Accueil > Travaux en séance > Les comptes rendus > Les comptes rendus de la session > Compte rendu intégral |
SOMMAIRE
Présidence de Mme Danièle Hoffman-Rispal
1. Hauts revenus et solidarité
Amendement no 6
Présidence de Mme Danièle Hoffman-Rispal
2. Augmentation des salaires et protection des salariés et des chômeurs
M. Alain Vidalies, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi
Présidence de M. Marc Laffineur
3. Suppression du délit de solidarité
Présidence de Mme Danièle Hoffman-Rispal
M. Daniel Goldberg, rapporteur
Mme la présidente. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
Suite de la discussion d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues relative aux hauts revenus et à la solidarité (n° 1595).
Mme la présidente. J’appelle maintenant les articles de la proposition de loi.
Mme la présidente. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 1er.
La parole est à M. Patrick Roy.
M. Patrick Roy. À l’occasion de l’examen de l’article 1er, consacré au bouclier fiscal, je m’adresse au Gouvernement et en l’occurrence à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi.
Madame la ministre, on le clame dans l’hémicycle, on le clamera demain dans toutes les rues de France et certains de vos amis vous le disent, même si c’est plus timidement : il faut supprimer le bouclier fiscal. Tant que vous resterez sourde à cette demande, nous continuerons nos exhortations. C’est une faute que de ne pas entendre cette demande de justice, qui ne vise qu’à rétablir l’équité et l’égalité en France. Cette mesure tout à fait injuste socialement et fiscalement ne doit pas perdurer. Tant que vous ne l’entendrez pas, je le répète, nous continuerons à vous le dire aujourd’hui et dans les jours à venir.
Nous le disons également à votre collègue Éric Woerth dont on ne sait s’il joue un jeu de rôles ou s’il croit vraiment à ce qu’il dit – je ne sais pas ce qui est le plus drôle des deux ! – quand il rétorque : « Nous ne supprimerons pas le bouclier fiscal, car c’est une mesure de justice. » Les bras m’en tombent, ainsi que ceux de millions de Français ! J’assure, chaque vendredi, une permanence parlementaire et je répète à nos concitoyens votre réponse sur le bouclier fiscal. Au mieux, ils éclatent de rire, tant la farce est énorme, ou pis, leur colère gronde, car vous ne connaissez pas la misère dans laquelle vivent les Français. Plus le mensonge est gros, plus vous espérez le faire passer.
M. Jean-Marc Lefranc. Et c’est un expert qui parle !
M. Patrick Roy. Il faut supprimer le bouclier fiscal. D’autant que vous répétez à l’envi, madame la ministre, comme ce matin, qu’il s’agit d’une mesure de justice puisqu’elle s’adresse à des personnes aux revenus modestes. Lorsqu’on est membre du Gouvernement, on se doit de dire des propos proches de la réalité et non des mensonges aussi grossiers ! Vous dites que deux tiers des bénéficiaires du bouclier fiscal ont des revenus modestes. Venez chez moi, madame la ministre, et vous constaterez que telle n’est pas la réalité !
Comme me le dit souvent ma maman, le Gouvernement ment et il ment tout le temps ! (Sourires.) Il faut que vous cessiez de mentir. Cela a été démontré avec talent par Didier Migaud, Jérôme Cahuzac et, dans ses discours brillants, par Pierre-Alain Muet, lorsque vous affirmez que le bouclier fiscal permet de ne pas travailler plus d’un jour sur deux pour l’État, vous savez pertinemment que c’est faux, car on ne peut arriver au niveau du bouclier fiscal par son seul travail ! Enfin, lorsque vous expliquez que d’autres pays dans le monde ont appliqué ou appliquent le même bouclier, vous savez, là encore, que c’est faux, et cela a été excellemment démontré par notre collègue Migaud.
Madame la ministre, venez voir ce qui se passe dans ma circonscription et dans ma ville de Denain. Les gens auront beaucoup à vous dire et peut-être comprendrez-vous ce qu’est, à cause de vous, la réalité de la vie de millions de Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Massat.
Mme Frédérique Massat. Madame la ministre, plus vous vous entêtez à maintenir le bouclier fiscal, plus nous persistons à vouloir l’abroger, comme la majorité de nos concitoyens.
Interrogé à plusieurs reprises, M. le ministre du budget a osé brandir le concept de justice sociale et fiscale pour justifier l’existence de ce bouclier. On nous a inlassablement répété qu’un plafonnement de l’impôt était logique et que celui-ci était confiscatoire dès lors qu’il dépassait 50 % du revenu. La seule question est de savoir ce que l’on confisque, au juste, à cette pauvre victime fiscale : la rémunération méritée de son labeur pouvant dépasser annuellement plusieurs millions d’euros, même si sa gestion s’est avérée catastrophique, ou l’obscène augmentation de l’écart à l’intérieur de l’échelle des revenus, allant de 1 à 300 ?
De plus en plus de Français ont du mal à se nourrir quotidiennement, vivent dans la rue ou sont mal logés, ou encore se saignent aux quatre veines pour payer leur loyer et pour qui l’idée de vacances relève de l’utopie. Il y a 8 millions de pauvres en France. Mais, pour les aider, l’État n’a pas d’argent ! Pis, il les ponctionne avec les franchises médicales…
Comment, alors, justifier que le demi-milliard d’euros, remboursé avec zèle aux protégés du bouclier fiscal, ne soit pas plutôt affecté à ceux qui en ont vraiment besoin ? Au nom de quelle politique peut-on trouver normal que les inégalités se creusent toujours davantage entre ceux qui n’ont rien et ceux qui vivent comme des rois ? Au nom de quelle politique est-il légitime que certains gagnent en quelques mois des sommes qu’un smicard ne parviendra jamais à approcher durant sa vie entière, après s’être usé à travailler plus pour gagner plus ?
À l’argument qui dénonce le caractère confiscatoire de l’impôt, la réponse est simple : au lieu de regarder combien on prend, voyons combien il reste à chacun pour vivre et interrogez-vous sur le pire des maux : un impôt confiscatoire pour les plus fortunés ou une politique confiscatoire du minimum acceptable pour vivre décemment pour le plus grand nombre. Alors que nos concitoyens souffrent quotidiennement des effets de la crise, comment peut-on avoir l’indécence de parler de justice fiscale et sociale et, en même temps, s’entêter à maintenir un dispositif qui, en réalité, n’est qu’un cadeau fait par l’État aux plus riches ?
Madame la ministre, il n’est pas honteux de se tromper. Le bouclier fiscal était une erreur dès le départ. Depuis deux ans, nous n’avons eu de cesse d’en dénoncer les ressorts idéologiques. Mais, dans le contexte actuel, votre acharnement tourne au ridicule. Pourquoi continuez-vous à vous enfermer dans ce qui relève d’une posture caricaturale ? En cette veille de 1er mai, supprimer le bouclier fiscal serait perçu par nombre de nos concitoyens comme un geste fort.
Aujourd’hui, avec l’article 1er et, plus largement, avec cette proposition de loi, vous en avez l’occasion. Emparez-vous de cette formidable opportunité pour prouver aux Français votre capacité à revenir sur un dispositif indécent et injuste et redéfinir une véritable justice sociale en protégeant non les plus gros patrimoines, mais ceux de nos concitoyens qui en ont réellement besoin ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Liebgott.
M. Michel Liebgott. À la fin de la séance de ce matin, j’ai été particulièrement surpris par l’intervention de Mme la ministre, qui, en réponse à nos interventions répétitives, mais fondées, sur la nécessité de supprimer le bouclier fiscal, a fait allusion aux mesures annoncées en faveur des ménages les moins imposés, notamment ceux de la première tranche. Je suis consterné : comment peut-on comparer des gens qui peinent chaque jour pour gagner leur vie et sont inquiets pour l’avenir, compte tenu de la situation économique, et ceux qui baignent dans la luxure et dans les largesses qui leur sont accordées par le Gouvernement ?
M. Jean-Marc Lefranc. Vous voulez sans doute dire « dans le luxe » ?
M. Michel Liebgott. Le luxe et la luxure peuvent aller de pair, même si, en effet, certains se contentent du luxe !
M. Yves Censi. Peut-être vouliez-vous parler de « luxitude » ? (Sourires.)
M. Michel Liebgott. Je souhaite être ici le porte-parole non de ceux qui sont concernés par le bouclier fiscal, mais de ceux qui sont malheureusement touchés par la précarité. Je rappellerai quelques évidences.
D’abord, si plus de la moitié de la population paie l’impôt sur le revenu, ils ne sont tout de même que 53 %. Par conséquent, presque la moitié de nos concitoyens ne paient pas l’impôt sur le revenu. Nous parlons donc aujourd’hui d’une catégorie sociale très aisée et nous oublions ceux qui travaillent quotidiennement et sont obligés de payer un impôt, même minime, et ceux qui travaillent peu et ne paient pas l’impôt sur le revenu.
Dans le même registre, je rappelle que 90 % des Français, soit la majorité de ceux que nous côtoyons tous les jours, ont un revenu inférieur à 3 000 euros. On voit à quel point ce débat peut semble surréaliste aux Français, qui ne comprennent pas votre blocage, qu’il soit idéologique, de principe ou fondé sur d’autres raisons, alors que l’évidence et la logique voudraient que vous nous suiviez. Car que représente un milliard d’euros pour 150 000 personnes face à 90 % de Français qui gagnent moins de 3 000 euros et surtout face à 47 % de nos concitoyens qui ne paient même pas l’impôt sur le revenu ? Cela ne les exonère pas de payer les autres impôts, en particulier ceux des collectivités territoriales. Il s’agit là d’une injustice supplémentaire, car ils sont obligés de payer, alors que d’autres en sont exonérés par le bouclier fiscal, ce qui ajoute au scandale !
De cette présidence et de ce gouvernement, on retiendra, après le thatcherisme à une certaine époque et le bushisme, aujourd’hui dépassé – heureusement ! –, le sarkozysme, qui auront tous trois battu des records en matière de libéralisme, d’ultralibéralisme et d’aide apportée aux plus aisés. Nous serons bientôt isolés dans le monde. Certes, vous avez beau jeu de nous dire que, dans tel ou tel pays, les choses ne sont pas pires qu’en France. Le problème, c’est qu’en France, les choses empirent et que nous allons vers toujours plus de libéralisme et d’inégalité.
Or aujourd’hui, en Grande-Bretagne comme aux États-Unis, les gouvernants ont le sentiment qu’il faut aller vers un peu plus de régulation, de justice et de redistribution. Dans quelques années, nous serons peut-être à la hauteur de ce qu’ont fait dans leur pays Mme Thatcher ou M. Bush ces dernières années. Pourtant, ce qui marque aujourd’hui nos sociétés occidentales développées, c’est l’inégalité fondamentale entre le capital et le revenu tiré du travail, ce sont aussi les inégalités fondamentales entre pays développés et pays en voie de développement et le dumping social qui s’ensuit, c’est, enfin, la crise financière qui paraissait théorique, mais qui se traduit aujourd’hui par des licenciements massifs laissant des gens sur le bord de la route. Les rémunérations indécentes sont également l’apanage de ce système qui permet tout, ne restreint rien, sauf pour les plus défavorisés.
Pour conclure, j’estime – et nous sommes nombreux à partager ce sentiment – que cette situation est profondément injuste, car certains voudraient consommer mais ne le peuvent pas, alors que d’autres ne savent plus quoi consommer et placent, pas toujours opportunément d’ailleurs, leur argent. Enfin, même si cette appréciation semble moins objective, il y a une certaine forme d’amoralité à ne pas éliminer le bouclier fiscal. En cette période de crise, nous pourrions avoir une plus grande conscience de la pauvreté des uns et des excès des autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Lou Marcel.
Mme Marie-Lou Marcel. Madame la ministre, l’article 1er de notre proposition de loi tend à abroger le bouclier fiscal.
Le bouclier fiscal, disposition de la loi TEPA, est un sujet de crispation gouvernementale. À chaque question posée au ministre du budget sur l’inanité, l’inefficacité et, pour tout dire, l’indécence de ce dispositif, il nous est répondu que le Gouvernement ne touchera pas au bouclier fiscal.
Symbole de l’ère « sarkozyste », il en est aussi la réalité. Favoriser les contribuables les plus aisés et disposant des patrimoines les plus importants : voilà la vision de la société portée par le Président de la République et défendue par le Gouvernement.
Le bilan du bouclier fiscal pour l’année 2008 est, du reste, désormais parfaitement connu. Les chiffres, bien que prévisibles au vu de ce que la loi TEPA avançait, sont éloquents. Le coût budgétaire du bouclier fiscal, version 2008, s’élève à 458 millions d’euros et concerne 13 998 contribuables. La moyenne des restitutions est de 33 000 euros, mais recèle d’importantes disparités. Les 8 338 bénéficiaires du bouclier, qui ne sont pas imposables à l’impôt de solidarité sur la fortune, représentent 60 % des personnes concernées, mais ne se partagent que 1 % de la mesure ; 834 bénéficiaires disposant d’un patrimoine supérieur à 15 millions d’euros ont perçu, en moyenne, 368 000 euros. Entre ces deux extrêmes, la moyenne des remboursements croît au fur et à mesure que la valeur du patrimoine s’élève, ce qui montre clairement le lien structurel qui existe entre le bouclier et l’ISF.
Ces données réelles marquent une inflexion par rapport à celles qui figurent dans la loi TEPA, laquelle s’appuyait sur des bénéficiaires potentiels préalablement identifiés par les données fiscales. En volume, les contribuables non imposables à l’ISF, mis en avant par le Gouvernement dans sa communication en faveur du bouclier, représentaient 86 % des bénéficiaires potentiels, mais seulement 59 % des bénéficiaires réels. Les grands gagnants de ce dispositif sont ceux dont le patrimoine s’élève à plus de 15 millions d’euros.
Le débat sur le bouclier fiscal est vif parce qu’il pose la question de l’imposition du patrimoine et des revenus dans notre société. L’imposition du patrimoine a été très affaiblie par la loi TEPA, ce qui a un impact certain sur la hausse des inégalités.
La légitimité du bouclier fiscal est désormais profondément entamée et la question de son existence est posée. C’est donc bien le nécessaire rééquilibrage du système fiscal dans le sens d’une meilleure redistribution qui est en jeu.
Le mérite et la réussite si souvent invoqués n’entrent en rien dans ce débat, car la principale caractéristique de la rente est sa transmission de génération en génération.
Des voix, y compris au sein de la majorité, réclament, au nom de la décence la plus élémentaire, que soit mis fin à un dispositif dont le coût a doublé entre 2007 et 2008 et pour lequel, je le répète, 800 foyers ont reçu un chèque de 368 000 euros. C’est à comparer avec l’annonce faite à grand renfort de placards publicitaires par le Gouvernement de l’octroi de 200 euros aux bénéficiaires de minima sociaux.
Indécence dans le discours, indécence dans les pratiques : c’est pourquoi, madame la ministre, au nom du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, je vous demande d’abroger ce bouclier fiscal inefficace, injuste et contre-productif dans la situation de crise que nous connaissons. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Cahuzac.
M. Jérôme Cahuzac. Madame la ministre, en réponse aux intervenants dans la discussion générale, vous avez finalement confirmé ce que beaucoup supposaient : le débat sur le bouclier fiscal est, en réalité, celui de l’impôt sur la fortune.
La difficulté pour nous de débattre sereinement – ce qui ne signifie pas que nous ne nous opposerions pas – c’est que vous n’assumez pas votre souhait réel qui serait de supprimer l’impôt sur la fortune. Au demeurant, à l’été 2007, vous aviez l’opportunité et les moyens de supprimer cet impôt, mais vous n’avez pas osé. Faute de courage politique, vous avez contourné le problème. Vous avez, à cet effet, créé le bouclier fiscal avec tous les inconvénients de cette disposition sans aucun des supposés avantages – il peut y en avoir – de la suppression de l’impôt sur la fortune.
Nous ne parvenons pas à débattre, non que vous quittiez l’hémicycle – et tiens à vous remercier de votre présence tout comme je remercie nos collègues de l’UMP d’être là eux aussi – mais vous fuyez le débat en défendant le bouclier fiscal avec des arguments qui, en réalité, ne tiennent pas. Ceux-ci seraient, le cas échéant, recevables pour la suppression de l’ISF, mais ne le sont pas quand il s’agit de défendre le bouclier fiscal.
Vous citez des exemples étrangers. Il est vrai que l’Espagne avait instauré un bouclier fiscal qui est devenu inutile le jour de la suppression de l’impôt sur la fortune dans ce pays. Nous avions fait la même chose. Lors de la création de l’ISF, en 1986, la cotisation de l’impôt sur le revenu et de l’ISF a été plafonnée à 70 % puis à 80 % des revenus fiscaux de référence de l’année. Le déséquilibre fiscal relatif à l’ISF n’est d’ailleurs pas né le jour de sa création, mais en 1995, quand, à l’initiative d’Alain Juppé, la majorité de l’époque a « plafonné » ce plafonnement. Ce n’est pas en créant le bouclier fiscal que vous parviendrez à remédier à cet éventuel déséquilibre. Les exemples étrangers sont donc intéressants sauf qu’ils n’ont strictement rien à voir avec le bouclier fiscal. Citer l’Allemagne, madame la ministre, est d’autant moins acceptable que le président de la commission des finances lui-même vous a démontré que ce principe était loin d’être constitutionnel dans ce pays. En effet, un contribuable imposé à 57 % ayant fait un recours devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe s’est fait débouter et a donc été contraint d’acquitter des impôts à hauteur de 57 % de son revenu de référence de l’année. Cela prouve bien que, contrairement à vos affirmations, ce bouclier de 50 % n’a rigoureusement rien d’un principe constitutionnel en Allemagne.
Vous expliquez ensuite que le bouclier fiscal est défendable dans la mesure où les contribuables modestes en bénéficient. Ce n’est pas sérieux. En effet, la stricte honnêteté intellectuelle commande de préciser que, s’il est exact que les deux tiers de ceux qui actionnent le bouclier ont des revenus modestes, ils le font pour un total de moins de 5 millions d’euros quand le coût du bouclier pour le pays s’élève à 460 millions d’euros. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La vérité, madame la ministre, c’est que le bouclier fiscal a été créé pour un millier de contribuables, peut-être un peu plus, probablement moins, lesquels se font restituer aujourd’hui des sommes objectivement indécentes. Ainsi, 100 contribuables se font restituer 150 millions d’euros, contre 330 millions d’euros pour 800 contribuables. Ce n’est pas acceptable, madame la ministre. C’est parce que vous fuyez le débat sur l’ISF que vous êtes amenée à défendre une situation en réalité totalement indéfendable.
Peinant à démontrer que votre politique est juste par les exemples étrangers, peinant à démontrer qu’elle est juste au motif que tous seraient concernés, vous essayez de nous expliquer que la justice fiscale naîtra du plafonnement des niches. Comme votre collègue Éric Woerth, vous faites ici preuve d’approximation dans la recherche en paternité des niches fiscales. Madame la ministre, depuis 2003, c’est vous et vos amis qui avez créé plus d’une centaine de niches supplémentaires. En 2002, la dépense fiscale, au titre des niches fiscales, était de 50 milliards d’euros, elle atteint désormais 73 milliards d’euros. Cette augmentation de 50 %, c’est à vous et à vos amis que nous la devons ! La moindre des choses était effectivement de plafonner, à ceci près que le plafonnement permet une économie, s’agissant de la dépense fiscale, de 600 millions d’euros à comparer tout de même aux 23 milliards d’euros de dépenses supplémentaires annuels que vous avez consentis. Si c’est cela la justice fiscale, madame la ministre, alors nous n’en avons manifestement pas la même conception !
Un des derniers arguments revient à prouver que le bouclier fiscal évite tout prélèvement confiscatoire. Mais le président de la commission des finances l’a très bien expliqué, cela n’est rigoureusement inscrit dans aucun texte et dans aucune tradition. Dans les pays démocratiques où le parlement a toute légitimité pour lever l’impôt, les contribuables contribuent à raison de leurs moyens et non pas à raison de la moitié de leurs moyens. Telle est la vérité ! La progressivité de l’impôt sur le revenu a été sévèrement attaquée à des périodes politiquement diverses. C’est à cela que nous devons nous attacher, mes chers collègues.
Vous connaissez la solution, madame la ministre, mais je ne crois pas que ni vous ni d’autres, qui siègent sur ces bancs et que je sais intéressés par cette question, la mettrez en œuvre. L’État, par les temps qui courent, ne peut se permettre de se passer de 5 milliards de recettes. La solution, si vous aviez le courage politique de supprimer l’impôt sur la fortune, ce que je ne crois pas, serait alors d’augmenter la tranche marginale de l’impôt sur le revenu de probablement sept à dix points. L’opération serait neutre pour les recettes de l’État, mais il y aurait alors un transfert de charges entre les plus fortunés de nos concitoyens et ce que l’on appelle la classe moyenne moyenne ou moyenne supérieure. Mais cela, madame la ministre, vous n’aurez jamais le courage de le faire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marcel Rogemont.
M. Marcel Rogemont. Je ne trouve pas très correct de la part de la majorité de ne pas participer au débat (Protestations sur les bancs du groupe UMP) dès lorsqu’il revient à l’opposition d’en fixer les termes, conformément à notre futur règlement. Cela signifie-t-il que vous vous interrogiez sur l’utilité d’une opposition dans un régime démocratique ? Traiter ainsi l’opposition dans ce parlement revient à le dénaturer ! Il est vrai que, quand je parle de la majorité, je devrais citer une seule personne, puisque les uns et les autres êtes féaux du Président de la République. Il suffit qu’il donne un signe pour que vous vous taisiez immédiatement. Tant pis pour vous !
Je voudrais revenir, madame la ministre, sur vos propos tenus ce matin, lorsque vous avez parlé de 1989 et de l’économie administrée. En effet, notre proposition de loi s’intéresse non seulement au bouclier fiscal, mais aux hauts salaires. Un article du Monde daté d’aujourd’hui est ainsi intitulé : « La Commission européenne veut plafonner les parachutes dorés. » En fait, la Commission européenne demande aux vingt-sept pays de légiférer sur les parachutes, sur les bonus et sur les rémunérations excessives des dirigeants, notamment quand leur entreprise rencontre des difficultés. Pourquoi la Commission européenne, qui n’est pas le Soviet suprême, pose-t-elle cette question de la nécessité de légiférer ? C’est parce qu’il y a urgence, et pas seulement dans ce pays, à lutter contre l’accaparement des richesses par quelques-uns. Cet accaparement vaut pour l’ensemble de l’économie mondiale et aussi pour la France. En effet, le rapport de Pierre-Alain Muet précise qu’en dix ans, les 3 500 ménages les plus riches ont vu leur pouvoir d’achat augmenter de 42,6 %, sachant que chacun d’entre eux a des revenus de 1,5 million d’euros au moins, et que 90 % les moins riches – plus de trente et un million de ménages – ont vu, sur la même période, leur pouvoir d’achat augmenter de 4,6 %, leur revenu annuel s’élevant à environ 18 000 euros. Cet accaparement des richesses est intolérable dans notre société. C’est pourquoi le bouclier fiscal suscite une forte interrogation. Il protège en effet ceux-là mêmes qui s’accaparent les richesses. C’est un monde !
Il est faux d’affirmer que le bouclier fiscal est passé de 60 % à 50 %, parce que vous avez inclus entre-temps la CSG et le RDS. L’écart n’est pas de dix points entre le bouclier fiscal de 2007 et celui d’aujourd’hui. On peut penser que, si l’on ajoute la CSG et le RDS, les plus pauvres qui bénéficient du bouclier fiscal recevront de l’argent supplémentaire. Tel n’est pas le cas puisque le coût du bouclier fiscal, pour les 60 % des personnes concernées qui ne paient pas l’ISF, est passé de 9,6 millions à 4,84 millions d’euros entre 2007 et 2008.
Le fait que les cent contribuables ayant le plus bénéficié du bouclier fiscal se partagent 150 millions d’euros montre bien qu’un tel système est parfaitement injuste. Il y a un vrai problème.
Selon vous, c’est nécessaire pour éviter que certains quittent la France, mais, si le bouclier fiscal marchait aussi bien, Johnny Hallyday devrait pouvoir chanter avec Carla à l’Élysée. Ce n’est pas le cas. C’est donc bien une question purement idéologique et, surtout, cela ne correspond pas à la réalité.
La proposition de loi que soutiennent les socialistes pose la question de l’équité, de la morale et du respect, surtout des personnes qui travaillent, car n’oublions pas que s’accaparer la richesse, c’est ni plus ni moins s’accaparer le travail des femmes et des hommes qui travaillent chaque jour, parfois pour des salaires de misère. C’est parfaitement indécent et c’est contre une telle indécence que nous nous élevons.
Ne pas participer à ce débat, c’est inadmissible et, surtout, inconséquent. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Garot.
M. Guillaume Garot. Nous avons assisté ce matin à un grand numéro de contorsion tactique, d’hésitation devant la procédure à suivre de la part du groupe UMP. Ce n’est que le témoignage du malaise qui traverse la majorité et dont certains députés UMP se sont d’ailleurs fait l’écho récemment. Il y a cependant plus grave que ce malaise, il y a ce sentiment de désespérance qui est celui de très nombreux citoyens de notre pays.
De ce point de vue, c’est la crédibilité du Gouvernement qui est en jeu. Comment peut-on en effet être crédible quand on affirme qu’il faut maîtriser les déficits publics et que, dans le même temps, l’on se prive des recettes du bouclier fiscal ? Comment peut-on être crédible lorsque l’on demande aux classes populaires et aux classes moyennes de se serrer la ceinture et que l’on exonère de tout effort de solidarité supplémentaire les heureux bénéficiaires du bouclier fiscal ?
Cette politique du « deux poids deux mesures », les Français n’en veulent plus. Ils n’en peuvent plus et ils vous le diront d’ailleurs demain, très nombreux. Demain, c’est la fête du travail. Un grand nombre de salariés, de retraités, de citoyens s’exprimeront de façon très nette dans toutes les villes de France.
Madame la ministre, l’occasion vous est donnée de faire un geste fort pour redonner du sens au mot solidarité, pour remettre de la cohésion dans notre pays, pour réintroduire de la cohésion sociale dans votre politique qui en manque tant, car, nous le savons bien, il n’y a pas d’efficacité économique sans cohésion sociale. Soyez à la hauteur du défi qui est devant vous et abrogez avec nous le bouclier fiscal. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. À la demande du Gouvernement, le vote sur l’article 1er est réservé.
M. Roland Muzeau. Quel courage !
M. Marcel Rogemont. C’est une pantalonnade !
M. Christian Paul. L’UMP est en week-end !
Mme Marylise Lebranchu. Le week-end prolongé du 1er mai !
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Cahuzac, inscrit sur l’article 2.
M. Jérôme Cahuzac. L’article 2 est relatif à la rémunération des dirigeants. Je vous ai interrogée à ce sujet dans la discussion générale, madame la ministre. Je vous remercie de m’avoir répondu. Permettez-moi de vous faire remarquer que votre réponse fut incomplète.
Concernant Dexia, je vous ai signalé le cas de son directeur général, M. Axel Miller, et de son président, M. Pierre Richard, deux dirigeants manifestement fautifs de la quasi-faillite de cette banque, qui a amené l’État français à intervenir à hauteur de 3 milliards d’argent public pour recapitaliser et, c’est trop souvent oublié, de 7 milliards d’euros au titre d’une garantie de passif, Dexia ayant jugé bon de se séparer d’une filiale dont les actifs sont à ce point douteux que l’État français, c’est-à-dire les contribuables, doit les garantir à cette hauteur. Bref, l’intervention est en réalité de 10 milliards d’euros.
À chaque fois, madame la ministre, vous avez pris l’engagement formel devant la représentation nationale autant qu’en commission que ces dirigeants non seulement partiraient mais partiraient sans parachutes dorés ni avantages divers.
Nous avons appris récemment, d’ailleurs pas grâce à vous, que M. Axel Miller partait avec un parachute doré de 835 000 euros, ce qui ne me paraît pas être une punition exagérément sévère, et que M. Pierre Richard partait avec une retraite chapeau à vie de 600 000 euros, ce qui ne me paraît pas être davantage une sanction d’une sévérité exemplaire.
Vous aviez pris l’engagement qu’aucun des deux ne bénéficierait de tels avantages, il n’y a donc que deux solutions. Ou bien vous ignoriez que, juridiquement, vous n’auriez pas la possibilité d’imposer ces vues, et vos propos ont été non seulement inopportuns mais déplacés et déloyaux à notre égard, ou bien vous étiez sincère et vous n’avez pas réussi à faire prévaloir vos vues. Vous nous devez des explications.
Ces explications, vous avez commencé à les donner, mais elles ne sont pas satisfaisantes. Vous nous dites que l’État français est certes actionnaire mais à un niveau tel qu’il ne peut faire prévaloir ses vues. Il n’est pas actionnaire de la Société générale mais vous êtes parvenus à faire prévaloir celles de la représentation nationale, unanime d’ailleurs, obligeant les dirigeants qui s’étaient attribué des stock-options dans des conditions scandaleuses à y renoncer.
Il n’est donc pas nécessaire d’être présent au capital pour obtenir que les dirigeants se comportent de manière correcte. Vous avez renoncé à le faire pour deux dirigeants de Dexia. C’est en contradiction avec les engagements que vous aviez pris. Sachez que, désormais, sur ce sujet, votre crédibilité devant la représentation nationale ne peut être que très fortement entamée, d’autant que s’abriter derrière la faible participation de l’État dans le capital est une explication ou une excuse qui n’est pas recevable pour Suez-GDF ou EDF.
Madame la ministre, quelle a été la position des représentants de l’État au sein du conseil d’administration de Suez-GDF quand il s’est agi d’augmenter la rémunération de M. Mestrallet de 15 % et celle de M. Jean-François Cirelli de 183 % ? M. Cirelli était payé annuellement 400 000 euros. Il estimait que c’était insuffisant au regard de ses talents. Il a donc augmenté cette rémunération, pourtant forte, de 183 %. Pouvez-nous nous dire quelles instructions vous avez données aux représentants de l’État au conseil d’administration, pour quelles raisons vous leur avez demandé d’accepter ces hausses de rémunération, et nous expliquer ce qu’ont bien pu faire M. Mestrallet et M. Cirelli pour bénéficier de telles augmentations alors qu’ils refusent d’augmenter de 0,3 % la rémunération des agents de cette entreprise ? (« Très juste ! » sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Enfin, dernier exemple que je m’étais permis de citer et sur lequel vous n’avez pas répondu, celui de Valeo, entreprise du secteur automobile. Cette entreprise bénéficie directement ou indirectement de l’aide de l’État. Son principal dirigeant, M. Morin, a été licencié pour incompétence, une incompétence qui ne lui permet plus de continuer à exercer ses fonctions mais qui l’autorise néanmoins à bénéficier d’un parachute doré de 3,2 millions d’euros.
M. Patrick Roy. Scandaleux !
M. Jérôme Cahuzac. Le Président de la République et vous-même aviez indiqué que de tels golden parachutes pour des dirigeants se révélant incompétents, c’était fini. Nous constatons que cela continue. Ces dirigeants bafouent la parole des autorités politiques de ce pays et ridiculisent les assertions, les affirmations et, si j’ose dire, les tartarinades du Président de la République. Ce n’est pas acceptable, ne serait-ce qu’au nom du respect que l’on doit à nos institutions.
Quelle sera votre attitude concernant les dirigeants de Suez-GDF, concernant le président d’EDF, qui s’est augmenté de 8 %, concernant M. Morin, qui bénéficie d’un parachute doré alors même que son incompétence est patente, et, je reviens à Dexia, concernant M. Philippe Mariani,…
M. Michel Herbillon. C’est la chasse à l’homme à l’Assemblée nationale !
M. Marcel Rogemont. Ce n’est pas la chasse à l’homme, c’est la chasse aux gros salaires !
M. Jérôme Cahuzac. …dont la rémunération est en augmentation de 10 à 30 % selon les sources par rapport à celle de son prédécesseur ? Le représentant de l’État français a-t-il accepté une telle augmentation et, si oui, pour quelles raisons M. Mariani en bénéficie-t-il quelques semaines après son arrivée alors que sa rémunération était déjà de 850 000 euros ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Marcel Rogemont. Scandaleux !
Mme la présidente. La parole est à Mme Michèle Delaunay.
Mme Michèle Delaunay. Madame la ministre, je ne vais pas faire une intervention technique, je veux évoquer les principes et, en particulier, l’un d’entre eux qui est supposé animer, porter le quinquennat du Président de la République et ses engagements.
Je me souviens de votre première intervention dans cet hémicycle. J’en avais partagé pour partie les termes, en particulier sur la valeur du travail et la nécessité de la porter.
M. Michel Herbillon. Il faut rester sur le bon chemin !
Mme Michèle Delaunay. Fondamentalement, en effet, le travail est une valeur de gauche. Il a permis l’ascension des classes sociales, l’émancipation des femmes, et c’est en tout cas une valeur que nous portons. C’est la raison pour laquelle j’interviens sur cet article.
Pensez-vous que le travail puisse être davantage dévalorisé que lorsqu’un salarié regarde passer dans la cour un patron qui gagne mille fois plus que lui et qui lui fait un signe distant, si tant est qu’il le fasse ? Pensez-vous que l’on puisse alors avoir encore de la considération pour ce que l’on fait et donc pour soi-même ?
Je suis profondément persuadée que, lorsque vous avez pris la parole pour la première fois et présenté vos intentions, en l’occurrence la loi TEPA, vous étiez parfaitement sincère, comme le sont également de nombreuses personnalités des rangs de la droite qui, malheureusement, ne sont pas avec nous aujourd’hui pour débattre de cette question essentielle, de ce véritable moteur de notre société que sont le travail et sa juste rétribution.
C’est au nom de la valeur travail que nous vous demandons de prendre conscience de cette dévalorisation et de limiter l’écart possible entre le plus haut et le plus bas salaire.
On a beaucoup parlé de la responsabilité sociale des entreprises. Pour ma part, je proposerai volontiers que cet écart soit connu des citoyens et soit un critère de bonne gestion, un critère humain, humaniste en tout cas, de première qualité, incitant, quand il serait juste et raisonnable, à acheter les produits de l’entreprise concernée.
Voilà ce qui nous anime. Nous avons au fond le même moteur mais nous n’en faisons pas le même usage. Je suis sûre que les Français partagent notre point de vue. Le moment est venu de leur donner un signe que les efforts qui leur sont demandés dans la crise qu’ils traversent doivent être partagés avec une plus grande équité, pour une plus grande justice sociale. C’est l’une des motivations de la proposition de loi que nous vous proposons aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Garot.
M. Guillaume Garot. À la suite de ce que disait Jérôme Cahuzac tout à l’heure, je veux témoigner de la colère, de l’exaspération des salariés victimes de licenciements.
Je prendrai un exemple très précis, Valeo, à Laval.
M. Christian Paul. Et à Nevers !
M. Guillaume Garot. Et dans de nombreuses autres villes de France. Sept territoires sont aujourd’hui concernés.
Dans cette entreprise lavalloise, 25 % des effectifs seront supprimés à l’horizon d’une année si rien ne change d’ici là. Lorsque les salariés ont appris que M. Morin partait avec un parachute doré de plus de 3 millions d’euros, vous imaginez le sentiment de colère, d’exaspération et, évidemment, d’incompréhension.
Une nouvelle fois, madame la ministre, c’est la crédibilité du Gouvernement et du Président de la République qui est en jeu. Vous ne pouvez pas à la fois affirmer dans les médias, les journaux, les radios, les télés, qu’il faut encadrer les salaires et mettre fin à l’injustice et, lorsque l’on vous met au pied du mur et que l’on vous demande de prendre vos responsabilités, que l’on vous invite à passer à l’acte, vous dérober.
Madame la ministre, grandissez l’action du Gouvernement. Montrez que vous allez au bout des paroles que vous tenez un peu partout en France et, par un geste fort, votez le texte que nous vous proposons pour encadrer les hauts salaires indécents et, en tout cas, les parachutes dorés qui ne méritent pas d’être accordés à ceux qui n’obtiennent pas les résultats économiques qu’ils ont le devoir d’apporter à leur entreprise. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Lemorton.
Mme Catherine Lemorton. Madame la ministre, j’évoquerai un sujet qui n’est pas en rapport direct avec notre proposition de loi mais qui montre l’amoralité du système que vous louez et qu’entretient le Gouvernement par chacune des mesures qu’il prend.
Vous avez mis en place ce que vous appelez le crédit d’impôt recherche, censé dynamiser le secteur de la recherche privée. Vous avez ainsi créé une énième niche fiscale, donc un manque à gagner pour l’État. Or une fiscalité juste est l’un des seuls leviers qui ait été trouvé pour redistribuer la recherche, dès lors que l’on en a la volonté politique.
Je prendrai l’exemple d’une entreprise ayant bénéficié de ce crédit d’impôt recherche, en citant des chiffres, non sans honte, compte tenu de la politique salariale et sociale de cette entreprise. Il s’agit de la première firme pharmaceutique en France ; elle bénéficie et continuera dans les années à venir de bénéficier du crédit d’impôt recherche.
Cette entreprise a décidé de débarquer son directeur général parce qu’il avait commis des erreurs de stratégie industrielle. Dont acte. Ce directeur général est parti avec une année de rémunération globale de 2,7 millions d’euros, ainsi que 2,5 millions d’euros au nom de sa clause de non-concurrence, sans oublier le maintien d’un salaire de 600 000 euros par an pendant deux ans.
Le nouveau directeur général a été accueilli avec – notion nouvelle – un parachute de bienvenue. Il est rémunéré aujourd’hui entre 1,2 et 3,6 millions d’euros par an en fonction de ses performances. Outre son chèque de bienvenue de 2,2 millions d’euros, il a reçu 200 000 stock-options et 65 000 actions de performance.
M. Patrick Roy. C’est scandaleux !
Mme Catherine Lemorton. Pendant ce temps, la même firme licencie des centaines de visiteurs médicaux au nom d’un changement de stratégie industrielle.
Mme Chantal Robin-Rodrigo. Scandaleux !
Mme Catherine Lemorton. Je remercie le groupe GDR d’avoir déposé une proposition de résolution invitant à s’enquérir de ce qui se passe dans cette firme ; j’espère que ce texte sera un jour débattu dans l’hémicycle.
Au-delà même des dispositions précises de cette proposition de loi, sur lesquelles nous pourrions débattre si nos collègues de la majorité se décidaient à prendre la parole, au-delà des aides publiques dont il est question aujourd’hui et qui ont été octroyées au nom de la crise financière, vous voyez, madame la ministre, qu’il est possible d’élargir le débat, pour vous prouver encore une fois que le système que vous défendez est amoral, immoral. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. À la demande du Gouvernement, le vote sur l’article 2 est réservé.
Mme la présidente. Il en va de même pour l’article 3, sur lequel il n’y a pas d’orateur inscrit.
Nous en venons à des amendements portant articles additionnels après l’article 3.
Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 4.
La parole est à M. Jérôme Cahuzac.
M. Jérôme Cahuzac. J’ignore si Mme la ministre trouvera l’occasion au cours du déroulement de nos débats de répondre aux questions que je lui ai posées concernant les dirigeants dont j’ai cité les noms et les rémunérations. J’ai demandé au Gouvernement qu’il m’indique ce qu’avait été la position des représentants de l’État aux conseils d’administration de Suez-GDF et d’EDF. J’ai en outre demandé quels moyens la ministre et le Gouvernement comptaient mettre en œuvre pour que les dirigeants qui ont échoué ne partent plus avec des parachutes dorés, comme M. Morin avec ses 3,2 millions d’euros.
Je vous rappelle les propos du Président de la République. Ne prendre aucune disposition revient à ridiculiser les assurances qu’il a données. Quelle que soit la position politique que l’on a à l’égard de ses choix, il n’est pas bon que la plus haute autorité de l’État se voie ainsi ridiculisée et bafouée par des dirigeants qui font comme si le chef de l’État ne s’exprimait pas sur ces sujets.
Madame la ministre, je souhaite qu’au moment de donner votre avis sur l’amendement, vous répondiez à ces questions.
L’amendement n° 4 prévoit d’instaurer au sein du conseil d’administration un comité indépendant de rémunération. La raison en est simple : le capitalisme français a cette particularité que les conseils d’administration y sont composés des mêmes personnes. Il est donc difficile pour un administrateur de refuser une augmentation de rémunération au président d’un conseil d’administration, car ce dernier, en tant que membre d’un second conseil administration, aura à se prononcer à son tour sur les rémunérations du premier, qui se trouve être le président de cet autre conseil d’administration.
Madame la ministre, vous faites confiance à des gens qui abusent pourtant depuis des années de la confiance des pouvoirs publics. C’était peut-être judicieux un certain temps, mais persévérer, aujourd’hui, c’est faire preuve d’une naïveté coupable. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre-Alain Muet, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du plan. La commission a repoussé cet amendement, mais je tiens à expliquer pourquoi nous l’avons présenté.
Alors que les comités de rémunération étaient proposés dans le rapport Viénot, en 1995, la plupart des grandes entreprises n’en sont pas encore dotées aujourd’hui.
Nous savons que la dérive de la rémunération des dirigeants tient à deux choses : l’opacité des rémunérations et l’absence de contrôle. Cet amendement vise à résoudre le problème de l’opacité. Si nous ne légiférons pas sur le sujet, rien ne changera.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. Identique à celui de la commission.
Dans le système tel qu’il existe, les mécanismes de rémunération sont fixés par les organes sociaux appropriés, c’est-à-dire par le conseil d’administration, sur proposition. En outre, la mise en place de comités de rémunération n’aurait pas grand sens dans les petites et moyennes entreprises, c’est-à-dire l’essentiel des entreprises de notre pays. Quant aux grosses entreprises, la plupart, si vous prenez la peine de le vérifier, ont déjà un tel comité.
Je voudrais rappeler trois principes, sans céder à la provocation et en signalant l’ironie d’entendre M. Jérôme Cahuzac défendre la mise en œuvre de la politique du Président de la République.
M. Jérôme Cahuzac. Je vous interroge !
Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Je vais vous répondre. Vous prendrez ma réponse telle qu’elle est, et vous considérerez également que ma réputation est ce qu’elle est.
En ce qui concerne les entreprises privées, qu’elle qu’en soit la taille, dès lors qu’elles ne font pas appel à l’argent public, nous considérons qu’il appartient aux organes sociaux de fixer la rémunération des dirigeants.
Nous avons néanmoins – vous l’aurez sans doute noté – demandé aux associations qui représentent les employeurs, l’AFEP et le MEDEF, d’établir un code du gouvernement d’entreprise. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Vous pouvez considérer que cela ne sert à rien…
M. Jérôme Cahuzac. Cela ne marche pas !
Mme la présidente. Laissez Mme la ministre s’exprimer, s’il vous plaît !
Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Merci, madame la présidente.
Je vous signale tout de même que l’Autorité des marchés financiers a rendu en début d’année un premier rapport d’étape, après l’adoption de ce code. Il faudra voir à présent si celui-ci sera mis en œuvre. Un second rapport établi sous l’autorité de l’AMF sera rendu au mois de juillet.
Le code AFEP-MEDEF adopté à notre demande prévoit notamment l’interdiction du cumul entre contrat de travail et mandat social, le plafonnement des indemnités de départ et la détermination des bonus par référence à des indices particuliers de performance. Je vous rappelle également qu’il était prévu dans la loi TEPA que les indices de performance soient fixés par le conseil d’administration et appréciés par les assemblées générales.
Dans l’une des entreprises à laquelle vous avez fait référence – je ne céderai pas à la provocation en indiquant laquelle, ni le nom des personnes –, la proposition a été faite par le conseil d’administration ; il appartiendra à l’assemblée générale de statuer sur l’attribution ou non du bonus en question et des conditions de départ. Je peux vous assurer qu’à cette occasion, le FSI, émanation de l’État participant au capital de l’entreprise, votera contre l’attribution d’un tel bonus.
M. Daniel Vaillant. Est-ce que la rémunération vous choque ?
Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. En ce qui concerne les entreprises privées qui ont été obligées de faire appel à des fonds publics, en particulier dans les secteurs bancaire et automobile, nous avons prévu trois mécanismes successifs : les engagements, pris en particulier par les banques, de respecter l’ensemble du dispositif AFEP-MEDEF ; le décret du 30 mars, que j’ai évoqué tout à l’heure ; enfin, le décret d’application du 20 avril, pris le jour de la publication de la loi de finances rectificative, et prévoyant notamment l’interdiction des stock-options et de l’attribution d’actions gratuites.
Enfin, il y a les entreprises publiques et semi-publiques, dont certaines sont cotées en Bourse. Qu’elles soient dans un secteur exposé ou non, deux de celles que vous avez mentionnées représentent la deuxième et la troisième capitalisations boursières. Leurs dirigeants, à l’exclusion de celui qui venait directement du secteur privé, se trouvent l’un comme l’autre dans le dernier quart de la moyenne des rémunérations des dirigeants du CAC 40.
Que vous trouviez ces rémunérations excessives, c’est une chose…
M. Daniel Vaillant. Et vous, qu’en pensez-vous ?
Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. J’observe cependant que les dirigeants de ces deux entreprises, qui ont les meilleures capitalisations boursières, qui font des bénéfices et ne licencient pas, sont dans le dernier quart des rémunérations des dirigeants. Ces entreprises ont une taille mondiale : elles réalisent à peu près 20 % de leur activité en France et 80 % à l’étranger. C’est un marché en soi. Si l’on veut s’amuser à changer ce marché, il faut le changer dans le monde entier, parce que ces gens sont en concurrence les uns avec les autres sur un marché mondial. Nous avons aussi intérêt à avoir de bons dirigeants pour nos entreprises, dès lors qu’elles opèrent selon ces modalités et avec cette taille.
M. Alain Néri. La France d’en haut et la France d’en bas !
Mme la présidente. La parole est à M. François Hollande.
M. François Hollande. Je souhaite poser une question simple à Mme la ministre.
La fourniture d’électricité en France a été assurée avec sécurité et qualité pendant des années, sous la direction d’un président dont la rémunération était fixée par les pouvoirs publics. Que s’est-il passé, dans le monde et en France, pour qu’à un moment, avec votre autorisation, le président d’EDF ait pu obtenir une augmentation de rémunération ?
Est-ce parce que la fourniture d’électricité a été rendue plus difficile ? Si c’est le cas, il faudrait améliorer la condition de tous les agents d’EDF.
Est-ce que la fonction même de président appelait subitement une technicité particulière ? Dans ce cas, il eût sans doute fallu changer de président, car il n’avait pas jusque-là cette technicité.
Est-ce que le président actuel d’EDF serait convoité par une autre entreprise mondiale d’électricité…
M. Jérôme Cahuzac. Cela nous étonnerait !
M. François Hollande. …et que, comme dans certains autres marchés, y compris sportifs, il y aurait un risque qu’il quitte le territoire ? Je ne le crois pas.
Ce qui a changé, c’est que le statut d’EDF a été modifié par l’introduction d’une part de capital privé dans cette grande entreprise. Excipant de cette nouvelle situation, le président d’EDF a pu demander une augmentation de rémunération. La modification du statut de cette grande entreprise a-t-elle eu pour unique but d’augmenter le salaire de son premier dirigeant ? Si tel était le cas, nous serions, les uns et les autres, interpellés.
Madame la ministre, je vous pose donc la question : qu’est-ce qui a pu justifier l’augmentation de salaire du président d’EDF ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Cahuzac.
M. Jérôme Cahuzac. Je vous interpelle à nouveau, madame Lagarde. L’État est actionnaire, à hauteur de 30 %, de l’entreprise Suez-GDF. Il est donc présent dans le conseil d’administration. Je vous demande d’indiquer à la représentation nationale ce qu’a été la position des représentants de l’État lorsqu’il s’est agi de voter l’augmentation de la rémunération de M. Mestrallet de 15 % et celle de M. Cirelli de 183 % .
M. François Hollande. Ouille !
M. Jérôme Cahuzac. Faire référence à votre élégance, à laquelle tout le monde est prêt à rendre hommage – moi le premier –, ne pourrait suffire comme réponse devant la représentation nationale. Vous nous devez une réponse. L’État, ce n’est pas que vous, il ne peut se résumer à votre élégance ; l’État concerne toute la représentation nationale : nous attendons la réponse. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Je ne me dérobe absolument pas au débat, monsieur Cahuzac.
Tout d’abord, je vous indique que si on vérifie les chiffres dans le rapport de la société que vous évoquez – ce vous avez fait sans aucun doute –, la première augmentation de rémunération que vous mentionnez n’est pas de 15 %, mais de 8 %.
Par ailleurs, je vous rappelle qu’il s’agit de plans de rémunérations…
M. Jérôme Cahuzac. Confirmez-vous les 183 % ?
Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Permettez-moi de terminer mon propos. La décision concernant ces rémunérations date d’environ un an, dans le cadre du plan de fusion entre les deux sociétés.
M. Jérôme Cahuzac. Pas il y a un an !
Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Si, monsieur Cahuzac, la décision a été prise à cette époque, même si ses implications ont par définition été postérieures. Elle a eu en particulier pour mérite d’harmoniser quelque peu la rémunération de l’un des deux dirigeants avec celle de l’autre, qui était la plus basse de toutes les rémunérations des dirigeants de sociétés du CAC 40. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Mme Marylise Lebranchu. Le pauvre !
Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Si vous vérifiez, vous verrez que je dis vrai, mesdames, messieurs les députés du groupe SRC. (Mêmes mouvements.)
M. Jérôme Cahuzac. Mais quelle a été la position de l’État, madame la ministre ?
Mme la présidente. Le vote sur l’amendement n° 4 est réservé. (« La réponse ! La réponse ! » sur les bancs du groupe SRC.)
M. François Hollande. Elle n’a pas répondu à la question, madame la présidente !
Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 5.
La parole est à M. Jérôme Cahuzac.
M. Jérôme Cahuzac. La défense de cet amendement m’offre l’occasion de redemander à Mme Lagarde si les représentants de l’État, donc avec son accord, ont accepté l’augmentation de 183 % de la rémunération de M. Cirelli.
Votre argumentation, madame la ministre, qui consiste à justifier une telle augmentation par le rapprochement des rémunérations de M. Mestrallet et de M. Cirelli laisse pantois ! Point n’est besoin d’être scientifique pour savoir que pour réduire la différence entre deux grandeurs différentes, on peut accroître la plus petite ou rapetisser la plus grande. Je m’étonne qu’il ne vous soit jamais venu à l’esprit que la rémunération de 3,2 millions annuels reçue par M. Mestrallet aurait pu souffrir une réduction de façon à se rapprocher de celle de M. Cirelli, dont je rappelle à mes collègues qu’elle était, avant la hausse décidée par le conseil d’administration en 2008, de 400 000 euros. Madame Lagarde, vous semblez estimer que 400 000 euros annuels, c’est dérisoire quand on est patron. Je trouve cette appréciation symptomatique de l’attitude de certains ministres à l’égard d’une classe de dirigeants qui, manifestement, ne vivent pas dans le même monde que nous. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Bernard Derosier. On attend toujours la réponse de Mme la ministre !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. La majorité de la commission a rejeté cet amendement.
Néanmoins, je tiens à dire que si on veut vraiment remettre de l’ordre, de la cohérence et de la justice dans les rémunérations, il faudrait, quand les pouvoirs publics aident financièrement une entreprise, plafonner les rémunérations les plus élevées par rapport aux rémunérations les plus basses en fixant un ratio de un à vingt-cinq – ce que nous proposons à l’article 2. De plus, il faudrait enjoindre aux actionnaires d’assumer leur fonction de contrôle – ce qu’ils ne font pas à l’heure actuelle – afin que cette pratique se diffuse dans les autres entreprises. L’assemblée générale des actionnaires voterait un rapport qui fixerait le ratio entre la plus haute et la plus basse rémunération. Ce rapport serait proposé par le conseil d’administration, validé par l’assemblée des actionnaires et visé par le comité d’entreprise. Ce serait la seule façon de parvenir à changer les règles et d’insuffler dans le dispositif à la fois de la justice et de la cohérence. On sait bien que si on insuffle de la justice et de la cohérence, on insuffle aussi, madame la ministre, de l’efficacité économique. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Avis défavorable. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Bernard Derosier. Et la réponse ?
Un député du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Courage, fuyons, madame la ministre !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Gaubert.
M. Jean Gaubert. Je veux réagir à la réponse qu’a faite Mme la ministre concernant la rémunération du numéro 2 de Suez-Gaz de France. Sa réponse me rappelle un débat que nous avons eu dans cet hémicycle, il y a deux ans et demi, au mois de septembre 2006, à propos de la fusion entre Gaz de France et Suez. Certains d’entre nous se sont demandé si M. Cirelli n’était pas personnellement intéressé à l’évolution du statut qu’il réclamait pour Gaz de France. Madame la ministre, nous avons maintenant la réponse : en droit, ce n’est pas une prise illégale d’intérêt, mais, moralement, c’en est bien une. (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Bapt.
M. Gérard Bapt. Je regrette l’avis défavorable du Gouvernement. Madame la ministre, vous eussiez donné un avis favorable que cela nous aurait évité de vous harceler pour obtenir une réponse à une question aussi simple, que je vous rappelle : quel a été l’avis de l’État concernant la décision d’augmenter de 183 % la rémunération de M. Cirelli ? C’est une question factuelle, qui renvoie à un fait qui a déjà eu lieu, vous devriez donc pouvoir y répondre. L’État a pris une position. Laquelle ? Nous ne vous harcèlerions pas ainsi si vous aviez accepté l’amendement n° 5, qui vise à rendre transparentes les rémunérations des dirigeants des sociétés recapitalisées par l’État. Adopter une telle transparence vous eût évité, madame la ministre, d’être en si mauvaise posture face à cette question renouvelée. Je comprends qu’elle soit embarrassante puisque vous-même, en votre for intérieur, condamnez ce type de comportement lorsque vous vous exprimez sur la crise actuelle du capitalisme financier, crise dont souffrent tant de travailleurs et tant de retraités.
(M. Alain Néri remplace Mme Danièle Hoffman-Rispal au fauteuil de la présidence.)
M. Gérard Bapt. Après ce regret, je vais vous poser une question. Une information parue dans la presse, ce matin, nous a beaucoup étonnés : une grande évolution vient de se produire au sein du Gouvernement à propos de la réforme de l’hôpital puisque vous retarderiez à 2018 la convergence entre les tarifs du public et ceux du privé hospitalier. Pourtant, je me rappelle que lors de la discussion du PLFSS de 2007, vous aviez raccourci les délais en la matière. Confirmez-vous cette nouvelle information, madame la ministre ? Devrons-nous en tirer, une fois de plus, la conclusion qu’il n’y a que la rue qui puisse obtenir satisfaction du Gouvernement ?
M. le président. Le vote sur l’amendement n° 5 est réservé.
M. Bernard Derosier. Mme la ministre ne répond à rien ! Le Gouvernement est absent !
M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 6.
La parole est à M. Michel Sapin.
M. Michel Sapin. Madame la ministre, comme nous le disions ce matin dans la discussion générale, notre proposition de loi a pour objet de limiter les abus actuels, qui sont considérables, dans les modalités de rémunération ou d’indemnisation de départ de certains patrons.
Nos amendements ont pour objet de mettre en place un système durable, un système qui vaille hors la crise qui, aujourd’hui, nous frappe. En effet, il nous paraît nécessaire non pas seulement de légiférer pour le temps de crise, mais aussi pour la période de l’après-crise afin de mettre fin à plusieurs dérèglements, tout particulièrement dans les modalités de rémunération d’un certain nombre de dirigeants français qui sont, pour partie, à l’origine des dérèglements financiers, économiques et sociaux d’aujourd’hui.
L’amendement n° 6 vise à encadrer définitivement les golden parachutes. Il n’est nul besoin de revenir sur les abus considérables qu’ils ont suscités quant à leur attribution et leur montant, abus dont l’existence est reconnue par beaucoup, parfois par vous-même. Notre objectif n’est pas de supprimer toute possibilité d’indemnisation de départ. Il n’y a pas de raison de maltraiter plus un patron qu’un salarié qui a droit à une indemnité de licenciement, mais il convient de limiter le niveau des golden parachutes. L’amendement propose donc que l’indemnité totale de départ ne puisse être supérieure à deux fois la plus haute indemnité de départ en cas de licenciement d’un salarié prévue par l’accord d’entreprise, ou à défaut l’accord de branche, ou à défaut par la loi. Il ne s’agit pas de déterminer le montant de cette indemnisation avec des chiffres définitifs, mais de faire en sorte qu’il y ait de la transparence dans l’entreprise et une cohérence entre ce que peut percevoir un salarié normal et ce que perçoit le patron lui-même en cas de licenciement. Cela me paraît de bon sens. Je suis persuadé qu’un tel raisonnement peut rencontrer l’adhésion de nos collègues sur les bancs de droite. Si nous pouvions voter aujourd’hui sur cet amendement, une majorité des députés présents s’exprimerait en sa faveur.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. La majorité de la commission a voté contre. Pourtant, comme vient de l’expliquer très bien M. Sapin, cet amendement vise à insuffler de la cohérence, de la justice et du bon sens dans la relation entre les indemnités de départ des dirigeants et celles des salariés. Notre collègue Guillaume Garot a évoqué la situation de l’entreprise Valeo, située dans sa circonscription : le parachute doré de son dirigeant atteint 3,2 millions. Nous avons, en outre, tous en tête le parachute doré de 13 millions d’euros d’Antoine Zacharias. Vous avez tort, mes chers collègues de la majorité, de ne pas voter les amendements que nous proposons, car ils visent tous à réinstaurer de la cohérence et de la justice. Et notre pays en a besoin en ces temps de crise. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Pierre Cardo. Ça s’appelle de l’autosatisfaction, monsieur le rapporteur !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Le Gouvernement émet un avis défavorable. Il rappelle à M. Sapin que nous avons déjà un système qui encadre considérablement les parachutes dorés, et c’est une bonne chose.
M. Pierre Cardo. Oui !
Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Tout d’abord, le dispositif, prévu par la loi TEPA, dispose qu’en cas de non-performance ou d’échec du dirigeant, il n’y a pas de parachute doré. C’est un principe général instauré par la loi TEPA.
M. Pierre Cardo. Les socialistes auraient dû la voter ! (Sourires.)
Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Ensuite, il y a le code AFEP-MEDEF, que j’ai évoqué tout à l’heure : il prévoit de plafonner le parachute doré éventuel à deux ans de rémunération annuelle, quelles que soient les circonstances et même en cas de bonnes performances du dirigeant.
J’ajoute que pour les entreprises qui bénéficient d’un soutien public et qui procèdent à des licenciements d’ampleur ou qui recourent à du chômage partiel important, il y a un encadrement des indemnités de départ en vertu des dispositions législatives qui ont été votées et que nous avons mises en application.
Je crois donc que nous disposons déjà d’un mécanisme qui encadre considérablement les parachutes dorés.
M. Pierre Cardo. Il serait temps que les socialistes se le rappellent !
Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Il est vrai, monsieur Cardo, que la gauche n’a pas voté ce dispositif d’encadrement.
M. le président. La parole est à M. Michel Sapin.
M. Michel Sapin. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse détaillée. Mais est-ce que ce mécanisme fonctionne ? Jour après jour, les événements démontrent que ce que vous venez de décrire ne marche pas. Je n’ai pas vu que le mécanisme censé avoir été adopté dans la loi TEPA ait empêché ceux que nous avons cités de toucher leur parachute doré : ils sont partis avec.
M. Pierre Cardo. Pas tous !
M. Michel Sapin. Le système auquel vous faites de nouveau allusion, ce code – dont je ne sais pas s’il doit être qualifié de moral – établi au sein du MEDEF ou du patronat, est un mécanisme qui fonctionne dans certains pays mais pas chez nous. La meilleure preuve en est que la présidente du MEDEF est la première à dire que ce n’est pas son boulot, qu’elle n’est pas là pour cela, qu’elle s’en remet à d’autres. Elle a même du mal à trouver les sages et, quand elle en trouve, quelqu’un de toujours plus sage – je pense à telle ou telle personnalité – considère que ces gens-là ne le sont pas suffisamment.
Bref, en France, nous n’avons pas un patronat capable d’assumer et de faire respecter une responsabilité dans ce domaine-là. On peut le regretter, mais c’est le cas.
(Mme Danièle Hoffman-Rispal remplace M. Alain Néri au fauteuil de la présidence.)
M. Michel Sapin. Enfin, vous nous décrivez le dispositif que vous avez mis en place avec ce fameux décret qui encadre les parachutes dorés pour les entreprises bénéficiant d’aides de l’État. Voilà bien toute la différence, madame la ministre : avec ces amendements, nous ne raisonnons pas sur l’instant présent, celui de la crise, celui où les entreprises sont aidées par l’État. Il faut déjà régler cette question ; vous la réglez mal et nous vous proposons de le faire beaucoup mieux grâce à ces articles que, je l’espère, l’Assemblée votera mardi prochain.
Mais avec cette proposition de loi, nous nous intéressons à l’avenir, à la création d’un dispositif durable. Je le répète : si nous ne mettons pas en place dès à présent des mécanismes correctifs de ce qui a provoqué cette forme terrible de désordre financier et moral à l’origine de la crise, alors nous sortirons probablement très meurtris de cette crise avant d’en affronter une autre très rapidement. C’est maintenant qu’il fait mettre au point des dispositifs pérennes de moralisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. Le vote sur l’amendement n° 6 est réservé.
Je suis saisie d’un amendement n° 7.
La parole est à M. Michel Sapin.
M. Michel Sapin. Après les parachutes dorés, nous abordons un autre sujet qui défraie la chronique et effraie nos concitoyens : les retraites chapeaux.
Un patron, surtout s’il a bien fait son travail – ce qui n’est pas toujours le cas, en particulier actuellement – a droit à une retraite. Nous pouvons aussi comprendre que les modes de rémunération des patrons n’aboutissent pas forcément à ce que leur retraite future soit gagée sur ce qu’ils gagnent dans l’instant. Nous proposons donc l’instauration d’un mécanisme dérogatoire qui permette de calculer le niveau de la retraite d’un dirigeant d’entreprise rémunéré dans les conditions que nous savons.
Mais ces retraites chapeaux, c’est du n’importe quoi ! Nous l’avons encore constaté hier : tel patron qui se sent dans l’obligation de démissionner part sans rien, dit-on, mais avec une retraite de bon niveau. Tel autre qui, à l’évidence, n’a pas réussi dans l’administration de son entreprise peut quand même bénéficier d’une de ces fameuses retraites chapeaux dans des proportions absolument considérables.
Avec cet amendement, nous légiférons encore pour l’avenir, pour qu’il y ait un système plus moral, durable, évitant les dérèglements qui sont en partie à l’origine de la crise actuelle. Nous proposons un encadrement, mais dans des conditions tout à fait raisonnables, du niveau de ces retraites chapeaux.
Là encore, c’est du bon sens ! Je vois M. Méhaignerie qui s’est exprimé sur ces sujets à l’extérieur. Notre amendement n’est pas tatillon ou administratif ; il ne fixe pas des niveaux de rémunérations nominales aux uns et aux autres, mais laisse une marge d’appréciation, en particulier aux conseils d’administration. Si vous étiez libres de votre vote, et non pas obligés de répondre aux ordres de l’Élysée comme c’est le cas depuis quelques jours, je suis persuadé que nous pourrions nous retrouver sur des amendements de cette nature. Reprenez votre liberté et votez notre amendement !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. La majorité de la commission a voté contre,…
M. Gérard Bapt. Hélas !
M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. …mais ramener les retraites chapeaux à des montants raisonnables, c’est aussi permettre à des sociétés d’être efficaces. Quand on sait que la Société générale a provisionné trente-trois millions d’euros pour six retraites chapeaux, que la BNP a provisionné environ le même montant pour quatre retraites chapeaux de ses dirigeants, on se dit que notre économie marche sur la tête. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)
M. Pierre Cardo. Sur le chapeau ! (Sourires)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement ?
Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Avis défavorable. Votre amendement, monsieur Sapin, viserait à établir par la loi un plafonnement de la retraite chapeau à 30 % de la rémunération du dirigeant ou du salarié, car il ne faut pas oublier que cette mesure n’est pas réservée à ceux que vous appelez parfois les grands patrons mais s’applique aussi de manière très large, jusqu’à l’ensemble des salariés, dans certaines entreprises.
M. Gérard Bapt. Pour des raisons fiscales !
Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Sans aborder le fond du débat, sur le plan du principe, la fixation d’un régime de retraite et son plafonnement ne relève pas de la loi, mais de la relation entre un conseil d’administration, les organes de direction et l’entreprise et ses bénéficiaires éventuellement, quel que soit leur nombre.
En revanche, et nous pourrons certainement évoquer ces questions en temps utile, cela relève du domaine de la fiscalité : si tel ou tel dispositif présente des caractères manifestement abusifs, c’est par le biais de la fiscalité que certaines mesures – que vous et moi appellerons de justice fiscale – peuvent intervenir. Il s’agit d’un autre débat.
Mme la présidente. La parole est à M. François Hollande.
M. François Hollande. Madame la ministre, je veux justement m’inscrire dans la logique que vous venez de tracer. D’abord, je fais observer que l’existence de régimes particuliers de retraite est exceptionnelle en entreprise. Cela ne concerne que quelques dirigeants, à un moment de la vie d’une entreprise. Oublions cela.
Le problème de retraites chapeaux considérées comme excessives doit être réglée par la fiscalité, dites-vous. Prenons un contribuable déjà placé sous le régime du bouclier fiscal, en raison des revenus élevés perçus pendant son activité, et de l’important patrimoine qu’il a constitué. Au terme de sa vie professionnelle, il est gratifié d’une retraire chapeau exceptionnelle, du niveau de celles évoquées par Michel Sapin. Comment alors régler la question par la fiscalité comme vous le recommandez ? Précisément, ce contribuable-là aura une retraire chapeau non seulement exorbitante du droit commun et excessive par son montant, mais aussi exonérée de toute contribution fiscale, puisque son bénéficiaire est déjà protégé par le bouclier fiscal. Répondez au moins sur ce point ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme Laurence Dumont. C’est scandaleux !
Mme la présidente. La parole est à M. Marcel Rogemont.
M. Marcel Rogemont. Je ne peux pas laisser passer la discussion sur cet amendement sans relever les raisons du dispositif proposé : d’abord les salaires extrêmement élevés et les options destinées à compléter largement les rémunérations.
On nous explique : voilà des gens qui ont gagné beaucoup d’argent au cours de leur vie professionnelle, alors on doit leur garantir d’en gagner encore beaucoup quand ils l’auront quittée. C’est cela, une retraite chapeau !
C’est tout de même un peu particulier. On finit par se demander si les dirigeants qui, en définitive, n’ont pas mis un centime dans l’entreprise, ne sont pas des prédateurs. À ce niveau de rémunérations et d’avantages qu’ils s’octroient à eux-mêmes, on peut se poser la question.
Tout le monde a son chapeau dans la loi, me rétorquera-t-on : il existe aussi un RSA chapeau sur le RSA socle, ce qui prouve que le Gouvernement a installé une justice, au moins dans le vocabulaire. Chacun a son chapeau : les retraites chapeaux représentant des dizaines de millions d’euros ; le RSA chapeau qui se compte en quelques euros par mois.
M. Pierre Cardo. Quelle comparaison ! Il ne faut pas exagérer !
M. Marcel Rogemont. Je reconnais que ce rapprochement est un peu excessif. Il n’en demeure pas moins que la richesse créée par l’entreprise est le fruit du travail des personnes qui y travaillent, et que sa répartition n’est pas anodine. Je constate simplement qu’il existe de tous petits chapeaux pour les gens qui sont au RSA, et de très gros chapeaux pour ceux qui s’en mettent plein les poches ! (« Des sombreros ! » sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. Le vote sur l’amendement n° 7 est réservé.
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. La ministre n’a pas répondu !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.
M. Jean-Marc Ayrault. Madame la ministre, vous êtes interpellée dans le cadre du règlement de notre assemblée. Nous attendons donc votre réponse à la question précise posée par M. Hollande. Nous sommes au cœur du débat. Il a donné une argumentation différente de la vôtre, en faisant une démonstration implacable. Si vous ne répondez pas, cela signifie qu’il a entièrement raison.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. J’ai plaisir à répondre à M. le député Hollande, mais j’aime mieux le faire avec des arguments techniques fondés sur des recherches sérieuses. Sans préjuger de ce que serait un examen précis et chiffré, je vous répondrai sur deux points.
D’abord, je ne pense pas qu’il soit exact de dire que les retraites chapeaux sont affectées uniquement à quelques individus, ici ou là, pendant leur carrière. Les cabinets spécialisés en retraites complémentaires pourront vous le confirmer très facilement : des bandeaux entiers de retraites chapeaux s’appliquent en général à la frange supérieure des salariés, en termes de rémunérations, mais il ne s’agit pas systématiquement de bénéficiaires individuels. Si l’on touche aux retraites chapeaux ou si l’on essaie de les taxer à tel ou tel taux, cela ne s’applique pas seulement à quelques dirigeants.
Deuxième observation : si j’ai bien compris, vous expliquez que la retraite chapeau qui représente un caractère exceptionnel échappe à l’impôt sur le revenu en vertu du bouclier fiscal. Je ne le crois pas. Certes, il s’agit d’un revenu de substitution puisqu’il ne correspond pas à l’activité du travail, qu’il est versé au titre de la retraire. Néanmoins, du point de vue fiscal, il s’agit d’un revenu, taxé en tant que tel dans les conditions du droit commun à l’impôt sur le revenu. Il entre donc dans la base sur laquelle on applique le bouclier fiscal. Il ne subit pas de traitement exceptionnel, mais peut éventuellement être exonéré en fonction de la situation patrimoniale de l’individu. (« Voilà ! » sur les bancs du groupe SRC.) C’est la raison pour laquelle je ne souhaite vous répondre intelligemment et utilement qu’avec des éléments chiffrés. Mais sur le plan du droit commun, c’est bien la fiscalité de l’IRPP avec le bénéfice éventuel du bouclier fiscal qui s’applique, même à un revenu à caractère exceptionnel.
M. Frédéric Cuvillier. Quel aveu du Gouvernement !
M. Jean-Marc Ayrault. François Hollande avait raison !
Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement n° 8.
La parole est à M. François Hollande.
M. François Hollande. Je vous remercie d’avoir rappelé le droit commun fiscal dans lequel le bouclier a désormais sa place. En conséquence, le bénéficiaire du bouclier qui touche un revenu exceptionnel s’ajoutant à ses revenus d’activité ou de patrimoine est exonéré de toute contribution sur cette retraite chapeau ou ce revenu exceptionnel.
Mme Fabienne Labrette-Ménager. Mais non, il paie 50 % !
M. Pierre Cardo. C’est une présentation partiale !
M. François Hollande. Mais revenons à l’amendement. Il existe actuellement un débat sur les stocks-options, et convenons que ce sujet a traversé la vie politique des dix ou quinze dernières années. À un moment, on s’est interrogé sur la manière d’encourager l’activité de chercheur, d’innovateur, de créateur d’entreprise, et sur le mode de rémunération capable de récompenser ces talents. Le système des stocks-options a été utilisé à cette fin. Une loi votée sous la majorité de la gauche plurielle…
M. Pierre Cardo. Il me semble !
M. François Hollande. …avait permis cette forme de rémunération pour les créateurs d’entreprises. Convenons que ce système a été détourné, dévoyé. Pour beaucoup de dirigeants d’entreprises, les stocks-options sont devenues la forme normale, principale de leur rémunération, le salaire en constituant la partie accessoire.
Ils le sont devenus d’autant plus facilement qu’ils ne coûtaient apparemment rien à l’entreprise, puisque la rémunération du dirigeant devait dépendre de la valorisation des actions. Il ne s’agissait donc pas d’un prélèvement sur la valeur ajoutée mais sur la richesse créée, la valeur supposée du titre ; d’où l’emballement que l’on a constaté, à savoir l’utilisation des stocks-options afin de constituer des revenus – voire des patrimoines – très élevés, de sorte que cette forme de rémunération est devenue la principale.
La crise actuelle révèle aussi celle de ce système ; au demeurant, l’une des explications – pas la seule, loin de là – des désordres que nous constatons est précisément l’emballement des rémunérations, auquel contribuent les stocks-options. On peut imaginer des réponses fiscales, qui viseraient par exemple à opérer des prélèvements supplémentaires sur ces modes de rémunération. Notre réflexion nous a conduits à une autre conclusion : il nous semble préférable de remettre les stocks-options à leur vraie place, en les destinant à la rémunération des créateurs et des innovateurs – c’est-à-dire aux dirigeants d’entreprises ayant moins de cinq ans d’existence –, mais de le supprimer pour toutes les autres.
Un tel système n’existerait qu’en France, nous objectera-t-on ; nullement : le mécanisme des stocks-options tel que je l’ai décrit a été abrogé dans un certain nombre de pays. En outre, le commissaire européen chargé du marché intérieur, M. Charlie McCreevy – et il n’est pas inutile de rappeler, à la veille des élections européennes, que la Commission n’est certes pas d’inspiration socialiste –, a déclaré : « Les systèmes de rémunération actuels des dirigeants ont trop souvent mené à des actions de gestion à court terme, et parfois à une rémunération de l’échec. Bien trop de mesures d’incitation perverses » – il pense aux stocks-options – « ont été mises en place dans ce secteur. Il n’est ni raisonnable ni sain que des mesures d’incitation encouragent une prise de risque excessive, visant à faire des profits à court terme. »
Une ministre de l’économie et des finances qui, comme vous, madame la ministre, appartient à un gouvernement libéral en France peut bien faire sienne l’opinion d’un commissaire européen. Supprimez donc les stocks-options. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre-Alain Muet, rapporteur. La commission s’est majoritairement prononcée contre l’amendement. Mais comme l’a très bien montré François Hollande, si le système des stocks-options a un sens pour une entreprise nouvelle, qui, n’ayant pas les moyens de rémunérer ses cadres ou ses dirigeants, le fait sur la valeur qu’ils créeront, il est totalement dévoyé dans les grandes entreprises. Ce qui devait rémunérer le risque est devenu une rente, puisque l’on n’exerce les stocks-options que lorsqu’elles sont favorables. C’est absurde. Dès lors qu’un commissaire européen, ultralibéral de surcroît, estime qu’il faut réformer le système, le Gouvernement pourrait le faire.
M. Jean Mallot. Devrait !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie. Défavorable.
Quelques mots pour terminer ma participation à cette journée utile. Beaucoup a déjà été fait sur les stocks-options. Pour toutes les entreprises faisant appel à des fonds publics – afin de renforcer leurs fonds propres par exemple –, l’attribution de stocks-options et d’actions gratuites est interdite. Le système que vous proposez existe donc déjà.
Comme vous l’avez dit, le système des stocks-options a beaucoup évolué, et nombreux sont ceux qui y ont contribué, y compris parmi vos rangs. Le système fiscal mis en place à l’origine a été resserré deux fois, s’agissant du bénéfice fiscal pour les intéressés, par l’actuelle majorité. Il y a néanmoins une réflexion à mener au sujet des effets des stocks-options sur la pérennité, les investissements et les performances de certaines entreprises. Mais ce n’est pas avec un amendement tendant à la suppression pure et simple de ce mode de rémunération que nous devons avoir ce débat, par ailleurs utile au regard du soutien que nous devons apporter à notre économie et à nos entreprises.
Mme la présidente. Le vote sur l’amendement n° 8 est également réservé.
M. Jean-Marc Ayrault. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.
M. Jean-Marc Ayrault. Nous achevons, sans voter, ce débat au cours duquel le groupe SRC a défendu ses arguments avec beaucoup de précision et de pertinence, ce dont je me félicite. Nous avons commencé à neuf heures trente ; il est un peu plus de seize heures trente, et notre assemblée va bientôt examiner une autre proposition de loi essentielle, rapportée par Alain Vidalies, relative à l’augmentation des salaires et à la protection des salariés et des chômeurs.
Je remercie les quelques députés de l’UMP présents de n’être pas repartis dans leurs circonscriptions respectives ; chers collègues, madame la ministre, messieurs les secrétaires d’État, le débat de qualité – j’allais dire de haut niveau – qui vient d’avoir lieu a permis d’éclairer le profond désaccord politique entre nos conceptions et celles du Gouvernement, s’agissant du bouclier fiscal, des rémunérations des dirigeants ou des stocks-options. Or ce débat aurait pu ne pas avoir lieu ;…
M. Yves Nicolin. La faute à qui ?
M. Jean-Marc Ayrault. …il s’en est fallu de peu. Si nous avions subi le diktat que voulait nous imposer le président du groupe UMP via une exception d’irrecevabilité ;…
M. Yves Nicolin. C’est ce que vous faites d’habitude !
M. Jean-Marc Ayrault. …si M. Copé, dis-je, n’avait pas reculé, nous n’aurions pas eu cet échange, ce qui eût été profondément regrettable et anti-démocratique.
M. Pierre Cardo. Et grâce à qui l’avez-vous eu ?
M. Jean-Marc Ayrault. Si l’image que nous donnons de l’Assemblée nationale se résume à des invectives et à des provocations, c’est à juste titre qu’elle déplaît aux Français ; mais si le débat a lieu, si nous nous écoutons pour mettre en évidence les clivages, réels, entre une politique de droite et une politique de gauche, voire pour constater des convergences, alors nous faisons œuvre utile pour la démocratie et pour la confiance de nos concitoyens dans nos institutions. En cette période de crise, ce type de débat est donc plus que jamais nécessaire.
Nous, députés du groupe SRC, sommes fiers d’avoir su imposer cette discussion et de nous être battus pour l’obtenir : c’est autant de temps gagné pour faire progresser le débat entre la droite et la gauche et montrer qu’il existe des alternatives à la politique du Gouvernement et du Président de la République. Nous continuerons dans cette voie.
Vous avez décidé, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, de recourir au vote bloqué. La Constitution vous offre d’ailleurs d’autres possibilités, notamment l’article 49-3, auquel le vote bloqué s’apparente un peu. Vous avez ainsi empêché des députés de la majorité de bonne foi, car il y en a, de se prononcer librement, les contraignant à répondre oui ou non, mardi prochain, aux propositions de loi de notre groupe. Mais ce n’est pas grave : le combat continue ; nous allons d’ailleurs le poursuivre dans quelques instants. En tout cas, demain, 1er mai, ceux qui ont suivi ce débat, plus nombreux que vous ne l’imaginez, se sont déjà fait une opinion. C’est aussi à leurs côtés que nous serons. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. Nous avons terminé l’examen des articles de la proposition de loi.
Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l’ensemble de la proposition de loi, auront lieu le mardi 5 mai après les questions au Gouvernement.
Discussion d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Alain Vidalies et plusieurs de ses collègues pour l’augmentation des salaires et la protection des salariés et des chômeurs (no 1597).
La parole est à M. Alain Vidalies, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
M. Alain Vidalies, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé de l’emploi, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, la proposition de loi pour l’augmentation des salaires et la protection des salariés et des chômeurs comptait à l’origine quatre dispositions, dont deux destinées à améliorer l’indemnisation des demandeurs d’emploi.
Or, alors que la délégation du bureau de l’Assemblée nationale chargée du contrôle de recevabilité financière des propositions de loi avait accepté le débat sur l’ensemble du texte, le président de l’Assemblée nationale, M. Accoyer, a saisi lui-même le bureau de la commission des finances pour que soient déclarés contraires à l’article 40 de la Constitution les articles 3 et 4 de cette proposition de loi. Il s’agit d’une démarche inédite dans l’histoire de notre assemblée : c’est la première fois qu’un président de l’Assemblée nationale effectue une telle démarche, laquelle résonne comme un aveu des intentions réelles face aux discours sur la revalorisation des droits du Parlement.
Il s’agissait pourtant de deux dispositions importantes, destinées à protéger les salariés victimes de licenciements économiques ou exclus du marché du travail suite à la fin d’un contrat à durée déterminée ou d’une mission d’intérim. Au moment où le chômage explose, et où l’on constate 250 000 demandeurs d’emploi supplémentaires lors du seul premier trimestre de 2009, chacun doit prendre conscience que le risque, aujourd’hui, est d’avoir 1 million de chômeurs supplémentaires à la fin de l’année. Derrière ces statistiques, il y a autant de drames humains, de projets familiaux anéantis et d’angoisse face à un avenir sombre.
Répondre à cette angoisse, c’est d’abord assurer aux victimes de licenciements économiques une indemnisation pendant une longue période, afin de maintenir leurs revenus et de leur permettre de retrouver leur place sur le marché du travail. C’est pourquoi nous avions proposé de généraliser à tous les licenciements économiques – et non à certains d’entre eux, comme le Gouvernement le fait aujourd’hui – le dispositif du contrat de transition professionnelle, et de porter sa durée à deux ans. C’était pour nous une première étape : la préfiguration, en quelque sorte, d’une véritable sécurité sociale professionnelle.
J’observe que cet engagement figurait dans le programme que le candidat Nicolas Sarkozy avait envoyé à tous les Français : « Je créerai », leur écrivait-il, « la sécurité sociale professionnelle. Une personne licenciée pour des raisons économiques ne perdra pas son contrat de travail, celui-ci sera transféré au service public de l’emploi qui lui garantira 90 % de sa rémunération antérieure aussi longtemps que possible. » On croit rêver : lors de la campagne présidentielle, le candidat s’était donc engagé à ce qu’il n’y ait plus de licenciements économiques, les personnes concernées étant envoyées au Pôle emploi, qui leur verserait, sans limitation de durée, 90 % de leur salaire ! Manifestement, les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent ! Aujourd’hui, vous avez choisi d’écarter ce débat majeur en ayant recours à une manœuvre de procédure.
La deuxième proposition qui ne sera pas débattue visait à prolonger de six mois l’indemnisation de salariés inscrits au chômage suite à la fin d’un contrat à durée déterminée ou d’une mission d’intérim.
Ces salariés sont non seulement les premières victimes de la crise – en raison, notamment, de la loi sur les heures supplémentaires –, mais aussi ceux qui sont indemnisés le moins longtemps. Ceux qui ont quitté une entreprise en septembre ou en octobre, à la fin d’un CDD ou d’un intérim, arrivent aujourd’hui, au mois d’avril ou au mois de mai, en fin de droit : ils vont donc être confrontés à une situation d’exclusion sociale. Parce qu’ils sont les premières victimes, nous nous devions de leur apporter une réponse.
À cet égard, j’attire votre attention sur une statistique qui n’est pas suffisamment commentée. On nous parle d’une explosion du chômage des jeunes. C’est vrai, mais, quand on étudie le détail des chiffres, on constate que ce sont les jeunes hommes qui sont le plus durement frappés : en effet, ce sont eux qui occupent, dans l’industrie, les emplois en CDD et en intérim, et qui, en priorité, ont donc été massivement exclus des entreprises.
Nous avions proposé de prolonger leur indemnisation de six mois lorsqu’ils arrivaient en fin de droits. Vous n’avez pas voulu de ce débat. Utiliser la procédure pour ignorer la réalité sociale, préférer débattre de l’extension du travail le dimanche que de l’indemnisation des chômeurs, voilà qui signe une politique.
L’article 1er de la proposition de loi vise à soumettre le maintien des allégements de cotisations sociales à l’existence d’un accord d’entreprise ou de branche de moins de un an. Cette proposition répond à notre volonté clairement affirmée d’augmenter les salaires.
Les résultats des comptes nationaux publiés par l’INSEE révèlent une diminution du revenu disponible brut de 0,8 % pour le dernier trimestre 2008. Nous pensons qu’un véritable plan de relance passe par une redynamisation de la consommation, dont le moteur principal doit être une augmentation des salaires, c’est-à-dire une plus juste répartition de la richesse produite. Or, s’agissant du niveau du salaire horaire moyen, la France n’arrive qu’à la neuvième place dans l’Europe des Vingt-sept.
Aujourd’hui, le seul allégement de cotisation jusqu’à 1,6 SMIC représente un coût de 26 milliards d’euros pour les finances publiques. Dés juillet 2006, la Cour des comptes concluait ainsi son rapport : « Les allégements représentent aujourd’hui un coût très élevé. L’efficacité quantitative reste trop incertaine pour qu’on ne s’interroge pas sur la pérennité et l’ampleur du dispositif. »
Pour vous convaincre, je ne peux rien faire de mieux que de vous citer le discours prononcé à Périgueux, le 12 octobre 2006, par le candidat à la Présidence de la République, Nicolas Sarkozy.
M. Roland Muzeau. Encore lui !
M. Alain Vidalies, rapporteur. « Je propose, disait-il, que le maintien des exonérations de charges pour les entreprises soit dorénavant conditionné à la hausse des salaires et à la revalorisation des grilles de rémunérations fixées par des conventions collectives. »
M. Gérard Bapt. Excellente proposition !
M. Alain Vidalies, rapporteur. Qu’attendez-vous pour passer aux actes ? C’est exactement ce que nous vous proposons. Au lieu de cela, dans la loi du 3 décembre 2008, vous avez réduit un objectif politique majeur à une simple obligation formelle : il suffit à l’entreprise d’ouvrir des négociations pour bénéficier de tous les allégements. Nous proposons, nous, une obligation de résultat, parce que l’objectif est bien de parvenir à une augmentation.
Je viens cependant de découvrir qu’il existe une autre méthode. Monsieur le secrétaire d’État chargé de l’emploi, soyez attentif : vous n’avez pas assisté au débat précédent, mais Mme Lagarde nous a peut-être donné la solution. Comme nous lui demandions pourquoi le salaire du PDG de Gaz de France avait augmenté dans de telles proportions, elle a répondu que la bonne logique exigeait un alignement par le haut. Ce qui vaut pour les PDG doit bien valoir pour les ouvriers, les employés et les cadres. Vous pouvez donc appliquer cette méthode, qui devrait donner d’assez bons résultats. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Pour toutes précisions, je vous renvoie au compte rendu de la séance.
Le deuxième article restant en débat vise à la suppression du dispositif sur les heures supplémentaires prévu par la loi TEPA. Depuis le 1er octobre 2007, en effet, elle exonère d’impôt sur le revenu et réduit les cotisations salariales et patronales sur la rémunération des heures supplémentaires.
La première phrase de l’exposé des motifs de ce texte mérite d’être rappelée : « La relance de l’économie passe en priorité par la réhabilitation du travail comme valeur, comme outil d’amélioration du pouvoir d’achat, comme instrument de lutte contre le chômage. » Après dix-huit mois d’application, nous devons constater que le résultat est exactement à l’opposé de cette déclaration et que ce mécanisme que nous avons combattu dès l’origine est devenu, en temps de crise, une machine à détruire des emplois et à accélérer la montée du chômage.
L’étude des conséquences sur l’emploi des précédentes périodes de ralentissement économique révèle que, dans un premier temps, les entreprises réduisent le nombre d’heures supplémentaires, que, dans un second temps, elles suppriment les emplois intérimaires ou à durée déterminée, avant d’envisager un plan de licenciement économique si les difficultés persistent. Or la spécificité de la crise actuelle est que les deux premières phases ont été inversées.
Ainsi, des entreprises ont massivement supprimé les emplois en intérim et à durée déterminée, alors qu’elles continuent à utiliser un volet important d’heures supplémentaires. Les salariés dont nous parlions tout à l’heure, ces intérimaires qui ont été les premiers exclus de l’entreprise, ceux dont vous refusez d’évoquer la situation et de revoir l’indemnisation, sont partis plus tôt à cause de la loi sur les heures supplémentaires. L’existence de ce dispositif a directement accéléré le départ de l’entreprise de salariés souvent jeunes qui, au surplus, ne bénéficient que d’une faible durée d’indemnisation. Comment expliquer que, pendant toute l’année 2008, le nombre d’heures supplémentaires n’a cessé d’augmenter – et encore de 1 % au dernier trimestre 2008 –, alors que le chômage explosait ? La réponse est simple. Ce système est absurde. C’est une machine à détruire des emplois avec l’argent du contribuable.
M. Pierre Cardo. C’est faux !
M. Alain Vidalies, rapporteur. La France est bien le seul pays au monde à avoir imaginé cette machine infernale dans laquelle l’heure supplémentaire coûte moins cher que l’heure normale. Cette machine infernale sera d’ailleurs à double détente au moment de la sortie de crise. En effet, le moment venu, les entreprises auront de nouveau davantage intérêt à augmenter le volume d’heures supplémentaires qu’à créer de nouveaux emplois, même en contrat à durée déterminée ou en intérim. Il leur sera d’autant plus facile de s’engager dans cette voie que, parallèlement, vous avez supprimé tous les contrôles administratifs ou contractuels sur l’utilisation des heures supplémentaires.
Vous avez en effet complété votre œuvre par la loi du 20 août 2008, qui a supprimé l’autorisation préalable de l’inspection du travail pour le dépassement du contingent d’heures supplémentaires et, surtout, a imposé la supériorité de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche.
Accélération des fins de contrats en début de crise, dissuasion au recrutement en sortie de crise : ce sera la double peine pour l’emploi. Encore faut-il préciser que tout cela est financé par de l’argent public. La facture est lourde : 4,4 milliards d’euros pour l’année 2008, qu’il convient de comparer au montant total du volet social du plan de relance du Gouvernement, qui ne s’élevait qu’à 2,6 milliards.
Comment ne pas mesurer qu’il est aujourd’hui urgent de supprimer purement et simplement ce dispositif ?
M. Pierre Cardo. Le temps partiel, cela crée aussi des emplois !
M. Alain Vidalies, rapporteur. Ce n’est pas le salarié qui décide de faire ou de ne pas faire des heures supplémentaires pour améliorer ses revenus. C’est une prérogative exclusive de l’employeur. Aujourd’hui, le dispositif heures supplémentaires de la loi TEPA donne toute sa mesure, c’est-à-dire le pire.
Dès 2007, dans un rapport prémonitoire, le Conseil d’analyse économique écrivait : « Une fiscalité spécifique sur les heures supplémentaires aurait, quelle que soit sa forme, un effet incertain sur l’emploi et le revenu global avec un risque de dérapage des finances publiques […]. De plus, à notre connaissance, ce type de dispositif n’a jamais été appliqué dans aucun pays. »
M. Pierre Cardo. Comme les 35 heures en France !
M. Alain Vidalies, rapporteur. « Dans ces conditions, avant de consacrer plusieurs milliards d’euros à une détaxation générale des heures supplémentaires, il nous apparaît indispensable d’expérimenter cette réforme sur une échelle réduite. »
Mesdames et messieurs de la majorité et du Gouvernement, vous n’avez pas suivi ce conseil. Vous avez fait une expérience grandeur nature. On en connaît aujourd’hui les résultats.
Malraux disait : « Il faut transformer l’expérience en conscience. » Bien que la commission ait rejeté ce texte, c’est la démarche que je vous propose aujourd’hui en vous demandant de voter notre proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean Mallot.
M. Jean Mallot. Madame la présidente, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, chaque jour, notre pays s’enfonce un peu plus dans une crise économique et sociale sans précédent : le chômage a augmenté de 22 % en un an.
Il y a un mois, à Saint-Quentin, le Président de la République déclarait : « Jusqu’à présent, nous n’avons pas commis d’erreur. » Hélas, vous en avez bel et bien commis, et de graves. Messieurs les secrétaires d’État, dites-le à M. Sarkozy quand vous le verrez : il est important qu’il en prenne conscience. Vous avez commencé très fort, dès juillet 2007, au tout début du quinquennat, avec l’article 1er de la fameuse loi dite TEPA. Le clou, c’est quand même ce dispositif qui instaure une exonération d’impôt sur le revenu et des réductions de cotisations sociales, salariales et patronales pour la rémunération des heures supplémentaires dans l’entreprise. Pour le patron, ce système fait que l’heure supplémentaire coûte moins cher que l’heure normale.
M. Pierre Cardo. Et pour le salarié aussi !
M. Jean Mallot. Mais il y a un coût pour l’État : 4,4 milliards d’euros. Bref, l’État paie pour augmenter le chômage, puis la collectivité paie pour indemniser les chômeurs et soutenir les personnes dans la détresse. Comment s’étonner que, avec un tel système, le chômage ait commencé à remonter fortement en 2008, pour exploser en août 2008 ? Lorsqu’on paie les CDI en heures supplémentaires, on n’a plus besoin des intérimaires ni des CDD. La crise a bon dos. Comment ose-t-on nous expliquer que la crise financière qui s’est déclarée en septembre 2008 est responsable du chômage du mois précédent ? En réalité – nous le savons, mais peut-être la droite l’ignore-t-elle encore –, cette crise terrible appelle à la fois des mesures conjoncturelles, pour faire face à l’urgence, limiter les dégâts, préparer la reprise, relancer l’économie, et des mesures structurelles, pour éviter que la situation dans laquelle nous nous trouvons ne se reproduise. C’est bien cela qui fait la pertinence de nos propositions.
Pour soutenir le pouvoir d’achat en augmentant les salaires – je parle du salaire direct, monsieur Méhaignerie –, nous voulons conditionner les réductions de cotisations sociales – qui, à l’origine, ont été accordées aux entreprises pour traiter la question du coût de la main-d’œuvre peu qualifiée, et qui, sous couvert de réduction de la charge salariale pour favoriser l’embauche et soutenir la compétitivité internationale des entreprises, constituent souvent des trappes à bas salaires – à la conclusion d’un accord salarial, et non plus seulement à sa négociation.
L’effet à court terme sur le pouvoir d’achat est évident et le rééquilibrage en faveur de la rémunération du travail par le biais de la négociation collective viendra, sur le long terme, remédier à l’excès constaté en faveur de la rémunération du capital, dont nous savons qu’il constitue l’une des causes principales de la situation de crise actuelle.
Le fameux G20 du 2 avril dernier ne s’y est d’ailleurs pas trompé, puisqu’il s’engage, dans sa déclaration finale, à « soutenir ceux qui sont touchés, en créant des emplois et en adoptant des mesures pour soutenir les revenus ». C’est notamment pour cela que les articles 3 et 4 de notre proposition de loi – avant qu’ils n’aient été écartés par l’application de l’article 40 de la Constitution – prévoyaient, via la généralisation des contrats de transition professionnelle, de porter à 80 % du salaire, pendant deux ans, l’indemnisation des salariés victimes d’un licenciement économique, et de prolonger de six mois l’indemnisation de ceux qui perdent leur emploi en fin de CDD ou en fin de contrat d’intérim, et qui sont souvent des jeunes.
Je veux revenir, avant de conclure, sur le dispositif de défiscalisation des heures supplémentaires qui, pour les entreprises, a représenté un effet d’aubaine, en révélant et en bonifiant des heures supplémentaires qui étaient déjà effectuées, tout en ayant, pour les salariés, un effet chômage que nous constatons dans la réalité.
M. Pierre Cardo. C’est vous qui le dites !
M. Jean Mallot. C’est un constat.
Première observation : au moment où le Gouvernement s’intéresse aux difficultés que rencontrent les jeunes pour accéder au marché du travail – voyez M. Hirsch –, les 4,4 milliards d’euros que coûte ce dispositif seraient bien utiles.
M. Pierre Cardo. Dans ce cas, pourquoi avez-vous voté contre le RSA ?
M. Jean Mallot. Vous auriez l’occasion de me répondre, cher collègue, si vous vous inscriviez dans la discussion.
Cet argent serait donc bien utile pour financer 150 000 à 200 000 emplois jeunes, formule qui, vous le savez, a fait ses preuves, il y a quelques années, grâce à Martine Aubry…
M. Pierre Cardo. Vous parlez des 35 heures ?
M. Jean Mallot. …et dont bien des responsables politiques de l’époque, y compris de droite, ont reconnu les mérites évidents.
M. Jean-Yves Besselat. Ce qui a valu à Lionel Jospin de ne pas être au second tour de l’élection présidentielle !
M. Jean Mallot. Deuxième observation : Alain Vidalies l’a bien montré, ce dispositif est diabolique, puisqu’il accélère la montée du chômage en situation de crise. En effet, il incite les entreprises à sauter une étape pour passer directement au licenciement : on supprime les CDD et les contrats d’intérim, pour licencier ensuite les CDI après avoir épuisé la première étape.
En réalité, l’effet sera encore plus terrible lorsque la reprise viendra puisque, les carnets de commandes se regarnissant, les chefs d’entreprise demanderont aux salariés déjà présents dans l’entreprise de faire des heures supplémentaires avant de procéder à l’embauche de nouveaux salariés.
Ces mécanismes sont pervers dans la mesure où ils produisent du chômage et déforment complètement le système économique.
M. Pierre Cardo. Ce n’est pas vrai !
M. Jean Mallot. De surcroît, ils retarderont, le moment venu, les effets positifs de la reprise économique.
Voilà une mesure tout à fait emblématique de cette politique contradictoire et totalement erronée que nous combattons pied à pied, y compris ce soir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Monsieur le secrétaire d’État, depuis septembre 2008, on dénombre près d’un demi-million supplémentaire de personnes privées d’emploi, principalement des jeunes, des ouvriers, salariés précaires en CDD ou intérim peu qualifiés. Voilà votre bilan.
D'un mois à l'autre, les chiffres du chômage n'en finissent pas de s'envoler. En mars, 63 400 personnes supplémentaires se sont inscrites à Pôle emploi, portant à 2,5 millions le nombre de demandeurs d’emploi en France, DOM non compris, sans parler des personnes en sous-activité, en formation, en situation inacceptable ou inadéquate d'emploi.
La situation dans les quartiers défavorisés classés en ZUS était déjà passablement dégradée, comme en atteste le bilan dressé récemment par la DARES. Rien de surprenant alors que ces populations soient les premières victimes du surchômage et de la pauvreté.
En un an, le nombre de jeunes inscrits au chômage a bondi de 57,2 %. Au cours des six derniers mois, la mission locale de Gennevilliers a vu son activité augmenter de 30 %. Je n'ai pas décelé dans les annonces récentes de M. Nicolas Sarkozy ou de M. Martin Hirsch relatives à l'emploi des jeunes une quelconque volonté de l'État de se réengager dans le financement des réseaux des missions locales, et d’élargir ainsi le panel de réponses aux problèmes d'emploi, de formation, mais aussi de santé, de logement, d'accès à la citoyenneté particuliers aux jeunes.
Plus globalement, ni l'audace ni l'ampleur de ce plan en faveur de l'insertion professionnelle des jeunes ne m'ont frappé. Seules les organisations patronales ont approuvé sans réserve ces mesures « zéro charge » pour l'embauche d'apprentis et la « prime contrat de professionnalisation ».
Domine un sentiment de resucée de mesures standard d'aide aux entreprises à l'emploi des jeunes, mesures insuffisantes face à l'urgence de la situation, que viendra aggraver cet été la sortie du système scolaire de 60 000 jeunes. Le financement de ce plan suscite, quant à lui, beaucoup d'interrogations. Les 1,3 milliard annoncés sont-ils comptabilisés dans les fonds récupérés par le fonds d'investissement social ?
Mais ce n'est là qu'un exemple du décalage entre la parole et les actes concrets du chef de l'État, de son gouvernement et de sa majorité, lesquels restent sourds à la réalité de la violence faite à nos concitoyens ainsi qu'aux risques induits d'atomisation du corps social de notre pays.
Il n’est que de voir les difficultés aiguës auxquelles doivent faire face les responsables d'agences locales de Pôle emploi pour mesurer l'ampleur inégalée de la crise économique et sociale que traverse notre pays.
Face à l'afflux massif de nouveaux chômeurs, on constate que la fusion de l’ANPE et de l’Unedic a eu un impact négatif tant sur le travail quotidien des agents que sur le service rendu aux usagers. Cette fois, ce n’est pas la crise qui est en cause, mais bel et bien le Gouvernement, qui s'est contenté de mots – qualité, accompagnement renforcé – pour rendre acceptable sa réforme visant à libéraliser le marché de l'emploi, sans préparer le service après-vente de ce changement majeur, notamment en anticipant le recrutement et la formation des agents.
De surcroît, le Gouvernement n'a pas réagi promptement au surnombre de chômeurs en limitant à 4 % des effectifs des deux institutions les recrutements supplémentaires, soit 1 840 agents, là où les besoins étaient estimés à 5 000 conseillers supplémentaires, réservant ainsi à des sociétés privées le soin de suivre dans leur parcours de réinsertion 320 000 demandeurs d'emploi inscrits, dont 150 000 licenciés économiques, et 170 000 personnes éloignées de l'emploi.
L’importance inédite, l’urgence de la demande sociale sont également mesurables aux prévisions exponentielles du nombre d'allocataires du RSA, aux 30 000 dossiers CAF en souffrance, à l'explosion du nombre d'appels journaliers ou encore aux millions de courriers.
La crise va crescendo. Notre société, nos territoires portent les stigmates de la casse économique et sociale consécutive à la faillite du capitalisme de casino. Pas un jour ne passe sans l'annonce du même cortège de suppressions de postes, de restructurations, de charrettes de licenciements économiques, de réduction d'activité. Caterpillar, Continental, La Fnac, Goodyear, La Redoute, Les 3 Suisses, Saint-Gobain, Valeo, Whirlpool, Mittal, PSA, Renault, la liste des entreprises est longue et malheureusement non exhaustive. Difficile de dresser la liste des entreprises sous-traitantes touchées indirectement mais de plein fouet par l'irresponsabilité d'aucuns ne connaissant pas la crise, préférant toujours fragiliser la situation des salariés, détruire l'emploi pour continuer à satisfaire les exigences des actionnaires.
La crise a souvent bon dos. Malgré le retournement de la conjoncture au second trimestre, n’oublions pas que, l’an dernier, les entreprises du CAC 40 ont réalisé 75 milliards d'euros de bénéfice net, chiffre très inférieur aux profits réels. Cette année, les mêmes réduisent le coût de la masse salariale et ont liquidé des milliers d’emplois, CDD et intérimaires.
On peut citer aussi Total, qui supprime 555 postes tout en annonçant des bénéfices records de 14 milliards, ou Caterpillar, qui, malgré des dividendes en augmentation de 19 %, supprimera 600 emplois sur ses sites français, plus 1 500 emplois en comptabilisant l'impact chez les sous-traitants. Citons encore les laboratoires Pfizer, qui suppriment 1 061 emplois alors qu’ils ont versé 5,5 milliards de dividendes en 2007 et triplé leur bénéfice net au troisième trimestre 2008.
Mesdames, messieurs de la majorité, il ne suffit pas de s'émouvoir de l'attitude de ces patrons, encore faut-il essayer de mettre un terme à ces abus, à cette fuite en avant. C'est la raison pour laquelle notre groupe a déposé une proposition de loi visant à prendre des mesures urgentes afin de rendre impossibles les licenciements économiques effectués dans des entreprises ayant réalisé des bénéfices, distribué des dividendes, délocalisé leur production ou reçu des aides publiques.
L'actualité fourmille d'exemples de grands dirigeants qui osent encore se goinfrer en avalant de dodus plans de stock-options, de moelleux parachutes dorés et retraites chapeaux, souvent après avoir bénéficié d’un substantiel concours financier de l'État, en recourant massivement au chômage partiel, le tout en s’assoyant sur leur promesse de ne procéder à aucun licenciement, comme l’avaient fait PSA et Renault.
Les salariés victimes de la « smicardisation » et du symptôme des travailleurs pauvres, n'arrivant déjà plus, avant même la crise, à vivre dignement de leur travail, surexposés à la fragilité par les conséquences brutales de cette dernière, sont exaspérés par le décrochage démesuré entre le montant moyen de la rémunération des dirigeants d'entreprise – 4,7 millions d'euros – pouvant aller jusqu'à 20 000 SMIC pour les plus riches et celui de la majorité d'entre eux.
Rien d'étonnant non plus, dans ce contexte de creusement exacerbé des inégalités et de déformation du partage de la valeur ajoutée au détriment de l'emploi et des salaires, que des salariés, jugeant mauvaise la politique économique du Gouvernement depuis plus d'un an et voyant s’effondrer le mythe du « travailler plus pour gagner plus », recourent à des formes extrêmes de lutte pour tenter de négocier les conditions de leur départ ou de mettre en débat des solutions alternatives aux restructurations.
Les raisons de cette radicalisation des conflits sociaux sont aussi à rechercher du côté de l'attitude du Gouvernement qui se hâte lentement de résister à la crise et n'envisage pas de s'inscrire dans un avenir autre que celui du développement capitaliste, la preuve de son échec tant pour l'homme que pour son environnement fût-elle apportée.
Je partage l'analyse de Guy Droux, directeur de recherche du CNRS au CEVIPOF, selon laquelle « à sa manière le Président influence les radicalités ». De Mittal à Caterpillar, M. Sarkozy n'a cessé de promettre de sauver les sites, avec les résultats que l'on connaît. II a beaucoup tancé, menacé les patrons voyous, retrouvant des accents de la campagne présidentielle lorsqu'il fustigeait leur outrance et assurait faire voter « dès l'été une loi qui interdirait la pratique détestable des golden parachutes ». Depuis, cette perspective a été maintes fois agitée sans que jamais l'épée de Damoclès ne tombe. Je ne m'étends pas plus sur le décret cosmétique et scandaleux auquel nous avons eu droit.
Le Président de la République protège avant tout les siens et ne s'oblige pas à être exemplaire. Le plus gros plan de licenciement organisé en France n'est-il pas le fait de l'État, avec le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, soit la suppression de 30 000 emplois ?
Si aujourd'hui les Français soutiennent à 70 % les mouvements sociaux, comprennent et justifient les séquestrations de dirigeants, ne souhaitent pas à 64 % que leurs auteurs soient poursuivis, c'est qu'ils ont pris conscience de l'impasse dans laquelle les ont conduits les choix fiscaux, économiques et sociaux ultralibéraux de ces dernières années, lorsque la Grande-Bretagne était encore un de vos modèles. Dans la rue, en janvier et mars dernier, ils ont été nombreux à crier leur exaspération face à tant d'injustices, leurs inquiétudes face à l'avenir. Ils vous ont exhortés à revenir sur des réformes contre-productives renforçant les inégalités, clivant dangereusement notre société, desservant l'emploi et la croissance.
Oublieux des promesses d'hier, campant sur les choix passés, fussent-ils inefficaces, coûteux et profondément injustes – je pense évidemment au bouclier fiscal mais aussi au dispositif TEPA des heures supplémentaires –, droits dans vos bottes, vous vous arc-boutez sur des priorités qui n'en sont pas, telle la libéralisation du travail dominical, pour tenter de faire oublier l'impasse totale faite sur d'autres urgences, prioritaires elles, que sont la préservation de l'emploi, la relance par les salaires et la protection des personnes privées d'emploi.
Au-delà du verbiage sur la moralisation du capitalisme, aucune mesure structurelle n'est à attendre. Vous ne bougez pas les lignes afin d'éviter que la profonde récession ne se mue en une durable dépression. L'INSEE et l'OFCE tablent sur une croissance négative de notre économie – moins 2,5 à 3 % pour 2009, moins 0,2 % pour 2010 – avec comme conséquence la destruction massive d'emplois – 650 000 cette année et 300 000 l'année prochaine.
Vous n’ignorez pas ces perspectives pessimistes intégrant d'ores et déjà l'effet des mesures du plan de relance. Pourquoi vous accrochez-vous ainsi à ce plan contesté dans sa nature – la relance par l’investissement – son contenu au-delà de son montant et son efficacité, même par les dirigeants de PME ?
Après vous être trompé en déclarant que la crise n’était pas systémique, pourquoi tant d'entêtement, d'autisme, de mépris ? Tout simplement peut-être parce qu'avant tout, vous souhaitez que rien ne change, surtout pas les fondements de notre économie.
À rebours, nous considérons que cette crise doit être l'occasion de repenser la place de l'État social, le sens de notre modèle de développement. Nous sommes par ailleurs convaincus de l'urgente nécessité de la réorientation des politiques au service de l'emploi durable, de la formation, du renforcement des droits des salariés.
Dans le cadre restrictif des droits accordés à l'opposition, nous défendrons des propositions en ce sens le 28 mai prochain lors de notre journée d'initiative parlementaire.
Pour l'heure, nous ne pouvons que soutenir la démarche des députés socialistes en faveur de l'augmentation des salaires et de la protection des salariés et des chômeurs, tout en regrettant d'être privés, pour cause de censure, d'un vrai débat sur l'ensemble des mesures contenues initialement dans la proposition de loi, notamment celle envisageant la prolongation de six mois des droits à indemnisation de chômage des personnes en fin de CDD ou de mission d'intérim, qui sont actuellement très mal couvertes. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
M. le président. La parole est à M. Marcel Rogemont, pour cinq minutes.
M. Marcel Rogemont. Cinq minutes, ce n’est pas beaucoup !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l’emploi. Attention, l’heure tourne !
M. Marcel Rogemont. Vous avez raison, monsieur le secrétaire d’État, et sachez que chaque jour, il y a 3 000 chômeurs supplémentaires : 10 chômeurs de plus toutes les cinq minutes, soit le temps de mon intervention. Quand on compte mon temps de parole, on compte aussi le nombre de chômeurs supplémentaires dans notre pays ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)
Après avoir discuté de ceux-là mêmes qui s’en mettent plein les poches, nous essayons de défendre les chômeurs.
M. Benoist Apparu. Démago !
M. Marcel Rogemont. Ce n’est pas de la démagogie ! Il suffit de regarder les chiffres !
M. Jean-Yves Besselat. Lamentable !
M. Marcel Rogemont. C’est vous qui êtes lamentable ! Discutez concrètement les propositions que nous faisons au lieu de faire des coups d’éclat !
Si nous proposons la conditionnalité des aides, c’est parce qu’il s’agit d’une promesse du candidat Sarkozy, comme l’a rappelé Alain Vidalies. Faut-il que ce soit l’opposition qui vous mette sur la voie des engagements qui ont été pris ?
Vous parlez de la conditionnalité des aides avec une obligation de moyens, sans obligation de résultats.
Cela me rappelle l’histoire de la baisse de la TVA sur la restauration, dont vous vous êtes enorgueilli, monsieur le secrétaire d’État, il n’y a pas si longtemps. Alors que le coût pour la France de cette décision est de 3 milliards d’euros, de quelle conditionnalité a-t-elle été assortie ? Des propos évanescents ont laissé entendre que peut-être on créerait 40 000 emplois, que peut-être on augmenterait les salaires, mais aucun engagement formel n’a été pris. Chacune de vos décisions est prise sans condition pour ceux qui profitent du système.
En outre, les socialistes s’engagent sur ce point essentiel qu’est la sécurité sociale professionnelle parce qu’ils savent combien le fait de perdre son emploi met les personnes dans des situations délicates. La proposition de loi propose une reprise du contrat de travail, pour faire en sorte que les personnes puissent subvenir aux besoins de leur famille en leur garantissant à la fois un salaire et une formation. Mais vous refusez, alors même qu’un engagement avait été pris par le Président Sarkozy, tout simplement parce que le pôle emploi, qui, normalement, était désigné pour reprendre les contrats de travail des salariés au chômage, ne fonctionne pas. J’ai eu l’occasion de vous poser une question d’actualité il n’y a pas si longtemps, monsieur le secrétaire d’État, sur les dysfonctionnements actuels du pôle emploi, vous n’avez pas répondu.
Vous saturez en permanence la télévision d’annonces selon lesquelles vous faites ceci ou cela pour telle ou telle catégorie, mais, dans votre bureau, vous ne faites que serrer la ceinture de ceux qui sont les plus en difficulté.
Troisième point, nous proposons que les indemnités des chômeurs soient prolongées de six mois. Nous venons de discuter des retraites chapeaux, des bonus, des rémunérations excessives, mais alors que vous n’acceptez pas les propositions que nous vous faisions dans la précédente proposition de loi pour y mettre fin, vous refusez également cette proposition de loi qui donne au mot de solidarité son sens. Vous êtes pour les parachutes dorés de ceux qui sont les plus vernis par la société. En revanche, vous ne faites rien pour ceux qui sont rejetés du monde du travail. Pourtant, je le rappelle une nouvelle fois, si des gens gagnent plein d’argent, les PDG, les directeurs d’entreprise, c’est parce qu’il y a des travailleurs. Ce sont eux qui créent la richesse, ce sont eux qui, au bout du compte, prennent les risques de l’entreprise. Les dirigeants d’entreprise ne prennent aucun risque, eux, puisque, de toute façon, ils seront rémunérés et qu’ils toucheront des retraites supplémentaires au moment de leur retraite.
Dernier point, sur les heures supplémentaires. Ce ne sont pas les salariés qui choisissent le nombre des heures supplémentaires, avec la baisse systématique des cotisations sociales sur le travail et le fait qu’on ne prenne plus d’impôt sur le revenu sur des éléments du travail. Mais, mes chers collègues, que des personnes puissent travailler sans qu’il y ait paiement de cotisations sociales ou d’impôt, dans notre société, cela s’appelle le travail au noir. Idéologiquement, vous êtes en train d’instiller l’idée que, demain, tout le monde travaillera au noir parce qu’il n’y aura pas besoin de cotisations, il n’y aura pas besoin d’impôt. Pourtant l’impôt, les cotisations, c’est l’expression d’une solidarité, l’expression de la fraternité qui doit être vécue dans notre société. Avec ce genre de dispositions, vous vous attaquez aux fondements de ces valeurs. C’est pourquoi nous les combattons.
Voilà, mes chers collègues, ce que je voulais dire en quelques mots et j’invite mes collègues de l’UMP à monter à la tribune pour discuter de ces sujets. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Benoist Apparu. Nous l’avons déjà fait en commission, mon cher.
M. Jean Mallot. Nous aussi !
M. Marcel Rogemont. Quand on sait la façon dont les débats se sont déroulés en commission… L’essentiel du débat se passe ici.
M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Non, le débat sérieux se passe en commission.
M. Marcel Rogemont. De toute façon, cela se passe dans les cabinets ministériels maintenant.
Mme la présidente. Monsieur Rogemont, ne répondez pas aux interruptions, s’il vous plaît.
Mes chers collègues, normalement, un petit voyant s’allume lorsque le temps de parole est écoulé. Il s’avère que ce petit voyant est en panne.
M. Benoist Apparu. Sabotage ! (Sourires.)
M. Roland Muzeau. La droite a tout cassé ! (Sourires.)
M. Jean Mallot. Eh oui, Apparu, le voyant a disparu. (Sourires.)
M. Claude Bodin. On vous a connu meilleur !
Mme la présidente. Je me permettrai donc de vous faire savoir quand vous arriverez à la fin de votre temps de parole.
La parole est à M. Abdoulatifou Aly.
M. Abdoulatifou Aly. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette deuxième proposition de loi du groupe SRC aborde une question essentielle pour une grande majorité de nos concitoyens : la question du pouvoir d’achat.
M. Gérard Bapt. Eh oui !
M. Abdoulatifou Aly. Le constat est clair : avec le chômage, dont nous connaissons les chiffres catastrophiques enregistrés ces derniers mois, la question posée par le choc entre, d’un côté, la vie chère et, de l’autre, des salaires trop faibles, est un sujet de préoccupation majeur et quotidien pour les Français les plus modestes, mais aussi, de plus en plus, pour ceux qui appartiennent aux classes moyennes et qui, bien souvent, ne s’en sortent plus.
Permettez-moi de noter, en tant qu’élu de Mayotte, que nos outre-mers sont, hélas ! en première ligne face à ce problème. Je ne crois pas avoir besoin de vous rappeler que celui-ci a été précisément le déclencheur de la crise des Antilles et que la situation ailleurs n’est guère plus enviable, que ce soit notamment en Guyane ou à la Réunion, mais aussi à Mayotte, où le niveau élevé des prix à la consommation et celui très faible des revenus, avec en arrière plan un taux de chômage « officiel » de plus de 25 %, crée une situation extrêmement pénible. Nous comptons d’ailleurs sur la départementalisation, dont le principe a été plébiscité par la population mahoraise lors de la consultation du 29 mars dernier, pour apporter des réponses concrètes à cet état de fait aggravé par une crise économique qui fait ressentir ses effets jusque dans nos territoires éloignés.
Ces observations spécifiques à nos réalités ultra-marines étant faites, permettez-moi de commenter rapidement et successivement chacun des quatre premiers articles de la proposition de loi que nous avons à examiner.
L’article 1er propose de soumettre le maintien des allégements de cotisations sociales à la conclusion d’accords salariaux de branche ou d’entreprise. Il s’agit là d’un vrai sujet car, dans ce domaine comme dans d’autres, le donnant-donnant doit être la règle. Le principe de cette idée ne peut donc que recueillir notre assentiment. Je rappelle d’ailleurs que c’était la position de l’UMP elle-même et de l’ancien ministre Xavier Bertrand, aujourd’hui secrétaire général du parti majoritaire. Là où le bât blesse, c’est sur le point de savoir si c’est la simple ouverture de négociations ou bien la conclusion effective d’accords qui doit suffire à permettre les allégements de charges.
M. Gérard Bapt. Très bien !
M. Abdoulatifou Aly. La question est complexe compte tenu de la réalité de notre dialogue social et du paysage syndical. Seule une réforme posant les bases d’un syndicalisme fort et représentatif pourrait permettre de faire de la conclusion réelle d’un accord une condition dirimante aux allégements.
M. Pierre Cardo. C’est vrai !
M. Abdoulatifou Aly. Par ailleurs, en ce qui concerne l’appel, qui figure dans l’exposé des motifs, à une augmentation du SMIC, la vérité et la responsabilité obligent à dire que, bien que souhaitable compte tenu des difficultés des personnes à vivre avec le salaire minimum, cette mesure se retournerait contre ses objectifs proclamés et se révélerait anti-économique et destructrice d’emplois. Attention donc dans ce domaine aux postures un peu trop faciles !
M. Roland Muzeau. C’est ce que le patronat disait en 1968, et pourtant on a décidé une augmentation de 30 % !
M. Abdoulatifou Aly. L’article 2 vise à supprimer les dispositions de la loi TEPA relatives aux heures supplémentaires. Sur ce point, force est de constater en effet que celles-ci ne fonctionnent pas de façon satisfaisante. Dans le même temps, il ne saurait s’agir de revenir purement et simplement à la version originelle des trente-cinq heures, qui ont montré, malgré certains aspects positifs, qu’elles représentaient un véritable contresens économique.
Les articles 3 et 4, enfin, sont de nature à prolonger et à améliorer les droits des demandeurs d’emploi, notamment ceux victimes de licenciements économiques. Ce sont des propositions qui apparaissent justifiées dans le contexte de crise et d’accroissement du chômage et de la précarité que nous connaissons. J’y suis donc favorable d’autant que le texte part logiquement du principe qu’une telle mesure relève non pas de l’assurance – et donc des partenaires sociaux – mais de la solidarité nationale et prévoit en conséquence une prise en charge par l’État. Vous me permettrez de relever que nous rejoignons là le débat de ce matin sur l’aberration économique et sociale que représente le bouclier fiscal dans ce contexte.
Ces observations m’amènent à porter un jugement contrasté vis-à-vis de ce texte un peu « fourre-tout », qui contient du bon et du moins bon…
M. Benoist Apparu. Beaucoup de moins bon !
M. Abdoulatifou Aly. …et sur lequel, sous réserve de l’évolution de nos discussions, je m’abstiendrai.
M. Pierre Cardo. Très bien ! Même si on ne partage pas tout, au moins vous avez été impartial dans votre raisonnement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Pinville.
Mme Martine Pinville. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les mesures contenues dans la proposition de loi que nous vous présentons, tant en faveur des salariés que des chômeurs, se justifient pleinement.
Elles se justifient d’abord par la gravité sans précédent de la situation économique et sociale : 300 000 chômeurs de plus en six mois, 180 000 en janvier et février, 69 000 en mars. On peut estimer que, face à ces chiffres éloquents, la politique mise en oeuvre par votre gouvernement n’est pas à la hauteur. Ni à la hauteur d’une crise sans précédent à l’échelle mondiale, ni à la hauteur des attentes de ces centaines de milliers de salariés qui se trouvent exclus du monde du travail. Il y a urgence ! Et le pire est sûrement encore devant nous. Comme l’avouait, il y a quelques jours, le président de l’UNEDIC, « il est probable que le chiffre de 400 000 chômeurs sera revu malheureusement à la hausse », avant d’ajouter « on est sur la pente d’un million de chômeurs de plus par an ».
Face à cette situation catastrophique, le malaise social s’amplifie. Séquestrations de cadres dirigeants, saccage d’une sous-préfecture, occupations d’usines, tous les indicateurs vont dans le même sens : il y a urgence à comprendre cette violence sociale qui est surtout révélatrice d’un échec national.
Certes, tous nos pays développés sont touchés, nos voisins européens en premier lieu, par une crise qui est dure, implacable et cynique. Croissance vertigineuse du chômage, restructuration des entreprises pour retrouver leurs profits d’hier, accélération des délocalisations, telles sont les caractéristiques communes à nos pays développés. Et pourtant, on sent bien que c’est en France que les événements sont susceptibles de dégénérer, en raison, notamment, d’une carence structurelle du dialogue social.
Quelles ont été à ce jour les réponses de votre gouvernement, monsieur le secrétaire d’État ? Des dispositions de détaxation des heures supplémentaires qui ont jeté des milliers d’intérimaires dans les agences du pôle emploi, un plan de relance sans aucun soutien à la consommation directe – et je pourrais citer tant d’autres exemples qui ont émaillé les deux années que nous venons de vivre, depuis l’adoption de la loi TEPA et du bouclier fiscal.
Dans ce contexte, nous prenons nos responsabilités, considérant que nous nous devons, avec mes collègues du groupe socialiste, de protéger les salariés les plus précaires, les chômeurs. C’est un devoir de solidarité nationale.
M. Pierre Cardo. Il y a le RSA pour cela !
Mme Martine Pinville. Nous devons être particulièrement attentifs. Une situation de chômage est synonyme d’exclusion sociale. Face à l’ampleur du nombre de licenciements, lors des fins de contrats, CDD ou intérim, nous devons donner à nos concitoyens une indemnisation qui leur assure un revenu décent.
Nous nous devons de leur apporter des réponses, tant dans le domaine de la durée d’indemnisation que dans le montant de l’indemnisation en cas de chômage partiel.
Par ailleurs, ces périodes doivent être mises à profit pour renforcer la formation des salariés contraints à l’inactivité, notamment en généralisant le contrat de transition professionnelle à tous les bassins d’emploi.
En cette veille de 1er mai, où la mobilisation des salariés sera des plus fortes à n’en pas douter, nous devons apporter des réponses à la hauteur de la crise que nous traversons ainsi qu’aux attentes de tous en matière d’augmentation des salaires et de protection des chômeurs. C’est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi que nous défendons. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Liebgott.
M. Michel Liebgott. C’est une constante : les gouvernements de droite veulent à tout prix déroger aux heures supplémentaires. Depuis 2002, il a fallu, chaque année, que le Parlement adopte une loi pour indiquer aux entreprises qu’elles pouvaient sortir du cadre, a priori coercitif, des trente-cinq heures. En fait, on a constaté après le vote de chacune de ces lois que le quota d’heures supplémentaires autorisées n’était en réalité jamais atteint. L’objectif était simplement de permettre à quelques-uns de faire des heures supplémentaires et de freiner l’embauche pour d’autres.
Après avoir fait preuve d’obsession idéologique, vous vous mettez aujourd’hui dans une situation complètement farfelue, « abracadabrantesque » comme aurait dit l’autre ! En effet, l’État engage 4 milliards pour mettre en oeuvre ces heures supplémentaires. Auparavant, au moins elles coûtaient moins cher, mais là on met le paquet en les défiscalisant. On arrive donc à cette situation complètement absurde : après avoir supprimé les emplois aidés qui donnaient une certaine respiration aux quartiers les plus difficiles, vous permettez à des entreprises de mieux vivre avec certains de leurs salariés tout en continuant à licencier ou à demander l’octroi du chômage partiel, qui est en pleine explosion. C’est dire le paradoxe : d’un côté, un nombre très limité de personnes qui font des heures supplémentaires et, de l’autre, toute une flopée de gens pour lesquels on exige le chômage partiel avec la perte de pouvoir d’achat que cela implique. Et qui dit perte de pouvoir d’achat dit baisse de la demande et, d’une manière générale, de l’activité économique. C’est un cercle vicieux. Nous nous trouvons donc dans une situation aberrante. Nous sommes sans doute le seul pays où l’on promeut les heures supplémentaires par des mesures fiscales spécifiques alors qu’il faudrait plutôt partager le travail pour relancer la consommation, la demande et donc la mécanique.
Nos propositions sont toutes simples et en rupture totale avec ce que vous faites depuis 2002, car le « travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy est un fond idéologique qui habite la majorité actuelle depuis de très nombreuses années, même si le Président n’en parle plus guère aujourd’hui car cela en devient grotesque. Nous, nous pensons le contraire. Ces 90 000 emplois qui correspondent à peu près, depuis 2007, à la défiscalisation des heures supplémentaires, nous pensons qu’il valait mieux les créer plutôt que d’octroyer quelques heures supplémentaires ici ou là à certaines personnes.
M. Pierre Cardo. Ce ne sont pas les mêmes emplois !
M. Michel Liebgott. Nous pensons également que cela aurait pu compenser les 250 000 suppressions d’emplois enregistrées en un seul trimestre. Nous constatons aussi une explosion des budgets sociaux, car ces personnes qui n’ont plus de travail, qui sont au chômage partiel ou sont bénéficiaires aujourd’hui du RMI, demain du RSA, s’adressent aux collectivités territoriales pour obtenir des compensations sociales. Il y a donc un coût public qui s’ajoute à celui de l’exonération des heures supplémentaires. Et finalement, ce sont les déficits publics qui s’aggravent, au sens large du terme, parce qu’on n’a pas bien ciblé l’effort à faire sur les plus défavorisés.
Alors, oui, revenons aux emplois aidés ! C’est d’ailleurs ce que vous faites, contraints et forcés. Nous aurions préféré que vous y reveniez tout simplement parce que vous pensez que c’est du lien social, de la dignité pour les gens dans les quartiers, de l’activité utile à la société. De même pour les emplois-jeunes, qui ont été un apport très utile non seulement pour l’éducation nationale, mais également pour toutes les associations, pour toutes ces fonctions dites d’économie sociale. Nous pensons également que vos attaques intempestives contre les 35 heures étaient totalement injustifiées. D’ailleurs, d’une certaine manière, celles-ci vous rendent bien service aujourd’hui puisque, pour bon nombre d’entreprises, elles sont une variable d’ajustement permettant de ne pas licencier parce que les gens ne font que 35 heures.
M. Pierre Cardo. Pourquoi avez-vous voté contre le temps partiel alors ?
M. Michel Liebgott. A l’époque, les résultats étaient incontestables. Il n’y avait pas photo !
M. Pierre Cardo. Cela n’a rien à voir avec les 35 heures !
M. Michel Liebgott. De 1997 à 2002, le nombre de demandeurs d’emploi est passé de 12,7 % à 8,7 %. On peut toujours considérer que le contexte économique n’est pas le même, mais quand il se dégrade il faut être encore plus volontariste en termes d’emplois aidés.
Les préfets ont ordre aujourd’hui de réaliser des réunions dans les quartiers à l’initiative du ministère de l’intérieur. L’objectif est de pouvoir dire que la police et la gendarmerie vont au contact de la population. Deux films sont passés à cette occasion : l’un sur les dépôts de plainte, l’autre sur la cybercriminalité. Or, après les manifestations de demain, dans le climat de fatalisme qui « plombe » les quartiers les plus défavorisés, je crains que certains jeunes ne se révoltent dans les zones urbaines sensibles. La police devra alors aller dans les quartiers non pas pour expliquer comment déposer une plainte, mais pour apaiser les tensions que vous créez en répartissant mal les richesses de ce pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marisol Touraine.
Mme Marisol Touraine. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en période de crise il faut non seulement répondre par des mesures d’urgence aux situations les plus dramatiques, mais aussi proposer des pistes pour apporter des réponses structurelles à certains problèmes. Nous l’avons entendu au cours de la campagne présidentielle, l’idée d’une sécurité sociale professionnelle, indépendamment de la déclinaison ou du contenu que l’on veut bien lui donner, apparaît comme une étape absolument nécessaire pour consolider notre système de protection des salariés. Or, parmi les salariés qui se retrouvent aujourd’hui au chômage, il est une catégorie particulièrement exposée à la crise : celle des jeunes de moins de vingt-cinq ans. Le chômage des jeunes augmentant de façon beaucoup plus rapide que celui de la moyenne de la population – plus 35 % en un an, alors que le chômage en général a augmenté de 19 % –, il faut se demander quelles mesures peuvent apporter une protection particulière à ces jeunes sans leur être réservées.
A cet égard, je veux dire la déception qui a été la nôtre, la mienne notamment, face aux annonces du Président de la République concernant les mesures destinées à soutenir les jeunes dans la crise puisque, notamment – ce n’est pas la seule raison de notre déception –, elles font totalement l’impasse sur la question de l’arrivée des jeunes sur le marché de l’emploi. Ces mesures se concentrent en effet presque exclusivement sur la formation des futurs salariés, ce qui est important, mais ne répondent absolument pas au défi posé par l’arrivée, dans quelques mois, de nouvelles générations de jeunes sur le marché de l’emploi, et encore moins à la situation de ceux qui sont déjà au chômage. Or, si les jeunes sont particulièrement visés par le chômage, c’est pour une raison en particulier : leur entrée stable sur le marché de l’emploi étant difficile, ils passent par une période au cours de laquelle ils accumulent des emplois précaires, des CDD ou des intérims. A la fin du mois de février, par exemple, le quart des nouveaux chômeurs était constitué de personnes dont l’emploi précaire, CDD ou intérim, était arrivé à terme.
Voilà pourquoi nous faisons aujourd’hui cette importante proposition, qui doit être conçue comme la première étape d’une nouvelle sécurité sociale professionnelle. Il faut en effet apporter une réponse particulière à la situation des jeunes de seize à vingt-cinq ans en prolongeant de six mois, donc de façon exceptionnelle, la durée d’indemnisation chômage des personnes arrivant en fin de CDD ou de contrat d’intérim. On ne peut plus dire comme vous l’avez fait – on ne vous entend d’ailleurs plus sur ce point ! – que le chômage résulte d’une volonté de ne pas travailler, que l’inscription de nouveaux chômeurs au pôle emploi relève d’une stratégie délibérée de salariés préférant s’inscrire au chômage plutôt que rechercher un emploi. Dans la situation structurelle actuelle, le chômage doit être pris en compte de façon plus volontariste. La difficulté à laquelle se trouvent confrontés les chômeurs en fin de CDD ou d’intérim, en particulier les jeunes, c’est que leur indemnisation est en moyenne plus faible que celle des autres salariés. Vous le savez, monsieur le ministre, moins d’un salarié sur deux bénéficie d’une indemnisation chômage, mais les plus de cinquante ans sont indemnisés pour 80 % d’entre eux, alors que les moins de vingt-cinq ans sont indemnisés pour 45 % d’entre eux. C’est pourquoi il nous paraît absolument nécessaire de nous engager dans cette voie.
Enfin, nous regrettons que l’article 4 contenant une telle proposition ait été, à la demande du Parlement, frappé par la sévérité de l’article 40. Je pense que le Gouvernement était là pour agiter l’Assemblée,…
M. Marcel Rogemont. Il n’a qu’à reprendre cette disposition !
Mme Marisol Touraine. …mais nous devons avoir une discussion sur la manière de concevoir l’article 40, qui interdit la discussion de certaines dispositions, dans le cadre des propositions d’initiative parlementaire. Un tel couperet a en effet un sens lorsqu’il s’applique à des amendements à un projet du Gouvernement, mais pas dans le cadre d’une initiative parlementaire, sauf à considérer que celle-ci doit être extraordinairement limitée dans son champ d’application. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Marcel Rogemont. Le président de l’Assemblée ne veut pas d’une telle disposition, mais le Gouvernement peut la reprendre ! Qu’il le fasse !
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Lemorton.
Mme Catherine Lemorton. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à ce stade de notre discussion générale sur cette proposition de loi, je souhaiterais revenir sur la dichotomie évidente entre les paroles et les actes de l’actuelle majorité.
Cette proposition de loi se veut un outil de mise en perspectives concrètes des annonces faites et répétées depuis des mois par le Président de la République sur les failles d’un système, l’impérieuse nécessité de le moraliser et l’obligation faite aux politiques de créer les conditions d’un accompagnement immédiat pour celles et ceux qui vont devoir subir, bien involontairement, les conséquences sociales de la crise : baisse de leur pouvoir d’achat et perte de leur emploi.
Notre proposition s’attaque donc à des réalités établies : inefficacité du dispositif « heures supplémentaires » contenu dans la loi TEPA ; nécessité d’accompagner plus longtemps les salariés licenciés ainsi que les chômeurs de longue durée.
Ces dispositions devraient, selon toute logique, déboucher sur des échanges constructifs avec la majorité – si tant est qu’elle soit là pour débattre ! – pour qu’ensemble nous construisions le système de demain. Pourtant, loin d’accepter notre main tendue, la majorité a jusqu’à aujourd’hui préféré fermer les yeux, revenir sur ses obsessions tant ressassées et empêcher que le débat ait lieu.
L’examen du texte par la commission des affaires sociales fut d’ailleurs bien symbolique de cette volonté. L’utilisation spécieuse de l’article 40 est une preuve flagrante de l’enfermement idéologique dans laquelle vous vous trouvez, chers collègues.
Le refus de vous poser la moindre question sur l’efficacité des mesures que le Gouvernement a pu prendre – heures supplémentaires, exonérations de cotisations sociales –, pourtant vilipendées par des institutions comme la Cour des comptes, nous amène à penser que votre capacité de contrôle est altérée, voire inexistante.
Enfin, l’argument ultime que vous utilisez, à savoir que cette proposition de loi est trop inspirée du programme d’un parti politique, en l’occurrence le mien, ne mérite pas que l’on s’y attarde lorsque l’on subit quotidiennement, depuis 2007, une politique qui n’est même plus dictée par un parti et ses représentants, mais par un homme entouré d’une caste de conseillers plus ou moins obscurs, mais suffisamment écoutés pour que le chemin législatif ordinaire en soit oublié.
Comment expliquer autrement que par un entêtement clanique le maintien, par exemple, du dispositif des heures supplémentaires ? En effet, alors que l’activité économique a diminué de 1,2 % au quatrième trimestre 2008, le nombre d’heures supplémentaires a continué d’augmenter, atteignant, entre le quatrième trimestre 2007 et le quatrième trimestre 2008, une hausse de 28 %.
Il est difficile de croire que cette hausse traduise celle de l’activité des entreprises. Quelles en sont, alors, les raisons ? Des départs en retraite non remplacés et compensés par le recours aux heures supplémentaires ? Des contrats temporaires arrivés à terme et aboutissant à la même démarche ? Ou bien des licenciements amenant les entreprises à faire peser sur le temps de travail des salariés encore en place la charge de travail laissée par les licenciés victimes du système ?
Le caractère pervers de cette mesure réside dans la stimulation de la consommation de certains salariés par le biais des heures supplémentaires – laquelle reste à prouver – au détriment de personnes qui perdent concrètement leur emploi. Les 3 à 4 milliards d’euros que coûte le dispositif pourraient être utilisés à bien d’autres choses. Hélas, pour le Président et ses conseillers tout puissants, c’est avouer une erreur manifeste qui serait la pire des gabegies !
Avec cette proposition de loi, nous lançons un appel à la majorité. Ses dispositions sont cohérentes, construites et chiffrées financièrement. Elles répondent à des interrogations que vous exprimez, chers collègues, comme a pu le faire le président Méhaignerie durant nos débats en commission. Je vous rappelle ses propos : « Quant aux augmentations des hauts revenus par rapport aux plus faibles, le constat est vrai. Partout dans le monde, la petite classe moyenne a été tirée vers le bas et les salaires les plus élevés vers le haut. Il n’y a quasiment aucune exception. La crise nous oblige aujourd’hui à y réfléchir, mais le problème n’est pas spécifiquement français. Il est lié à la mondialisation. »
Nous ne pouvons qu’être d’accord avec cette déclaration. Mais, pour commencer à faire évoluer le système mondial, il faut déjà que le gouvernement Français renonce à maintenir des dispositifs qui en accentuent les effets pervers.
M. Marcel Rogemont. Excellent !
Mme Catherine Lemorton. L’action et la parole présidentielles sont aujourd’hui totalement discréditées. De discours en discours, de promesses non tenues en promesses non tenues, le fossé s’est définitivement creusé entre les Français et elles. Mais la représentation nationale a encore, je l’espère, la capacité de montrer qu’elle peut librement assumer certains choix, en rupture avec les diktats présidentiels et en cohérence avec l’attente de nos concitoyens.
Puisque je vous sais, pour la plupart, poètes à vos heures perdues, je terminerai mon propos par ce vers de René Char, qui est en soi un appel à sortir des sentiers battus du néolibéralisme ambiant : « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience. »
M. Marcel Rogemont. Excellent !
Mme Catherine Lemorton. La patience des Français a atteint sa limite. Alors, chers collègues, osez voter une proposition qui leur sera simplement utile. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La parole est à M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi.
Un député du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Où est M. Hortefeux ?
M. Jean Mallot. En formation !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je répondrai de la façon la plus précise possible à l’intervention du rapporteur et aux différents orateurs qui se sont exprimés.
Je ne peux qu’être d’accord avec le choix du groupe socialiste d’aborder le thème de l’emploi, premier sujet de préoccupation des Français. C’est donc avec un grand intérêt que j’ai découvert sa proposition de loi.
M. Benoist Apparu. Cela s’est gâté ensuite !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État. Deux articles du texte sont tombés sous le coup de l’article 40. Je rappelle que, celui-ci s’imposant à tous, on ne saurait en faire un usage politique. Sauf erreur de ma part, c’est le président de la commission des finances lui-même qui intervient en la matière. (« En effet ! » sur les bancs du groupe UMP.)
J’en viens donc aux deux seuls sujets dont nous débattons aujourd’hui : l’exonération des charges et les heures supplémentaires.
L’article 1er propose de conditionner les allégements à l’existence d’un accord salarial d’entreprise de moins d’un an ou d’un accord salarial de branche. Le Gouvernement n’y est pas favorable pour deux raisons.
D’une part, la loi du 3 décembre 2008 conditionne déjà les allégements à l’ouverture de négociations au sein de l’entreprise et à la conclusion d’un accord de branche. Je fais donc remarquer à M. Rogemont, dont j’écoute toujours les interventions avec plaisir, que l’adoption de cet article entraînerait un recul, en supprimant la nécessité d’un accord de branche prévoyant au moins un coefficient égal ou supérieur au SMIC. Je ne pense pas, cependant, que tel soit le souhait des auteurs de la proposition de loi.
M. Gérard Bapt. Pas du tout !
M. Marcel Rogemont. Vous n’avez pas lu le texte !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État. Mais si ! J’ai même écouté attentivement votre intervention.
D’autre part, dans les entreprises, vous souhaitez conditionner les allégements de charges aux résultats de la négociation. Mais cette solution ne me semble pas appropriée. D’abord, elle fausse la négociation. Nous avons déjà eu ce débat avec certains d’entre vous. D’autre part, il est extrêmement difficile de définir juridiquement une augmentation acceptable des salaires, à moins que l’on ne veuille mettre en place une police des salaires, ce que ne souhaite aucun des parlementaires ici présents. Puisqu’il ne relève pas de la responsabilité du pouvoir politique, laissons ce rôle aux partenaires sociaux, par respect pour le dialogue social.
Venons-en à l’article 2. J’ai été surpris par les propos de Mme Lemorton, dont les interventions sont toujours pondérées.
M. Benoist Apparu. C’est à voir !
Mme Catherine Lemorton. Vous n’aimez pas René Char, monsieur le secrétaire d’État ?
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État. Quand vous avez parlé d’« entêtement clanique » à propos du dispositif sur les heures supplémentaires voté par la représentation nationale, je ne pense pas que vous exprimiez alors la pensée de René Char !
M. Jean Mallot. Répondez sur le fond, monsieur le secrétaire d’État !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État. Le dispositif d’exonération sociale et fiscale des heures supplémentaires, dont nous assumons le coût, monsieur Liebgott, a été décidé au vu de celui qu’ont eu les 35 heures non seulement pour les entreprises, dont la productivité s’est dégradée, mais pour les salariés, qui ont tous constaté que leur pouvoir d’achat avait diminué.
M. Pierre Cardo. En effet !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État. Nous pensons justement aux plus modestes d’entre eux : sur les 2,8 milliards d’euros consacrés aux exonérations, 2 milliards bénéficient à ces salariés, notamment aux ouvriers qui recourent sept fois plus que les cadres aux heures supplémentaires.
M. Pierre Cardo. C’est exact !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État. L’adoption de l’article 2 retirerait donc 2 milliards d’aides aux salariés les plus modestes. Est-ce vraiment ce que veulent les députés, qui ont à cœur de défendre le pouvoir d’achat, surtout en ce moment ?
M. Alain Vidalies, rapporteur. Allons ! L’argument n’est pas sérieux !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État. Le texte aurait également pour effet de renchérir le coût moyen du travail pour les entreprises, au moment où nous traversons une période délicate.
J’en viens à la question que M. Mallot a posée à juste titre : le recours aux heures supplémentaires a-t-il pour effet de limiter la création d’emploi ou produit-il un effet de substitution, en favorisant le recours à l’intérim ou aux CDD ?
M. Jean Mallot. Il réduit les embauches !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État. Rappelons-le : le recours à l’intérim et aux CDD est encadré par la loi.
M. Jean Mallot. Ce n’est pas vrai !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État. Les entreprises ne peuvent en aucun cas remplacer la création d’emploi par le recours aux heures supplémentaires ou à l’intérim, sans tomber sous le coup du droit du travail.
De plus, la création d’emploi n’a jamais été aussi forte qu’au moment où le dispositif des heures supplémentaires a été installé, en période de croissance. Les embauches ont augmenté de 30 % de plus qu’en 2006 et 2007, années pourtant favorables. À l’inverse, aujourd’hui où nous sommes entrés dans une période de récession, on constate un net recul des heures supplémentaires, surtout depuis janvier.
Enfin, en Espagne, au Royaume-Uni et au Danemark où le dispositif n’a pas cours, l’augmentation du chômage est beaucoup plus importante.
M. Jean-Marc Ayrault. Pour d’autres raisons !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État. Voilà qui démonte le vieux raisonnement – non dénué de cohérence, j’en conviens, mais fondé sur une logique malthusienne – selon lequel toute création d’activité pénaliserait la création d’emploi. Notre raisonnement est inverse : c’est la création d’activité qui permet la création d’emploi.
Mme Marisol Touraine. Mais, en l’occurrence, il n’y a pas de création d’emploi !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État. Il dépasse, madame Touraine, la période de crise, qui durera entre six mois et un an. Il nous faut en effet réfléchir à long terme.
Mme Marisol Touraine. Évidemment !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État. Crise ou non, c’est à une revalorisation du travail, notamment des salariés les plus modestes, que nous vous appelons.
Quant à l’orientation de notre politique de l’emploi, sachez, madame Touraine, qu’elle répond à trois objectifs.
Le premier est d’anticiper, autant que possible, les licenciements. C’est pourquoi nous avons amélioré fortement l’indemnisation du chômage partiel, qui est passée de 55 % du salaire brut à 90 % voire, dans le cas du SMIC, à 100 % du salaire net, en obtenant par ailleurs des contreparties et des engagements très clairs de la part des entreprises.
Notre second objectif est de permettre aux salariés qui ont perdu leur emploi de rebondir. Nous misons notamment sur la formation professionnelle, mais aussi sur la flexi-sécurité ou la sécurité sociale professionnelle. Vous mesurerez bientôt les avancées considérables qu’apportera, dans ce domaine, le projet de loi sur la formation professionnelle.
Notre troisième objectif est la création d’emploi, notamment dans les services à la personne – des chèques emploi services seront envoyés le 1er juin à 1,5 million de familles modestes – et d’autres secteurs tels que les centres d’appel, l’environnement et le développement durable, domaines bien connus du président Méhaignerie.
J’emprunte ma conclusion à M. Aly. Certes, je n’irai pas jusqu’à qualifier comme lui les articles de ce texte de fourre-tout. Ils offrent du moins l’occasion d’un débat intéressant, en revenant sur des sujets comme les heures supplémentaires ou la conditionnalité des allégements de charges. Mais les propositions avancées ne contiennent aucune idée neuve, bien que nous ayons ouvert le débat il y a plus d’un an. Je pense que nous devons au contraire chercher en toute sérénité les idées neuves dont nous avons besoin, au sujet du CTP, du développement de l’alternance, de la formation professionnelle et de la reconversion. Sur ces sujets, nous pouvons réussir et revaloriser l’image du débat parlementaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Vidalies, rapporteur. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie d’avoir répondu sur le fond. Mais, sans entrer dans un débat technique, je ne partage pas votre idée selon laquelle notre texte remettrait en cause certaines avancées déjà votées. Sur ce point, vous faites erreur ou les informations qui vous ont été transmises sont fausses.
M. Gérard Bapt. Absolument !
M. Alain Vidalies, rapporteur. En effet, vous avez mis en balance la proposition de loi avec un texte prévoyant seulement qu’à partir de 2011, dans les entreprises où le salaire minimum conventionnel n’aurait pas été revalorisé au niveau du SMIC, un abattement serait pratiqué sur la base d’un salaire inférieur au SMIC et non sur le montant de celui-ci. Il faut un rare niveau d’expertise pour voir dans un tel dispositif une raison de repousser les mesures que nous préconisons. Sur cette question, je tiens à votre disposition un numéro des Notes de liaison sociales. Mais là n’est pas l’essentiel.
J’en viens aux exonérations de cotisations, qui posent un vrai problème politique. Nous proposons de les conditionner à la signature d’un accord sur les salaires. Spontanément, comme l’ont fait en commission certains députés de la majorité, vous nous répondez que vous avez prévu l’ouverture d’une négociation, qu’elle aboutisse ou non, car vous pensez que faire dépendre les allégements de la réussite de cette négociation, c’est déjà une manière de la fausser. Un député de la majorité a objecté que l’entreprise risquait d’être prisonnière.
Nous comprenons qu’on puisse tenir un tel raisonnement si on ne fait pas confiance aux salariés. Mais le salarié qui négocie veut garder son emploi. Il est aussi attaché à l’entreprise que l’employeur. Au fond, ce qui nous sépare, c’est la conception même de la négociation et du rôle des hommes dans l’entreprise. Si vous pensez que le seul objectif des salariés, c’est, dans une démarche négative, de « pirater » l’entreprise, vous n’êtes évidemment pas près d’avancer sur la question de la négociation sociale et, plus généralement, des relations sociales. Voilà en quoi divergent vraiment votre conception des relations sociales et la nôtre. La richesse, à nos yeux, ne se crée pas toute seule : elle a pour origine non seulement le chef d’entreprise et le capital mais également les salariés qui travaillent dans l’entreprise. C’est bien la rencontre entre ce chef et ces travailleurs, qui ont intérêt, les seconds tout autant que le premier, à assurer la pérennité de l’entreprise, qui permet de créer de la richesse. Si on fait confiance aux organisations syndicales, cela exclura naturellement toute surenchère.
Une autre question se trouve toutefois posée, qui concerne le rôle du pouvoir politique en matière de salaires. Deux réponses seulement sont aujourd'hui proposées : l’économie administrée – il reste quelques exemples : je citerai la Corée du Nord, pour ne vexer personne – et le libéralisme absolu, pour lequel les salaires ne sont pas du ressort de la politique. Nous pensons, nous, qu’entre ces deux conceptions opposées, il y a place pour un pouvoir politique qui met sur la table des avantages, notamment en termes d’allégements de cotisations ou de mesures fiscales. Les entreprises où le dialogue social se passe bien doivent-elles être traitées de la même façon que celles où on choisit, entre amis, en cénacle restreint, d’offrir à quelques-uns des parachutes dorés et des retraites chapeaux, plutôt que d’ouvrir une négociation salariale conduisant à un accord d’entreprise ?
Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse : elle confirme qu’il existe bien deux visions différentes de l’entreprise et des relations sociales.
En ce qui concerne les heures supplémentaires, lors de l’examen de la loi TEPA, nous n’y étions pas favorables parce qu’à nos yeux une politique salariale qui ne concerne que la moitié des salariés est inadmissible. Seuls 53 % des salariés, en effet, font des heures supplémentaires. Ce n’est pas que les autres ne veulent pas en faire mais certains ne le peuvent en raison de la nature même de leur entreprise et d’autres, en raison de la nature de leur activité, alors même qu’ils travaillent dans des entreprises qui en proposent à d’autres postes. Lorsque le Gouvernement prétend réduire sa politique salariale aux heures supplémentaires, que reste-t-il aux salariés qui sont privés de cette possibilité ? N’ont-ils droit à aucune augmentation ? Ne peuvent-ils plus revendiquer ? La majorité des heures supplémentaires est concentrée sur certaines activités – la restauration et le bâtiment principalement –, la moyenne effectuée étant de 55 heures par an. Les heures supplémentaires ne sauraient donc tenir lieu de politique salariale ! Pour la moitié des salariés, cette politique, pour laquelle vous avez dépensé 4,4 milliards d’euros, ne correspond à rien ! Vous êtes arrivés dans une impasse et vous le savez parfaitement.
Je reconnais que le débat n’est pas, aujourd’hui, alors que la crise sévit, de même nature que lors de l’examen de la loi TEPA. Mais précisément, ce que je vous reproche, c’est de ne pas comprendre, aujourd’hui, qu’il faut changer de raisonnement afin de tenir compte de la situation créée par la crise et des effets de la loi TEPA sur celle-ci,…
M. Marcel Rogemont. Il faut savoir s’adapter !
M. Alain Vidalies. …effets que la comparaison, très simple, de deux chiffres que tous les Français connaissent, permet de mesurer. Au dernier trimestre de l’année 2007, en France, 144 millions d’heures supplémentaires ont été effectuées alors que la croissance s’élevait à 0,4 %. Au dernier trimestre de l’année 2008, 184 millions d’heures supplémentaires ont été effectuées alors que le PIB avait diminué de 1,2 %. Lorsque la croissance passe de plus 0,4 à moins 1,2 % et que, dans le même temps, le nombre des heures supplémentaires effectuées augmente de 28 %, tous les Français perçoivent la gravité du problème : ils comprennent que cette augmentation, de l’ordre de 40 millions, du nombre des heures supplémentaires est le fruit d’un effet de substitution puisque, dans le même temps, sur l’année 2008, 115 000 emplois ont été perdus, avec une accélération au cours du dernier trimestre, alors même que le nombre des heures supplémentaires continuait d’augmenter, fût-ce faiblement. Le nombre des heures supplémentaires correspond à 90 000 emplois à temps plein !
Nous ne vous reprochons pas tant l’existence de la crise – nous pourrons en reparler – que votre refus d’utiliser tous les leviers à votre disposition : votre politique est responsable de l’aggravation de la crise.
C’est la raison pour laquelle nous pensons que nous aurions dû recevoir, de la part du Gouvernement, une autre réponse aux deux questions que nous avons posées aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. J’appelle les articles de la proposition de loi.
Mme la présidente. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 1er.
La parole est à M. Gérard Bapt.
M. Gérard Bapt. Monsieur le ministre, l’article 1er de la proposition de loi vise à subordonner le bénéfice des exonérations de cotisations patronales à la conclusion d’accords collectifs d’entreprise ou de branche sur les salaires, dans le but de favoriser les augmentations de salaire effectives.
Ayant présidé une mission d’information sur la question des niches sociales et des allégements de cotisations sociales, mission dont le rapporteur était M. Bur, je tiens à souligner que cet article ne fait que reprendre une des propositions de cette mission votée à l’unanimité – dans son esprit du moins, non dans la lettre puisque, après arbitrage du rapporteur et du Gouvernement, on s’est contenté de subordonner ces allégements à l’ouverture de négociations et non à la conclusion d’accords. Toutefois, les débats de la mission avaient également porté sur les techniques permettant d’introduire la notion d’abattement progressif des allégements de cotisations sociales en cas de non-conclusion d’accord collectif dans l’entreprise.
Les données statistiques sur l’évolution du pouvoir d’achat montrent que, si celui-ci est aujourd’hui en recul, il l’était déjà au début de l’année 2008, c’est-à-dire avant l’éclatement de la crise du capitalisme financier, ce qui valait déjà sanction de la politique du Gouvernement : sanction de la loi TEPA et du bouclier fiscal renforcé, sanction du « travailler plus pour gagner plus », sanction d’une politique qui avait conduit dès le premier semestre 2008 à l’augmentation du chômage et à la baisse du pouvoir d’achat.
En effet, après avoir déjà stagné au premier trimestre 2008, le pouvoir d’achat du revenu disponible avait baissé de 0,3 % au deuxième trimestre,…
M. Jean Leonetti. Ce n’est pas vrai.
M. Gérard Bapt. Ce sont les chiffres de l’INSEE.
…baisse accompagnée d’une flambée du nombre de demandeurs d’emplois à l’été 2008, ce qui avait surpris le Gouvernement,…
M. Jean Leonetti. Il y a eu la crise.
M. Gérard Bapt. …et signait, déjà, l’échec économique de la loi TEPA et du bouclier fiscal.
Après avoir stagné au troisième trimestre, le pouvoir d’achat s’effondrait au dernier trimestre, baissant de 0,8 % ! Il est à craindre, malheureusement, que l’année 2009 ne soit de la même veine !
Encore faut-il souligner que le pouvoir d’achat disponible, selon la définition de l’INSEE, est mesuré en ajoutant aux revenus du travail ceux du patrimoine. Or il est clair que la chute du pouvoir d’achat est plus lourde et plus douloureuse pour les salariés et les retraités que pour les détenteurs de revenus du capital, protégés comme ils le sont par votre politique.
La crise du capitalisme financier a néanmoins l’intérêt pour le Gouvernement de masquer l’échec de sa politique, ainsi que celui de la politique néolibérale dans le monde, singulièrement aux États-Unis. En effet, la raison profonde de la crise du système financier libéral est la stagnation des revenus salariaux et la course effrénée à ce que les libéraux appellent la « création de valeurs », c’est-à-dire la course aux dividendes du capital.
Les socialistes pensent qu’un plan de relance efficace passe par une redynamisation de la consommation : il ne s’agit pas seulement d’une exigence de justice sociale et de reconnaissance de la valeur du travail, mais également d’un impératif économique qui requiert à la fois des mesures sociales pour les plus démunis et la réduction des inégalités de revenus et de patrimoines.
Le discours de Mme la ministre de l’économie nous a montré qu’elle persistait dans une pensée inverse, à savoir dans une logique libérale qui produit toujours plus d’inégalités et reste soumise à l’avidité de ceux qui, ayant déjà tout, en veulent toujours davantage.
Aussi le dispositif proposé par l’article 1er de la proposition de loi, liant l’allégement des cotisations à la conclusion d’un accord salarial, est-il particulièrement pertinent au double point de vue de la justice sociale et de l’efficacité économique.
C’est la raison pour laquelle j’espère, mes chers collègues, que cet article sera adopté mardi prochain. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Mallot.
M. Jean Mallot. L’article 1er tend en effet à subordonner les exonérations de cotisations patronales de sécurité sociale à la conclusion effective d’accords collectifs sur les salaires.
Est-il besoin d’insister sur l’intérêt que présente cette condition imposée par l’article 1er ? Il est normal, en effet, qu’un avantage financier important pour les entreprises soit soumis à des conditions notamment en matière salariale. De plus, compte tenu de la situation économique actuelle, il faut soutenir le pouvoir d’achat, ce qui impose notamment d’agir sur le salaire direct et donc de faire jouer les négociations sociales au sein de l’entreprise et de la branche.
Je tiens toutefois à insister sur un autre aspect de la question : l’économie est un système qui forme boucle. Il faut donc mettre en relation les différents textes que nous discutons, discuterons ou avons discutés : il faut avoir à l’esprit tous les mécanismes car ils convergent et cumulent leurs effets.
C’est ainsi que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 prévoyait que le déficit de la sécurité sociale serait de l’ordre de 10 à 12 milliards d’euros, ce qui était déjà énorme. Or, nous le savons désormais, les craintes que nous exprimions à l’époque, relatives notamment à la très grande fragilité des prévisions de recettes, se vérifient. Je rappellerai que ce déficit avait été estimé en se fondant sur une hypothèse de croissance des salaires, c’est-à-dire de l’assiette des cotisations, de 4,5 % pour 2009 et de 3,5 % par année à partir de 2010. Le Gouvernement a corrigé le tir en janvier dernier en ajustant le déficit à 12 milliards d’euros, mais nous savons désormais que, compte tenu de l’évolution probablement négative des salaires en 2009, due aux circonstances économiques, le trou de la Sécu sera de l’ordre de 20 milliards d’euros ! Nous avons donc intérêt, également pour ne pas creuser davantage ce déficit, à ce que les salaires augmentent et produisent, par ricochet, des cotisations sociales : il y va de l’équilibre de nos régimes sociaux et de la dette que nous léguerons à nos enfants.
Nous devons être cohérents à travers tous nos débats : en ce qui nous concerne, nous pensons l’être ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marcel Rogemont.
M. Marcel Rogemont. M. le secrétaire d’État a affirmé que mes propos n’ont pas tenu compte des accords de branche. Je lui rappellerai donc le début du premier alinéa de l’article 1er : « Si à compter du 1er septembre 2009, l’entreprise n’est pas couverte par un accord salarial d’entreprise de moins d’un an […] ou par un accord salarial de branche […] ». J’ajoute que « l’accord salarial de branche » est également mentionné au second alinéa. Monsieur le secrétaire d’État, la notion d’accord de branche était évidemment incluse dans mes propos.
Vous avez également affirmé que la loi du 3 décembre 2008 pose pour conditions l’ouverture et la conclusion d’un accord salarial. Qu’en est-il de l’application de cette loi ? Combien d’entreprises n’ont pas conclu d’accords salariaux dans la période couverte par la loi ? Faire une loi ne suffit pas si, dans le même temps, on supprime des postes dans les directions départementales du travail, puisque ces suppressions rendent impossible tout contrôle ! Vous édictez des dispositions qui, dans les faits, ne peuvent pas être appliquées puisqu’il n’existe plus de personnels pour y veiller ! Pourriez-vous nous indiquer dans quelle mesure exacte la condition prévue par la loi a été respectée, et donc à quoi a servi cette loi ?
Pour ma part, j’ai l’impression qu’il s’agit d’un coup d’épée dans l’eau : elle n’a eu aucun effet positif pour les salariés. Il convient donc de dire nettement que l’accord salarial doit être conclu, et qu’il doit aller dans le sens d’une évolution positive des salaires : il ne faut pas « travailler plus » pour finalement gagner moins.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Mallot.
M. Jean Mallot. Madame la présidente, avant que vous nous annonciez que le vote de l’article 1er est réservé, et avant que nous ne passions à l’article 2, je veux signaler qu’il y a quelques heures, M. Apparu a défendu en commission un amendement de suppression de l’article 1er.
M. Benoist Apparu. Il a été retiré !
M. Jean Mallot. Il me semble qu’il aurait été normal – pour utiliser un terme diplomatiquement correct – que M. Apparu, qui est présent dans l’hémicycle, prenne la peine de défendre son amendement. Il s’agit de simple bon sens parlementaire, je ne parlerai même pas de courtoisie.
Nous aurions tout particulièrement aimé pouvoir discuter des arguments qu’il développe dans l’exposé sommaire de son amendement.
M. Henri Emmanuelli. Manifestement, cela nous est interdit !
M. Jean Mallot. En effet, il explique notamment que la contrainte pesant sur la conclusion de la négociation salariale est contraire au bon déroulement de celle-ci qui, alors, ne « peut plus se dérouler de manière loyale ». J’aurais aimé que M. Apparu nous éclaire sur cette formule. En poussant à son terme cet étrange raisonnement, on pourrait dire que sans contraintes, il n’y aurait plus de négociations, et que tout serait loyal ! Je regrette que M. Apparu s’en tienne au silence que M. Copé et M. Karoutchi lui ont imposé.
Aujourd’hui, ces derniers, vous l’avez constaté, ont inventé l’« absentéisme sans risque », pratique qu’ils ont mariée avec celle de la « présence silencieuse ». (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Henri Emmanuelli. Il est apparu que M. Apparu ne voulait pas paraître !
M. Sébastien Huyghe. Chacun son tour !
Mme la présidente. À la demande du Gouvernement le vote sur l’article 1er est réservé.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Durand, premier orateur inscrit sur l’article 2.
M. Yves Durand. Je regrette tout d’abord que M. Apparu n’ait pas cru bon de défendre son propre amendement. Je le connaissais plus prompt à prendre la parole et à défendre ses convictions – ce que j’appréciais d’ailleurs.
Je remercie M. Laurent Wauquiez d’être présent et d’avoir entamé avec nous un débat sur le fond de cette proposition de loi. Cela montre que nous avions raison, ce matin, de vouloir que nos propositions de loi soient véritablement débattues.
M. Pierre Cardo. C’est grâce à Copé !
M. Sébastien Huyghe. Merci, Copé !
M. Yves Durand. Plusieurs éléments militent pour qu’on supprime l’exonération fiscale des heures supplémentaires.
Je citerai d’abord l’inconditionnalité de ces exonérations. Je crois qu’il s’agit d’un des rares cas d’exonération fiscale sans conditions – une seule autre loi semblable existe à ma connaissance. Cette mesure s’apparente donc plus à un cadeau qu’à une véritable politique de défense de l’emploi et de création d’emplois, contrairement à ce que le Gouvernement prétend dans la loi TEPA.
Ensuite, monsieur le secrétaire d’État, il faut insister sur le coût de cette exonération, qui s’élève à 4,4 milliards d’euros, comme vous l’avez vous-même noté. Cela équivaut à la création de 90 000 emplois !
Enfin, je constate que les exonérations ont des effets pervers sur l’emploi ; en tout cas, elles sont à tout le moins inefficaces. En effet, vous avez créé une véritable machine à casser l’emploi puisqu’il devient beaucoup plus facile de distribuer des heures supplémentaires que de créer de l’emploi.
Vous rétorquez qu’il y a bien eu des créations d’emplois quand vous avez déclenché votre politique en faveur des heures supplémentaires. Certes, mais, comme le disait Alain Vidalies, la situation a radicalement changé. Aujourd’hui, il est tout de même aberrant – et le mot est faible – de maintenir une politique favorable aux heures supplémentaires alors que l’économie détruit des emplois. Au passage, je vous fais observer que le Gouvernement est le principal responsable de ces destructions car, en France, aujourd’hui, c’est l’État qui licencie le plus – vous vous apprêtez ainsi à supprimer 30 000 emplois publics dans le prochain collectif budgétaire.
Autrement dit, non contents d’être directement à l’origine de la suppression de nombreux emplois, vous maintenez une disposition qui casse la création d’emplois.
M. Michel Havard. C’est faux ! Vous dites des mensonges.
M. Yves Durand. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez essayé de présenter quelques arguments pour défendre cette mesure, mais ils sont mauvais. Nous demandons donc la suppression de ces exonérations.
Selon vous, les heures supplémentaires « ont bénéficié aux personnes qui perçoivent les plus bas salaires ». Si nous acceptions cette hypothèse, cela signifierait qu’il faudrait nécessairement faire des heures supplémentaires pour s’assurer un salaire décent.
M. Pierre Cardo. Il y a le RSA, mais vous ne l’avez pas voté !
M. Henri Emmanuelli. Nous ne l’avons pas voté en raison de son financement, vous le savez parfaitement !
M. Yves Durand. En fait, plutôt que de mener la politique de relance par les salaires que suivent tous les pays européens, et que nous vous demandons d’adopter depuis des mois face à la crise, vous avalisez la politique qui consiste à faire pression sur les salaires. Depuis des semaines, tous les mardis et les mercredis, lors des questions au Gouvernement, nous réclamons une politique de relance salariale ; mais vous faites le contraire !
Il vous reste un seul argument : votre vieille et sempiternelle critique des trente-cinq heures. Mais, monsieur Wauquiez, je vous conseille d’abandonner cette antienne. Lorsque l’actuelle majorité est arrivée aux responsabilités en 2002, elle a immédiatement créé à l’Assemblée nationale une mission d’information sur les effets des trente-cinq heures, que présidait M. Ollier, dans le seul but de démontrer combien cette réforme avait été néfaste. Pour finir, vous avez quasiment passé sous silence les résultats de ce travail, car cette mission avait démontré, à l’inverse de ce que vous recherchiez, que les trente-cinq heures avaient créé 350 000 emplois.
M. Jean Leonetti. Ce n’est pas vrai !
M. Sébastien Huyghe. C’était une catastrophe !
M. Yves Durand. Reportez-vous aux conclusions de cette mission d’information dont vous aviez vous-même demandé la création !
Abandonnez donc cet argument ressassé ! Redonnez plutôt un véritable dynamisme à l’emploi et au pouvoir d’achat et, dans la crise, supprimez cette aberration que constituent les exonérations d’heures supplémentaires figurant dans la loi TEPA. Tel est le sens de l’article 2 de notre proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Régis Juanico.
M. Régis Juanico. Messieurs les secrétaires d’État, nous souhaitons vraiment que le Gouvernement ne persiste pas dans l’erreur. En effet, il n’a pas pris la mesure de la crise économique et sociale qui secoue notre pays.
Depuis un an, le chômage a augmenté de 22 %. Ces six derniers mois, on a enregistré plus de 500 000 chômeurs supplémentaires, ce qui pour des départements industriels comme celui de la Loire, dont je suis l’un des élus, se traduit par une augmentation du chômage de près de 30 % – avec, par exemple, au mois de mars, 250 000 heures de chômage partiel.
Que vous n’ayez pas véritablement pris la mesure de cette crise sans précédent, les mesures que vous avez proposées s’agissant de l’emploi des jeunes ou des contrats aidés le montrent : elles sont tout, sauf adaptées à la situation.
Pourtant, nous le savons : le pire est devant nous, et non derrière nous. Au groupe SRC, nous estimons qu’à situation exceptionnelle, il faut des réponses exceptionnelles. Mais à l’inverse, vous vous enfermez dans vos certitudes, arc-boutés sur des vieilles recettes qui ne marchent pas. Voilà, en quelque sorte, l’escroquerie à laquelle se livre ce Gouvernement : il se dit pragmatique, mais lorsqu’il agit, il démontre tout le contraire. En fait, vous êtes des dogmatiques.
On le constate encore avec la provocation de M. Hortefeux qui a choisi, en début de semaine, à quelques jours du 1er mai, fête du travail et des travailleurs, de relancer le débat sur le travail du dimanche. On sait pourtant parfaitement que cette mesure n’apportera rien aux chômeurs et ne fournira aucune solution au problème de l’emploi. Au moins, monsieur Wauquiez, contrairement à M. Hortefeux, je reconnais que vous avez eu le courage de venir défendre dans l’hémicycle la politique de votre Gouvernement.
Aujourd’hui, cette politique ajoute du chômage au chômage et de la crise à la crise. Elle est inefficace et contre-productive, elle joue contre l’emploi et contre les chômeurs. Cela est particulièrement vrai de vos mesures en faveur des heures supplémentaires qui sont une machine à fabriquer des nouveaux chômeurs puisqu’elles encouragent à arbitrer au détriment de l’embauche. Nous sommes le seul pays où l’heure supplémentaire coûte moins cher qu’une heure de travail ordinaire.
Je voudrais dire un mot des dispositifs relatifs à l’emploi des seniors adoptés l’an dernier, alors que vous espériez encore parvenir à assurer le retour au plein-emploi. Aujourd’hui, ils jouent à contretemps.
Des mesures comme le durcissement des conditions de départ anticipé pour ceux qui ont eu des carrières longues, ou la suppression de la dispense de recherche d’emploi pour les chômeurs de plus de cinquante-sept ans gonflent désormais artificiellement les chiffres du chômage.
Dans un contexte de récession, l’assouplissement des règles du cumul entre l’emploi et la retraite, et l’autorisation de travailler jusqu’à soixante-dix ans incitent les retraités à rester sur le marché du travail où ils se trouvent en concurrence avec les nouveaux chômeurs.
Il est clair que votre politique ne correspond pas à la situation, c’est pourquoi il faut la corriger. Depuis très longtemps la majorité dénigre le dispositif des trente-cinq heures, mais qu’elle regarde ce qui se passe sur le terrain : pour sauver des emplois et éviter des licenciements, de nombreux chefs d’entreprise expérimentent des formules d’aménagement et de réduction du temps de travail.
L’article 2 de notre proposition de loi qui vise à abroger le dispositif de la loi TEPA en faveur des heures supplémentaires se justifie donc pleinement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Patrick Gille.
M. Jean-Patrick Gille. Alors que le chômage est en hausse constante et atteint ces derniers mois un niveau encore inconnu, le nombre d’heures supplémentaires a encore augmenté au quatrième trimestre de 2008 par rapport à la même période de 2007. Ainsi, quarante millions d’heures supplémentaires de plus ont été effectuées alors que, dans le même temps, l’activité économique diminuait d’1,2 %. À l’évidence, les entreprises n’ont pas eu besoin de ces heures supplémentaires pour faire face à un surplus d’activité : elles ont plutôt servi à remplacer des salariés disparus. Or si certains de ceux-ci sont sans doute partis à la retraite, la majorité d’entre eux a été licenciée ou n’a pas obtenu le renouvellement d’un contrat temporaire. L’employeur qui a constaté qu’une heure supplémentaire coûtait moins cher qu’une heure normale – et a fortiori qu’une heure d’intérim ou de CDD – a fait un arbitrage défavorable à l’emploi. Quarante millions d’heures supplémentaires en plus représentent finalement 90 000 équivalents emplois perdus.
M. Pierre Cardo. Ça ne se calcule pas comme cela !
M. Jean-Patrick Gille. Les économistes estiment que, pour 2008, le seul dispositif d’exonération de charges sociales coûtera 2,8 milliards d’euros à l’État, auxquels il faut ajouter, au minimum, 900 millions d’euros pour la défiscalisation.
Monsieur le secrétaire d’État, ne pensez-vous pas que ces crédits seraient mieux utilisés à lutter contre la crise, plutôt qu’à l’aggraver ? Pour des raisons idéologiques, disons-le, vous avez obstinément refusé de traiter la question des rémunérations ; vous avez refusé d’affronter la question salariale et vous avez préféré subventionner le travail – alors que la majorité est habituellement hostile à cette idée ! Or, en l’espèce, cette politique crée du chômage et tue l’emploi.
Contrairement à ce que vous disiez tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État, ce n’est pas l’augmentation des heures de travail qui crée de l’emploi, mais l’augmentation du nombre des emplois stables. Voilà le point où nous divergeons.
En déplafonnant et en exonérant les heures supplémentaires, vous avez instauré un mécanisme de création de chômeurs subventionnés par l’État, qui coûtera, cette année, 4 milliards d’euros, soit beaucoup plus que le volet du plan de relance destiné aux ménages et trois fois plus que le plan d’urgence pour les jeunes, dont le financement ne me paraît, du reste, ni clair ni assuré.
En temps de crise, un tel mécanisme est, pour l’emploi des jeunes, dont le chômage a augmenté de 35 % en un an – de 50 % pour les jeunes hommes, qui sont les premières victimes de cet assèchement de l’intérim et des CDD –, une véritable arme de destruction massive.
Enfin, sachez – et je le tiens de salariés de mon département – qu’une entreprise, qui a eu massivement recours au chômage partiel ces derniers temps, propose actuellement à ses salariés de faire des heures supplémentaires le samedi, tout en leur indiquant d’ores et déjà que, dans quelques mois, elle recourra de nouveau au chômage partiel. Une entreprise peut, en effet, cumuler ces deux dispositifs subventionnés par l’État, puisqu’ils ne sont pas gérés par les mêmes administrations.
Encore une fois, monsieur le secrétaire d’État, nous vous le disons solennellement, il faut abroger ce dispositif qui, non seulement ne crée pas d’emplois, mais en détruit. Il est, en outre, très onéreux, puisque son coût s’élève à 4 milliards d’euros. Or cette somme pourrait être consacrée à une véritable sécurisation des parcours professionnels, car le projet de loi que vous avez présenté hier au conseil des ministres n’est, hélas ! pas à la hauteur de l’enjeu.
Pour l’heure, vous devez reconnaître cette erreur originelle – aggravée par la crise, c’est vrai – qu’est la loi « TEPA » et reconstruire avec les partenaires sociaux une véritable politique de l’emploi et des salaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Gaubert.
M. Jean Gaubert. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais vous citer un exemple très éloquent des effets de la législation en faveur des heures supplémentaires.
Il y a quelques jours, j’ai été appelé dans une entreprise de sous-traitance aéronautique de ma circonscription, entreprise qui compte 80 salariés et qui a perdu 25 % de son chiffre d’affaires. Elle pourra, certes, remédier en partie à ses problèmes en réintégrant une partie de l’activité qu’elle-même sous-traite à d’autres entreprises. Mais ses difficultés demeureront. Ses responsables ont donc analysé les différentes solutions qui s’offrent à eux pour réajuster la masse de travail à l’activité de l’entreprise.
Ils ont commencé par me demander si les dispositifs de préretraite existaient toujours, puisque certains salariés ont 56 ou 57 ans et préféreraient s’en aller pour laisser la place à des jeunes ; je leur ai répondu que ce n’était plus possible. Ils ont donc comparé les coûts respectifs de la suppression des heures supplémentaires et du licenciement de neuf salariés. Eh bien, la conclusion, monsieur le secrétaire d’État, c’est que la deuxième solution est incontestablement la plus intéressante économiquement pour l’entreprise, et de loin. En effet, les salariés concernés ayant tous une ancienneté de moins de deux ans, les indemnités de licenciement seront peu élevées.
Voilà le résultat de votre obstination idéologique ! Lors de l’examen du projet de loi TEPA, nous vous avions prévenu que la législation sur les heures supplémentaires nuirait à la création d’emplois. Aujourd’hui, nous sommes en mesure de vous démontrer qu’elle produit des licenciements, donc des chômeurs supplémentaires.
Ma question sera donc simple, monsieur le secrétaire d’État. Allez-vous continuer à fermer les yeux sur l’augmentation des chiffres du chômage, dont on finit par se demander si elle ne provoque pas une certaine jouissance chez certains d’entre vous ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jean Leonetti. Il faudrait raison garder !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Mallot.
M. Jean Mallot. Je rappelle que l’article 2 a pour objet de supprimer la défiscalisation des heures supplémentaires. En effet, ainsi que nous l’avons clairement démontré, le dispositif instauré par l’article 1er de la loi TEPA est inefficace, et même dangereux puisqu’il contribue à l’augmentation du chômage. En outre, il coûte très cher à la puissance publique : 4,4 milliards d’euros.
Nous savons que, dans les prochains mois, plus de 200 000 jeunes vont entrer sur le marché du travail. Que faire ? Les mesures annoncées par le Président de la République sont notoirement insuffisantes, comme l’a démontré Marisol Touraine tout à l’heure. Nous socialistes, nous avons des propositions, qui figurent dans le programme que nous avons présenté la semaine dernière. Je citerai quatre mesures.
Première mesure : nous proposons de créer 100 000 emplois-jeunes dans les collectivités locales ou le secteur associatif ; nous savons en effet que ce dispositif fonctionne, puisque 87 % des emplois que nous avions ainsi créés ont débouché sur un emploi durable.
Deuxième mesure : l’ouverture de 50 000 contrats insertion-formation, qui couplent un emploi aidé et une formation dans le domaine choisi par le bénéficiaire.
Troisième mesure : la création d’une allocation « formation rebond », destinée aux jeunes qui sortent de l’école sans diplôme, afin qu’ils reprennent une formation dans un cadre différent.
Enfin, quatrième mesure : la prolongation automatique de six mois de l’indemnisation chômage pour les jeunes après la rupture d’un contrat d’intérim ou la fin d’un CDD. Cette dernière mesure était d’ailleurs initialement prévue à l’article 4 de notre proposition de loi.
Le coût de ce programme, qui s’élèverait à environ 4 milliards d’euros, correspond aux économies que l’État réaliserait si l’article 1er de la loi TEPA était supprimé. L’équilibre financier de notre proposition de loi était donc assuré. Dès lors, l’article 40 n’aurait pas dû être appliqué. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marcel Rogemont.
M. Marcel Rogemont. La législation sur les heures supplémentaires est néfaste pour l’emploi, comme en attestent les chiffres qu’Alain Vidalies nous a rappelés tout à l’heure. En effet, au dernier trimestre 2007, le nombre des heures supplémentaires s’élevait à 144 millions, alors que la croissance était de 0,4 % et, au dernier trimestre 2008, il atteignait 184 millions, et le PIB diminuait de 1,2 %.
Par ailleurs, en exonérant les heures supplémentaires de cotisations sociales et d’impôt, vous entretenez l’idée selon laquelle de tels prélèvements seraient confiscatoires. Or, les exonérations de cotisations se traduisent par une diminution des indemnités en cas de chômage ou d’accident du travail et, plus encore, par une baisse des pensions de retraite.
Il en va de même pour les exonérations d’impôt. En effet, actuellement, parce que l’on supprime des emplois dans l’éducation nationale, les écoles maternelles n’accueillent plus les enfants de moins de trois ans. Le Gouvernement a donc lancé un plan « crèches » pour essayer de remédier aux difficultés que rencontrent les familles pour faire garder leurs enfants, à défaut de pouvoir les confier au système éducatif. Or ce plan sera financé par la caisse d’allocations familiales et, surtout, par les collectivités territoriales.
À un moment ou à un autre, les exonérations d’impôt se traduisent forcément par une réduction des services assurés par l’État et par un transfert des charges de celui-ci vers les collectivités territoriales. Et lorsque ces dernières seront étranglées, ce sont les services publics qui en pâtiront.
En conclusion, la législation sur les heures supplémentaires est néfaste pour l’emploi, pour la solidarité – puisque les services publics sont financés par l’impôt – et pour le pouvoir d’achat, au moment où celui-ci est le plus important.
Mme la présidente. À la demande du Gouvernement, le vote sur cet article est réservé.
Les articles 3 et 4 ont été déclarés irrecevables par la commission des finances.
En conséquence, l’article 5, qui prévoit le financement du dispositif, devient sans objet.
Nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de loi.
Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l’ensemble de la proposition auront lieu le mardi 5 mai, après les questions au Gouvernement.
M. Jean-Marc Ayrault. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.
M. Jean-Marc Ayrault. Comme sur le texte précédent, nos débats ont été de grande qualité, et je m’en félicite. Ils font oublier la volonté de M. Copé d’empêcher, ce matin, toute discussion. Je regrette cependant que la plupart de nos collègues de l’UMP aient regagné leurs circonscriptions dès la fin de la matinée, le Gouvernement ayant demandé l’application du vote bloqué, procédure qui, je le rappelle, s’apparente au « 49-3 ».
Cependant, le groupe SRC avait demandé que ces trois propositions de loi fassent l’objet d’un vote solennel, lequel aura lieu le 5 mai. Mardi prochain, tous les députés, de la majorité comme de l’opposition, seront donc face à un choix et ils prendront leurs responsabilités. Il n’y aura aucune échappatoire. Nul ne pourra prétendre avoir d’autres obligations dans sa circonscription : le vote de chacun sera connu. Êtes-vous pour ou contre la suppression du bouclier fiscal, la limitation de la rémunération des dirigeants d’entreprises bénéficiant de fonds publics, la suppression des stock-options ? Telles seront les questions auxquelles vous devrez répondre, mesdames, messieurs de la majorité.
Mais vous devrez également vous prononcer sur la question des heures supplémentaires, sur la défense des titulaires de contrats d’intérim ou de CDD qui ont perdu leur emploi et qui sont les premières victimes du chômage, ainsi que sur la nécessité d’aider ceux qui se trouvent dans des sites industriels en très grande difficulté et qui ont besoin d’être protégés par le contrat de transition professionnelle. Ce dispositif est, du reste, l’amorce d’une proposition essentielle, nommée sécurité sociale professionnelle par la CGT ou sécurisation des parcours professionnels par la CFDT. Ces questions sont à l’ordre du jour d’un autre rendez-vous, celui du 1er mai. Pourtant, on nous a répondu que nos propositions n’étaient pas d’actualité.
Vous défendez une politique qui a échoué, monsieur le secrétaire d’État. Vous restez fidèle aux engagements du Président de la République, et c’est tout à fait honorable. Mais ces engagements, s’agissant en particulier des heures supplémentaires, ont été pris avant la crise. Depuis, la situation se dégrade chaque jour plus rapidement. À l’augmentation massive du chômage, il faut répondre par des propositions audacieuses. Or vous restez campés sur vos certitudes idéologiques, comme si le mandat du Président de la République était de ne pas bouger d’un pouce, même si la situation du pays change. C’est une faute politique.
Nous avons proposé un plan de relance de l’investissement, du pouvoir d’achat et de l’emploi.
Vous commettez une faute politique, car il faut apporter une autre réponse. Nous avions déjà fait ici même des propositions portant sur le plan de relance, sur l’investissement, sur le pouvoir d’achat, sur le chômage, et nous sommes allés plus loin en en faisant de nouvelles aujourd’hui.
Ainsi, on ne pourra pas dire que, face à la crise, il n’existe pas d’alternative à la politique du Gouvernement. Et demain, nous redirons à ceux aux côtés de qui nous allons défiler ce que nous avons défendu. Notre action n’est pas aisée, car certains nous mettent des bâtons dans les roues, mais nous l’accomplissons avec conviction, avec détermination, et nous sommes fiers d’avoir défendu ces propositions qui, même si elles sont repoussées par la majorité mardi prochain, finiront par convaincre et par s’imposer comme une exigence et une vraie réponse aux problèmes du pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, avant que nous ne passions à la troisième proposition de loi, présentée par M. Goldberg, et visant à supprimer le délit de solidarité, je vous propose une suspension de séance de quelques minutes.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante-cinq, est reprise à dix-huit heures cinquante-cinq, sous la présidence de M. Marc Laffineur.)
M. le président. La séance est reprise.
Discussion d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Daniel Goldberg et plusieurs de ses collègues visant à supprimer le « délit de solidarité » (nos 1542, 1600).
La parole est à M. Daniel Goldberg, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république.
M. Daniel Goldberg, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je viens à cette tribune pour vous demander de supprimer le « délit de solidarité » de la législation française. En effet, pour ce qui est de l’aide au séjour d’un étranger en situation irrégulière, il est temps que notre droit distingue celles et ceux qui mènent une action désintéressée – qu’il s’agisse d’un bénévole associatif à Calais, d’une travailleuse sociale à Marseille ou d’une femme qui héberge son conjoint en Seine-Saint-Denis – de ceux qui prospèrent sur la misère humaine en organisant des filières.
M. Pierre Cardo. C’est déjà le cas dans les faits !
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Depuis le décret-loi du 2 mai 1938, notre droit frappe, sans distinction, « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France ». Cette rédaction, reprise dans l’ordonnance du 2 novembre 1945 et maintenue dans l’actuel article L. 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers en France, est restée pratiquement inchangée depuis soixante et onze ans, si bien qu’aujourd’hui, en dépit d’un contexte différent, la loi continue de faire l’amalgame entre les gestes de fraternité et la vénalité des réseaux de passeurs. Là, et là seulement, est l’objet de notre proposition de loi : mettre un terme à cette absence de différenciation des poursuites prévues à l’encontre de ceux appelés de manière confuse, y compris dans la loi de finances, les « aidants ».
Nous ne sommes plus en 1938, époque à laquelle le gouvernement s’appuyait sur les menaces à nos frontières allemande et italienne, mais aussi sur une xénophobie répandue et sur une réaction protectionniste à la crise de 1929 pour rédiger ainsi l’article 4 d’un décret-loi portant « police des étrangers ». Nous ne sommes plus en 1945, lorsque la France était le pays européen qui comptait le plus de réfugiés, et où le Général De Gaulle, à la tête du Gouvernement provisoire, procédait par ordonnance, se satisfaisant de la reprise rapide de décrets-lois pour ne pas avoir à procéder par voie législative.
En l’absence de contre-pouvoir parlementaire, c'est même le Conseil d'État qui évite alors que la France fonde sa politique d'immigration sur des quotas ethniques ! Vous le voyez, chers collègues : en tous temps, les contre-pouvoirs sont utiles à la démocratie !
Si ces contextes de 1938 et de 1945 sont bien loin aujourd'hui, la rédaction de l'article L. 622-1 en porte encore les séquelles puisqu'elle perpétue dans son intégralité le champ d'application fixé initialement. Certes, et c'est utile, cet article permet de poursuivre les réseaux de passeurs. Mais, du fait de son indétermination et par une rédaction, et parfois une application, extensives et abusives, il porte atteinte également à ceux qui, par un geste humanitaire ou dans l'exercice de leur devoir professionnel, font vivre le troisième terme de notre devise républicaine, la « fraternité ».
Au travers de cet article, survivent donc des contextes dépassés et des imprécisions dont notre législation s'est accommodée depuis 1938 à force d'interprétations et de directives ministérielles. Le Conseil constitutionnel ne s'est pas trompé sur les effets pervers de cette rédaction lorsqu'il a dû rappeler, à plusieurs reprises, que l'interprétation de cet article devait demeurer stricte car, dans sa rédaction actuelle, il était confus et donc sujet à interprétation. Les députés socialistes ne s'y sont pas trompés non plus lorsque, en 2003, ils ont déposé plusieurs amendements sur le projet de loi de maîtrise de l'immigration présenté par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, et visant notamment à transcrire la directive européenne du 28 novembre 2002 qui a « pour objectif de définir la notion d'aide à l'immigration clandestine ».
Or cette directive différencie expressément l'aide au séjour de l'aide à l'entrée et spécifie que l'aide au séjour apportée dans un but lucratif doit être passible de sanctions. En écartant cette distinction, le Gouvernement n'a pas saisi l'opportunité de circonscrire plus précisément l'application de l'article L. 622-1. Au contraire, la transposition de cette directive s'est faite sans grand changement de notre propre droit, au contraire de ce qui s’est passé dans d'autres pays européens.
À l'heure actuelle, la politique du chiffre en matière d'arrestations et d'expulsions d'étrangers, les quotas d'interpellations d' « aidants », représentent une menace constante, une « épée de Damoclès » – expression que j'ai entendue à plusieurs reprises alors que je travaillais à mon rapport – pour celles et ceux qui agissent par solidarité, ce qui rend d'autant plus nécessaire la modification que nous proposons aujourd'hui. Car, en l'absence de discernement dans sa rédaction, la loi peut s'appliquer à « toute personne » – c’est même le début de l’article L. 622 – qui aura aidé au séjour d'un étranger.
Monsieur le ministre, vous parlez de « mythe » à propos du délit de solidarité ; vous affirmez qu'il n’y a aujourd’hui aucune condamnation, aucune interpellation, aucune intimidation de citoyens bénévoles ou de travailleurs sociaux. Vous le savez, nous ne sommes pas d'accord sur ce point. Mais si, malgré tout, c'était le cas, alors modifions la loi pour qu'elle traduise cette réalité que vous décrivez. Sinon, expliquez-nous enfin précisément en quoi ce que nous proposons aujourd'hui empêcherait de lutter contre les filières d'immigration clandestine, au lieu de continuer de manier, comme ce matin encore, les approximations et les contrevérités qui laissent à penser que vous n'avez même pas pris la peine de lire ce que nous proposons.
Mme Élisabeth Guigou. Très bien !
M. Daniel Goldberg. D'autant plus que, même s'il y avait absence de condamnation, il serait inexact d'en déduire que la loi n'est pas appliquée. Bien au contraire : lorsque l'article L. 622-1 fonde une interpellation par les forces de l'ordre ou une garde à vue, cela constitue assurément une application de la loi. De même, une personne peut se voir notifier par cet article le refus lors d'une décision administrative, ce qui est aussi une application de la loi, notamment dans le cas d'une demande de naturalisation. Mais ce sont là des cas que vous n’évoquez jamais, monsieur le ministre, dans les explications que vous donnez, tout cela n’étant par ailleurs pas quantifié aujourd'hui.
Pour que nous débattions enfin sur des faits, c'est-à-dire sur les termes précis d'une modification de la loi et sur rien d'autre, je vous rappelle le contenu de nos propositions : ne sanctionner l'aide au séjour irrégulier que dans le cas où elle serait commise à titre onéreux, c'est-à-dire en fonction d'une contrepartie quelle qu'en soit la nature, ce qui fait écho à la directive européenne du 28 novembre 2002, tout en étendant sa portée à la lutte contre les réseaux de passeurs ; substituer le terme de « transit » à celui, trop général, de « circulation » ; dépénaliser l'aide au séjour qui serait apportée par toute personne physique ou morale agissant dans le but de préserver l'intégrité physique de l'étranger ou sa dignité ; soustraire enfin à toute sanction pénale l’aide au séjour apportée dans le cadre d’établissements et de services sociaux agréés par l'État.
La rédaction large de cet article L. 622-1 transforme tout « aidant » en un délinquant présumé. C'est à cela que nous voulons mettre fin, d'autant que les exemptions de poursuites prévues à l'article L. 622-4 sont insuffisantes. Les amendements présentés en 2003 par la gauche au projet de loi de Nicolas Sarkozy visaient à introduire des garde-fous. Ces amendements étaient donc cohérents avec l'ambition, inspirant la directive européenne, de mener contre les passeurs une lutte qui ne soit pas au détriment des personnes aidant au séjour de façon désintéressée. Le Gouvernement n'a à l’époque accepté que ceux créant le troisième alinéa de l'article L. 622-4, qui est néanmoins insuffisant pour éviter la poursuite des bénévoles.
Plutôt que de les inquiéter, reconnaissons ensemble que ces personnes, ces « aidants » bénévoles au séjour, assimilés dans la loi aux passeurs, incarnent par leurs gestes de solidarité l'honneur de la République et la tradition française, cette tradition mise en mots et en musique par Georges Brassens lorsque, plutôt que les « gens bien intentionnés », il préfère louer celles et ceux qui ont donné « quatre bouts de bois » ou « quatre bouts de pain quand dans la vie il faisait froid ou faim ». Qu'il s'agisse des salariés de structures agréées par l'État, de bénévoles associatifs, ils exercent de fait des missions de service public. Et, s'ils étaient absents, s'ils renonçaient, fatigués des intimidations, chacun sait que la situation serait plus grave encore.
Eh bien, ceux-là ne nous demandent qu'une chose aujourd'hui – et je pense particulièrement à cette femme que j'ai vue récemment à Calais, dans le cadre de mon rapport, qui ne s'adressait pas à moi en tant que député de gauche, mais à nous tous, chers collègues, en tant que législateurs, et qui m'a dit, le visage un peu fatigué car elle avait préparé les repas qu’elle était en train de servir : « Faites que nous ne soyons plus hors-la-loi » ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Aussi, je m'adresse solennellement à vous, monsieur le ministre, à vous chers collègues de la majorité : si nous sommes bien d'accord sur la nécessité de poursuivre les réseaux de passeurs et d’exempter en revanche de poursuite les aidants bénévoles, écrivons donc ensemble la loi, mettons enfin en œuvre cette collaboration législative que vous nous faites miroiter tout en fermant la porte à nos propositions. Vous en avez l'occasion à cet instant.
Monsieur le ministre, afin d'achever de convaincre mes collègues, permettez-moi de citer les propos que vous avez tenus sur France Inter, le 8 avril dernier au matin, à propos du concept d' « aidants ». Vous avez dit : « Peut-être que le mot qui a été mis dans la loi de finances était maladroit, car c'est une catégorie administrative qui couvre les organisateurs, les passeurs… Il aurait peut-être fallu dire, pour que ce soit clair, les trafiquants, pas les bénévoles. » Or, cette « catégorie administrative » des « aidants » n'est pas là par hasard : elle n'est que le résultat de la rédaction actuelle de l'article L. 622-1, qui ne distingue pas les bénévoles des réseaux de passeurs.
M. Éric Besson, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire. N’importe quoi !
M. Daniel Goldberg. Vous voyez, monsieur le ministre, vous convenez vous-même de la confusion qui existe. Nous avons mis sur la table nos propositions pour éviter à l'avenir ces confusions. Nous attendons à présent les vôtres. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Sandrine Mazetier.
Mme Sandrine Mazetier. « On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans. » On a le devoir de l'être quand on en a cinquante et un et qu'on est ministre de la République. Or vous faites preuve, monsieur le ministre, de bien peu de sérieux dans vos responsabilités gouvernementales.
Chargé à l'été 2007 de la prospective, vous n'avez rien vu venir des conséquences mondiales de la crise des subprimes qui débutait alors aux États-Unis.
M. Jean Leonetti. C’est une attaque personnelle !
Mme Sandrine Mazetier. Également chargé de l'évaluation des politiques publiques, vous n'interrogez jamais de manière rationnelle et sérieuse les fondements de la politique d'immigration de votre gouvernement : les quotas d'expulsions, leur coût et leur inefficacité – en d’autres termes, le milliard d'euros dépensé en pure perte par votre prédécesseur, Brice Hortefeux, pour ses 45 000 expulsions, dont l'essentiel concerne des ressortissants communautaires qui peuvent revenir quand ils le souhaitent sur notre territoire.
Vous auriez ainsi aisément pu évaluer le résultat de la décision prise, fin 2002, par Nicolas Sarkozy de fermer Sangatte au motif qu'il fallait « envoyer un signal au monde entier, pour dire que ce n'est plus la peine de venir dans ce hangar du bout du monde ». Cela a si bien marché que, pour la seule année 2007, la direction départementale de la police aux frontières déclare avoir interpellé 17 377 étrangers dans le département du Pas-de-Calais ! Ces chiffres sont disponibles, monsieur le ministre, et l'étaient déjà quand vous étiez censé évaluer les piètres résultats de vos collègues.
Chargé ensuite de l'économie numérique, toujours visionnaire et compétent, vous avez réussi l'exploit de produire un « plan numérique 2012 » qui ne dit pas un traître mot du nouveau modèle économique à inventer pour rémunérer la création à l'ère d'Internet. Enfin, en janvier 2009, quelques jours à peine avant de prendre vos fonctions à l'immigration, vous livrez un ronflant rapport « France 2025 », citant dix enjeux de la modernité, mais vous n'arrivez pas à articuler une seule proposition pour relever le défi des migrations internationales. Vous vous déclarez alors incompétent sur le sujet, pour ne pas assumer un ouvrage, Les Inquiétantes Ruptures de Nicolas Sarkozy, qui démontre l'inanité et l'irrationalité des quotas d'expulsions et de la fabrique industrielle de clandestins.
Quelques mois plus tard, preuves d'incompétence et contrevérités s'accumulent. Vous venez ainsi de « fermer » une jungle ! C'est comme si vous décrétiez l'abolition de la pluie et du beau temps.
M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. C’est une intervention tout en nuances !
Mme Sandrine Mazetier. Vous avez prétendu dans cet hémicycle que l'article L. 622-1 du CESEDA avait permis le démantèlement de quatre mille filières : c'est faux. Vous avez d’ailleurs revu ce chiffre à la baisse hier, en le ramenant à mille, mille personnes et non plus filières. Vous conviendrez que ce n'est pas exactement la même chose.
M. Éric Diard. Quelle suffisance !
Mme Sandrine Mazetier. Mais c'est encore faux. Un peu de sérieux, monsieur le ministre, un peu de travail !
M. Michel Havard. Un peu de respect !
Mme Sandrine Mazetier. Il vous suffit de lire les documents de la Direction nationale de la police aux frontières. Ils indiquent clairement que moins de quatre cents personnes ont été écrouées l'an dernier. Et d'ailleurs les trafiquants sont incriminés pour des infractions à bien d'autre codes que le CESEDA : le code pénal, pour la production de faux papiers ou le logement, le code du travail, pour le travail clandestin. L'article L. 622-1 du CESEDA, s'il est modifié comme nous le proposons, peut être utile contre les filières. Il n'est en rien l'instrument essentiel de leur démantèlement.
Vous feignez de découvrir les objectifs d'interpellations d’aidants, pourtant inscrits dans le budget 2009 d'un ministère que vous êtes censé connaître. Vous parlez d'« expression maladroite », mais vous refusez pourtant de distinguer clairement dans la loi, comme nous vous le proposons, les personnes qui agissent à titre onéreux et celles qui sont mues par la solidarité.
Car c'est bien la formulation « à titre onéreux » que nous avons inscrite dans notre proposition de loi pour couvrir tout le champ des contreparties et tous les types de filières, et non l'expression « à but lucratif ». Si vous n'arrivez pas à la lire et à la comprendre, vérifiez dans le dossier de presse préparé par vos propres services. C'est en page 20, ligne 14.
Vous dites que personne n'a jamais été condamné pour avoir simplement aidé un étranger, mais vous insultez les associations qui démontrent avec sérieux, elles, le contraire. C'est vous, monsieur Besson, et non le GISTI qui ajoutez le mensonge à la mauvaise foi !
Mme Fabienne Labrette-Ménager. Tout en nuances !
M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois. La démocratie est fondée sur le respect !
Mme Sandrine Mazetier. La vérité, c'est que vous ne maîtrisez rien. Tout ce qui est excessif est insignifiant, comme vos insultes, vos menaces et vous-même, monsieur le néo-ministre de l'identité nationale. La stratégie de l'intimidation et des chiffres truqués ne marche pas.
M. Pierre Cardo. Vous l’avez testée !
Mme Sandrine Mazetier. L'esprit cartésien de nos concitoyens la décode parfaitement : 60 % d’entre eux sont opposés aux quotas d'expulsions, qui aboutissent à reconduire aux frontières des Marocains qui rentraient chez eux et à placer en centre de rétention un nourrisson de quatre mois.
Et, puisque vous aimez les chiffres tout en les ignorant, je vous en cite un dernier : de la Pointe Rouge de Marseille au port de Dunkerque, de Paris à Donzère, 80 % de nos concitoyens veulent la suppression du délit de solidarité. Cela devrait vous rendre raisonnable et vous amener à étudier sérieusement la question.
On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans, sauf quand, comme Bilal, Mohamed, Khan ou Bachir, la guerre, la misère et les talibans vous forcent à le devenir. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. le président. La parole est à M. Noël Mamère.
M. Noël Mamère. Monsieur le ministre, hier, en réponse à une question d’actualité, vous m’avez fait l’honneur de me citer comme l’un des premiers à avoir réclamé la suppression de ce que j’appelais à l’époque le délit d’humanité. Le vice a en quelque sorte rendu hommage à la vertu, puisque, pour ce qui me concerne, je n’ai pas tourné ma veste et conserve la même attitude vis-à-vis de ceux qui considèrent l’étranger comme un indésirable.
Les critiques que j’adressais à la gauche en 1998, je les adresse aujourd’hui à votre Gouvernement, qui a décidé d’une politique sécuritaire et de contrôle social, au nom du culte du résultat.
Pour le constater, il suffit de demander aux travailleurs sociaux, aux psychiatres, aux éducateurs – à tous ceux qui aujourd’hui refusent d’appliquer un certain nombre de directives non écrites qui visent à les transformer en délateurs –, eux qui sont chargés de répondre aux questions des plus vulnérables et de venir en aide à ceux qui, dans notre société, rencontrent les plus grandes difficultés. Eh bien, ils ne veulent pas se transformer en délateurs ! En effet, monsieur le ministre, vous n’avez pas hésité à prononcer ce mot de « délation », et votre porte-parole obligé, monsieur Lefebvre, nous a même expliqué qu’il s’agissait d’un devoir national.
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Je n’ai pas parlé de délation, mais de dénonciation !
M. Noël Mamère. Poussé dans vos retranchements, vous avez le plus grand mal à expliquer raisonnablement votre politique ; vous avez même mis en cause récemment le GISTI, association que vous avez qualifiée de « peu crédible » ! Le GISTI, mais aussi la CIMADE et d’autres, sont des associations historiquement très investies dans la défense des sans-papiers. Pour eux, sans-papiers ne rime pas avec sans-droits ; ils vous ont répondu que les attaques formulées contre les sans-papiers et contre la gauche qui met en cause votre politique étaient fausses. Et, de fait, vos discours depuis quelques semaines sont pétris de contrevérités.
Vous avez décidé, par une politique sécuritaire et de contrôle social, de transformer en délinquants trois philosophes qui, dans un avion, ont protesté contre la violence imposée à des gens que l’on expulse du territoire ; vous les avez traînés devant des tribunaux. On traite d’incendiaires des gens qui sont devant un centre de rétention parce qu’ils protestent contre la situation faite à ceux qui sont retenus, et qui a été dénoncée non seulement par M. Delarue, qui est aujourd’hui chargé de surveiller la situation des prisons et des centres de rétention, mais aussi par l’Europe !
Vous ne pouvez pas maintenir plus longtemps une situation insupportable et qui n’est pas conforme, comme l’a dit Daniel Goldberg, à la directive européenne de 2002.
Regardons les choses de plus près. Qui sont ceux que vous qualifiez aujourd’hui de délinquants, sinon des hommes et des femmes qui croient à la vocation d’universalité de notre pays, qui croient à cet esprit de solidarité et qui veulent apporter de l’aide – et non de la compassion – à ceux que Frantz Fanon appelait les damnés de la terre ?
Cinquante ans après la guerre d’Algérie, de qui se souvient-on avec honneur ? De Maurice Papon ou de Francis Jeanson ? De Massu ou de Sartre ? Des tortionnaires de la République ou de l’appel des 121 ? (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC. — Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jacques Myard. Provocateur !
M. Noël Mamère. Trente ans après la loi Veil, de qui se souvient-on avec honneur ? De ceux qui vociféraient ici contre une ministre courageuse, ou du manifeste des 243 salopes qui revendiquaient le délit de solidarité pour venir en aide à des femmes que l’on contraignait à avorter, dans le silence et souvent dans des douleurs insupportables ? (Mêmes mouvements.)
M. Jacques Myard. Vous n’avez pas le monopole de l’humanisme !
M. Noël Mamère. Voilà le problème qui est devant nous ! Bien au-delà de ce débat, il faut en effet remettre en cause la politique d’un Gouvernement qui gouverne par la peur. Au nom de l’obligation de résultat, il est en train d’installer une politique sécuritaire à tous les étages.
M. Serge Blisko. Très bien !
M. Noël Mamère. Oh, vous n’êtes pas le premier, monsieur Besson : vous continuez la politique qui était celle de M. Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’intérieur, celle de M. de Villepin lorsqu’il a réformé le droit d’asile. Vous transformez le sans-papiers en un dangereux personnage qui contribuerait à mettre en cause l’équilibre social de notre pays, et vous faites de l’étranger la figure de l’indésirable.
Dans un grand pays comme le nôtre, vous contribuez à faire ce qu’a fait l’Europe avec cette directive « retour » que l’on a appelée la directive de la honte ; vous contribuez à construire des murs ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jacques Myard. Vous êtes européen, ou pas ?
M. Claude Bodin. Il faudrait savoir !
M. Noël Mamère. Oui, nous sommes européens, et parce que nous sommes européens, nous voulons une Europe plus ouverte, plus sociale, plus politique et plus généreuse !
M. le président. Il faut conclure.
M. Noël Mamère. La politique à laquelle contribue M. Besson est honteuse pour notre pays. C’est la raison pour laquelle nous vous demandons, monsieur le ministre, de renoncer à votre obstination à désigner, à la veille d’échéances électorales, un bouc émissaire de la société française : ce n’est ni digne, ni démocrate ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)
M. le président. La parole est à M. Éric Diard.
M. Pierre Bourguignon. Tiens, la droite se réveille !
M. Marcel Rogemont. C’est le premier UMP de la journée !
M. Éric Diard. Au nom du groupe UMP, je tiens à rappeler quelques faits précis concernant le texte de loi déposé par le groupe socialiste visant à supprimer le « délit de solidarité ».
Tout d’abord, il est essentiel de dire que le délit de solidarité n’existe pas et n’existera jamais ! La loi en vigueur depuis 1945, c’est-à-dire les articles L. 622-1 à L. 622-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dit que toute personne qui facilite ou tente de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France s’expose à un risque de poursuite, à l’exception des personnes qui ont aidé un membre de leur famille. Il ne s’agit donc pas de poursuivre l’aide à une personne mais le fait de faciliter son entrée, sa circulation ou son séjour sur le sol français en méconnaissance des règles applicables. Le délit visé est une infraction qui figurait, vous l’avez rappelé, dans l’ordonnance du 2 novembre 1945 ; le Conseil constitutionnel a considéré, en 1996, que ces dispositions étaient conformes à la Constitution.
En outre, toute personne, particulier, bénévole ou association, qui s’est limitée à héberger des clandestins en situation de détresse n’est pas concernée par ce délit. Nous l’avons souvent rappelé : personne en France n’a jamais été condamné pour avoir seulement hébergé ou nourri un clandestin, ou rechargé son téléphone portable ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. C’est faux !
M. Éric Diard. Je parle de condamnations.
Des immunités pénales sont prévues pour les proches et les personnes qui ont aidé une personne en situation irrégulière se trouvant en détresse.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Et les autres ?
M. Éric Diard. Une immunité générale est instituée dans l’article L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dès lors que « l’acte reproché était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’étranger, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ou s’il a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte. » Cet alinéa a été introduit par la loi Sarkozy du 26 novembre 2003, et couvre donc les situations d’urgence et de détresse lorsque l’étranger en situation irrégulière est en mauvaise santé ou se trouve à la rue.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Des situations de détresse absolue !
M. Éric Diard. Cet article permet donc l’immunité des actes humanitaires désintéressés. De ce fait, la proposition de loi déposée par le groupe socialiste visant à supprimer le « délit de solidarité » est inutile !
J’ai les chiffres, madame Mazetier : plus de 4 000 personnes ont été mises en cause en 2008 sur le territoire français pour des faits d’aide à l’entrée et au séjour d’étrangers en situation irrégulière. Ces chiffres ne sont pas contestés. Mais aucune d’entre elles n’a été inquiétée pour le seul fait d’avoir hébergé un étranger en situation irrégulière !
Mme Marylise Lebranchu. Et les gardes à vue ?
M. Éric Diard. D’ailleurs, depuis 1945, quatre bénévoles d’associations seulement ont été auditionnés pour des affaires de filières clandestines. Deux d’entre eux seulement, vous le savez bien, ont été condamnés parce que reconnus coupables de transferts de fonds illégaux – pour des faits donc qui n’avaient rien à voir avec l’hébergement ou l’accompagnement d’immigrés clandestins. Qui plus est, la justice les a dispensés de peine ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Comme vous pouvez le constater, les personnes qui ont été condamnées sont allées beaucoup plus loin que la simple action humanitaire et ont participé au travail des passeurs en toute connaissance de cause.
Il est faux de dire que la France traite mal les personnes en situation irrégulière.
Mme Fabienne Labrette-Ménager et M. Jacques Myard. Très bien !
M. Éric Diard. Concernant l’hébergement d’urgence, c’est un droit reconnu à toute personne en situation de détresse, et je tiens à souligner que l’État est le premier à accueillir dans les centres d’hébergement d’urgence les étrangers en détresse, quelle que soit leur situation administrative. L’État apporte, avec les collectivités locales, un soutien financier important. À Calais par exemple, il coordonne de nombreuses actions destinées aux étrangers en situation irrégulière, comme une assistance et une information sur leurs droits, une aide au retour volontaire, des conditions d’accueil décentes avec des points sanitaires et des points d’alimentation. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
En outre, la France ne reconduit pas plus à la frontière en moyenne que la plupart des pays européens. La France a le délai de rétention le plus court d’Europe : trente-deux jours de rétention au maximum, alors que cela peut aller jusqu’à six mois, voire davantage, dans de nombreux pays, notamment au nord de l’Europe.
M. Jacques Myard. Regardez l’Angleterre !
M. Éric Diard. Beaucoup de pays considèrent notre politique d’immigration comme remarquable, et il est essentiel de continuer à agir en ce sens.
II faut cesser d’affirmer que l’État harcèle les associations d’aide aux clandestins. L’État apporte, avec les collectivités locales, un important soutien technique et financier – plus de 20 millions d’euros par an – à ces associations.
M. Patrice Calméjane. C’est trop !
Mme Sandrine Mazetier. C’est faux !
M. Éric Diard. Monsieur Goldberg, la proposition de loi du groupe socialiste obligerait les enquêteurs à prouver le caractère lucratif ou onéreux de l’aide au clandestin, c’est-à-dire à trouver l’argent illégal – qui circule quasiment toujours en liquide – de ces mouvements clandestins d’immigration, qui pourraient ainsi opérer en toute impunité. En effet, les preuves existent que certaines filières facturent aux clandestins l’aide que les bénévoles apportent : l’aide non lucrative des uns peut être très lucrative pour d’autres ! Cette proposition de loi désarmerait complètement les forces de police face à ces réseaux d’esclavagisme moderne. Les autorités seraient contraintes de prouver systématiquement le caractère lucratif avant d’engager toute action : or, cette preuve est souvent impossible à apporter.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Vous lisez le discours du ministre !
M. Éric Diard. L’idée donc de dispenser de loi ceux qui agissent sans but lucratif ou onéreux n’est pas cohérente. La plupart des délits commis dans notre pays n’ont pas un objectif d’enrichissement personnel ; ils n’en méritent pas moins d’être poursuivis.
Je tiens également à rappeler que la loi actuelle permet chaque année le démantèlement de 150 filières clandestines et l’arrestation de nombreux passeurs. Adopter votre proposition de loi reviendrait à aider ces mêmes passeurs, qui sont de véritables esclavagistes du XXIe siècle, à dissimuler leur trafic humain.
Mme Élisabeth Guigou. C’est un mensonge grossier !
M. Éric Diard. Vous affirmez enfin que la législation française est plus sévère que le droit communautaire. Je tiens à vous rappeler que la directive du 28 novembre 2002 définissant l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers a été adoptée à l’initiative de la France, à partir de notre propre législation. La finalité de cette directive a été d’harmoniser a minima les dispositifs de lutte contre l’immigration clandestine, inexistants dans certains pays de l’Union européenne peu soumis à des pressions migratoires. La directive prévoit une sanction minimale pour l’aide à l’entrée et au séjour dans un but lucratif, mais laisse aux États membres le soin de renforcer ce dispositif.
Enfin, la France ne se distingue pas par une transposition particulièrement dure de la directive européenne.
Mme George Pau-Langevin. Bien sûr que si !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Très bien !
M. Éric Diard. D’une part, elle applique la clause d’exemption humanitaire, contrairement à plus de la moitié des États membres ! J’observe également que, de manière générale, une large majorité des États membres a appliqué la directive de manière restrictive. Ainsi, parmi les vingt-sept pays de l’Union européenne, seules la Bulgarie et la Belgique subordonnent l’ensemble des sanctions, pour des cas d’aide à l’entrée, au transit et au séjour, à l’existence d’un but lucratif.
La France est une terre d’immigration, une terre de métissage. Chaque année, notre pays accueille 200 000 étrangers en situation légale ; chaque année, notre pays accorde la nationalité à 100 000 personnes. Nous sommes le pays le plus généreux en matière de droit d’asile en Europe. Avec l’adoption du Pacte de l’immigration et de l’asile, la France a souhaité une immigration légale pour pouvoir intégrer celles et ceux qui vivent sur notre territoire. Nous voulons absolument lutter contre les filières d’immigration clandestine, ce que la proposition de loi dont nous parlons aujourd’hui ne permet pas, bien au contraire.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera mardi contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Coutelle.
Mme Catherine Coutelle. Je voudrais citer quelques faits : le 16 décembre 2008, tribunal de grande instance de Lille, hébergement ponctuel d’un ami sans-papier : mille euros d’amende avec sursis ; le 4 novembre 2008, tribunal de grande instance de Limoges, hébergement d’un étranger en situation irrégulière : cent euros d’amende avec sursis ; le 17 juin 2008, cour d’appel de Montpellier, hébergement d’un membre de la famille : cinq cents euros d’amende… Dresser la liste de toutes les condamnations épuiserait mon temps de parole. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Nous y sommes enfin ! Vous allez devoir répondre, monsieur le ministre, sur le délit de solidarité, que nous dénonçons depuis des semaines, contre lequel les associations ont manifesté et qui choque une majorité de Français. Il est temps de modifier une loi inhumaine dans son application. Il est indispensable aujourd'hui que nous corrigions ensemble ce texte. Rien ne s'y oppose.
Monsieur le ministre, lors d'une question d'actualité sur ce sujet – vous avez d’ailleurs l’habitude de nous insulter (Protestations sur les bancs du groupe UMP) –,…
M. Michel Havard. Procès d’intention !
Mme Catherine Coutelle.…vous m'aviez invitée à relire Jaurès. Jaurès, je peux le citer car, moi, je ne l'ai pas trahi ! Jaurès a écrit : « Le courage c'est de chercher la vérité et de la dire ». (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Alors, monsieur le ministre, nous vous demandons simplement un peu de courage, celui de reconnaître que le délit de solidarité existe bel et bien. Contrairement à votre ligne de défense depuis la sortie du film Welcome, ce délit n'est pas un mythe. Les listes produites par le GITSI, la Cimade ou la Ligue des droits de l’homme en attestent.
Au-delà des condamnations, ce sont des centaines d'interpellations. Même s'il n'y a pas d'action en justice,…
M. Éric Diard. Vous le reconnaissez !
Mme Catherine Coutelle. Non, j’ai dit « au-delà des condamnations » ! Mais, bien sûr, vous ne m’écoutez pas.
…le simple fait qu'un homme – ou une femme – soit arrêté, mis en garde à vue, son domicile fouillé, ou qu’il soit seulement montré du doigt pour avoir aidé un migrant, n'est plus acceptable.
Les bénévoles, les travailleurs sociaux et humanitaires nous ont fait part de leur malaise. Ils se sentent hors la loi en donnant à manger, en offrant une douche, en informant des droits, en accompagnant dans les démarches… Tout cela pour réparer les carences de l'État ! Ces poursuites au seul motif de générosité, de solidarité, existent et elles ne sont plus acceptables. Lors d’un débat autour du film, Brice Hortefeux lui-même reconnaissait que c'était stupide et qu'il fallait modifier le texte.
Nous vous demandons, monsieur le ministre, d’avoir aussi le courage de renoncer à votre obsession des résultats chiffrés, car elle conduit à de nombreuses dérives, à des excès de zèle, au mépris du droit. Lisez le rapport que vient de sortir la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Il est accablant ! Et il dénonce votre politique du chiffre.
La loi de finances de 2009 prévoit l’objectif de 5 000 interpellations d’aidants, puis de 5 500 en 2011. Quelle conception curieuse qui consiste à fixer par avance le nombre de délits et même sa progression ! Mais surtout, cela met la pression sur ceux qui doivent atteindre cet objectif. Dès lors, le risque de confondre passeurs et aidants solidaires s'accroît inévitablement.
Monsieur le ministre, ayez le courage de reconnaître que la lutte contre les réseaux de passeurs ou les marchands de sommeil est la seule qui vaille. Cela étant, je ne suis pas persuadée que nous soyons encore très performants pour sanctionner ceux qui profitent de la misère des autres pour s'enrichir. Oui, il faut être ferme, mais, vous l'aurez compris, nous ne pourrons vous suivre dans ce combat que si vous acceptez de distinguer ceux qui profitent de la fragilité des sans-papiers et les bénévoles qui font œuvre de solidarité. Tel est l’objet de notre proposition de loi.
M. Éric Diard. Il y a peu, vous proposiez une régularisation massive !
Mme Catherine Coutelle. Monsieur le ministre, vous m'avez reproché, dans cet hémicycle, de ne pas être fière de mon pays, de ne pas être fière de l'accueil que la France fait aux migrants et du sort qu'elle réserve aux aidants.
Quand vous allez à Calais, vous faites dégager les migrants par avance au bulldozer. Si vous en êtes fier, moi pas ! Si vous êtes fier d'arrêter, de menotter, de menacer des bénévoles associatifs, moi pas ! Si vous êtes fier des larmes des enfants qui voient partir leurs camarades d'école, moi pas !
Je m’arrêterai là… Mais cessez de considérer ceux qui arrivent sur notre territoire comme des parasites ou des profiteurs ! Les migrants dont nous parlons sont des êtres humains, des personnes chargées de sentiments, de valeurs, de culture, de projets et d’espoirs. Surtout, ce sont des victimes : victimes de situations difficiles dans leur pays, puis victimes d'une détresse extrême lorsqu’elles sont en France. Alors, elles méritent au moins le respect dû à tout être humain. Quant aux aidants dont il est question aujourd'hui, ils n’ont pas d'autre objectif que d’assurer ce respect et cette dignité. Ils ne doivent plus être inquiétés pour cela ! C’est insupportable.
M. Éric Diard. Ils ne sont pas condamnés !
Mme Catherine Coutelle. En réalité, monsieur le ministre, c'est vous qui trahissez Jaurès en ranimant les vieilles peurs et la xénophobie. C’est d’ailleurs ce que vous dénonciez vous-même, mais c'était avant l'élection présidentielle ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. le président. La parole est à M. Étienne Pinte.
M. Étienne Pinte. « J’étais un étranger et tu m'as accueilli » : cette phrase n'est pas seulement le titre d'un papier que j'ai commis il y a quelques mois dans le quotidien Libération, c'était ma situation jusqu'à ma naturalisation.
Réfugié avec mes parents, nous avons été accueillis à bras ouverts dans notre pays. Recueilli, avec mes frères, par une famille de républicains espagnols, réfugiés politiques, nous avons été protégés lorsque nos parents étaient poursuivis par la Gestapo. Ce sont les raisons pour lesquelles, depuis mon enfance, j'ai été, je suis et je serai toujours aux côtés des étrangers, des réfugiés et des migrants. (« Très bien ! » et applaudissements sur de nombreux bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme Élisabeth Guigou. Voilà quelqu’un de fidèle !
M. Étienne Pinte. Aujourd'hui, nous sommes conviés, à l'initiative de nos collègues socialistes, à réfléchir sur la signification du mot « solidarité ». Qu'est-ce que la solidarité ? Existe-t-il un délit de solidarité ? Pourquoi, tout à coup, ce thème revient-il sur le devant de l'actualité, alors que je croyais qu'il n'avait jamais posé problème ?
L'inquiétude des associations s'occupant des migrants qui ont vécu l'arrestation de certains de leurs membres bénévoles, relayée par le très beau film Welcome sur le sort des réfugiés dans la région de Calais, ne peut que nous interpeller. Il fallait donc apporter une réponse claire à la question : la solidarité peut-elle devenir un délit ? Si tel était le cas, il y a longtemps que j'aurais été poursuivi, arrêté, mis en garde à vue, questionné, interrogé et, peut-être, mis en examen et condamné. J'imagine que beaucoup d'entre vous – et un grand nombre de nos concitoyens – auraient été dans la même situation.
M. Pierre Cardo. C’est exact !
M. Étienne Pinte. Il n'en a pas été ainsi, et le ministre l’a rappelé à juste titre et à plusieurs reprises : le délit de solidarité n’existe pas, et j’en suis personnellement convaincu.
M. Marcel Rogemont. Ça commençait pourtant bien !
M. Étienne Pinte. Il n'en demeure pas moins, monsieur le ministre, que certaines méthodes utilisées par la justice ou par les services de police pour obtenir des informations légitimes, sont disproportionnées par rapport au respect des personnes et à la présomption d'innocence. Est-il normal d'arrêter une bénévole de l’association Terre d'errance et de la placer en garde à vue toute une journée simplement pour l'interroger ? Est-il normal de venir chercher à Paris une salariée de l'association France terre d'asile pour l'emmener à Calais, la placer en garde à vue et la questionner toute une journée, puis, de la relâcher dans la nuit sans la ramener à Paris ? Ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, qu'une simple convocation au commissariat de police aurait suffi ?
Mme Catherine Coutelle. En effet !
M. Étienne Pinte. Ces quelques exemples expliquent le désarroi des associations et le traumatisme de ceux ou de celles qui en ont été les victimes parce qu'ils ont exercé leur devoir de solidarité, leur devoir d'aidant.
Je m'arrête sur le mot d’aidant, puisqu'il fait polémique et que sa signification est controversée. Il y a bien lieu de préciser que l’aidant, c'est celui qui accueille le migrant, ce n'est pas le passeur. L’aidant, c'est celui qui accueille, qui donne à manger, qui soigne, qui abrite. Dans cet esprit, je souhaite que nos administrations, et en particulier celle du budget, ne confondent plus l’aidant et le passeur.
M. Pierre Cardo. Très bien !
M. Étienne Pinte. À ce point de notre débat sur les réfugiés du Calaisis, je veux exprimer ma satisfaction de voir le Gouvernement, et le ministre de l’immigration en particulier, prendre la situation en mains. Je n'imaginais pas que ma forte interpellation de votre prédécesseur, dans le quotidien La Croix du mois de décembre dernier, à l'occasion du sixième anniversaire de la fermeture de Sangatte, allait donner de tels résultats.
Lors de votre nomination, vous vous êtes saisi immédiatement du dossier. Vous êtes allé à Calais, ce que votre prédécesseur n'avait jamais fait. Vous vous êtes engagé, vis-à-vis des associations et de tous les partenaires, à revenir avec des propositions avant le 1er mai. Vous avez tenu parole. Et je vous suis reconnaissant d'avoir repris une grande partie des suggestions que je vous avais soumises, en particulier celles concernant l'humanisation des conditions d'accueil, les demandes d’asile, la renégociation de nos accords avec le gouvernement britannique. Il restera à renégocier avec nos partenaires européens le règlement de Dublin II relatif aux règles de compétence des États en matière d'examen des demandes d'asile.
Mme Sandrine Mazetier. Absolument !
M. Étienne Pinte. Aussi, face aux arrivées massives et très souvent dans des conditions dramatiques, de réfugiés à Malte ou à Lampedusa, par exemple, nous faudra-t-il réfléchir à une véritable politique de solidarité entre États de l'Union européenne.
Puisque nous avons l'occasion d’aborder les thèmes de l'immigration et de l'intégration, permettez-moi d’appeler votre attention sur les modalités de la maîtrise des flux migratoires sur notre territoire. Vous savez que je suis hostile à la notion de quotas. Les hommes ne sont pas des marchandises que l’on peut soumettre à quotas, comme le lait ou la pêche. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Qu'il faille renvoyer chez elles, avec humanité, les personnes qui ne remplissent pas les conditions pour se maintenir chez nous, je ne le conteste pas. Ce que je déplore, c'est d'entendre des préfets, au mois de novembre dernier, à la suite de dérives ou de bavures, me dire : « Que voulez-vous, monsieur le député, les services du ministère m'ont appelé pour me dire que je n'avais pas fait mon chiffre… » Les préfets ne doivent pas être harcelés ou mis sous pression, ce qui peut avoir pour conséquence des expulsions parfois juridiquement contestables.
À ce propos, d'ailleurs, vous n’êtes pas seul à devoir mettre en pratique les lois de la République en matière d'immigration. Vos collègues de la justice, de l’intérieur et des affaires étrangères pourraient être à vos côtés. Il n'est pas tolérable qu'un préfet ne respecte pas une décision de justice en n'accordant pas un titre de séjour, alors même que le juge administratif a annulé un arrêté préfectoral de refus de séjour. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme George Pau-Langevin. Absolument !
M. Étienne Pinte. De même, il est intolérable qu'un consul n'accorde pas un visa au prétexte d'un trouble à l’ordre public, alors que la justice a levé tous les obstacles à une telle délivrance. Depuis quand un consul a-t-il le pouvoir de définir s'il y a ou non trouble à l'ordre public, notion fourre-tout derrière laquelle se réfugient les consulats, au mépris des éléments de fait ou de droit ? Je vous demande donc, monsieur le ministre, de rappeler à vos collègues que leurs services doivent respecter l'ordre républicain. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Jacques Myard. Ils le respectent !
M. Étienne Pinte. Pas toujours, malheureusement !
En conclusion, je souhaite que chacun à sa place soit vigilant, que chacun à sa place soit un éveilleur de conscience, comme nous le demandait Albert Camus. Je souhaite enfin que chacun à sa place s'imprègne de ces paroles du Président de la République, que rappelait récemment la secrétaire d’État chargée des droits de l’homme, Rama Yade : « Il y a un pays dans le monde qui sera généreux pour tous les persécutés, c'est la France ! » (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP et sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
(Mme Danièle Hoffman-Rispal remplace M. Marc Laffineur au fauteuil de la présidence.)
Mme la présidente. La parole est à M. Abdoulatifou Aly.
M. Abdoulatifou Aly. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet qui nous réunit ce soir est grave, complexe et fait appel à la conscience de chacun. C'est donc à titre personnel que je m'exprime devant vous sur une question qui mérite d'être abordée dans un esprit d'équilibre faisant la part entre une exigence d'humanité, mais aussi de fermeté dans l’application de la loi républicaine et – j’ose le déclarer d’emblée devant vous – la nécessaire maîtrise par l'État des conditions d'installation des étrangers sur son territoire. La proposition de loi du groupe SRC visant à supprimer le délit de solidarité doit donc être lue à l'aune de cette double exigence.
Résumons cette proposition : il s'agit de dépénaliser l'aide apportée par des personnes physiques ou morales à des étrangers en situation irrégulière, à condition que cette aide ne soit pas effectuée à titre onéreux.
Bien évidemment, d’un point de vue humain ou de républicain – et, à titre personnel, en tant qu'avocat, fondamentalement attaché aux libertés individuelles et que modeste représentant de ce qu'on a coutume d'appeler désormais la diversité –, on ne peut qu'être sensible à la détresse subie par des personnes qui viennent chercher sur notre sol ce qu'elles ne peuvent trouver chez elles.
Bien évidemment, il ne s’agit en aucun cas de perdre de vue la vocation universaliste de notre pays, son statut de terre d’accueil pour des individus persécutés chez eux. Il ne s’agit pas plus de développer une conception étroite ou refermée de la nationalité française, et encore moins d’oublier nos devoirs en matière d’aide au développement, afin d’aider les personnes à trouver les moyens de vivre et travailler dignement dans leur propre pays. Tout cela est évident et doit être rappelé avec force.
Mais je vous propose de sortir de la théorie, des grands discours et parfois aussi d’une certaine forme d’angélisme ou de « droit-de-l’hommisme », pour vous parler de mon expérience de terrain, à Mayotte, où – vous le savez bien – le problème de l’immigration clandestine, provenant majoritairement des îles voisines des Comores ayant opté pour l’indépendance dans les années 1970, est une réalité omniprésente. À cet égard, je me contenterai de rappeler les derniers chiffres du recensement dans notre île, qui compte 186 000 habitants dont 76 000 étrangers, parmi lesquels la quasi-totalité est en situation irrégulière, soit 41 % de la population totale. Oui, je dis bien 41 % ! Et encore, je ne vous parle là que de chiffres officiels, chacun sachant bien que la réalité se situe encore bien au-delà.
Nous sommes donc là dans une situation explosive qui fait peser un risque de déstructuration des bases de l’ensemble de notre cohésion sociale.
Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Tout à fait !
M. Abdoulatifou Aly. Et cela, je m’empresse de le souligner, ne recoupe chez nous ni une question ethnique ni une question religieuse. Il suffit de se rendre à Mayotte pour s’en rendre compte !
Dans ce contexte, il apparaît inopportun, pour ne pas dire irresponsable, d’envoyer un signal supplémentaire de laxisme à l’endroit des pays d’émigration. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jacques Myard. C’est intelligent cela, au moins !
M. Abdoulatifou Aly. Cela est d’autant plus vrai que les actes présentés comme relevant du « délit de solidarité » ne font pas l’objet de poursuites judiciaires mais d’avertissements…
M. Jacques Myard. Mais oui !
M. François Brottes. C’est une plaidoirie à charge !
M. Abdoulatifou Aly. …qui peuvent prendre la forme de gardes à vue ou de perquisitions. Loin de moi l’idée de minimiser l’impact que peuvent avoir ces actes de police sur des professionnels, des bénévoles ou des simples citoyens, dont je ne remets pas en cause la bonne foi. Mais il faut remettre les choses à leur juste place.
M. Jacques Myard. Voilà !
M. Abdoulatifou Aly. Nous avons à faire à de simples mises en garde dans le cadre des procédures de notre État de droit, pas plus, pas moins. Et cela n’arrive, avouons-le, qu’exceptionnellement.
J’ajoute à cela que, dans un certain nombre de cas, la distinction entre l’aide à caractère humanitaire – ou prétendue telle – et la recherche d’un profit, voire parfois une exploitation de la personne démunie, peut se révéler relativement floue. Nous sommes là alors dans de véritables dérives qui doivent être lourdement sanctionnées. Le temps me manque, mais je suis à votre disposition pour vous faire part d’exemples très concrets issus de la situation vécue à Mayotte et qui illustrent mon propos.
L’ensemble de ces réflexions étant faites, vous comprendrez qu’à mes yeux la sagesse commande de rejeter cette proposition de loi.
Je vous remercie de m’avoir écouté. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. François Brottes. C’était un discours de procureur !
Mme la présidente. La parole est à Mme Christiane Taubira.
M. Jacques Myard. La Guyane !
M. Marcel Rogemont. Elle pense à la France !
Erreur ! Signet non défini.. La Guyane est un beau département français !
Mme Christiane Taubira. Vous êtes volontiers invité à venir expérimenter la convivialité !
M. Jacques Myard. Merci !
Mme Christiane Taubira. Monsieur le ministre, nous aurions pu vous parler de morale. Dans ce pays où les ministres vont si volontiers à la messe, où en de si nombreuses circonstances, le Gouvernement est représenté à l’église, où le Président de la République a voulu les drapeaux en berne pour la mort du Pape,…
M. Jacques Myard. C’est un chef d’État !
Erreur ! Signet non défini.. …nous aurions pu vous interroger sur ce que signifie l’amour du prochain.
Nous aurions pu, mieux encore, vous parler d’éthique et débattre avec vous de la devise républicaine dans son triptyque, en particulier du sens de la fraternité. Cette fraternité, les personnes aujourd’hui en cause en donnent des leçons d’autant plus magistrales qu’elles sont modestes et sans tapage. Elles prouvent leur capacité à dépasser les égoïsmes, les individualismes et à se mettre en péril pour empêcher que soit piétinée l’humanité de l’autre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Noël Mamère. Très bien !
Mme Christiane Taubira. Nous aurions pu aussi, parce que nous savons que vous n’avez pas tous le cœur sec, vous inviter à partager la puissance évocatrice de la poésie et vous citer, par exemple, Bertolt Brecht : « Si tu arrives à vivre ce temps d’égalité où l’homme aidera l’homme, tu connaîtras la liberté. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe UMP.) Car nul n’ignore que la liberté est égoïste et l’égalité est vaine si la fraternité ne les irrigue.
M. Jacques Myard. Ne vous prenez pas pour « Royal » !
Mme Christiane Taubira. C’est justement parce que vous confondez l’essentiel avec la mode que vous commettez ces erreurs et ces fautes !
Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Bravo !
Mme Christiane Taubira. Monsieur Myard, la fraternité, c’est l’essentiel, ce n’est pas la mode !
M. Jacques Myard. Nous sommes d’accord ! Il faut le dire à la gauche !
Mme Christiane Taubira. Mais nous allons délibérément renoncer à ces terrains que vous pourriez trouver trop meubles pour nous transposer sur le terrain du droit, sans emphase. Le philosophe Alain définissait la démocratie non comme la règle du plus fort ou du plus grand nombre, mais par le règne du droit.
M. Serge Blisko. Eh oui !
Mme Christiane Taubira. Pour que la loi soit acceptée et efficace, il faut qu’elle soit juste, que ses motifs soient clairs, ses moyens définis et ses sanctions proportionnées.
M. Éric Diard. Tout à fait !
M. Jacques Myard. Elle l’est !
Mme Christiane Taubira. Or vous savez parfaitement que les dispositions de cet article L. 622-1 du CESEDA ne font pas la différence utile et juste entre les passeurs, ces délinquants, voire criminels lorsque l’on considère certaines conditions de voyage,…
M. Éric Diard. Tout à fait !
Mme Christiane Taubira. …et les aidants, ces bénévoles, ces soldats de la solidarité, ces croisés de l’humanité, ces gens ordinaires qui prennent encore au sérieux ce que la France inscrit dans sa Constitution et ce qu’elle déclare solennellement dans les enceintes du monde !
Vous savez, monsieur le ministre, que les bénéficiaires, les parasites, les prédateurs de la détresse humaine sont les passeurs – des trafiquants – et les actionnaires – des profiteurs – d’entreprises, dont certaines, d’ailleurs, émargent aux marchés publics.
M. Jacques Myard. De moins en moins !
Mme Christiane Taubira. Vous savez que ces dispositions de l’article L. 622-1 n’ont ni efficacité ni vertu pédagogique quant au démantèlement des réseaux de négoce de la clandestinité. En revanche, elles font effectivement peser une menace sur les bénévoles, fût-ce sans condamnation, comme vous le prétendez, mais comme nous faisons volontiers la démonstration du contraire.
M. Éric Diard. Ah bon ? On ne l’a pas entendu !
Mme Christiane Taubira. Vous avez, en réalité, besoin de cette disposition comme d’un instrument pour faire prévaloir l’arsenal conçu par le Gouvernement pour servir la psychose quantophrénique : du chiffre, du chiffre et encore du chiffre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Noël Mamère. Très bien !
M. Jacques Myard. Mais non ! C’est une névrose !
Mme Christiane Taubira. Ce faisant, monsieur le ministre, vous réduisez le droit à la force, vous l’encanaillez en y cultivant la perfidie d’une menace mesquine. Vous le fragilisez en y maintenant de l’insécurité. Vous l’altérez en en revendiquant l’inutilité. Vous malmenez le contrat social, vous égratignez le pacte républicain.
C’est pourquoi il convient de rappeler à quelle hauteur se situe l’enjeu et, pour cela, nous allons prendre un peu de temps pour faire un peu de philosophie poétique avec Aimé Césaire qui, il y a déjà un demi-siècle, expliquait, prévenait, que ce n’est pas par la tête que les civilisations pourrissent, c’est d’abord par le cœur ! (Applaudissements prolongés sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Cocquempot.
M. Gilles Cocquempot. Je tiens à associer à cette intervention tous mes collègues du Pas-de-Calais, Jacqueline Maquet et Odette Duriez entre autres.
Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si le député de Calais intervient à cette tribune, ce n’est pas pour dire que le délit de solidarité ne concerne que la situation exceptionnelle due à l’arrivée massive et régulière de migrants qui ont un seul but : rejoindre l’Angleterre. Oui, le délit de solidarité concerne tout le territoire national. La présente proposition de loi, qui vise à le supprimer, n’a qu’un but : celui de la clarification.
La loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration met en évidence le choix volontairement restrictif du gouvernement français dans la transposition de la directive européenne du 28 novembre 2002. Pourtant, dans son avis du 15 mai 2003, la Commission nationale consultative des droits de l’homme avait réaffirmé sur le projet de loi relatif à la maîtrise de l’immigration et au séjour des étrangers en France: «La nécessité de l’introduction dans ces dispositions de la “clause humanitaire” visant à immuniser pénalement ceux qui apportent une aide désintéressée aux étrangers en situation irrégulière ». Finalement, une exemption a été ajoutée, a minima, ne concernant que l’aide au séjour.
Dans une décision du 2 mars 2004, le Conseil constitutionnel a conforté cette disposition législative consentie, concernant l’aide au séjour irrégulier d’un étranger, en rappelant que «Le délit d’aide au séjour irrégulier d’un étranger en France commis en bande organisée ne saurait concerner les organismes humanitaires d’aide aux étrangers.» Néanmoins, cette disposition législative confortée par le Conseil constitutionnel semble encore trop restrictive, comme en témoignent les cas d’interpellations de simples citoyens.
Monsieur le ministre, vous dites que, depuis soixante-cinq ans, aucun humanitaire n’a été condamné pour avoir aidé, donné à manger, pris en voiture en auto-stop, une personne en situation irrégulière. Pour autant, vous ne dites pas qu’aucun humanitaire n’a été inquiété, voire poursuivi.
M. Jacques Myard. C’est normal !
M. Gilles Cocquempot. Bien sûr !
Si j’en crois le Figaro Magazine du 18 avril 2009, vous avez aussi dit que, l’an dernier, 4 500 personnes avaient été interpellées sur la base de l’article L. 622-1 – des passeurs, trafiquants et complices – et que 1 000 d’entre elles avaient été condamnées, mais aucun humanitaire, car la loi ne les vise pas. Ce sont les chiffres que vous avancez, mais même pris tels quels, je me dis que 3 500 personnes ont été inquiétées pour rien et, je le suppose, mises en garde à vue,…
M. Jacques Myard. Pas toujours !
M. Gilles Cocquempot. …pas toujours avec l’humanité nécessaire, au nom du délit de solidarité.
M. Jacques Myard. Manipulation !
M. Gilles Cocquempot. C’est à ces 3 500 personnes que notre proposition de loi s’intéresse. Parmi toutes ces personnes, dont je ne connais ni la qualité ni la fonction, je suppose qu’il doit y avoir quelques bénévoles. J’en connais deux, dont Jean-Claude Lenoir à qui vous avez rendu hommage à Calais. Ces deux-là, en revanche, ont été condamnés ces dernières années.
M. Éric Diard. Transfert de fonds !
M. Gilles Cocquempot. Mais le tribunal a considéré qu’il y avait une forme de compassion dans le délit commis et ils ont été dispensés de peine. Mais ce qu’on ne dit pas – « On ne nous dit pas tout », comme dit l’humoriste Anne Roumanoff –, c’est que pendant les dix-huit mois de l’instruction de leur affaire, on leur a retiré carte d’identité et passeport, qu’ils n’ont pu récupérer que dix-huit mois après le jugement.
Mme Marylise Lebranchu. Très juste !
M. Éric Diard. Transfert de fonds !
M. Gilles Cocquempot. Ainsi, pendant trente-six mois, ils ont été placés dans une situation ubuesque : ils étaient des sans-papiers en France et des interdits de séjour à l’étranger. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Noël Mamère. Très bien !
M. Gilles Cocquempot. Monsieur le ministre, je vous confirme que notre proposition concerne les 3 500 personnes qui n’ont rien eu à voir avec la chaîne des passeurs. Elle concerne ceux qui subissent ce climat d’intimidation, qui ne se justifie pas par la nécessité de lutter contre les réseaux de l’immigration clandestine, les milliers de gens qui agissent pour des raisons humanitaires, qu’ils soient simples citoyens, bénévoles dans des associations reconnues, puisque déclarées, ou des travailleurs sociaux. C’est donc bien un texte d’ouverture et de clarification parce qu’il veut supprimer l’amalgame.
M. Éric Diard. C’est du faux bon sentiment !
M. Gilles Cocquempot. C’est aussi un texte qui se veut de transparence entre l’application de la loi et la pratique de cette application sur l’ensemble du territoire national.
C’est, enfin, un texte qui est la jonction exacte entre ce que vous appelez, monsieur le ministre, « les droits-de-l’hommistes et les sécuritaires ».
M. Jacques Myard. C’est du « Védrine » ! Citez votre auteur !
M. Gilles Cocquempot. En effet, quand on le regarde de près et avec objectivité, il ne pose à aucun moment le problème de l’angélisme, qui n’est pas de notre ressort.
Ce qui est de notre ressort, c’est de rassurer ces milliers de gens qui, avec beaucoup de cœur, donnent beaucoup de leur temps à ceux qui arrivent en nombre dans l’espoir d’une vie meilleure mais dans une détresse totale.
M. Marcel Rogemont. Oui !
M. Gilles Cocquempot. Imaginons un instant que ces gens démissionnent et cessent d’agir avec cette compassion. Comment l’État pourra-t-il maintenir le relatif calme social en dépit du déferlement de migrants que, jusqu’à présent, personne n’a empêché de venir ?
M. Marcel Rogemont. Très bonne question !
M. Gilles Cocquempot. Monsieur le ministre, je pense que les Français comprennent cette démarche et c’est pourquoi ils sont huit sur dix à condamner le délit de solidarité.
Ce qui vous est proposé, c’est simplement de répondre à l’attente des Français et de permettre à celles et ceux qui veulent agir de le faire sans avoir la peur au ventre d’être inquiétés.
La police a tous les moyens de faire son travail contre les passeurs. Ce texte ne les réduit en rien. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. La parole est à Mme George Pau-Langevin.
Mme George Pau-Langevin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui, de manière assez surprenante, pour évoquer un délit qui n’existerait pas, pour tenter de mettre fin à des tentatives d’intimidation, des gardes à vue, des arrestations qui, selon le ministre, seraient imaginaires.
Pourtant, nous sommes allés à Calais et des gens nous ont raconté leur expérience. Ils nous ont expliqué ce qu’ils avaient vécu, et comment ils avaient été empoisonnés parce que leur conception de la morale, du respect élémentaire dû à tout être humain, ne leur permettait pas de laisser dans la détresse, dans la rue, de laisser errer dans le froid et ayant faim des hommes jeunes qui arrivent chez nous parce que, dans leur pays, il y a des guerres et des famines, et qui sont quasiment mandatés par leurs proches pour essayer de trouver une issue pour toute une famille, toute une région.
Nous avons vu aussi en région parisienne, et cette journée permet de leur rendre hommage, de nombreux membres d’associations qui, au jour le jour, courageusement, décident de se mettre en travers de décisions qui leur semblent inhumaines. C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai assisté à diverses reprises à des réunions d’associations antiracistes ou du réseau RESF. Certains décident de se battre contre des décisions de renvoi concernant des enfants, qui sont, selon eux, indignes d’une société développée comme la nôtre.
Je comprends la position de certains élus, comme notre collègue de Mayotte qui nous explique qu’il faut faire attention aux signaux que l’on peut donner et ne pas encourager l’immigration irrégulière. Je suis allée à Mayotte, j’ai visité le centre de rétention, qui est d’ailleurs indigne de la République. Les gens avec qui nous nous sommes entretenus n’avaient jamais entendu parler de Calais et ce qui se passe là-bas n’est vraiment pas de nature à les dissuader d’aller dans une île voisine, où habitent des amis ou de la famille. Cela n’a donc rien à voir. Ce n’est pas en empoisonnant les migrants qui sont à Calais que vous allez régler la question de Mayotte, c’est un autre problème infiniment plus compliqué.
Pourquoi en sommes-nous arrivés là ?
Comme vous le rappeliez dans votre ouvrage, que nous consultons avec beaucoup d’intérêt, L’inquiétante rupture de Nicolas Sarkozy, si nous sommes dans cette situation, c’est parce que Nicolas Sarkozy, en abrogeant la régularisation de plein droit après dix années de présence en France et en restreignant les principaux dispositifs de régularisation au fil de l’eau, a créé, année après année, des sans-papiers qui se trouvent dans une situation inextricable et bouleversante sur le plan humain. Vous l’avez dit, je suis d’accord avec vous.
Vous avez aussi évoqué la fermeture du centre de Sangatte. Évidemment, nul ici n’en demande la réouverture mais nous fustigeons la vantardise du ministre de l’intérieur de l’époque, qui déclarait que, trois à quatre semaines après, on ne parlerait plus des réfugiés de Calais.
Vous l’aviez signalé en 2007, le fait de fermer Sangatte n’a pas fait disparaître les migrants en quête d’une nouvelle vie en Grande-Bretagne. Vous étiez indigné de voir que, deux après, les migrants continuaient à errer dans les rues de Calais dans des conditions exécrables et qu’en l’absence de douches, la gale avait refait son apparition.
Je suis allée à Coquelles il n’y a pas si longtemps avec la mission d’information parlementaire sur les centres de rétention. C’est au centre de rétention que l’on soigne la gale des migrants et qu’on les requinque un peu avant de les remettre en liberté. Comme vous le savez, en effet, la plupart d’entre eux sont inexpulsables, et le fait de ne pas les autoriser à demander l’asile et à être régularisés ne suffit pas à vous permettre de les renvoyer dans leur pays parce que l’Europe vous dirait que vous les exposez à des traitements inhumains et dégradants.
La situation est donc insoluble, effectivement, mais, au lieu de s’en prendre à des associatifs qui, par leur geste d’humanité, font honneur à notre pays, on ferait mieux de prévoir des dispositifs minimaux permettant de sauvegarder la dignité de tous les sans-domicile qui hantent ces communes.
Vous prétendez ne pas être au courant des condamnations qui ont été prononcées. Le GISTI en a fait une liste. Si vous ne croyez pas ce qu’il dit, je vous invite à vous reporter à un ouvrage sérieux, le Dictionnaire permanent du droit des étrangers, qui énumère un certain nombre de condamnations visant des personnes ayant hébergé, pour des raisons humanitaires, des étrangers en situation irrégulière.
Effectivement, les magistrats, qui nous font souvent honneur, ont refusé de prononcer des condamnations, mais les gens ont été poursuivis, mis en garde à vue, et ont passé des moments extrêmement difficiles. On veut ainsi les intimider, nous le savons bien.
Ce que nous vous demandons aujourd’hui, c’est que ce délit de solidarité, inadmissible, soit aboli, mais aussi que vous essayiez de régler le problème avec vos collègues européens. Nous savons très bien que la solution, c’est la révision du règlement Dublin. C’est la tâche que vous avez à remplir. Pensez aussi aux personnels qui souffrent d’être employés à des tâches totalement inefficaces.
Nous vous demandons donc de trouver les moyens de lutter contre les effets regrettables de cet article du CESEDA. Sinon, la réglementation ne sera pas respectée et l’insurrection pacifique des citoyens ordinaires à laquelle nous assistons continuera. L’article L. 622-1 n’est qu’un sabre de bois juste bon à inquiéter les personnes de bonne volonté mais heureusement pas à les dissuader d’exercer leur devoir d’humanité. Il est donc temps de mettre un terme à cette situation inacceptable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marylise Lebranchu.
Mme Marylise Lebranchu. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons montré tout au long de la journée qu’il y avait une très grande différence entre la gauche et la droite sur le bouclier fiscal, le droit du travail, le salaire minimum, la répartition de la valeur ajoutée, mais, sur le sujet que nous abordons avec ce troisième texte, nous aurions pu imaginer avoir une discussion plus sereine, trouver un consensus et peut-être arriver à l’unanimité.
M. Éric Besson, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire. Pour l’instant, je n’ai rien dit !
Mme Marylise Lebranchu. Je ne parle pas de vous, monsieur le ministre, vous n’êtes pas là depuis ce matin.
Vous nous avez choqués en parlant de mythe pour ce délit de solidarité. Je pense que vous n’avez pas réfléchi à ce que cela implique. Vous savez très bien que, pour placer quelqu’un en garde à vue, parfois menotté d’ailleurs, il faut que ce pour quoi on le prive un moment de liberté soit lié à un délit. Par conséquent, soit, comme le disait tout à l’heure Étienne Pinte, il y a un formidable problème dans les services de police et de gendarmerie lorsqu’ils procèdent à des interpellations de ce type, soit il y a vraiment un délit. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Voilà le cœur du sujet !
Mme Marylise Lebranchu. C’est le cœur du sujet effectivement.
Sinon, chaque personne ainsi convoquée, interpellée, arrêtée, menottée parfois – on a quelques photos, quelques témoignages –, bénévole appartenant à une association ou citoyen aidant, aurait pu porter plainte et aurait gagné. C’est donc bien un problème de droit, monsieur le ministre, et ce n’est pas un mythe. Ce n’est pas parce que les magistrats ne prononcent pas de condamnation que le délit n’existe pas.
M. Jacques Myard. Ah bon ?
Mme Marylise Lebranchu. Le magistrat peut condamner à une amende, parfois à rien, la bonne foi des gens étant prouvée et le caractère humanitaire mis en avant.
M. Jacques Myard. Parce qu’il juge !
Mme Marylise Lebranchu. Monsieur Myard, vous n’arrêtez pas de hurler depuis tout à l’heure…
M. Jacques Myard. Non, je ne hurle pas, madame ! (Rires.) Ça suffit ! Vous n’êtes pas la seule à pouvoir donner des leçons de morale ! Un peu de considération !
Mme la présidente. Seule Mme Lebranchu a la parole.
Mme Marylise Lebranchu. Je ne donne aucune leçon de morale, je vous demandais simplement de parler un peu moins fort.
M. Jacques Myard. Je parle comme je le veux, parce que je suis député comme vous !
Mme Marylise Lebranchu. Vous pouvez continuer à parler, bien sûr, mais moi, je poursuis mon propos.
Monsieur le ministre, la garde à vue est une épreuve douloureuse, c’est une privation de liberté, une humiliation pour des citoyens qui, le plus souvent, qui plus est, n’ont jamais eu affaire à la justice. Vous la banalisez. Pour vous, cela devient quasiment un acte courant ou normal, et ce n’est pas admissible dans une démocratie moderne. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Si le délit de solidarité n’est pas sanctionné par la justice, il est bien reconnu par la police judiciaire, la police de l’air et la police des frontières. En plus, monsieur le ministre, il y a les objectifs et indicateurs de performance fixés par la loi de finances pour votre ministère. J’ai été ministre de la justice et sans doute suis-je nulle en droit, je vous l’accorde,…
M. Éric Diard. C’est un aveu ?
Mme Marylise Lebranchu. …mais je sais lire les textes de loi : 4 500 interpellations prévues en 2008, 5 000 pour 2009. Avez-vous un budget pour l’interpellation des réseaux de passeurs ? S’il ne s’agissait que de pourchasser ceux qui ont été très bien décrits tout à l’heure, ceux qui organisent des trafics, ceux qui font de l’argent sur la misère humaine, il n’y aurait aucun problème ici ce soir, mais il ne s’agit pas de ça. Il s’agit de demander à des personnes pourquoi elles ont hébergé, nourri des migrants, pourquoi elles ont rechargé leurs téléphones portables.
Nous savons tous ici que nous ne voulons pas nous mettre d’accord sur les mots. Délit de solidarité, c’est trop choquant sans doute. Restons-en donc au droit. Qu’est-ce qui nous empêcherait ce soir de rectifier l’article pour faire quelque chose de simple et de facile : une différence en droit entre celui qui aide parce qu’il appartient à une association ou tout simplement parce qu’il ne peut pas dormir quand les gens souffrent trop, et celui qui fait partie d’un réseau de trafiquants, transporte des gens dans des conditions honteuses et, parfois même, fournit de la main-d’œuvre à des entreprises françaises qui, elles, ne sont pas suffisamment inquiétées ?
C’est tout ce qu’on vous demande, de bien faire la différence. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Michel Havard. C’est déjà le cas !
Mme Marylise Lebranchu. Je crois, monsieur le ministre, que les associations, les bénévoles, les élus, tous ceux qui sont représentés ici ce soir aident à maintenir l’ordre public, par exemple à Calais.
Quand Sangatte a été fermé, nous avions dit à l’époque à Nicolas Sarkozy, parce que nos collègues en étaient déjà témoins, qu’il y aurait forcément là-bas des tas de personnes en errance.
Quand on est en errance, on a peu de moyens pour trouver où dormir, manger, se laver, et il est vrai que cela peut aussi générer délinquance et violence. Merci aux associations de maintenir l’ordre public grâce à leur sentiment profond que la dignité mérite solidarité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Merci à elles, merci aux élus, merci à cette population.
Monsieur le ministre, lorsque vous vous êtes rendu là-bas, je crois qu’environ 130 personnes ont été arrêtées. Une centaine ont été libérées. Où sont-elles ? Qui les nourrit ? Qui les aide ? Qui s’occupe de leurs enfants ? Qui s’occupe de leur dignité ? Elles sont dehors, dans ce que vous avez appelé la « jungle », et c’est parce qu’il y a des associations qu’elles peuvent encore survivre.
M. Éric Diard. Qui subventionne ces associations ?
Mme Marylise Lebranchu. Après votre passage, il se trouvait dans la rue toujours autant de migrants en besoin d’aidants. S’il n’y a pas de délit, à ce que vous dites, il y a une réalité constatée. Avec tous mes collègues, je pense que cette réalité n’est pas acceptable, au XXIe siècle, dans un État de droit.
Quelqu’un parlait tout à l’heure de « droit-de-l’hommisme ». Les droits de l’homme sont quelque chose de fondamental et font partie de notre pacte républicain. C’est au XVIIIe siècle qu’a été mise en lumière, dans notre pays, cette magnifique idée des droits de l’homme et de la dignité humaine. Il est vrai qu’au XIXe siècle, tout cela a été chahuté, davantage encore au XXe siècle. Pourquoi ne pourrions-nous pas nous dire, ici, qu’au XXIe siècle, les droits de l’homme, la reconnaissance de la dignité, quelle que soit la situation d’un être humain, méritent que, sur un tout petit article de loi, on puisse se mettre d’accord pour que jamais celui qui respecte et aide l’autre ne puisse être inquiété, même pas pour être interrogé, et surtout qu’il ne risque jamais d’être placé en garde à vue et privé de liberté parce que son objectif était que son pays soit magnifique,…
M. Jacques Myard. Démagogie !
Mme Marylise Lebranchu. …parce qu’il voulait qu’il y ait au cœur de son pays, un mot : la justice ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La parole est à M. Éric Besson, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire.
M. Éric Besson, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire. Mesdames et messieurs les députés, après avoir écouté avec beaucoup d’attention le rapporteur de la proposition de loi aujourd’hui soumise à l’examen de l’Assemblée nationale, je suis navré par l’image négative et caricaturale qui est donnée de la politique de notre pays en matière d’immigration. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme Fabienne Labrette-Ménager. Très bien !
M. Jean Mallot. C’est vous qui la donnez !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Pour tout observateur un peu informé des réalités nationales, cette présentation laisserait à penser qu’il existe, en ce domaine, une dangereuse exception française.
L’exception française, s’il y en a une dans le domaine de l’immigration, tient plutôt à l’ancienneté et à la vivacité de notre tradition républicaine en matière d’accueil et d’intégration des populations étrangères.
Je voudrais, à ce sujet, vous rappeler quelques vérités. Nous voulons une immigration régulée, maîtrisée, mais la France est et reste une terre d’immigration. Un grand nombre d’étrangers peuvent entrer dans notre pays sans être soumis à l’obligation de visa, et pour ceux qui s’y trouvent soumis, ce sont, chaque année, plus de deux millions de visas d’entrée qui sont délivrés ; M. Éric Diard l’a rappelé avec beaucoup d’à-propos. Ce chiffre représente 88 % des visas demandés.
Par ailleurs, près de 200 000 personnes reçoivent chaque année un titre de séjour, pour étudier, travailler ou vivre en France. Avec 200 000 visas de long séjour et deux millions de visas de court séjour, comment pouvez-vous prétendre que notre pays est fermé ?
En matière de droit d’asile, fidèle à ses principes et respectueuse de ses engagements internationaux, la France est aussi le premier pays européen pour l’accueil des réfugiés politiques, et le troisième dans le monde, après les États-Unis et le Canada.
Mme Françoise Olivier-Coupeau. Ce n’est pas la question !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. La France est également un pays de mixité et d’intégration : près d’un mariage sur trois contracté par nos concitoyens est un mariage avec une personne étrangère, et chaque année, plus de 100 000 étrangers acquièrent la nationalité française : 108 131 exactement en 2008. L’accès à la nationalité française reste le moyen privilégié de l’intégration et de l’accès à la citoyenneté.
M. Pierre Bourguignon. Ce n’est pas le sujet !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. La France se soucie, enfin, de la prise en charge des personnes en situation irrégulière et du respect scrupuleux de leurs droits. Elle finance les associations qui viennent en aide aux étrangers en situation irrégulière.
Mme Fabienne Labrette-Ménager. Eh oui : 20 millions d’euros !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. À hauteur de 20 millions d’euros, comme cela m’est rappelé.
La France fait bénéficier les familles de l’aide médicale d’État, qui représente à peu près 500 millions d’euros.
Mme Catherine Lemorton. Nous en parlerons !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Elle assure la scolarisation des enfants. Pour l’inscription d’un enfant à l’école en France – ce n’est pas le cas partout, en Europe ou dans le monde –, les papiers des parents ne sont pas demandés.
Mme Françoise Olivier-Coupeau. Non, mais on vire les enfants !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. En matière de reconduite à la frontière et de rétention administrative, la durée maximale de rétention est de trente-deux jours dans notre pays. C’est la durée la plus courte de l’ensemble des pays de l’Union européenne. La durée moyenne de rétention est même de dix jours en France, alors qu’elle est de trois mois, six mois, dix-huit mois, vingt-quatre mois ou même d’une durée illimitée dans d’autres pays de l’Union européenne.
M. Serge Blisko. Et alors ?
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. La France a le délai de rétention administrative le plus court d’Europe.
En outre, les personnes retenues bénéficient, pour permettre l’exercice effectif de leurs droits, de prestations de qualité assurées par des organismes à l’engagement et aux compétences reconnus. Cet accompagnement juridique est financé par l’État – par le biais du ministère dont j’ai la charge – pour un montant annuel de près de cinq millions d’euros.
Nous sommes donc, sur tous les plans, très éloignés des caricatures que nous venons d’entendre à cette tribune.
Mme Marylise Lebranchu. Nous n’avons pas parlé de ça !
M. Pierre Bourguignon. Et ce n’est toujours pas le sujet !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Je voudrais le dire avec force, en dépit de ce que nous avons entendu : nous n’avons pas à rougir de la manière dont nous accueillons et intégrons les étrangers, même si, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, nous pouvons et devons encore nous améliorer. J’ai entendu à cet égard ce qu’a dit, avec mesure, M. Étienne Pinte.
M. Noël Mamère. Venons-en au sujet !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. La preuve que nous cherchons à nous améliorer, c’est qu’avec l’ensemble des acteurs concernés, j’ai lancé une réflexion sur la prise en charge des étrangers mineurs isolés, et décidé, tout en refusant – je vous le confirme – la constitution d’un nouveau Sangatte ou d’un mini Sangatte, de renforcer l’accompagnement humanitaire des migrants du Calaisis, en reprenant plusieurs propositions formulées par M. le député Pinte, par le Médiateur de la République, M. Delevoye, ainsi que par les associations œuvrant sur Calais, lesquelles, tout en disant qu’elles étaient hostiles à la fermeture de la « jungle » – j’indique au passage à Mme Lebranchu que je ne suis pas à l’origine du terme ; ce sont les migrants et les associations qui l’utilisent –, ont, pour plusieurs d’entre elles, rendu hommage aux mesures que j’ai annoncées la semaine dernière et qu’elles ont qualifiées de véritables avancées. Je vous suggère donc de ne pas être plus royalistes que le roi.
M. Jacques Myard. Fraternité ! (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Pour autant, comme l’indiquait ici même Jean-Pierre Chevènement à l’occasion des débats sur la loi RESEDA de 1998, dite loi Chevènement, la République est légitime à fixer les règles de l’entrée et du séjour des étrangers sur son territoire.
M. François Loncle. Mais ce n’est pas la question ! Revenez au texte !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Il ajoutait : « Quiconque le veut ne peut pas s’installer définitivement en France. » Cela me paraît d’une évidence absolue. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
S’il est un domaine où il n’y a sûrement pas d’exception française, c’est en matière de lutte contre l’immigration illégale. Cette exigence, partagée avec l’ensemble des pays appartenant à l’Union européenne et à l’espace Schengen, est la condition indispensable à la libre circulation des personnes en Europe. Nos engagements européens, de l’accord signé à Schengen le 14 juin 1985 jusqu’au Pacte européen sur l’immigration et l’asile, adopté sous présidence française et par mon prédécesseur Brice Hortefeux, le 16 octobre 2008, vont dans ce sens.
Vous me pardonnerez de citer une nouvelle fois Jean-Pierre Chevènement,…
M. Christian Hutin. Excellente référence !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. …qui disait en 1998 : « Repousser la frontière à celle de l’espace Schengen ne supprime pas la frontière. Elle demeure la limite à l’intérieur de laquelle des citoyens se sont organisés pour vivre ensemble, respecter les mêmes règles, accepter les mêmes devoirs, bénéficier des mêmes droits. Les frontières doivent être franchissables, mais il y faut des règles. Les abolir ne serait pas s’ouvrir au monde. »
M. Serge Blisko. Ce n’est pas la question !
M. Christian Hutin. C’est bien ce qu’il a dit, mais ça n’a rien à voir.
M. Jean Mallot. Le ministre fait de l’obstruction, il parle d’autre chose.
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Je voudrais insister sur ce point. L’abolition généralisée des frontières et l’extension de la libre circulation à l’ensemble du monde, sans plus se soucier des héritages historiques et des différences de niveau de vie entre pays, ne présentent que l’apparence de la générosité.
M. Christian Hutin. C’est toujours Jean-Pierre Chevènement qui parle ?
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Un tel choix n’aurait qu’une conséquence : la déstructuration des collectivités nationales et la ruine, au bénéfice d’une approche ultralibérale du monde, des régimes européens de solidarité. Je ne connais pas, dans aucun des pays de l’Union européenne et quelle que soit l’appartenance politique de son gouvernement, de politique alternative à celle que nous menons en matière de contrôle des flux migratoires et de lutte contre l’immigration clandestine.
M. Éric Diard. Bravo ! Zapatero a lui-même changé !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Quelque chose m’a frappé dans les interventions des orateurs. Je m’attendais, après la liste des griefs égrenés à l’encontre de la politique que mènent la France et l’Union européenne – c’est exactement la même chose –,…
Mme George Pau-Langevin. Il n’y a pas de politique européenne en la matière !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. …je m’attendais à ce que certains ébauchent ne serait-ce que l’esquisse d’une proposition de politique migratoire alternative. Mais à l’arrivée : rien, le vide sidéral ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Plusieurs députés du groupe SRC. Ce n’est pas le sujet de la proposition de loi !
Mme la présidente. S’il vous plaît, chers collègues !
M. Jacques Myard. Ne hurlez pas, madame Lebranchu !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Vous ne devriez pas montrer si vite quand cela fait mal ! Maîtrisez-vous un peu ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Vives protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Je comprends d’ailleurs que cela fasse mal : après avoir dénoncé toute la journée, sans être capables de formuler le début du commencement d’une politique alternative, cela vous sort effectivement de la fiction et vous ramène à la triste réalité ! (Brouhaha sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. Chers collègues, laissez le ministre s’exprimer, s’il vous plaît ! On ne l’entend plus.
M. Noël Mamère. Il n’a toujours pas répondu à la question !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Il faut que je vous fasse une confidence…
M. Philippe Martin. On n’en veut pas !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. J’ai regardé les tribunes, et Ivan Pavlov en est, exceptionnellement, absent. Il est empêché. Les tests que vous êtes en train de faire sur les réflexes conditionnés, qui font que vous hurlez dès que l’on vous dit quelque chose, sont inutiles : Pavlov n’est pas là, il ne peut pas apprécier ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Christian Hutin. Nous ne sommes pas des chiens !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Cette lutte résolue contre ceux qui exploitent la misère des populations étrangères et les réduisent aux formes les plus atroces de l’esclavagisme moderne, notamment par le travail forcé ou la prostitution, a conduit, en 2008, à l’interpellation dans notre pays de 1 562 passeurs, 1 175 employeurs, 861 marchands de sommeil ou encore 303 fournisseurs de faux documents.
Il faut que les choses soient claires au sujet des 4 500 « aidants ». J’ai reconnu que ce document, qui n’a aucune valeur juridique car il est seulement un document administratif annexé au projet de loi de finances, est maladroit par l’emploi du mot « aidant ». Il s’agit de trafiquants et de facilitateurs.
M. Jacques Myard. Eh oui !
Mme Sandrine Mazetier. Vous n’avez pas écouté ce qu’a dit M. Pinte !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Cela ne concerne en aucune façon des bénévoles humanitaires. Je répète donc ce à quoi correspondent ces 4 500 « aidants », pour que les choses soient bien claires : 1 562 passeurs, 1 175 employeurs, 861 marchands de sommeil ou encore 303 fournisseurs de faux documents. Je suis sûr que vous souscrivez à l’idée que ces « aidants », ces trafiquants doivent être poursuivis et condamnés.
Mme Fabienne Labrette-Ménager. Bravo ! Bien sûr qu’ils y souscrivent !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Sous couvert de supprimer un délit de solidarité qui n’existe pas, le groupe socialiste tente aujourd’hui de nous convaincre que sa proposition ne remettrait pas en cause l’efficacité de la lutte contre l’immigration illégale. Tel n’est pas le cas car cette proposition est à la fois inutile et dangereuse.
M. Jacques Myard. Eh oui !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. L’inutilité de ce texte tient d’abord à l’inexistence de la situation invoquée par le groupe socialiste pour justifier sa proposition. Existe-t-il une seule décision de justice, prise sous l’empire des actuels articles L.622-1 et L.622-4, qui risquerait, en faisant jurisprudence, de menacer le travail des membres des associations humanitaires ? Aucune. C’est d’ailleurs pourquoi vous n’avez pu m’en fournir une seule. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 2 novembre 1945, il y a plus de soixante-trois ans, il n’y a pas eu une seule condamnation de membres d’associations humanitaires pour des faits commis au titre des missions exercées par ces dernières.
Mme Marylise Lebranchu. Si, il y en a eu !
M. Marcel Rogemont. On vous en a cité des exemples tout à l’heure !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. J’ai cru comprendre que Marilyse Lebranchu le reconnaissait puisqu’elle a commencé une phrase de son allocution ainsi : « Même s’il n’y a pas eu de condamnation […] » – je le relirai au Journal officiel pour en avoir le cœur net.
Mme George Pau-Langevin. Vous avez mal compris !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Je reviendrai tout à l’heure sur les termes qu’elle a employés par ailleurs. S’agissant des deux bénévoles qui ont été évoqués, ils ont été condamnés en 2004 et dispensés de peine, mais pour des faits – le transfert de fonds à destination de passeurs – qui excédaient largement ce que recouvre l’aide humanitaire. Car il faut bien s’entendre sur la signification du terme « humanitaire » : il ne fait pas l’objet d’une définition précise, mais renvoie clairement à la sauvegarde des vies et aux interventions en situation d’urgence. L’aide humanitaire, ce ne peut être le concours apporté à un étranger pour s’installer durablement en situation irrégulière sur notre territoire, ni la complicité de fait avec les réseaux de trafiquants.
Les promoteurs de la proposition de loi n’ont pas davantage été en mesure de citer une seule condamnation que la loi actuelle aurait permise – malgré les diverses immunités pénales instituées par l’article L.622-4 –, et qui serait évitée par la législation qu’ils nous proposent.
M. Éric Diard. Pas une seule condamnation en presque soixante-cinq ans !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. À moins, bien sûr, de soutenir que tout acte commis par le membre d’une association humanitaire doit bénéficier, de ce seul fait, d’une immunité générale. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Jacques Myard. Eh oui, c’est ça le problème !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. J’insiste sur ce point, et je me tourne vers vous, monsieur Goldberg : durant les débats auxquels nous avons participé ensemble, je ne suis pas parvenu à obtenir de vous que vous m’indiquiez le cas d’une seule condamnation rendue sous l’empire de la loi actuelle et qui ne l’aurait pas été si votre proposition de loi avait été adoptée. Je note que vous n’avez jamais été en mesure de citer un seul cas théorique ou pratique.
Mme George Pau-Langevin. On en a plein !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Votre texte conduirait inévitablement à une instrumentalisation du statut de membre d’association humanitaire…
Mme Marylise Lebranchu. Mais non !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. …ou, au bénéfice des dispositions très libérales de notre loi de 1901, à la création d’associations paravents. Il suffirait alors à une filière organisée de se constituer en association, ce qui est très simple dans notre pays, pour jouir de l’impunité.
Mme Marylise Lebranchu. Elles le font déjà !
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Et nous avons prévu ce cas dans le texte !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Comme la proposition de loi ne répond à aucune exigence concrète, ses promoteurs nous disent désormais qu’ils entendent, selon vos propres mots, monsieur le rapporteur, « garantir l’avenir ». Autrement dit, pour vous, il n’y a pas de problème aujourd’hui,…
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Ce n’est pas ce que j’ai dit !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. …mais si un méchant gouvernement arrivait au pouvoir,…
M. Daniel Goldberg, rapporteur. C’est fait !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. …il faudrait garantir l’avenir. Pour vous, jusqu’ici, il n’y a pas eu de difficultés, et cela fait donc soixante-trois ans que l’avenir est préservé. (Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Et pour une raison simple, que l’on comprend si l’on se donne la peine de lire attentivement les dispositions pénales en cause et de se rappeler qu’elles sont d’interprétation stricte : l’article L. 622-1 du CESEDA n’incrimine pas, contrairement à ce qui est prétendu, l’aide humanitaire apportée aux étrangers en situation irrégulière ; il vise toute personne qui aurait « par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France […] ». Il ne s’agit donc pas de poursuivre l’aide apportée à une personne – l’aide est seulement un moyen –, mais le fait de faciliter son entrée, sa circulation ou son séjour sur le sol français en méconnaissance des règles applicables.
Mme Marylise Lebranchu. Donner à manger à la personne concernée entre dans le cadre que vous définissez, monsieur Besson !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. On pourrait au moins s’accorder sur un point : le terme opérationnel « aidants », utilisé sans portée juridique par les services de police et de gendarmerie, ne reflète pas la réalité de l’infraction, qui vise les trafiquants, et plus généralement les facilitateurs. Au moins aurons-nous collectivement obtenu gain de cause sur un point : le terme « aidants » ne sera plus utilisé, la police emploiera désormais les termes « trafiquants » ou « facilitateurs ». Mais cela n’enlèvera rien à notre détermination à lutter de façon très forte contre les filières de l’immigration clandestine.
Mme Marylise Lebranchu. Il ne faut pas inscrire dans la loi le mot : « facilitateur ».
Mme Sandrine Mazetier. Les mêmes causes auront les mêmes effets !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Quand on facilite l’entrée, la circulation ou le séjour d’un étranger en situation irrégulière, on ne se situe pas – je pense en particulier au séjour – dans le cadre d’une aide d’urgence ou d’un soutien provisoire, on est dans le concours à une installation pérenne dans l’irrégularité, voire à une violation délibérée du cadre juridique posé par le législateur.
Il faut également préciser qu’en application de l’article 121-3 du code pénal, qui s’applique de façon générale, « il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ». J’insiste sur ce point. Pour tomber sous le coup de l’incrimination de l’article L. 622-1, encore faut-il donc savoir que l’étranger est en situation irrégulière, c’est-à-dire qu’il faut faciliter consciemment, volontairement, son maintien en situation irrégulière. Dans toutes les situations de la vie courante, on n’est pas légitimement amené à s’interroger sur la situation d’une personne au regard des règles du séjour, l’incrimination n’est donc pas applicable :…
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Ce n’est pas vrai !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. …ce n’est pas la même chose de prendre une personne en stop dans le cadre de déplacements habituels ou de l’amener à l’hôpital, que de la convoyer sur de grandes distances dans une cachette aménagée dans son véhicule, ou bien encore d’effectuer des allers et retours réguliers vers un lieu connu de rassemblement de passeurs. Là est la frontière. Là est la distinction.
L’application de l’article L. 622-1 du CESEDA met d’autant moins en péril le travail des associations humanitaires et de tous ceux qui apportent une aide d’urgence aux étrangers que cet article doit être lu en tenant compte des dispositions de l’article L. 622-4, qui institue des immunités pénales. Ces immunités tiennent compte, soit des liens familiaux existants avec l’étranger en situation irrégulière – alinéas 1 et 2 –, soit de la nature de l’acte accompli – alinéa 3. Ce dernier alinéa, introduit par Nicolas Sarkozy en 2003, reprend l’esprit de l’article 122-7 du code pénal en matière d’irresponsabilité, et prévoit une immunité humanitaire générale, quelle que soit la personne concernée, dès lors que « l’acte reproché était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’étranger […] ». Cet alinéa couvre précisément les situations d’urgence et de détresse.
Mme Marylise Lebranchu. C’est un amendement socialiste !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. J’ajoute que, contrairement à ce qu’avancent les auteurs de la proposition de loi, notre législation est en parfaite cohérence avec le droit communautaire, en particulier avec la directive du 28 novembre 2002. Je comptais le démontrer, mais Éric Diard l’a fait superbement. J’en viens donc au point suivant.
Il n’y a pas de climat d’intimidation. Il y en a d’autant moins que l’État lui-même, je l’ai rappelé, contribue à l’aide humanitaire apportée aux étrangers en situation irrégulière.
M. Éric Diard. Tout à fait !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Il héberge des étrangers en situation irrégulière dans ses propres centres d’hébergement, il finance les associations qui aident les étrangers concernés. Il n’y a pas de climat d’intimidation, disais-je, et des associations aussi averties que la CIMADE, le Secours Catholique, Emmaüs France, la Fédération d’entraide protestante ou encore la Ligue des droits de l’homme ne s’y sont pas trompées. Elles savent pertinemment où passe la limite. Elles ont ainsi publié, le mois dernier, un guide pédagogique que je mets à votre disposition. À destination de leurs bénévoles et de leurs salariés, il est intitulé : « Étrangers en situation irrégulière - Que dois-je faire ? ». Ce superbe petit livre est très clair, il précise notamment que « les associations agissant pour des raisons humanitaires ne peuvent être poursuivies ». Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont ces associations. (Exclamations sur de nombreux bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Noël Mamère. Voulez-vous que je vous passe la publication de la Ligue des droits de l’homme, monsieur Besson ? Je l’ai entre les mains !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Elles expliquent parfaitement à leurs bénévoles et à leurs salariés ce qu’il faut faire et ne pas faire. Je ne suis pas sûr que l’État lui-même l’aurait mieux rédigé. Voilà le droit positif. Les associations le savent pertinemment. Peut-on aller plus loin ? Mme la députée Françoise Hostalier m’a fait des propositions en ce sens. Pourquoi pas ?
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Vous confondez associations et bénévoles !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Malheureusement, la proposition de loi a semé la confusion (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) et porté atteinte au travail de pédagogie qui avait été entrepris sur la distinction à faire, en pratique, entre le travail humanitaire et le risque de participation aux filières d’immigration clandestine. C’est ce travail de pédagogie que j’espère poursuivre, dans les jours qui viennent, avec toutes les personnes de bonne foi.
Il est donc clair que la proposition de loi présentée par le groupe socialiste est inutile.
M. Jacques Myard. Car elle est sans objet !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Noël Mamère évoquait sa constance – j’y reviendrai –…
M. Noël Mamère. Il est vrai que je suis constant, moi !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. …et le fait qu’il a été à l’origine, il y a onze ans, d’un amendement identique à l’un de ceux qui est aujourd’hui proposé.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Ce n’est pas le même amendement ; lisez-le à la tribune, monsieur le ministre !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Il y a onze ans, dans cet hémicycle, il reprochait à Jean-Pierre Chevènement ce qu’il appelait : « un délit d’humanité ».
M. Noël Mamère. Je lui reprochais de ne pas avoir abrogé les lois Pasqua !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Aujourd’hui, il s’agit d’« un délit de solidarité ».
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Ce n’est pas la même chose !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. J’attends avec intérêt la prochaine dénomination dans une dizaine d’années. Mais qu’avait alors répondu Jean-Pierre Chevènement pour écarter cet amendement ? Écoutez, c’est très intéressant : « Le droit des associations est particulièrement libéral dans notre pays. Quiconque le souhaite peut créer une association. Il eût alors suffi à une filière organisée de se constituer en association pour jouir d’une impunité inacceptable ». Il ajoutait : « En droit pénal, un délit n’est en effet constitué que si son auteur a eu l’intention de le commettre. Or en aucun cas ce caractère intentionnel ne peut être constitué à l’égard d’une association humanitaire dès lors qu’elle agit conformément à son objet ». Il rappelait que : « Aucune poursuite n’a jamais été engagée par aucun gouvernement à ce sujet ». Voilà ce qu’il répondait à Noël Mamère il y a onze ans. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Les mots de Jean-Pierre Chevènement sur ce sujet n’ont pas pris une seule ride. Ils sont toujours d’une grande actualité.
M. Noël Mamère. Attention ! Vous allez finir par froisser votre maître !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Par ailleurs, cette proposition est dangereuse par la confusion qu’elle entretient ; dangereuse parce qu’elle affaiblirait la lutte contre les filières d’immigration clandestine ; dangereuse parce qu’elle assurerait l’impunité à ceux qui, pour des motifs purement idéologiques, veulent faire obstacle à la politique nationale et européenne de contrôle des flux migratoires ; dangereuse, enfin, parce qu’elle nourrit la confusion sur le travail des associations humanitaires et alimente les risques d’instrumentalisation de ces structures par des réseaux aussi bien organisés que peu scrupuleux.
M. Éric Diard et M. Jacques Myard. Tout à fait !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Il est envisagé, dans la proposition de loi, de subordonner l’infraction en matière d’aide au séjour et au transit à l’existence d’une action réalisée à titre onéreux. L’expression « à titre onéreux » serait préférable, nous dit-on, à l’expression « dans un but lucratif » : la première couvrirait l’hypothèse d’une aide effectuée en échange d’une contrepartie, monétaire ou non ; la seconde, moins sévère, couvrirait seulement l’hypothèse de l’espérance d’un profit. Je ne suis pas sûr qu’il faille, en droit pénal, prêter autant d’attention à cette distinction – dont il m’a semblé que la subtilité échappait même à son auteur,…
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Ah bon ?
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. …mais je ne veux pas être méchant –, pas davantage d’attention, en tout cas, que le groupe socialiste du Sénat, qui a préféré utiliser, dans sa propre proposition de loi sur ce sujet, l’expression : « dans un but lucratif ». La subtilité est telle qu’elle échappe aussi aux sénateurs socialistes.
Mais, quelle que soit l’expression retenue, il n’est pas concevable de restreindre l’incrimination aux seules actions conduites en échange d’une contrepartie apparente. Une telle proposition témoigne d’une grande méconnaissance des modalités d’organisation et de fonctionnement des filières, qui sont très compartimentées et dont les activités ne donnent pas nécessairement lieu à des flux financiers sur notre territoire.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. C’est justement pourquoi nous proposons d’incriminer l’aide au séjour irrégulier à titre onéreux !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Bien souvent, le paiement s’effectue au départ et à l'arrivée, même si chacune des étapes est facturée – et très lourdement – à la victime. Dans son rapport de 1997 consacré à la législation sur l’immigration, Patrick Weil évoquait la question de l’inscription dans les textes du but lucratif, et, déjà, il mettait en garde contre la séduction trompeuse d'une telle solution : « Il peut être envisagé d’ajouter au texte actuel la condition du but lucratif. Cependant, la difficulté d'apporter la preuve du but lucratif risquerait de vider le texte de son sens ». Patrick Veil n’est pas, c’est le moins qu’on puisse dire, suspect de complaisance à l’égard de la politique migratoire du Gouvernement.
Le risque est grand également, comme je l’ai indiqué, d’assister à la constitution d'associations paravents, faux-nez des réseaux de passeurs.
Comment faire la différence ? Le législateur avait déjà été confronté à cette difficulté lors de l'adoption de la loi Chevènement. Pour ne pas allonger les débats, toutefois, je ne rappellerai pas les échanges qui ont eu lieu à ce moment.
Enfin, la proposition de loi tend à créer une immunité pénale automatique en faveur des personnes contribuant à préserver la dignité de l'étranger, et au bénéfice des établissements sociaux et médico-sociaux mentionnés à l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, ainsi qu'à leurs salariés et bénévoles. Si vous le souhaitez, lors de l’examen des articles, je pourrai vous exposer la grande difficulté d’application et les nombreux risques qui se cachent derrière cette intention généreuse.
Revenons sur le délit d’humanité évoqué par Noël Mamère. Comme le RESF ou le GISTI, cités par certains d’entre vous, Noël Mamère a au moins le mérite de la cohérence intellectuelle et de la sincérité. Ces associations – peut-être pas Noël Mamère – ont comme mot d’ordre : « Pour supprimer l'immigration illégale, supprimons les contrôles, supprimons les frontières. » Ces deux associations veulent deux choses : la régularisation de tous les étrangers en situation irrégulière…
M. Jacques Myard. Et voilà !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration.… et la libre circulation entre les pays d’émigration et les pays d’immigration. Elles veulent la création d’une sorte de Schengen planétaire avec totale liberté de circulation. C’est respectable. Cependant, j’ai cru comprendre que ce n’était pas la position du parti et du groupe socialiste…
M. Éric Diard. C’est récent !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. … et il doit en tirer les conclusions. Ou, si c’est votre position, il faut le dire lors des débats majeurs, lors de l’élection présidentielle et des élections législatives, mais pas en cours de route.
M. Marcel Rogemont. Vous avez rédigé tellement de programmes, vous avez dû écrire sur ce sujet !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Vous êtes de ce fait dans une autre logique : vous cherchez à ratisser large en instrumentalisant la contestation d'une partie de la gauche extrême, tout en rappelant, pour conserver une apparence de sérieux, la nécessité de combattre l'immigration illégale, donc la nécessité du contrôle des flux migratoires. Cela révèle surtout un manque de cohérence et, peut-être, une fois de plus, de la naïveté sur les questions d'immigration. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe SRC.)
Les auteurs de la proposition de loi se trompent de combat : ce n'est pas le désormais célèbre article L. 622-1 du CESEDA qui menace la cohésion nationale ou constitue un fléau mondial, mais ce sont les réseaux d'immigration illégale, c'est l'exploitation mafieuse de ces filières. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Sachez que le Gouvernement français n’est pas le premier ou le seul à dire cela, mais que tous les gouvernements européens, quelle que soit leur orientation politique, le disent aussi.
Mme Marylise Lebranchu. Nous le disons aussi !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Peut-être serez-vous plus sensibles à la position de tous les dirigeants, tous les ministres d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie. Ces chefs d’État, ces ministres, les parents des victimes de l’immigration clandestine et de ces réseaux mafieux nous pressent en permanence d’accélérer le démantèlement de ces filières.
Mais le parti socialiste français aime à se distinguer, persuadé qu’il est le seul à avoir raison. Que peuvent peser ces demandes des ministres du monde entier face à l’intime conviction de M. Goldberg et de ceux qui soutiennent sa proposition ? Qu’importe pour vous si les travaillistes anglais, si les socialistes portugais ou espagnols disent et font exactement la même chose que la France !
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Il n’y a pas de ministère de l’identité nationale dans ces pays !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Qu’importe si, il y a trois jours à peine, José Luis Zapatero, chef du gouvernement espagnol, s’est montré d’une détermination absolue dans sa volonté de lutter contre l’immigration clandestine, et a manifesté une solidarité absolue envers la position française et le pacte européen. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Éric Diard. Souffrez en silence !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Je vais maintenant répondre en quelques mots aux interventions individuelles, même si j’ai dit l’essentiel dans mon introduction.
D’abord, je voudrais remercier les députés de gauche pour leurs interventions que j’ai trouvées, pour la plupart, nuancées, mesurées, équilibrées, constructives et riches de propositions sur une politique migratoire alternative.
Madame Mazetier, j’ai compris que je vous agaçais. Dont acte.
M. Éric Diard. C’est de l’aigreur !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Vous avez même voulu présenter ma nécrologie, en quelque sorte.
Mme Fabienne Labrette-Ménager. C’est vrai !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Vous pensez être une meilleure prospectiviste que moi, c’est un peu optimiste. Je crains – je vous le dis sans prétention ou coquetterie – de vous agacer encore pendant quelques années. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Marcel Rogemont. Ce n’est pas tout de le souhaiter ! Vous êtes mort pour nous !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Noël Mamère est constant, y compris parfois dans ses caricatures et dans ses utopies.
M. Noël Mamère. Contrairement à vous, je ne change pas !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. S’il me permet juste une petite plaisanterie : il est constant à la gauche, et considère que c’est une vertu. Reste à savoir qui lui a fait le plus de mal, à la gauche : moi en la quittant ou lui en continuant à parler en son nom ? C’est une question qui mériterait réflexion. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. Marcel Rogemont. Pour qui vous prenez-vous ? Quel prétentieux !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. On peut plaisanter parfois !
En revanche, je ne plaisante vraiment plus quand on assimile dénonciation et délation. Jamais je n’ai utilisé le mot « délation », j’ai même passé mon temps à le récuser.
M. Éric Diard. C’est un amalgame douteux !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. L’amalgame est plus que douteux. Que vise-t-on ? Pas l’immigration clandestine traditionnelle, et même pas le travail illégal classique. Je vise la traite, l’esclavagisme.
Mme Marylise Lebranchu. Nous aussi et avant vous !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Je vise la domesticité forcée, certains ateliers dont les personnes ne sortent pas, ne voyant même pas le jour.
M. Noël Mamère. Vous leur demandez de dénoncer !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Quelle est la situation actuelle ? Si ces personnes sortent de leurs geôles – parce qu’il s’agit bien de prisons – et qu’elles se présentent à la police ou à la gendarmerie, elles peuvent certes porter plainte, mais aussi s’interroger sur le risque d’être reconduites à la frontière car elles ne possèdent pas de titre de séjour.
Que dit la circulaire, en application d’une directive européenne que nous n’avions pas transcrite, contrairement à la plupart des autres pays membres ? Que ces personnes, auxquelles il est malheureusement difficile de faire parvenir l’information, ont droit instantanément à une double protection : celle d’un titre de séjour provisoire, et celle d’une couverture sociale accordée immédiatement par le préfet. Actuellement, elles n’ont droit à rien. Cette circulaire leur accorde un titre de séjour provisoire et une protection sociale.
Mme Fabienne Labrette-Ménager. C’est un progrès !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Comment pouvez-vous suggérer que la dénonciation par des victimes de leurs bourreaux est assimilable à de la délation ? Je crois qu’il faut au minimum une bonne dose de mauvaise foi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Concernant le GISTI, abondamment cité, je pense que vous avez franchement tort de vous appuyer sur ses déclarations. Elles ont conduit le président Ayrault à affirmer des contrevérités ; il était mal informé. Le 21 avril 2009, le GISTI a publié une liste de trente-deux condamnations. Trois d’entre vous s’y sont référés à cette tribune, il y a quelques instants. J’ai répertorié ces condamnations sur le site du ministère dans un document que je ne peux pas lire intégralement mais que je vous suggère de consulter.
Mme Sandrine Mazetier. Nous l’avons tous lu, votre dossier de presse !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Dans quatre de ces cas, une contrepartie a été demandée à l’étranger hébergé. Ces affaires révèlent des contreparties de nature commerciale, mais aussi d’autres particulièrement odieuses, notamment des faveurs sexuelles,…
Mme Marylise Lebranchu. Absolument !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. … des conditions d’hébergement contraires à la dignité humaine, malgré le paiement d’un loyer élevé, ou encore une servitude domestique. Ce sont des jugements, des faits, plus des sentiments !
M. Éric Diard. Pas de garde à vue, n’est-ce pas madame Lebranchu ?
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Dans onze de ces cas, d’autres infractions justifiant une condamnation se sont ajoutées à l’hébergement : le séjour irrégulier de l’hébergeant lui-même, la participation à des fraudes à l’état civil, l’escroquerie au préjudice de particuliers et d’organismes sociaux, le recel d’usage de cartes de paiement contrefaites, le travail dissimulé et l’emploi non déclaré d’étrangers hébergés, la connaissance de l’irrégularité du séjour de l’étranger hébergé sans demande de régularisation.
M. Patrick Beaudouin. Des braves gens !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Comment un parti qui se veut de gouvernement peut-il prétendre appuyer ces déclarations et travailler sur la base de telles condamnations ?
M. Jacques Myard. Des ragots !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Pardon de vous le dire : honte à vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Merci à Éric Diard d’avoir rappelé certains faits élémentaires de façon très claire et pédagogique, et d’avoir énoncé cette simplicité d’évidence : le délit de solidarité n’existe pas. Je pourrais reprendre ses propos mot à mot, j’y souscris complètement.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Il a lu votre dossier de presse !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Je ne vois plus Catherine Coutelle. (« Elle est là ! » sur les bancs du groupe SRC.). Elle est présente par la pensée, et seule m’importe sa pensée ! Elle a cru bon de s’appuyer excessivement sur la liste du GISTI ; mon petit doigt me dit qu’elle ne recommencera pas. Elle m’a accusé d’insulter les socialistes lors des questions d’actualité, en citant Jaurès et Chevènement qui pourraient faire partie de notre patrimoine commun.
M. Jacques Myard. Je le partage !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. En revanche, elle affirme que des bulldozers ont été utilisés à Calais. Je vais lui signaler – et elle pourra le lire dans le Journal officiel – qu’aucun bulldozer n’a été utilisé, et que les migrants eux-mêmes et les associations ont reconnu qu’il n’y a eu aucune violence et aucun incident.
M. Noël Mamère. Circulez, il n’y a rien à voir !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Prenons au moins acte de cela, si nous ne sommes pas d’accord sur le tout.
À Étienne Pinte, je voudrais dire que j’ai le plus profond respect pour son histoire personnelle que je connaissais, et pour la force de ses convictions. Merci à lui d’avoir dit textuellement que le délit de solidarité n’existe pas. Les deux affaires citées – la bénévole de l’association Terre d’Errance et la salariée de l’association France Terre d’Asile auditionnées dans le cadre d’une garde à vue – sont deux procédures judiciaires, placées sous le contrôle de magistrats, garants indépendants de la protection des libertés individuelles.
Mme Marylise Lebranchu. Quels sont les fondements de ces procédures ?
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Ces affaires étant en cours, je n’ai pas le droit de les évoquer à cette tribune, pas plus que vous ou d’autres.
Merci d’avoir rappelé que les propositions que j’ai faites à Calais, la semaine dernière, ont été largement basées sur vos propres propositions et celles du médiateur, et travaillées avec les associations.
Merci, monsieur Aly, pour votre esprit d’équilibre et la finesse de votre intervention, et pour avoir indiqué qu’à Mayotte nous avons une situation particulière à gérer ensemble. Je n’y reviens pas, mais je vous inviterai bien volontiers à m’accompagner lors du voyage que je dois effectuer prochainement – la date n’est pas fixée, mais je vous en donnerai toutes les modalités – avec mon collègue Yves Jégo, afin d’essayer de traiter certaines des questions que vous avez soulevées. Merci d’avoir dit que la sagesse demande de rejeter cette proposition de loi.
Mme Taubira a fait, comme à l’accoutumée, une belle intervention lyrique, talentueuse, sans notes, classique au bon sens du terme.
Mme Marylise Lebranchu et Mme Jacqueline Maquet. 14 sur 20 !
M. Marcel Rogemont. Vous êtes ministre, pas prof ! Vous n’avez pas de note à donner !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. La première partie, un hymne à la générosité, j’y souscris totalement – qui pourrait ne pas le faire ? Dans la deuxième partie, j’ai entendu une demande d’accentuer la lutte contre le travail illégal. C’est ce que nous allons faire, comme me le demande expressément la lettre de mission signée par le Président de la République et le Premier ministre, qui figure elle aussi sur le site du ministère.
En revanche, à propos des condamnations, vous avez dit : « sans condamnation, comme vous le prétendez, ou avec condamnation comme nous le prétendons. » Cela ne peut exister, au nom même des principes que vous avez voulu incarner et évoquer. Si vous croyez à l’État de droit, une porte est ouverte ou fermée : ces condamnations ont ou n’ont pas existé. Si vous affirmez qu’il y a eu des condamnations, vous devez en apporter la preuve. J’ai dit à quel point je trouvais grotesques et mensongers les cas dont j’ai entendu parler jusqu’à présent.
Mme George Pau-Langevin. Il existe des condamnations !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Je ne connaissais pas la très belle citation d’Aimé Césaire que vous avez rapportée. Césaire a sans doute raison de dire qu’une civilisation peut pourrir par le cœur et non par la tête, si j’ai bien compris. Mais un État de droit, une civilisation peuvent aussi s’abîmer quand on ne fait plus appel à la tête, quand le vrai n’est plus distinct du faux, et quand on peut affirmer sans prouver et sans démontrer. Je pense qu’Aimé Césaire aurait été aussi d’accord avec cette interprétation-là. (Applaudissements sur certains bancs du groupe UMP.)
Gilles Cocquempot, n’y voyez pas malice, je n’ai pas compris tout ce que vous avez dit. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Quel dédain !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Ce n’est pas méchant, mais je n’ai pas tout compris, cela peut arriver ! Mais j’ai entendu : « on ne vous dit pas tout ! ». C’est vrai qu’on ne nous dit pas tout, y compris sur Jean-Claude Lenoir que vous avez cité, en expliquant que je lui avais rendu hommage. La réalité est un peu plus subtile et complexe : je rends hommage à son action humanitaire, mais ne puis en faire autant pour certaines de ses déclarations – graves, fausses et faites sans l’ombre d’une preuve – sur les gazages et les matraquages. Votre remarque n’était donc que partiellement vraie. Je veux néanmoins revenir sur les chiffres que vous avez cités. Parmi les 1 000 condamnations prononcées en 2008 sur la base de l’article L. 622-1, aucune ne concerne un bénévole humanitaire. Vous avez donc raison de dire qu’aucun d’entre eux n’a été condamné en 2008.
Tout ce que vous avez dit au sujet des drames individuels et des causes qui poussent certains à migrer est vrai, madame Pau-Langevin : des personnes abandonnent en effet leur famille, vendent leurs biens et se sentent obligées d’aller au bout de leur périple pour restituer de l’argent à leurs familles restées dans le pays d’origine. J’ai rencontré il y a quelques jours au Sénégal, au Cap-Vert et en Tunisie des mères de famille qui se regroupent en associations pour dissuader leurs enfants de payer des passeurs et de risquer leur vie. Elles nous demandent de clamer haut et fort notre refus de l’immigration irrégulière, et de reconduire, car c’est un signal clair, les migrants à la frontière.
Mme George Pau-Langevin. Elles vous remercient, en somme !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Vous seriez étonnée. Je crois d’ailleurs que Mme Ségolène Royal, lors de son récent séjour à Dakar – au-delà des propos qu’elle y a tenus – a rencontré l’une de ces associations. Les pays d’émigration ont donc la même préoccupation que les pays d’immigration. (Interruptions sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Quant au centre de Sangatte, le nombre de migrants clandestins a considérablement diminué dans les années qui ont suivi sa fermeture. Il fallait donc le fermer. Néanmoins, la situation s’est incontestablement aggravée depuis six mois car, en prenant beaucoup de risques et en payant très cher, on peut de nouveau traverser la Manche : le calcul des passeurs qui consiste à dire au migrant qu’il a une chance de le faire après avoir passé trois ou quatre semaines à côté du port dans des conditions insupportables trouve ainsi un écho. C’est cette logique qu’il nous faut briser au plus vite.
Merci également, madame Pau-Langevin, d’avoir rappelé, au détour d’une phrase, que l’on soigne dans les centres de rétention administratifs français ; à écouter d’autres interventions, on aurait eu du mal à s’en convaincre. Vous m’alertez par ailleurs sur la souffrance des personnels de l’État :…
Mme George Pau-Langevin. Oui, nous les avons rencontrés !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. …c’est vrai des policiers comme des personnes qui travaillent dans les centres de rétention, et même dans mon ministère ; mais ils souffrent surtout des caricatures dont ils sont parfois victimes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
S’agissant de l’asile, permettez-moi de vous rappeler que la convention de Dublin, qui impose la réadmission des demandeurs d’asile dans les pays européens où a été déposée la demande, a été négociée en 1990, sous un gouvernement socialiste.
Mme George Pau-Langevin. Il faut la revoir !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Précisément : afin de prendre en compte certaines exigences de solidarité, cette convention est en cours de renégociation – les experts évoquent ainsi la convention « Dublin II ». La France estime en effet qu’il convient d’apporter une solidarité croissante à certains pays, tels que Malte, Chypre et quelques autres, sur lesquels pèsent des contraintes trop lourdes.
Un consensus républicain aurait dû intervenir sur un tel sujet, a joliment déclaré Marylise Lebranchu. C’est vrai ; tel est d’ailleurs le cas dans des pays ayant la même législation que la nôtre.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Non, elle est différente !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Mais je persiste et signe : le délit de solidarité, en France, est un mythe. « Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de condamnation que le délit n’existe pas », avez-vous déclaré après avoir rappelé que vous fûtes garde des sceaux. Je ne comprends pas très bien cette phrase ; il me semble qu’on pourrait la discuter mais, puisque vous êtes ancienne garde des sceaux, je ne le ferai pas.
Mme Marylise Lebranchu. Je peux vous l’expliquer !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Sans doute vouliez-vous dire que le délit peut être constitué, mais qu’en l’absence d’intentionnalité, il n’y a pas de condamnation.
M. Jacques Myard. Et voilà !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Ce n’est pas tout à fait la même chose, mais prenons acte, au nom du consensus républicain, de notre accord.
Quant au tableau des aidants, j’en ai disséqué les chiffres ; vous avez donc bien compris qu’il ne s’agit pas de bénévoles mais de trafiquants.
J’ai eu grand plaisir à répondre à vos questions, et vous remercie pour votre attention. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jean-Marc Ayrault. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.
M. Jean-Marc Ayrault. Je serai bref.
En écoutant le discours-fleuve de M. Besson, j’ai ressenti un vrai malaise – et je ne suis pas le seul, en tout cas sur les bancs de la gauche. J’ai lu ce matin, dans le journal Libération, la tribune de M. Besson, qui s’est d’ailleurs permis de publier un argumentaire – rempli de contrevérités – contre notre proposition de loi sur le site Internet de son ministère, avant même que le débat ait lieu ici. Nous avons assisté à un procès pour nous discréditer, selon la méthode de l’UMP – n’est-ce pas, monsieur le secrétaire général adjoint – qui vise à nous dénigrer, à nous caricaturer, à faire comme si nous rejetions une politique migratoire responsable et considérions que le problème de l’immigration est derrière nous. Nous connaissons, nous aussi, la souffrance de ces mères sénégalaises qui essaient de dissuader leur fils de monter dans un bateau pour voir, de l’autre côté de la mer, des espoirs brisés, quand ils ne trouvent pas la mort avant d’achever la traversée.
M. Éric Diard. Personne n’a prétendu le contraire !
M. Jean-Marc Ayrault. Croyez-vous que nous soyons indifférents à ce problème mondial ? Nous prenez-vous pour des naïfs ou des irresponsables qui nieraient la nécessité des législations française et européenne ?
M. Éric Diard. Non !
M. Jean-Marc Ayrault. Mais votre politique est plus dure que la législation européenne. Certes, vous appliquez les directives, mais toujours a minima. Nous n’avons pas inventé les problèmes dont nous parlons : nous en avons discuté avec les bénévoles, les associations de toutes sensibilités. Nous n’en sommes pas des porte-parole, mais des élus du peuple dont la responsabilité est d’inviter notre assemblée à réformer la loi, parce que nous la jugeons mal écrite et ambiguë. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur de nombreux bancs du groupe GDR.) Il est assez minable d’avoir ainsi dévoyé le débat sur l’immigration dans le seul but de se montrer toujours plus zélé, de faire oublier les transgressions et les procès souvent véhéments et même caricaturaux que l’on intentait naguère à Nicolas Sarkozy pour se faire de la publicité, ayant d’ailleurs obtenu une campagne d’affiches pour cela. Et maintenant que l’on est au pouvoir, il faut, pour favoriser sa carrière, humilier toujours davantage les élus du parti socialiste ! Nous ne l’acceptons pas. (Mêmes mouvements.)
M. Éric Diard. Ce sont vos propos qui sont minables !
M. Jean-Marc Ayrault. Je le dis et je le répète : j’aurais aimé que le ministre passe un peu de temps à lire notre proposition de loi, que le rapporteur a très bien défendue. Où voyez-vous du laxisme et de l’irresponsabilité ? Croyez-vous que nous ne sommes pas déterminés à lutter contre les trafics, l’exploitation de la misère, les mafias ou encore l’esclavage ? Croyez-vous que, à l’approche du 10 mai, nous n’avons pas, nous aussi, des responsabilités à prendre et des combats à mener ? La législation actuelle est néanmoins ambiguë. Nous avions invité tous les députés à assister à la projection du film Welcome, en présence du réalisateur Philippe Lioret ; un seul député de l’UMP est venu :…
M. Éric Diard. Nous avons le droit de travailler, quand même !
M. Jean-Marc Ayrault. …M. Pinte, que je tiens à remercier, comme je le remercie pour la qualité de son intervention de tout à l’heure, même si ses conclusions diffèrent des nôtres. À l’occasion de cette projection nous avons eu un débat responsable. Le film est certes une fiction, mais il montre des hommes et des femmes ordinaires, qui font honneur à la France. Mme Coutelle, prétendez-vous, aurait un problème avec la nation ; mais nous n’en avons aucun, non plus qu’avec les traditions françaises d’aide aux personnes en détresse, pourchassées, qui essaient tout simplement de survivre. C’est l’honneur de la France que des hommes et des femmes ordinaires, tels ces parents d’élèves qui n’appartiennent à aucune association ni aucun parti politique, aident et parrainent des enfants étrangers, soutenus par des élus qui, lorsqu’ils sont maires, reçoivent parfois une lettre du préfet les invitant à éviter ce type d’action dans leur commune.
M. Éric Diard. Sur quel article ce rappel au règlement est-il fondé ?
M. Jean-Marc Ayrault. Est-ce là, à vos yeux, la nation et la République française ?
Nous avons seulement proposé que les nécessaires mesures contre les passeurs et l’exploitation humaine s’accompagnent d’une certaine humanité, comme le prévoit le II de l’article 1er de notre texte : « Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas lorsque l’acte reproché était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’étranger, sauf s’il a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte. » Voilà tout ce que nous proposons ! Et vous voudriez nous faire un procès en nous dénigrant, en nous caricaturant ? De votre part, monsieur Besson, c’est tout simplement indigne ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
J’invite l’Assemblée nationale à prendre ses responsabilités mardi prochain, et à voter nos propositions de réforme de l’article L. 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers. Mardi prochain, chaque député, qu’il soit de l’opposition ou de la majorité, aura à dire si nous avons inventé les situations dont nous parlons ; il aura à dire si nous devons oui ou non corriger un texte mal écrit. Quelle que soit la sensibilité des associations, que nous respectons dans leur diversité, nous prenons nos responsabilités. Si nous avons un débat aujourd’hui, c’est bien qu’un problème se pose et que nous voulons le résoudre. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Myard.
M. Jacques Myard. Il n’y a pas d’un côté les supporters de l’humanisme et de l’autre les « affreux ».
M. Jean Mallot. Il s’est reconnu !
M. Jacques Myard. M. le ministre nous a rappelé avec sérénité, arguments à l’appui, que la présente proposition de loi était inutile, dès lors que la jurisprudence répondait à ce souci d’humanisme qui est aussi le nôtre, monsieur Ayrault.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Il fallait vous inscrire dans la discussion générale pour le dire !
M. Jacques Myard. Je ne connais pas un député de droite qui ne soit intervenu pour soulager la souffrance humaine. Nous avons tous déjà eu à intervenir pour faire régulariser des étrangers et défendre l’humanisme dans lequel vous vous drapez ! Vous n’avez pas le monopole de l’humanité, monsieur Ayrault ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Sans être aussi long que vous, monsieur le ministre, je veux m’appesantir sur les questions du respect et de la dignité. Vous avez prétendu que je n’aurais même pas compris ce que j’avais écrit ; nous aurions, à vous entendre, écrit cette proposition de loi sans réfléchir ; vous nous avez vilipendés, vous avez jeté la confusion. (Protestations sur quelques bancs du groupe UMP.)
Le document que vous venez de citer, monsieur le ministre, est en effet consultable sur le site de votre ministère, ce qui est fort peu républicain et prouve que la majorité veut éviter toute confrontation de fond sur notre proposition de loi : du reste, ce matin encore, en commission des lois, elle n’a même pas défendu ses amendements.
Je vais tâcher de reprendre les principaux points de votre intervention, en tout cas ceux qui concernent notre proposition de loi, et non pas ceux qui étaient destinés à vous dédouaner pour vos évolutions passées.
J’imagine que vous avez pris le temps de lire le rapport que j’ai rédigé au nom de la commission des lois. Vous aurez pu constater que nous n’avons pas seulement discuté avec les associations, mais aussi avec la chancellerie, la direction de la police de l’air et des frontières. Nous avons auditionné de même l’ensemble des syndicats de policiers et de magistrats. (« Et alors ? » sur les bancs du groupe UMP.)
M. Éric Diard. C’est toujours comme ça qu’on prépare un rapport !
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Tous nous ont dit que la formulation que nous proposions ne posait pas de problèmes. Les qualificatifs qui figurent dans votre document sont donc indignes de notre débat.
Vous avez, à juste titre, cité Schengen. Or le dispositif prévoyait que les circonstances de l’aide devaient être prises en compte dans la réglementation.
M. Pierre Cardo. La réglementation, ce n’est pas la loi !
M. Daniel Goldberg, rapporteur. C’est justement ce que nous vous proposons aujourd’hui.
Vous expliquez que le terme « aidant », qui figure dans la loi de finances, n’a qu’une valeur administrative.
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Pas dans la loi de finances : dans un document annexe !
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Certes, mais il s’agit tout de même d’un document juridique, annexé à la loi de finances, laquelle est votée. Si ce terme figure à cet endroit-là, c’est bien parce que l’article est rédigé de cette manière – ce que vous ne voulez pas changer.
Vous prétendez que notre proposition de loi est inutile. Êtes-vous vraiment sûr qu’il n’y ait pas d’interpellations injustifiées au regard de la législation actuelle ? N’entendez-vous pas tous ceux qui se lèvent aujourd’hui, qui ne sont pas, comme vous l’affirmez, de dangereux laxistes faisant preuve d’angélisme, et qui dénoncent les problèmes constatés dans notre pays ?
Vous avez répété quelques inexactitudes – qui figurent déjà dans votre document – à propos de la transposition de la directive européenne de 2002. À cet égard, votre document comporte bien des différences par rapport à celui qui nous a été transmis par la police des frontières lorsque nous avons auditionné son directeur.
Enfin, vous avez prétendu qu’il n’y avait aucune différence entre la situation à l’étranger et la situation en France. Il en est une, pourtant : dans aucun autre pays d’Europe il n’y a de ministère mêlant immigration et identité nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – « Et alors ? » sur les bancs du groupe UMP.) Nous sommes là au cœur de notre désaccord. Jamais nous n’opposons les étrangers, l’immigration et l’identité nationale. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jacques Myard. Manipulation, monsieur Goldberg !
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Dans votre intervention comme dans votre document, monsieur le ministre, vous avez également évoqué à plusieurs reprises la question de l’aide humanitaire. Nulle part dans notre proposition de loi nous ne parlons d’aide humanitaire, car, comme vous, nous savons que cette question est trop floue. Certes, elle figure dans la directive de 2002, mais nous avons choisi de ne pas la traduire de cette manière-là dans notre proposition de loi. Tout ce chapitre de votre intervention est donc nul et non avenu.
Vous avez rappelé, tant dans votre intervention que dans votre document, les échanges sûrement très intéressants qu’avaient eus Noël Mamère et Jean-Pierre Chevènement, et qu’a également évoqués M. Diard. D’après vous, nous proposons d’exonérer de toute poursuite les actes commis par des associations : il suffirait de fonder une association loi de 1901 à but humanitaire pour échapper à la loi. Cela ne figure nullement dans notre proposition de loi.
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Ce n’est pas dans la proposition, mais c’en est une conséquence !
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Vous avez cité l’article 121-3 du code pénal, qui stipule qu’« il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ». Ainsi, d’après vous, pour être sûr de ne pas être poursuivi, quelqu’un qui donne à manger à un étranger en situation irrégulière ne doit pas savoir – ou ne pas dire qu’il sait – que cet étranger est en situation irrégulière.
M. Jacques Myard. C’est scandaleux !
M. Éric Diard. C’est n’importe quoi !
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Vous pensez qu’une personne qui vient en aide à un étranger ignore sa situation réelle ?
M. Jacques Myard. C’est faux !
M. Serge Blisko. Pourquoi ces hurlements ? Monsieur Myard, calmez-vous !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Un peu de respect !
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Mais j’ai commencé par le respect et la dignité, monsieur le ministre : souvenez-vous.
Vous avez parlé, à propos de l’article L. 622-4, des liens familiaux qui exempteraient de poursuites. Mais avez-vous connaissance d’un cas récent, qui a été quelque peu médiatisé par l’association « Les amoureux au ban public » ? Il s’agit d’une jeune femme de Dijon, Mlle Chary, qui devait se marier, que le procureur a poursuivie et qui est inquiétée par la justice pour le seul fait d’avoir voulu se marier. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Vous contestez ces informations, monsieur le ministre ?
Mme la présidente. Monsieur le ministre, personne ne vous entend : laissez M. Goldberg conclure, vous aurez ensuite l’occasion de lui répondre.
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Je peux vous répondre sur l’exemple que vous citez !
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Je tiens à votre disposition copie de la lettre que m’a envoyée le préfet de la Côte-d’Or et qui m’explique pourquoi Mlle Chary est inquiétée.
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Mais non, c’est faux !
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Écoutez-moi donc, monsieur le ministre !
Le troisième alinéa de l’article L. 622-4 exempte de poursuites l’aide apportée au séjour irrégulier d’un étranger dans les cas de nécessité, c’est-à-dire en cas de danger imminent. Or c’est un amendement Blisko et Caresche qui, en 2003, a introduit ce terme dans la loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Peut-être l’aviez-vous voté à l’époque, monsieur le ministre : essayez de vous souvenir. Mais cette exemption ne concerne que les situations d’urgence et de détresse, non pas l’aide quotidienne.
Enfin, vous avez accepté ce qui ne figure toujours pas dans votre document – mais peut-être que la réflexion de l’après-midi a permis de vous faire voir que nous ne proposions pas de reprendre l’expression « but lucratif », et que nous préférions « titre onéreux ». Vous l’avez dit, et vous allez donc dans notre sens : les contreparties, quelle qu’en soit la nature, ne doivent pas être poursuivies.
Cependant, vous avez fait une confusion, monsieur le ministre, quand vous avez pointé le travail des filières. Elles aident à l’entrée, pas au séjour.
M. Jacques Myard. À Calais, elles aident à passer de l’autre côté !
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Qu’il y ait des échanges d’argent, que ce soit en Afghanistan ou au Royaume-Uni, c’est-à-dire au départ ou à l’arrivée, ce n’est pas ce que nous proposons. Nous proposons d’exempter de poursuites l’aide au séjour, sauf si elle est faite à titre onéreux, c’est-à-dire avec contrepartie.
Vous affirmez que, à l’heure actuelle, il n’y a ni climat d’intimidation ni délit. Je lis la lettre que vous avez adressée aux associations dont vous avez loué le travail. Qui fait l’amalgame, quand vous dites qu’elles entretiennent « la confusion entre ce qui relève de l’action humanitaire, parfaitement légitime et utile auprès d’étrangers en situation de détresse, et ce qui participe d’une collaboration active, par passion, par idéologie, ou par imprudence, à des filières exploitant de manière indigne la misère humaine » ? Sans doute le mot « collaboration » n’a-t-il pas été choisi au hasard. Les associations que vous vantiez tout à l’heure à la tribune, agissent-elles par action humanitaire légitime, ou participent-elles d’une « collaboration active » ?
Vous nous avez demandé, monsieur le ministre, de citer des cas dans lesquels l’application de l’article L. 622-1 n’était pas conforme à ce que vous avez décrit. Permettez-moi d’en évoquer trois. Certes, il ne s’agit pas de condamnations. (« Et alors ! » sur les bancs du groupe UMP.)
En 2006, un honorable parlementaire de la majorité, notre collègue de Seine-Saint-Denis Éric Raoult, demandait, au vu de l’article L. 622-1, que les élus parrainant des étrangers sans papiers puissent être condamnés. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, lui répond que, effectivement, aux termes de l’article L. 622-1, « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France » peut être condamnée. « Toutefois, ces dispositions ont essentiellement pour objet de donner les moyens juridiques de lutter contre les réseaux organisés d’immigration clandestine. » Le ministre de l’intérieur de l’époque est donc obligé, en réponse à cette question écrite n° 66968, de se référer à une décision du Conseil constitutionnel pour limiter le champ d’action de cet article. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Pierre Cardo. Nous sommes en démocratie, ça fonctionne bien !
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Vous n’avez rien compris ! Il est nécessaire de se référer au Conseil constitutionnel pour connaître l’application de la loi.
M. Pierre Cardo. Vous nous expliquez que cela fonctionne bien, et pourtant vous voulez changer la loi !
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Deuxième exemple : vous me dites, monsieur le ministre, qu’il n’y a aucun climat d’intimidation. Je peux vous communiquer la lettre d’une travailleuse sociale qui a pris le train de Paris à Charleville-Mézières, le 24 janvier dernier, et qui a parlé à une étrangère en situation irrégulière qu’elle connaissait dans le cadre de son activité professionnelle. À la descente du train, les deux femmes sont interpellées par la police, qui demande à la première si elle connaissait l’autre et si elle savait qu’elle était sans papiers. On en revient au délit intentionnel. « Je réponds par l’affirmative. L’agent de police me dit : “Alors vous savez ce que vous encourez : aide au séjour illégal de personnes sans papiers.” » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Pierre Cardo. Elle a été condamnée ?
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Elle a été gardée à vue au commissariat, on l’a fouillée et on l’a relâchée au bout de deux heures.
Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Elle n’a donc pas été condamnée !
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Vous m’avez demandé de citer des cas : je vous en donne !
M. Jacques Myard. Ce ne sont pas des cas ! Ça rame, à gauche !
M. Daniel Goldberg, rapporteur. J’ai cité des cas de décisions administratives et je vous ai interrogé, monsieur le ministre, sur celui d’une demande de naturalisation qui a été faite par une habitante de ma circonscription et qui a été rejetée.
M. Éric Diard. On attend les condamnations !
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Vos services, monsieur le ministre, m’ont répondu qu’une décision d’ajournement avait été prise. Savez-vous quel est le seul argument qui ait été avancé, alors que vous nous avez vanté les mérites de l’intégration par la naturalisation ? « En effet, de 2002 à 2003, Mme […] a aidé au séjour irrégulier du père de ses enfants, nés en 2003 et en 2007, et cela en infraction à la législation relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France ». (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) C’est une lettre du 5 mars 2009 qui prouve bien, monsieur le ministre, que certaines décisions sont prises sur le seul fondement de l’article L. 622-1. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. J’appelle maintenant les articles de la proposition de loi.
Mme la présidente. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 1er.
La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, si je parle dans ce micro situé en haut des travées, c’est parce qu’il me rappelle des souvenirs et me permet de confondre mes fonctions de député et celles de maire de Cachan. Le 4 octobre 2006, je me suis heurté au ministre de l’intérieur de l’époque – l’actuel Président de la République – à propos de la situation de 400 sans-papiers réfugiés dans un gymnase de ma ville.
Ce jour-là, j’ai puisé dans la fraternité de la gauche le sentiment que l’injustice pouvait être réparée. Elle l’a été : le dénouement du drame de ces personnes a permis de dénouer celui de l’ensemble des sans-papiers. Aujourd’hui, ma plus grande fierté est d’être le maire d’une commune où des centaines d’habitants, de toutes confessions et convictions, ont contribué jour après jour à permettre à quatre cents personnes proscrites, à la rue même, de vivre dans la dignité jusqu’au jour où la République s’est rappelée à la volonté du ministère de l’intérieur et les a enfin prises en charge, comme l’exigeait le respect de la dignité humaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Si je prends la parole dans ce débat, ce n’est ni pour polémiquer, ni pour accuser le ministre, M. Besson, de n’avoir pas, pendant les deux tiers de son intervention, envisagé le contenu réel de la loi. Dans ce débat, aucun d’entre nous n’a évoqué la politique d’immigration et les conditions dans lesquelles la République française la met en œuvre pour empêcher la circulation irrégulière et les actes délinquants tels que l’aide au passage illicite des frontières. La seule situation que nous avons évoquée est celle des femmes et des hommes de France, étrangers en situation régulière ou citoyens de la République, qui estiment qu’aider un être humain résidant dans la même rue, voire dans le jardin d’en face – car c’est souvent ainsi que se produisent les rencontres – à vivre, à se nourrir, à se soigner, à rester propre ou à éduquer ses enfants, constitue un acte d’humanité fondamental.
Au fond, le problème essentiel tient à l’incertitude du droit. C’est pour cette raison que se produisent aujourd’hui certains faits qui heurtent les bénévoles – qui n’entendent pourtant pas être davantage que des bénévoles de l’action humanitaire. Ce sont ces faits qui mettent en cause les principes fondamentaux de la République.
Nous avons entendu l’intervention du ministre et pris connaissance de ce qu’il a discourtoisement communiqué sur le site du ministère. C’est de droit qu’il faut parler : quels sont les éléments constitutifs du délit ? Les voici : « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France, sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 euros ». Voilà, monsieur le ministre, l’article qui construit la prévention ! L’article L. 622-4 ne mentionne pas même les associations. M. le rapporteur – notre collègue et ami, qui a replacé l’enjeu juridique au cœur de notre débat – l’a rappelé avec une grande pertinence : le quatrième alinéa de cet article L. 622-4 ne mentionne que les personnes physiques ou morales, lorsque « l’acte reproché était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde » de la personne en situation irrégulière. Or, ce risque « imminent » ne correspond pas à la situation des centaines de personnes qui se trouvent en situation d’insuffisance sanitaire et alimentaire à Sangatte, comme autrefois celles de Cachan, celles de Lyon trois mois plus tard ou celles de Paris six mois plus tard.
Là est tout le problème que nous soulevons : le texte actuel ne règle pas la situation des associations. M. Goldberg l’a dit : c’est le Conseil constitutionnel qui, en mars 2004, a donné une interprétation de la loi de 2003 – je me souviens bien de ce débat – en rappelant que l’action humanitaire n’était naturellement pas concernée par le dispositif. Or, chers collègues, quel fonctionnaire de police se promène avec, sur lui, le texte de l’interprétation par le Conseil constitutionnel de l’article L. 621-1 ? Nous-mêmes ne l’avons pas évoqué depuis le début de ce débat.
M. Serge Blisko. Exactement !
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Voilà tout le problème ! Mme Lebranchu l’a dit : placer une personne en garde à vue, monsieur le ministre, c’est exercer une prohibition contre ses droits fondamentaux. Le placement en garde à vue n’est pas un geste banal, a fortiori lorsque l’on connaît les conditions de certaines gardes à vue – je pense à certaines prises de corps effectuées le matin, à l’usine, ou devant les enfants ; je pense aussi aux fouilles à corps – aux fouilles à corps, monsieur le ministre ! – de certains bénévoles à qui l’on reproche d’avoir nourri un enfant ! Des fouilles à corps : c’est inacceptable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Voilà le problème que nous vous demandons de régler. Notre intention dans ce texte n’est pas de critiquer la politique d’immigration du Gouvernement – nous le ferons ailleurs – mais simplement de réintroduire dans la loi la réalité des principes républicains. L’article en question, qui constitue l’infraction, doit rappeler que toute personne intervenant auprès d’un étranger dont elle sait qu’il est en situation irrégulière – car c’est cette seule connaissance qui constitue le délit – ne peut être passible de poursuites.
Au fond, si ce texte est conservé, c’est seulement pour maintenir la pression et pour susciter la peur ! (« Évidemment ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Il est maintenu pour éviter que ne se multiplient les gestes d’humanité que les citoyens français veulent faire à l’égard de ces gens – gestes qui ne témoignent en aucun cas d’un jugement de valeur, ni sur la politique du Gouvernement, ni sur les conditions et les raisons de la présence de ces gens, mais qui constituent simplement un acte d’humanité.
Mme la présidente. Veuillez conclure, je vous prie.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je vais conclure, madame la présidente, mais je n’interviendrai plus dans ce débat et, n’étant pas non plus intervenu depuis ce matin, permettez-moi d’achever mon propos. (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)
M. Pinte, que j’estime et que je respecte beaucoup pour avoir partagé, ici même, dans les nuits chargées de l'Assemblée nationale, de nombreux combats, a rappelé une belle phrase du Président de la République : « Il y a un pays dans le monde qui sera généreux pour tous les persécutés : c’est la France. » J’approuve cette phrase.
Permettez-moi néanmoins de vous rappeler ce qui a motivé ma décision, le 28 août 2006, d’accueillir 400 personnes dans un gymnase de Cachan, alors que je n’en avais ni les moyens ni le droit. C’est Dom Helder Camara, qui disait ceci : « Je veux croire que tous les hommes sont des hommes, et que l’ordre de la force et de l’injustice est un désordre. » Et plus loin : « Je ne croirai pas que je puisse là-bas », aux quatre coins du monde, où se rend le Président de la République, « combattre l’oppression, si je tolère ici », c’est-à-dire dans notre pays, « l’injustice ». (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marcel Rogemont.
M. Marcel Rogemont. Il me sera bien difficile d’intervenir à la suite de M. Le Bouillonnec, tant ses propos sont empreints de chaleur et d’expérience.
Je vous dirai simplement pourquoi je réprouve la rédaction actuelle de l’article L. 622-1, en vous racontant une histoire qui m’est arrivée en février 2008. Avec une poignée de militants, je me suis alors opposé physiquement au départ d’une jeune Congolaise et de son enfant. Je note au passage que les militants tels que ceux qui m’accompagnaient donnent de leur propre argent aux sans-papiers qui sont dans les centres, y compris au moment de leur rapatriement. Quant à moi, j’avais ce jour-là garé ma voiture de telle sorte qu’aucun véhicule ne puisse entrer ou sortir du centre de rétention. Ce faisant, j’étais passible des sanctions prévues à l’article L. 622-1, soit cinq années de prison et 30 000 euros d’amende.
M. Pierre Cardo. Et alors ?
M. Marcel Rogemont. L’histoire ne s’achève pas là : grâce à cette action, la personne en question a pu, quelques semaines plus tard, faire valoir ses droits. Or, il s’est avéré qu’elle devait faire l’objet d’une régularisation, et non d’une reconduite à la frontière.
Voilà qui signifie tout simplement que la politique du chiffre que mène le Gouvernement s’attaque aux droits de la personne. Appliquons dès lors le parallélisme des formes : si j’étais passible d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, vous aussi, monsieur le ministre, qui menez une politique portant atteinte aux droits de la personne, devriez être en prison ! Cela aurait d’ailleurs été amusant : nous nous y serions retrouvés ensemble et, pour tuer le temps, aurions pu jouer aux échecs… J’aurais choisi les Noirs, et vous les Blancs !
M. Serge Blisko. Encore que, par les temps qui courent, mieux vaut ne pas se retrouver en prison du tout…
M. Marcel Rogemont. Quoi qu’il en soit, l’anecdote que je viens de vous narrer m’incite naturellement à m’opposer à l’article L. 622-1, car c’est précisément cette base juridique qu’utilisaient les policiers pour empêcher les militants de se joindre à moi, en faisant pression sur eux et en les verbalisant pour stationnement illicite, ou que sais-je encore. Que les choses soient claires : nous ne saurions nous satisfaire de la rédaction actuelle de cet article.
Enfin, j’entends lutter fermement contre cette politique du chiffre, qui conduit ceux qui vous représentent sur le terrain à agir parfois aux frontières de la loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Blisko.
M. Serge Blisko. Je comprends mal ce qui est en train de se produire, monsieur le ministre. Les propos de Mme Lebranchu et de M. Le Bouillonnec ont largement éclairé ce que vous feigniez de ne pas comprendre : aucun d’entre nous n’a prétendu que les condamnations pleuvaient ! Pourtant, chacun – M. Le Bouillonnec comme M. Rogemont – décrit un climat d’intimidation fait de pressions et de gardes à vue. Faut-il rappeler que la garde à vue est une privation de liberté, même brève, puisque le contrôleur général des lieux de privation de liberté est habilité à visiter les lieux où elles se produisent ? Or, les gardes à vue, les convocations et autres intimidations s’appuient sur cet article, dont nous demandons la suppression.
Il ne s’agit donc pas ici de refaire la politique de l’immigration. M. Le Bouillonnec a rappelé à juste titre que cet autre débat devrait par ailleurs avoir lieu avec – ou plutôt contre – vous, monsieur le ministre. Aujourd’hui, il ne s’agit que de dire que cet article, que M. le rapporteur et l’ensemble de nos collègues socialistes dénoncent, est, dans le contexte actuel d’intimidations et de politique du chiffre, une véritable épée de Damoclès. C’est un instrument qui permet d’intimider des militants associatifs, voire des salariés – nous évoquions plus tôt cette assistante sociale de France Terre d’Asile, que j’ai rencontrée. Paradoxe extraordinaire : France Terre d’Asile dispose d’une délégation de service public pour gérer certains centres tels que des CADA, centres d’accueil des demandeurs d’asile, et, dans le même temps, cette association est menacée de poursuites au titre de l’article L. 622-1. Voilà qui illustre combien cet article est malsain.
Il a été rédigé il y a plus de soixante ans, dans un contexte bien différent. Aujourd’hui, vous avez raison, monsieur le ministre : c’est parce qu’il existe des filières mafieuses qui envoient des gens en Occident – et en France, notamment – dans des conditions désastreuses, qu’il faut distinguer entre ceux qui se contentent de recharger un téléphone portable, de donner un peu de nourriture ou de prêter leur douche, et les vrais truands. Ignorer cette distinction, c’est faire preuve de duplicité, puisque l’épée de Damoclès ne pèsera pas sur les filières à combattre, mais sur les braves gens.
D’autre part, M. Ayrault le disait tout à l’heure et je le répète, afin d’éviter tout faux débat : nous ne croyons pas que notre pays puisse accepter sans examen tous ceux qui y demandent l’asile ou, depuis l’étranger, demandent à le rejoindre. Jamais le parti socialiste n’a souhaité des régularisations et des entrées automatiques sur le territoire, une sorte de Schengen généralisé où la circulation planétaire des personnes, sans aucun critère, serait autorisée ! Puisque la Ligue des droits de l’homme a été citée, je rappelle que Victor Basch lui-même, avant-guerre, examinait chaque dossier avant de le présenter au ministère de l’intérieur de l’époque, car il savait la nécessité de tenir compte de critères de sélection. De même, il va de soi que nous tenons ces critères pour nécessaires. À ce titre, je rappelle que vous avez supprimé l’un des critères de sélection fondamentaux, celui de la présence sur le territoire. M. Chevènement l’avait fixé à dix ans, M. Debré à quinze. Hélas, vous avez suspendu cette exigence de présence continue, qui témoigne d’une volonté d’intégration, même sans papiers. Ce faisant, vous avez déréglé un processus d’intégration qui, pendant des années, a fonctionné tant bien que mal – même si certains d’entre nous, comme certaines associations critiques, auraient souhaité qu’il soit amélioré ; au moins disposions-nous de cette soupape de sécurité, que vous avez supprimée.
Par ailleurs, la simple évocation du respect de la loi n’est pas satisfaisante, M. Le Bouillonnec l’a relevé. La meilleure preuve, c’est que la Convention européenne des droits de l’homme interdit le refoulement dans leur pays d’origine de certaines personnes eu égard aux dangers ou à l’instabilité de ces pays. C’est un paradoxe : on ne reproche pas à la France de refuser le droit d'asile mais on lui demande de ne pas exécuter le retour. Cela conduit à des situations inextricables qui concernent des milliers de cas que nous connaissons tous bien, vous, votre ministère, le ministère de l’intérieur, les préfectures, les tribunaux administratifs.
Cette question ne peut se réduire à l’annonce d’un nombre de reconduites à la frontière parce que c’est aussi un signal tout à fait péjoratif que vous donnez. De plus, je ne comprends pas qu’on puisse se vanter du fait que ce nombre soit plus élevé d’année en année, comme si le fait de passer de 27 000 à 28 000 l’année suivante signifiait la résolution du problème. Et si les conditions géopolitiques provoquent l’arrivée de 10 000 personnes ? Cela a été signalé tout à l’heure, cette année, la France est le pays d’Europe qui a eu le plus grand nombre de demandes d’asile alors que ce n’était pas le cas les années précédentes. Cela montre bien que nous sommes un point d’aboutissement, malgré tout ce que nous avons pu faire, et il faut continuer à agir pour recevoir dignement les personnes qui demandent l’asile et celles qui se le voient accordé.
Notre pays ne sort pas grandi de cette sinistre comptabilité quand des hommes, des femmes, affolés, humiliés, terrorisés se jettent par la fenêtre par exemple – excusez-moi d’être trivial mais c’est arrivé –, quand des enfants de moins de trois ans sont arrêtés à six heures du matin. Ce matin encore, à Niort, une famille avec deux enfants en bas âge a été emmenée à 500 kilomètres, à Nîmes, parce que, nous dit-on avec cynisme, là est le seul centre de rétention qui peut accueillir des bébés et des enfants en bas âge. C’est épouvantable ! Quelle image donnons-nous à nous-mêmes et à toutes ces associations ? Quelle image donnons-nous à l’étranger ?
Monsieur le ministre, je ne suis pas de ceux qui comparent cette situation à celle qui prévalait pendant l'occupation allemande lorsque les forces de l'État français arrêtaient des enfants, des femmes et des vieillards. Je n’ai jamais voulu employer ce genre de comparaison, elle n’est pas juste.
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Très bien ! C’est déjà ça !
M. Serge Blisko. Je ne compare rien. Il reste tout de même qu’à cette époque aussi, des hommes et des femmes se sont levés et n'ont pas craint, malgré les risques bien supérieurs d'emprisonnement, de déportation, de mort pour certains, de commettre ce fameux délit de solidarité. L'histoire de beaucoup de nos familles en témoigne, je ne m’étendrai pas.
En revanche, je voudrais rappeler ici quelques noms de délinquants de la solidarité notoires pendant ces années noires :
Je voudrais qu’on rende hommage au pasteur Roland de Pury qui lança, dès septembre 1941, l’appel de Pomérols à la résistance spirituelle et à l’aide aux étrangers persécutés.
Mme la présidente. Monsieur Blisko, s’il vous plaît.
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. C’est une honte de l’exprimer ici, à ce moment-là !
M. Serge Blisko. Je voudrais rendre un hommage à la Cimade également, qui a été créée à ce moment-là et que vous dénigrez aujourd'hui. Vous passez un appel d’offres, mais la Cimade est une présence chaleureuse dans les centres de rétention. Elle était signataire de cet appel et a mis en place les premiers actes d'opposition aux persécutions des juifs.
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. C’est insupportable !
Mme George Pau-Langevin. C’est vrai.
M. Serge Blisko. Je voudrais aussi rendre hommage aux fondateurs de Témoignage chrétien, au Père Chaillet par exemple, qui à Lyon, en novembre 1941, fait paraître le premier cahier de Témoignage Chrétien qui s'intitule « France, prends garde de ne pas perdre ton âme ». Je crois que cette formule résonne aujourd’hui.
Je voudrais enfin rendre hommage, monsieur le ministre, parce que vous êtes drômois, à vos concitoyens de la Drôme de l’époque, en particulier ceux de Dieulefit, à Jeanne Barnier, à Marguerite Soubeyran et à tous ces Drômois connus et inconnus qui prirent tous les risques pour sauver plus de 5 000 personnes entre 1942 et 1944.
C’est de ces exemples-là qu’il faut que nous nous inspirions pour avoir une politique du courage, de la générosité juste et solidaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.
Mme Sandrine Mazetier. Avant de parler de l’article 1er de la proposition de loi, je voudrais indiquer à M. le ministre, qui a manifestement un rapport contrarié aux législateurs, que dans le rôle des parlementaires figure le contrôle de l’exécutif – c’est une des grandes missions des parlementaires –, et examiner de près ce que vous avez fait depuis le début de votre entrée au Gouvernement fait totalement partie de notre rôle. N’y voyez aucun agacement de notre part et n’en éprouvez aucun vous-même.
M. Pierre Cardo. Sans procès d’intention.
(M. Marc Laffineur remplace Mme Danièle Hoffman-Rispal au fauteuil de la présidence.)
Mme Sandrine Mazetier. J’en viens maintenant à l’article 1er, dont manifestement vous n’avez pas bien pris connaissance, monsieur le ministre, à moins que vous n’ayez des difficultés à en comprendre l’intention et la portée.
J’invite toutes les personnes ici présentes, en particulier nos collègues de l’UMP qui ont l’amabilité de participer à ce débat, à lire l’alinéa 2 de cet article 1er, qui propose une nouvelle rédaction de l’article L. 622-1 du CESEDA. Vous constaterez que nous ne changeons rien à la qualification du délit d’aide à l’entrée mais que nous introduisons une nuance importante sur le séjour irrégulier d’un étranger en France ou le transit irrégulier, qui est précisément une des situations décrites dans le film Welcome.
M. Éric Diard. C’est une fiction !
Mme Sandrine Mazetier. En effet, nous parlons de « titre onéreux ». Pourquoi ? Parce que, aussi incroyable que cela puisse paraître, il n’existe rien dans notre législation pour punir spécifiquement le fait d’agir auprès d’un étranger en situation irrégulière à but lucratif ou pour gagner de l’argent. En dépit des moulinets de certains sur la sévérité à l’égard des filières, rien n’existe dans notre législation sur ce point, comme le pointe l’excellent rapport de Daniel Goldberg – si vous l’aviez lu, monsieur le ministre, vous l’auriez noté.
Nous pensons qu’il faut établir une différence entre une aide exercée par solidarité et une aide effectuée à titre onéreux. Pourquoi parler de titre onéreux et pas de but lucratif ? Parce que, comme le rapporteur l’a expliqué, nous ne visons pas seulement les contreparties en espèces sonnantes et trébuchantes mais toutes les formes de contrepartie.
Par ailleurs, je vous incite, monsieur le ministre, a poursuivre votre lecture du code pénal jusqu’à l’article 225-13. Vous vous rendrez compte qu’il existe des articles beaucoup plus sévères que l’article L. 621-1 du CESEDA pour punir les pratiques des trafiquants : « Le fait d’obtenir d’une personne, dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur, la fourniture de services non rétribués ou en échange d’une rétribution manifestement sans rapport avec l’importance du travail accompli est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. »
Pour démanteler les filières, pour punir les trafiquants, pour dissuader ces trafics, ces pratiques, cette exploitation de la misère, il y a dans notre code pénal, dans notre code du travail, des ressources sur lesquelles d’ailleurs la justice s’appuie.
M. le président. Il faut conclure, madame.
Mme Sandrine Mazetier. Nous vous proposons de clarifier les choses, comme l’a indiqué Gilles Cocquempot pour qu’en effet le CESEDA, et l’article L. 622-1 en particulier, soit centré sur les trafiquants et pas du tout sur les aidants.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Hostalier.
Mme Françoise Hostalier. J’éprouve une certaine amertume par rapport à certains propos qui ont été échangés ici et je voudrais dire que, à cet instant, j’ai une pensée émue pour ces hommes que vous avez vus, monsieur le ministre, quand vous êtes venu dans notre région, dans les Flandres, à Calais, tous ces pauvres jeunes hommes qui, ce soir, dorment dehors. J’ai une pensée émue également pour les bénévoles qui, en toute bonne foi, aident ces personnes avec beaucoup de générosité et d’humanité. Moi, c’est à ces gens-là que je pense maintenant.
J’ai bien entendu les réponses que vous avez apportées, monsieur le ministre, à celles et ceux qui sont intervenus dans la discussion générale et je ne mets pas du tout en doute votre bonne volonté pour trouver des solutions entre les problèmes d’une immigration exagérée et la nécessité de donner des garanties à ces bénévoles.
Parlant de Sangatte, vous avez dit que s’il y avait eu une diminution pendant un temps du nombre de personnes présentes, une augmentation était observée. Cette évolution n’est pas due à une éventuelle facilitation du passage, elle est simplement la conséquence du nombre grandissant de conflits dans le monde. De plus en plus de gens vivent des situations terribles, en Afghanistan, au Pakistan, en Érythrée ; ils n’ont d’autres solutions finalement que d’essayer de trouver meilleure fortune ailleurs et de venir dans nos pays parce qu’ils pensent pouvoir mieux y vivre.
Mme Françoise Olivier-Coupeau. Vous avez raison.
Mme Françoise Hostalier. Je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été dit par rapport à l’article L. 622-1. S’agissant de l’entrée et la circulation, cet article concerne les passeurs, il n’y a pas d’ambiguïté. C’est sur le séjour que porte la crainte des bénévoles.
Nous sommes tous d’accord pour lutter contre les passeurs et contre les réseaux des passeurs. Nous sommes tous d’accord pour lutter contre l’esclavage moderne. Nous sommes tous d’accord pour lutter contre toutes les formes d’exploitation de la détresse de tous ces pauvres gens. Nous sommes tous d’accord aussi, monsieur le ministre, pour aider au retour de ces personnes, en respectant leur dignité, leur sécurité dans leur pays d’origine et en accompagnant un projet personnel.
Vous savez bien que, paradoxalement, c’est bien souvent ces bénévoles qui se mobilisent autour de ces personnes en détresse qui permettent de lutter contre les réseaux de passeurs. Aujourd’hui, rien n’empêche que la loi puisse s’appliquer de manière dure, à la lettre, cela a été dit. Ce qu’il faudrait, c’est un mode d’emploi de cette loi. Pourquoi, par exemple, ne pas rétablir un modus vivendi pour les associations qui soit beaucoup plus clair que ce qu’elles ont actuellement pour lever leurs craintes ? Une circulaire pourrait détailler le mode d’emploi de la loi actuelle. Il ne faudrait pas, monsieur le ministre, que ces personnes généreuses soient piégées par les passeurs ou par les mafieux et que, malgré elles, elles encouragent justement ces réseaux, mais il ne faut pas non plus qu’elles finissent par taire leur générosité par crainte de la répression. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme Christiane Taubira. C’est bien le risque !
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Christian Hutin.
M. Christian Hutin. Monsieur le ministre, vous avez d’excellentes références. Depuis deux jours vous citez Jean-Pierre Chevènement : hier pendant la séance des questions d’actualité, ce matin à France Info et dans une tribune libre à Libération – pour une fois que Jean-Pierre Chevènement est dans ce journal. Il aurait dû être ému, ravi du fait que vous le citiez régulièrement – après son accident d’anesthésie, il avait dit « même mort, je reviens » – mais, là, je crois qu’il en est plutôt contrit.
M. le président. Vous pourriez peut-être revenir au texte.
M. Christian Hutin. Monsieur le président, je pense que Jean-Pierre Chevènement a été tellement cité qu’il ne peut que s’intéresser à ce texte.
Mais, monsieur le ministre, vous commettez parfois des erreurs de jugement sur le texte et par rapport à notre président de groupe. Vous avez été un peu discourtois ce matin envers lui, alors qu’il a été votre président de groupe et que c’est le président du groupe SRC, c'est-à-dire socialiste, radical et citoyen. Je suis le citoyen, le député chevènementiste du groupe, et j’ai signé des deux mains cette proposition de loi. Pour plusieurs raisons.
La première, c’est que vous faites appel au passé, il y a onze ans, à l’époque de la gauche plurielle. La loi Chevènement était un peu différente parce qu’elle régularisait 90 000 sans-papiers selon une ligne différente de la vôtre, fondée sur le codéveloppement. À l’époque, un comité interministériel, présidé par Sami Naïr, se réunissait sous la responsabilité de Martine Aubry, alors ministre des affaires sociales.
Nous avons une petite divergence entre nous. Moi, j’aime la nation mais j’ai quelques craintes par rapport aux valeurs d’identité nationale que vous défendez. Je suis député du Dunkerquois, médecin généraliste dans une zone difficile. Il m’arrive de soigner des migrants et je constate que la situation est de plus en plus grave, on ne l’a peut-être pas encore suffisamment souligné.
Il y a quelques semaines, une maman perdait un bébé dans ma commune. Pour venir ici aujourd’hui, j’ai pris l’autoroute A 16 : c’est un cheminement de gamins sur la bande d’arrêt d’urgence, et pas un ne porte le gilet jaune obligatoire ! J’ai peur que la prochaine fois que nous prendrons la parole à France Info, ce ne soit pour évoquer le drame de ces très nombreux jeunes hommes qui auront été balayés comme des quilles !
La gravité de la situation justifie que nous discutions de l’article 2, car nous travaillons là sur l’humain – c’est le médecin qui parle. En la matière, il est essentiel d’avoir des doutes. Je ne mets pas en cause votre bonne volonté, monsieur le ministre, mais vos certitudes, récentes mais particulièrement solides, m’inquiètent. Essayez de temps en temps d’avoir un doute sur la générosité humaine ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Jacques Myard. Ah non ! Nous n’avons pas à avoir de doute sur la générosité humaine !
M. Christian Hutin. Je parlais au ministre !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Lemorton.
Mme Catherine Lemorton. Monsieur le ministre, vous avez évoqué l’aide médicale d’État à cette tribune. J’espère que vous avez bien suivi le dossier entre le moment où, je suppose, vous avez voté ce dispositif et ce qu’il est devenu aujourd’hui s’agissant de son accessibilité aux migrants, aux étrangers en attente de régularisation. J’espère que vous savez que ceux-ci ne peuvent prétendre à l’aide médicale d’État avant une période de trois mois, et encore faut-il, à l’issue de ce délai, qu’ils aient prouvé une adresse fixe. Un étranger en situation irrégulière ou en attente de régularisation peut ainsi attendre non pas trois mois, mais six mois ou un an.
Si j’insiste sur ce point, monsieur le ministre, c’est que ces gens qui nous arrivent d’ailleurs sont atteints de pathologies plus graves que la moyenne – je n’ai de cesse de le répéter depuis deux ans à Mme Bachelot ! – : sida, hépatites, tuberculose, avec des foyers multi-résistants dans les pays en voie de développement – cela fait régulièrement la une de l’actualité. C’est de l’irresponsabilité que de ne pas les laisser accéder au système de soins dès leur arrivée dans notre pays.
Mon collègue Diard a évoqué les pôles santé qui s’adresseraient aux migrants. Moi, je ne sais pas ce que c’est un pôle santé !
M. Éric Diard. Je n’ai pas utilisé ce terme !
Mme Catherine Lemorton. Si, et cela figurera au compte rendu de nos débats s’il est réellement le miroir de ce qui se dit dans cet hémicycle !
Ce que je connais, c’est un système de soins auquel toute personne, quelle que soit sa situation, doit pouvoir accéder. Vous avez eu des trémolos dans la voix en évoquant la dignité humaine à cette tribune ou en réponse à des questions d’actualité, monsieur le ministre, mais la dignité humaine c’est aussi le droit de se soigner et c’est le devoir du pays sur le sol duquel se trouvent ces personnes de leur donner la possibilité de le faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. François Pupponi.
M. François Pupponi. Monsieur le ministre, permettez-moi de vous faire part de mon étonnement devant votre entêtement. En effet, l’article 1er de cette proposition de loi est relativement simple et limité. Il vise à réparer une erreur de notre pays, pour ne pas dire une injustice, voire une honte. Nous acceptons tous les jours de nombreux étrangers en situation irrégulière. Nous les hébergeons, accueillons leurs enfants dans les écoles publiques, ce que les élus que nous sommes sont fiers de faire. Ces étrangers sont utilisés par des employeurs indélicats, souvent dans des conditions scandaleuses, et nous ne voulons pas les voir ! Ils n’existent pas, ne sont reconnus par personne. Au départ, ils ne sont pas reconnus par les services de santé. La plupart du temps, ils ne le sont pas non plus par les services sociaux et par les collectivités locales pour certains critères de dotations. Ils sont là, nous les accueillons, certaines personnes s’en occupent, mais ils sont virtuels ! En tout cas, pour une partie de l’administration, ils n’existent pas.
Des bénévoles sont obligés de s’occuper de ces gens, parce que les services publics ne le font pas et que l’on transfère sur eux l’obligation de faire preuve d’un peu d’humanité, de tendre la main, de s’occuper de cette détresse humaine. Et on maintient, dans notre législation, l’article L. 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile selon lequel « Toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 euros ».
Est-il digne de nier la réalité de l’immigration clandestine dans notre pays, de faire en sorte de ne pas voir ces populations, de laisser des bénévoles s’en occuper, car les autorités n’ont pas le courage de le faire, et de laisser peser sur la tête de ces bénévoles un tel risque de condamnation pénale ? Est-il digne pour notre pays d’accepter cela ?
On a beaucoup parlé des bénévoles ce soir, et c’est normal car ils se substituent souvent aux autorités qui, ne voulant pas voir la réalité, leur laissent le soin de s’occuper de ces populations. Mais je voudrais aussi parler des élus.
M. le président. Il va falloir conclure, monsieur Pupponi !
M. François Pupponi. La quasi-totalité des maires de France accepte que les enfants des populations issues de l’immigration clandestine soient accueillis dans les écoles publiques. C’est notre fierté de le permettre : nous n’allons pas refuser l’accès à l’école publique à ces enfants ! Nous faisons tous en sorte qu’ils deviennent demain des citoyens éclairés de la République française en vertu du principe universaliste qui est le nôtre. Est-il digne pour notre pays que ces élus tombent un jour sous le coup de cet article ? Alors, monsieur le ministre, je vous le demande instamment : revenez à un peu plus d’humanité et ne suspendez pas une épée de Damoclès au-dessus des bénévoles et des élus ! Ce serait la dignité de la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. À la demande du Gouvernement, le vote sur l’article 1er est réservé. Nous passons donc à l’article 2.
M. le président. Sur l’article 2, plusieurs orateurs sont inscrits.
La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je voudrais revenir sur la rédaction des deux articles. Il s’agit, pour nous, d’apporter le confort de l’acte d’humanité sans remettre en cause, à aucun moment, l’ensemble des processus de lutte contre les irrégularités que nous dénonçons. Je rappelle que l’article L. 622-1 que vient de citer François Pupponi ne comporte aucune exception, et c’est pour cela qu’il y a un problème. L’argumentaire de M. le ministre, ou plutôt du cabinet ministériel sur le site,.…
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Qu’est-ce que ça veut dire ?
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. …consiste à dire qu’il faut une intention. On connaît l’article 121-3 du code pénal, ce n’est pas nouveau ! Mais c’est quoi l’intention quand on nourrit ou soigne quelqu’un que l’on sait être en situation irrégulière ? Dites-moi, monsieur le ministre, quels sont les éléments constitutifs de l’infraction ? Le fait de connaître la situation irrégulière de la personne en fait-il partie ? Si oui, tous ceux qui aident les personnes en situation irrégulière tombent sous le coup de la loi. Doit-on considérer que le fait de soigner, de laver, d’héberger de telles personnes permet de faciliter leur séjour irrégulier ? C’est ça la difficulté !
Sur le plan juridique, la rédaction de l’article L. 622-1 ne permet pas d’identifier l’élément intentionnel que vous revendiquez et qui est le fondement de toutes les poursuites pénales, et elle ne permet même pas de déterminer quels sont les actes qui tombent sous le coup de la loi et ceux qui y échappent.
S’agissant, par ailleurs, de la garde à vue, je rappelle que si quelqu’un est saisi de corps, c’est parce qu’on lui reproche d’avoir enfreint la loi.
Mme Marylise Lebranchu. Voilà !
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Et quand il est en garde à vue, il est privé de tous ses droits. Chaque fois que l’on place quelqu’un en garde à vue, c’est qu’on lui reproche une infraction à la loi !
M. le président. Il faut conclure, monsieur Le Bouillonnec !
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Si on place en garde à vue quelqu’un qui a nourri un étranger en situation irrégulière, c’est qu’il a commis une infraction.
Je terminerai en rappelant que quand un tribunal prononce une dispense de peine, c’est qu’il a commencé par reconnaître la culpabilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Et de ce fait, la condamnation par la dispense de peine n’emporte rien de la mention sur le casier judiciaire. Je vous rappelle aussi, monsieur le ministre, que le placement en garde à vue permet aux services de police, en application de la loi, de ficher les personnes. L’acte de bénévolat fait ainsi courir un risque de délinquance à toutes les femmes et tous les hommes de France qui accomplissent des actes d’humanité. Monsieur le ministre, nous vous demandons de ne pas faire prendre un tel risque à ces personnes ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. le président. La parole est à M. Serge Blisko.
M. Serge Blisko. Ce que nous avons essayé de démontrer, c’est qu’une rédaction intelligente et précise peut parfaitement permettre de séparer ceux qui font assaut de forfanterie pour exploiter la misère humaine de manière transfrontalière et tous ceux, nombreux dans notre pays, qui ne font qu’un travail d’humaniste, de citoyen.
Il faut poser le problème de façon dépassionnée en disant qu’il ne faut pas inquiéter ces derniers, qu’il ne faut pas ennuyer les associations. Notre collègue Hutin l’a dit très justement, on ne peut pas ne pas voir certaines situations. Tout le monde ne prend pas l’autoroute A 16, mais voyez ce qui se passe dans les squares du 10e arrondissement de Paris. Tous les soirs, des jeunes arrivent place du Colonel Fabien – cela n’a rien à voir avec la grande formation politique qui y a établi son siège, mais c’est un lieu de rendez-vous – et, avec l’aide de France terre d’asile, on les emmène en autocar dans un centre pour qu’ils mangent, prennent une douche et pour voir s’ils sont susceptibles, en tant que mineurs, d’être pris en charge par la DASS. Demain, vous allez faire une descente de police et dire aux bénévoles de France terre d’asile qu’ils sont dans l’illégalité ! Cela n’a pas de sens ! On ne peut pas insécuriser ainsi des milliers de personnes qui ne sont d’ailleurs pas nécessairement des militants anti-Gouvernement ou anti-UMP ! Il y a parmi elles des gens appartenant à des mouvements d’église qui, quelles que soient leurs opinions politiques, affichent une parfaite neutralité. Je le lisais encore récemment.
D’autres appartiennent à des mouvements associatifs. Il faut faire extrêmement attention à ne pas les inquiéter ni les décourager, en laissant croire – mais je ne pense pas un instant que vous ayez cette idée pernicieuse – que la solidarité envers les étrangers devrait être conditionnée à un contrôle préalable de leur situation. Cela n’aurait pas de sens. D’ailleurs, nous connaissons la complexité administrative. Pour être dans une situation irrégulière, il suffit parfois de laisser passer un délai, d’être convoqué trop tard dans une préfecture ou d’avoir obtenu avec retard un récépissé provisoire, ce qui est loin d’être un crime.
Je vous demande par conséquent de revenir sur votre refus, et d’examiner de près nos propositions de bon sens visant à isoler demain ceux qu’il faut bien considérer comme les véritables esclavagistes des temps modernes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme Françoise Olivier-Coupeau. C’est juste !
M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Encore !
Mme Sandrine Mazetier. L’article 2 vise à rédiger non l’article L. 622-1 du CESEDA, dont nous avons beaucoup parlé, mais l’article L. 622-4, qui prévoit une série d’exemptions aux poursuites pour délit d’aide à l’entrée, au séjour, au transit ou à la circulation sur le territoire d’un étranger en situation irrégulière.
Celles-ci ne sont cependant pas respectées puisque, en ce moment même, des personnes sont inquiétées pour ces motifs. L’association Amoureux au ban public ne compte plus leur nombre. Ainsi, le 11 mai, une jeune femme passera devant le tribunal pour avoir hébergé son compagnon, alors même que l’article L. 622-4 prévoit que les membres de la famille – ascendants, descendants, collatéraux et conjoints – ne peuvent pas être inquiétés pour ce type d’infraction.
En outre, le CESEDA ne prévoit pas d’exempter de poursuites, ce qui nous semblerait juste, une action menée quand la dignité ou l’intégrité physique d’un étranger est en cause. Certains d’entre vous se sont exprimés sur ce sujet avec des mots touchants, précis et justes, notamment Mme Hostalier.
À nos yeux, le régime des exemptions devrait être étendu à tous les salariés et bénévoles des établissements et services visés à l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles. Bien que les centres d’hébergement d’urgence ou d’action sociale prennent part au service public et soient, à ce titre, aisément contrôlables, ceux qui y travaillent se sentent quotidiennement en danger, du fait de la politique d’intimidation menée par le Gouvernement, laquelle vise à augmenter le nombre d’arrestations, d’interpellations et d’expulsions. Les associations – comme Emmaüs, pour ne citer qu’elle – demandent que leur vocation soit respectée.
M. le président. Il faut conclure, madame Mazetier.
Mme Sandrine Mazetier. Tel est l’objet de l’article 2, que je demande à mes collègues de prendre pour ce qu’il est : une tentative de clarifier la situation, sans complaisance aucune vis-à-vis des trafiquants, mais avec toute la compréhension que méritent les bénévoles et les grands réseaux associatifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à Mme Marylise Lebranchu.
Mme Marylise Lebranchu. Monsieur le ministre, tout à l’heure, vous avez entrepris de nous noter. Convenez cependant que les parlementaires peuvent ne pas être excellents en droit. Parfois, ils peuvent aussi s’exprimer maladroitement, ce qui m’est arrivé. L’intervention de M. Le Bouillonnec aura suffisamment éclairé l’assistance.
Vous prétendez que le délit de solidarité est un mythe, et qu’il n’existe, dans ce domaine, que des gardes à vue. Mais celles-ci ne peuvent intervenir que quand quelqu’un est soupçonné d’un délit prévu par le code. Si le délit de solidarité est un mythe, pourquoi des gardes à vue auraient-elles lieu ? Si vous aviez accepté d’aller au fond de ce dossier, nous aurions pu trouver un consensus pour résoudre définitivement le problème.
J’en viens à ce document qui figure sur le site de votre ministère, mais que vous n’avez pas signé, et dont je préfère penser que vous ne l’avez peut-être pas lu. Il indique, à propos de quatre personnes qui font l’objet de poursuites : « Il est inexact de dire que les associations d’aide aux clandestins seraient harcelées, alors que ces quatre cas représentent une part infime des 5 000 personnes mises en cause chaque année pour aide au séjour irrégulier en France. » C’est un point de vue que l’on peut défendre.
Mais il est impossible d’indiquer – ce qui figure pourtant quelques lignes plus haut – à propos de deux de ces quatre bénévoles : « Sans entrer dans le détail de procédures toujours en cours, on peut dire que les deux autres ont été auditionnés pour des faits qui dépassent très largement ceux qu’ils veulent bien indiquer dans les médias. » Comment peut-on écrire une telle phrase ? Une instruction est en cours. Si quelqu’un peut s’exprimer à ce sujet, ce sont peut-être les parties civiles, mais sûrement pas un membre du Gouvernement ou de son cabinet.
M. François Brottes. Pratique de voyous !
Mme Sandrine Mazetier. C’est une question de droit !
Mme Marylise Lebranchu. Il faut être vigilant dans ce domaine. Ces personnes seront jugées comme passeurs ou trafiquants, puisque vous nous avez expliqué qu’eux seuls étaient poursuivis. Mais on ne peut se prononcer sur leur cas tant que la justice n’a pas parlé.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Allez ! Avançons !
Mme Marylise Lebranchu. Il y a quelque temps, vous aviez rédigé un excellent document dont tout le monde parle aujourd’hui. Vous ne vous en encombrez plus. Si vous avez changé d’avis, vous avez raison de l’assumer.
« Le Gouvernement affirme vouloir mettre l’action sur l’intégration des étrangers dans la société française », y écriviez-vous.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Marylise Lebranchu. Vous ajoutiez : « En fait, il remet en cause le premier vecteur d’intégration sociale que constitue la vie en famille. » Vous expliquiez en somme que les conditions d’obtention des titres de séjour et de régularisation étaient telles qu’elles plaçaient les étrangers dans des situations insupportables.
Aujourd’hui, nous vous demandons de bien examiner notre proposition.
M. le président. Il faut conclure, madame Lebranchu.
Mme Marylise Lebranchu. Nous avons pris soin de rédiger un texte à l’abri de toute critique, notamment en ce qui concerne la situation des trafiquants, passeurs et maffieux, pour ne conserver qu’une mesure en faveur des bénévoles et des travailleurs sociaux.
M. le président. Concluez, madame Lebranchu.
Mme Marylise Lebranchu. Nous avons fait ce travail pour que tout le monde puisse voter le texte.
M. le président. Madame Lebranchu, je vous ai déjà laissé beaucoup de temps.
Mme Marylise Lebranchu. J’aurais voulu que l’on nous donne acte du travail que nous avons mené et du temps que nous avons passé à éviter toute exemption qui pourrait profiter à ceux qui se livrent à un horrible trafic d’êtres humains. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Jacques Myard. Non ! Non !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 2 et 1, qui peuvent faire l'objet d'une présentation commune.
La parole est à Mme Sandrine Mazetier, pour les soutenir.
Mme Sandrine Mazetier. L’amendement n° 2 propose de substituer aux mots : « aura contribué à », les mots : « sera intervenue pour ».
La rédaction initiale de la proposition de loi pourrait être entendue comme comportant une obligation de résultat, alors qu’une intervention visant à la préservation de l’intégrité physique ou de la dignité d’un l’étranger devrait en elle-même être exemptée de toute poursuite.
L’amendement n° 1 propose quant à lui de substituer aux mots : « ou l’intégrité physique », les mots : « l’intégrité physique ou les droits ». La défense des droits d’un être humain est en effet une tâche à laquelle chaque citoyen devrait s’attacher, et qui doit fournir un motif d’exemption.
Encore une remarque, monsieur le ministre : seul, dans cet hémicycle, vous n’avez pas compris, tout à l’heure, l’intervention de M. Cocquempot. Manifestement, vous ne comprenez pas tout. Il faut croire que la pensée de Max Weber vous échappe également, puisque vous avez écrit ce matin : « Entre éthique de conviction et éthique de responsabilité, les socialistes n’ont toujours pas tranché. » Mais le propos de Max Weber n’est pas de trancher entre responsabilité et conviction. Il pensait que la vie d’un individu est toujours en tension entre ces deux éthiques. Pour votre part, très clairement, vous n’avez choisi ni l’éthique ni la conviction ni la responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur ces deux amendements ?
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Dans un élan un peu rapide, la commission les a repoussés sans réellement les examiner au fond. Je précise qu’ils sont intervenus après les auditions qui se sont déroulées dans le cadre de la commission des lois. Ils traduisent par conséquent une évolution de nos propositions.
J’avais ouvert ces auditions à tous les députés. Je pense que nos débats auraient été plus riches s’ils avaient répondu à mon invitation.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Puisque je vais m’exprimer pour la dernière fois dans ce débat, je dirai quelques mots sur les sujets les plus importants qui ont été abordés.
Je constate que nous avons progressé puisque, depuis trois mois, on me promettait des preuves de condamnations en masse et qu’aujourd'hui les dernières interventions n’ont plus évoqué qu’un « climat ». Comme je réfute ce mot, je me réjouis qu’on ait pris acte qu’il n’y a pas eu de condamnations.
Par ailleurs, les trois premiers intervenants sur l’article 1er ont affirmé que je m’étais trompé en considérant que c’était la politique migratoire du Gouvernement qui était mise en cause alors qu’il ne s’agissait que du « délit de solidarité ». Comme il n’existe pas de « délit de solidarité », je me réjouis que la politique migratoire du Gouvernement n’ait pas été mise en cause.
Madame Hostalier, je suis en accord avec certains de vos propos. Dans mon introduction, j’ai souligné que j’étais prêt à travailler avec vous, au-delà du Guide des associations, qui, je le répète, est très bien fait. Nous pouvons toutefois aller encore plus loin, en vue de mieux expliquer où passe la frontière entre ce qu’on peut faire sans risquer de s’inscrire dans la chaîne des passeurs et ce qu’on ne peut pas faire.
Monsieur Hutin, il n’y a pas de querelle en chevènementisme : vous en êtes le dépositaire et je n’ai rien à ajouter sur le sujet. Je ne cherche pas à faire parler Jean-Pierre Chevènement aujourd'hui. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Dont acte ! J’ai simplement rappelé qu’il y a onze ans, confronté à la même question que celle que nous traitons, Jean-Pierre Chevènement a utilisé des arguments que je crois toujours d’actualité, ni plus ni moins.
Mme Sandrine Mazetier. Vous semblez oublier la directive européenne de 2002 !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Madame Lebranchu, j’ai toujours plaisir à débattre avec vous, je le reconnais.
Mme Marylise Lebranchu. Vous m’inquiétez !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Vous m’avez donné une leçon de droit sans doute méritée en affirmant que le document en cause, que j’ai lu et que j’assume en tant que ministre – ce n’est pas le cabinet mais le ministre qui est toujours responsable en dernier ressort –, sous-entend des faits qui ne devraient pas y figurer tant que la justice ne s’est pas exprimée. Puis-je vous rappeler que je ne l’ai fait que parce que l’exposé des motifs des deux articles de la proposition de loi, que vous avez signée, est fondé sur deux faits qui sont en cours d’instruction…
Mme Marylise Lebranchu. Vous avez raison.
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. …et sur lesquels la justice ne s’est pas encore prononcée ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Mme Marylise Lebranchu. L’exposé des motifs ne fait référence qu’aux déclarations des parties civiles.
M. le président. Seul le ministre a la parole.
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Vous me reprochez une allusion : votre proposition de loi, sans respecter les principes de la procédure pénale ni les principes fondamentaux des droits de l’homme, ouvre son exposé des motifs sur deux faits en cours d’instruction ou d’enquête. Je pense que la leçon de droit était, pour le moins, imprudente. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Jacques Myard. C’est le moins qu’on puisse dire !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Je tiens à finir sur une question plus grave : le rapporteur a évoqué l’affaire Chary. Il a même participé à une conférence de presse commune sur le sujet. Madame Mazetier, lorsque vous avez évoqué une jeune femme qui doit passer prochainement devant le tribunal, faisiez-vous référence à la même affaire ?
Mme Sandrine Mazetier. Vous en jugerez, monsieur le ministre.
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Si je me trompe, dites-le moi !
M. le président. Monsieur le ministre, je vous demande de ne pas susciter un nouveau débat. Vous seul avez la parole.
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Fort bien, monsieur le président.
Je ne saurais laisser passer sans réagir les propos du rapporteur, car ils sont graves.
M. Naimi, de nationalité marocaine, présenté comme concubin de Mlle Chary, est entré sur le territoire français en 2006. Il s’y est maintenu sans déposer aucune demande de titre de séjour. Il a déposé au début de 2009 une demande de mariage avec Mlle Chary auprès de la mairie de Dijon. Le maire de Dijon, François Rebsamen, a saisi le procureur de la République sur ce projet de mariage. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) C’est le maire de Dijon qui est à l’origine de cette procédure judiciaire et si vous voulez le contester, je vous souhaite bien du courage !
M. Éric Diard. Article 40 du code de procédure pénale !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. C’est lui, je le répète, qui a saisi le procureur, comme la loi en donne la possibilité au maire lorsqu’il y a doute. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Il a saisi le procureur sur la demande de mariage, et non sur la présence de M. Naimi en France.
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Le procureur de la République a ordonné le sursis au mariage le 17 mars 2009. Le préfet de la Côte-d’Or a pris un arrêté de reconduite à la frontière le 17 mars 2009. Cet arrêté a été validé par le tribunal administratif le 20 mars 2009. Le tribunal a en effet jugé que M. Naimi n’avait passé que trois ans en France, que l’entrée et le séjour étaient irréguliers, que l’ensemble de ses frères et de ses sœurs vivaient au Maroc, que sa relation avec Mlle Chary était très récente et que M. Naimi ne pouvait s’occuper de la fille de Mlle Chary, comme il le prétendait et comme le prétendait Mlle Chary, puisque la dite fille était placée en famille d’accueil. M. Naimi a donc été normalement reconduit dans son pays d’origine par la justice indépendante et Mlle Chary doit donc, de ce fait, rendre compte devant la justice.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. De quels faits ?
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Ce qui est ennuyeux, monsieur le rapporteur, c’est que vous ne vous soyez pas davantage documenté sur cette affaire. Sinon, vous ne l’auriez pas évoquée. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Le fait de vous être appuyé, comme Jean-Marc Ayrault, sur la liste du GISTI pour asseoir toute votre argumentation est pour le moins irresponsable. Je ne comprends pas que le président d’un groupe, comme l’est théoriquement le groupe socialiste, doté d’un personnel que je sais extrêmement qualifié (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), puisse avancer des faits aussi graves sur la base d’un document aussi peu fiable que celui du GISTI.
M. Jacques Myard. Moins on a de confiture, plus on l’étale !
M. Éric Besson, ministre de l’immigration. Je le regrette.
Nous avons toutefois avancé sur le sujet : le « délit de solidarité » n’existe pas et il n’y a pas eu de condamnations. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je demande la parole, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec pour un rappel au règlement.
Mme George Pau-Langevin. Monsieur le président, c’est moi qui demande la parole pour un rappel au règlement.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. En effet, monsieur le président, si j’ai demandé la parole, c’est pour répondre à M. le ministre. C’est Mme Pau-Langevin qui demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à Mme George Pau-Langevin.
Mme George Pau-Langevin. Si nous voulons avoir des débats sérieux dans cet hémicycle, il ne faut travestir ni les faits que nous évoquons ni les règles de droit. Comment peut-on, en effet, nous répéter sans cesse qu’il n’y a pas eu de décision prononcée sur le fondement de l’article L. 622-1 ?
M. Éric Diard. Dites-nous lesquelles !
Mme George Pau-Langevin. C’est la première fois que j’entends dire ici que le GISTI n’est pas une association sérieuse alors qu’y travaillent de nombreux professeurs de droit et qu’elle produit des documents sérieux. C’est la raison pour laquelle nous les avons cités. Du reste, tous les gouvernements, quels qu’ils soient, ont été condamnés à un moment ou à un autre sur le fondement de recours introduits par le GISTI.
Par ailleurs, j’ai fait référence à une autre publication sérieuse, le Dictionnaire permanent, qui cite plusieurs décisions, notamment celle de la cour d’appel d’Agen du 13 octobre 1994, qui précise que les prévenus qui ont hébergé « à leur domicile un ressortissant algérien, en connaissant la situation irrégulière de leur hôte, sont coupables du délit d’aide directe ayant facilité la circulation et le séjour irrégulier d’un étranger ».
M. Jacques Myard. Ont-ils été condamnés ?
M. Éric Diard. Dites-le nous !
Mme George Pau-Langevin. Toutefois, « les prévenus qui ont agi pour des raisons humanitaires doivent bénéficier de circonstances atténuantes ».
M. Éric Diard et M. Jacques Myard. Ont-ils été condamnés ?
Mme George Pau-Langevin. Les circonstances atténuantes signifient qu’il y a eu condamnation !
Autre décision, du tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer en octobre 2004 : deux membres d’une association ayant aidé et hébergé à leur domicile des étrangers en situation irrégulière ont été dispensés de peine, alors qu’ils n’ignoraient pas la situation irrégulière de leurs hôtes, le tribunal relevant que ni l’un ni l’autre ne s’étaient personnellement enrichis.
M. Éric Diard. Ils n’ont donc pas été condamnés. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Mme George Pau-Langevin. « Dispensés de peine », cela signifie « condamnés » !
Nous ne pouvons pas discuter si vous ne respectez pas la lettre des documents officiels que nous produisons.
M. le président. Je vous remercie.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. À la demande du Gouvernement, le vote sur les amendements nos 2 et 1, ainsi que sur l’article 2, est réservé. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Monsieur le président, j’ai demandé la parole pour un rappel au règlement !
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Et moi, je l’avais demandée pour répondre au ministre !
M. le président. Nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de loi. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l’ensemble de la proposition auront lieu le mardi 5 mai, après les questions au Gouvernement. (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. Prochaine séance, lundi 4 mai, à seize heures :
Suite de la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-deux heures quarante.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale,
Claude Azéma