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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2011-2012

Compte rendu
intégral

Première séance du mardi 10 janvier 2012

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Bernard Accoyer

1. Questions au Gouvernement

Taxe sur les transactions financières

M. Yvan Lachaud

M. François Baroin, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie

TVA sociale

Mme Jacqueline Fraysse

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement

SeaFrance

M. Sébastien Huyghe

M. Thierry Mariani, ministre chargé des transports

TVA

M. Jean-Marc Ayrault

M. François Baroin, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie

TVA

M. Jérôme Cahuzac

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement

Quotient familial

M. Christian Jacob

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement

Inégalité salariale et chômage des femmes

M. Patrick Braouezec

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale

TVA sociale

M. Pierre-Alain Muet

M. François Baroin, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie

Prothèses PIP

M. Philippe Vitel

Mme Nora Berra, secrétaire d’État chargée de la santé

TVA

M. Alain Vidalies

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement

Taxe Tobin

M. Frédéric Reiss

M. François Baroin, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie

TVA

Mme Laurence Dumont

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement

Exécution des peines

M. Jean-Paul Garraud

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

TVA

M. Christian Eckert

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement

Commémoration du 11 novembre

M. Patrick Beaudouin

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants

Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde

2. Fixation de l’ordre du jour

3. Application de l’article 11 de la Constitution

Explications de vote communes

M. Michel Diefenbacher, M. Jacques Valax, M. Michel Hunault, M. Patrick Braouezec

Votes sur les deux projets

4. Commémoration de tous les morts pour la France

M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants

M. Patrick Beaudouin, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées

Discussion générale

M. François Rochebloine

M. Jean-Jacques Candelier

M. Christophe Guilloteau

Mme Patricia Adam

M. Philippe Folliot

Mme Françoise Hostalier

M. René Rouquet

Mme Véronique Besse

M. André Wojciechowski

M. Daniel Boisserie

M. Patrice Calméjane

M. Jean-Pierre Dupont

M. Marc Joulaud

M. Philippe Meunier

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État

Discussion des articles

Article 1er

M. Philippe Vitel

M. Nicolas Dhuicq

M. Pascal Brindeau

M. Lionnel Luca

M. Michel Hunault

Amendements nos 4, 1, 3, 2, 5

Article 2

M. Frédéric Reiss

M. Émile Blessig

M. Jacques Lamblin

Amendement no 9

Après l’article 2

Amendements nos 6, 7, 8

5. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Bernard Accoyer

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

M. Jean-Pierre Brard. Et les vœux de bonne année !

M. le président. Nous commençons par une question du groupe Nouveau Centre.

Taxe sur les transactions financières

M. le président. La parole est à M. Yvan Lachaud.

M. Yvan Lachaud. Monsieur le président, j’ai l’honneur de poser la première question de cette année 2012. Vous me permettrez donc, au nom de mon groupe, de vous présenter tous nos vœux de santé et de bonheur, ainsi qu’à toute la représentation nationale, au Gouvernement et à l’ensemble des Français. (Applaudissements sur divers bancs.)

Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

L’année 2011 a connu de belles avancées pour nous, centristes : l’adoption de la règle d’or, la suppression du bouclier fiscal, la taxation des hauts revenus, la position du Président de la République et du Gouvernement sur l’Europe et sur la protection de la zone euro.

L’année 2012 démarre sous les meilleurs auspices, puisque le Président de la République a pris l’initiative de taxer, en France tout d’abord, les transactions financières. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.) Cette mesure nous satisfait pleinement, nous, centristes, puisque nous avions déposé de nombreux amendements allant dans ce sens.

M. Christian Eckert. Qui n’ont jamais été votés !

M. Yvan Lachaud. C’est une mesure courageuse. La France s’honore en en prenant l’initiative. Elle permet de pointer les dérèglements nombreux liés au monde de la finance, notamment dans la crise que l’on connaît aujourd’hui : il était anormal qu’une TVA soit prélevée notamment sur les produits alimentaires et qu’il n’y ait aucune taxe sur les mouvements des capitaux.

Cette mesure doit prendre une dimension européenne. On ne peut donc que se réjouir de la position de la Chancelière Angela Merkel, qui a donné, à titre personnel, un avis favorable à cette disposition pour la zone euro.

Pouvez-vous vous engager, monsieur le ministre, à ce que la France mette tout en œuvre pour convaincre, à défaut des vingt-sept États de l’Union, à tout le moins les dix-sept pays de la zone euro d’appliquer cette taxe qui, j’en suis sûr, aura un effet dissuasif, notamment sur la spéculation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. François Baroin, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le président Lachaud, merci de votre question. Merci de votre engagement de longue date en faveur de cette taxe sur les transactions financières. Merci du soutien que vous apportez au Président de la République depuis de nombreuses années et singulièrement depuis la crise de 2008, où le Président Nicolas Sarkozy a été aux avant-postes de la conquête pour la mise en place d’un dispositif visant à faire en sorte que le système financier contribue à réparer les dommages qu’il a lui-même causés avec le développement d’une industrie financière qui s’est emballée avec subprimes et Lehman Brothers. (« Bravo ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Lemasle. Ben voyons !

M. François Baroin, ministre. Il faut y voir l’aboutissement d’un long combat, dont la France peut s’honorer.

M. Paul Giacobbi. Mais pas vous !

M. François Baroin, ministre. La France a été aux avant-postes dans la négociation au sein du G20. Sous l’impulsion décisive du Président de la République, le président Obama lui-même – nous savons les réticences structurelles, voire culturelles des Américains à l’égard de ce type de taxe – a accepté le principe d’une contribution du secteur financier à la résorption de la crise. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre du G20, nous allons poursuivre les discussions sous la présidence mexicaine.

M. Paul Giacobbi. Cela ne s’appliquera jamais !

M. François Baroin, ministre. C’est la raison pour laquelle, dès cette année, à l’échelle européenne, nous allons prendre l’initiative de la mise en œuvre opérationnelle de cette taxe sur les transactions financières.

Le Président de la République en a parlé avec la Chancelière en début de semaine. Je me rendrai moi-même jeudi soir à Berlin pour discuter des détails pratiques de la coopération franco-allemande, sur les modalités, l’objectif et le calendrier à définir en partage.

Vous savez que la directive européenne actuellement en discussion porte sur une assiette large – les actions, les obligations et les produits dérivés – avec un taux faible.

M. Jean-Paul Lecoq. Bobards !

M. François Baroin, ministre. Ce que je peux vous dire, c’est que la France sera le premier pays, cette année, à mettre en œuvre cette taxe sur les transactions financières. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)


TVA sociale

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur le Premier ministre, le Président de la République a récemment déclaré : « la période actuelle offre à notre pays l’opportunité de prendre des mesures qu’il n’aurait jamais acceptées en dehors d’une période de crise ». Parmi ces mesures figure la TVA sociale, qu’il envisageait déjà en 2007 et qu’il croit pouvoir nous ressortir aujourd’hui dans des conditions telles qu’il s’agit d’un véritable déni de démocratie.

Le transfert du financement de la sécurité sociale des cotisations vers la TVA faussement dénommée « sociale », impôt le plus injuste puisqu’il s’applique à tous au même taux sans tenir compte des revenus, remet en réalité en cause le pacte social républicain de financement solidaire mis en place à la Libération et fondé sur un prélèvement direct à la source sur les richesses créées par le travail dans les entreprises.

Seul le MEDEF saute de joie devant ce nouveau cadeau qui, nous explique sans rire Mme Parisot, permettra d’alléger le coût du travail, donc d’augmenter les salaires et de créer des emplois en améliorant nos performances économiques. Une fable cynique quand 108 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales accordées au patronat depuis 2007 n’ont pas empêché une augmentation de 1 million du nombre de chômeurs dans la même période !

M. Lucien Degauchy. Vous dites toujours la même chose !

Mme Jacqueline Fraysse. Ces exonérations n’ont pas davantage conduit à des augmentations de salaires dans un pays où un salarié sur deux gagne moins de 1 500 euros par mois, ni freiné le rythme des délocalisations.

Qui paiera cette augmentation de la TVA ? Celles et ceux qui subissent déjà la hausse des prix de l’alimentation, des transports, du gaz, des mutuelles, et j’en passe.

Monsieur le Premier ministre, jusqu’où envisagez-vous d’aller dans votre entreprise de saignée des citoyens de ce pays ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Allez-vous écouter les 64 % de nos concitoyens qui rejettent cette augmentation de la TVA et renoncer à cette ultime régression sociale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Lucien Degauchy. Ça suffit !

M. le président. La parole est à Mme la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement.

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Madame la députée, la première des injustices, aujourd’hui, dans notre pays, c’est le chômage. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) C’est aussi la première préoccupation des Français. Alors, le Gouvernement a une stratégie pour l’emploi (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), une stratégie constante depuis cinq ans.

M. Albert Facon. Qu’avez-vous obtenu en cinq ans ? Rien !

M. Jean-Paul Lecoq. Si, 1 million de chômeurs de plus !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Pour améliorer la formation de nos jeunes, nous avons fait adopter la réforme de l’université. Pour dynamiser l’innovation, nous avons institué le crédit impôt recherche. Pour favoriser l’investissement, nous avons supprimé la taxe professionnelle.

M. Daniel Paul. Non !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Pour sauver nos entreprises stratégiques, nous avons créé le Fonds stratégique d’investissement.

M. Albert Facon. Pour quel résultat ? Un million de chômeurs de plus !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Alors oui, nous avons une stratégie pour l’emploi et cette stratégie nous allons la poursuivre.

M. Albert Facon. Mieux vaut arrêter : c’est une catastrophe !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Le Président de la République l’a dit, aujourd’hui il n’est plus supportable que l’intégralité de nos dépenses de solidarité soit supportée par le travail et l’emploi. Alors oui, nous allons baisser le coût du travail.

M. Albert Facon. Mais pas le chômage !

M. Christian Bataille. Vos arguments sont nuls !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Nous allons baisser le coût du travail pour que nos produits soient moins chers, pour qu’ils soient produits en France, pour garder nos usines en France, pour réindustrialiser la France.

M. Christian Bataille. Arrêtez ces bobards !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Contre le chômage, notre stratégie, c’est l’action ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bernard Roman. Bilan : 1 million de chômeurs !

SeaFrance

M. le président. La parole est à M. Sébastien Huyghe, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Sébastien Huyghe. Monsieur le ministre chargé des transports, la France est une grande puissance économique, notamment grâce à la qualité de ses infrastructures de transport, qu’elles soient terrestres, ferroviaires ou maritimes. Dans cet esprit, la défense du Pavillon France est une cause qui doit nous animer sur tous les bancs de notre hémicycle.

M. Albert Facon. Il a un prompteur !

M. Sébastien Huyghe. C’est exactement le sens de l’action du Président de la République et du Gouvernement dans le dossier SeaFrance. Depuis plusieurs semaines, en effet, le Gouvernement est mobilisé pour étudier, avec les salariés, toutes les possibilités de préserver l’emploi et l’activité maritime de cette compagnie.

Le schéma de SCOP, porté par certains représentants du personnel, a été attentivement examiné et même encouragé. Par ailleurs, des entreprises se sont manifestées pour prendre leur part à ce sauvetage.

Hier, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation définitive, avec cessation d’activité, de la compagnie maritime. Pour les salariés, dont l’emploi est en jeu, il convient de rester mobilisés pour trouver des solutions.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire comment le Gouvernement compte accompagner les anciens salariés de l’entreprise et favoriser la pérennité de cette activité maritime ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé des transports.

M. Thierry Mariani, ministre chargé des transports. Monsieur le député, quand, hier, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la cessation d’activité de SeaFrance, le Gouvernement a bien eu conscience que c’était 872 familles qui perdaient un travail, et ce malgré sa totale mobilisation.

Le Premier ministre, Jean Leonetti, Nathalie Kosciusko-Morizet et moi-même sommes allés plaider ce dossier à Bruxelles, où des aides ont été refusées par le commissaire à la concurrence, l’un de vos amis socialistes espagnols, mesdames, messieurs. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Malgré cela, nous avons essayé, avec l’entreprise Louis Dreyfus, de concevoir un plan pour recaser, vous le savez, 600 personnes. Ce plan a été refusé à cause de l’attitude du syndicat local.

Mais, aujourd’hui, tout cela, c’est de l’histoire ancienne. Notre devoir, c’est de retrouver un emploi pour chacun des 872 salariés de SeaFrance.

Nathalie Kosciusko-Morizet est, en ce moment, à Calais pour rencontrer les représentants du personnel. J’étais, ce matin, avec le président de la SNCF et le président de Pôle emploi et j’ai eu un contact avec le président d’Eurotunnel. Sachez que nous explorons toutes les pistes qui nous permettront de proposer un emploi digne à chacun de ces 872 salariés. La SNCF, dès demain, proposera 500 emplois à ces salariés. Le groupe Louis Dreyfus a déjà dit qu’il était prêt à prépositionner deux bateaux avec 300 emplois. Enfin, j’étais encore il y a quelques minutes avec Jacques Gounon, le président d’Eurotunnel, pour explorer une nouvelle piste.

Dans ce dossier, le Gouvernement est déterminé à trouver une vraie solution, pas comme celle que les syndicats de SeaFrance qui sont allés au siège du parti socialiste se sont vu proposer, c’est-à-dire de prendre simplement 100 euros d’actions.

M. Albert Facon. Oh !

M. Thierry Mariani, ministre. Nous, c’est chacun des 872 emplois qui nous intéresse. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

TVA

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche

M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le Premier ministre, comme nos concitoyens, j’attache la plus grande importance à la cohérence et à la parole donnée (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Or, face à la multiplication des propositions de dernière minute du candidat Nicolas Sarkozy, nous ne savons plus si nous sommes dans le registre de l’improvisation ou dans celui du parjure. (Vives exclamations sur les mêmes bancs.)

Je pourrais vous interroger sur la taxe sur les transactions financières, d’abord condamnée, puis brandie comme un étendard avant d’être ravalée au simple rétablissement de l’impôt de bourse, impôt que vous aviez vous-même supprimé en 2008…

M. Bernard Roman. Eh oui !

M. Jean-Marc Ayrault. Mais je me limiterai à vous demander une réponse sur un seul sujet d’actualité : la hausse de la TVA. Votre grande promesse fut celle du pouvoir d’achat. En 2007, Nicolas Sarkozy précisait, par la voie d’un communiqué solennel de l’Élysée : « Le Président de la République n’acceptera aucune augmentation de TVA qui pourrait avoir pour effet de réduire le pouvoir d’achat des Français. »

Que s’est-il passé depuis ? Vous avez déjà augmenté la TVA au 1er janvier ; quelle obscure raison peut donc justifier une nouvelle augmentation massive et un allègement des cotisations patronales dont la charge serait transférée sur les familles, les salariés, les retraités et les chômeurs ?

Monsieur le Premier ministre, force est de constater que le quinquennat auquel vous participez activement, en première ligne, a commencé au Fouquet’s, avec le bouclier fiscal (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), et qu’il risque de s’achever avec la TVA à 24 %, en d’autres termes avec un troisième plan d’austérité qui ne veut pas dire son nom ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Les Français n’en peuvent plus de cette politique ! Ils doivent savoir qu’avec François Hollande, nous reviendrons sur cette mesure. Nous voulons le changement maintenant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. François Baroin, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le président Jean-Marc Ayrault, permettez-moi d’abord de vous souhaiter une bonne année…

M. Philippe Briand. Pas trop !

M. François Baroin, ministre. …et beaucoup de courage, notamment pour convaincre les Français de cette remise en cause de la totalité du programme porté par François Hollande ! Car si vous vous interrogez sur tel ou tel projet gouvernemental, nous, nous nous posons des questions sur la totalité de ce que pensent les socialistes : Quelle est votre ligne sur la retraite à soixante ans ? Quelles sont vos propositions définitives sur l’éducation nationale ? Où en êtes-vous sur les emplois aidés ? Que pensez-vous désormais de la réforme fiscale et de la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu ? Nous n’en savons rien !

Face à cela, nous proposons, jusqu’à la fin du quinquennat, de l’action, toujours de l’action, encore de l’action, pour garantir la compétitivité de notre économie.

M. Patrick Lemasle. Des impôts, des impôts, des impôts !

M. François Baroin, ministre. Oui, il y aura un rendez-vous parlementaire dans le courant du mois de février pour discuter de la compétitivité de notre économie.

M. Albert Facon. Dépêchez-vous !

M. François Baroin, ministre. Cette crise n’est pas banale : elle est mondiale et touche toutes les économies. Ce n’est pas une parenthèse, c’est un tournant. Et ce tournant, nous devons l’aborder de front, sur les deux piliers : la réduction des déficits publics et la réduction de notre endettement.

Depuis trois ans, méthodiquement, mécaniquement, nous sommes au rendez-vous des engagements que nous avons pris vis-à-vis des Français, de nos partenaires et de la communauté internationale. Le Premier ministre l’a annoncé lui-même : nous serons en dessous des objectifs annoncés en matière de déficits publics.

M. Patrick Lemasle. Avec un million de chômeurs en plus !

M. François Baroin, ministre. Nous sommes animés du même volontarisme et de la même détermination pour ce qui concerne le soutien à la croissance. Oui, il y aura un rendez-vous sur le financement de la protection sociale ; oui, il y aura un rendez-vous sur le financement des moyens ; oui, il y aura un rendez-vous sur les moyens de préserver l’emploi et de lutter contre les délocalisations ; oui le Gouvernement et sa majorité seront à ce rendez-vous avec les Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

TVA

M. le président. La parole est à M. Jérôme Cahuzac, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Jérôme Cahuzac. Monsieur le Premier ministre, le président Jean-Marc Ayrault vous a posé une question, mais M. Baroin a répondu à votre place sans fournir les éléments demandés. Je me permets donc de vous interroger à nouveau pour savoir si, oui ou non, le Gouvernement que vous dirigez a l’intention de proposer au Parlement une augmentation de la TVA de trois points pour compenser la trentaine de milliards d’euros que représente la baisse des charges pesant sur les entreprises. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Si tel est le cas, monsieur le Premier ministre, on peut craindre que vous ne vous déjugiez une deuxième fois. Je me permets en effet de citer ce que vous déclariez en février 2011 : « On parle de convergence avec l’Allemagne mais, Berlin ayant relevé sa TVA, les taux français et allemands sont à peu près équivalents. Si on augmente notre TVA, on se redécale par rapport à l’Allemagne. Plutôt que de réfléchir à une augmentation des recettes fiscales, mieux vaut se concentrer sur “diminuer les dépenses”. »

M. Jean-François Copé. Et Manuel Valls, il disait quoi ?

M. Jérôme Cahuzac. Le Parlement a examiné l’année dernière les deux plans de rigueur Fillon I et Fillon II, qui ont abouti à une augmentation des impôts de plus de quinze milliards d’euros en 2012 et à une diminution des dépenses d’un peu moins de trois milliards d’euros. C’était déjà une première façon de vous déjuger – certains iraient même jusqu’à parler de reniement. Avez-vous l’intention de vous déjuger ou de vous renier une deuxième fois, en proposant une hausse de la TVA dont l’effet sur la compétitivité serait sinon nul, du moins tout à fait marginal, de l’ordre de 1 à 2 % ?

S’il s’agit d’être compétitif par rapport à l’Asie où les salaires sont dix à quinze fois moindres, cette mesure sera sans effet ; s’il s’agit d’être compétitif par rapport à la zone dollar, sachant que le dollar fluctue de plus ou moins 10 % par rapport à l’euro plusieurs fois par mois, elle sera également sans effet.

M. Lucien Degauchy. Donneur de leçons !

M. Jérôme Cahuzac. Quant à l’Allemagne, ses entreprises enregistrent des gains de productivité de 3 à 4 % par an : autant dire que votre mesure, là encore, sera sans effet.

Monsieur le Premier ministre, si vous augmentez la TVA, il vous faudra geler les salaires, les pensions et contrôler les prix. Pouvez-vous donc nous indiquer si, oui ou non, vous augmentez la TVA et si, en conséquence, vous gelez les salaires, les pensions et les prix ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président Jérôme Cahuzac, qui a dit : « Nul ne doute de l’amélioration de la compétitivité des entreprises qui résulterait de l’instauration d’une TVA sociale » ? Manuel Valls, porte-parole du candidat socialiste François Hollande ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Marcel Rogemont. Il a fait 5 % aux primaires !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Je crois donc, mesdames et messieurs les députés du parti socialiste, que vous n’êtes pas les mieux placés pour critiquer la décision qu’a prise le Président de la République de réformer le financement de notre protection sociale, afin qu’il cesse de peser sur l’emploi.

La stratégie du Gouvernement est claire, je vous la répète : nous voulons baisser le coût du travail, pour que nos produits soient moins chers, pour que nos entreprises puissent investir, embaucher, augmenter les salaires et exporter. Nous voulons que les produits importés des pays à bas coûts de production soient davantage taxés et contribuent au financement de notre protection sociale.

Monsieur Cahuzac, vous aimeriez que je vous dise aujourd’hui ce qui va découler du sommet de crise au cours duquel le Gouvernement rencontrera les partenaires sociaux. Mais nous sommes pour l’heure dans le temps de la concertation : rien n’est arrêté, rien n’est tranché. Soyez néanmoins assuré que le Gouvernement prendra ses décisions et ses responsabilités avant l’élection présidentielle : parce que nous, nous ne nous défaussons pas lorsque l’intérêt général est en jeu ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Quotient familial

M. le président. La parole est à M. Christian Jacob, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Christian Jacob. Monsieur le Premier ministre, il est quelques politiques publiques qui font consensus entre la droite et la gauche. C’est le cas de la retraite par répartition et du quotient familial, auquel nous avons collectivement décidé, depuis 1945, de ne pas toucher.

Grâce à notre politique familiale, notre pays détient le meilleur taux de natalité et le meilleur taux de professionnalisation des femmes en Europe.

Le quotient familial est l’un des piliers de cette politique, car il place l’enfant au cœur du dispositif. Le remettre en cause, comme l’envisage M. Hollande, qui voudrait purement et simplement le supprimer (Huées sur les bancs du groupe UMP), c’est d’abord opposer les familles entre elles en ouvrant un débat de lutte des classes là où il y avait consensus jusqu’à présent. Des familles qui, aujourd’hui, ne paient pas d’impôt parce qu’elles ont des enfants à charge, en paieraient demain. (Mêmes mouvements.) C’est aussi mener une politique de redistribution sur le dos des enfants. (« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP.) Monsieur le Premier ministre, dans ce contexte, il est essentiel que le Gouvernement réaffirme avec force son soutien au quotient familial, dont la suppression serait une attaque sans précédent contre la politique familiale française. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement.

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur Christian Jacob, vous faites part au Gouvernement de votre inquiétude concernant la proposition de François Hollande de supprimer le quotient familial. Permettez-moi de vous dire que cette inquiétude, je la partage (« Ha ! » sur les bancs du groupe SRC), car cette proposition serait un véritable coup de massue sur les classes moyennes et sur les familles. En effet, 4,5 millions de ménages seraient concernés par une augmentation d’impôt moyenne de 1 000 euros. C’est à partir de trois SMIC que les familles seraient taxées. Retenez bien ce chiffre, il vous rappelle peut-être quelque chose : en 2007, François Hollande avait déclaré qu’un ménage est riche en France dès lors qu’il gagne 4 000 euros !

Cette proposition de supprimer le quotient familial repose sur une vision totalement erronée de la politique familiale française, laquelle figure parmi les plus généreuses au monde mais aussi parmi les plus justes en ce qu’elle favorise les familles modestes. L’allocation de rentrée scolaire, les aides aux modes de garde, les aides aux parents isolés, les aides au logement sont versées sous condition de ressources. Les plus fragiles sont protégés. C’est pour cette raison que la France détient le taux de natalité le plus élevé d’Europe, qui est l’un des leviers majeurs de notre croissance. Nous, nous n’abattrons pas une conquête sociale qui est aussi notre meilleur atout pour l’avenir ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Inégalité salariale et chômage des femmes

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine

M. Patrick Braouezec. Monsieur le ministre du travail, depuis plusieurs années, différents plans en faveur de l’emploi des jeunes et des seniors se succèdent. Même s’ils restent sans succès, ils dénotent une certaine intention. Or rien de tel pour l’emploi des femmes alors qu’elles représentent plus de la moitié de la population. Leur taux de chômage semble moins préoccupant que celui des hommes alors que la crise et l’austérité les frappent plus durement.

Outre le chômage, l’emploi à temps partiel a partout fortement augmenté. Les femmes, surreprésentées dans ces catégories d’emploi, ont subi des réductions forcées de leur durée de travail et de leur rémunération. Elles sont aussi les plus touchées au sein de la fonction publique par les réductions d’effectifs. En France, comme dans toute l’Europe, les femmes sont les premières concernées par l’insécurité et la précarité croissantes de l’emploi et par les bas salaires. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai déposé avec le groupe GDR une proposition de révision constitutionnelle visant à inscrire dans la Constitution l’égalité salariale entre les hommes et les femmes.

Dans une résolution de juin 2010, le Parlement européen avait même attiré l’attention du Conseil européen et de la Commission en soulignant les répercussions particulièrement négatives de la crise sur les femmes, davantage exposées à la précarité de l’emploi.

Il s’agit bien ici de dénoncer le fait que la question de l’emploi des femmes est ignorée, occultée, absente de la scène politique, mais aussi de dénoncer les priorités que ce gouvernement impose sans se préoccuper des inégalités provoquées par sa propre politique. Au moment où certains candidats ou certaine candidate préconisent le retour de la femme au foyer, il convient d’affirmer avec force que le droit au travail des femmes, comme des hommes, est un enjeu majeur de société.

Quand les discriminations dans le monde du travail faites aux femmes cesseront-elles et pour quelle raison n’en avez-vous pas fait la priorité de votre fin de mandat ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la cohésion sociale.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Monsieur le député, vous constatez avec raison que, même si la question de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes a progressé, ce chantier reste encore devant nous. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a décidé, dans l’article 99 de la loi portant réforme des retraites, d’imposer un nouveau dispositif qui oblige les entreprises de plus de cinquante salariés à élaborer un plan d’action ou à signer des accords avec les organisations syndicales pour établir l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Si l’objectif n’est pas atteint, des sanctions fortes seront appliquées puisque les pénalités peuvent aller jusqu’à 1 % de la masse salariale. De même, des indicateurs de performance doivent être fixés pour suivre la question de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes au sein de ces entreprises.

J’ai engagé un dialogue approfondi avec les organisations syndicales pour aller encore plus loin et parfaire la notion d’égalité professionnelle ainsi que l’égal partage des tâches familiales.

D’autres dispositifs sont à l’œuvre comme le label Égalité, qui récompense les entreprises performantes, ou le fonds de garantie à l’initiative des femmes.

Je veux vous dire avec force que préserver l’emploi entre les hommes et les femmes et l’égalité passe par une politique familiale qui a fait ses preuves. Le Conseil d’analyse stratégique a d’ailleurs félicité le Gouvernement pour son plan de création de places de garde. Dans ce domaine, et pour aller dans le sens défendu par Valérie Pécresse, il serait inconséquent de revenir sur un élément majeur de notre politique familiale : le quotient familial. J’espère, monsieur Patrick Braouezec, que vous condamnerez formellement les propositions de M. Hollande. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Michel Hunault. Très bien !

TVA sociale

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche

M. Pierre-Alain Muet. M. le Premier ministre ayant évité de répondre à Jean-Marc Ayrault comme à Jérôme Cahuzac, et M. Baroin, chargé de répondre à Jean-Marc Ayrault, ayant esquivé la question, je la lui repose.

Répondant en février de l’année dernière à une question sur la TVA sociale proposée alors par l’UMP, vous déclariez, monsieur le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie : « Je ne suis pas favorable à cette mesure. Il faudrait un effort très conséquent d’augmentation de la TVA pour que cela ait un impact, (...) et qui peut imaginer qu’une [telle] augmentation (...) de la TVA n’aurait pas des conséquences dramatiques sur notre activité économique ? ». (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

À l’époque où vous prononciez ces mots, notre économie n’allait pas bien, mais il y avait encore un peu de croissance. Et pourtant, vous remarquiez déjà avec raison qu’« alourdir la fiscalité sur la consommation serait faire prendre un risque à la reprise de l’activité ».

En ce début d’année, la croissance s’effondre, parce que, selon l’INSEE, le pouvoir d’achat baisse déjà fortement. Ne croyez-vous pas qu’en augmentant la TVA vous allez enfoncer de façon dramatique – pour reprendre votre expression – notre pays dans la récession ?

Toujours il y a un an, vous déclariez : « Il n’y aura pas d’augmentation d’impôt d’ici la fin de la législature, ni l’impôt sur le revenu ni la TVA. » Vous avez pourtant accru le premier de 1,5 milliard pour 2012, et vous venez d’augmenter la seconde de 1,8 milliard, et vous allez continuer. Qui faut-il croire ?

M. Yves Nicolin. Rendez-nous Strauss-Kahn !

M. Pierre-Alain Muet. Mes chers collègues, nos concitoyens l’auront compris : s’ils veulent retrouver l’espoir, il y a urgence à changer de Président ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Lucien Degauchy. Démago !

M. Richard Mallié. Lamentable !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. François Baroin, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le député Pierre-Alain Muet, permettez-moi d’abord de vous féliciter de puiser auprès des bons auteurs les excellentes citations qui nourrissent votre réflexion !

Je ne rappelle pas l’eau écarlate qui est tombée sur le projet socialiste : aujourd’hui, c’est une page blanche, vous avez tout à réécrire. Il vous reste deux mois : bon courage et bonne chance ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe UMP. Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Augmenter la TVA n’est pas en soi un projet politique. Le projet politique, c’est baisser le coût du travail, préserver l’emploi, produire en France, lutter contre les délocalisations.

J’ai été – puisque vous avez eu l’amabilité de me citer – l’un des premiers auteurs d’un texte qui n’a malheureusement pas été mis en discussion. Nous étions alors au début des années 90. Étant l’élu d’un département qui a perdu 1 000 emplois par an pendant vingt ans dans l’industrie du textile, la lutte contre les délocalisations, je connais. Mais je connais aussi, malheureusement, les limites des mesures que les uns et les autres avons été amenés à prendre.

C’est la raison pour laquelle la crise, d’une envergure mondiale avec une accélération à partir du mois d’août qui a frappé toutes les économies, nous amène naturellement à réfléchir de manière sincère, objective, nouvelle, à explorer de nouvelles frontières afin d’atteindre un objectif simple : protéger l’emploi en France, nos industries et la production française, baisser le coût du travail, être plus compétitif et, ainsi, retrouver le chemin de la croissance durable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Henri Emmanuelli. Trois fois de suite que vous ne répondez pas à la question !

Prothèses PIP

M. le président. La parole est à M. Philippe Vitel, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Philippe Vitel. Monsieur le Président, mes chers collègues, ma question, à laquelle j’associe mon collègue et ami Jean-Sébastien Vialatte, député de La Seyne-sur-Mer, s’adresse à Mme Nora Berra, secrétaire d’État chargée de la santé.

Madame la secrétaire d’État, l’affaire des prothèses et implants frauduleux développés, fabriqués et commercialisés par la société Poly Implant Prothèse suscite colère et légitime inquiétude...

M. Michel Lefait. À qui la faute ?

M. Philippe Vitel. ...parmi la population des 300 000 femmes porteuses de prothèses mammaires de cette marque. Parmi elles 30 000 sont françaises – rappelons que cette affaire ne concerne pas que notre pays, puisque près de 90 % de la production de la société PIP étaient destinés à l’export.

Depuis mars 2010, il ne se passe pas une semaine sans que soient apportées de nouvelles révélations sur la façon dont cette entreprise a organisé une escroquerie d’une telle ampleur. Aujourd’hui, que répondre et comment répondre aux angoisses de ces milliers de femmes ?

Madame la secrétaire d’État, je vous demande solennellement en leur nom de rappeler les préconisations et mesures que vous avez déjà prises pour faire face à ce problème de santé publique, en particulier en ce qui concerne la prise en charge de l’explantation des prothèses défectueuses et leur remplacement, mais aussi de nous informer de celles que vous comptez mettre en place à l’avenir pour faire en sorte qu’il ne soit désormais plus possible, dans notre pays, de mettre en place une fraude de cette envergure. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la santé.

Mme Nora Berra, secrétaire d’État chargée de la santé. Monsieur le député Vitel, nous sommes, vous l’avez dit, face à une pratique frauduleuse qui a trait à la fabrication des prothèses PIP et qui concerne 30 000 femmes sur notre territoire. Sensibles à l’anxiété de ces femmes, nous avons, avec Xavier Bertrand, réactivé dès le mois de novembre le numéro vert, numéro de téléphone d’information, pour répondre à leur préoccupation.

Que nous disent les experts sur les risques sanitaires ? Tout d’abord qu’il n’y a pas de risque accru de cancer lié à ces prothèses.

M. Michel Lefait. Ils sont payés par les laboratoires !

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Néanmoins, le risque de rupture et le pouvoir irritant du gel utilisé sont bien établis. Au vu de ces éléments, nous avons immédiatement réagi et, dès la fin de l’année 2011, nous avons préconisé à titre préventif le retrait de ces prothèses pour toutes les femmes. L’explantation sera totalement prise en charge par l’assurance maladie ; encore faut-il organiser l’accueil de ces femmes sur l’ensemble du territoire. À cet effet, nous avons mobilisé les agences régionales de santé pour éviter les listes d’attente.

Afin qu’un tel événement ne se reproduise pas, vous m’avez demandé ce qu’il fallait faire.

M. Michel Lefait. Lutter contre les lobbies !

Mme Nora Berra, secrétaire d’État. Pour commencer, la loi « médicament » a permis de renforcer la sécurité sanitaire des médicaments ; elle s’applique aussi aux dispositifs médicaux. Par ailleurs, il faut accroître le nombre des contrôles et en renforcer les modalités. À cet effet, nous devons porter l’évolution de la réglementation au niveau européen : c’est ce que nous avons précisément commencé à faire avec Xavier Bertrand. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

TVA

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Alain Vidalies. De l’action, toujours de l’action, encore de l’action : voilà ce que les ministres nous répètent depuis le début de la séance. Quand cette action se traduit par 1 million de chômeurs supplémentaires en cinq ans et 600 milliards d’euros de déficit supplémentaire, il serait peut-être temps d’arrêter les dégâts ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Quant à M. le président du groupe UMP, qui trouve des accents de lutte des classes dans la réforme pourtant juste du quotient familial, je suis étonné que les mêmes mots ne lui soient pas venus à l’esprit quand le Gouvernement et la majorité ont voté le paquet fiscal ou la réforme de l’impôt sur la fortune. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

C’est le moment que vous choisissez pour ouvrir un débat sur la TVA dite « sociale ». Je rappelle que, dans un rapport récent, le Conseil économique et social montre que pour l’industrie manufacturière, le coût du travail horaire en Allemagne s’élève à 33,37 euros contre 33,16 euros en France. Il rappelle aussi que la productivité de la main-d’œuvre française est supérieure à celle de la main-d’œuvre allemande, soit en termes d’indice 120,1 contre 105,2. Si la France a un problème de compétitivité, il s’agit d’un problème hors coût notamment dû à l’effort de recherche et développement inférieur de 30 % dans notre pays à celui enregistré en Allemagne. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Ainsi, non seulement votre projet est injuste mais votre diagnostic est faux, et il vous amène à conduire une politique qui donne les résultats désastreux que nous constatons.

L’augmentation de la TVA va frapper tous les Français et tous les produits, et d’abord nos concitoyens qui n’ont pour vivre que leur retraite ou leurs indemnités de chômage. C’est d’ailleurs ce que pensait M. Christian Estrosi qui déclarait, lorsqu’il était ministre : « Faire basculer les cotisations sociales payées par quelques-uns sur une TVA sociale payée par tous serait contre-productif. » Nous allons l’écouter…

M. Jean Glavany. Il avait raison !

M. Alain Vidalies. ...et François Hollande lui aussi s’inspirera de cette remarque. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Si je puis me permettre, monsieur Vidalies, vous commettez plusieurs erreurs. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.)

La première porte sur le coût du travail. Aujourd’hui, en France, lorsque l’on paie 100 euros de salaire, on paie aussi 50 euros de charges sociales alors que celles-ci ne sont que de 39 euros en Allemagne. Vous avez décidé de nous comparer avec l’Allemagne ; c’est pourtant la comparaison qui nous est la plus défavorable. En effet, Mme Merkel l’a répété hier au Président Nicolas Sarkozy, l’Allemagne a déjà fait une réforme du financement de sa protection sociale pour qu’il ne repose plus sur les salaires et sur l’emploi.

M. Jean-Pierre Brard. Merci Schröder !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Vous faites une deuxième erreur : les Allemands ont effectué le transfert des charges sociales vers la TVA.

Aujourd’hui, nous consultons les partenaires sociaux. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Michel Vergnier. Cela fait dix ans que vous dormez !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Un sommet sur la crise nous réunira et, à l’issue de ce sommet, nous prendrons des décisions.

M. Albert Facon. Trop tard !

Mme Valérie Pécresse, ministre. D’ores et déjà, je peux vous le dire, nous baisserons le coût du travail.

Monsieur Vidalies, vous faites une troisième erreur. Vous nous dites que nous n’avons rien fait pour doper l’innovation et la recherche dans les entreprises privées. (« C’est vrai ! » sur les bancs du groupe SRC.) Comment pouvez vous dire cela ? Dans les trente dernières années, jamais un Gouvernement n’a autant investi dans l’enseignement supérieur et la recherche. Vous le savez mieux que quiconque ! Nous avons triplé le crédit impôt recherche et, permettez-moi de vous rafraîchir la mémoire, vous avez voté contre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Taxe Tobin

M. le président. La parole est à M. Frédéric Reiss, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Frédéric Reiss. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Elle s’inscrit dans le prolongement de celle posée par le groupe Nouveau Centre et pas dans celui de celle du groupe SRC.

Au moment où les crises financières et les dettes souveraines appellent des décisions promptes et courageuses, le Président de la République s’attache à faire avancer à grands pas le chantier d’une taxation des transactions financières.

Ainsi hier, il a rencontré la Chancelière allemande Angela Merkel, qui s’est déclarée personnellement favorable à cette mesure, même si le Bundestag n’est pas tout à fait prêt pour sa mise en œuvre. La Commission européenne souhaite faire aboutir, elle aussi, une taxation puisqu’elle a mis sur la table ce dossier que la France avait déjà ouvert lors du G 20. Il ne s’agit donc pas, pour la France, de prendre une mesure de façon isolée, mais bien d’être à l’avant-garde de ce combat majeur.

Ce n’est pas la première fois que la France a un tel rôle précurseur en matière fiscale. J’en veux pour preuve la taxe de solidarité sur les billets d’avion mise en place en 2006 par le Président Jacques Chirac. Aujourd’hui, nombre de pays ont rejoint cette initiative partout dans le monde.

Dans la période d’instabilité financière et bancaire que nous traversons, les classes moyennes sont durement mises à contribution. Aussi, la taxation des transactions financières sera une mesure d’équité fiscale. Les spéculateurs et les professionnels des marchés doivent, eux aussi, contribuer à résorber les crises actuelles.

Monsieur le ministre, pouvez-vous informer la représentation nationale des modalités et du calendrier envisagés pour cette réforme ?

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. François Baroin, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le député, vous avez évoqué la décision prise par le Président Jacques Chirac de créer une taxe sur les billets d’avion afin, notamment, de financer la distribution de médicaments aux plus démunis dans les pays en voie de développement. Je me souviens qu’à l’époque les réactions étaient aussi vives et intenses qu’elles le sont aujourd’hui pour ce qui concerne la taxation des transactions financières. On nous expliquait alors que cette taxe mettrait la France en faillite. Résultat : cette taxe est aujourd’hui un succès et elle s’est développée. Les pays autrefois réservés ont embrayé sur le chemin éclairé par la France.

Le même esprit nous anime et anime le Président Sarkozy pour la mise en place de la taxe sur les transactions financières. Trois raisons nous motivent, qui sont d’ordre budgétaire, économique et moral.

Oui, il est moral de demander aux acteurs de l’industrie financière, qui portent une part de responsabilité dans les errements dans lesquels le monde a malheureusement été entraîné par la crise économique et financière, d’apporter un complément, une contribution, une addition. Celle-ci sera demandée selon des modalités et un calendrier coordonnés à l’échelle européenne, mais il y aura un poste avancé. Il est incontestable que si nous attendons un consensus et un accord mondial, cette taxe ne se fera pas.

M. Christian Eckert. C’est incroyable !

M. François Baroin, ministre. Il est donc incontestable que des pays doivent prendre l’initiative. Comme il s’agit d’une conviction forte et que nous travaillons main dans la main avec l’Allemagne, la Chancelière et le Président Nicolas Sarkozy nous ont mandatés, mon homologue Wolfgang Schäuble et moi-même, pour faire des propositions. Nous avançons parallèlement à la proposition de la Commission européenne et j’ai déjà évoqué, à l’instar du Premier ministre, la volonté de disposer d’une assiette large et de fixer un taux bas. La France sera le premier pays à mettre cette taxe en place au cours de l’année 2012. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

TVA

M. le président. La parole est à Mme Laurence Dumont, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche

Mme Laurence Dumont. Madame la ministre du budget, poursuivons le florilège des citations de membres de la majorité, puisque l’actualité le réclame. Qui a dit : « La TVA sociale, en l’état de la croissance en France et sans un accompagnement très ferme en matière de maintien des prix, ne serait pas propice en ce qu’elle serait facteur d’inflation » ? Votre prédécesseure, Christine Lagarde ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Richard Mallié. C’était avant la crise !

Mme Laurence Dumont. À quatre mois de la présidentielle, ce que votre majorité a repoussé, à juste titre, pendant quatre ans deviendrait un remède miracle à la crise. Ce prétendu remède – cette potion amère, plutôt – va, une fois de plus, sanctionner les foyers modestes, qui, après deux plans de rigueur, subiront de plein fouet cette augmentation de TVA.

Plusieurs députés du groupe UMP. Mensonge !

Mme Laurence Dumont. Car ce que vous proposez n’est rien d’autre qu’une nouvelle augmentation de la TVA, que l’on ne saurait qualifier de sociale, puisque, pesant davantage sur les petits revenus, c’est l’impôt le plus injuste. Appelez-la donc par son vrai nom : la « TVA Sarkozy » !

Vous allez encore dégrader le pouvoir d’achat des Français qui dépensent tout leur revenu pour vivre, alors que les plus fortunés, eux, pourront continuer à épargner.

M. Yves Nicolin. Baratin !

Mme Laurence Dumont. Depuis le début de la législature, votre credo reste le même : toujours plus pour ceux qui ont déjà tout et toujours moins pour ceux qui ont le moins. Demandez donc ce qu’ils en pensent aux salariés du laboratoire Scherin-Plough, à Hérouville-Saint-Clair, qui se battent pour leurs emplois. Leur entreprise dégagera plus de bénéfices ; eux paieront les taxes pour financer les actionnaires !

Madame la ministre, ces salariés vous diraient qu’il faut le changement maintenant, car les Français n’en peuvent plus de vos réformes injustes, incohérentes et improductives. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement.

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Madame la députée, j’entends, depuis une heure maintenant, les arguments de l’opposition, qui reposent sur un contresens absolu. Vous voulez en effet faire croire aux Français qu’avec cette réforme du financement de la sécurité sociale, nous allons augmenter les impôts. (Applaudissements et vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) C’est un mensonge, c’est totalement faux ! Nous allons baisser le coût du travail et transférer la baisse des charges sociales vers d’autres modes de financement. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues. Ça suffit !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Madame Dumont, il s’agit d’un jeu à somme nulle.

Ce n’est pas une mesure anti-déficit ; c’est une mesure de compétitivité, destinée à protéger l’emploi. Vous voulez faire croire aux Français que nous allons augmenter la fiscalité sur ce point, c’est faux !

Face à la crise et au chômage, deux stratégies sont possibles : la nôtre, celle de l’action, qui consiste à jouer cartes sur table, et celle de l’opposition, qui consiste à avancer masqué, à ne rien dire et à dissimuler ses propositions afin de ne pas avoir à dire qu’aujourd’hui, pour réduire la dette et les déficits, il faut baisser les dépenses.

Vous ne dites pas la vérité aux Français, et cette séance le prouve ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Exécution des peines

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Garraud, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire

M. Jean-Paul Garraud. Monsieur le garde des sceaux, ce soir, nous commencerons à débattre du projet de loi sur l’exécution des peines. Il s’agit d’un sujet d’importance, car chacun comprend que les peines prononcées par les juridictions doivent être intégralement exécutées dans de brefs délais.

Notre majorité conduit une politique volontariste en la matière. Dois-je rappeler le programme « 13 200 places de prison », lancé dès 2002, ainsi que la création des établissements pour mineurs et des centres éducatifs fermés ? Dois-je rappeler toutes les lois que nous avons adoptées et qui multiplient les possibilités offertes aux juges de prononcer les peines les plus adaptées à la gravité des faits et à la personnalité de leurs auteurs ? Ces lois mêlent prévention et répression : aménagement des peines et alternatives à l’incarcération pour ceux qui s’engagent vraiment dans un parcours de réinsertion, multiplication des mesures de sûreté, de contrôle et de contrainte pour ceux qui sont enracinés dans le crime et qui présentent toujours une certaine dangerosité.

Ces lois étaient nécessaires, car il fallait agir après la terrible inertie des gouvernements de gauche. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Il fallait ne pas faire comme eux, ne pas céder à l’idéologie, mais être réaliste, dans l’intérêt de nos concitoyens et des victimes dont nous avons fait progresser les droits, ce qui n’est que justice.

Aujourd’hui, il faut aller encore plus loin, programmer la justice de demain et nous engager pour l’avenir. Grâce à ce projet de loi, 3,5 milliards d’euros et près de 7 000 emplois équivalents temps plein permettront, non seulement de construire et de restaurer 24 000 places de prison supplémentaires, mais aussi de créer de nouveaux centres éducatifs fermés, des établissements pour les courtes peines et des cursus de formation pour les futurs experts psychiatres, d’augmenter le nombre des médecins coordonnateurs, de généraliser les bureaux d’exécution des peines et les bureaux d’aide aux victimes. Mais ce texte comporte bon nombre d’autres dispositions.

M. Albert Facon. Et l’enseignement ?

M. Jean-Paul Garraud. Monsieur le garde des sceaux, pourriez-vous faire état devant représentation nationale de ce vaste et indispensable chantier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le député, ainsi que vous venez de le rappeler, le Gouvernement de François Fillon et le Parlement ont essayé, tout au long de la législature, de donner à la justice l’effectivité et la crédibilité dont elle a besoin.

M. Albert Facon. Ils n’ont pas réussi !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Bien sûr que si, monsieur le député !

Le projet de loi qui vous est soumis aujourd’hui participe de cette recherche de la crédibilité de la justice, à l’instar du texte entré en vigueur au 1er janvier qui associe les citoyens aux tribunaux correctionnels pour juger les délits les plus graves. Cette appropriation de la justice par nos concitoyens est essentielle.

Ainsi que vous l’avez rappelé, le Parlement a doté notre pays d’un droit pénal adapté à la délinquance actuelle. Les magistrats, dont il faut saluer le travail, appliquent la loi telle qu’elle a été votée.

M. Albert Facon. Ils n’en ont pas les moyens !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Aujourd’hui, il nous appartient, après la mise en œuvre des programmes antérieurs – notamment le programme « 13 200 », lancé par Dominique Perben et dont nous achevons la réalisation –, de faire en sorte que toutes les décisions de justice soient appliquées. Tel est l’objectif du projet de loi que vous examinerez aujourd’hui. Il s’agit non seulement de créer un certain nombre de places de prison, adaptées à la durée de la peine – car on n’a pas besoin du même établissement selon que les peines sont longues ou courtes –, mais aussi de permettre l’application de toutes les autres formes d’exécution des peines.

Par ailleurs, ce texte comporte une disposition essentielle – peut-être la meilleure du projet de loi – sur l’évaluation de la dangerosité. Monsieur Garraud, je suis certain que, grâce aux enrichissements que vous apporterez au projet de loi en votre qualité de rapporteur, nous travaillerons pour le bien de la justice. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

TVA

M. le président. La parole est à M. Christian Eckert, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Christian Eckert. Monsieur le président, je voudrais rassurer Mme la ministre du budget, mais aussi lui rappeler quelques vérités. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Au sujet de la taxation sur les transactions financières, j’ai procédé à une recherche qui m’a permis de relever qu’au cours des dix-huit derniers mois, nous avons proposé neuf fois de l’adopter, lors de l’examen de chaque loi de finances. (« Eh oui ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Richard Mallié. Et maintenant vous êtes contre !

M. Christian Eckert. Aucun député de la majorité n’a jamais voté notre proposition, et lorsqu’elle a enfin été adoptée par le Sénat, vous vous êtes empressés de la détricoter en deuxième lecture ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Vous avez raison, madame la ministre, il faut dire la vérité aux Français. En ce qui concerne la TVA, une chose est sûre, c’est que vous l’avez déjà augmentée au mois de décembre, en faisant passer son taux réduit de 5,5 % à 7 %, et pas sur n’importe quoi : sur les ordures ménagères, l’assainissement, les services à la personne, les transports publics, y compris scolaires, et le logement social.

Pour ce qui est de votre troisième rafale, votre troisième plan de rigueur sur la TVA sociale, je voudrais citer, moi aussi, les paroles de Jean-François Copé (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC) qui disait, en février 2010 : « opérer un tel transfert n’est pas sans danger dans notre pays, où la croissance est largement portée par la consommation. D’autant plus que cela éroderait le pouvoir d’achat des Français, à commencer par celui des retraités ». (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

C’est vrai qu’il faut dire des vérités, mes chers collègues ! Et le changement, la justice sociale et fiscale, c’est pour maintenant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, je vous remercie de votre question, qui me donne l’occasion de parler de la politique budgétaire de notre pays.

Vous avez évoqué la hausse de la TVA à taux réduit, décidée dans le cadre du plan de réduction des déficits…

M. Patrick Lemasle. De rigueur !

Mme Valérie Pécresse, ministre. …exposé par le Premier ministre le 7 novembre dernier. Permettez-moi de vous dire, monsieur Eckert, que, grâce à la réactivité du Gouvernement (Exclamations et rires sur les bancs du groupe SRC), j’ai de bonnes raisons de penser que, non seulement nous tiendrons notre objectif de réduction du déficit public de 7,1 % à 5,7 % en 2011, mais nous ferons certainement mieux encore. Nous tiendrons notre objectif de réduction des dépenses mieux que prévu, puisque le budget de l’État va afficher, pour 2011, 4 milliards d’euros de déficit de moins que ce que nous avions prévu.

M. Christian Eckert et M. Patrick Bloche. Qui paie ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. C’est évidemment dû à la gestion extrêmement serrée des dépenses, une gestion économe, crédible et sincère, qui permet d’apporter un démenti cinglant à l’opposition, qui a toujours mis en doute notre stratégie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Commémoration du 11 novembre

M. le président. La parole est à M. Patrick Beaudouin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Patrick Beaudouin. Monsieur le président, ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants.

L’année 2011 aura été particulièrement exigeante pour nos armées, avec près de 12 000 soldats engagés dans une quinzaine d’opérations essentiellement extérieures. Les succès remportés en Côte d’Ivoire et en Libye, les progrès enregistrés en Afghanistan font notre fierté à tous, tout comme l’action de nos forces sur le territoire national, par exemple dans la lutte contre l’orpaillage clandestin en Guyane ou contre les narcotrafiquants aux Antilles.

Ces combats réaffirment dignement la vocation de notre pays dans le monde, au service de la paix et de la démocratie. Dans le même temps, ils rappellent que certains de nos soldats continuent de tomber pour la France. Le décès de deux légionnaires du 2e régiment étranger de génie de Saint-Christol, le 29 décembre dernier en Afghanistan, en est un exemple douloureux. Servir la France par les armes est noble et indispensable, mais servir la France par les armes se fait, aujourd’hui encore, au péril de sa propre vie.

C’est pourquoi, bien que la nature des conflits et l’ampleur des pertes aient changé, le devoir de reconnaissance de la Nation envers les morts pour la France demeure. La quatrième génération du feu mérite d’être honorée, au même titre que les générations précédentes, pour ses combats et ses sacrifices.

Le souhait du Président de la République de faire du 11 novembre une journée d’hommage à tous les morts pour la France permet précisément d’associer la quatrième génération du feu à l’hommage unanime de la nation. Cela a d’ailleurs donné lieu, le 11 novembre dernier, à des cérémonies très émouvantes, qui ont fédéré un grand nombre de nos compatriotes et ravivé notre mémoire collective.

Cette évolution répond pleinement aux enjeux actuels de notre politique mémorielle, qui doit tenir compte à la fois de la disparition progressive des témoins et des formes nouvelles de notre engagement militaire. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous réaffirmer l’engagement du Gouvernement à pérenniser l’esprit des commémorations du 11 novembre, un esprit nouveau ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants.

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants. Vous avez raison, monsieur le député, depuis la mort du dernier poilu en 2011, le 11 novembre avait vocation à évoluer, car la mémoire est vivante, comme l’a très bien dit le Président de la République lors de la dernière cérémonie du 11 novembre. Si cette journée reste celle de la commémoration de la fin de la Première Guerre mondiale, elle peut très bien devenir également une journée des morts pour la France – tout soldat qui tombe, tombe pour la France et ses valeurs.

Il n’est pas question de supprimer les autres dates. Ainsi, le 8 mai reste, de même que les dates relatives à la guerre d’Algérie et à la guerre d’Indochine. L’idée du projet de loi que Gérard Longuet et moi-même allons vous présenter dans quelques instants est de montrer la filiation existant entre les morts de 1914-1918 et les morts de la troisième et de la quatrième génération du feu. Il était de notre devoir de faire évoluer les choses, afin que tous les soldats tombés depuis la guerre d’Algérie puissent avoir, eux aussi, une journée de commémoration. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Jean-Christophe Lagarde.)

Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde,
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

2

Fixation de l’ordre du jour

M. le président. La conférence des présidents, réunie ce matin, propose de modifier comme suit l’ordre du jour de la semaine du 23 janvier 2012 :

Le lundi 23 janvier, le soir :

Proposition sanctionnant la violation du secret des affaires.

Le mardi 24 janvier, après les questions au Gouvernement :

Proposition visant à consacrer le droit au rapprochement familial des condamnés.

Elle a également arrêté, pour la semaine du 30 janvier 2012, les propositions d’ordre du jour suivantes :

Le mardi 31 janvier, l’après-midi, après les questions au Gouvernement :

Débat sur la performance des politiques sociales.

Le mercredi 1er février, l’après-midi, après les questions au Gouvernement :

Proposition de résolution relative au principe de précaution.

Le jeudi 2 février, l’après-midi :

Débat sur les partenariats public-privé.

Il n’y a pas d’opposition ?

Il en est ainsi décidé.

3

Application de l’article 11 de la Constitution

Votes solennels

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote communes et les votes, par scrutin public, sur le projet de loi organique et le projet de loi portant application de l’article 11 de la Constitution (nos 3072, 3946, 3073, 3947).

Explications de vote communes

M. le président. Dans les explications de vote communes, la parole est à M. Michel Diefenbacher, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Michel Diefenbacher. Monsieur le président. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’instauration d’un référendum d’initiative partagée résulte d’une volonté commune exprimée par les parlementaires de la majorité et de l’opposition lors des débats de 2008 sur la révision de la Constitution.

Bien sûr, il faut se féliciter d’un tel consensus et espérer que le même esprit prévaudra, sur les rangs de l’opposition notamment, lors du vote qui interviendra tout à l’heure.

Pour autant, comment oublier les véritables affrontements auxquels avait donné lieu, dans les premières années de la Ve République, l’instauration du référendum dans nos institutions ?

Le général de Gaulle ne s’était pas contenté d’introduire cette innovation dans la Constitution ; il l’avait concrètement mise en œuvre à trois reprises au cours des quatre premières années de son premier mandat. C’était le moyen de régler le problème algérien, alors que le Gouvernement ne disposait pas de majorité parlementaire. C’était aussi l’occasion de donner un véritable ancrage populaire à l’exécutif et de mettre un terme au régime des partis.

Cette pratique a été très vigoureusement condamnée par la gauche, qui y voyait, selon les termes utilisés par François Mitterrand, un coup d’État permanent. Ces attaques étaient sans objet. En décidant de quitter le pouvoir de sa propre volonté, au soir de l’échec du référendum de 1969, le général de Gaulle a montré que, pour lui, le référendum avait pour objet non de favoriser une dérive autoritaire du pouvoir, mais au contraire de donner le dernier mot au peuple. La gauche s’était trompée de combat. Elle s’était aussi trompée d’époque. Souhaitons qu’elle soit mieux inspirée aujourd’hui.

Je vois, pour ma part, trois raisons majeures de voter le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire qui nous sont soumis.

Première raison : c’est le Parlement qui garde la maîtrise de cette procédure. En effet, l’initiative lui appartient puisque lui seul, à la demande d’un cinquième de ses membres, peut engager la procédure. Ce n’est qu’après cette première étape que le soutien d’un dixième des électeurs inscrits peut être recherché.

Par ailleurs, le Président de la République ne peut soumettre au référendum une telle proposition que si les deux assemblées n’ont pas décidé, dans l’année qui suit le recueil des soutiens, de l’examiner elles-mêmes. Passé ce délai, le Président de la République est obligé de convoquer les électeurs. En d’autres termes, le chef de l’État ne peut ni engager de lui-même cette procédure, ni l’interrompre, ni empêcher le Parlement de prendre lui-même la décision de légiférer.

Deuxième raison : le dispositif sur lequel nous allons nous prononcer assure aux citoyens la meilleure protection de leurs droits et de leurs libertés. La liberté, c’est celle de soutenir ou non l’initiative parlementaire. La collecte des soutiens se faisant par voie électronique, chacun pourra se prononcer à partir de n’importe quel point d’accès à internet. Des points publics d’accès seront en outre ouverts par les communes, dans chaque chef-lieu de canton.

Pourquoi avoir prévu que la liste des soutiens sera rendue accessible au public ? Tout simplement parce qu’il n’y a aucune raison de l’occulter. Soutenir, ce n’est pas voter. Lorsqu’un citoyen soutiendra une initiative référendaire, cela ne préjugera nullement le sens dans lequel il votera si le référendum est effectivement organisé. Il peut souhaiter que cette consultation ait lieu, soit pour soutenir la proposition parlementaire, soit au contraire pour que le peuple s’y oppose. Le soutien apporté à une initiative référendaire n’est donc en rien assimilable à un vote. Il s’apparente davantage, par sa forme et par ses conséquences, à la signature d’une pétition. Et les pétitions sont par nature publiques.

Troisième raison : la garantie juridique s’attache à la précision du contrôle exercé tout au long de la procédure par le Conseil constitutionnel. Lors de la discussion des deux textes, certains de nos collègues ont regretté la lourdeur de cette procédure et, par conséquent, la longueur des délais.

Entre la saisine du Conseil constitutionnel sur la proposition parlementaire et le vote par voie référendaire, il s’écoule en effet un délai incompressible de vingt-trois mois. Ce délai n’est pas supérieur à celui qui existe dans les autres pays qui ont instauré une procédure comparable. Concrètement, comment aller plus vite dès lors qu’un temps raisonnable est indispensable pour que 185 parlementaires décident de s’engager dans une initiative de cette nature, pour que les formations politiques informent les citoyens de l’engagement de cette procédure et des enjeux qui s’y attachent, pour que 4,5 millions d’électeurs décident ou non de la soutenir, pour que le Conseil constitutionnel vérifie d’abord la constitutionnalité de la proposition puis la régularité de la collecte des soutiens, pour que les deux assemblées choisissent soit de statuer elles-mêmes, soit d’aller au terme de la procédure référendaire, pour que, dans ce dernier cas, les électeurs soient convoqués et le scrutin organisé ?

Chacune de ces étapes requiert, à l’évidence, un minimum de temps. Lors des débats, certains de nos collègues de gauche ont du reste regretté que, sur certains points, notamment la collecte des soutiens, le délai ne soit pas plus long. On ne peut pas demander que tel ou tel délai soit allongé et déplorer ensuite la longueur de l’ensemble de la procédure.

Mes chers collègues, c’est un projet clair, précis équilibré dont nous sommes saisis. Je tiens d’abord à remercier la commission des lois, son président, Jean-Luc Warsmann, et son rapporteur, Guy Geoffroy, pour la remarquable qualité de leurs travaux. Je tiens aussi à remercier M. le garde des sceaux pour son écoute, ses avis et sa volonté de faire de cette réforme une authentique coproduction du Gouvernement et du Parlement.

M. le président. La parole est à M. Jacques Valax, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Jacques Valax. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collèges, trois ans, c’est le temps qu’il aura fallu pour que votre Gouvernement daigne enfin inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée les textes portant application de l’article 11 de la Constitution dans sa version issue de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Ce dispositif s’insérait dans de nouvelles mesures que le Président de la République – qui se voulait à l’époque le président du changement – nous avait annoncées comme susceptibles de donner plus de pouvoir au Parlement. Grâce à son intervention, nous avait-il dit, notre institution allait revivre, allait être vivifiée, le rôle du Parlement s’en trouverait amélioré et par là même notre fonction, à nous parlementaires, serait revalorisée.

Je faisais partie de ceux qui, sans doute trop optimistes, pensaient objectivement que ces deux textes permettraient de faire évoluer notre institution vers une écoute plus grande, vers une considération plus forte de nos concitoyens. J’étais même prêt à voter ce texte et, rappelant qu’il était très attendu par nos concitoyens, je vous en avais fait l’aveu le 16 novembre devant la commission des lois.

M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Eh oui !

M. Jacques Valax. Je précisais toutefois que le groupe socialiste souhaitait impérativement que, dans le cadre de la discussion, le texte soit non seulement enrichi, mais aussi et surtout assoupli pour être plus efficace, plus réactif, afin que la volonté populaire soit plus rapidement et plus directement prise en considération. En un mot, nous souhaitions que ce texte évolue vers une véritable initiative citoyenne et populaire.

Nous attendions de vous un assouplissement du dispositif constitutionnel initial. Nous souhaitions une vraie volonté d’ouverture que vous n’avez, hélas ! jamais manifestée. Les travaux de notre commission et les débats au sein de notre Assemblée ont révélé les blocages institutionnels et psychologiques qui sont les vôtres par rapport à cette procédure nouvelle.

Vous n’avez eu de cesse de vous abriter derrière un texte de loi tout aussi rigide et strict que le dispositif constitutionnel. En réalité, vous souhaitez rendre de plus en plus difficile la concrétisation de l’initiative populaire.

Au-delà de ces considérations générales, je ferai trois observations.

Premièrement, il ne s’agit pas d’une démarche populaire puisque la procédure repose sur la seule initiative parlementaire. Cent quatre-vingt-cinq députés doivent être réunis au préalable et proposer un texte de loi. Plus grave encore, la mise en œuvre du mécanisme que vous nous proposez n’aboutira que très rarement à l’organisation véritable d’un référendum puisqu’un examen du texte par l’une des deux assemblées suffira à mettre un terme à la procédure.

Deuxièmement, le refus qui a été le vôtre de porter de trois à six mois la durée du temps de recueil des pétitions est parfaitement révélateur de votre attitude. Vous refusez qu’un grand mouvement populaire puisse s’emparer d’une idée. Vous entendez cantonner la réflexion, la prise de décision, la publicité des débats, voire la discussion dans un délai qui nous apparaît trop restreint et qui interdit tout vrai débat de fond parmi les citoyens.

Troisièmement, vous avez rejeté notre demande de ramener le temps d’examen parlementaire au sein de nos assemblées de douze à six mois. Cela était tout à fait possible puisque 185 parlementaires doivent être à l’initiative d’une proposition de loi et qu’ils ont déjà, par définition, pu et dû discuter du texte. Dès lors, le délai pouvait être sans difficulté aucune ramené de douze à six mois. Vous n’avez pas souhaité, une fois encore, tenir compte de nos observations.

Nous souhaitions que ce texte permette aux citoyens de s’exprimer réellement, qu’il soit un véritable moyen d’expression populaire. Nos espoirs sont déçus, et votre refus d’amender le texte sur des éléments que nous considérons comme essentiels nous amène aujourd’hui à nous abstenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Les scrutins publics sur l’ensemble du projet de loi organique et l’ensemble du projet de loi ordinaire sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Michel Hunault, pour le groupe du Nouveau Centre.

M. Michel Hunault. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collèges, en précisant les conditions de mise en œuvre de la procédure de référendum d’initiative partagée, les présents projets de loi viennent parachever, trois ans après l’inscription dans notre Constitution de la nouvelle rédaction de l’article 11, une réforme constitutionnelle qui représente, à l’heure de son adoption, un bouleversement de notre tradition juridique.

En effet, par une association étroite du peuple souverain et de ses représentants, la révision de 2008 a fait du référendum d’initiative partagée une procédure à la fois unique dans notre histoire et originale en Europe.

Je rappelle que ce référendum constitue une disposition particulière au sein de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, car c’est par la voie d’un amendement émanant des parlementaires de chacun des groupes de notre assemblée que la réécriture de l’article 11 de la Constitution a pu être introduite dans le texte finalement adopté par le Parlement réuni en Congrès à Versailles.

C’est ainsi que la révision constitutionnelle de 2008 a consacré, à l’article 11, le droit pour un cinquième des membres du Parlement, avec le soutien d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, de solliciter l’organisation d’un référendum. Pour sa part, le groupe Nouveau Centre estimait que la modernisation des institutions de la Ve République entreprise par la révision constitutionnelle commandait de donner à nos concitoyens de nouveaux droits pour s’impliquer dans la vie de leurs institutions et ainsi peser dans le débat public.

Nous ne pouvons donc que nous féliciter de l’inscription à l’ordre du jour du Parlement de textes qui posent clairement les termes d’un débat dont nous devrions tous partager la finalité : permettre à nos concitoyens de se saisir de toute question d’intérêt public avec la possibilité, à terme, de déboucher sur un référendum.

Plus largement, l’examen de ces deux textes fut l’occasion de rappeler l’importance de la réforme constitutionnelle qui a su, à l’instar de l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité, faire avancer notre démocratie vers plus de modernité par une participation effective de nos concitoyens au fonctionnement de nos institutions.

Sur le fond, pour les députés du groupe Nouveau Centre, ces deux textes sont équilibrés : ils parviennent, en définissant avec précision les modalités du contrôle de constitutionnalité et en créant une commission de contrôle, à entourer la procédure des garanties indispensables pour ne pas entraver la liberté du citoyen qui souhaite pouvoir disposer pleinement de ses nouveaux droits.

Pour terminer, je rappelle que l’amendement présenté par notre collègue Marc Le Fur, voté par certains députés, permettra, dans certaines conditions, d’engager un tel référendum d’initiative partagée sur les contours de notre organisation territoriale.

C’est donc avec confiance que nous voterons ce projet de loi qui achève une réforme constitutionnelle qui, à l’image de cette XIIIe législature, a permis de faire progresser les libertés individuelles et notre démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Patrick Braouezec. On voudrait enterrer ce dernier volet de la réforme constitutionnelle, volet dit « citoyen », du reste présenté deux mois avant l’interruption des travaux de l’Assemblée et trois jours avant Noël, qu’on ne ferait pas mieux. Tout, dans ces projets de loi, vise à les condamner d’avance, à faire en sorte, donc, qu’ils ne soient jamais appliqués.

Mais le pire réside sans doute dans le contenu de ce référendum qui n’a rien de populaire, pas même le nom malgré vos nombreuses déclarations : le fond du texte en fait un référendum où les citoyens n’arrivent qu’en toute dernière instance, sans oublier la procédure extrêmement longue et fastidieuse.

Lors de la discussion générale j’avais insisté longuement sur les conditions de mise en œuvre de l’initiative référendaire telle que vous l’envisagez : elles sont tellement drastiques qu’elles lui retirent le peu de caractère populaire qui lui était initialement imparti. Le débat ne pourra en effet être ouvert que si l’initiative est présentée par un cinquième des membres du Parlement et qu’elle est soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, soit 185 parlementaires et plus de 4,5 millions d’inscrits – excusez du peu ! Ces seuils sont absolument disproportionnés et inatteignables, ils augurent donc de la non-application d’une telle procédure : autant dire que l’initiative référendaire ne débouchera jamais sur un référendum populaire.

Rien n’a été retenu des discussions parlementaires de décembre ni de celles que nous avons eues lors du débat constitutionnel, rien non plus des recommandations de la commission Balladur ou des expériences de nos voisins européens. Qui plus est, l’examen des articles des projets de loi organique et ordinaire nous a permis de vérifier la frilosité du Gouvernement à mettre en œuvre ce référendum, même vidé de son sens populaire. Vous craignez les outils de démocratie participative, vous avez peur qu’ils vous échappent : ils ne sont décidément pas à votre goût !

Entre l’impossibilité technique évidente de collecter 4,5 millions de signatures en 90 jours, aux termes de l’article 3, les conséquences irrespectueuses des libertés publiques qu’entraîne la publicité des noms des pétitionnaires, les délais de procédure extrêmement longs, absolument tout concourt à rejeter ce texte alibi qui se fonde sur une vision archaïque de notre démocratie et de ses institutions politiques.

En l’état, le référendum que vous nous proposez est inapplicable, irréaliste, inutile et ne rassurera qu’une partie mal informée de l’opinion. Vous agissez de la même manière avec la taxe Tobin, nouveau cheval de bataille enfourché ces derniers jours par le Président de la République. Ces grandes manœuvres n’ont d’autre préoccupation qu’électorale : à quelques mois d’échéances décisives, la démagogie ne vous effraie plus et vous êtes prêts à tout pour récupérer des voix.

Je reviendrai rapidement sur la surprise de cette discussion parlementaire qui a vu le vote de l’amendement de nos collègues de Rugy et Le Fur, visant à proposer un cadre référendaire local sans présumer du résultat. Cette disposition est attrayante en soi et ne constitue pas un cavalier législatif puisque son objet est en lien direct avec le débat. Et il est vrai qu’elle permettrait d’avancer sur des questions de choix locaux en prenant en compte l’expression populaire. Néanmoins, nous doutons que cet amendement reste en l’état et, quand bien même, le fond du texte reste le même et présente de plus l’inconvénient majeur d’inscrire dans le marbre constitutionnel un droit inapplicable. Il sera donc très difficile de le transformer par la suite en un véritable référendum d’initiative populaire qui seul a sa place dans une démocratie digne de ce nom.

Ce texte aurait pu concevoir le référendum tel un contre-pouvoir salutaire, stimulant, actif et productif, où le citoyen aurait toute sa place. Il n’en a bien évidemment pas été ainsi puisque vous avec fait un choix inverse ; c’est pourquoi nous voterons contre.

M. Roland Muzeau. Très bien !

Votes sur les deux projets

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l’ensemble du projet de loi organique.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 484

Nombre de suffrages exprimés 314

Majorité absolue 158

(Le projet de loi organique est adopté.)

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l’ensemble du projet de loi.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 478

Nombre de suffrages exprimés 314

Majorité absolue 158

(Le projet de loi est adopté.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

4

Commémoration de tous les morts pour la France

Discussion d’un projet de loi après engagement de la procédure accélérée

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France (nos 4079, 4110).

La parole est à M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants.

M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je voudrais tout d’abord remercier M. le secrétaire d’État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants, Marc Laffineur, d’accepter de partager avec moi la présentation de ce projet de loi, qui pour être un texte simple, n’en est pas moins un grand événement dans notre vie nationale.

Depuis un an, en ma qualité de ministre de la défense, j’ai été conduit à accompagner, dans leurs garnisons respectives, vingt-quatre de nos vingt-six tués en Afghanistan. J’ai ainsi pu mesurer combien l’ensemble de nos compatriotes, et tout particulièrement leurs représentants, dans ces terres où sont implantées ces unités, se montrent solidaires de l’engagement des soldats de la France. C’est la première raison pour laquelle je tenais, à participer à la présentation de ce texte, qui n’est pas seulement une loi de la mémoire mais aussi, hélas, une loi vivante, qui appartient à l’actualité.

Je souhaite également intervenir en qualité de Lorrain. J’ai en effet été élu dans une terre marquée par les trois grandes guerres franco-allemandes : celle de 1870, celle de 1914-1918, et, naturellement, la Seconde Guerre mondiale. Qu’il s’agisse des premiers affrontements, de la bataille de Verdun, ou des ultimes efforts libérateurs de l’Argonne ou de la Wavre, nos communes sont riches du sacrifice de nos aînés. Nous leur rendons hommage. Et je constate qu’avec ferveur des populations jeunes et moins jeunes restent fidèles au rendez-vous. Mais, puisqu’il y a ici des parlementaires lorrains, c’est aussi une région qui est riche de toutes les contradictions de ceux qui sont morts pour la France. J’y suis, pour ma part, très attentif, et je me réjouis du principe d’une journée qui rassemble l’ensemble de celles et ceux qui, dans des circonstances différentes, ont été amenés à accomplir le sacrifice de leur vie pour l’indépendance, la liberté, le respect ou la dignité de notre pays.

M. André Wojciechowski. Très bien !

M. Gérard Longuet, ministre. Dans ce projet de loi, nous visons, par cet article simple, la solidarité qui doit rassembler tous ceux dont le sacrifice a été consenti, accepté, préparé. Souvenons-nous du poème de Charles Péguy rédigé en 1913 : « Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre / Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés ». Y a-t-il des guerres justes ? C’est un autre débat. Mais le sacrifice est un sacrifice consenti. Les militaires, appelés ou engagés, mesurent parfaitement, et en toute responsabilité, les épreuves qui les attendent et les rendez-vous qu’ils doivent accepter.

Dans cette journée nationale des morts pour la France, je voudrais que nous ayons tous conscience de son élargissement, au-delà des militaires, à tous les civils qui, volontairement, ou tout simplement parce qu’ils en acceptaient les risques, ont été tués par fait de guerre, dans l’engagement même de notre pays. C’est cette formule plus générique qu’il faut retenir. Dans le 11 novembre que vous propose le Gouvernement, à l’initiative du Président de la République, il y a cette réalité que nous vivons tous les soirs, à dix-huit heures, sous l’Arc de triomphe. Bien sûr, ce monument a été érigé en hommage à la Grande Armée – voulue par Napoléon, sa construction a d’ailleurs été achevée par Louis-Philippe –, mais il est, bien au-delà de celle-ci, le monument de l’ensemble des sacrifices : c’est celui de la Première Guerre mondiale, depuis le tirage au sort du soldat inconnu le 10 novembre 1920, suivi de la loi du 24 octobre 1922, mais c’est aussi le rendez-vous de tous nos compatriotes dont l’engagement associatif a pour objet de célébrer la mémoire de nos morts, quelles que soient les épreuves, quelles que soient les circonstances, quels que soient les événements auxquels ils ont été confrontés.

Nous avions besoin d’un jour qui soit celui de toutes les mémoires, de tous les souvenirs, de tous les morts pour la France, civils et militaires. Et nous avons tous ressenti combien la date du 11 novembre s’imposait.

Je voudrais souligner, enfin, que ce 11 novembre n’efface aucune des commémorations singulières, aucun des rendez-vous auxquels les anciens combattants sont attachés à juste titre, aucune des dates que notre pays a choisies pour se souvenir de son histoire. Il s’agit, par cette loi, d’offrir à nos compatriotes le rendez-vous unanime, le rendez-vous universel de toutes nos épreuves, mêlant ainsi dans un même élan, dans une même ferveur, la reconnaissance de cette singularité : l’aptitude d’un pays à rassembler les meilleurs des siens dans l’idée même de l’acceptation du sacrifice au service de tous.

Cette journée du 11 novembre s’adosse, naturellement, sur l’armistice qui a été signé en 1918 dans la clairière de Rethondes, au terme d’une victoire dont le prix fut d’un million et demi de morts. Mais bien au-delà, parce que cette date marque la fin d’une guerre victorieuse où notre pays a retrouvé son unité, elle est nécessairement le point de ralliement de toutes les générations du feu, de tous les sacrifices, de tous les engagements. Ainsi l’a voulu le Président de la République, qui a demandé au Gouvernement de présenter un projet de loi. Il vous appartient, monsieur le secrétaire d’État, de le défendre ici. Je souhaite que l’Assemblée se rallie unanimement à ce rendez-vous, celui d’une grande victoire française et d’un rassemblement de tous les sacrifices. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laffineur, secrétaire d’État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants.

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, il nous revient l’honneur, avec Gérard Longuet, de vous présenter le projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.

Ce projet de loi avait été annoncé par le Président de la République le 11 novembre dernier, dans le discours qu’il avait prononcé sous l’Arc de triomphe. Ce jour-là, il rendait hommage à l’ensemble des morts pour la France tout en commémorant, bien sûr, la fin de la Grande Guerre. Il s’engageait, dans le même temps, à pérenniser cette approche nouvelle des cérémonies du 11 novembre. Aujourd’hui, sa parole est en passe d’être tenue, à la satisfaction des principales associations d’anciens combattants, des familles ou encore des militaires d’active.

Nous le devons aussi à votre mobilisation, mesdames et messieurs les députés. Vous savez tous combien les questions de mémoire importent à la cohésion de notre société,…

M. Michel Hunault. Très juste !

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. …je dirais même, à sa dignité. C’est pourquoi elles ne peuvent être cantonnées dans des clivages partisans. Votre implication soutenue démontre qu’elles jouent pleinement leur rôle fédérateur. Je pense notamment au débat en commission, qui fut exemplaire, et ne vit aucun vote s’élever contre le projet. Je vous en remercie vivement.

Cette évolution était nécessaire, et plus encore : notre devoir de citoyens, notre devoir républicain nous l’imposait. Elle vise, donc, à renforcer la symbolique du 11 novembre, désormais « jour anniversaire de l’armistice de 1918 et de commémoration annuelle de la victoire et de la paix, [où] il est rendu hommage à tous les morts pour la France ».

Cette évolution tient à deux raisons principales. La première, c’est la disparition du dernier poilu en 2011 et l’approche du centenaire de la fin de la Grande Guerre. Pour que l’héritage historique de la Première Guerre mondiale soit préservé, pour que ses enseignements continuent de nous guider et de se transmettre, pour que son centenaire soit un grand moment d’unité nationale, il fallait une approche renouvelée des commémorations.

La seconde raison, c’est la nécessité d’honorer la quatrième génération du feu. Celle-ci n’a pas moins mérité de la nation que les générations qui l’ont précédée. Les théâtres d’opérations se sont multipliés, exigeant de nos soldats un engagement plein et entier, au péril de leur vie. Depuis la fin de la guerre d’Algérie, ce sont plus de 600 militaires qui sont morts pour la France. Leur sacrifice mérite tout autant que celui de leurs aînés que l’on se souvienne, et qu’au souvenir soient associés respect et reconnaissance.

Or, le calendrier républicain ne permettait pas, jusqu’ici, de rendre à la quatrième génération du feu l’hommage qui lui est dû. Il n’était cependant pas question de créer une journée commémorative spécifique : la commission Kaspi l’avait souligné, c’eût été fragmenter davantage notre mémoire collective, prendre le risque de la division et finalement de l’oubli.

L’esprit nouveau des commémorations du 11 novembre permet de pallier le manque tout en appelant à l’unité. Associer l’ensemble des générations du feu, c’est en effet souligner les valeurs qu’elles ont en commun, ce sens de l’engagement qui va jusqu’au sacrifice ultime. C’est aussi rappeler que le combat pour la France, pour la liberté et la démocratie, est un combat qui traverse l’histoire et ne sera jamais dépassé.

Nous l’avons vu ces derniers mois : en Libye et en Côte d’Ivoire, nos armées ont mis leur professionnalisme, leur courage et leur réactivité au profit de l’aspiration des peuples à la liberté et à la démocratie. En Afghanistan, elles se mobilisent tout autant contre l’obscurantisme et pour la paix. Si les succès remportés, si les progrès réalisés font notre fierté, nous le devons à l’engagement d’hommes et de femmes qui acceptent de risquer leur vie pour une cause qui les dépasse.

Parce que leurs combats sont dignes de ceux de leurs aînés, la filiation entre les générations du feu sera désormais célébrée chaque 11 novembre. Ainsi, plus un mort pour la France, plus un sacrifice ne sera menacé par l’oubli parce qu’il ne peut être associé à une journée particulière de notre calendrier républicain.

Mme Françoise Hostalier. Très bien !

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. Je rappelle que cette évolution ne remet absolument pas en cause, bien sûr, les autres dates commémoratives. Il n’est pas question d’en supprimer ou de les hiérarchiser.

M. François Rochebloine. Tout à fait !

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. Le Président de la République en a pris l’engagement le 11 novembre dernier : les autres conflits – Seconde Guerre mondiale, Indochine, Corée, Algérie –, et les autres événements marquants de notre histoire du XXsiècle, comme l’appel du 18 juin ou l’hommage aux Harkis, conserveront leurs journées nationales.

De même, l’héritage historique de la Grande Guerre continuera d’être honoré le 11 novembre. Le texte est clair : le 11 novembre demeure le « jour anniversaire de l’armistice de 1918 ». Et, puisqu’il prend la forme d’une loi autonome, il ne modifie en rien la loi de 1922 : celle-ci reste l’acte de reconnaissance et de mémoire des seuls soldats morts au cours de la Grande Guerre.

M. Michel Hunault. Très bien !

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. J’ajouterai que ce projet de loi renforce encore la profondeur historique de la journée du 11 novembre. Soulignant son caractère fédérateur, la commission Kaspi a estimé que la journée du 11 novembre « apparaît, dans le souvenir collectif des Français, comme la manifestation la plus emblématique d’hommage aux combattants morts pour la patrie ».

La Grande Guerre fut en effet un moment d’unité nationale comme il en existe peu dans l’histoire : unité dans l’horreur, mais aussi unité dans la victoire. Elle est à l’image de l’unité qui doit prévaloir en matière de mémoire : unité entre les générations du feu, et unité de la nation dans l’hommage.

Aussi ce souvenir fondateur du XXe siècle est-il à même de porter le renouveau de notre mémoire collective au XXIe siècle. Il se prête à une symbolique renforcée, à une solennité accrue. Il invite à méditer le sens de notre histoire nationale, que l’on doit d’abord aux morts pour la France, civils et militaires.

Dans le même esprit, le Gouvernement a appuyé l’amendement visant à rendre obligatoire l’inscription des morts pour la France sur les monuments aux morts. Cet amendement constitue, après le passage du texte en commission, l’article 2 du projet de loi.

Jusqu’à présent, l’inscription était laissée à la discrétion des maires. Tous les morts pour la France, sans exception, pourront désormais recevoir cet hommage de la nation. C’est un symbole fort que de graver ainsi leur nom dans le marbre, et c’est particulièrement important pour le deuil et la mémoire des familles.

Je rappelle également que le Gouvernement soutiendra la construction d’un monument dédié aux soldats morts en opérations extérieures. Ce projet, qui repose sur une coopération productive avec la ville de Paris, vise lui aussi à pérenniser la reconnaissance de la nation envers la quatrième génération du feu.

Mesdames et messieurs les députés, « C’est l’honneur d’un grand peuple de respecter ses soldats et d’honorer ceux qui sont morts pour le défendre ». Ces mots, prononcés par le Président de la République le 11 novembre dernier traduisent l’esprit du texte qui vous est présenté aujourd’hui.

C’est parce que la France se fait une certaine idée de sa vocation dans le monde, parce qu’elle se réclame de valeurs universelles et qu’elle se donne les moyens de les défendre, qu’elle se doit d’être exemplaire dans la reconnaissance qu’elle porte à ses soldats.

Chacun d’entre nous doit sa liberté à ceux qui sont tombés sous les drapeaux. Chacun d’entre nous doit sa dignité à ceux qui acceptent de défendre nos valeurs par les armes. Ce projet de loi nous invite à ne jamais l’oublier. C’est pourquoi je vous engage à lui apporter votre vote. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Françoise Hostalier. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Patrick Beaudouin, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées.

M. Patrick Beaudouin, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 11 novembre dernier, au cours d’une cérémonie au cours de laquelle il a rendu un hommage particulier à tous les soldats morts pour la France durant les douze derniers mois et remit la croix de la valeur militaire à des unités engagées pendant cette même période en Afghanistan, Côte d’Ivoire et Libye, le Président de la République a signifié sa volonté de faire du 11 novembre un jour de mémoire de tous les morts pour la France.

Ce faisant, il a porté un sujet auquel de nombreux parlementaires et associations sont particulièrement attachés.

Il y a près de dix ans, lors de ma première intervention en séance publique, j’avais proposé de transformer le 11 novembre en journée de la mémoire aux morts pour la France, en hommage aux soldats-citoyens qui ont défendu notre nation, toutes générations confondues. Je pensais à l’époque que le 11 novembre devait inscrire dans le temps ce qui fit et fait encore l’unité de la France et des Français. Notre collègue, Françoise Hostalier, a également déposé récemment une proposition de loi en ce sens.

Par ailleurs, quarante-sept associations patriotiques et d’anciens combattants rassemblées dans un comité d’entente présidé par le général Dominique Delort ont apporté leur soutien à cette initiative. En particulier, l’Union nationale des combattants, association de poilus née en 1919 des combats de la Première Guerre mondiale, héritière de référence, défend ce projet depuis cinquante ans.

Je me réjouis donc qu’une telle proposition soit discutée aujourd’hui. Elle traduit à la fois la volonté de renouveler notre politique mémorielle et de rapprocher notre armée de la nation.

Grâce à l’impulsion donnée par le Président de la République depuis 2007, la physionomie des cérémonies commémoratives nationales a sensiblement évolué pour faire de ces rendez-vous mémoriels des temps de réflexion historique et civique majeurs, tournés vers les jeunes générations et marqués par une ouverture internationale. La décentralisation de certaines d’entre elles, comme celle du 8 mai, a ainsi contribué au renouvellement de leur image, suscitant une médiatisation accrue. Mais, force est de constater que notre calendrier mémoriel, qui comprend douze cérémonies, dont six ont été créées depuis 1999, est particulièrement chargé.

Comme le souligne le rapport de la commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques présidée par l’historien André Kaspi, cette inflation commémorative va à rencontre de ses objectifs initiaux, car ces journées rassemblent peu, ou plus. On constate ainsi une désaffection constante à leur égard, à l’exception de trois d’entre elles : le 8 mai, le 14 juillet et le 11 novembre, qui trouvent encore un grand écho dans la mémoire collective. Si l’on veut éviter de tomber dans le clientélisme ou le communautarisme mémoriel, il importe de redonner tout son éclat à la cérémonie du 11 novembre, symbole de l’unité de notre nation.

Le 11 novembre occupe en effet une place à part dans la mémoire des Français. Pour les combattants de la Grande Guerre, il n’était pas seulement la fête de l’armistice mais aussi la commémoration de l’aboutissement victorieux de leur engagement de soldats-citoyens et de l’union d’un peuple autour des principes indéfectibles de liberté, d’égalité et de fraternité.

Aujourd’hui encore, le 11 novembre conserve ce message de cohésion nationale et d’unité. Comme le souligne Joseph Zimet dans son rapport au Président de la République sur le centenaire de la commémoration : « face à la mémoire désunie de la Seconde Guerre mondiale, la Grande Guerre est une mémoire unie, une mémoire qui rassemble plus qu’elle ne divise. Sans doute, les Français ont-ils conservé la mémoire de ce qui fut la plus grande épreuve collective qu’ils eurent à traverser, ensemble, durant quatre années. [...] La mémoire contemporaine conserve le souvenir d’un grand élan collectif qui caractérise moins la période de mobilisation, longtemps érigée, à tort, en mythe, que l’incroyable endurance de la société française face à une épreuve sans précédent, à laquelle rien ne la préparait. »

En outre le 11 novembre ne se limite pas au seul souvenir de la Grande Guerre. Il a pris, dès 1940, une valeur spirituelle. Ce jour-là, grâce à la mobilisation de milliers d’étudiants et de lycéens – parmi lesquels figurait Pierre Lefranc qui vient de nous quitter – convergeant vers l’Arc de Triomphe malgré l’interdiction de l’occupant, il devint le symbole de la résistance parisienne qui dit non à l’occupation et non à l’asservissement.

Parce que le 11 novembre porte en lui les valeurs de courage, de patriotisme et d’unité nationale, lui seul est à même de rassembler autour de lui l’hommage de la nation tout entière à ceux qui se sont sacrifiés pour elle.

La disparition du dernier poilu de la Grande Guerre, le 12 mars 2008, implique de faire évoluer la portée symbolique de la journée nationale du 11 novembre.

La pérennité du culte qui est rendu, chaque jour, aux pieds de l’Arc de Triomphe, sur la tombe du soldat inconnu, un poilu parmi quatre millions d’autres, établit une filiation directe entre toutes les générations du feu. C’est le même sang, celui d’un même peuple, qui a été, à chaque fois, versé pour la France et ses valeurs. Comme l’a souligné le ministre de la défense et des anciens combattants dans une tribune publiée récemment : « qu’elle survienne à Tagab ou sur la Marne, la mort au combat ne change pas de nature. Les larmes des pères et des mères, des épouses, des fils et des filles d’aujourd’hui sont aussi amères que celles de 1914. »

Ces vies ont été données pour que la France demeure et que la République perdure. Selon les mots du Président de la République : « quel que soit le lieu, quel que soit le moment de notre histoire, ce don [de la vie] est sacré et il mérite le même hommage, la même reconnaissance, la même ferveur. La mort au service de la France ne fait pas de différence. Le champ d’honneur est de toutes les guerres et de tous les conflits qui ont impliqué notre pays. »

Célébrer tous les « morts pour la France » le même jour permet en outre de n’en oublier aucun. Si les anciens d’Algérie ou d’Indochine disposent d’une journée nationale, comment rendre hommage aux plus de 600 soldats morts en opérations extérieures ? Quelle date retenir alors que nos engagements sont de plus en plus importants ?

Avec un 11 novembre revitalisé, on pourra honorer, selon les termes employés par le Président de la République « ceux que l’on n’a jamais honorés, ceux que l’on a oubliés, ceux auxquels l’on se contente de dire une fois merci au moment des funérailles mais dont on délaisse ensuite la mémoire parce que l’on préfère oublier les guerres dans lesquelles ils sont tombés. » Or, continuait-il : « le jour où les corps des soldats morts pour la France gagneront leur dernière demeure dans l’indifférence, il n’y aura plus de France. »

Alors que les engagements de notre armée sur des théâtres toujours plus nombreux – environ 12 000 soldats engagés en 2011 sur plus d’une quinzaine de théâtres – et toujours plus lointains ne sont pas toujours bien compris de la population française, la rénovation des cérémonies du 11 novembre doit enfin être l’occasion de faire œuvre de pédagogie.

Le jour du 11 novembre pourrait ainsi devenir, en complément du 14 juillet, un jour privilégié de rencontre entre la nation et son armée. À cet égard, la cérémonie du 11 novembre dernier, qui a vu la décoration, par le Président de la République, d’unités combattantes qui se sont distinguées cette année en opérations extérieures, fut une réussite certaine. La bonne compréhension, par l’ensemble des Français, des missions effectuées aujourd’hui par leur armée est indispensable pour renforcer le lien qui les unit à elle.

Ce projet de loi ne crée néanmoins pas, comme on a pu l’entendre ici ou là, une journée unique du souvenir, sorte de Memorial Day à la française. Chaque conflit a ses spécificités et il est légitime qu’il soit rendu un hommage particulier à ceux qui y ont participé. Le texte ne supprime donc aucune des douze autres commémorations nationales inscrites à notre calendrier comme la journée d’hommage aux morts pour la France en Indochine, le 8 juin, ou la journée d’hommage aux morts de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie, le 5 décembre. Chacune de ces commémorations est l’occasion, pour les associations, d’effectuer un travail de transmission en direction de la population qu’il convient de préserver.

J’ai reçu la plupart d’entre elles et toutes, à l’exception d’une, ont apporté leur soutien à ce texte. Malgré leurs divergences, elles ont compris que le plus grand risque était que, les générations s’éteignant, il ne reste plus rien de la mémoire de nos combattants et de leurs différents conflits. Comme l’a rappelé dans une tribune l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie, la mémoire des guerres peut s’estomper d’un siècle à l’autre : de même que la défaite d’Azincourt de 1415 était complètement oubliée en 1515, année de la bataille de Marignan, les guerres de Louis XIV étaient complètement tombées dans l’oubli un siècle plus tard. Sortir le 11 novembre de son « isolement chronologique » permettra, selon les mots de Le Roy Ladurie, « d’étendre son aura prestigieuse » sur les diverses guerres et conflits qui ont suivi.

La commission de la défense a complété le projet de loi par un article additionnel, issu d’un amendement de MM. Meunier et Guilloteau, soutenu par 240 députés du groupe UMP rejoints par les membres du groupe Nouveau Centre. Cet article a pour objet de rendre obligatoire l’inscription des noms des morts pour la France sur les monuments aux morts de toutes les communes de France. Si cette inscription est obligatoire pour les militaires morts pendant la Grande Guerre, elle ne l’est pas pour ceux des conflits qui ont suivi. Aussi la plupart des soldats tués en opérations extérieures depuis plus d’un demi-siècle ne disposent d’aucune stèle à leur mémoire.

Cet article vient combler cette lacune en rendant obligatoire l’inscription sur les monuments aux morts de leur commune de naissance ou de dernière domiciliation les noms des soldats morts pour la France. Il s’agit ainsi de n’oublier aucun de ceux qui, quel que soit le conflit et quelle que soit l’époque, ont sacrifié leur vie pour notre pays.

Pour conclure, mes chers collègues, la commission de la défense a adopté l’ensemble du texte et je vous invite à en faire autant. Au terme d’une année particulièrement exigeante pour nos armées, marquée par les succès remportés en Côte d’Ivoire et en Libye et les progrès enregistrés en Afghanistan, j’ajoute que l’adoption de ce projet de loi sera aussi un moyen de rendre hommage à tous nos soldats qui combattent au service de la paix et de la démocratie.

Je voudrais, enfin, emprunter les dernières phrases de mon intervention à la Fédération nationale des fils et filles des morts pour la France : « L’hommage qui s’adresse aux morts s’adresse aussi à ceux que la guerre a meurtris dans leur chair, aux blessés, aux mutilés, à ceux qui souffriront toute leur vie d’avoir fait leur devoir. Je veux leur dire aujourd’hui que la nation ne les oublie pas et qu’elle leur exprime sa gratitude. Le soldat risque sa vie, il le sait. C’est le destin qu’il s’est choisi. Mais c’est un destin singulier, un destin tragique qui lui confère dans la cité une place hors du commun et qui exige de lui des vertus exceptionnelles de courage et d’engagement. C’est l’honneur d’un grand peuple de respecter ses soldats et d’honorer ceux qui sont morts pour le défendre ».

C’est pourquoi j’espère que ce projet de loi, qui traduit l’hommage unanime de la nation à ceux qui ont fait don de leur vie pour elle, pourra transcender les clivages partisans. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Président de la République a annoncé, le 11 novembre dernier, un projet de loi visant à faire de cette date une commémoration de « tous les morts pour la France ». Au-delà de la commémoration de la Grande Guerre, il s’agit de rendre hommage à tous ceux qui sont morts pour la France. Ce faisant, le chef de l’État inaugure une véritable transformation de la commémoration du 11 novembre.

Le bilan de la Première Guerre mondiale est effroyable. Sur huit millions de Français mobilisés, plus de 1,3 million sont morts, laissant 750 000 orphelins et 600 000 veuves. Aucun autre pays engagé dans ce conflit n’a eu à souffrir de tels sacrifices dans une telle proportion de sa population.

N’oublions pas que si notre pays est indépendant malgré la montée en puissance d’un nombre croissant de pays, et si notre liberté est enviée par la plupart des peuples du monde, c’est d’abord grâce à l’abnégation de ces hommes et de ces femmes qui ont accepté de sacrifier leur vie pour défendre ce bien commun reçu de leurs ancêtres pour le laisser à leurs descendants, et que l’on appelle la patrie.

Comme l’affirmait Charles Kuentz, dernier vétéran français de l’Armée impériale : « Aux générations futures, je dirais : soyez les messagers de la paix...Soyez les passeurs de la mémoire de la Grande Guerre, car cette tragédie ne devra jamais être oubliée. Sinon elle risque de recommencer ». Ne pas oublier, tel est notre devoir. Nous n’avons pas oublié, il nous faut nous assurer que nos descendants n’oublient pas non plus.

Le Président de la République leur a rendu hommage à de nombreuses reprises : rarement, la mémoire des soldats tombés en opération aura été honorée avec autant d’émotion, avec autant de gratitude, avec autant d’exaltation. Cet hommage est un élément important d’une politique de mémoire qui ne représente pas une nostalgie du passé, mais un projet d’avenir. Il rappelle la force du lien qui unit la nation et tous ceux qui se sont sacrifiés pour elle.

Le Président n’a cependant pas attendu le décès, en mai 2008, du dernier « poilu » français, Lazare Ponticelli, engagé dans la Légion étrangère, ni la disparition, en mai 2011, du dernier combattant connu de la Première Guerre mondiale, pour modifier la célébration de l’armistice de 1918, en faisant évoluer le rituel par la célébration de la construction européenne, un « rêve de paix ».

En 2008, il a accueilli le prince de Galles à Verdun. En 2009, deux jours après avoir célébré à Berlin les vingt ans de la chute du Mur, il invitait la chancelière allemande, Mme Angela Merkel, sur les Champs-Élysées pour commémorer la fin de la Première Guerre mondiale.

Ce que nous célébrons le 11 novembre n’est pas une victoire, c’est la mémoire du sacrifice. J’ai envie de faire mienne la réflexion de Ferdinand Gilson, qui disait, avec une certaine profondeur : « Avec les Allemands, nous nous sommes tellement battus que nos sangs ne font plus qu’un ».

Nous pouvons effectivement dire qu’aujourd’hui, avec les Allemands, nous ne faisons qu’un lorsqu’il s’agit de promouvoir la paix en Europe, comme nous l’avons montré depuis plus d’un demi-siècle.

La construction européenne est le fruit de cette volonté de bâtir ensemble, de regarder l’avenir, de se concentrer sur ce qui est important et positif. Le rapprochement franco-allemand est unique dans l’Histoire. Jamais une amitié aussi solide n’aura succédé à une suite de guerres séculaires. Et je ne peux qu’espérer que cette réconciliation puisse constituer un modèle dans d’autres régions du monde, je pense notamment au Proche-Orient.

Dans la quasi-totalité des pays occidentaux, le 11 novembre est un jour de mémoire et d’hommage. C’est pourquoi, contrairement au 14 juillet où l’armée défile devant le Président de la République pour marquer son allégeance à la République et à l’exécutif, le 11 novembre, le Président défile devant les combattants pour rendre hommage au sacrifice de leurs anciens.

Depuis la disparition du dernier combattant de la Grande Guerre, la signification du 11 novembre a changé. Le culte du Soldat inconnu établit une filiation morale entre toutes les « générations du feu », image même du sacrifice du combattant. C’est à l’endroit où repose notre soldat inconnu, sous l’Arc de Triomphe, que s’exprime le plus solennellement l’hommage de la nation à son égard.

Pour le 11 novembre 2011, le Président de la République a rendu hommage à l’Arc de triomphe à « tous les soldats morts au combat » pour la France et en particulier à ceux décédés au cours d’opérations extérieures. Il a tenu à ce que nous « ayons une pensée particulière pour les soldats qui sont morts en Afghanistan » en cette année 2011. Je voudrais me joindre à cet hommage pour souligner que le sacrifice de nos soldats dans ce pays lointain a été consenti par eux pour la défense des valeurs de la France et la sécurité des Français, menacés par l’extension du terrorisme international.

Le 11 novembre, jour de commémoration de l’armistice de 1918, va devenir la journée d’hommage aux combattants morts pour la France. Nous voici aujourd’hui saisis d’un projet de loi qui vise à concrétiser cette transformation. Près de quatre-vingt-dix ans après une première intervention du Parlement, qui a voulu que les morts fussent glorifiés dans toutes les communes de France, le même jour à la même heure, nous nous réunissons en cet instant solennel pour témoigner de notre reconnaissance envers tous ceux qui sont morts pour la France, dans l’accomplissement de leur devoir, au cours de la Première Guerre mondiale et des conflits qui ont suivi.

Cette nouvelle commémoration ne doit pas être comparée au Memorial Day américain, car elle ne fera pas disparaître les autres commémorations. Le statut particulier de la commémoration du 8 mai, notamment, sera maintenu à cause du nazisme et de la Shoah, comme l’a rappelé le Président de la République.

La rénovation de la cérémonie du 11 novembre est contemporaine de la décision prise d’édifier un monument aux soldats morts en opération extérieure. Je ne peux que m’en réjouir. Il me semble en effet important que les soldats que nous envoyons en opération extérieure, avec tous les risques que cela comporte, sachent que nous considérons leur mission comme essentielle.

La réalisation prochaine d’un mémorial dédié à tous les soldats morts pour la France depuis 1963 répond à une attente légitime. Je saisis cette occasion pour vous rappeler la mémoire des soldats français morts dans des opérations menées dans le cadre de l’ONU dans les années 1950, je pense notamment aux missions au Proche-Orient et à la guerre de Corée où près de 300 de nos compatriotes ont perdu la vie. La disparition récente de l’effroyable dictateur nord-coréen ne doit pas nous faire oublier le sacrifice des militaires français pour que la paix s’établisse aussi dans cette région du monde éloignée de l’Europe.

La commission de la défense a enrichi le projet de loi en adoptant l’amendement présenté par nos collègues Meunier et Guilloteau, cosigné par 241 députés du groupe UMP, qui vise à imposer que soient inscrits, sur les monuments ou stèles des communes françaises, les noms des soldats morts pour la France. Cette disposition complète avec force le discours du Président de la République.

Le fait que les maires aient déjà la possibilité d’inscrire les noms des soldats morts pour la France – y compris en opérations extérieures – sur les monuments de leur commune n’est pas suffisant : en effet, comme l’a rappelé le secrétaire d’État aux anciens combattants, quel que soit le théâtre d’opérations, un soldat tombe toujours pour la France. C’est pourquoi l’apport de cet amendement me semble plus que justifié.

Les premières générations d’anciens combattants disparaissant, il nous faut continuer à raviver leur souvenir, comme nous le faisons tous les jours en ravivant la flamme de l’Arc de Triomphe. Cette marque d’hommage et de mémoire permet de relier entre eux tous les combattants, de transmettre leurs valeurs d’une génération de combattants à l’autre. C’est dans cet esprit que je souhaiterais que la dénomination du secrétariat d’État aux anciens combattants évolue, en concertation avec le monde combattant naturellement. Il pourrait s’intituler secrétariat d’État aux générations combattantes : le pluriel a son importance,…

Mme Françoise Hostalier. En effet.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. …il souligne cette succession de générations auxquelles nous voulons rendre hommage.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à voter ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. François Rochebloine.

M. François Rochebloine. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis en cette fin d’après-midi pour examiner un projet de loi relatif au devoir de mémoire qui devrait, je l’espère, recueillir un large assentiment sur tous les bancs de notre hémicycle.

Dans son discours sous l’Arc de Triomphe, M. le Président de la République a, le 11 novembre dernier, tenu à rendre un hommage particulier à tous les soldats morts pour la France durant les douze derniers mois et a remis la Croix de la valeur militaire à des unités engagées durant cette même période.

De ce fait, le chef de l’État a élargi le champ de la commémoration qui traditionnellement honorait les victimes de la première génération du feu du XXe siècle, le jour anniversaire de l’Armistice de 1918.

Reconnaissons que cette commémoration du 11 novembre a toujours pris une place particulière dans la conscience nationale. L’instauration d’une cérémonie commémorative dès le 11 novembre 1920, soit seulement deux ans après l’Armistice, traduit davantage le besoin pour le pays d’organiser le recueillement collectif indispensable pour ces millions de familles, qui furent si cruellement touchées par la grande saignée de 14-18, que de fêter la victoire.

Et la célébration du soldat inconnu, ce héros anonyme de la nation, représentant du peuple des soldats et « fils de toutes les mères qui n’ont pas retrouvé leur fils » comme le disait le général Weygand, est devenu au fil du temps la référence d’un devoir de mémoire qui s’est étendu ensuite aux différents conflits du XXe siècle.

Je le rappelais il y a un instant, le 11 novembre a très vite eu une portée symbolique particulière, liée tout à la fois aux caractéristiques spécifiques de la Première Guerre mondiale et aux aspects dramatiques de la confrontation entre notre pays et l’Allemagne. « Plus jamais ça » dirent certains, espérant qu’il s’agissait là « de la der des ders »...

Aujourd’hui, le 11 novembre est l’occasion de célébrer la paix et la réconciliation avec nos amis allemands, sur fond de construction européenne.

Dans notre esprit, si le 11 novembre correspond réellement à une date historique et s’il permet de porter le message commémoratif de la Grande Guerre et ses poilus, il ne se limite plus pour autant au seul souvenir de 14-18, puisque, en fait, il peut, dans un même geste d’hommage, concerner tous les soldats tombés depuis dans l’accomplissement de leur devoir, comme ceux qui sont tombés lors des opérations extérieures, de Suez aux Balkans, au Moyen-Orient, au Tchad, en Côte d’Ivoire ou en Afghanistan.

De ce point de vue, l’initiative contenue dans ce projet de loi ne peut qu’être approuvée. Cependant, la question des dates commémoratives n’est pas neutre, nous le savons bien. En témoignent les récentes polémiques autour de la commémoration, relative à la Guerre d’Algérie et aux combats liés à la décolonisation française en Afrique du Nord.

Ajoutons à cela, que le calendrier des commémorations peut sembler « encombré » – je reprends ici le mot utilisé par notre collègue rapporteur – puisque, en dix ans, notre pays a doublé le nombre de journées de commémorations publiques ou nationales.

Il ne me semble pas utile de nous attarder aujourd’hui trop longtemps sur ce phénomène de développement très rapide des commémorations car après tout, le rapport de la commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques a déjà parfaitement analysé le phénomène et, surtout, fait ressortir quelques idées-forces susceptibles d’être reprises le moment venu.

Ma position sur ce point est claire : l’institution d’un Memorial Day ou d’une journée unique du souvenir à la française ne me semble pas opportune et n’est pas souhaitable aujourd’hui.

À ceux qui s’inquiètent et jugent excessif le nombre des commémorations, j’ai tendance à dire que nul n’est à ma connaissance contraint de participer obligatoirement à un hommage public, mis à part bien évidemment les autorités civiles et militaires !

Certes, il peut être désolant de constater que trop de cérémonies ont un caractère confidentiel, faute de participation de nos concitoyens. Il convient toutefois de rappeler que la grande majorité de ces cérémonies sont organisées sur le territoire national, dans nos communes, nos villages, par les associations d’anciens combattants et du souvenir et que nombre de collectivités locales s’appuient ainsi sur le bénévolat, ce qui est logique, mais peut expliquer parfois la faible mobilisation de nos concitoyens.

En ce sens, il ne serait pas raisonnable, je dirai même qu’il serait inacceptable, de vouloir accélérer la disparition de certaines commémorations ne serait-ce que par respect envers nos anciens combattants qui nous disent rester très attachés à des commémorations spécifiques. Personnellement je les comprends et je respecte leur position.

Il ne serait pas digne d’ouvrir une polémique sur un tel sujet. Et comme l’a fort bien précisé le rapport Kaspi, l’institution en 2003 d’une nouvelle date, le 5 décembre, destinée à rendre hommage aux morts de la guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de la Tunisie, ne représente rien du point de vue historique. J’ajoute qu’il ne suffit pas de décréter pour créer les conditions de l’accomplissement du devoir de mémoire.

En revanche, le Gouvernement a le devoir de reconnaître la mobilisation citoyenne et associative comme cela sera sans doute le cas pour le cinquantième anniversaire du cessez-le-feu du 19 mars 1962. À cette occasion, souhaitons que le Gouvernement donne des directives simples et précises à l’ensemble des préfets de la République, ces derniers n’étant pas tenus de participer officiellement aux cérémonies qui seront organisées un peu partout en France, preuve que la désaffection citoyenne n’est pas absolument inéluctable !

Vouloir pérenniser autrement le culte de la mémoire combattante, vouloir favoriser l’appropriation de l’histoire par les citoyens, vouloir célébrer l’unité nationale autour du drapeau tricolore, de nos valeurs, de notre devise républicaine ou encore de la construction européenne et de la paix, me semblerait voué à l’échec.

Maintenir le devoir de mémoire n’est envisageable que si nous sommes capables de donner du sens à nos cérémonies publiques. Encore faudra-t-il pour ce faire que l’école puisse transmettre le message à la jeunesse de notre pays.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, le groupe Nouveau Centre, par l’intermédiaire de mes collègues Yvan Lachaud et Pascal Brindeau, a proposé des amendements visant à préciser la portée de ce texte de manière, d’une part, à éviter de donner prise à des interprétations qui favoriseraient l’abandon des autres commémorations existantes, d’autre part, à permettre de poursuivre l’inscription des noms des morts pour la France sur les monuments aux morts de nos communes.

Nous espérons que notre assemblée saura faire preuve de sagesse en acceptant ces propositions qui ont été rejetées en commission.

Vous l’aurez compris, le groupe Nouveau Centre votera ce projet de loi, qui marquera notre volonté collective de renforcer la mémoire sans pour autant remettre en cause le calendrier actuel des commémorations. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier.

M. Jean-Jacques Candelier. Monsieur le président, monsieur secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, chers collègues, lors des vœux aux forces armées en 2008, le Président de la République avait rappelé sa volonté de définir une politique de mémoire, affirmant que « la mémoire, c’est les valeurs qu’on célèbre, qu’on respecte et dont on décrit l’actualité pour les plus jeunes de notre pays. »

Sous prétexte que le dernier poilu est décédé, la commémoration du 11 novembre aurait vocation à évoluer – postulat, à nos yeux, contestable.

M. Pascal Brindeau. C’est une réalité !

M. Jean-Jacques Candelier. Penser que le souvenir de ce conflit doit s’effacer avec la disparition des combattants nous paraît en effet ouvrir une porte dangereuse pour la mémoire de tous les conflits, pas seulement pour le 11 novembre.

Tous les protagonistes des guerres disparaîtront un jour ou l’autre. Ce projet de loi, qui entend commémorer tous les morts pour la France le 11 novembre, quels que soient le conflit et la mission au cours desquels ils sont tombés, est-il le meilleur moyen d’entretenir le souvenir ? Nous ne le pensons pas car une telle solution présente, à nos yeux, deux risques : celui d’un déséquilibre croissant entre les différentes dates commémoratives et celui de la confusion de la pensée historique.

Certes, formellement, ce texte ne supprime pas les autres commémorations nationales inscrites à notre calendrier. Toutefois, il est évident, compte tenu de la formulation proposée, que le 11 novembre aurait tendance à se substituer aux commémorations existantes et à les hiérarchiser.

Le rouleau compresseur médiatique est déjà en marche : alors que le projet de loi n’est pas encore adopté, la simple interprétation du discours prononcé par le Président de la République, le 11 novembre, a suffi à accréditer l’idée d’un Memorial Day à la française !

Au-delà des garanties toutes théoriques apportées par la droite, il faut raisonner concrètement.

La mobilisation des lourds moyens de l’État le 11 novembre afin de consolider la cérémonie au fil des ans ne pourra que nuire aux autres dates, devenues superflues, puisque tous les morts pour la France seraient commémorés ce jour-là. Je souligne au passage que la teneur de la cérémonie pourrait être débattue et décidée collectivement au lieu d’être fixée par le seul cabinet du Président de la République.

On sent bien dans certains propos que la date unique est désirée. Ainsi Patrick Beaudouin souligne qu’« à trop vouloir segmenter la mémoire des conflits, on rend illisible le message que l’on souhaite transmettre ». Mais il oublie sans doute que c’est l’histoire même qui segmente les conflits, lesquels n’ont pas les mêmes origines, les mêmes causes et la même nature.

Ne pas accepter le verdict de l’histoire, c’est vouloir faire une construction politique forcément artificielle.

Le Gouvernement est conscient du changement de nature de l’engagement de nos forces armées. Pour faire simple, nous ne faisons plus la guerre chez nous, mais ailleurs et nous la faisons sur des durées parfois très longues. Nos soldats sont désormais engagés loin du territoire national, dans le cadre d’opérations extérieures qui peuvent s’avérer meurtrières et dont les objectifs sont globalement ignorés de la population, quand il ne s’agit pas de les cacher.

Depuis vingt ans, plus de 300 soldats sont morts en opérations extérieures. Plus de 8 000 militaires français sont projetés sur une vingtaine de théâtres d’opérations, faisant de notre pays l’un des plus impliqués à l’extérieur.

Je n’entrerai pas ici dans le débat du bien-fondé de telle ou telle opération extérieure. Je dirai seulement que la volonté de rendre un hommage particulier à ces morts en opérations extérieures est légitime mais que se pose la question du comment.

Le ministre de la défense et des anciens combattants a décidé la constitution d’un groupe de travail qui doit déboucher sur la réalisation d’un monument nominatif des morts en opérations extérieures. Autant rassembler les noms des morts pour la France en un seul espace peut se concevoir, autant rassembler les morts pour la France en une seule date pour les commémorer est une entreprise bancale.

Le fait d’honorer tout le monde en même temps n’a pas de sens. Cela entraînera plus de confusion qu’autre chose chez les citoyens.

D’après le rapporteur, il faudrait redonner « tout son éclat » au 11 novembre. Pourtant, le 11 novembre est bien identifié dans la mémoire nationale, il n’est pas utile ni souhaitable de le dénaturer.

La Grande Guerre a une spécificité historique : par le nombre d’États qui furent engagés - 22 -, par les 19 millions de morts et les 21 millions de blessés qu’elle a faits, par les plus de 60 millions de soldats qui y ont combattu. Ce fut la première guerre d’une telle ampleur, la Der des Ders.

Durant la Première Guerre mondiale, 1,7 million de nos citoyens sont morts, soit plus de 10 % de la population active masculine. Presque toutes les familles ont vécu la souffrance de perdre au moins l’un des leurs.

Ce conflit a redessiné la carte du monde et profondément influencé le déroulement du XXe siècle. Des empires disparurent, des blocs furent constitués, la Société des Nations fut créée. Comment penser le présent et envisager l’avenir si nous oublions progressivement d’où nous venons ?

M. Pascal Brindeau. Précisément !

M. Jean-Jacques Candelier. En ne procédant plus à des distinctions, en confondant les conflits, on s’interdit d’apprendre.

Le 11 novembre est une date qui a marqué l’histoire. Ce jour appartient à l’histoire et ne doit pas, à notre sens, s’imposer à l’actualité commémorative.

Est-il historiquement acceptable, comme le souligne la Fédération nationale des anciens des missions extérieures, la FNAM, que la date du 11 novembre puisse honorer effectivement les combattants morts lors d’opérations extérieures ? Est-ce que, comme le dit le rapporteur, « le sacrifice du soldat tombé en Afghanistan est de même nature que celui du soldat tombé à la bataille de la Marne ou à Verdun » ?

M. Pascal Brindeau. C’est une évidence !

Mme Françoise Hostalier. Absolument !

M. Jean-Jacques Candelier. Peut-on mettre sur un même plan un poilu de 14-18, un soldat mort en Afghanistan ou encore un résistant au nazisme ?

Mme Françoise Hostalier. Ce sont les mêmes valeurs qu’ils ont défendues !

M. Jean-Jacques Candelier. Nous ne le pensons pas. Il n’existe pas un message unique de la France que celle-ci porterait à travers les siècles. Ce serait une conception un peu idyllique de l’histoire.

La France a envahi l’Afghanistan et y mène une guerre d’occupation depuis plus de dix ans.

Mme Françoise Hostalier. Aurions-nous dû y aller si l’Union soviétique n’y était pas allée auparavant ?

M. Jean-Jacques Candelier. Depuis 2001, on compte une bonne dizaine de milliers de victimes chez les civils afghans. Oui, un pays peut un jour avoir été occupé de manière sanglante comme la France et se comporter aujourd’hui comme une puissance étrangère occupante.

Non, il n’existe pas de grand roman national, qui verrait une France mythifiée mener une guerre de civilisation perpétuelle au nom des valeurs républicaines et patriotiques. C’est une conception profondément magnifiée.

Ce lyrisme nationaliste est bon pour endormir les consciences de nos concitoyens et pour éviter qu’ils s’interrogent, qu’ils se remettent en cause ou qu’ils regardent la réalité en face.

M. Pascal Brindeau. Marx ressurgit !

M. Jean-Jacques Candelier. Je pense notamment au passé colonialiste de la France. On ne peut idéaliser l’action militaire de la République, elle qui s’y connaît en barbarie, en guerres stupides, agressives et impérialistes !

Une démarche lucide et apaisée nécessite de rompre avec un certain bellicisme, un autocentrisme et une glorification du combat et des valeurs de la France.

Je soutiendrai tout à l’heure un amendement tendant à réhabiliter tous les fusillés pour l’exemple de la Première Guerre mondiale. La nation doit exprimer officiellement sa demande de pardon à leurs familles et à la population du pays tout entier. Les noms des fusillés doivent être portés sur les monuments aux morts de la guerre de 14-18 et la mention « Mort pour la France » doit leur être accordée. Ce n’est qu’ainsi que la représentation nationale rendra justice à tous ceux, frères de combat, qui ont payé de leur personne. Ce n’est qu’ainsi que tous les morts de la Grande Guerre réintégreront enfin la mémoire nationale.

Pour rendre vivante notre démocratie, il est nécessaire que les générations nouvelles reçoivent connaissance des faits mémoriels historiques. Être critique avec nous-mêmes est encore le meilleur moyen de promouvoir et de défendre la paix.

Hommage doit être rendu aux anciens combattants de chaque guerre à la date historique de la fin de ces conflits – j’y reviendrai concernant la guerre d’Algérie.

Permettre d’exposer les causes des conflits aux populations dans le but de leur permettre d’agir pour empêcher les drames, les injustices, les massacres, les exactions, les crimes de guerre et toutes les atteintes à la dignité humaine : voilà notre objectif.

Vous le voyez, nous sommes relativement éloignés de la philosophie actuelle du projet de loi, lequel constitue, après la suppression, dictée par la RGPP, des délégués à la mémoire combattante dans les offices départementaux, un coup porté au travail de mémoire, à la pédagogie et à la culture combattante.

Je profite des derniers instants qui me sont accordés pour évoquer la situation des pupilles de la nation. Mémoire et reconnaissance font bon ménage ! À la suite du rapport de la commission nationale de concertation chargée par le Premier ministre d’étudier le dossier des orphelins de guerre, le Gouvernement examine les améliorations à apporter au dispositif d’indemnisation des pupilles de la nation afin de corriger les inégalités. Un projet de décret est en phase d’approbation.

Les résistants qui sont morts en luttant contre la barbarie nazie seraient pour le moins choqués de constater que leurs enfants ont été exclus de l’indemnisation ! Les orphelins pupilles de guerre veulent simplement que l’on reconnaisse le sacrifice de leurs parents et leur peine. C’est cette reconnaissance qui compte pour eux.

Depuis toutes ces années, le traitement de ce dossier n’a que trop tardé. Tous les députés attendent des avancées rapides sur l’égalité de traitement et peut-être, monsieur le secrétaire d’État, pourrez-vous nous renseigner sur la parution du décret précité.

Mme Patricia Adam. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Christophe Guilloteau.

M. Christophe Guilloteau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, je tiens tout d’abord à rendre hommage aux deux légionnaires du deuxième régiment étranger de génie tombés en Afghanistan, le 22 décembre dernier.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Assassinés !

M. Christophe Guilloteau. La mort de ces deux militaires porte à soixante-dix-huit le nombre de soldats que la France a perdus en Afghanistan.

Je tiens à assurer les familles et les frères d’armes de l’adjudant-chef Mohamed El Gharrafi et du sergent Damien Zingarelli du soutien de l’ensemble de la représentation nationale.

Je tiens à travers eux à saluer le courage, le dévouement, le grand professionnalisme de nos soldats, qu’ils se trouvent sur le sol national ou sur les nombreux théâtres extérieurs où la France est engagée.

Depuis plus de cinquante ans, en effet, les conflits auxquels participe notre pays ont pris de nouvelles formes. Afin de maintenir la paix et assurer notre sécurité intérieure, environ 10 000 soldats sont engagés dans des opérations extérieures : en Afrique, au Proche-Orient, en Europe centrale et surtout en Afghanistan. Depuis vingt ans, plus de 300 de nos soldats sont morts pour la France en opération extérieure. Ces hommes de la quatrième génération du feu ont librement choisi d’engager leur destin au service de notre nation. Leur sens du devoir, leur courage, leur dévouement ne les distinguent pas des soldats d’hier.

C’est pourquoi, au-delà des hommages ponctuels qui leur sont rendus lorsqu’une triste actualité nous rappelle leur engagement, nous nous devons de leur témoigner notre respect et notre reconnaissance pour avoir servi la France jusqu’au sacrifice suprême.

Le texte que nous examinons aujourd’hui, mes chers collègues, témoigne de l’hommage que nous souhaitons rendre à nos soldats morts pour la France.

Notre rapporteur Patrick Beaudouin a fort bien décrit dans son rapport et son intervention les raisons et les objectifs qui nous poussent aujourd’hui, conformément à la volonté affichée par le Président de la République lors des cérémonies du 11 novembre 2011, à faire de cette date le jour où notre pays rend hommage à tous les morts pour la France.

Cette date occupe une place à part dans notre mémoire collective : elle valorise l’esprit de cohésion ; elle apparaît comme la commémoration la plus emblématique pour rendre hommage aux combattants morts pour la patrie – parce que la Grande Guerre a fait, en France, plus d’1,7 million de morts et laissé plus de 600 000 veuves, parce que la violence des combats fut sans égale, parce qu’enfin il n’y a plus, à ce jour, de témoin direct de cette guerre. Le dernier poilu français, Lazare Ponticelli, est décédé en 2008 ; le dernier soldat connu était un Australien, mort en 2011.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, il fallait donner au 11 novembre une portée symbolique encore plus forte. Le Président de la République l’a parfaitement exprimé lors de son discours du 11 novembre dernier : « c’est à tous les morts pour la France que la nation rendra désormais hommage. […] Il s’agit seulement de donner plus de solennité encore au 11 novembre alors que tous les témoins ont disparu. Il ne s’agit pas d’honorer la guerre. Il s’agit d’honorer ceux qui sont tombés en faisant leur devoir pour leur pays. »

En ces temps où nous cherchons à promouvoir le devoir de mémoire, aucune commémoration ne sera supprimée. Il faut, bien au contraire, que ces cérémonies demeurent vivantes pour permettre le passage de témoin entre les anciens combattants et la jeunesse de France.

Comme je l’ai rappelé lors de l’examen du texte en commission, le nombre de participants aux cérémonies se réduit d’année en année. Je suis pourtant élu d’un territoire rural, les monts du Lyonnais, où la mémoire de la Résistance est particulièrement vivace.

Dans ma circonscription, la commune de La Chapelle-sur-Coise, dont le monument aux morts était dans l’église, a souhaité ériger une stèle. Lors de son inauguration, le 11 novembre dernier, les habitants du village étaient tous là, ainsi que tous les élus du canton, qui avaient tenu à soutenir cette manifestation et à montrer ainsi l’importance d’une telle cérémonie.

Nous ne devons pas le nier, le fait que des témoins soient encore présents rend ces commémorations plus denses et chargées d’émotion. Les associations d’anciens combattants l’ont fort bien compris. Elles soutiennent ce projet à une forte majorité.

Au-delà du 11 novembre, je souhaite revenir sur un autre aspect du texte que nous examinons aujourd’hui. C’est une question qui me tient particulièrement à cœur et qui a suscité la mobilisation de très nombreux députés de la majorité : l’inscription obligatoire des noms des militaires de l’armée française morts pour la France sur les monuments aux morts.

Cette question a donné lieu au sein de notre groupe à la rédaction de deux propositions de loi, l’une déposée par mon collègue Philippe Meunier et moi-même, et la seconde par notre collègue rapporteur Patrick Beaudouin, Mme Françoise Briand et le président Guy Teissier. Après la rédaction d’une proposition de loi commune soutenue par Christian Jacob et une large majorité de notre groupe, nous avons décidé, par souci d’efficacité, d’en faire un amendement afin de l’intégrer au texte relatif au 11 novembre.

Je tiens à remercier le Gouvernement d’avoir accepté cet amendement qui nous permet de montrer notre reconnaissance aux milliers de soldats engagés aujourd’hui comme hier sur les différents théâtres d’opérations extérieures.

L’inscription sur un monument des noms des soldats décédés est une façon de montrer que nous ne les oublierons jamais. Selon Raymond Aron, il n’est pas de présent historique sans souvenir. Ainsi, nous nous souviendrons de ces hommes et de ces femmes, engagés, au prix de leur vie, pour défendre les valeurs de la nation, notre liberté et la paix. Nous nous souviendrons de ces hommes et de ces femmes qui ont écrit notre histoire. Plus de 30 000 monuments aux morts furent érigés entre 1918 et 1925, inscrivant pour l’éternité le nom des morts dans le respect du principe d’égalité républicaine ; dans la continuité, les noms des victimes de la Seconde Guerre mondiale puis ceux des conflits d’Algérie, de Tunisie et du Maroc furent eux aussi inscrits – avant que ne s’estompe petit à petit cette reconnaissance.

Nous avons souhaité rendre obligatoire cette inscription pour les soldats morts pour la France. Les familles, ou à défaut différentes autorités compétentes, choisiront le lieu de cette inscription.

En cette fin de législature, l’examen de ce texte est pour moi un motif de grande fierté. Nous sommes, je crois, nombreux sur ces bancs à éprouver ce même sentiment. Comme membre de la commission de la défense, j’ai eu plusieurs fois l’occasion de me rendre sur le théâtre d’opérations extérieures. Pour le Nouvel An, j’étais en Afghanistan avec M. le ministre de la défense. J’ai pu mesurer à nouveau la fierté de nos soldats engagés au service de la France. Ils souhaitent simplement que les Français n’oublient pas leurs frères d’armes disparus.

Monsieur le secrétaire d’État, le texte que vous nous présentez va dans le sens de l’histoire et du devoir de mémoire. Il n’enlève rien au caractère unique du 11 novembre : il en fait une date symbolique de l’histoire de notre nation, sans remettre en cause aucune autre cérémonie. Il grave pour l’éternité, dans le marbre de nos monuments aux morts, le nom de nos soldats morts pour la France.

Monsieur le secrétaire d’État, le groupe UMP votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Adam.

Mme Patricia Adam. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, si dans cet hémicycle, et au sein de la commission de la défense, nous nous accordons volontiers sur l’importance du devoir de mémoire, sa mise en œuvre a parfois fait l’objet de débats difficiles, à la recherche du consensus qu’appelle ce sujet plus encore que tout autre.

Cela devrait, de mon point de vue, nous rendre plus modestes dans notre inclinaison à écrire l’histoire des autres, tant la nôtre – et souvent, comme par hasard, ses pages les plus douloureuses – reste encore à écrire.

Le présent projet de loi vise à faire du 11 novembre, date de l’armistice de 1918, à laquelle sont chaque année célébrées, depuis la loi du 24 octobre 1922, la victoire et la paix, une journée de commémoration de tous les morts pour la France.

Chacun a bien compris qu’il s’agissait là de la réponse du Gouvernement à la volonté exprimée par le Président de la République lors de son discours du 11 novembre dernier à l’Arc de Triomphe.

Notre groupe l’a clairement exprimé lors de l’examen de ce texte en commission de la défense : nous n’avons pas d’opposition de principe au fait d’honorer, le 11 novembre, tous ceux qui sont tombés en faisant leur devoir pour leur pays.

Pour autant, alors qu’il s’agit, en ce 10 janvier 2012, de légiférer sur le statut du prochain 11 novembre, dans plus de dix mois, nous ne voyons pas l’utilité de la procédure accélérée retenue pour l’examen de ce texte, et ce moins de cent jours avant une élection majeure pour notre pays.

Cette précipitation pourrait même laisser imaginer que ce texte n’est pas sans arrière-pensée quant au devenir de nos commémorations publiques, jugées trop nombreuses par la Commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques. Telle ne semble avoir été l’intention du Président de la République, qui affirmait qu’« aucune commémoration ne sera supprimée » ; mais il est regrettable que cet engagement ne figure ni dans l’exposé des motifs, ni dans le texte du projet de loi qui nous est proposé, ce qui ne peut qu’ajouter au doute naissant.

C’est la raison pour laquelle, comme d’ailleurs nos collègues du groupe Nouveau Centre, considérant que ce qui se conçoit bien doit pouvoir s’énoncer clairement, nous avons voté en commission un amendement qui visait à formaliser cet engagement qui semble, au niveau des discours du moins, faire consensus.

Ainsi sera établi que le 11 novembre n’est pas et n’a pas vocation à devenir un Memorial Day à la française, comme nous l’avons entendu parfois lors des débats de la Commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques – son président, le professeur André Kaspi, avait toutefois lui-même écarté cette hypothèse dans son rapport.

Nous pourrons ainsi, le 11 novembre 2012, lorsque nous nous recueillerons devant nos monuments aux morts, rendre hommage à tous nos soldats morts lors de la Grande Guerre mais également, pour reprendre encore une fois les propos du Président de la République, à tous « ceux qui sont tombés en faisant leur devoir pour leur pays ».

Ce disant, je pense plus précisément, parce que cela a été également évoqué, à nos soldats morts en opérations extérieures, pour lesquels le Président de la République a annoncé la construction, à Paris, d’un monument national, un mémorial qui portera tous leurs noms. Nous espérons que ce monument pourra être rapidement érigé, le groupe de travail réuni à ce sujet et présidé par le général d’armée Bernard Thorette ayant fait des propositions précises qui me semblent devoir être soutenues.

Je voudrais enfin revenir sur la politique de mémoire, le texte dont nous débattons manquant singulièrement de champ, ce qui est d’autant plus regrettable que les travaux menés ces dernières années auraient pu permettre une remise en perspective globale, devenue aujourd’hui indispensable, et qui fait consensus.

En effet, des propositions pour une « politique moderne de la mémoire » ont été faites par la Commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques, s’agissant tant de leur calendrier et de leur importance relative que de leur forme pratique.

Ainsi, trois dates, et non une seule, étaient présentées : le 11 novembre, sur laquelle nous nous penchons aujourd’hui, mais également le 14 juillet et le 8 mai, jours fériés et chômés. Mais le 8 mai, par exemple, ne saurait à lui seul rendre compte de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et permettre le travail de mémoire qu’elle nécessite pour la complète appréhension de ce moment particulier de notre histoire. Bien sûr, nous pensons aussi à l’appel du général de Gaulle, à la Résistance, à la déportation, à la Shoah.

Jean-Claude Viollet me disait il y a quelques jours que, dans sa circonscription, les élèves d’un collège avaient travaillé sur la mémoire des résistants de la commune, à partir des rues qui portent leur nom. Il a pu mesurer combien il avait été important pour ces jeunes de découvrir que ces femmes et ces hommes de leur village, dont la vie était semblable à celle de beaucoup d’autres, s’étaient engagés jusqu’au sacrifice suprême. Il est important que les jeunes sachent que c’est grâce à la Résistance que la France a pu remporter une victoire à la fois militaire, comme l’ont reconnu nos alliés, politique – en étant assise à la table des vainqueurs, ce qui lui a valu son siège au Conseil de sécurité des Nations Unies –, mais aussi morale, en étant du côté de la liberté, des droits de l’homme, contre la barbarie.

La mémoire est une construction patiente, individuelle et collective, à partir de grandes commémorations nationales, qui sont autant de balises sur le chemin de notre histoire, mais également de manifestations régionales – je pense aux débarquements de Normandie ou de Provence – ou locales – je pense au village martyr d’Oradour-sur-Glane, dont notre collègue Daniel Boisserie parlera certainement.

Tout ceci nous oblige à rechercher en permanence les moyens les plus adaptés à l’évolution des temps, y compris, comme le proposait la Commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques, en faisant que ces commémorations soient plus spécifiquement marquées l’année de leurs grands anniversaires – dix ans, cinquante ans – afin de susciter un intérêt particulier vis-à-vis de nos valeurs républicaines, avec des rituels signifiants et compréhensibles pour le plus grand nombre.

Mais, au-delà des commémorations, la mémoire est aussi affaire de transmission en continu. L’école de la République, que je citais tout à l’heure, y prend toute sa place et c’est bien le moins. Mais le politique y a également la sienne, en exerçant toute la vigilance qui convient pour que la flamme ne s’éteigne pas.

La mission d’information menée par le président de notre Assemblée, notre collègue Bernard Accoyer, a fait, dans ce sens, un certain nombre de propositions. S’agissant du rôle du Parlement, le rapport indique que « puisqu’il procède du suffrage universel et qu’il représente la nation, il est tout à fait fondé à se prononcer sur les événements dont la commémoration permet de mettre en exergue les valeurs de la République. »

Vous me direz, monsieur le secrétaire d’État, que c’est précisément ce que nous faisons aujourd’hui pour le 11 novembre. Mais nous aurions pu dépasser cette seule date pour faire effectivement jouer au Parlement tout son rôle dans la remise en perspective globale de notre politique de mémoire – et pas dans le cadre d’une procédure accélérée.

Et je n’évoque pas là la proposition faite également par la mission d’associer des parlementaires au Haut conseil de la mémoire combattante. Cette évolution se justifierait pleinement : on sait que cette institution a pour mission de susciter et favoriser toute mesure utile au renforcement de la mémoire des guerres et des conflits contemporains, de formuler des propositions relatives à la définition des cérémonies commémoratives en vue de perpétuer le souvenir des sacrifices consentis et de promouvoir le sens de l’honneur, de la patrie et du dévouement.

Beaucoup de travaux ont été menés sur la mémoire ces dernières années ; des pistes nombreuses ont été explorées qui auraient pu, y compris en cette fin de législature, faire l’objet d’un débat au fond et de décisions fortes et, on peut l’espérer, consensuelles. On peut regretter qu’au final, nous soyons en présence d’un texte très en retrait par rapport aux enjeux, même si, encore une fois, nous saluons le fait qu’il permette de rendre hommage à nos soldats morts en OPEX – ils ont été nombreux depuis cinq ans, en particulier en Afghanistan – et, au-delà, à tous les morts pour la France.

Une grave ambiguïté, soulevée en commission, demeure : elle porte sur l’avenir des autres commémorations. Des amendements ont été déposés pour préciser que l’ensemble des commémorations devaient être maintenues. Le sort qui leur sera réservé conditionnera le vote, demain, de notre groupe, car nous sommes et demeurerons hostiles à l’instauration d’un jour de commémoration commun à tous ces événements tragiques de notre histoire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais d’abord saluer l’ensemble des orateurs qui se sont succédé à cette tribune. Tous, avec des mots souvent appropriés, ont su rendre hommage à l’ensemble des soldats morts pour la France, à l’ensemble des victimes des différentes guerres et plus particulièrement de cette terrible épreuve qu’a été la Première Guerre mondiale.

Le discours que j’avais préparé était assez convenu et j’ai finalement choisi de m’exprimer devant vous sans notes, en commençant par évoquer trois prénoms : Eugène, Justin et Oliver.

Eugène Folliot était mon grand-père, fantassin pendant la Première Guerre mondiale, grand blessé à Verdun où il perdit un œil et une jambe et fut laissé pour mort sur le champ de bataille. Il passa plusieurs mois en convalescence et resta toute sa vie infirme et handicapé. Il fait partie de ces centaines de milliers de poilus qui ont souffert dans leur chair pendant la Première Guerre mondiale.

Justin Corbière était mon grand-père maternel, originaire du département du Tarn, tandis que l’autre venait du sud de la Mayenne. Lui aussi a vécu cette guerre. Il faisait partie à l’époque de ce que l’on appelle les forces de soutien, qui sont un peu plus en arrière. Certes, il ne fut pas blessé, mais il vécut douloureusement la perte de nombreux camarades. Il suffit de voir, dans chacun des villages de notre beau pays, la liste de ceux dont le nom est couché sur le monument aux morts, pour se rendre compte de la véritable saignée démographique qu’a représenté ce conflit.

Les derniers poilus étant décédés il y a maintenant quelques années, il est important de passer du temps de la mémoire au temps de l’histoire, tout en continuant à se souvenir de ce conflit et du sacrifice de toutes celles et tous ceux qui ont perdu la vie ou qui ont été touchés dans leur chair.

Oliver Luksic, enfin, est un ami, député au Bundestag. Je vois dans cette amitié un paradoxe, mais aussi un symbole de l’histoire de nos deux pays : nos grands-parents se sont combattus, mais aujourd’hui leurs petits-enfants se retrouvent à siéger, l’un à l’Assemblée nationale, l’autre au Bundestag, en étant amis et en ayant cette ambition commune de construire une Europe de paix, de prospérité et de respect mutuel de chacune et de chacun.

Ce qui me paraît important dans ce texte, c’est finalement la volonté qui est la nôtre d’essayer de trouver une date symbolique. À cet égard, on pourrait se demander : pourquoi le 11 novembre et pas telle ou telle autre date ? François Rochebloine s’étant exprimé tout à l’heure au nom de mon groupe, je parle ici à titre personnel. Je considère pour ma part que le 11 novembre est la bonne date, parce que, dans l’histoire récente de notre pays, et sans remonter aux guerres napoléoniennes et à toutes celles qui les ont précédées, la Première Guerre mondiale est certainement celle dont l’impact a été plus profond dans le cœur de la nation que bien d’autres conflits.

L’essentiel est bien sûr de se souvenir de ce qui s’est passé pendant cette guerre, mais aussi pendant tous les autres conflits qui ont suivi – la Seconde Guerre mondiale et les guerres coloniales –, en essayant de rassembler, au travers d’une journée, la mémoire collective – j’allais dire : une et indivisible – autour de ce qui a été le sacrifice d’enfants de la République au service de cette dernière.

On peut regretter, toutefois, que la pierre que nous allons poser au travers de cet acte législatif fort ne soit que la première du nécessaire renforcement du lien entre l’armée et la nation, mais aussi entre l’armée, la jeunesse et la nation, qui est essentiel pour notre pays.

À cet égard, dans une proposition de loi que j’ai déposée en 2004, je suggérais moi aussi de considérer le 11 novembre comme une journée nationale du souvenir. Mais je proposais également que, dans tous les établissements scolaires de France, dans les quinze jours qui précèdent, un temps spécifique soit consacré à la mémoire, par la visite de lieux de mémoire, la projection de films, la rencontre avec d’anciens combattants, bref par des initiatives permettant de tisser ce lien mémoriel entre les générations.

Un grand penseur du siècle passé a dit : « N’iront loin que les peuples qui ont de la mémoire. » J’ajouterais pour ma part : plus particulièrement, la mémoire de celles et ceux qui sont morts pour la patrie, mais aussi pour la République et pour ses valeurs. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

M. Thierry Benoit. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Françoise Hostalier.

Mme Françoise Hostalier. « Vous vouliez servir votre pays. […] Vous n’avez pas hésité. Vous n’avez pas reculé. Vous êtes allés jusqu’au bout de votre engagement. […] Vous n’êtes pas morts pour rien. Car vous vous êtes sacrifiés pour une grande cause. Vous avez défendu les plus belles valeurs de notre pays. » Tels sont les mots qu’a prononcés le Président de la République lorsqu’il s’est recueilli, le mardi 19 juillet 2011, à l’Hôtel des Invalides, sur les cercueils de sept de nos soldats, morts pour la France en Afghanistan.

Non, vous n’êtes pas morts pour rien ! Mais comment vous le dire ? Vous êtes 620 militaires français, morts en opération extérieure depuis la fin des guerres d’Algérie et d’Indochine : 78 en Afghanistan, 158 au Tchad, 116 en ex-Yougoslavie, 158 au Liban, 27 en Côte d’Ivoire, 16 au Gabon, 13 en Irak et d’autres au Zaïre, au Cambodge, en Haïti ou en Somalie.

Vous n’êtes certainement pas morts pour rien, puisque vous êtes morts pour la France. Vous saviez, dès le début, que votre engagement au service de la France serait total et qu’il serait peut-être aussi ultime. Mais vous l’avez accepté et c’est d’ailleurs ce qui fait toute la noblesse de votre mission.

Vous êtes entrés dans l’histoire de notre pays par le prix du sang que vous avez versé. Mais vous n’êtes pas des héros ; vous êtes des hommes et des femmes qui ont accompli leur devoir jusqu’au bout, jusqu’à la mort. Vous êtes ainsi devenus des références, des modèles pour chacun de nous et surtout pour les générations d’aujourd’hui et celles qui nous succéderont.

Mais comment vous le dire ? Comment perpétuer votre mémoire ? Comment vous rendre un hommage à la mesure de ce sacrifice suprême par lequel vous avez rejoint toutes celles et tous ceux qui, dans les divers conflits, à travers les âges, ont donné leur vie pour la France et pour nos valeurs ?

Pour certains de ces conflits, qui ont eu lieu après la Seconde Guerre mondiale, il a été décidé d’une date de commémoration permettant aux personnes qui le souhaitent de se recueillir en mémoire des victimes de telle ou telle opération. Mais ces dates ne sont pas toujours en lien direct avec les événements eux-mêmes. J’en veux pour preuve le 8 juin, qui commémore les morts en Indochine, mais qui fait référence au 8 juin 1980, date de l’inhumation du soldat inconnu d’Indochine à Notre-Dame-de-Lorette. Pour la guerre d’Algérie, les différentes associations reconnaissent deux dates : le 19 mars et le 5 décembre, qui sont davantage des commémorations événementielles que mémorielles.

Mais pour tous les autres ? Par exemple, quelle est la date possible pour rendre hommage aux 158 militaires français morts au Tchad ? Aucune. Il apparaît donc nécessaire qu’il puisse y avoir un moment de recueillement national à la mémoire de toutes les personnes qui ont leur donné leur vie pour la France, quel que soit le conflit, quels que soient le lieu ou le temps.

Il y a dans notre histoire une date symbolique, qui marque vraiment la fin d’une guerre, la fin de la plus incroyable tuerie que notre pays ait subie, avec plus d’un million et demi de morts : le 11 novembre. Ce jour-là, dans toutes les communes de France, devant chaque monument aux morts, un rassemblement d’élus, d’anciens combattants, de notables, d’enfants des écoles, de délégations militaires, entourés des porte-drapeaux, se recueille aux côtés des habitants en mémoire des combattants de la Grande Guerre, mais aussi, et de plus en plus, de toutes les personnes qui sont mortes pour défendre notre patrie.

Sans aucun doute, la disparition des derniers poilus a forcé le passage d’une commémoration qui était encore incarnée par ceux qui avaient vécu la Première Guerre mondiale, à une idéalisation d’un moment de recueillement national autour d’un concept nouveau liant toutes les générations ayant subi le feu : celui de « mort pour la France ».

C’est pourquoi j’approuve la démarche de ce projet de loi, voulu par le Président de la République. Je me permets de rappeler que j’avais moi-même déposé en juin dernier une proposition de loi qui visait à renforcer les commémorations nationales en gardant trois dates symboliques : le 8 mai, symbole de la victoire contre la barbarie nazie et que l’on aurait pu étendre en le transformant en journée de lutte contre toutes les barbaries et en faveur des droits de l’homme ; le 14 juillet, fête nationale, autour des valeurs et des symboles de la République ; le 11 novembre, en mémoire de tous les militaires morts dans tous les conflits.

Cela permettrait d’avoir trois temps forts où les valeurs de la République seraient tour à tour déclinées, sans pour autant supprimer les autres commémorations, qui pourraient être célébrées en fonction des possibilités locales.

Mais le fait de fixer au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France permettra déjà d’avoir un temps fort de communion collective, associé au devoir de mémoire vis-à-vis de toutes celles et de tous ceux qui, sur notre territoire et au-delà, sont allés jusqu’au sacrifice suprême pour que nous puissions vivre en paix, en démocratie et dans le respect des valeurs de la République française.

Afin de mettre en œuvre, à cette occasion, le devoir de mémoire auprès des jeunes de notre pays, j’avais proposé d’associer le ministère de l’éducation nationale à cette commémoration.

M. Philippe Folliot. Très bien !

Mme Françoise Hostalier. Il serait possible, en effet, d’organiser chaque année une proposition pédagogique avec un thème central et des documents adaptés, afin que les enseignants qui le souhaitent puissent sensibiliser leurs élèves à ce moment d’histoire nationale. Comme vous le savez, la plupart des conseils municipaux juniors – il y en a de plus en plus dans nos communes –, participent aux commémorations nationales. Je suis certaine que beaucoup de jeunes ne demandent qu’à être sollicités dans ce cadre.

Pour terminer, j’approuve également la reprise des propositions de loi que nous avons été nombreux à cosigner et qui sont résumées dans le second article du texte de la commission, qui permettra l’inscription sur les monuments aux morts des noms de tous les militaires de l’armée française morts pour la France.

Au-delà de l’hommage qui doit être rendu à ces femmes et à ces hommes qui ont donné leur vie, il faut également avoir une pensée pour celles et ceux qui la risquent au quotidien, parfois au bout du monde, pour notre sécurité et pour la paix. Il est important que l’actualité de ces missions et de leurs risques soit présente dans notre quotidien, dans la continuité du sacrifice de nos anciens.

Je suggère qu’il soit décrété cinq minutes de silence national partout en France chaque 11 novembre à onze heures, afin que l’ensemble de la nation se recueille en mémoire de tous les morts pour la France et ait une pensée pour toutes celles et ceux qui, au même moment, en France ou n’importe où dans le monde, risquent leur vie pour nous.

Ce pourrait être un moment fort également pour que notre pays honore tous les blessés de guerre, dont la vie a basculé alors qu’ils servaient la France. Les statistiques suggèrent qu’il y ait dix blessés pour chaque mort, sans compter ceux qui resteront à jamais atteints dans leur cœur et dans leur esprit, ceux que l’on désigne par « sans blessure apparente ». La nation leur doit une totale solidarité.

Je voudrais, pour conclure, saluer la belle unanimité qui a régné lors de la réunion de la commission de la défense et espérer que cette unanimité se poursuivra dans l’hémicycle par un vote exemplaire qui montrera l’attachement de la représentation nationale à la mémoire des militaires français morts au service de notre pays et le soutien à toutes celles et à tous ceux qui, aujourd’hui et demain encore, accompliront leur devoir avec un courage et une abnégation pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. René Rouquet.

M. René Rouquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, une priorité commune devrait tous nous animer, ici, au moment d’examiner le projet de loi qui nous est soumis : celle de réaffirmer le respect indéfectible que nous devons aux anciens combattants et la fidélité que nous portons à la mémoire de tous les combattants des armées françaises de toutes les guerres, de toutes les générations du feu, qui sont aujourd’hui légitimement attentifs à notre discussion.

Mais, si ce débat est l’occasion pour la représentation nationale de pérenniser dans la mémoire collective la célébration du 11 novembre comme date symbolique du sacrifice des soldats morts pour la France, personne ne doit être dupe, pour autant, du contexte dans lequel s’inscrit ce projet de loi, à l’aube d’une année électorale décisive pour l’avenir de la France.

On nous dit que la déclaration d’urgence de ce texte par le Président de la République serait motivée par le souci de préparer le centenaire du début de la Grande Guerre. Mais, mes chers collègues, vous vous en doutez, ce centenaire ne débutera qu’en 2014. Il n’y avait donc pas lieu de déclarer une telle urgence, sauf à reconnaître celle d’adopter à toute force ce projet de loi avant la fin de la législature.

Je souhaite toutefois dépasser de telles considérations pour exprimer à mon tour, d’abord, notre grand regret qu’une telle précipitation n’ait pas permis que s’instaure une large réflexion sur la politique de mémoire autour des différentes commémorations annuelles organisées en France. Nous nous souvenons tous de décisions qui avaient suscité de très vives oppositions, comme l’instauration par le président Chirac du 5 décembre comme date de commémoration de la guerre d’Algérie.

Je rappellerai ensuite les critiques que suscite au sein du monde combattant la proposition d’une journée unique de commémoration, comme l’a exprimé notamment l’Union française des associations de combattants et de victimes de guerre, qui s’oppose « à ce qu’un 11 novembre remanié remette en cause les dates du calendrier mémoriel officiel de la République ». L’UFAC « ne saurait admettre que soit instauré un Memorial Day à la française qui banaliserait les grandes dates de notre histoire ». De même, l’Association républicaine des anciens combattants et victimes de guerre « exige le maintien de la célébration de toutes les dates commémoratives historiques ». Quant à la Fédération nationale des anciens des missions extérieures, elle craint de « voir l’accumulation du souvenir autour de la Grande Guerre finir par appauvrir le message aux jeunes générations » et voudrait « voir les mérites des combattants d’opérations extérieures être soulignés par une journée distinctive ».

Mes chers collègues, on le voit, ce qui pose problème aux associations d’anciens combattants, ce n’est pas tant le fait d’étendre le champ de la commémoration du 11 novembre aux jeunes générations du feu, mais bien la crainte de priver chaque commémoration de sa spécificité, et donc de la vider de son sens historique.

À la veille d’une importante célébration qui doit intervenir dès cette année, avec la commémoration des cinquante ans de la fin de la guerre d’Algérie, je veux me faire ici le porte-parole des associations d’anciens combattants de ma circonscription, qui expriment, avec nous, de légitimes oppositions au regard d’un projet de loi qui porte le risque de voir le 11 novembre se substituer aux autres journées de commémoration nationale et aux différents moments de mémoire organisés sur le plan local, dépossédant de sa spécificité historique le 8 mai, par exemple, et remettant en cause sa pérennité, comme l’avait fait Valéry Giscard d’Estaing, avant que le président François Mitterrand ne l’institue à nouveau dès le 2 octobre 1981.

Le 11 novembre comme le 8 mai doivent conserver tout leur sens et toute leur spécificité. La mémoire ne supporte pas la confusion, et l’histoire mérite mieux que la précipitation dans laquelle ce texte nous est présenté. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Véronique Besse.

Mme Véronique Besse. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi que nous étudions aujourd’hui est une occasion précieuse de rendre hommage à nos anciens combattants. Il nous permet également de nous replonger dans notre roman national et de méditer ses enseignements.

Parce que je souhaite que mon pays puisse enfin regarder sans rougir le tableau vivant de son histoire, je ne peux que me réjouir de l’initiative qui nous est aujourd’hui présentée et qui consiste à ce que la nation reconnaisse le sacrifice de chacun de ses enfants morts pour la liberté.

Je ne parle pas ici d’une liberté fantasmée, théorique, mais de la liberté réelle, incarnée, cette liberté de conscience et d’action qui a animé tous ceux qui, de 1793 à 1940, se sont retrouvés dans la résistance à l’oppression. Tous ceux qui, des chemins creux de l’Ouest aux tranchées des Ardennes, ont permis que nous vivions, aujourd’hui, dans un pays libre. Je le dis avec d’autant plus de force que je viens d’un département, la Vendée, qui a payé un tribut particulièrement lourd au dernier conflit mondial.

Le fait d’honorer les morts est le propre de l’humanité. C’est la marque de toute civilisation. Notre société, en ne regardant plus d’où elle vient, finit par ne plus savoir ni qui elle est, ni ou elle va. En voulant remettre en lumière le sacrifice de ceux qui ont vécu le don de soi jusqu’au bout, nous voulons rendre à nos morts leur humanité, mais aussi, d’une certaine manière, retrouver la nôtre.

Car la vie et la mort sont profondément liées. Tel l’arbre abattu qui tombe à terre, meurt, et laisse place à la jeune pousse, la communauté des morts ne vient pas supplanter la communauté des vivants. Elle conditionne son existence et son unité.

Le message ultime que nous livrent tous les combattants, c’est qu’il n’y a pas de vie sans douleur, sans sacrifice. La mort fait partie de la vie. Vouloir l’occulter, c’est à coup sûr prendre le risque du traumatisme quand la mort survient. Apprendre à vivre avec elle, c’est au contraire être libre. Nos soldats le savent bien.

Mais un véritable travail de mémoire ne peut pas se réduire à un simple exercice émotionnel. Il doit aussi être œuvre de volonté et de projection. Si le souvenir est tourné vers le passé, la mémoire, elle, reste bien vivante et tournée vers l’avenir. Ainsi la mémoire permet à chacun de se situer dans la communauté nationale, à la fois comme héritier et comme garant de la transmission.

Chaque conflit ayant sa logique propre, il fait appel à des événements particuliers dont il faut tirer des enseignements spécifiques. Voilà pourquoi la question de la pertinence d’une journée commune pour toutes les victimes de guerre mérite d’être posée. La Grande Guerre est au cœur de notre histoire nationale et doit rester au cœur des commémorations du 11 novembre.

Je considère en effet que la mémoire de nos morts est un élément vital pour notre société. Faut-il pour autant transposer le Memorial Day américain à la société française ? Je ne le crois pas. Dans une société déjà fortement désorientée, prenons garde de ne pas alimenter la perte de repères ni d’aggraver l’amnésie d’une partie de notre histoire nationale.

Si une célébration commune des morts pour la France peut être envisagée, ce ne doit être en aucun cas au détriment des hommages spécifiques, en particulier pour les combattants, les morts et les disparus d’Indochine et d’Algérie. Je pense aussi à tous ceux qui, du Tchad au Liban, du Kosovo à l’Afghanistan, ont donné leur vie en opération extérieure. À ce jour, ils sont plus de 600. Veillons à ce qu’ils deviennent non pas des soldats inconnus mais des héros reconnus. Avec plusieurs de mes collègues, j’ai proposé que leurs noms puissent désormais être inscrits sur les monuments aux morts de nos communes.

De même, je souhaite que puisse voir le jour un grand monument national dédié à nos soldats morts au cours des conflits récents.

Ces initiatives permettraient de souligner la continuité d’un sacrifice auquel tant d’hommes continuent à se préparer aujourd’hui. Elles permettraient de redire que l’histoire de notre pays est toujours à l’œuvre et qu’il faut pour cela le faire aimer, au lieu de laisser s’installer la haine de soi, qui ne débouche que sur la haine de l’autre.

Pour honorer tous nos morts pour la France, pour honorer nos anciens combattants, pour honorer ceux qui continuent de combattre et de mourir pour notre pays, je souhaite que ces initiatives se concrétisent. Elles constituent des repères indispensables à notre nation. Il en va du respect de notre histoire. Il en va de notre avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. André Wojciechowski.

M. André Wojciechowski. Monsieur le président, cher monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi concernant l’inscription obligatoire des noms des militaires morts pour la France sur les monuments aux morts.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le Parlement adoptait la loi du 25 octobre 1919 relative à la commémoration et la glorification des morts pour la France au cours de la Grande Guerre. Cette loi encourageait ainsi les communes, avec le soutien de l’État, à « glorifier les héros morts pour la Patrie ». Cette volonté de témoigner, dans chaque commune, de la reconnaissance de la nation aux soldats morts pour la France s’est traduite, dans les années qui ont suivi la Grande Guerre, par l’érection de nombreux monuments aux morts.

Après la Seconde Guerre mondiale, les noms des victimes vinrent naturellement s’ajouter sur les monuments. Par la suite, les communes, à qui incombe la décision d’inscrire les noms des victimes de la guerre bénéficiaires de la mention « Mort pour la France », se sont vues incitées à ajouter les noms des morts pour la France des autres conflits sur leurs monuments aux morts.

Un problème se pose en ce qui concerne les départements rattachés à l’Allemagne par le Traité de Francfort du 10 mai 1871, ratifié par la France à une écrasante majorité, jusqu’en 1918. Je ne saurais, en tant que député de la Moselle, accepter l’idée que les jeunes Mosellans et Alsaciens morts dans les rangs de l’Armée impériale allemande, au nombre de 30 000 dont 274 jeunes de ma commune, n’auraient légalement pas droit à la mention « Morts pour la France » et ne pourraient figurer sur le monument aux morts de ma commune. Il serait regrettable, si le texte de loi était adopté en l’état, que dans les communes françaises d’Alsace et de Moselle apparaissent deux catégories de victimes combattantes : celle des victimes tombées sous l’uniforme allemand, et qui par conséquent ne seraient pas inscrites sur les monuments aux morts, et celle des victimes qui ont porté l’uniforme français – Optants, volontaires, évadés, prisonniers de guerre et réengagés – en l’occurrence une minorité, qui, elles, seraient obligatoirement inscrites. Il y a des réalités historiques et humaines, vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, puisque vous étiez à Saint-Avold récemment, que la mémoire ne peut pas gommer. Cette situation fut soulignée par le Président Nicolas Sarkozy dans son discours de Colmar du 8 mai 2010. J’ai averti par courrier, aussi bien le Président de la République que vous-même, sur cette difficulté à appliquer une telle loi en Alsace et en Moselle : elle provoquerait un tollé et raviverait le malaise alsacien-lorrain.

La République est une et indivisible mais elle est composée d’entités particulières qui ont leur histoire propre. Ignorer les combattants alsaciens-lorrains de 1914-1918 sous le prétexte qu’ils ne seraient pas morts pour la France attiserait le malaise et l’incompréhension de nombreux habitants de ces départements.

Je terminerai mon intervention par l’exemple de la situation difficile d’une famille mosellane en 1940. Cette famille mosellane de trois enfants a vu deux de ses fils incorporés en 1939 dans l’armée française et démobilisés fin 1940. Le troisième, plus jeune, a reçu sa feuille d’appel pour être incorporé dans l’armée allemande. Il a préféré prendre le maquis. Par représailles, ses deux frères, chacun père d’un enfant, ont été incorporés de force dans l’armée allemande et envoyés sur le front russe. Ils ne sont pas revenus. Les noms de ces enfants du pays doivent-ils être oubliés ?

Monsieur le secrétaire d’État, au nom du respect de la mémoire, du souvenir de ceux qui ont lutté pour cette France que l’on aime, nous continuerons à inscrire sur nos monuments « À nos morts ». (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Boisserie, pour le groupe SRC.

M. Daniel Boisserie. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, la loi du 24 octobre 1922 a institué le 11 novembre « jour anniversaire de l’armistice de 1918 et de commémoration annuelle de la victoire et de la paix ». Le projet de loi présenté par le Gouvernement, dans l’urgence et sans véritable concertation, vise à attribuer à cette date une vocation plus généraliste de recueillement en l’honneur de tous les morts pour la France.

De nombreuses études ont porté ces dernières années sur les moyens de perpétuer les commémorations de conflits anciens, dont les survivants disparaissent année après année. Je reprendrai ici les conclusions du rapport de la commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques. S’il évoque naturellement le 11 novembre, il n’en fait pas cependant la date majeure de commémoration mais l’une des trois dates, avec le 8 mai et le 14 juillet, qui devraient concentrer le devoir de mémoire.

Or le texte que le Gouvernement nous présente ne reprend pas ces trois dates et apporte donc une confusion dans le devoir de mémoire. Le Président de la République affirme qu’ « aucune commémoration ne sera supprimée », mais cet engagement ne figure ni dans l’exposé des motifs ni dans l’article unique du texte qui nous est proposé.

L’étude d’impact du projet de loi affirme que la commission Kaspi a « souligné le caractère particulier de la cérémonie du 11 novembre ». Elle a, de même, souligné le caractère particulier des deux autres dates citées mais n’a en aucun cas désigné le 11 novembre comme journée de commémoration principale.

Je vous sais gré, monsieur le secrétaire d’État, d’avoir réaffirmé que l’élargissement de la portée du 11 novembre n’avait pas pour corollaire l’abandon des autres dates de commémoration. Nous savons tous ici que les différentes associations d’anciens combattants ne l’auraient pas accepté. En effet, chaque conflit possède ses caractéristiques propres. Nos soldats, par la durée des combats, la localisation des champs de bataille, l’issue de la guerre, sont marqués à jamais par un souvenir individuel mais commun à leur génération du feu. Je tiens d’ailleurs à souligner que la reconnaissance du 19 mars 1962 comme fin de la guerre d’Algérie n’est toujours pas entérinée.

M. Jean Mallot. C’est regrettable !

M. Daniel Boisserie. Nous saluons le fait que ce projet de loi permette de rendre hommage, au-delà de tous les morts pour la France, à nos soldats morts en OPEX.

Mais pourquoi l’urgence, monsieur le secrétaire d’État, pourquoi cette fébrilité du Gouvernement ? Le recours à la déclaration d’urgence ne se justifiait pas, le centenaire de la Grande Guerre ne devant, par définition, être célébré que dans deux ans. De même, l’examen en commission de la défense, commission pourtant consensuelle, nous est apparu pour le moins rapide et pas complètement satisfaisant.

Ce projet de loi n’est pas anodin ; il possède toutefois le mérite de nous interroger sur le rapport de notre société à son passé, sur la relation entre la France d’aujourd’hui et son histoire. Ces problématiques essentielles relatives à la politique de la mémoire, à la transmission des grands événements de notre pays de génération en génération, aux sacrifices de nos soldats pour les valeurs de la République, par le consensus qu’elles font émerger, renforcent en partie la cohésion sociale de notre pays.

Je remercie Patricia Adam d’avoir évoqué Oradour, car la mémoire est une construction patiente qui se fonde sur de grandes commémorations nationales mais également sur les commémorations régionales. Et Oradour est une de celles-là : dans mon département, c’est une date marquante pour les jeunes et les moins jeunes.

À tout le moins, ce projet de loi aurait dû, après le temps d’une véritable concertation, traiter de la politique de commémoration de la France dans son ensemble et ne pas se focaliser uniquement sur le 11 novembre. C’est l’objet des amendements qui ont été déposés par Jean-Claude Viollet et notre groupe. J’espère donc, mes chers collègues, que vous aurez la sagesse de les voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Calméjane, pour le groupe UMP.

M. Patrice Calméjane. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 11 novembre 2011, le Président de la République a souhaité que la Nation rende hommage, dans un même geste, aux poilus disparus lors de la Grande Guerre et à tous les soldats tombés depuis lors dans l’accomplissement de leur devoir.

Cette cérémonie a été l’occasion de récompenser l’engagement en opérations extérieures d’unités de toutes les armées. Elle a mis à l’honneur plus particulièrement tous ceux tombés pour notre pays en Afghanistan depuis le 11 novembre 2010.

En prévoyant que, chaque 11 novembre, jour anniversaire de l’armistice de 1918 et de la commémoration de la victoire et de la paix, il sera rendu hommage à tous les « morts pour la France », ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui, civils et militaires, le projet de loi permettra d’honorer la mémoire de ceux qui sont tombés lors des opérations extérieures.

Journée commémorative dorénavant consacrée à la reconnaissance de la Nation envers toutes celles et ceux qui l’ont servie jusqu’au sacrifice ultime, le 11 novembre ouvre ainsi une nouvelle ère dans notre mémoire collective. Elle s’inscrit comme un moment fort, l’occasion de manifester la reconnaissance et l’attachement de la Nation à son armée.

En effet, alors que tous les témoins de la Grande Guerre ont disparu, l’objectif de ce projet de loi est de donner plus de solennité à cette date du 11 novembre. La disparition du dernier poilu, le 12 mars 2008, et la perspective du centenaire de la Grande Guerre impliquent de faire évoluer la portée symbolique de cette journée nationale.

Il est nécessaire pour la mémoire collective, pour notre histoire, mais aussi pour le respect de nos valeurs et la pérennité de ces dernières, de maintenir la participation du public aux commémorations. De même, il est nécessaire de relever le défi de la transmission aux jeunes générations des valeurs que célèbrent ces rassemblements mémoriels : la citoyenneté, le civisme, la fraternité, la solidarité ou encore le respect dû et l’hommage rendu aux générations précédentes, qui ont fondé et établi les grands principes sur lesquels repose notre nation.

La cérémonie du 11 novembre apparaît dans le souvenir collectif des Français comme la manifestation la plus emblématique de l’hommage aux combattants morts pour la patrie. Ainsi, en joignant aux morts d’hier les morts en opérations extérieures, les morts d’aujourd’hui, le lien sera fait, et la symbolique pérennisée et actualisée. C’est une revitalisation des cérémonies commémoratives nationales, et célébrer tous les « morts pour la France » le même jour permet de n’en oublier aucun.

Ces rendez-vous mémoriels, moments de réflexion historique et civique majeurs, se doivent d’être encore et toujours utilisés comme un support de transmission des valeurs de la République. Rappelons en effet que les engagements de notre armée sur des théâtres toujours plus nombreux et toujours plus lointains ne sont pas toujours bien compris de la population ; ils sont même oubliés parfois, et l’actualisation des cérémonies du 11 novembre que propose ce texte doit permettre de faire œuvre de pédagogie en créant un jour de rencontre privilégié entre la Nation et son armée.

Précisons aussi qu’il ne s’agit nullement de créer une journée unique du souvenir. Ce projet ne supprime en aucun cas les journées d’hommage aux combattants des autres conflits.

En tant que rapporteur, en juin dernier, de la proposition de loi tendant à faciliter l’utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure, je souhaite rappeler le rôle primordial des réservistes dans la transmission de cette mémoire nationale.

À titre personnel mais aussi en ma qualité de secrétaire national de l’UMP chargé de la citoyenneté, je me réjouis de l’inscription de ce projet à l’ordre du jour ; je tenais à l’appuyer et à le défendre, et je voterai pour que la commémoration du 11 novembre devienne une date de commémoration pour l’ensemble des hommes et des femmes morts pour la France dans les conflits passés et actuels.

En tant que maire, j’accompagne régulièrement des enfants des écoles primaires sur la tombe du soldat inconnu à l’Arc de triomphe, et je peux vous confirmer que tous les élèves reviennent de cette cérémonie avec une autre conception de la mémoire, une autre vision de ceux qui sont morts pour que notre pays retrouve sa liberté.

Je pense néanmoins, monsieur le secrétaire d’État, qu’après l’adoption de ce texte vos services devront entreprendre un travail de revalorisation de la cérémonie quotidienne de l’Arc de triomphe.

Je terminerai mon intervention par cette phrase du Président de la République, déjà citée par notre rapporteur et qui non seulement explique parfaitement le bien-fondé de ce texte mais offre une définition parfaite de notre nation et de ses valeurs : « Le jour où les corps des soldats morts pour la France gagneront leur dernière demeure dans l’indifférence, il n’y aura plus de France. » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Dupont, pour le groupe UMP.

M. Jean-Pierre Dupont. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en tant qu’ancien officier de la troisième génération de feu, c’est avec une certaine fierté que je prends la parole aujourd’hui. En effet, le projet de loi soumis à notre assemblée est un texte particulièrement fort, symbolique et, je l’espère, rassembleur, en ce qu’il fait appel à la mémoire et à la conscience citoyenne de chacun d’entre nous.

C’est d’abord un texte fort, car il a été voulu par le Président de la République qui, lors des dernières cérémonies commémoratives du 11 novembre, a proposé de faire désormais de cette journée celle de la célébration de tous les morts pour la France. À cette volonté présidentielle, s’ajoute celle de nombreux parlementaires qui, comme moi, ont cosigné au cours de cette législature et de la précédente plusieurs propositions de loi en ce sens.

Ce texte est aussi un texte extrêmement symbolique, car le 11 novembre porte en lui les valeurs de courage, de patriotisme et d’unité nationale. Seul le 11 novembre, en effet, est à même de rassembler autour de lui l’hommage de la Nation tout entière à nos concitoyens qui ont donné leur vie pour elle. Choisir cette date comme jour de commémoration de tous les morts pour la France, civils ou militaires, est donc riche de sens et de symboles : cela permet d’entretenir la chaîne du souvenir en célébrant la continuité de l’engagement de nos hommes.

Avec la disparition du dernier poilu en Australie au printemps dernier, les célébrations du 11 novembre, qui depuis plus de quatre-vingt-dix ans commémoraient la victoire sur l’Allemagne, la paix et la fin d’un conflit brutal et extrêmement meurtrier, devaient, à mon sens, prendre une autre dimension et un « tournant génerationnel ». C’est très exactement ce qu’entend faire le projet de loi que nous examinons aujourd’hui. En effet, si tous les combattants de la « der des der » sont maintenant disparus, le 11 novembre demeure néanmoins une référence pour nous-mêmes et pour nos enfants. Il faut donc profiter de ce terreau fertile pour continuer à semer, entretenir et fortifier l’hommage des Français à nos compatriotes tombés au champ d’honneur ou qui, malheureusement, tomberont dans de prochains conflits en opérations extérieures.

En cela ce projet de loi est rassembleur, et ce à plus d’un titre. Il rassemble d’abord les Français : selon un récent sondage, 64 % de nos concitoyens, toutes générations confondues, se déclarent favorables à l’instauration d’une journée nationale d’hommage aux morts pour la France. Le consensus est tel qu’il paraît aujourd’hui évident de légiférer sur le sujet.

Ce projet de loi rassemble aussi le monde combattant et les associations, puisqu’un très grand nombre de ces dernières s’est prononcé favorablement à l’instauration du 11 novembre comme journée d’hommage à tous les morts pour la France. Comme le précisait notre rapporteur lors de l’examen du texte en commission, les associations ont, malgré leurs divergences, compris que « le plus grand risque était que, les générations s’éteignant, il ne reste plus rien de la mémoire de nos combattants et de leurs différents conflits ». En effet, à force de vouloir trop compartimenter les hommages rendus à ces conflits, nos concitoyens pourraient s’y perdre et, ce faisant, se désintéresser globalement du devoir de mémoire que nous avons envers ces hommes tombés pour notre pays.

Ce projet de loi rassemble enfin et surtout toutes les générations de feu. Il permet de faire le pont entre tous les conflits dans lesquels la France s’est engagée et d’offrir une journée d’hommage à tous nos combattants qui ne peuvent pas encore s’identifier à une journée nationale de commémoration officielle. Le lien qui unit le combattant de la Première Guerre mondiale, le résistant, le soldat qui a combattu en Indochine, en AFN ou en OPEX, ou notre dernier militaire tombé en Afghanistan est un lien fort et unique : celui du dévouement et du sacrifice pour la défense de nos valeurs et nos idées. Ces hommes méritent donc la même reconnaissance et la même ferveur dans l’hommage qui leur est rendu.

Cette notion de filiation des générations du feu est à mettre en perspective avec notre volonté d’initier par ce texte une « filiation de l’hommage et de la mémoire » entre les différentes générations de Français.

Il est au demeurant important de préciser dans nos débats – et vous l’avez fait, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur – que l’instauration du 11 novembre comme journée de commémoration de tous les morts pour la France ne supprime en rien les autres commémorations. Il ne s’agit pas en effet de remplacer quoi que ce soit. Chaque conflit a ses spécificités, et il est normal de rendre un hommage particulier à ceux qui y ont participé.

Que les associations du monde combattant en soient aujourd’hui pleinement assurées : l’esprit du texte voulu par le Président de la République, le Gouvernement et la représentation nationale est bien de rassembler collectivement autour du 11 novembre tout en continuant à célébrer individuellement chaque conflit. Je crois important de le souligner.

Permettez-moi enfin de saluer les dispositions prévues à l’article 2 de ce projet de loi, article que nous avons adopté en commission et qui rend obligatoire, dès lors que la demande en est formulée, l’inscription sur les monuments aux morts des noms des militaires des troisième et quatrième générations du feu, morts pour la France – déjà plus de 300. Cette disposition complète avec force l’article premier et s’inscrit pleinement dans l’hommage que nous souhaitons rendre à nos militaires tombés au champ d’honneur. Je pense ici tout particulièrement aux vingt-cinq soldats morts en 2011 sur le sol afghan et dont les familles attendent que la Nation leur rende un légitime hommage. Dans le même esprit, je souscris pleinement aux propositions formulées en octobre dernier par le général Bernard Thorette, ancien chef d’état-major de l’armée de terre, qui visent à ériger à Paris un monument dédié à la mémoire des militaires français de la quatrième génération du feu, morts depuis 1962 au cours d’une opération extérieure. J’y vois l’hommage légitime et la reconnaissance de la Nation à ces soldats et à leurs familles.

Pour conclure, je dirais que s’il est un thème sur lequel chacun d’entre nous peut se rejoindre, dans la tourmente que nous traversons actuellement, c’est bien celui du devoir de mémoire, surtout lorsqu’il s’agit de célébrer le souvenir de tous ceux qui ont donné leur vie pour la France et pour une certaine idée de la paix et de la démocratie.

Pour toutes ces raisons, il va sans dire que mon soutien est total à ce texte et que je le voterai avec enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Marc Joulaud.

M. Marc Joulaud. Nous examinons aujourd’hui le projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France, un texte qui fait suite au discours prononcé par le Président de la République le 11 novembre dernier.

Il y a quatre-vingt-treize ans s’achevait la première guerre mondiale, une guerre dont notre pays sortait profondément blessé et meurtri avec plus de 1 400 000 morts, plusieurs centaines de milliers de veuves et d’orphelins, plus de trois millions de blessés et de mutilés.

Si la guerre de 14-18 est toujours présente dans nos esprits, de manière plus ou moins précise peut-être chez les jeunes générations, nous percevons, avec le recul, à quel point cette guerre, tragique et d’une ampleur nouvelle, fut aussi une matrice vénéneuse pour les conflits du XXe siècle.

L’année écoulée fut, vous le savez, marquée par l’engagement de nos forces en Libye, en Afghanistan, en Côte d’Ivoire, au Sahel, au Liban, ou au large de la Somalie dans le cadre de la lutte contre la piraterie.

Autant d’opérations qui, au cours de ces derniers mois, ont nécessité la mobilisation et l’engagement combiné de l’ensemble de nos forces, terrestres, navales, aériennes ou spatiales.

Quatre-vingt-treize années sont passées, mais elles marquent la reconnaissance que nous devons avoir pour ces hommes et ces femmes qui ont tous en commun de s’être engagés au service de la France.

Notre pays ne peut et ne doit jamais oublier la somme d’engagement et de courage de nos soldats, ni les souffrances de leurs familles, quels que soient les conflits.

La commémoration du 11 novembre dépasse en vérité très largement celle de la première guerre mondiale et elle est au fond le moment légitime pour se souvenir et honorer les combattants de tous les conflits.

C’est tout le sens du texte dont nous discutons aujourd’hui.

En prévoyant que, chaque 11 novembre, jour anniversaire de l’armistice, de la commémoration de la victoire et de la paix, il sera rendu hommage à tous les « morts pour la France », ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui, le projet de loi permettra d’honorer la mémoire de tous ceux qui sont tombés lors des opérations extérieures.

Bien entendu, et les associations d’anciens combattants l’ont bien compris, l’ensemble des autres commémorations demeure, ce qui est bien légitime, car chaque conflit a son histoire propre, sa spécificité, sa complexité, son contexte. Il n’est pas question, le rapporteur l’a précisé, de créer un Memorial Day, à l’image de ce qui existe aux États-Unis.

Le second article du projet de loi, issu des travaux de la commission, contribuera quant à lui à entretenir la mémoire de nos hommes tombés pour la France.

L’inscription du nom, sur le monument aux morts de nos communes, des militaires de l’armée française décédés au cours d’une guerre ou d’opérations assimilées, ancrera pour toujours notre reconnaissance envers ces hommes et femmes, souvent très jeunes, morts pour la France.

Au-delà de cette disposition, je suis convaincu qu’il est de notre responsabilité collective de faire en sorte que les actions de mémoire soient consolidées et bien sûr pérennisées.

Il est en effet nécessaire que la politique de mémoire s’adapte à un environnement en perpétuelle évolution.

C’est grâce à l’action conjuguée de tous les acteurs, les institutions du monde combattant, les collectivités locales, les associations patriotiques et d’anciens combattants, mais aussi les établissements scolaires et le monde enseignant, que nous pourrons ensemble ancrer la cohésion sociale dans la connaissance d’une histoire commune.

Je veux ici rendre hommage à tous les anciens combattants et à leurs associations qui assurent la permanence du souvenir, sans lequel aucun peuple ne peut construire son avenir, et insister sur la nécessité d’associer nos jeunes. C’est un effet un enjeu essentiel que de mobiliser un public qui n’a pas été acteur des conflits, et de transmettre les valeurs de la République.

Pour pouvoir jouer pleinement leur rôle, il est nécessaire que les actions de mémoire soient d’ailleurs mieux intégrées à un véritable parcours de citoyenneté, de civisme et d’esprit de défense.

M. Patrick Beaudouin, rapporteur. Très bien.

M. Marc Joulaud. Notre ambition est de donner à chacun la conscience de participer à cette aventure collective qu’est la participation à la vie de la nation.

La commémoration du 11 novembre a bien entendu toute sa place dans ce parcours de citoyenneté et de civisme et pourrait d’ailleurs s’inscrire de manière plus forte et plus affirmée dans les programmes de l’éducation nationale.

Honorer, se souvenir, ne pas oublier, pour refuser la banalisation de l’engagement, la banalisation du sacrifice, la banalisation de la guerre, quel que soit l’endroit du globe où elle se déroule, c’est aussi le sens de ce texte qui, au-delà de nos légitimes différences, de nos divergences, ou des mauvaises querelles, mériterait, en l’honneur de tous nos soldats, de recueillir le soutien unanime de notre assemblée.

Mme Françoise Hostalier. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Philippe Meunier.

M. Philippe Meunier. La France a connu au cours de son histoire un nombre important de conflits.

Pour son indépendance et notre liberté, ses fils sont tombés par millions.

La guerre de 14-18 est à ce jour le plus meurtrier de ces conflits. Elle reste et restera profondément ancrée dans notre conscience nationale pour des décennies et certainement des siècles.

À l’image de Charles Martel, vainqueur à Poitiers, et de Jeanne d’Arc boutant l’occupant hors du territoire national, ces combats ont forgé notre identité nationale.

Tout en maintenant les dates de commémorations rappelant le sacrifice de nos soldats, notamment en Indochine, en Corée, en Afrique du Nord, ce projet de loi qui vise à rassembler les Français le 11 novembre pour commémorer le sacrifice de nos poilus aux côtés des morts pour la France de toutes les générations du feu, renforcera la cohésion de notre nation.

Aucun de nos soldats ne doit être oublié.

C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de rendre obligatoire l’inscription des noms de tous les soldats morts pour la France sur nos monuments aux morts.

Ce sera chose faite, après le vote de cette loi, souhaitée par le Président de la République, grâce à cet amendement adopté en commission de la défense que j’ai eu l’honneur de défendre.

Je sais que certains auraient souhaité adopter la proposition de loi enregistrée le 21 septembre dernier à la présidence de notre assemblée, visant à rendre obligatoire l’inscription des noms des soldats morts pour la France au cours des opérations extérieures sur les monuments aux morts de leur commune de naissance et de résidence. Je remercie d’ailleurs les très nombreux cosignataires de cette proposition de loi ; mais le plus important est d’honorer nos morts en inscrivant sans plus attendre leurs noms aux côtés de ceux de leurs anciens.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Très bien.

M. Philippe Meunier. Avec ce projet de loi du Gouvernement et cet amendement adopté en commission de la défense, cela sera fait et là est l’essentiel.

Avant de conclure, je tiens à saluer tous nos porte-drapeaux et nos compatriotes qui rendent hommage, pont Alexandre III, à nos valeureux soldats morts pour la France en Afghanistan.

La représentation nationale n’oublie pas non plus nos soldats morts au Liban, ensevelis sous le Drakkar, en ex-Yougoslavie, tombés sous les balles des tireurs d’élite, en Côte d’Ivoire, sous les bombes, et partout où les troupes françaises ont donné le meilleur d’elles-mêmes.

Un fils de France mort pour la patrie à Verdun, avec les cadets de Saumur, dans les montagnes de Corée, dans les rizières indochinoises, dans les Aurès, à Sarajevo ou dans la vallée de la Kapisa, laisse toujours une mère, une épouse, des orphelins, face à leur destin.

Ce sacrifice n’est jamais vain. En commémorant leur sacrifice et en inscrivant leur noms sur nos monuments aux morts, nous forgeons notre destin national. Il fait la grandeur de nos familles et de notre patrie.

C’est la raison pour laquelle je voterai cette loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. Permettez-moi tout d’abord de remercier tous les orateurs. Ce débat, qui n’est pas un débat comme les autres, nous en sommes tous conscients, honore l’Assemblée nationale. C’est un débat pour la mémoire de notre pays, mais aussi pour son unité. Je suis très fier d’y participer et de représenter le Gouvernement.

Une seule chose m’a quelque peu choqué cependant, même si, j’en suis persuadé, l’orateur, qui n’est plus présent, n’a pas eu conscience de sa maladresse. L’on ne peut hiérarchiser les morts pour la France, ce n’est pas acceptable. Une filiation existe entre les morts de 14-18, ceux de 39-45, ceux de la troisième génération du feu, ceux de la quatrième. Les conflits ont évolué, les morts sont moins nombreux, mais un soldat qui tombe reste un soldat qui tombe pour la France, un soldat envoyé par la République, un soldat envoyé par le Gouvernement français. Nous devons avoir le même respect pour les uns et pour les autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC.)

M. François Rochebloine. Très bien !

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. Les pleurs des veuves, des enfants, des parents, sont les mêmes, quelles que soient les circonstances dans lesquelles ce soldat est mort. Je voulais le souligner.

L’un d’entre vous a dit avec justesse que, grâce à la Résistance, grâce à ceux qui ont combattu pendant la guerre de 39-45, nous avons été à la table des vainqueurs et obtenu un siège permanent au Conseil de sécurité. Ce siège nous donne des droits mais aussi des devoirs, bien évidemment.

M. Jean-Claude Viollet. Absolument.

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. C’est la raison pour laquelle tous les gouvernements français, à un moment ou à un autre, ont dû envoyer des soldats en opération extérieure. Car la France a des responsabilités : elle se doit de participer à l’instauration d’un droit international et aux justes combats qui sont menés pour la démocratie et la libération des peuples.

Depuis ces quelques mois où je suis à ce poste, j’ai pu voir la fierté des soldats, qu’il aient été envoyés en Libye, en Afghanistan ou au Tchad, pour le travail fantastique qu’ils accomplissent au nom de la France pour libérer ces pays. Voir des pilotes qui ont contribué à éviter en Libye des milliers et des milliers de morts, comme cela aurait été le cas si nous n’étions pas intervenus, me rend, je peux vous le dire, fier d’être Français.

Les uns et les autres, nous pouvons également être fiers de voir des soldats qui ont été en Afghanistan. Rappelez-vous : en 2002, 600 000 enfants allaient à l’école en Afghanistan. Maintenant, il y en a 6 millions. De même, toutes les filles qui n’avaient pas le droit d’aller à l’école y vont aujourd’hui parce que nous sommes intervenus. Nous pouvons, je crois, en être extrêmement fiers. Si des femmes, alors qu’elles avaient jusque-là l’interdiction d’apprendre quelque chose et de sortir de chez elles, ont pu faire des études pour être médecin, aide opératoire, aide-soignante, avoir un métier, c’est en effet parce que nous sommes intervenus. C’est la fierté de la France.

Vraiment, il ne faut pas que vous ayez d’inquiétude. Certes, je la comprends comme je l’ai comprise en rencontrant les anciens combattants, mais il n’y a pas de changement concernant les autres dates : il n’y a pas de suppression de quelque date que ce soit, ainsi que cela est d’ailleurs bien marqué dans l’étude d’impact. Vous le savez aussi, les débats font foi. À cet égard, l’engagement du gouvernement de la France, comme l’a dit si bien le Président de la République, est qu’il n’est pas question de supprimer une autre date.

M. Daniel Boisserie et M. René Rouquet. Il faut le préciser dans le texte !

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. Dans le texte, vous le savez très bien, aucune date n’est supprimée. Il est simplement question d’avoir, notamment pour tous ceux qui ont été en opération extérieure, une journée de commémoration, une journée pour les morts pour la France.

J’ai rencontré toutes les associations d’anciens combattants, et encore la semaine dernière, pour leur présenter le texte. Aucune n’y a fait opposition. Il faut être clair : l’ensemble du monde combattant comme la très grande majorité des Français sont très attachés à ce que l’on puisse faire cette journée.

Tout le monde se souviendra de ce texte sur lequel, oui, il fallait déclarer l’urgence, car il était pressant de pouvoir montrer à la quatrième génération qu’il y avait un jour pour tous ces morts pour la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à dix-neuf heures dix.)

M. le président. La séance est reprise.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

Article 1er

M. le président. La parole est à M. Philippe Vitel, premier orateur inscrit sur l’article 1er.

M. Philippe Vitel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 11 novembre 2012 nous rendrons, comme chaque année depuis 1920, hommage aux 1 400 000 morts pour la France de la grande guerre 14-18.

Nous aurons une pensée pour le caporal Jules André Peugeot, instituteur de vingt et un ans, premier mort français de ce terrible conflit, le 2 août 1914. Une pensée aussi pour le soldat de 1ère classe Augustin Trébuchon, berger de quarante ans, tué d’une balle dans la tête alors qu’il passait un message à son capitaine le 11 novembre 1918 à 10 heures 45, quinze minutes avant l’heure du cessez-le-feu, dernier soldat français victime de la première guerre mondiale.

Mais le 11 novembre 2012, nous rendrons aussi hommage au caporal Murat Yagci, tué le 29 août 2004, premier mort Français en Afghanistan, à l’adjudant-chef Mohammed Elgharrafi et au sergent Damien Zingarelli, victimes d’un taliban faux soldat afghan, le 29 décembre dernier, il y a seulement douze jours en Kapisa, et à leurs soixante-quinze autres compagnons d’armes qui ont perdu la vie dans cette opération extérieure dans laquelle nous sommes toujours engagés. Nous rendrons bien sûr aussi hommage aux 541 000 morts de la deuxième guerre mondiale, aux morts pour la France de Corée, d’Indochine, d’Afrique du Nord mais aussi aux 616 soldats qui ont perdu la vie au Tchad, au Liban, dans le Golfe, en ex-Yougoslavie, au Rwanda ou en Côte d’Ivoire. Et nous rendrons toujours hommage au soldat inconnu inhumé le 28 janvier 1921 à l’arc de triomphe.

Mes chers collègues, le 11 novembre prochain nous retrouverons ainsi l’esprit de la loi du 24 octobre 1922, signée par le président Millerand, faisant du 11 novembre la commémoration annuelle de la victoire et de la paix.

L’article 1er de la loi que nous examinons et, je l’espère, adopterons aujourd’hui, tient sa force de sa concision : une seul phrase pour graver dans le marbre de la loi la volonté de notre Président de la République, Nicolas Sarkozy, de rendre hommage dans un même geste aux poilus disparus lors de la grande guerre et à tous les soldats tombés depuis lors dans l’accomplissement de leur devoir.

Il a accueilli l’assentiment unanime des associations car il ne fait pas disparaître les dix-sept autres dates de commémorations nationales. Il unit toutes les générations combattantes, tous les frères d’armes tombés au champ d’honneur, militaires et civils.

Ainsi, les mots « honneur » et « patrie » continueront à avoir du sens pour les générations à venir, qui pourront, chaque 11 novembre, honorer la mémoire de ceux qui ont aimé si sincèrement et si profondément leur pays qu’ils l’ont payé de leur vie. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. Mes chers collègues, permettez-moi, devant le nombre d’inscrits sur les articles, de rappeler que notre règlement prévoit que les interventions ne peuvent excéder deux minutes, ce que je vais devoir faire respecter si nous voulons examiner ce texte d’ici la levée de la séance.

La parole est à M. Nicolas Dhuicq, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Nicolas Dhuicq. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mon intervention, qui sera brève, portera d’abord sur un sujet symbolique qui pourra sembler moins grave que tout ce que nous évoquons les uns et les autres.

Je suis en effet frappé de voir qu’il existe une nation, à quelques encablures d’eau salée de la nation française, qui sait perpétuer les traditions. Alors qu’aux Invalides, il n’y a plus d’uniforme bleu, à Chelsea hospital on garde toujours l’uniforme rouge de sa majesté, et j’ai toujours été frappé de voir les commentateurs de la BBC porter, le jour du souvenir, le coquelicot qui est l’équivalent du bleuet de France.

Je sais bien, ainsi que nous l’avons vu en commission, que le fait de porter le bleuet ne peut être inscrit dans la loi. Mais je profite de cette occasion pour appeler encore une fois l’attention de l’Assemblée nationale, notamment des services de la Présidence, sur le fait qu’il serait, me semble-t-il, bon et juste que l’on incite plus fortement les députés de la nation à porter le bleuet de France lors de la dernière séance des questions au Gouvernement qui précède les commémorations du 11 novembre. Ce serait un signe fort. Nous portons souvent nombre d’insignes, symboles ou décorations qui, quelle que soit la justesse de leur cause, s’ancrent tout de même beaucoup moins dans le sang de nos aïeux et de nos ancêtres.

Le second sujet sur lequel il faudra, monsieur le secrétaire d’État, nous pencher dans les années à venir tient au temps qui s’écoule et qui fait que nos porte-drapeaux, surtout en zone rurale où nous maintenons au maximum toutes les cérémonies patriotiques, sont atteints par l’âge. Je veux parler non seulement de la question de la transmission des drapeaux, mais surtout de la nécessité de faire en sorte que ceux-ci soient toujours présents et portés fièrement par les jeunes générations lors de ces commémorations que nous voulons les uns et les autres, du moins pour quelques décennies, maintenir sur cette terre de France. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Brindeau, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Pascal Brindeau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, même si cela a été dit avant moi, il est bon, je crois, de le rappeler : il ne peut être fait de distinction entre les morts pour la France – un soldat tombé à Verdun et un soldat tombé à Tagab. Par conséquent, notre Assemblée, sur l’initiative du Président de la République, a toute sa légitimité pour légiférer afin qu’une commémoration nationale puisse honorer l’ensemble des morts pour notre pays, quels qu’aient été, encore une fois, la génération du feu ou le théâtre d’opérations sur lequel ils sont tombés. Nous avons un devoir de mémoire, qui doit être un devoir vivant.

C’est aussi la raison pour laquelle le Président de la République a eu parfaitement raison de vouloir donner à la commémoration du 11 novembre, qui demeure celle de l’armistice et de la fin de la Première Guerre mondiale, un nouvel essor et un nouveau sens. En effet, désormais aucun des participants à cette guerre mondiale n’est plus vivant, ce qui fait entrer ce conflit dans l’histoire livresque.

Selon Montesquieu, il ne faut toucher à la loi que d’une main tremblante. Aujourd’hui, si nous légiférons sur un symbole et sur la valeur mémorielle, nous devons aussi entendre les interrogations et les inquiétudes qui se sont parfois fait jour au sein des associations du monde combattant et qui ont été exprimées ici par un certain nombre de collègues : il faut d’une part conserver le sens premier de la commémoration du 11 novembre et, d’autre part, qu’aucune des commémorations qui existent aujourd’hui ne soit supprimée à l’avenir.

Je comprends l’objectif du secrétaire d’État et du Gouvernement : ils veulent un texte qui tirerait sa force symbolique de sa concision. Cependant, je crois que, parce que nous avons besoin que le consensus se fasse sur ce texte, nous pourrions adopter une rédaction plus détaillée et, en conséquence, plus longue qui affirmerait qu’aucune commémoration ne sera supprimée et qui mentionnerait les soldats morts en OPEX. Si nous obtenions ainsi un vote consensuel, nous aurions fait œuvre utile.

M. le président. La parole est à M. Lionnel Luca.

M. Lionnel Luca. Je veux évoquer la mémoire de Pierre Lefranc qui, après avoir passé une grande partie de sa vie auprès du général de Gaulle, vient de nous quitter à la veille de ses quatre-vingt-dix ans. Il a fait partie de ces jeunes qui manifestèrent, le 11 novembre 1940, sur la place de Paris qui porte désormais le nom du général. Il en a subi les conséquences puisqu’il fut arrêté et emprisonné pendant quelques mois. Cette action nous montre qu’en 1940, déjà, la portée du 11 novembre ne se limitait pas à la commémoration de l’armistice de 1918. Si, en 1940, des jeunes ont cru devoir manifester un 11 novembre contre l’occupant et pour la liberté, c’est bien que cette date a, en elle-même, une véritable force. Dès lors, quoi de plus naturel que de lui donner aujourd’hui une dimension intemporelle afin qu’elle perdure ?

Monsieur le secrétaire d’État, l’idée du chef de l’État, que vous défendez aujourd’hui devant nous, est formidable. Elle l’est aussi pour nos combattants pour la paix sur les théâtres d’opérations extérieurs. Ce que nous appelons de manière abrégée les OPEX mobilise des soldats qui sont souvent en mission pour le compte de l’ONU ou qui assurent la sécurité de nos ressortissants. Il ne s’agit donc jamais pour eux de participer à des faits de guerres ou à des opérations d’occupation de type traditionnel. Il est légitime de leur faire honneur. Désormais, le 11 novembre permettra à la fois de conserver le souvenir de l’atrocité de la Première Guerre mondial, celui du sacrifice de jeunes qui, le 11 novembre 1940, ont proclamé haut et clair leur engagement pour la liberté, mais aussi celui de tous nos combattants pour la paix dans les OPEX.

Monsieur le secrétaire d’État, le 11 novembre reste un jour férié, c’est-à-dire, si je me réfère au dictionnaire, un jour non travaillé. Comment accepter dès lors que les établissements de la grande distribution ouvrent leurs portes toute la journée ? Les clients défilent dans les grandes surfaces tandis que l’affluence devant les monuments aux morts est bien plus clairsemée.

M. Daniel Boisserie. Très bien !

M. Lionnel Luca. Je crois, monsieur le secrétaire d’État, que, quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons, nous serions tous très heureux si une circulaire pouvait venir rappeler que, si l’on excepte certains petits commerces alimentaires de proximité, un jour férié est un jour férié et qu’il ne doit pas être travaillé. Cela est d’autant plus important que désormais, le 11 novembre devient une journée de reconnaissance envers tous les morts pour la France. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Monsieur le secrétaire d’État, je veux vous dire combien j’ai apprécié votre intervention et la qualité de notre débat. Il est rare que nous traitions de sujets qui dépassent les clivages traditionnels ; nous sentions peser dans les propos que nous avons entendus ce que nous devons à ces générations mortes pour un idéal, pour la paix et pour la liberté.

Je soutiens l’initiative du Président de la République. Certains de mes collègues ont posé des questions très précises sur le devoir de mémoire. L’essentiel est que nous nous retrouvions sur les objectifs du texte.

Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie à nouveau, et ce d’autant plus vivement que vous êtes élu d’une commune proche de Châteaubriant dont vous savez combien l’histoire a marqué notre région. Cette histoire nous oblige à être fidèle à une exigence de mémoire.

M. le président. Nous en venons aux amendements.

La parole est à M. Jean-Claude Viollet pour soutenir l’amendement n° 4.

M. Jean-Claude Viollet. Le présent amendement vise à revenir à l’orthographe du mot « paix » retenue par la loi du 24 octobre 1922. En effet, le mot « paix » doit commencer par une majuscule car dès la loi de 1922, il ne désigne pas seulement l’antonyme de la guerre : sa portée symbolique fait référence à l’harmonie suprême dans les rapports entre les êtres humains comme entre les États.

C’est précisément parce que nous commémorerons désormais l’ensemble des morts pour la France, et notamment nos soldats morts en OPEX, qu’il faut inscrire dans la loi le mot « Paix » avec sa majuscule. Ces soldats étaient en effet au service de la paix. Nous les honorerions en rétablissant cette majuscule, y compris parce qu’elle nous permettra d’expliquer plus précisément toute la symbolique de ce mot.

M. le président. La parole est à M. Patrick Beaudoin pour donner l’avis de la commission de la défense nationale et des forces armées.

M. Patrick Beaudouin, rapporteur. Je vais sans doute décevoir M. Viollet, mais je souhaite qu’il se réfère à la page 10542 du Journal officiel du 26 octobre 1922. Il pourra y prendre connaissance de la loi signée le 24 octobre précédent par le Président de la République, Alexandre Millerand, par le Président du Conseil et ministre des affaires étrangères, Raymond Poincaré, et par le ministre de l’intérieur, Maurice Maunoury, fixant au 11 novembre la commémoration de la victoire et de la paix. Le mot « paix » porte une minuscule dans le titre comme dans le corps du texte : je ne pense pas qu’il nous appartienne de modifier l’histoire en la matière.

M. le président. La parole est à M. Marc Laffineur, secrétaire d’État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants, pour donner l’avis du Gouvernement.

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État auprès du ministre de la défense et des anciens combattants. Je ne peux que tenir le même discours que le rapporteur. Le fac-similé du Journal officiel que je consulte devant vous montre que dans l’article 1er – « La république française célèbre annuellement la commémoration de la victoire et de la paix » –, le mot « paix » prend une minuscule. Je crois qu’il faut la conserver comme le rapporteur vient de nous l’expliquer.

(L’amendement n° 4 est adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 1.

La parole est à M. Pascal Brindeau.

M. Pascal Brindeau. Cet amendement vise à ce que soit précisée la prise en compte de tous les morts pour la France dans l’hommage qui leur sera rendu le 11 novembre et ce « quelle que soit la génération du feu dont ils sont issus et le théâtre d’opérations sur lequel ils sont intervenus, y compris les opérations extérieures ».

Je sais parfaitement que le terme « morts pour la France » est très précisément établi par la loi et qu’il désigne déjà les combattants évoqués par mon amendement. Toutefois, étant donné que l’un des objectifs de l’initiative prise par le Président de la République consiste à rendre un hommage particulier à nos soldats morts lors d’opérations extérieures, il me semble pertinent que cette précision soit apportée dans le texte de la loi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrick Beaudouin, rapporteur. La commission a rejeté l’amendement de M. Brindeau. Elle estime que la puissance et la qualité de l’article 1er résident dans la concision de sa rédaction. La formulation retenue ne souffre d’aucune ambiguïté. Tous les morts pour la France sont concernés par l’hommage rendu, quel que soit le conflit ou l’opération concernée, qu’elle soit passée ou malheureusement à venir.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. Plus un texte de loi est court, plus il est fort.

L’article 1er évoque « tous les morts pour la France » : tout ajout est donc inutile. Nos débats montrent clairement que c’est précisément parce qu’il n’existe aucune date pour rendre hommage aux militaires morts lors des OPEX que nous légiférons.

Monsieur Brindeau, je comprends vos intentions ; je pense toutefois que l’adoption de votre amendement aurait l’effet inverse de celui que vous cherchez : il minimiserait l’impact du texte et amoindrirait la force de la référence à « tous les morts pour la France ».

M. Philippe Vitel. Bien sûr !

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. Je vous demande en conséquence de bien vouloir retirer votre amendement.

(L’amendement n° 1 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements, nos 3, 2 et 5, pouvant être soumis à une discussion commune.

La parole est à M. Jean-Claude Viollet pour soutenir l’amendement n° 3.

M. Jean-Claude Viollet. Dans son discours du 11 novembre 2011, le Président de la République a émis le souhait que l’hommage rendu aux soldats de la Grande Guerre soit, à l’avenir, étendu à tous les morts pour la France. Le Président faisait notamment référence à nos soldats tombés au cours des opérations extérieures, pour lesquels un mémorial sera, je l’espère, prochainement construit à Paris.

Mais le Président, prenant en compte les débats intervenus suite à la publication des conclusions de la commission sur la modernisation des commémorations publiques puis lors de la mission parlementaire d’information sur les questions mémorielles à l’Assemblée nationale, précisait alors qu’aucune commémoration ne serait pour autant supprimée.

Cette précision fondamentale pour que puisse continuer de s’effectuer le nécessaire travail de mémoire sur chacune des séquences de notre histoire nationale. Malheureusement, elle ne figure ni dans l’exposé des motifs ni dans le texte même du projet de loi.

C’est la raison pour laquelle, considérant que ce qui se conçoit bien doit pouvoir s’énoncer clairement, et cette orientation semblant, dans les discours du moins, faire consensus – avant nous, nos collègues du groupe Nouveau Centre ont défendu en commission un amendement en ce sens que nous avons soutenu –, nous proposons de l’intégrer explicitement dans le texte de loi. Une telle précision donnera à ce dernier toute sa force tout en constituant un engagement pour la poursuite de notre travail de mémoire.

M. le président. La parole est à M. Pascal Brindeau pour soutenir l’amendement n° 2.

M. Pascal Brindeau. Je n’ai bien évidemment aucun doute quant à la parole donnée par le Gouvernement et par le Président de la République qui déclarent que ce texte ne remet en cause aucune des autres journées de commémoration nationales, même si la commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques, présidée par André Kaspi, avait constaté que la multiplication des dates de commémoration ne contribuait pas forcément à ce que nos citoyens s’y retrouvent et à ce qu’ils participent en nombre à ces journées.

Je considère toutefois qu’il est essentiel que l’existence des autres journées soit inscrite dans le marbre de la loi pour rendre plus difficile des initiatives qui pourraient être prises ultérieurement et que nous ne saurions prévoir. Même si, aujourd’hui, il n’est pas question d’un Memorial Day à la française, qui sait ce qui pourra en être demain, sous d’autres gouvernements ?

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour soutenir l’amendement n° 5.

M. Jean-Jacques Candelier. Le maintien des différentes journées commémoratives n’est inscrit nulle part : ni dans l’exposé des motifs ni dans le texte lui-même. Cet amendement fait donc office de garde-fou, permettant d’effectuer le nécessaire travail de mémoire sur chacune des séquences de notre histoire nationale. En effet, actuellement, on constate que le rouleau compresseur médiatique est en marche (Murmures sur les bancs du groupe UMP) : le projet de loi n’est pas encore adopté, mais la simple interprétation du discours prononcé par le Président de la République a suffi à accréditer l’idée d’un Mémorial Day français.

Par ailleurs, nous ne sommes pas d’accord avec notre collègue Patrick Beaudouin, quand il affirme qu’à « trop vouloir segmenter la mémoire des conflits, on rend illisible le message que l’on souhaite transmettre ». Cela en dit long sur ce qui se prépare, à savoir la confusion du message historique et, en définitive, l’oubli général. On sait, par exemple, que, le 8 mai, jour de la victoire contre le nazisme, fut commémoré à partir de 1953, un jour férié ayant été institué à cette fin. Mais, en 1959, ce jour férié fut supprimé à l’initiative du général de Gaulle, Président de la République. En 1975, Valéry Giscard d’Estaing supprima tout type de célébration officielle. Ce fut la gauche qui, en septembre 1981, vota une loi rétablissant le 8 mai comme jour célébré et férié.

À ce propos, je signale que les députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche proposent de faire du 27 mai une journée nationale dédiée aux valeurs de la Résistance et au souvenir de ceux qui ont eu le courage de refuser la capitulation, de combattre l’occupant nazi et de redonner à la France sa dignité bafouée par Vichy.

En tout état de cause, toutes les dates commémoratives sont importantes et doivent être sanctuarisées. Tel est le sens de cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Daniel Boisserie.

M. Daniel Boisserie. Lorsque j’ai été élu maire pour la première fois, il y a bientôt trente ans, j’ai participé à certaines manifestations régionales – à Tulle, en Corrèze, à Oradour, en Haute-Vienne, et à Pont-Laveyrat, en Dordogne – auxquelles assistaient non seulement des combattants de 1939-1945, mais aussi des soldats de 1914-1918, et je me souviens m’être dit alors qu’il n’y aurait plus grand monde, une fois que ces anciens combattants auraient disparu. Or, je m’aperçois aujourd’hui que ces cérémonies attirent de plus en plus de monde ; ce sont des moments de rassemblement, lors desquels se côtoient FTP et AS.

Il ne faut pas, comme l’a dit Jean-Claude Viollet tout à l’heure, ignorer ces manifestations régionales. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais, que, lorsque vous viendrez à Oradour, vous puissiez dire : « Dans la loi, on ne vous a pas oubliés ».

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les trois amendements en discussion commune ?

M. Patrick Beaudouin, rapporteur. La commission a examiné l’amendement de M. Brindeau et l’a rejeté ; j’émettrai un avis identique sur les amendements de M. Viollet et de M. Candelier.

Là encore, la rédaction de l’article 1er ne souffre aucune ambiguïté. Le calendrier commémoratif national comprend douze journées, que ce projet de loi ne remet pas en cause. Le fait que le Gouvernement ait choisi de déposer un texte autonome plutôt que de modifier la loi de 1922, qui avait institué l’hommage aux morts de la Grande Guerre, témoigne bien de sa volonté d’ajouter une dimension supplémentaire au 11 novembre et, en aucun cas, de substituer celui-ci aux journées commémoratives existantes. Ces journées continuent et continueront d’être régies par les lois et décrets qui les ont instituées. Du reste, je vous fais remarquer que nous n’avons absolument pas discuté de leur abolition ; elles ne sont donc naturellement pas remises en cause, conformément à l’engagement du Président de la République et à celui qu’a pris le secrétaire d’État devant notre commission de la défense et l’Assemblée nationale.

Monsieur Candelier, vous avez évoqué les médias, mais l’Assemblée nationale n’est pas un média. Nous pouvons faire confiance aux institutions et réhabiliter la parole politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces amendements ?

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. L’avis du Gouvernement est identique à celui de la commission. Encore une fois, plus un texte est concis, plus il est compréhensible et plus il est fort. Il n’y a aucune inquiétude à avoir : ainsi qu’il est précisé dans l’étude d’impact, « ces journées de commémoration seront maintenues, conformément à l’engagement du Président de la République ». En tout état de cause, juridiquement, les débats font foi : lorsqu’un ministre s’engage à maintenir toutes les dates de commémoration, il n’y a aucune raison juridique de mettre en doute cet engagement. Je comprends l’esprit de ces amendements, mais ils sont superfétatoires.

Vous savez, je suis issu d’une famille très nombreuse. Mon père a fait la guerre de 1914-1918, mon frère aîné celle de 1939-1945, j’ai d’autres frères qui ont fait la guerre d’Algérie et un de mes fils a participé à des opérations extérieures. Je suis donc particulièrement attaché à l’ensemble de ces commémorations. Je le répète, les débats font foi et il est important que ce texte soit bref.

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Je soutiens la position de M. le secrétaire d’État. Les amendements de nos collègues sont, certes, légitimes, mais il ne faut pas faire dire au texte ce qu’il ne dit pas. Le Gouvernement s’est engagé à maintenir les journées de commémoration nationale existantes et nous n’avons pas intérêt à insinuer le doute dans le monde combattant. (« Absolument ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. René Rouquet. Le doute existe déjà !

M. Michel Hunault. Compte tenu des assurances que nous a apportées le secrétaire d’État, nos collègues devraient donc retirer leurs amendements, dont l’adoption serait contraire à l’esprit du texte.

M. le président. La parole est à M. Lionnel Luca.

M. Lionnel Luca. J’avoue qu’à l’instar de certains de mes collègues, j’étais, au départ, assez perplexe, car nous savons que ce point a fait débat. Or, il est important de maintenir les célébrations officielles de la République. Mais, puisque M. le secrétaire d’État a rappelé que le maintien de ces commémorations était bien mentionné dans l’étude d’impact, qu’il en a pris l’engagement en séance publique et que le texte ne comporte aucune ambiguïté, puisqu’il vise uniquement le 11 novembre, il n’y a aucune raison d’inquiéter le monde combattant, soucieux de commémorer les conflits auxquels il a pu participer.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. Je veux insister : c’est l’adoption de ces amendements qui insinuerait le doute, en laissant entendre qu’une telle précision est nécessaire.

M. René Rouquet. Le doute existe, aujourd’hui !

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. Non, il n’y a aucun doute. Dans sa rédaction actuelle, le texte a plus de force.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Viollet.

M. Jean-Claude Viollet. Je rejoins ce que disait Patricia Adam tout à l’heure. La mission d’information parlementaire sur les questions mémorielles, présidée par le président de notre assemblée, Bernard Accoyer, visait à renforcer le rôle du Parlement dans ce domaine, en partant du principe que, procédant du suffrage universel et représentant la nation, il est fondé à se prononcer sur des événements dont la commémoration permet de mettre en exergue les valeurs de la République.

Monsieur le secrétaire d’État, en aucune façon, nous ne mettons en doute votre volonté ni celle du Président de la République, mais certaines de ces commémorations ont été instituées par la loi, d’autres par décret. Parce que ce projet de loi porte sur la politique de mémoire – même s’il ne concerne que le 11 novembre –, il nous semble utile de rappeler que l’ensemble des commémorations sont maintenues. Il faudra, du reste, nous engager dans une réflexion sur la modernisation de notre politique de mémoire, afin que ces commémorations conservent leur acuité et qu’elles contribuent à la transmission de nos valeurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

(L’amendement n° 3 n’est pas adopté.)

(L’amendement n° 2 n’est pas adopté.)

(L’amendement n° 5 n’est pas adopté.)

(L’article 1er, amendé, est adopté.)

Article 2

M. le président. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 2.

La parole est à M. Frédéric Reiss.

M. Frédéric Reiss. Mes chers collègues, les députés alsaciens ne pouvaient être absents de ce débat. Si l’article 1er ne leur pose aucun problème, quelques doutes subsistent en revanche en ce qui concerne l’article 2. Les maires alsaciens que j’ai interrogés partagent en effet mon inquiétude quant à son application.

Dans la plupart des communes alsaciennes, une inscription « A nos morts », complétée parfois par « 1914-1918 », « 1939-1945 », voire « Afrique du Nord » ou « Indochine », figure sur les monuments aux morts ; plus rarement y sont gravés des noms. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous confirmer que la décision de graver dans la pierre les noms des morts pour la France tels que définis dans l’article L. 488 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre n’implique pas de revenir de manière exhaustive aux morts de la Seconde Guerre mondiale ?

Le ministre Longuet a rappelé tout à l’heure l’histoire particulièrement mouvementée de l’Alsace et de la Lorraine entre 1871 et 1945 ; leurs habitants, ballottés entre la France et l’Allemagne, ont changé quatre fois de nationalité. Le drame des Malgré-nous, 130 000 Alsaciens et Mosellans incorporés de force dans la Wehrmacht à partir de 1942, a marqué durablement les esprits en Alsace-Moselle, trois départements qui ont payé un très lourd tribut à la Seconde Guerre mondiale. Aux 40 000 Malgré-nous morts ou disparus, il faut ajouter tous les Alsaciens et Mosellans tués alors qu’ils combattaient dans les unités de la France libre du général de Gaulle : les FFI, la 1ère armée française ou la 2ème DB.

L’hommage rendu aux Malgré-nous par le Président Sarkozy, qui a su trouver les mots justes, le 8 mai 2010, à Colmar, a été unanimement salué en Alsace-Moselle. Ce fut un soulagement pour la conscience de celles et ceux qui furent victimes de la folie nazie, qu’ils aient porté l’uniforme français ou allemand ou, parfois, les deux.

Les députés alsaciens partagent évidemment l’objectif de cette proposition de loi : honorer celles et ceux qui ont perdu la vie pour l’amour de la patrie et pour que vive la France.

M. le président. La parole est à M. Émile Blessig.

M. Émile Blessig. En tant que député alsacien, je m’associe pleinement aux propos de Frédéric Reiss.

Après les vicissitudes de l’histoire, la réconciliation franco-allemande voulue par le général de Gaulle et Konrad Adenauer s’est faite dans la reconnaissance réciproque et le respect du travail de mémoire. Dans nos communes, nous avons pu trouver, au cas par cas, des solutions à ce délicat problème de mémoire. Je souhaiterais donc qu’aujourd’hui il soit précisé qu’en aucune manière le travail de mémoire tel que nous l’avons construit au jour le jour, presque commune par commune, ne pourra être remis en question.

J’ajoute que, bien entendu, nous nous associons tous au devoir impératif de reconnaître les sacrifices des troisième et quatrième générations du feu, tout particulièrement ceux qui sont tombés, victimes de leur devoir, lors des opérations extérieures.

M. le président. La parole est à M. Jacques Lamblin.

M. Jacques Lamblin. Après les Alsaciens, je souhaiterais m’exprimer à mon tour, en tant que Lorrain.

Je suis maire de Lunéville. Aujourd’hui située en Meurthe-et-Moselle, cette ville appartenait, il y a cent cinquante ans, au département de la Meurthe, qui a été divisé en 1871. Sur la plus belle place de la ville, un très beau monument allégorique représentant deux femmes qui se tournent le dos – l’une figure la ville de Sarrebourg, l’autre celle de Lunéville, séparées par la guerre – commémore cet épisode historique. Pourtant, aujourd’hui, sur les 20 000 habitants de la ville, il n’en est pas 100 qui sachent à quoi correspond ce monument, qui a été éclipsé par un autre monument aux morts érigé après 1918. Bien que nous ayons été alors en première ligne, le temps a effacé le souvenir.

Il me semble donc que le fait de relier les événements qui ont constitué notre histoire, comme nous nous apprêtons à le faire, est une manière intelligente de faire survivre la mémoire. Si nous ne sommes pas près d’oublier la Première Guerre mondiale, il n’en est pas de même pour des événements d’une intensité bien moindre, qu’ils soient déjà survenus ou à venir. Garder la trace de ces événements au moyen d’une inscription sur un monument est, à mon avis, le meilleur moyen pour que leur souvenir reste vivace dans les mémoires.

Faire vivre les monuments au gré de l’histoire de notre pays est la meilleure façon pour que chacun garde en mémoire les différents événements constituant cette histoire. Je suis donc tout à fait favorable à l’idée d’inscrire sur les monuments aux morts le nom des morts consécutifs à des campagnes ou des faits de guerre, dans les conditions prévues par l’article 2.

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 9 du Gouvernement.

La parole est à M. le secrétaire d’État, pour le soutenir.

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. Cet amendement correspond à deux propositions de loi déposées par Patrick Beaudouin et Philippe Meunier.

La rédaction initiale de cet article, faisant référence aux « militaires de l’armée française », a pour inconvénient d’exclure de nombreuses personnes de la liste des « morts pour la France » susceptibles de voir leur nom inscrit sur les monuments aux morts. On conçoit difficilement de voir le nom d’un combattant mort pour la France, mais non militaire, écarté de l’inscription sur le monument aux morts, uniquement au motif qu’il n’était pas militaire.

L’amendement n° 9 supprime la référence aux « militaires de l’armée française » au bénéfice de l’ensemble des « morts pour la France » qui pourront désormais voir leur nom inscrit sur les monuments aux morts.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrick Beaudouin, rapporteur. Je suis favorable à l’amendement n° 9, qui remédie à une erreur de rédaction de l’article 2 par la commission.

(L’amendement n° 9 est adopté.)

(L’article 2, amendé, est adopté.)

Après l’article 2

M. le président. Je suis saisi d’une série d’amendements portant articles additionnels après l’article 2.

La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour soutenir l’amendement n° 6.

M. Jean-Jacques Candelier. L’amendement n° 6 a pour objet la réhabilitation des « fusillés pour l’exemple » de la Première Guerre mondiale. Les historiens s’accordent sur le fait qu’environ 600 soldats français ont été fusillés pour l’exemple dans le cadre de ce conflit, à la suite de jugements expéditifs et arbitraires rendus par des conseils de guerre spéciaux.

L’écrasante majorité de ces soldats n’a pas été réhabilitée. Le 11 novembre 2011, la Ligue des droits de l’homme, l’ARAC, la Libre-pensée, l’Union pacifiste de France, ainsi que le Mouvement de la paix, ont dénoncé cette injustice.

En 2006, la Grande-Bretagne a réhabilité, par voie législative, ses 306 soldats fusillés pour l’exemple. Les cinq fusillés néo-zélandais avaient été réhabilités en 2000, et les Canadiens l’année suivante.

L’idée de la création d’une commission indépendante chargée de faire le point sur cette question avait été évoquée par le secrétaire d’État aux anciens combattants en juin 2010. Le Gouvernement répond actuellement aux parlementaires que cette question est complexe et sensible. En réalité, ce n’est pas si complexe. L’amendement n° 6 vise à la réhabilitation publique, pleine et entière de tous les fusillés pour l’exemple, morts par la France et non pour la France. Ces hommes ont eu le courage de dénoncer la bêtise et la barbarie. Je souhaite que l’Assemblée prenne ses responsabilités sur cette question, alors que l’exécutif ne bouge pas.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrick Beaudouin, rapporteur. La question des fusillés pour l’exemple de 1917, que soulève M. Candelier, est une question extrêmement délicate.

Je rappelle que le 11 novembre 2008, à Douaumont, le Président de la République a rendu hommage aux soldats qui se sont battus dans des conditions effroyables, ainsi qu’à toux ceux qui « un jour n’ont plus eu la force de se battre », tous ceux « qui furent exécutés alors qu’ils ne s’étaient pas déshonorés, n’avaient pas été des lâches mais simplement étaient allés jusqu’à l’extrême limite de leurs forces ».

Par ces propos, le Président de la République a ouvert le dossier de la réhabilitation des fusillés pour l’exemple. Une réflexion est actuellement en cours au ministère de la défense et des anciens combattants quant aux modalités de cette réhabilitation et je crois très sincèrement qu’il est prématuré de vouloir régler cette question aujourd’hui, au moyen d’un amendement. Si le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui est important, il a trait à un autre symbole. Il appartient aux historiens de se pencher sur la question : à cet égard, le rapport de M. Zimet, directeur adjoint de la DMPA, propose, en sa page 14, la mise en place d’une commission de réflexion sur la question des fusillés de la Première Guerre mondiale chargée de formuler des propositions au Président de la République afin de répondre « au problème mémoriel récurrent du sort et de la postérité mémorielle des six cent vingt soldats condamnés à mort et fusillés durant la Première Guerre mondiale. » Dans deux ans, le centenaire pourrait offrir un cadre idoine à la résolution de ce dernier « kyste mémoriel » lié à la Grande Guerre.

Vous avez soulevé une question importante, monsieur Candelier, mais je vous suggère de retirer votre amendement, le problème évoqué ayant vocation à être abordé dans un autre cadre, avec la participation des historiens.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. Vous avez effectivement soulevé un vrai problème, monsieur Candelier, qu’il appartient à la République de régler. Environ 600 soldats ont été fusillés durant la Première Guerre mondiale, certains pour mutinerie, d’autres pour désertion, voies de fait, pillage, viol, d’autres, enfin, pour l’exemple. Le problème ayant été évoqué par le Président de la République à Douaumont en 2008, M. Zimet a été chargé de rédiger un rapport en vue de l’élaboration de propositions.

Je vous confirme qu’une commission, composée notamment d’historiens et de membres d’associations, va être mise en place afin d’examiner les situations au cas par cas, car on ne peut pas faire une loi réhabilitant tous les fusillés.

M. Lionnel Luca. Tout à fait !

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. Pour ce qui est des soldats tirés au sort alors qu’ils n’avaient rien à se reprocher, la République devra tirer les conséquences de l’injustice du traitement qui leur a été réservé, en réhabilitant ces soldats et leurs familles.

M. Lionnel Luca. Absolument !

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. En tout état de cause, je le répète, chaque situation doit être examinée au cas par cas. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

(L’amendement n° 6 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 7.

La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour le soutenir.

M. Jean-Jacques Candelier. En cette année 2012, constituant le cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie, l’amendement n° 7 prend tout son sens : l’année qui commence sera l’occasion d’honorer à sa juste valeur la mémoire des anciens combattants d’Algérie. La Nation a le devoir de reconnaître les souffrances endurées et les sacrifices consentis par ses combattants, et d’empêcher qu’ils ne sombrent dans l’oubli.

Chaque conflit armé a un début et une fin. Pour consacrer au souvenir des morts et de la paix retrouvée une journée officielle, nous suggérons la reconnaissance du 19 mars comme Journée nationale du souvenir et du recueillement. C’est, en effet, le lundi 19 mars 1962, à midi, que le cessez-le-feu décidé à la suite des accords d’Évian fut appliqué sur tout le territoire algérien. La date du 5 décembre ne correspond à aucun événement particulier du conflit algérien.

M. Lionnel Luca. Tant mieux !

M. Jean-Jacques Candelier. Notre amendement traduit la constance des députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche à l’égard de la guerre d’Algérie.

Il s’agit aussi de tirer tous les enseignements de cette période de l’histoire de notre pays. En aidant à reconnaître que la France s’est engagée entre 1952 et 1962 dans une véritable guerre, la reconnaissance du 19 mars créerait les conditions d’une meilleure compréhension de la nocivité du colonialisme et du mépris voué aux peuples en lutte pour leur liberté.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrick Beaudouin, rapporteur. Monsieur Candelier, la Nation reconnaît déjà les souffrances endurées et les sacrifices consentis par les combattants de la guerre d’Algérie, grâce à la journée nationale d’hommage aux morts pour la France pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie, fixée le 5 décembre par le décret du 26 septembre 2003. Je rappelle que cette date a été choisie par une commission présidée par l’historien Jean Favier et réunissant les présidents des douze principales associations d’anciens combattants. Par onze voix contre une, la date du 5 décembre a été préférée à celle du 19 mars – date du cessez-le-feu – et à celle du 16 octobre – jour anniversaire de l’inhumation du soldat inconnu d’Alger dans la nécropole nationale de Notre-Dame de Lorette.

Je ne crois donc pas indispensable, au moment où nous discutons de l’hommage unanime de la France aux morts pour la France, d’ouvrir une fois de plus un chapitre partisan. Comme l’a dit le président d’une grande association nationale, devant un monument aux morts, on ne se divise pas, on se rassemble. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Mme Françoise Hostalier et M. Michel Hunault. Bravo ! Tout est dit !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. Dans tout débat, monsieur Candelier, mais encore plus dans un débat portant sur la mémoire, nous ne devons penser qu’à une chose : l’unité de la Nation.

M. Michel Hunault. Très bien !

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. Si je comprends que certaines associations souhaitent célébrer le 19 mars, je sais aussi que cette date ne peut pas faire l’unanimité. Après le 19 mars, 75 000 harkis ont été assassinés. La plupart de ces combattants avaient fait partie de l’armée d’Afrique lors de la Seconde Guerre mondiale, ralliés, pour certains, au général Leclerc à N’Djamena, au Tchad. Après la guerre, une partie des centaines de milliers d’Algériens ayant combattu aux côtés de la France sont restés dans l’armée française, parce qu’ils avaient fait le choix de la France – nombre de leurs pères, de leurs frères, étaient morts pour la France.

Aujourd’hui, nous devons penser à eux. Nous devons nous souvenir qu’ils ont fait un choix difficile, un choix courageux, parce qu’ils avaient toujours combattu aux côtés de la France.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Oui, un choix très courageux !

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. Comment expliquer à ces personnes que la date retenue pour l’hommage aux morts pour la France pendant la guerre d’Algérie est le 19 mars, alors qu’ils ont été dévastés, détruits, à compter de cette date ? Même ceux qui ont été emmenés en France ont connu une intégration difficile – notre République doit d’ailleurs s’interroger sur la façon dont elle a accueilli ces combattants.

Nous devons également penser aux deux millions de Français appelés les pieds-noirs. Contrairement à ce que vous semblez affirmer, monsieur Candelier, on ne peut assimiler les pieds-noirs à des colonialistes. Bien sûr, certains ont pu tirer profit de la situation. Mais la plupart des personnes qui ont dû quitter l’Algérie étaient des petits commerçants, des fonctionnaires…

M. Lionnel Luca. Des enseignants !

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. …des policiers, des gens modestes.

Parmi les pieds-noirs, on a dénombré 1 696 personnes disparues après le 19 mars 1962, sans que l’on puisse jamais savoir ce qu’elles sont devenues. Comment voulez-vous expliquer aux harkis, à ces Français déracinés, arrivés en métropole après avoir tout perdu, que l’on a retenu la date du 19 mars pour commémorer la fin de la guerre d’Algérie ? Ce n’est pas possible !

Constatant la difficulté à trouver une date de commémoration des morts d’Algérie pour la France, journée d’union nationale et de recueillement, où l’unité de la Nation doit s’exprimer, la commission Favier, réunissant des historiens de toutes tendances ainsi que des associations d’anciens combattants, a finalement retenu la date du 5 décembre, proposée par l’une des associations et adoptée à l’unanimité moins deux voix.

Je vous le répète, nous devons penser à l’unité de notre pays plutôt que de lancer des débats qui ne peuvent que le diviser. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

(L’amendement n° 7 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Gaël Yanno, pour soutenir l’amendement n° 8.

M. Gaël Yanno. Comme vous le savez, il existe, en France, deux types de collectivités. Les unes sont régies par le principe de l’identité législative, ce qui veut dire que la loi s’y applique sans qu’il soit nécessaire de le préciser. Les autres sont régies par le principe de spécialité législative, et la loi que nous allons voter ne s’appliquera dans ces collectivités que si elle le précise expressément.

Avec l’amendement n° 8, je souhaite que l’on traite tous les soldats français qui sont tombés au champ d’honneur de la même façon. Si la disposition que je propose n’était pas adoptée, la loi ne s’appliquerait pas aux Français originaires de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna. Or tel n’est pas, je crois, l’objectif du texte.

Les communes de ces collectivités sont régies par un droit spécifique. Aussi, l’article 2 à tout le moins – on pourrait discuter de l’article premier – ne s’appliquera pas dans ces collectivités. C’est tout à fait regrettable car tous les soldats français morts pour la France doivent être traités à égalité, quelle que soit leur origine géographique. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. Que est l’avis de la commission ?

M. Patrick Beaudouin, rapporteur. La commission n’a pas examiné cet amendement. À titre personnel, je dirai que la République est une et indivisible. Toutefois, je ne suis pas défavorable à cette disposition qui figure souvent dans les textes de loi.

Comme je ne suis pas un grand constitutionnaliste, je me tourne vers M. le ministre, pour connaître son avis sur ce point.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. Monsieur le député, je comprends bien votre souci de faire en sorte que les dispositions du présent texte s’appliquent à toutes les communes de France. Mais c’est le cas puisque la République est une et indivisible. Adopter cet amendement reviendrait à dire que l’on a des doutes quant à l’intégrité de la République. Or, tous les monuments aux morts de la République française, quelle que soit la commune, mentionnent ceux qui sont morts pour la France.

Si votre amendement était adopté, peut-être faudrait-il aussi mentionner dans le texte tous les départements de France métropolitaine. Je le répète, la République est une et indivisible.

M. le président. La parole est à M. Gaël Yanno.

M. Gaël Yanno. Monsieur le secrétaire d’État, je vous rappelle qu’il a fallu attendre 1989 et le vote d’une loi pour que l’avortement devienne légal en Nouvelle-Calédonie. Tant que la loi ne l’avait pas étendu, il était illégal.

Quant au PACS, c’est grâce à un amendement que j’ai déposé, en mai 2009, dans le cadre de la LODEOM, qu’il a pu être étendu à Wallis-et-Futuna et à la Nouvelle-Calédonie.

M. Jean-Claude Viollet. Eh oui !

M. Gaël Yanno. La loi initiale n’avait pas précisé, en effet, que le PACS s’appliquait dans les collectivités régies par le principe de spécialité législative.

Je sais bien que la République est une et indivisible. Il n’en demeure pas moins qu’elle est diverse et variée et que ce qui s’applique en France métropolitaine ne s’applique pas nécessairement dans les collectivités d’outre-mer.

Je regrette de ne pas avoir été entendu. Mais ce n’est pas grave : on votera, dans un an ou deux, une autre loi qui étendra les dispositions du présent texte aux Français morts pour la France et nés « malheureusement » dans ces collectivités régies par le principe de spécialité législative…

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Marc Laffineur, secrétaire d’État. Monsieur le député, la loi sur l’avortement n’a pas pu être appliquée en Nouvelle-Calédonie en raison d’un transfert de compétences. Mais s’agissant de la mémoire, il n’y a pas de transfert de compétences. La mémoire s’applique partout de la même façon. Les maires, représentants de l’État, doivent mentionner, sur les monuments aux morts, les soldats morts pour la France, quelle que soit la commune.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Viollet.

M. Jean-Claude Viollet. Le fait que la procédure accélérée ait été engagée sur ce texte par le Gouvernement, ce qui est regrettable compte tenu du sujet, implique que notre assemblée ne pourra pas voter une mesure de rattrapage. Je ne souhaite pas que l’on se retrouve dans la situation que vient d’évoquer M. Yanno, où un mort pour la France d’une collectivité d’outre-mer serait traité différemment d’un mort pour la France de la métropole. Cela voudrait dire que l’on a mal légiféré. Il faut donc vérifier très précisément ces dispositions, et qu’à tout le moins le Sénat éclaircisse définitivement cette affaire, afin qu’on ne soit pas obligé de refaire la loi.

Il n’y a pas de rattrapage pour les morts pour la France. Ils ont des droits sur nous, sur la représentation nationale et c’est précisément à nous de leur rendre hommage où qu’ils aient vécu.

M. le président. La parole est à M. Christophe Guilloteau.

M. Christophe Guilloteau. J’avoue avoir plus qu’un doute sur cette affaire. Je ne voudrais pas qu’on vote un texte qui écarte certains citoyens de la nation. Les débats ont montré que ce projet recueillait l’unanimité. Aussi je demande à mes collègues d’adopter un principe de précaution en votant cet amendement.

(L’amendement n° 8 est adopté.)

M. le président. Nous avons achevé l’examen des articles du projet de loi.

Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l’ensemble du projet auront lieu demain, mercredi 11 janvier, après les questions au Gouvernement.

5

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures dix.)