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Document E4779
(Mise à jour : 10 février 2011)


Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une Autorité bancaire européenne.


E4779 déposé le 30 septembre 2009 distribué le 1er octobre 2009 (13ème législature)
   (Référence communautaire : COM(2009) 0501 final du 23 septembre 2009, transmis au Conseil de l'Union européenne le 24 septembre 2009)

Ces textes (E 4777, E 4778, E 4779, E 4780, E 4781 et E 4904) ont été présentés par MM. Michel DIEFENBACHER et Pierre BOURGUIGNON , co-rapporteurs, au cours de la réunion de la Commission du 8 décembre 2009.

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La crise financière a constitué un constat d’échec pour les superviseurs nationaux et pour le dispositif embryonnaire existant à l’échelle européenne. Comme l’a relevé la Commission européenne dans une communication du 27 mai 2009 sur la surveillance financière, « le dispositif de surveillance n’a pu ni prévenir, ni gérer, ni résoudre la crise. Les systèmes de surveillance ayant une base nationale, se sont avérés dépassés par rapport à la réalité intégrée et interconnectée des marchés financiers européens actuels. »

L’Europe ne dispose pas, à l’heure actuelle, des mécanismes indispensables de prévention et de gestion des crises. La Banque centrale européenne n’a pas cette compétence, et les trois « comités (sectoriels) de niveau 3 » n’ont pas de pouvoir décisionnel.

La Commission européenne a présenté, le 23 septembre, un « paquet législatif » dont le but est de créer un système européen de supervision des activités financières, sur la base des recommandations du groupe de travail présidé par M. Jacques de Larosière et des orientations définies par le Conseil européen de juin 2009.

I. Avant la crise financière actuelle, il existait une « ébauche » de cadre européen de coordination de la supervision : les trois « comités Lamfalussy », un dispositif insuffisant

Comme l’a rappelé aux rapporteurs M. Jacques de Larosière, les travaux du « groupe de sages » présidé par M. Alexandre Lamfalussy dans les années 90 ont eu pour objet d’examiner si la supervision de la finance était bien organisée en Europe compte tenu des évolutions rapides du secteur. Le « rapport Lamfalussy » ne concernait donc pas le contenu des règles applicables mais l’organisation de leur application. Il a formulé une très bonne proposition : faire travailler ensemble les superviseurs nationaux de façon à ce qu’ils coopèrent.

Suite au « rapport Lamfalussy », les institutions européennes sont tombées d’accord pour mettre en place trois comités au niveau européen. Ces « comités de niveau 3 » sont :

- le « Comité européen des régulateurs des marchés de valeurs mobilières », créé en juin 2001 ; pour la France, c’est l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) qui en est membre ;

- le « Comité européen des contrôleurs bancaires », créé en novembre 2003 ; pour la France, c’est la Commission bancaire qui en est membre ;

- le « Comité européen des contrôleurs des assurances et des pensions professionnelles », créé en novembre 2003 ; pour la France, c’est l’Autorité de Contrôle des Assurances et des Mutuelles (ACAM) qui en est membre .

Ces comités, qui réunissent les superviseurs nationaux des Etats membres, devaient permettre une coopération entre ces superviseurs, et formuler des avis destinés à la Commission européenne et au Parlement européen. Ils avaient donc un double rôle de forum de coordination et d’organes consultatifs.

Selon M. de Larosière, ce système a plutôt bien fonctionné. Ces comités, qui ont travaillé pendant dix ans, ont fait progresser la culture commune. Mais le succès de leurs démarches reposait entièrement sur la bonne volonté de chaque superviseur national, bonne volonté qui ne s’est pas toujours manifestée.

De nombreux rapports et propositions ont par la suite été présentés pour améliorer ou compléter ce système. Puis a éclaté la crise financière, en 2007-2008. La question s’est de nouveau posée, de manière douloureuse : l’Europe – et le monde – sont-ils bien « équipés » pour tenter de prévenir de telles crises ?

II. Des recommandations du « rapport de Larosière » aux propositions de la Commission européenne :

En octobre 2008, le président de la Commission européenne a confié à un « groupe de travail de haut niveau » présidé par M. de Larosière la mission de présenter des recommandations sur l’avenir de la réglementation et de la surveillance financières en Europe. Le rapport de ce groupe de travail, présenté le 25 février 2009, a été très largement salué, et la Commission européenne, puis les chefs d’Etat et de gouvernement réunis en Conseil européen, s’en sont très directement inspirés pour engager une réforme de la supervision financière européenne.

Au niveau européen, le « rapport Larosière » présentait un projet de nouvelle architecture articulant :

- le niveau national (les autorités nationales de supervision existantes), doté de moyens renforcés,

- trois nouvelles Autorités européennes de surveillance microprudentielle,

- et un nouvel organe, chargé de la surveillance macroprudentielle, pour combler une grave lacune : l’absence de tout organe compétent pour détecter les risques systémiques.

Suite au « rapport Larosière », la Commission européenne a présenté le 27 mai 2009 une communication décrivant la réforme envisagée. La Commission présentait sa proposition comme réaliste quant au fond, car il s’agissait de bâtir sur la base des structures existantes et non de créer de toutes pièces un Superviseur européen unique, et en même temps ambitieuse quant au calendrier, car elle souhaitait aller plus vite que ne le préconisait le « rapport Larosière » afin que le nouveau système fonctionne dès 2010.

Les réactions à ces propositions de la Commission européenne, émanant tant des groupes politiques du Parlement européen que de l’industrie financière, ont été globalement positives. Le Conseil européen, les 18 et 19 juin 2009, a approuvé les propositions de la Commission. Celle-ci s’est engagée à présenter les initiatives législatives correspondantes à l’automne 2009.

Notre commission des affaires européennes a adopté le 15 juillet 2009 une proposition de résolution par laquelle elle a, notamment, pris position sur ce thème, en considérant :

« a) que les décisions prises par le Conseil européen sur la nouvelle architecture européenne de supervision financière, directement inspirées des recommandations du rapport du groupe de travail présidé par M. de Larosière, constituent un indéniable progrès, à condition qu’elles soient rapidement concrétisées pour entrer en application, comme prévu, dès 2010 ; b) que l’Union européenne doit faire valoir dans le cadre du (…) G20 [de Pittsburgh] cette réforme de l’architecture de la supervision financière européenne, mais que celle-ci, loin de constituer un aboutissement, doit être considérée comme une première étape en direction d’un véritable système européen de supervision unifié et intégré (…). »

Le « paquet législatif» relatif au « Système européen de supervision financière » (S.E.S.F) présenté par la Commission européenne la veille du Sommet du G20 de Pittsburgh se compose de six textes :

- une proposition de règlement pour instaurer un « Comité européen du risque systémique » (C.E.R.S), chargé d’analyser l’ensemble du secteur financier (marchés financiers, banque et assurance) et de lancer des alertes sur les situations à risque ;

- une proposition de décision attribuant à la Banque Centrale Européenne le secrétariat de ce Comité ;

- trois propositions de règlement visant à transformer les trois comités consultatifs existants en trois Autorités européennes de supervision (A.E.S) ;

- une proposition de directive définissant de manière plus détaillée les compétences de ces trois nouvelles Autorités.

Les deux premiers textes constituent le volet macro-économique (ou macro-prudentiel) du Système, et les quatre derniers en constituent le volet micro-économique ou micro-prudentiel. Les quatre propositions de règlement doivent être adoptées selon la procédure de codécision – c’est-à-dire la « procédure législative ordinaire » sous l’empire du Traité de Lisbonne. La proposition de décision est juridiquement fondée sur l’article 105 de l’ancien traité – devenu l’article 127 avec le Traité de Lisbonne – qui donne la possibilité au Conseil, statuant après avis du Parlement européen, de confier à la Banque centrale européenne des tâches spécifiques concernant le contrôle prudentiel.

III Le volet macro-prudentiel : la création du Comité européen du risque systémique (C.E.R.S.)

Le futur Comité européen du risque systémique sera chargé d’alerter sur les risques macro-économiques pesant sur la stabilité financière et de faire des recommandations sur la manière d’y répondre.

Les destinataires de ses alertes et recommandations seront, selon les cas, l’Union européenne, un Etat membre, ou l’une des trois Autorités de supervision européennes. Les recommandations seront adressées à leurs destinataires via le Conseil de l’UE, afin que les ministres des Finances puissent en discuter entre eux au préalable. Les destinataires devront s’y conformer ou expliquer pourquoi ils ne le font pas. Le C.E.R.S. ne prendra pas de décisions juridiquement contraignantes. Néanmoins, compte tenu de sa composition, ses alertes et recommandations pourront difficilement rester lettre morte, d’autant que le C.E.R.S. pourra décider, au cas par cas de rendre publique une alerte ou une recommandation.

Le C.E.R.S. devra avoir accès à toutes les informations dont il a besoin tout en préservant la confidentialité des données collectées. Les banques centrales nationales, les Etats membres et les trois Autorités européennes de supervision seront soumis à l’obligation de fournir au C.E.R.S. les informations requises.

Le C.E.R.S. sera piloté par un conseil d’administration, chargé de prendre les décisions. Ce conseil d’administration comprendra :

- Avec droit de vote : les gouverneurs des 27 banques centrales nationales, le président et le vice-président de la Banque Centrale Européenne, un membre de la Commission européenne, et les présidents des trois Autorités européennes de supervision ;

- Sans droit de vote : un représentant de chaque Etat membre et le président du Comité économique et financier du Conseil des ministres.

Comme l’a décidé le Conseil européen de juin 2009, il reviendra aux membres du conseil d’administration du C.E.R.S. d’élire pour 5 ans leur président parmi les membres du Conseil général de la B.C.E (où siègent des représentants de toutes les Banques centrales de l’Union européenne, y compris celles hors zone euro). Il est probable que cette solution conduira de facto à l’élection du président de la B.C.E comme président du C.E.R.S, mais elle laisse ainsi – au moins théoriquement – la possibilité aux pays non membres de la zone euro de voir le gouverneur de « leur » Banque centrale occuper cette fonction, ce qui était une concession nécessaire à faire au Royaume-Uni notamment.

Le conseil d’administration adoptera les alertes à la majorité simple et ses recommandations à la majorité qualifiée (deux tiers des votes). Les décisions du conseil d’administration seront préparées par un comité plus restreint, le comité directeur, comptant 12 membres dont le président et le vice-président de la B.C.E et cinq gouverneurs de Banques centrales nationales (trois de la zone euro et deux d’en-dehors), afin d’éviter que les destinataires des alertes soient majoritaires au sein du comité directeur.

Les discussions entre Etats membres sur ce Comité européen du risque systémique n’ont guère soulevé de dissensions importantes. Un accord a été atteint lors du Conseil Ecofin du 20 octobre dernier. En revanche, les discussions sur les autres textes du « paquet » ont été difficiles :

IV. Le volet micro-prudentiel : la transformation des trois comités sectoriels dits « comités de niveau 3 » en trois « Autorités européennes de supervision »

Le Système européen de supervision financière est conçu par la Commission européenne comme un réseau composé des entités suivantes :

- les autorités nationales de supervision des Etats membres, qui continueront de contrôler au quotidien les institutions financières actives sur leur territoire ;

- des collèges regroupant au cas par cas les superviseurs des pays d’origine et d’accueil, s’agissant de la quarantaine de groupes financiers paneuropéens (par exemple, un collège ad hoc pour le groupe BNP Paribas – composé des superviseurs des pays européens dans lesquels BNP a son siège et des filiales –, un autre collège ad hoc pour HSBC, un autre pour la Deutsche Bank, etc.) ;

- trois Autorités européennes de supervision (A.E.S), succédant aux comités actuels : l’Autorité bancaire européenne se substituera au Comité européen des contrôleurs bancaires, l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles succèdera au Comité européen des contrôleurs des assurances et des pensions professionnelles, et l’Autorité européenne des marchés financiers remplacera le Comité européen des régulateurs des marchés de valeurs mobilières.

Dotée de la personnalité juridique, chacune des trois A.E.S. sera pilotée par un conseil d’administration composé des 27 régulateurs sectoriels nationaux (qui auront chacun le droit de vote, selon le principe «un Etat, une voix »), plus un président – une personnalité qualifiée – élu par ces 27 représentants des superviseurs pour 5 ans.

Leurs objectifs seront l’amélioration du fonctionnement du marché intérieur, la protection des investisseurs, la protection de l’intégrité des marchés financiers et le renforcement de la coordination dans l’Union en matière de supervision. Les A.E.S joueront aussi un rôle au niveau international. La Commission européenne propose que ces trois Autorités servent de point de contact pour les superviseurs des pays tiers et qu’elles participent aux travaux sur l’équivalence entre la législation européenne et la législation de pays tiers.

La Commission européenne proposait que les trois Autorités soient chargées de toutes les missions existantes des actuels « comités de niveau 3 », et de nouvelles responsabilités, nettement plus étendues, qui leur donneraient de réels pouvoirs contraignants. La Commission européenne avait prévu que toutes les décisions des trois Autorités seraient prises à la majorité simple.

Mais les Etats membres n’ont pas accepté un dispositif aussi ambitieux que celui préconisé par la Commission.

V. Etat des travaux au sein du Conseil et au Parlement européen

La Présidence suédoise de l’Union européenne était déterminée à parvenir à un accord politique entre les vingt-sept Etats membres d’ici fin 2009, soit à peine trois mois après la présentation des propositions de la Commission, afin que les négociations entre le Conseil et le Parlement européen puissent ensuite avoir lieu début 2010 et que la nouvelle architecture de supervision puisse être mise en place effectivement courant 2010. Le Conseil « Ecofin » du 2 décembre a marqué l’aboutissement des négociations entre les 27 Etats sur les trois Autorités européennes de supervision. Le compromis ainsi approuvé à l’unanimité comporte les éléments suivants :

1) Elaboration de standards techniques :

Les Autorités devront assumer de nombreuses tâches. Elles devront tout d’abord identifier, en vue de leur élimination, les exceptions et dérogations nationales existant dans la législation financière, pour progresser dans la mise en place d’un corpus de règles uniformes dans l’ensemble de l’Union européenne.

Les directives européennes existantes dans le domaine des services financiers font l’objet, dans leurs transpositions nationales, de multiples divergences d’interprétation et donc, d’application. Au lieu d’aboutir à des règles harmonisées, elles se traduisent par une véritable « mosaïque » de règles nationales d’application, ce qui est susceptible de créer des distorsions de concurrence et de rendre la coordination entre superviseurs impossible. On peut citer par exemple, comme le fait le « rapport Larosière », les différences entre les exigences d’information obligatoire (certains établissements, notamment ceux qui ne sont pas cotés, ne sont soumis dans certains pays à aucune obligation de présentation d’informations comptables).

Les problèmes identifiés dans la transposition des directives feront l’objet de propositions de normes techniques, que chaque Autorité, dans son domaine, adoptera ; pour que ces normes deviennent juridiquement contraignantes, elles devront être endossées par la Commission européenne. L’objectif de ces standards techniques est de réduire la fragmentation de la transposition en droit national des règles adoptées par le législateur européen.

2) Recommandations et compétence consultative :

Comme les « comités de niveau 3 » avant elles, les trois Autorités pourront formuler des recommandations adressées, selon les cas, à des autorités nationales ou à des institutions financières ; elles pourraient par exemple émettre des « lignes directrices » sur les méthodes d’évaluation des risques par les établissements financiers. Ces recommandations ne sont pas juridiquement contraignantes, mais seront rendues publiques ; une autorité qui choisirait de ne pas suivre une recommandation devra motiver ce refus, et l’Autorité peut décider au cas par cas, de rendre également publiques les motivations données par le destinataire.

Les Autorités joueront par ailleurs un rôle consultatif auprès des institutions de l’Union européenne : on imagine qu’elles pourront par exemple signaler au législateur communautaire des lacunes ou des imperfections dans une directive ou un règlement existant, afin que la Commission européenne propose une modification de ce texte. Par exemple, identifier l’ensemble des concepts utilisés par les textes communautaires mais qui n’ont pas une définition unique dans tous les pays membres : la notion d’ « établissement de crédit soumis à supervision», la notion de « fonds propres »…

Pour l’adoption des standards techniques et des recommandations, le Conseil Ecofin a décidé que les membres de l’Autorité concernée se prononceront à la majorité qualifiée.

3) Contrôle de l’application des règles communautaires :

Saisie par un ou plusieurs de ses membres, par la Commission européenne ou de sa propre initiative, une Autorité pourra enquêter sur le non-respect ou la mauvaise application, par un superviseur national, des règles communautaires en vigueur.

Si elle constate une violation du droit communautaire, par exemple si un superviseur ne respecte pas le seuil de garantie des dépôts bancaires fixé par la réglementation européenne dans le souci de protéger les clients des banques en cas de faillite, l’Autorité adressera dans un premier temps au superviseur fautif une recommandation, à laquelle celui-ci a un mois pour se plier.

S’il ne le fait pas, la Commission européenne émet à son tour une recommandation, en fixant un délai au superviseur pour se « mettre en règle ». S’il ne le fait toujours pas, l’Autorité européenne de supervision concernée peut alors exercer un pouvoir de décision contraignant, y compris à l’égard d’institutions financières individuelles et non pas seulement envers un superviseur national. Dans ce cas, la décision de l’Autorité européenne prime sur les actes du superviseur national.

Pour prendre une telle décision « directe », le Conseil Ecofin a décidé que les membres de l’Autorité se prononceront à la majorité simple.

4) Pouvoir d’action dans les situations de crise :

L’article 10 des trois règlements tel que rédigé par le Conseil Ecofin dispose que : « Lorsque des circonstances défavorables risquent de compromettre gravement le bon fonctionnement et l’intégrité des marchés financiers ou la stabilité globale ou partielle du système financier dans l’Union européenne », l’Autorité ou les Autorités concernées auront une tâche générale de coordination des actions entreprises par les superviseurs nationaux – ce pour quoi ces superviseurs auront l’obligation de tenir les Autorités pleinement et constamment informées.

La décision constatant l’existence d’une situation d’urgence ou de crise ne sera pas prise par les Autorités européennes de supervision, ni par le Comité européen des risques systémiques : elle relèvera du politique, puisque c’est le Conseil (des ministres), saisi par la Commission européenne ou une A.E.S ou le C.E.R.S., qui en décidera, et qui réexaminera cette décision à intervalles réguliers (au moins une fois par mois).

Quelles seront les conséquences d’un tel constat, par le Conseil, de l’existence d’une crise ? Ces circonstances exceptionnelles ouvriront aux trois Autorités la possibilité d’adresser aux superviseurs nationaux des instructions individuelles, afin d’assurer la coordination des actions nationales. Chaque Autorité adoptera ce type de décisions à la majorité simple.

5) Rôle de médiateur en cas de désaccord entre deux superviseurs nationaux :

Dans les cas où un superviseur national conteste l’action – ou dénonce l’inaction – d’un superviseur national d’un autre Etat membre, l’Autorité européenne du secteur concerné, saisie par un ou plusieurs de ses membres, constitue en son sein un panel ad hoc pour tenter de parvenir à une conciliation, en fixant une période déterminée pour ce faire.

On pourrait imaginer par exemple que se reproduise à l’intérieur de l’Union européenne une situation de type « Islande » : c’est le cas où une autorité nationale de supervision permettrait aux banques qu’elle contrôle de développer des succursales importantes dans d’autres Etats membres alors que la maison-mère ne serait pas en mesure d’honorer les engagements qui en découlent en ce qui concerne la garantie des dépôts des clients. Dans un tel cas, le ou les superviseurs des pays « d’accueil » des filiales pourront contester l’action – ou l’inaction – de leur homologue du pays « d’origine ».

Si à l’issue de la phase de médiation, un accord n’a pu être trouvé entre les parties, l’Autorité aura le pouvoir de prendre une décision contraignante qui s’applique aux superviseurs nationaux.

La proposition initiale de la Commission européenne prévoyait que ce type de décision soit adoptée par l’Autorité à la majorité simple, mais au Conseil les « grands » Etats, notamment la France, ont obtenu qu’un groupe de membres qui atteint la minorité de blocage, telle qu’elle est définie pour le fonctionnement du Conseil de l’Union, pourra y faire obstacle. Ceci revient à dire que, par exemple, les superviseurs allemand et français, grâce à leur forte pondération de voix (dû au poids démographique de l’Allemagne et de la France dans l’Union) et à condition de réunir quelques alliés, pourront bloquer une décision à laquelle 14 superviseurs nationaux de « petits » pays seraient favorables.

6) Le dispositif-clé : la « clause de sauvegarde » :

Une préoccupation majeure du Royaume-Uni et d’autres Etats membres est d’empêcher que des décisions prises par les Autorités européennes de supervision n’empiètent sur les responsabilités budgétaires des Etats, en obligeant ceux-ci à contribuer, par exemple, au renflouement d’une banque. Le Conseil européen de juin 2009 avait fait écho de cette préoccupation fondamentale, et la Commission européenne a donc inséré dans ses propositions une « clause de sauvegarde » pour permettre à un Etat membre de contester sur ce motif la décision d’une A.E.S.

Le Conseil Ecofin a souhaité renforcer encore cette « sécurité » pour les Etats, en établissant le dispositif suivant, applicable pour les décisions prises en situation d’urgence et pour les décisions prises en cas d’échec d’une médiation :

a) Pour les décisions contraignantes prises en cas d’échec d’une médiation, un Etat qui considère qu’une telle décision empiète sur sa responsabilité budgétaire le fait savoir dans les deux semaines à l’Autorité concernée et à la Commission européenne, avec obligation pour cet Etat de motiver ce refus. La décision de l’Autorité est alors suspendue, et l’Autorité a un mois pour réexaminer sa décision. Si elle la maintient, l’affaire remonte devant le Conseil, qui décide à la majorité des suffrages exprimés si la décision de l’Autorité doit être maintenue. Si le Conseil vote contre, la décision de l’Autorité est annulée. Si le Conseil évoque l’affaire mais choisit de ne pas se prononcer, la décision est également annulée.

b) Pour une décision contraignante prise dans une situation d’urgence, une procédure du même type s’applique, mais avec des délais plus brefs : contestation par un Etat avec effet suspensif, et décision en appel du Conseil ; la différence par rapport à l’hypothèse précédente est qu’au Conseil c’est la décision d’annuler l’acte de l’Autorité qui est prise à la majorité simple. Si le Conseil choisit de ne pas se prononcer, la décision de l’Autorité prend effet. Toujours dans les situations d’urgence, une fois la décision validée tacitement ou explicitement par le Conseil, l’Etat insatisfait peut demander à ce que le Conseil se saisisse une deuxième fois de l’affaire, en motivant de nouveau sa requête. Le Conseil a alors un mois pour confirmer ou infirmer sa propre décision, toujours à la majorité simple.

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Il est regrettable que la recherche du compromis entre les Etats, rendue difficile par les réticences très fortes du Royaume-Uni notamment, ait conduit le Conseil à fixer, pour les trois Autorités, des règles de vote différentes selon les types de décision. Ceci rend leur processus de décision très complexe, mais tel était le prix à payer pour que l’unanimité soit atteinte au Conseil.

Il convient enfin de signaler la possibilité pour toute personne physique ou morale, y compris une autorité nationale de supervision, de faire appel contre toute décision d’une AES. La création d’une instance d’appel commune aux trois A.E.S est proposée, mais l’appel devant cette instance n’aura pas d’effet suspensif. En dernier recours, c’est la Cour de Justice qui aura à connaître des contestations des décisions de cette instance d’appel.

L’accord unanime obtenu lors du Conseil « Ecofin » va être validé par les chefs d’Etat et de gouvernement lors du Conseil européen des 10 et 11 décembre. L’accord politique entre les 27 Etats ne présume évidemment pas du résultat final des négociations entre le Conseil et le Parlement européen.

De son côté, le Parlement européen vient à peine de commencer à travailler sur ces textes, car la commission des affaires économiques et monétaires n’a désigné des rapporteurs qu’à la fin du mois d’octobre. Les premières réactions de membres du Parlement européen face aux résultats du Conseil « Ecofin » du 2 décembre sont clairement négatives : les quatre coordinateurs( 1) des groupes PPE, S&D, ADLE et Verts ont publié un communiqué de presse commun dénonçant l’accord intervenu entre les Etats membres, considérant que « les négociations au sein du Conseil « Ecofi »n sur la supervision microéconomique vont dans la mauvaise direction », et soulignant que « le Parlement européen, qui est co-législateur dans cette matière, jouera tout son rôle ».

Un équilibre devra être trouvé entre la nécessité de progresser véritablement par rapport à la situation antérieure, avec le souci de donner aux nouveaux organes des moyens d’être efficaces sous peine de revenir aux errements du passé, et la crainte des superviseurs nationaux et des Etats membres de transférer trop de pouvoirs à ces organes. Le Gouvernement français tient à préserver l’équilibre du texte résultant du Conseil « Ecofin » du 2 décembre. Les travaux du Parlement européen iront certainement dans le sens d’une plus grande intégration de la supervision au niveau européen.

VI. Une étape importante, mais qui appelle d’autres réformes

La mise en place d’un cadre européen de supervision, c’est-à-dire d’organes de supervision réunis en réseau, ne suffira pas. Il s’agit d’une étape importante, mais qui devra être complétée par d’autres dispositifs, au niveau national, au niveau européen et au niveau international.

Une amélioration de la supervision financière en Europe sera un réel progrès, mais une réforme qui se limiterait à l’Europe n’aurait guère de sens, et pourrait même avoir des effets contre-productifs si, dans le même temps, les grands partenaires de l’Europe ne mènent pas une réflexion en profondeur sur leur propre système national de supervision. Cette observation vise tout particulièrement les Etats-Unis, dont l’architecture de supervision est d’une extrême complexité et d’une efficacité contestable.

Le G20 a exprimé une volonté commune de rendre la supervision plus efficace (le G20 de Pittsburgh a approuvé le principe d’une surveillance multilatérale renforcée, chaque pays exerçant une pression sur ses pairs). Mais force est de constater que, pour l’instant, les Etats-Unis n’ont guère progressé dans ce domaine – même s’ils sont, en revanche, plus avancés que l’Europe sur certaines questions de régulation.

Le modèle américain de supervision repose sur une multiplicité d’acteurs, tant au niveau fédéral qu’au niveau des Etats fédérés. Pour les banques par exemple, la supervision peut relever de cinq agences fédérales différentes, souvent en complément des régulateurs des Etats. Pour les assurances, la compétence relève en principe des Etats fédérés, avec un système de coordination – dont l’efficacité est controversée – au niveau fédéral. L’organisation duale (fédéral/étatique) du système permet aux entreprises du secteur financier de « mettre en concurrence » les différents superviseurs pour obtenir des contraintes de surveillance les plus légères possibles.

La crise financière a démontré la nécessité d’une réforme, d’autant que de nombreux acteurs du système financier échappaient jusqu’à présent à toute supervision. L’administration Obama a présenté les grandes lignes d’une réforme en juin 2009, mais ces propositions sont encore loin de recueillir l’approbation du Congrès et des organes existants.

Les rapporteurs s’inquiètent par ailleurs du manque d’informations disponibles sur l’organisation et le fonctionnement de la supervision des activités financières en Chine, élément d’autant plus préoccupant que le poids économique, mais également les risques systémiques liés à la situation du système financier chinois, sont désormais considérables.

Parallèlement, comme le recommandait d’ailleurs le « rapport Larosière », chaque pays membre de l’Union européenne a tout intérêt à s’interroger sur l’efficacité de son propre système national de supervision des activités financières. La France le fait, puisque le Gouvernement prépare la fusion en une seule « Autorité de contrôle prudentiel » de quatre organes : l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM), la Commission bancaire, le Comité des entreprises d’assurance (CEA) et le Comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissement (CECEI). En Allemagne, les partis qui forment le nouveau gouvernement envisagent de transférer le contrôle du secteur bancaire, jusqu’ici partagé avec la « BaFin », à la seule Banque centrale.

Au-delà des questions d’organisation et d’« architecture », les chantiers concernant le contenu des règles à appliquer demeure, bien entendu, largement ouverts. De nombreuses réformes de la régulation financière sont annoncées par la Commission européenne, et nous ne manquerons pas d’y consacrer la suite de nos travaux au fur et à mesure que les initiatives législatives correspondantes seront présentées.

Dans l’attente de ces textes, il convient que notre commission se prononce sur l’architecture proposée pour la supervision financière, c’est-à-dire sur la création du « Comité européen du risque systémique » et des trois Autorités européennes sectorielles de supervision.

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L’exposé des co-rapporteurs a été suivi d’un débat.

« M. Jacques DESALLANGRE . La crise n’est certes pas née en Europe, cependant certains doivent y assumer une large part de responsabilité. Plutôt que de risques nouveaux, je préfère parler de risques cachés. Il ne faut pas se dissimuler derrière les mots : ce rapport est décevant. Ce n’est pas du fait de nos rapporteurs. Les difficultés pour établir un texte sont révélatrices d’une absence de volonté partagée de mettre en place un système capable de corriger les dérives qui sont la cause de la crise dont les plus humbles font aujourd’hui les frais.

Je m’abstiendrai sur la création du Comité européen du risque systémique (CERS) qui pourra certes, alerter ou recommander, mais n’aura pas aucun pouvoir de décision contraignant. La composition du Conseil d’administration est à cet égard très significative. Si l’on examine le droit de vote, on constate que les représentants des Etats membres n’auront pas le droit de vote alors que les gouverneurs des banques centrales pourront l’exercer. Or on a pu précédemment constater que ces personnalités n’ont rien vu venir de la crise : c’est demander aux incendiaires d’éteindre le feu ! Le seul pouvoir contraignant qu’aura cette institution sera de demander aux autorités nationales dont elle aura constaté qu’elle n’a pas fait son travail, de le faire ! Quelle pourra être la véritable contrainte sur les responsables des défaillances ?

En la matière, je constate que si l’on peut dire qu’il y a le début d’un progrès, il reste encore tout à faire. Dans ces conditions, si je ne voterai pas contre ces conclusions dans la mesure où je suis partisan d’une régulation financière, je m’abstiendrai.

M. Jérôme LAMBERT . Je ne peux que partager la volonté de mettre en place une régulation financière européenne mais je voudrais , en écho aux propos de M. Jacques DESALLANGRE , insister sur le fait que les désordres qui sont à l’origine de la crise actuelle sont en réalité des désordres sociaux. Pendant les dernières décennies commencées sous l’ère Reagan, se sont mises en place aux Etats-Unis des politiques économiques et sociales qui, au fil des années, ont abouti à un partage très inégal de l’enrichissement national, avec son corollaire, une incitation à s’endetter de plus en plus afin de compenser la perte de pouvoir d’achat. Cela a abouti à la constitution d’une bulle spéculative liée à l’endettement, créant ainsi les conditions d’une situation explosive. C’est pourquoi il faut, avant toute chose, s’attaquer aux causes des désordres sociaux – la mauvaise distribution des richesses- aux Etats –Unis et en Europe.

M. Marc DOLEZ . Je m’abstiendrai également sur les conclusions proposées par les rapporteurs.

Le Président Pierre LEQUILLER . Même si l’accord sur la supervision financière n’est pas entièrement satisfaisant et apparaît quelque peu complexe, il s’agit tout de même d’un progrès et est le fruit de négociations compliquées. En tout état de cause, la communication de notre Commission et les conclusions proposées ne sont qu’une étape et seront suivies d’autres travaux.

A l’issue de ce débat, la Commission a adopté les conclusions suivantes :

« La Commission,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la surveillance macroprudentielle du système financier et instituant un Comité européen du risque systémique (COM (2009) 499 final / E4777),

Vu la proposition de décision du Conseil confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques relatives au fonctionnement du Comité européen du risque systémique (COM (2009) 500 final / E4778),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une Autorité bancaire européenne (COM (2009)501 final / E4779) ;

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (COM (2009)502 final / E4780) ;

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une Autorité européenne des marchés financiers (COM (2009)503 final / E4781),

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant les directives 1998/26/CE, 2002/87/CE, 2003/6/CE, 2003/41/CE, 2003/71/CE, 2004/39/CE, 2004/109/CE, 2006/48/CE, 2006/49/CE et 2009/65/CE en ce qui concerne les compétences de l’Autorité bancaire européenne, l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles et l’Autorité européenne des marchés financiers (COM (2009)576 final/E 4904),

Considérant que la crise qui a commencé en 2007 a mis en lumière les insuffisances du système antérieur, liées notamment à l’absence de pouvoir de décision des comités consultatifs existants, et qu’il importe, compte tenu des risques considérables pour le système financier qui subsistent et qui peuvent survenir, de créer dans l’Union européenne un système coordonné de contrôle,

Approuve la création du Comité européen du risque systémique, qui permettra aux institutions européennes et aux Etats membres de disposer d’une vision globale des évolutions du système financier et ainsi de détecter les risques systémiques,

Approuve la transformation des trois comités sectoriels consultatifs existants en trois Autorités européennes de supervision, dotées de pouvoirs contraignants, afin de remédier à l’insuffisante coordination entre les superviseurs nationaux et aux divergences dans l’application des règles communautaires,

Appelle l’attention du Parlement européen et du Conseil sur la nécessité de parvenir rapidement à un accord qui permette l’instauration d’un dispositif de supervision et de régulation doté d’un pouvoir de décision s’exerçant sous le contrôle du pouvoir politique,

Souhaite que les efforts faits par l’Union européenne ne restent pas isolés et que ses principaux partenaires du G20 s’engagent également dans une démarche d’amélioration et de transparence concernant leur propre système national de supervision. »

(1) Respectivement, M. Jean-Paul Gauzès, M. Udo Bullman, Mme Sylvie Goulard et M. Sven Giegold ; communiqué de presse du 2 décembre 2009.