant de savoir que Gilles Carrez et François Baroin ne sont pas d’accord avec lui. Ils auraient alors besoin de toute la solidarité de la majorité pour résister à l’ire présidentielle.
Mme la présidente. La parole est à M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson. Permettez-moi de contester le théorème de Modigliani-Miller selon lequel un effet de levier permet d’optimiser la richesse du patrimoine des actionnaires : si, à un moment donné, on diminue trop ses fonds propres par rapport à son endettement, le coût de l’endettement augmente pour atteindre un optimum.
Or ce théorème ne tient pas compte de l’optimisation intragroupes. Si on décide un plafonnement de 30 % des charges d’intérêts déductibles, le directeur financier du groupe calculera comment optimiser les prêts intragroupes et quel doit être le montant des capitaux propres. N’invoquons pas le théorème de Modigliani-Miller qui n’a aucun fondement dans un tel dispositif fiscal.
(L’amendement n° 293 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. La suite de la discussion budgétaire est renvoyée à la prochaine séance.
Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2010.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale,
Claude Azéma