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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2010-2011

Compte rendu
intégral

Première séance du mardi 24 mai 2011

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Bernard Accoyer

. Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère

. Questions au Gouvernement

Sécheresse

Mme Delphine Batho

M. Bruno Le Maire, ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire

G8 de l’internet

M. Franck Riester

M. Éric Besson, ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique

Revalorisation du travail

M. Michel Vaxès

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé

Situation financière mondiale

M. Nicolas Perruchot

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie

Pouvoir d’achat

M. Michel Liebgott

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie

Libye

Mme Martine Aurillac

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes

Sécheresse

M. Raymond Durand

M. Bruno Le Maire, ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire

Recherches sur l’embryon

M. Alain Claeys

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé

Éruption du volcan islandais Grimsvötn

Mme Geneviève Colot

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement

Enseignement supérieur

M. Daniel Goldberg

Mme Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche

Sécheresse

M. Alain Marc

M. Bruno Le Maire, ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire

Éducation nationale

Mme Colette Langlade

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Côte d’Ivoire

M. Pierre Morange

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes

Éducation nationale

Mme Valérie Fourneyron

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

Absentéisme scolaire

M. Éric Ciotti

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

3. Éloge funèbre de Patrick Roy

M. le président

M. Patrick Ollier, ministre chargé des relations avec le Parlement

4. Modification de la loi portant réforme de l’hôpital

Explications de vote

M. Jean-Luc Préel, M. Rémi Delatte, M. Christian Paul, Mme Jacqueline Fraysse

Vote sur l’ensemble

Présidence de M. Jean-Pierre Balligand

5. Bioéthique

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé

Mme Nora Berra, secrétaire d’État chargée de la santé

M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi bioéthique

M. Alain Claeys, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi bioéthique

Motion de renvoi en commission

M. Noël Mamère

M. Olivier Jardé, M. Paul Jeanneteau, M. Jean-Yves Le Déaut, Mme Jacqueline Fraysse

Discussion générale

M. Olivier Jardé

M. Paul Jeanneteau

M. Jean-Yves Le Déaut

Mme Jacqueline Fraysse

M. Philippe Vuilque

Mme Véronique Besse

Mme Marietta Karamanli

Mme Catherine Génisson

M. le président

M. Armand Jung

M. Philippe Nauche

M. Dominique Souchet

6. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Bernard Accoyer

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère

M. le président. Je suis heureux de souhaiter en votre nom la bienvenue à une délégation du groupe d’amitié Suède-France du Parlement du royaume de Suède, conduite par sa présidente, Mme Karin Granbom Ellison. (Mmes et MM. les députés, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent et applaudissent.)

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Sécheresse

M. le président. La parole est à Mme Delphine Batho, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

Mme Delphine Batho. Monsieur le président, chers collègues, la sécheresse frappe durement les Deux-Sèvres, comme quarante-deux autres départements.

C’est une catastrophe écologique et économique dont les conséquences sont dramatiques pour les agriculteurs et en particulier les éleveurs, dont certains font désormais abattre leur bétail.

Cette catastrophe s’ajoute à la crise qui frappe déjà le monde agricole : 40 000 agriculteurs ont demandé le RSA en 2010, et j’imagine que personne ne dira que ce sont des assistés ! (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Pour faire face à la sécheresse, monsieur le ministre de l’agriculture, vous avez annoncé un certain nombre de mesures d’urgence. Mais, vous le savez comme nous, elles ne suffiront pas.

Il faut de toute urgence protéger les éleveurs contre la spéculation.

Pourquoi ne décidez-vous pas d’interdire le broyage des pailles ? Pourquoi ne prenez-vous pas des mesures fortes de blocage des prix du fourrage, comme cela avait été fait en 1976 ? C’est à l’État d’intervenir !

Au-delà de l’urgence et de la solidarité, ne pensez-vous pas qu’il est temps de s’interroger sur une politique agricole fondée sur la surconsommation de la ressource en eau ?

Ce n’est pas un hasard si, dans les départements où les grandes cultures irriguées sont les plus importantes, les restrictions d’eau sont en moyenne deux fois plus nombreuses depuis plusieurs années.

L’irrigation massive a été encouragée à grand renfort de subventions publiques. Les primes PAC sont ainsi supérieures de 60 % pour du maïs irrigué par rapport à du maïs non irrigué.

Cette politique agricole toujours plus dépendante en eau appauvrit les agriculteurs et la société n’en veut plus.

Monsieur le ministre, la sécheresse est une alerte. Depuis des années, les socialistes demandent une réorientation de notre modèle agricole (Protestations sur quelques bancs du groupe UMP) afin de faire vivre des agricultures diversifiées, durables et performantes pour une ruralité vivante. Cela implique une réelle volonté d’adapter les cultures à nos régions. Que faites-vous pour changer un modèle qui fait faillite ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire. Madame Batho, vous me permettrez, dans la situation dramatique que traversent tous les agriculteurs et en particulier les éleveurs, de me concentrer sur les urgences plutôt que de réfléchir au modèle agricole que nous pourrons développer dans les années à venir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Les éleveurs vivent un drame économique mais aussi, je tiens à le souligner, un drame humain et un drame moral. Après une année 2009 calamiteuse pour leur revenu, 2010 fut meilleure pour les agriculteurs. La sécheresse les plonge à nouveau dans la détresse. Chacun sur ces bancs a certainement conscience des difficultés dans lesquelles se débattent des milliers d’éleveurs partout en France.

Les solutions passent par deux types d’action sur lesquelles nous travaillons nuit et jour avec le Gouvernement, le Premier ministre et Nathalie Kosciusko-Morizet.

La première chose que demandent les éleveurs, c’est d’avoir du fourrage et de la paille en quantité suffisante pour nourrir leurs bêtes, à un prix qui soit attractif. Je suis en train d’organiser la solidarité entre les éleveurs et agriculteurs des zones de grandes cultures. Il reste une semaine à ces derniers pour nous apporter la preuve que des contrats permettront de fournir des quantités de paille suffisantes aux éleveurs à un prix qui ne doit pas excéder 23, 24 ou 25 euros la tonne sur champ. Si ce n’était pas le cas, si dans les huit jours cette solidarité n’était pas organisée, nous déciderions de dispositifs obligatoires pour interdire le broyage des pailles à l’échelle nationale.

M. Christian Paul. Dépêchez-vous !

M. Bruno Le Maire, ministre. En second lieu, nous voulons prendre des mesures pour soutenir la trésorerie des éleveurs. Si j’ai voulu réunir le fonds de garantie des calamités agricoles en juin, obtenir de l’Union européenne qu’elle verse ses aides de façon anticipée, réunir les préfets pour examiner, exploitation par exploitation, ce qui peut être fait, avec l’aide des banques et des assurances, c’est que je veux soutenir la trésorerie des éleveurs. Nous sommes totalement à leurs côtés, nous ne les laisserons pas dans la détresse. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

G8 de l’internet

M. le président. La parole est à M. Franck Riester, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Franck Riester. Ce matin s’est ouverte à Paris la première édition du G8 de l’internet.

Ce rendez-vous est une première historique. En effet, grâce à la volonté du Président de la République, les forces vives de l’internet vont pouvoir s’exprimer en prélude au G8 de Deauville.

À cette occasion, plusieurs entrepreneurs de renom ont fait le déplacement. Je pense par exemple à Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, ou à Éric Schmidt, celui de Google.

Cette initiative s’inscrit dans un contexte de profonde mutation de la révolution numérique. Internet est un formidable outil, qui change le monde, comme le démontrent les révolutions dans les pays. Il est aussi une terre d’entrepreneurs, au potentiel de croissance économique exponentiel.

Dans le même temps, ce formidable outil nous donne à tous une responsabilité collective, comme l’a clairement rappelé ce matin le Président de la République dans son discours inaugural. En effet, il n’y a pas de libertés sans règles, et les droits et devoirs de chacun doivent être respectés dans l’univers numérique comme ils le sont dans le monde physique.

Le forum e-G8 constitue une formidable opportunité pour répondre à tous ces enjeux. Il instaure un dialogue nécessaire et novateur entre chefs d’État et acteurs de l’internet, afin de relever les défis du nouveau monde global. De ces rencontres vont émerger des propositions de réflexion qui alimenteront, j’en suis certain, le travail des plus hauts dirigeants politiques réunis à Deauville.

Monsieur le ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique, pouvez-vous détailler ce que vous attendez de ce forum qui s’annonce déjà comme un acte fondateur ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique.

M. Éric Besson, ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique. Monsieur le député, vous connaissez bien ce sujet, et vous avez pu constater de vos yeux, ce matin même, le succès de ce premier e-G8.

Il s’agit d’une formidable reconnaissance de la contribution de l’outil internet à la croissance économique. En France, il compte déjà pour un quart dans notre croissance.

L’internet, instrument d’émancipation individuel qui permet l’accès à la culture, à l’information et à la communication, est également un instrument d’émancipation des peuples –les révolutions arabes en sont l’exemple, vous l’avez rappelé.

L’e-G8 est un succès pour la France et pour le Président de la République qui a voulu que l’internet soit pour la première fois à l’ordre du G8. Ainsi, dans deux jours, à l’issue du forum, quatre personnes se rendront à Deauville pour porter la parole du numérique devant les chefs d’État et de gouvernement.

Ce matin, Nicolas Sarkozy a présenté sa philosophie en la matière : l’internet doit être libre, l’internet doit contribuer à la croissance, l’internet doit être responsable grâce à sa régulation – par les acteurs mais aussi par les États.

Ce forum installe définitivement la France comme acteur majeur du numérique, et je suis très heureux que tous les médias internationaux l’aient souligné ce matin. Certes, nous ne sommes pas dans la Silicon Valley, mais la France dispose de beaucoup d’atouts : des ingénieurs, des créatifs et des réseaux de qualité. Dans ce domaine, nous développons actuellement la fibre optique et la quatrième génération de téléphonie mobile. Nous développons par ailleurs des contenus et de nouveaux usages destinés tant à nos enfants qu’à nos aînés – en ces matières, il reste beaucoup de travail à faire.

Monsieur le député, vous avez parlé de révolution numérique ; vous avez raison. Et, pour gagner cette bataille, la France dispose de nombreux atouts qu’ensemble nous allons valoriser. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Pierre Soisson. Amen !

Revalorisation du travail

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Michel Vaxès. Monsieur le Premier ministre, ces dernières semaines, des voix se sont élevées dans votre majorité pour tenter d’accréditer l’indicible et pour stigmatiser les plus pauvres en les désignant comme coupables d’inactivité, en les assignant à des travaux d’intérêt général comme des délinquants. Votre majorité envisage d’ailleurs de « remettre le couvert », le 8 juin prochain, lors de sa prochaine convention nationale.

Pourtant ces « assistés », ces « cumulards », ces « profiteurs », comme vous les qualifiez, sont des millions de ménages qui souffrent, luttent à temps plein pour survivre et s’usent moralement comme physiquement en recherchant l’emploi et la dignité que votre politique leur refuse.

Je vous concède que, dans notre pays, nous avons un réel problème de valorisation du travail. Comme le montre le dernier rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, en France, on gagne plus à hériter, à optimiser fiscalement ou à acheter et revendre de l’immobilier, bref, à être rentier, qu’à travailler pour produire des richesses socialement utiles.

Ainsi les 352 ménages les plus riches de France, qui tirent l’essentiel de leurs revenus des plus-values de cession et dont le revenu minimum s’élevait, en 2009, à 4,229 millions d’euros, bénéficient d’un taux d’imposition réel qui est injurieux tant il est dérisoire : 15 % seulement, alors que le taux supérieur de l’impôt sur le revenu est de 41 %.

Dès lors, monsieur le Premier ministre pourquoi ne regardez-vous pas du côté de ces rentiers de naissance qui ne connaissent pas le travail ? Pourquoi ne pas tenter de les réinsérer socialement en les contraignant à contribuer à hauteur de leurs ressources à la solidarité nationale ? (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi et de la santé.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé. Monsieur le député, je vous dis : chiche ! Et je vous demande votre concours pour que le département du Val-de-Marne, dont le président est un élu communiste, nous aide. En effet, cette collectivité refuse la proposition du Gouvernement visant à permettre aux chômeurs de longue durée qui perçoivent le RSA de bénéficier d’un contrat aidé cofinancé par l’État. (Vives exclamations sur les bancs des groupe GDR et SRC. – Huées sur les bancs du groupe UMP.) Au lieu de faire de grands discours, vous devriez plutôt passer aux actes ! (Mêmes mouvements.)

Pourtant je tiens à signaler que de nombreux départements, indépendamment de leurs couleurs politiques, ont décidé de s’engager dans cette voie – certains plus que d’autres, ou plus tôt que d’autres, il est vrai. (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. André Chassaigne. Ce n’est pas du tout le sujet !

M. Xavier Bertrand, ministre. Conséquence de ce choix : nous comptons, au moment où nous parlons, 30 000 contrats aidés supplémentaires par rapport à l’an dernier, et nous pouvons en signer encore autant. (Même mouvement.)

M. Henri Emmanuelli. Ce n’est pas la question !

M. Roland Muzeau. Nous vous parlons des rentiers !

M. Xavier Bertrand, ministre. J’adore les discours et les postures, notamment celles du parti communiste. Mais, dans les départements que vous gérez, vous ne faites strictement rien. Parler de la revalorisation du travail est une chose ; passer aux actes en est une autre, et c’est cela qui profiterait aux demandeurs d’emplois. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Le Gouvernement a mis en place de nouveaux outils grâce auxquels nous avons enregistré une baisse du chômage pendant trois mois consécutifs, ce qui ne s’était pas produit depuis le début de l’année 2008.

En regardant les séances de questions au Gouvernement à la télévision, les Français voient bien qui travaille et qui fait de la démagogie. Pour notre part, nous travaillons ; vous, vous pouvez encore éventuellement agir pour que le département du Val-de-Marne ne prive pas les chômeurs de l’aide que leur propose le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. – Huées sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Situation financière mondiale

M. le président. La parole est à M. Nicolas Perruchot, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Nicolas Perruchot. Madame la ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, la France commence à être cernée par les difficultés financières.

M. Jean Glavany. Commence ?

M. Nicolas Perruchot. Nous pensions que la crise de l’euro était circonscrite à quelques pays ; il n’en est rien. Les modalités du nouveau plan d’aide à la Grèce sont en train d’être précisées et une question inéluctable se pose, celle de l’éventuel rééchelonnement de sa dette. La Belgique et l’Italie ont vu leur perspective de note dégradée de « stable » à « négative ». L’Espagne se dirige à grands pas vers un plan d’austérité sans précédent alors que la majorité socialiste vient de connaître un revers électoral. Quant à l’Irlande et au Portugal, ils connaissent encore les soubresauts de la crise, en devant emprunter sur les marchés à des taux élevés.

La crise de la dette souveraine ne semble donc en aucun cas terminée. Les inquiétudes concernant la situation budgétaire de nos voisins européens continuent de peser sur la monnaie unique. Ainsi, l’euro chutait, hier, sous le seuil de 1,40 dollar. Aussi le groupe Nouveau Centre fonde-t-il un certain nombre d’espoirs sur le sommet du G8, qui se tiendra en fin de semaine à Deauville.

La situation financière internationale est d’autant plus préoccupante qu’elle a un effet direct sur le quotidien et le pouvoir d’achat de nos concitoyens. La crainte d’une contagion et donc, à terme, du déclassement de notre économie est devenue aujourd’hui une réalité, d’autant plus aiguë que nous entrons en période préélectorale, période qui est souvent l’occasion de promesses sans lendemain, toutes plus coûteuses les unes que les autres.

Madame la ministre, ma question est double : comment le Gouvernement apprécie-t-il les difficultés récentes que connaît la zone euro à la veille du sommet de Deauville ? Pouvez-vous rassurer les Français quant aux perspectives économiques de cette fin d’année ? (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

M. Roland Muzeau. Et de Bernard Tapie !

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le député, quelle est la situation de la France, dans l’environnement financier redoutable que vous venez de décrire ?

Sur le plan financier, notre pays possède, de même que l’Allemagne et quatre autres des vingt-sept pays de l’Union européenne, une signature « AAA », qui lui garantit des financements dans les meilleures conditions possibles.

Par ailleurs, l’économie française est repartie. En 2010, la croissance a été de 1,5 %, et les chiffres du premier trimestre 2011 sont excellents, de sorte que nous avons toutes les raisons de penser que notre prévision de croissance de 2 % sera atteinte cette année. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

En outre, ainsi que vient de le rappeler Xavier Bertrand, notre économie crée à nouveau des emplois : 125 000 créations nettes en 2010 et plus de 58 000 au premier trimestre 2011. La trajectoire est manifestement au-delà des prévisions que nous avions envisagées. Enfin, nous parvenons, mieux qu’un certain nombre de nos voisins – je pense en particulier à la Grande-Bretagne –, à tenir l’inflation.

Ces résultats s’expliquent par le fait que, sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre, nous avons mené une politique économique fondée sur deux axes principaux : premièrement, l’assainissement des finances publiques – nous devrons tenir cette ligne ensemble, quelles que soient les circonstances, et François Baroin et moi nous y attachons quotidiennement ; deuxièmement, la restauration de la compétitivité de l’économie française, impératif fondé en particulier sur l’innovation. C’est pourquoi, avec le Premier ministre, nous avons toujours défendu des mesures telles que le crédit d’impôt recherche, qui sont fondamentales pour améliorer la plus-value dégagée par la France.

L’environnement que vous évoquiez est difficile pour trois pays : la Grèce, l’Irlande et le Portugal, qui représentent ensemble 6 % du produit intérieur brut de l’Union européenne. Nous avons pris des mesures de solidarité, et nous continuerons à les prendre ; en contrepartie, ces trois pays doivent faire des efforts. Mais nous devons avant tout tenir le cap pour la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Pouvoir d’achat

M. le président. La parole est à M. Michel Liebgott, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Michel Liebgott. Madame la ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, au cours de la campagne présidentielle de 2007, le candidat Nicolas Sarkozy s’était présenté comme le futur « Président du pouvoir d’achat ». Quatre années après, l’échec est total. (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)

Au cours de la seule dernière année, les prix des produits de grande consommation ont augmenté de 21 % pour le gaz, de 11 % pour les légumes frais et de 6,6 % pour les assurances automobiles, et que dire de l’essence et du fioul domestique ? Selon la direction générale de l’énergie et du climat, le prix de l’essence a battu un record historique.

M. Lucien Degauchy. Et alors ?

M. Michel Liebgott. Bref, tout augmente, sauf les salaires.

M. Richard Mallié. Démagogie !

M. Michel Liebgott. Ces derniers, qui se situent à peine dans la moyenne européenne, sont inférieurs de 20 % au salaire moyen allemand. D’ailleurs, madame la ministre, la croissance allemande est de 1,5 % pour le seul premier semestre.

En réalité, ce quinquennat est, non pas celui du pouvoir d’achat, mais celui du creusement des inégalités. Ce n’est pas le parti socialiste qui le dit, c’est l’INSEE, dont une étude récente montre que ce creusement s’accélère. Le niveau de vie des plus modestes n’augmente pas plus vite que celui des classes moyennes, qui souffrent, alors que celui des plus aisés continue de progresser.

Tout cela n’est guère brillant. De surcroît, il semblerait que, en raison de restrictions de personnels, les relevés de prix pourraient, dans l’avenir, être effectués par les supermarchés eux-mêmes, et non plus par des agents de l’INSEE. Casser le thermomètre est-il le meilleur moyen de faire baisser la température ?

Avec vous, la France des privilégiés, des dirigeants du CAC 40, peut dormir tranquille : ceux-là gagnent toujours plus pendant que le pouvoir d’achat du plus grand nombre diminue, même en travaillant plus. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Ma question est double : allez-vous enfin redonner à tous les Français le pouvoir d’achat nécessaire pour relancer la consommation, la croissance et l’emploi ? Les rumeurs selon lesquelles les relevés de prix seraient effectués par les supermarchés eux-mêmes sont-elles fondées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le député, je vous rappelle que nos économies ont traversé une des crises les plus graves depuis le début du siècle précédent. Face à cette crise, la politique économique déterminée sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre a été constante et a visé à assainir les finances publiques, à relancer l’économie là où les investissements stratégiques étaient déterminants et à lutter contre le chômage. Cette politique économique commence à porter ses fruits.

Le pouvoir d’achat se serait effondré, dites-vous. Pas du tout ! Les chiffres macroéconomiques sont très clairs : il a augmenté. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Alain Néri. On ne s’en aperçoit pas !

Mme Christine Lagarde, ministre. Les chiffres l’indiquent de manière évidente.

J’ajoute que la croissance, qui s’est redressée en 2010 et a atteint 1,5 %, a augmenté, au premier trimestre – et non au premier semestre, qui n’est pas encore terminé –, de 1 %. Or, lorsqu’on analyse ce résultat, on s’aperçoit que la consommation – plus 0,6 % – et les investissements des entreprises – plus 1,9 % – tiennent. Cela signifie, d’une part, que nos concitoyens ont continué à consommer…

M. Michel Sapin. Le commerce extérieur est négatif !

Mme Christine Lagarde, ministre. …et, d’autre part, que les entreprises qui investissent aujourd’hui seront capables de créer de l’emploi demain, comme elles en créent aujourd’hui. Pourquoi est-ce si important ? Parce que, pour distribuer du pouvoir d’achat, il faut d’abord avoir créé de la valeur. Or, créer des emplois et investir dans nos entreprises, c’est évidemment créer de la valeur et permettre qu’elle soit redistribuée sous forme de pouvoir d’achat à l’ensemble des consommateurs, c’est-à-dire nos concitoyens.

J’ajoute que, sous l’autorité de François Fillon, nous avons également pris toute une série de mesures pour améliorer le sort des plus défavorisés, qu’il s’agisse du tarif de l’électricité, de celui du gaz (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR) ou des mesures relatives à l’observatoire des prix et des marges.

Quant au relevé des prix, il continuera à être effectué comme par le passé. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Libye

M. le président. La parole est à Mme Martine Aurillac, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Martine Aurillac. Ma question s’adresse à M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes.

Dans une actualité internationale riche et mouvementée, et au moment même où le sommet de l’Union africaine se réunit, les nouvelles qui parviennent actuellement de Libye paraissent parfois fragmentaires aux yeux de l’opinion, voire un peu décousues. On sait que le Conseil national de transition de Benghazi est désormais reconnu par l’Union européenne quasi entière comme le bastion de la résistance et que les Nations unies ont révisé à la hausse leur appel de fonds pour l’assistance humanitaire. On sait aussi qu’un Français a été tué lors de l’arrestation du groupe dont il faisait partie, ses quatre compagnons ayant, eux, été détenus quelques jours avant d’être relâchés et conduits en Égypte.

Quant aux actions de l’OTAN, elles n’offrent pas toujours une lisibilité parfaite, ce qui peut se comprendre. L’alliance vient de détruire huit navires libyens, dont certains étaient basés à Syrte. Elle a bombardé Tripoli, notamment cette nuit, mais protège-t-elle aussi la frontière avec la Tunisie ? Protège-t-elle la montagne, où les petites villes qui résistent sont harcelées par le pouvoir encore en place – même si jour après jour, l’isolement de M. Kadhafi et de ses proches se confirme ?

Par ailleurs, on sait que le procureur de la Cour pénale internationale, appuyé par la France, a demandé à la Cour pénale internationale de délivrer trois mandats d’arrêt pour crimes contre l’humanité à rencontre de M. Kadhafi, de son fils Saïf al-Islam et du directeur des renseignements libyens. Enfin, nous allons sans doute mieux adapter nos capacités de frappe au sol et accentuer notre pression militaire.

Dans ces conditions, monsieur le ministre d’État, pouvez-vous nous préciser le fil conducteur des événements et de notre politique dans cette région ? (« Allô ! Allô ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Roland Muzeau. Le fil conducteur, c’est l’escalade !

M. Jean-Paul Lecoq. La canonnière !

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes.

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes. Madame la députée, le Président de la République et le Gouvernement savent ce qu’ils veulent en Libye. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Pierre Brard. Ce serait bien la première fois !

M. Alain Juppé, ministre d’État. Notre première priorité est d’accentuer la pression militaire pour faire cesser les agressions des forces de Kadhafi contre les populations civiles. Pour cela, conformément à la résolution 1973 du Conseil de sécurité qui nous y autorise, nous utilisons tous les moyens adaptés, y compris des hélicoptères de combat, comme cela vient d’être décidé.

Cette politique commence à donner des résultats. Les foyers de résistance se multiplient sur le terrain, en particulier au nord-ouest du pays, dans le djebel Nefoussa et autour de la ville de Misrata. Par ailleurs, à Tripoli, les défections se multiplient dans le premier cercle de Kadhafi.

Notre deuxième objectif est d’accélérer la sortie politique de cette crise. D’abord en renforçant le Conseil national de transition. De ce point de vue, nous avons été entendus, nous qui avons été le premier pays à reconnaître la légitimité du Conseil. Aujourd’hui, la communauté internationale suit : M. Mahmoud Djibril a été reçu à Washington et la Haute Représentante de l’Union européenne, lady Ashton, vient d’installer un bureau de l’Union européenne à Benghazi. Par ailleurs, le Conseil de transition ne cesse de se renforcer et de se restructurer. Nous l’aidons aussi financièrement : le mécanisme financier dont le principe a été décidé à Doha puis à Rome est en train de se mettre en place.

Enfin, dans cet objectif de sortie politique, nous essayons de favoriser l’organisation d’une convention nationale réunissant, autour du Conseil national de transition, tous les partenaires futurs de la construction d’une Libye nouvelle, les autorités traditionnelles, mais aussi les transfuges de Kadhafi. Des messages de plus en plus nombreux nous arrivent de Tripoli, que nous sommes en train de coordonner, et je puis vous assurer que notre volonté est de faire en sorte que l’intervention en Libye ne dure pas au-delà de quelques mois. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.)

Sécheresse

M. le président. La parole est à M. Raymond Durand, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Raymond Durand. Au nom de l’ensemble de mes collègues du groupe Nouveau Centre, je souhaite poser une question au ministre de l’agriculture.

Depuis la semaine dernière, où nous avions déjà alerté sur le sujet, la sécheresse a gagné du terrain et le mois de mai prend des allures dramatiques pour toutes les filières agricoles. Les réserves en eau ne cessent de diminuer alors que tous les voyants sont déjà au rouge – les premiers touchés étant, bien entendu, les agriculteurs.

Les dernières estimations pour la récolte française 2011 en blé tendre sont de 31,65 millions de tonnes, un chiffre au plus bas, avec un rendement moyen en baisse de 13 %. Des mesures concrètes ont d’ores et déjà été prises et nous tenons à saluer votre action, monsieur le ministre. Mais le groupe Nouveau Centre estime qu’il reste à faire, notamment en ce qui concerne les usages prioritaires de l’eau.

À ce jour, 44 départements ont déjà pris des arrêtés de limitation ou de suspension des usages de l’eau. Il s’agit d’adapter les prélèvements aux débits des cours d’eau et aux niveaux des nappes phréatiques. C’est agir avec esprit de responsabilité.

À plus long terme, il s’agit de réfléchir au stockage de l’eau. Depuis vingt ans, cette solution est systématiquement écartée, mais il faut se montrer pragmatique : stocker de l’eau pour les cultures et l’élevage durant l’automne et l’hiver en prévision des saisons plus sèches, c’est du bon sens ! Monsieur le ministre, nous vous demandons d’examiner cette proposition.

Pour le Nouveau Centre, il est plus que nécessaire de se donner les moyens de stocker de l’eau dans un cadre agricole. C’est une question de survie, pour que notre pays reste un grand pays agricole. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire.

M. Jean Mallot. Et de la sécheresse !

M. Bruno Le Maire, ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire. Monsieur le député, une fois encore, l’urgence commande de soutenir les agriculteurs frappés par la sécheresse. Cela se traduit par la mobilisation de tous les fourrages et de toutes les pailles disponibles sur l’ensemble du territoire ; par le soutien de la trésorerie des éleveurs qui, sur l’ensemble du territoire, sont ceux qui souffrent le plus des conséquences de la sécheresse ; par le suivi, au jour le jour, des rendements des grandes cultures, qui seront nécessairement inférieurs à ceux obtenus en 2009 et 2010, ce qui affectera les revenus des agriculteurs concernés.

Cette sécheresse n’est malheureusement pas la première et, avec le changement climatique, elle risque de ne pas être la dernière. Il convient donc de tenter d’en mesurer les conséquences sur l’économie agricole de notre pays. La première conséquence est la nécessité d’adapter le type de cultures, c’est-à-dire de favoriser le développement de cultures plus économes en eau et d’éviter, par exemple, de pratiquer celle du maïs là où elle n’est pas appropriée : le maïs est une belle et grande culture mais, consommatrice de grandes quantités d’eau, elle ne convient pas forcément à toutes les terres.

La deuxième direction dans laquelle nous voulons aller est celle des investissements visant à nous doter d’une irrigation plus économe en eau : plutôt que de mettre en œuvre des arrosages systématiques à grande volée, on peut aussi recourir au goutte-à-goutte, comme le font certains pays tels l’Espagne ou Israël.

La troisième orientation, à laquelle Nathalie Kosciusko-Morizet et moi travaillons en ce moment, consiste à développer les retenues d’eau, notamment collinaires. C’est effectivement le bon sens que de stocker l’eau lorsqu’elle tombe, en hiver, afin de pouvoir l’utiliser durant l’été, quand survient la sécheresse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

Je conclurai en disant à quel point je suis choqué de constater qu’en certains points du territoire des retenues collinaires sont indisponibles, en raison des recours formés contre leur utilisation. Je trouve inacceptable de voir un champ frappé par la sécheresse alors qu’il existe, à une centaine de mètres, une retenue collinaire contenant de l’eau non utilisée ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Recherches sur l’embryon

M. le président. La parole est à M. Alain Claeys, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Alain Claeys. Ma question, qui s’adresse à M. le ministre du travail, de l’emploi et de la santé, concerne la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

Après la parution de plusieurs articles de presse, je voudrais affirmer ici que l’ensemble des parlementaires, quelle que soit leur place sur ces bancs, partagent les mêmes valeurs éthiques, celles du respect de la dignité de la personne humaine et de la non-marchandisation du vivant. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe UMP.)

Dans ce cadre, je souhaite réaffirmer l’utilité des recherches sur les cellules souches embryonnaires. Elles sont utiles pour notre recherche fondamentale, pour comprendre les mécanismes du vivant, la différenciation cellulaire et pour expliquer peut-être un jour les origines du cancer. Elles sont utiles aussi aujourd’hui pour que, demain, des progrès thérapeutiques interviennent.

Monsieur le ministre de la santé, ces recherches sont encadrées dans notre pays et votre position ne tient plus. Vous ne pouvez pas parler d’interdiction avec dérogation. Ce sujet est suffisamment important pour que l’on n’essaye pas de trouver un compromis, y compris au sein de la majorité, entre ceux qui sont hostiles (« Et alors ? » sur certains bancs du groupe NC) – c’est leur droit et ils se sont exprimés dans la presse ces derniers jours – et ceux qui voudraient faire croire que l’embryon serait mieux protégé par une interdiction avec dérogation.

Aussi, monsieur le ministre, je vous demande si, comme cela a été le cas au Sénat et au sein de la commission spéciale que j’ai l’honneur de présider, le Gouvernement va enfin autoriser la recherche, certes encadrée, sur l’embryon. (« Non ! » sur quelques bancs du groupe UMP.)

Je crois que ce serait utile pour enfin concilier, dans notre pays, progrès et éthique. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi et de la santé.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé. Monsieur le député, chacun ici sait combien vous maîtrisez le sujet : j’ai encore pu le constater en voyant la manière dont vous exercez vos fonctions de président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique. Vous incarnez, comme Jean Leonetti, un vrai connaisseur de ce sujet, et vous savez aborder le problème sans déclencher des passions inutiles, ce dont je vous remercie.

Cela étant, je ne partage pas votre conviction. Le Gouvernement s’en tiendra à l’équilibre, c’est-à-dire au texte qui est sorti de l’Assemblée nationale. Que les choses soient claires : ce ne sera ni le texte sorti de l’examen sénatorial ni celui qui est issu de la commission. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes UMP et NC.)

En effet, le principe de l’interdiction, avec des dérogations encadrées, est bien différent de celui de l’autorisation, que vous prônez. Et, sur de telles questions, s’en tenir aux principes n’a pas seulement une portée symbolique : c’est aussi une question d’équilibre – et non de compromis.

M. Christian Bataille. Hypocrite !

M. Xavier Bertrand, ministre. Ce qui est en jeu, c’est la protection de l’embryon, vous l’avez dit vous-même, parce que ce sujet a une signification particulière.

Je veux aussi vous dire une chose : cela n’a pas plongé la France dans l’obscurantisme, car soixante-neuf protocoles de recherche ont été enclenchés depuis 2004 ; onze – sérieusement encadrés, il est vrai – ont été autorisés par l’Agence de la biomédecine sur la question de l’embryon.

M. Christian Bataille. Conservateur !

M. Xavier Bertrand, ministre. Cela n’a pas non plus empêché la France de réaliser, comme vous le savez, un essai clinique sur la thérapie cellulaire, qui était le troisième au monde. Et, malgré cela, la France serait tombée dans l’obscurantisme ! Certainement pas !

M. Henri Emmanuelli. Si ! Elle y retombe !

M. Xavier Bertrand, ministre. Ce qui est vrai, c’est que notre position permet de garantir un principe absolu, intangible, sans pour autant fermer la porte à la science. Voilà ce qu’est l’équilibre voulu par le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Éruption du volcan islandais Grimsvötn

M. le président. La parole est à Mme Geneviève Colot, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Geneviève Colot. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement.

Il y a un an, c’est un véritable cauchemar qu’ont vécu plus de 10 millions de passagers aériens. L’éruption du volcan islandais avait cloué au sol de très nombreux avions, interdisant plus de 100 000 vols.

L’Europe et la France ont été particulièrement concernées. Notre espace aérien étant la principale zone affectée par ce nuage, nos compatriotes ont vécu une véritable épreuve et ont subi pour beaucoup des préjudices financiers. Souvent loin de chez eux, ils ont dû faire face à des dépenses importantes pour se loger, se nourrir et parvenir à rejoindre leur domicile.

M. Henri Emmanuelli. Interdisez les volcans ! (Sourires.)

Mme Geneviève Colot. Les retards ont été importants, de même, par conséquent, que les absences au travail. Les indemnisations partielles ont tardé.

Il y a trois jours, un autre volcan islandais, situé dans le sud-est de l’île, sous un glacier, s’est réveillé et crache à nouveau ses cendres. Les prévisionnistes annonçaient son arrivée dans les soixante-douze heures au-dessus de la France.

Madame la ministre, des progrès ont été faits depuis l’an dernier pour traiter ce genre de crise. Quels sont-ils ? Pouvez-vous nous indiquer les leçons qui ont été tirées de la crise de l’an passé ? Quelle connaissance avons-nous de ce nuage et de ses effets sur la santé publique et sur le déplacement des avions ? Enfin, comment les compagnies aériennes se sont-elles préparées à une diminution, voire à une interruption des vols ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement. Madame la députée, vous l’avez rappelé, l’an dernier l’espace européen était immobilisé par un nuage de cendres, avec des milliers de vols annulés et des millions de passagers bloqués loin de chez eux.

Samedi dernier, les volcans islandais se sont rappelés à notre bon souvenir. C’est le Grimsvötn qui est entré en éruption et qui nous menace aujourd’hui. Mais nous serons mieux préparés cette année, car nous avons tiré les enseignements de l’expérience d’avril 2010.

La priorité, c’est la sécurité. Vous l’avez dit, les cendres risquent d’endommager les moteurs des avions. Pour autant, il ne s’agit pas de fermer inutilement un espace aérien dans lequel il y aurait par exemple une faible concentration de cendres. Le principe que nous avons retenu avec Thierry Mariani est de définir des zones d’exclusion les plus réduites possible. Pour cela, nous nous appuyons sur des outils de simulation et d’analyse améliorés, ainsi que sur des vols tests qui seront menés sous la responsabilité des États. En pratique, nous allons définir des zones dangereuses autour desquelles la circulation sera possible.

Par ailleurs, nous avons aussi progressé à l’échelle européenne : Eurocontrol coordonne maintenant, par le biais d’une cellule de crise, à la fois le partage de l’information et la réponse opérationnelle, afin que celle-ci soit coordonnée entre les États. Il y a justement eu un exercice à la fin du mois d’avril, ce qui tombait bien. Les choses, disons-le, se présentent mieux qu’il y a un an. Qu’en est-il en France ? Les cendres du nuage ne devraient pas toucher notre pays avant vendredi. À ce jour, il n’est pas prévu de fermer l’espace aérien français. Naturellement, Thierry Mariani et moi-même sommes pleinement mobilisés, avec les services de l’aviation civile et de la météorologie, pour adapter ces mesures au fur et à mesure. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Enseignement supérieur

M. le président. La parole est à M. Daniel Goldberg, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Daniel Goldberg. Madame la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, la semaine dernière, j’ai eu un choc. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Au lieu de votre bilan, vous avez choisi de commenter le projet du parti socialiste et le forum qui se tenait à Toulouse !

Je me suis dit que vous étiez enfin sur la bonne voie et qu’à un an des échéances nationales vous vous disiez que, décidément, vous feriez mieux de changer de logiciel (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) ; que c’en était fini des promesses dans tous les sens, des allers et retours budgétaires invérifiables, d’un plan campus qui ne sort pas, de la concurrence généralisée érigée comme dogme entre les universités, entre les laboratoires et entre les personnels ; que vous renonciez à un système de gouvernance sarkozyste qui installe des dirigeants sans contre-pouvoirs (« Oh, là, là ! » sur les bancs du groupe UMP), qui mélange la gestion des établissements et la conduite des politiques publiques ; que vous repensiez votre plan licence au vu de ses faibles résultats, votre réforme de la formation des enseignant qui décourage les vocations, et qu’au lieu de condamner encore une fois la mobilisation forte et inédite des personnels universitaires, entretenue par votre manque d’écoute pendant plusieurs mois, vous alliez maintenant les entendre ; bref que, non contente de lire le projet du parti socialiste, vous alliez l’appliquer !

Aussi suis-je tenté de vous dire aujourd’hui : faites-le, ne serait-ce qu’au cours de l’année qu’il vous reste, et nous verrons la différence entre votre vision de l’autonomie, fondée sur une conception managériale de la connaissance (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), et la nôtre qui allie confiance et collégialité, avec une réelle démocratisation et une élévation du niveau de qualification pour libérer les énergies des jeunes qui sont notre atout pour l’avenir, avec des crédits d’État mieux utilisés – et je ne parle pas de ceux des collectivités territoriales que vous vous arrogez constamment.

Madame la ministre, il est encore temps de choisir entre promouvoir cette société créatrice, gage de la réussite, que nous proposons, et persister dans vos choix qui désorientent et déstabilisent le pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le député, je comprends que le parti socialiste soit surpris de la vitesse et du rythme du changement que connaissent actuellement nos universités. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) La preuve, c’est que j’ai relu le programme du parti socialiste cette semaine (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe SRC) : à peine publié, il est déjà périmé (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) car les moyens d’État sont arrivés depuis cinq ans et sont sans commune mesure avec ce qui avait été fait précédemment.

Prenons l’exemple d’un département que vous connaissez bien, monsieur le député : la Seine-Saint-Denis, où se trouvent deux universités, l’université Paris 13, à Villetaneuse – plus 31 % de budget de fonctionnement en cinq ans (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP) –, et l’université Paris 8, à Saint-Denis – plus 25 % de budget de fonctionnement en cinq ans. (Même mouvement.) Ce sont, bien sûr, des crédits d’État ! Quant au campus Condorcet d’Aubervilliers, le grand campus des sciences humaines que nous attendons depuis un siècle (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), il a reçu 450 millions d’euros de dotations de l’État !

Votre projet est également périmé en ce qu’il propose une réforme de la licence que nous mettons en œuvre depuis 2007 pour faire réussir tous les étudiants de premier cycle. Il est périmé parce qu’il oublie le rapprochement extrêmement fructueux auquel nous sommes en train de procéder entre grandes écoles et universités au sein des pôles de recherche et d’enseignement supérieur. Il est périmé parce qu’il oublie que nous avons fait de l’autonomie des étudiants notre priorité en augmentant les bourses de 25 %.

Je suis désolée de le dire, mais le parti socialiste n’a aucune vision alternative de l’université française. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Sécheresse

M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Alain Marc. Monsieur le ministre de l’agriculture, je me permets, après deux de mes collègues, d’intervenir une fois de plus sur la sécheresse, dont les conséquences sont d’une importance considérable pour nos territoires.

Les régions d’élevage connaissent aujourd’hui des difficultés croissantes pour la nourriture du cheptel : au prix des aliments pour animaux qui, l’année dernière, avait connu une hausse spectaculaire, viennent s’ajouter cette année les effets de la sécheresse.

Une faible récolte de foin, le doublement du prix des fourrages de remplacement, des cultures d’ores et déjà condamnées pour partie par manque d’eau : ces divers éléments fragilisent un peu plus les exploitations agricoles et leur trésorerie.

J’ai été interpellé par nombre d’agriculteurs de mon département, l’Aveyron, qui sont déjà en difficulté. Vous savez, et nous savons tous ici, le rôle que joue l’agriculture de montagne dans le maillage du territoire. La France est fière de son agriculture et de ses agriculteurs, et nous n’avons aucun intérêt à ce que cette filière s’affaiblisse, tant pour notre balance commerciale que pour le vivre-ensemble en milieu rural.

La sécheresse s’accentue encore sur certaines parties du territoire et vous avez déjà pris plusieurs mesures. Que comptez-vous faire, monsieur le ministre, pour répondre à l’inquiétude croissante du monde agricole ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire.

M. Bruno Le Maire, ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire. Monsieur le député, je le redis : tous les agriculteurs et éleveurs, notamment dans les départements de montagne comme le vôtre, connaissent une situation de crise en raison des conséquences de la sécheresse. Ils savent qu’ils peuvent compter sur la mobilisation totale du Gouvernement et du Président de la République pour les aider dans cette situation.

La première des priorités, c’est de fournir à tous les éleveurs le fourrage, les foins, l’alimentation dont ils ont besoin pour leurs bêtes. J’ai vu, dans un département peu éloigné du vôtre, un jeune éleveur qui a dû abattre trente de ses 200 bêtes pour pouvoir nourrir le reste de son troupeau. Ces situations sont de vrais crève-cœur pour le monde agricole français.

Fournir des fourrages, des foins en quantité suffisante, cela veut dire parier sur la solidarité entre le monde des grandes cultures et celui de l’élevage. J’ai vu hier, dans l’Eure, comment cette solidarité s’organisait, j’ai vu comment, entre le département de la Manche et celui de l’Eure, on faisait en sorte que les fourrages arrivent en quantité suffisante dans les exploitations d’élevage. C’est ce modèle qu’il faut suivre. Je n’accepterai pas que certains spéculent sur le prix des fourrages ou des pailles en les faisant monter à des niveaux astronomiques alors que les éleveurs ne savent pas actuellement comment nourrir leurs bêtes correctement. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

La deuxième priorité, c’est de fournir les aides européennes de manière anticipée. Nous avons obtenu gain de cause tant pour la prime à la vache allaitante que pour les aides à la montagne, indispensables à la préservation de l’agriculture de montagne à laquelle je suis attaché comme vous.

La troisième priorité, enfin, c’est d’alléger les trésoreries des exploitants, des éleveurs en particulier. Le Fonds national de garantie des calamités agricoles y pourvoira. J’ai mobilisé les banques et les sociétés d’assurance. Les exploitants, et en particulier les éleveurs, auront besoin d’aides de trésorerie pour faire face à la calamité qui s’abat sur eux depuis plusieurs semaines. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe NC.)

Éducation nationale

M. le président. La parole est à Mme Colette Langlade, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

Mme Colette Langlade. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale.

La pédagogie exige de répéter plusieurs fois un concept pour sa bonne compréhension. C’est ce que nous ne cessons de faire au sujet de votre absence de politique éducative.

En 2011, 16 000 postes en moins, dont 9 000 pour le premier degré, 1 500 classes fermées, 600 postes de RASED en moins, et maintenant la suppression des postes d’emploi de vie scolaire !

Vous prétendez vous baser sur des faits démographiques, selon lesquels il y a moins d’élèves et plus de professeurs. Vous oubliez cependant qu’il ne s’agit pas que d’un problème de mathématiques. Votre politique de suppression de postes ne va pas dans le sens d’une rationalisation des effectifs. Elle pose de vrais problèmes de classes surchargées, de classes supprimées, particulièrement en zone rurale.

La mobilisation des parents et des enseignants, un peu partout en France, le vendredi 20 mai dernier, lors de la « nuit des écoles », traduit l’inquiétude des familles devant les conséquences d’une telle politique sur la scolarité de leurs enfants et sur les conditions dans lesquelles ils peuvent étudier et travailler, voire être assistés en cas de difficultés.

L’éducation est bien trop importante pour être appréhendée selon la seule logique comptable ; par votre politique de régression éducative, vous engagez votre responsabilité et celle de l’État envers cette génération et les suivantes.

Vos résultats, monsieur le ministre, que ce soit en mathématiques, en logique ou en argumentation, ne sont pas satisfaisants. Nous vous demandons donc de revoir votre copie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. Madame la députée, quand sortirez-vous de la posture et de l’hypocrisie ? (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Hypocrisie quand vous contestez, par exemple, le budget le plus important jamais voté pour l’Éducation nationale par cette majorité, alors que, dans vos départements et dans vos régions, vous baissez les dotations aux établissements scolaires ! (Même mouvement.)

M. Jean-Louis Bianco. Vous mentez !

M. Luc Chatel, ministre. Hypocrisie encore quand vous contestez le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux et que vous nous expliquez que vous recruterez de nouveaux fonctionnaires en 2012 si par malheur vous arrivez au pouvoir, alors que vous savez pertinemment – et certains candidats à l’investiture socialiste l’expliquent aujourd’hui très clairement – que vous n’en aurez pas les moyens. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Assez d’hypocrisie, madame la députée !

On se demande dans quel monde vous vivez. Au moment où, en Europe, un certain nombre de pays licencient leurs fonctionnaires ou baissent leur rémunération, l’Éducation nationale en France va recruter cette année 17 000 personnes, après avoir augmenté de 10 % le salaire de tous les professeurs en début de carrière : 157 euros supplémentaires par mois pour tous les professeurs certifiés débutants, 250 euros pour tous les agrégés débutants.

M. Alain Néri. Menteur !

M. Luc Chatel, ministre. Ce n’est pas vous qui l’avez fait, mais ce gouvernement, soutenu par cette majorité.

M. Henri Emmanuelli. Fossoyeur !

M. Luc Chatel, ministre. Alors, de grâce, assez de leçons sur la question des moyens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Côte d’Ivoire

M. le président. La parole est à M. Pierre Morange, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Pierre Morange. Ma question s’adresse à M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes.

Suite aux tensions post-électorales qui avaient plongé la Côte d’Ivoire dans la crise, la victoire, il y a un mois, des Forces républicaines de Côte d’Ivoire a marqué une nouvelle étape dans la stabilisation de la démocratie ivoirienne.

Investi ce week-end, lors d’une cérémonie à Yamoussoukro, en présence d’une vingtaine de chefs d’État, dont le président de la République française, Nicolas Sarkozy, et du secrétaire général des Nations unies, Alassane Ouattara est désormais pleinement président de la Côte d’Ivoire.

Mais la tâche s’annonce ardue après six mois de conflits qui ont fait près de 3 000 morts. Insécurité et violences continuent d’accabler une partie du peuple ivoirien, avec son cortège de populations déplacées.

Je tiens à saluer l’impulsion donnée par le Président de la République, Nicolas Sarkozy, dont le rôle a été reconnu par les principaux chefs d’État (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes SRC et GDR), et qui a permis de montrer l’implication de la France dans la défense des valeurs démocratiques, là où la jeunesse et les peuples aspirent à plus de liberté.

La Côte d’Ivoire s’est battue pour préserver la prééminence de la légitimité démocratique en Afrique. Ainsi, en tant que président du groupe d’amitié France-Côte d’Ivoire, je me permets d’encourager le président Ouattara et la jeunesse ivoirienne dans leur engagement à apporter l’espérance et la paix à un pays marqué par dix années de tensions, sans connaître d’élections libres.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous détailler les prochaines étapes qui permettront à la Côte d’Ivoire de se reconstruire sereinement ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes.

M. Jean-Pierre Brard. Il a oublié son casque colonial !

M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes. Samedi dernier, monsieur le député, le Président de la République et la délégation qui l’accompagnait ont assisté, à Yamoussoukro, à l’investiture du président Ouattara, qui a prononcé un discours de haute tenue, un discours de réconciliation nationale qui nous a donné de grandes raisons d’espérer dans l’avenir de la Côte d’Ivoire.

Cela dit, les défis qu’il a à relever sont immenses, et nous avons exprimé notre disponibilité pour l’accompagner et l’aider, non dans un esprit colonisateur,…

M. Roland Muzeau. Ah bon ?

M. Jean-Paul Lecoq. Personne n’aurait pensé ça !

M. Alain Juppé, ministre d’État. …mais dans un souci de coopération et d’aide envers un pays qui le souhaite, dans le respect de sa souveraineté.

Nous allons travailler dans une double direction. Nous œuvrerons tout d’abord pour la reconstruction économique de la Côte d’Ivoire. L’Agence française de développement a déjà dégagé des moyens importants. Le Président de la République a annoncé un contrat de désendettement et de développement particulièrement ambitieux ; nous interviendrons au profit des PME pour faciliter leur financement. Le G8 accueillera l’Afrique, notamment la Côte d’Ivoire, et le Premier ministre se rendra sur place en personne au mois de juillet, pour accentuer encore l’effort de la France.

Par ailleurs, nous allons œuvrer à la consolidation de la paix et de la sécurité, en appuyant la restructuration des forces armées ivoiriennes et le maintien d’une force robuste des Nations unies, mais également en adaptant notre propre dispositif, la force Licorne ayant en effet vocation a retrouver des effectifs plus modestes.

Je puis en tout cas vous dire, monsieur le député, que lorsque, à Yamoussoukro, devant une vingtaine des chefs d’État africains et devant le secrétaire général des Nations unies, nous avons entendu l’immense foule de la jeunesse africaine scander le nom de la France et le nom du Président de la République dans les rues de la capitale politique de la Côte d’Ivoire (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR), nous nous sommes dit que nous avions bien travaillé pour la Côte d’Ivoire et pour l’Afrique ! (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.)

Éducation nationale

M. le président. La parole est à Mme Valérie Fourneyron, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

Mme Valérie Fourneyron. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, vous ne cessez, depuis des mois, de répéter le même discours formaté, que vous venez de tenir une énième fois en réponse à nos inquiétudes, à celles des enseignants, des parents d’élèves, des Français, sur l’avenir de l’Éducation nationale.

À vous entendre, les socialistes seraient les seuls à ne pas comprendre votre logique de suppressions de postes ou votre politique. Comment expliquez-vous, dans ce cas, que l’Association des maires de France qui n’est pas spécialement connue pour son soutien aux socialistes, avec votre ami Jacques Pélissard à sa tête, demande aujourd’hui qu’il soit mis fin aux suppressions de postes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur de nombreux bancs du groupe GDR.) Je cite l’AMF : « Les maires font part de leur vif mécontentement au regard de la réduction de 8967 postes de personnels enseignants du premier degré en 2011. Elle aura pour conséquence la suppression de 1500 classes en milieu rural comme en milieu urbain alors que 4900 nouveaux élèves sont attendus. »

Dans ma circonscription de Rouen comme partout en France, nous ne comptons plus les sollicitations des organisations syndicales ou des parents inquiets pour l’avenir de leurs enfants. L’Association des maires de France vous prie de ne plus continuer à supprimer des postes dans le primaire. Les socialistes vous le répètent depuis plusieurs années : vous êtes en train de détruire le premier service public de France. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

L’éducation doit redevenir la grande cause nationale qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être. Le parti socialiste s’engage à revaloriser le rôle des enseignants, à faire de l’école un moyen de justice sociale et non d’inégalité, inégalité que le Gouvernement accroît chaque année davantage, avec plus de 100 000 suppressions de postes depuis 2003. Monsieur le ministre, arrêtez-vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC, où l’on scande « Pélissard ! Pélissard ! », et sur de nombreux bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. Madame la député, nous allons voir qui, de vous ou de nous, lutte contre les inégalités à l’école.

Qui a mis en place l’accompagnement éducatif qui permet d’accueillir un million de collégiens pour le soutien scolaire et l’aide aux devoirs ? Cette majorité et ce gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Qui a mis en place deux heures par semaine d’aide à la lecture pour les enfants du primaire qui rencontrent des difficultés ? Ce n’est pas vous, mais ce gouvernement, soutenu par cette majorité. (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Qui a mis en place – puisque vous parlez de justice sociale – une politique volontariste qui permet d’accueillir aujourd’hui, dans le système ordinaire, 45 % d’enfants handicapés de plus qu’il n’y a cinq ans ? Ce n’est pas vous, c’est cette majorité et ce gouvernement. (Huées sur les bancs du groupe SRC.)

Qui est en train d’engager une politique sans précédent de lutte contre le décrochage scolaire, sujet sur lequel vous n’aviez rien fait ? C’est cette majorité et ce gouvernement, par une politique de personnalisation : chaque élève qui décroche sera repéré et se verra proposer une solution. (Huées sur les bancs du groupe SRC.)

Madame la députée, je sais que vous êtes entrée en pré-campagne (Exclamations sur les bancs du groupe SRC),mais nous, nous travaillons, nous répondons aux problèmes des Français, nous rénovons le système éducatif afin qu’il redevienne une chance pour chaque Français. Continuez à faire de la politique pendant que nous continuerons à travailler ! (Applaudissements nourris sur les bancs du groupe UMP. – Huées sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Absentéisme scolaire

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Éric Ciotti. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, s’il est bien un domaine, en matière d’éducation, dans lequel le Gouvernement s’est mobilisé, c’est la lutte contre l’absentéisme scolaire, véritable fléau qui frappe beaucoup trop d’élèves aujourd’hui. Le Président de la République a lancé une vaste mobilisation contre cette calamité qui met en danger tant d’élèves. Nous avons adopté une loi que j’ai eu l’honneur de proposer (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR), cosignée par cent cinquante de nos collègues de la majorité, pour instaurer un dispositif gradué qui préserve l’équilibre entre droits et devoirs. Cette loi, que la gauche a beaucoup caricaturée et critiquée, soulignant son caractère prétendument inapplicable, est mise en œuvre depuis février et produit des résultats.

Monsieur le ministre, vous avez souligné en commission, voici quelques jours, que, depuis février, plusieurs milliers d’élèves étaient retournés sur les bancs de l’école. Il est naturellement préférable que les élèves soient soumis à la loi de l’école de la République plutôt qu’à celle de la rue. Nous avons réinstauré ce principe républicain, voulu par Jules Ferry (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.),…

M. Henri Emmanuelli. Ah non ! Pas vous !

M. Éric Ciotti. …qui consiste à soumettre le versement des allocations familiales au respect de l’obligation scolaire, car chaque famille a des droits, notamment celui d’être accompagnée et soutenue, mais aussi des devoirs. Et c’est ce moment que les socialistes choisissent pour déposer une proposition de loi visant à abroger ce texte ! (Huées sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Absolument !

M. Éric Ciotti. Décidément, vous ne changerez jamais. Le conservatisme, l’immobilisme et la naïveté restent vos marques de fabrique ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Monsieur le ministre, quel bilan dressez-vous de cette loi ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.

M. Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. Monsieur le député, je veux rendre hommage à votre courage politique et à votre engagement (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), car vous avez proposé un texte de loi responsable, qui vise à faire revenir les enfants sur les bancs de l’école.

Vous l’avez rappelé, l’obligation scolaire est un principe républicain qui ne devrait choquer personne sur ces bancs puisqu’il est issu d’une loi de 1882. Vous avez ajouté avec justesse que la loi lie depuis 1959 le versement des prestations familiales à l’assiduité scolaire. En vérité, ce système ne fonctionnait plus. Vous avez voulu le remettre à l’ordre du jour et je veux vous en féliciter, car vous avez mis au point un dispositif progressif et dissuasif, les premiers résultats dont nous disposons en témoignent.

Après trois mois de mise en œuvre et sur un échantillon de cinquante-trois départements, nous avons relevé 7 859 avertissements, qui ont conduit les inspecteurs d’académie à convoquer les familles en raison de l’absentéisme de leur enfant. Après ce premier entretien, les trois quarts des enfants en question sont retournés à l’école (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) et seules 1 964 familles ont été convoquées pour un deuxième entretien. Finalement, nous n’avons eu besoin de suspendre les allocations familiales que dans trente et un cas, ce qui signifie que la dissuasion, la persuasion, la pédagogie et l’accompagnement des familles, ça paie, et que votre dispositif, progressif et préventif, était le bon. Je tenais à le dire devant votre assemblée ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

3

Éloge funèbre de Patrick Roy

(Mmes et MM. les députés, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent.)

M. le président. Madame Roy, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est avec une grande tristesse et beaucoup d’émotion que nous avons appris, le 3 mai dernier, la disparition de notre collègue Patrick Roy. Son courage dans son dernier combat restera pour nous un exemple.

La République a perdu un législateur, un élu toujours disponible pour défendre ses valeurs. L’Assemblée nationale a perdu un député à la fois combatif et estimé.

Ce qui nous rassemble aujourd’hui, au moment de saluer une dernière fois celui qui fut des nôtres pendant neuf ans, c’est le respect. Le respect, sur tous les bancs de notre Assemblée, pour un élu dévoué à celles et à ceux qui lui faisaient confiance, pour un homme de cœur et de conviction qui s’est battu tout au long de sa vie.

Avec cette force qui anime ceux qui savent pourquoi ils marchent sur le chemin qu’ils ont choisi, il s’est battu pour les autres, pour ses concitoyens de Denain et d’ailleurs, pour l’égalité des chances, pour une société plus humaine.

Optimiste et généreux, Patrick Roy était aussi un réaliste, un de ces hommes scrupuleux et précis qui ne se paient pas de mots.

À l’issue de ses études universitaires, il était contrôleur de gestion. Son altruisme, son sens civique l’ont conduit à mettre ses capacités au service de la collectivité. En 1982, il choisissait de devenir instituteur et, neuf ans plus tard, il siégeait au conseil municipal de Denain et au conseil général du Nord. En 2002 enfin, il entrait dans cet hémicycle, avec cette sincérité, cette combativité qui, chez lui, n’ont jamais faibli.

Enfant de la méritocratie, fils de la République, il a voulu rendre à tous ce qu’il avait reçu d’elle.

Patrick Roy était de ceux pour qui la politique n’est pas séparable de la morale, d’une morale laïque et exigeante, faite de loyauté et de responsabilité. Député, Patrick Roy l’était donc avec passion, avec fougue, et même parfois avec excès.

Élu d’une circonscription durement éprouvée par les crises, il ne se sentait pas le droit de composer, de relativiser, de s’abandonner au scepticisme. Il protestait, il réclamait, et nous tous ici avons connu ces moments où « un homme en colère », comme il se définissait lui-même, venait présenter ses doléances et ses propositions. Un tel élu, un tel militant ne pouvait laisser indifférent.

En bon républicain, toutefois, Patrick Roy connaissait aussi les vertus de l’écoute. Il aimait la confrontation des idées, mais dans le dialogue et le respect d’autrui. Toujours prêt à l’échange, à l’échange contradictoire, mais toujours la fraternité au cœur, Patrick Roy n’avait nullement le goût des vaines polémiques.

La politique, chez lui, avait pour synonyme l’argumentation. Il savait ce qu’il voulait, il connaissait les dossiers, il ne parlait jamais sans avoir examiné le problème avec attention. Sous sa veste rouge, le contrôleur de gestion était toujours là, voulant des chiffres, des faits, se montrant précis et capable de défendre pied à pied d’impressionnantes séries d’amendements.

Au Palais-Bourbon, l’instituteur qu’il fut pendant plus de vingt ans compta parmi les défenseurs inlassables de l’école républicaine. « L’école est le ciment qui unit chaque Français », déclarait-il dans l’hémicycle le 20 janvier 2004.

Ses plaidoyers pour l’école ne laissaient personne indifférent, parce qu’ils étaient pleins de vie et de verve, bien sûr, mais aussi parce que cette école que défendait Patrick Roy se situe au croisement de nos préoccupations les plus fondamentales : la laïcité, l’égalité des chances, l’éducation à la citoyenneté.

Et je ne voudrais pas, dans cette énumération, oublier la diversité culturelle, car Patrick Roy, c’était aussi la musique, le rock métal en particulier, qu’il aimait avec ardeur et qu’il aura fait découvrir à bien des députés.

Travailleur acharné, Patrick Roy était aussi assidu en commission que dans l’hémicycle. En 2007, il présidait le groupe d’études parlementaire sur l’amiante, puis, en 2009, la mission d’information de la commission des affaires sociales sur la prise en charge des victimes de ce matériau toxique dont il avait étudié les effets dévastateurs.

Attentif à la vie, à l’avenir et à la santé des autres, Patrick Roy fut lui-même frappé, en pleine maturité, au milieu de ses combats, par l’injustice de la destinée.

Au moment de lui rendre hommage, je ne peux évoquer son nom sans admirer son courage devant la maladie, ce courage qu’il a eu à cœur de transmettre à ceux de nos concitoyens souffrants qui suivent nos travaux.

Fidèle à lui-même, il a lutté avec ses armes – sa fermeté, sa solidité, son optimisme –, jusqu’au bout de la route. Avec sa force de caractère, que nous saluons tous ici, il a su un moment inverser le sort. Avec lui, nous avons voulu espérer quand, sorti de l’hôpital, ce député au courage exemplaire est revenu au Palais-Bourbon, exercer son mandat d’élu de la Nation.

Le 15 mars dernier, ici même, à la place qui était la sienne, alors qu’il côtoyait la souffrance depuis de longs mois, ce n’était pas la révolte, ni l’amertume, qui se lisaient sur son visage, mais quelque chose d’infiniment humain.

Avec sincérité, avec dignité, c’est au nom de « millions de victimes » qu’il avait tenu à témoigner. Avec des mots simples, et d’autant plus touchants qu’ils étaient simples, Patrick Roy nous a rappelé la vraie nature de l’Assemblée nationale, ce lieu de pouvoir qui est aussi un lieu d’ouverture et d’humanité où l’on peut être, tel qu’il se définissait, « un opposant farouche » sans renoncer à dire : « Je vous aime, toutes et tous ».

Je voudrais maintenant donner une dernière fois la parole à Patrick Roy, pour que nous sachions nous souvenir de son dernier message. « La vie est vraiment belle », nous a-t-il dit, avant d’ajouter : « Je suis très fier d’appartenir à cette belle démocratie française. »

Patrick Roy, nous sommes fiers de vous avoir connu.

À vous, madame, à son fils Kevin, à toute sa famille, à ses camarades du groupe socialiste, radical et citoyen, à tous les siens, j’adresse, au nom de tous les députés de l’Assemblée nationale et en mon nom personnel, mes condoléances attristées.

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement.

M. Patrick Ollier, ministre chargé des relations avec le Parlement. Chère Geneviève, monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le 3 mai dernier, Patrick Roy nous quittait. C’était un mardi, jour de séance des questions au Gouvernement, ces séances qu’il appréciait tout particulièrement et qui lui permettait de questionner le Gouvernement avec force, au point qu’il s’est fait connaître comme « le député à la veste rouge ». Derrière cet emblème, traduction de colère parfois et d’humour souvent, se cachait un homme d’une grande délicatesse dans son rapport aux autres, d’une sincérité profonde dans son engagement politique et d’une générosité sans faille.

Contrôleur de gestion, en 1977, d’une entreprise près de Cambrai, il préfère très vite se mettre au service des autres. Diplômé de l’éducation nationale, il devient instituteur à partir de 1983 et le restera près de vingt ans. Un goût affirmé pour la chose publique, un cœur bien ancré à gauche le poussent vers la politique. Il s’implique au sein du parti socialiste et devient secrétaire de section à Denain, en 1995. Mais Patrick Roy veut s’investir plus avant au service de ses concitoyens, au service de sa ville de Denain durement touchée par la désindustrialisation. Il aspire à participer à sa gestion et devient adjoint au maire en 2001 puis conseiller général. Sa carrière politique commence alors et prend rapidement de l’ampleur. Le 16 juin 2002, il est élu député de la dix-neuvième circonscription du Nord ; il est réélu à l’Assemblée nationale le 17 juin 2007. En mars 2008, il devient maire de sa chère ville de Denain. Il s’identifie à son territoire et se fait l’ambassadeur de Denain à Paris. Il se bat pour la survie de cette région sinistrée. Il répétait souvent – combien de fois l’avons-nous entendu ici ! – que ses dossiers prioritaires étaient le chômage, l’emploi, les petits retraités, le logement. Nous le sentions fiers de représenter ses concitoyens du Nord.

Mais sa préoccupation des autres le portait au-delà de sa région, vers l’ensemble des Français. À l’Assemblée nationale, il présidait le groupe d’études sur les conséquences de l’exposition à l’amiante. Il intervenait régulièrement sur ce délicat dossier. Cette question lui tenait à cœur et il faisait assidûment en sorte, comme sur d’autres sujets, d’être au quotidien le porte-parole des sans-voix.

Patrick Roy est également connu pour un autre de ses combats, comme vient de le rappeler le président de l’Assemblée nationale, un combat particulier qui peut paraître décalé dans cette enceinte, une cause qui lui était chère, le rock métal : une musique, disait-il, très injustement mal connue, extrêmement créative mais au mieux ignorée, au pire diffamée. Permettez-moi de m’attarder sur ce point, car lui rendre hommage, c’est aussi évoquer la diversité de l’offre musicale dans le service public, qui semble ignorer le rock métal. « Le rock métal est injustement méprisé par les médias », disait Patrick Roy le 15 mars dernier, lors de cette séance qui restera gravée dans nos mémoires, ce jour où un homme politique, un député est venu dans l’hémicycle délivrer un message d’amour, pour reprendre ses propres termes.

Nous le savions malade, nous le croyions perdu en cette fin d’année 2010. Puis un nouveau traitement lui a donné une exceptionnelle et nouvelle force de vie. Nous avons cru avec lui, avec ses amis, avec Geneviève, nous avons voulu réellement y croire, tant son enthousiasme était communicatif.

Ce laps de temps, tombé du ciel alors que tout semblait perdu, il l’a mis à profit pour dire son amour des gens, de la vie, pour dire au revoir aux siens, à ses amis, à ses adversaires, à tous ceux qui le faisaient se sentir vivant. Jusqu’à la fin, il est resté debout, tourné vers les autres.

Dans son message du 15 mars, au-delà de son cas personnel, il parlait pour toutes les personnes qui se battent contre la maladie. Il déclarait : « Face à la mort redoutée, il y a la vie espérée. Ce souffle, vous me l’avez tous donné. Il faut aussi le donner aux millions de victimes qui, comme moi, luttent pour la vie. La vie est tellement belle. Ces victimes, aimez-les, aimons-les, entourons-les : le cœur accomplit des miracles. »

En tant que ministre chargé des relations avec le Parlement, je tiens à saluer la mémoire du parlementaire assidu qu’il était, investi jusqu’au bout dans sa mission avec une énergie et un courage exceptionnels. Homme de convictions, Patrick Roy était un adversaire pugnace pour nous, sans concessions, mais constructif. Je salue le militant sincère et dévoué au socialisme qui avait une haute idée de la politique, les différences n’empêchant ni l’estime ni le respect ni même l’amitié.

C’est avec dignité et optimisme – un optimisme à toute épreuve – qu’il a fait face à la maladie qui l’a emporté. Patrick Roy n’a jamais abdiqué, il était un exemple de courage – courage partagé par sa famille, son épouse Geneviève et son fils Kevin. C’est dans le cœur de chacun des hommes et des femmes dont Patrick a marqué le destin qu’il laissera pour toujours son empreinte.

En 1903, à Albi, dans son discours à la jeunesse, Jean Jaurès affirmait : « Le courage, c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquille. » Patrick Roy a eu ce courage.

À ses collègues du groupe socialiste, à ceux de la commission des affaires sociales, à vous, Geneviève et à vous, Kevin, à toute votre famille je présente, au nom du Gouvernement, mes plus sincères condoléances.

(Mmes et MM. les députés, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, observent une minute de silence.)

M. le président. Je vous remercie.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

4

Modification de la loi portant réforme de l’hôpital

Vote solennel

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l’ensemble de la proposition de loi modifiant certaines dispositions de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. (nos3238, 3293)

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Jean-Luc Préel, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Jean-Luc Préel. Monsieur le président, monsieur le ministre du travail, de l’emploi et de la santé, madame la secrétaire d’État chargée de la santé, mes chers collègues, la loi HPST a été adoptée en juillet 2009. Elle était très attendue. Elle était très ambitieuse et avait pour but, partagé par tous, d’assurer un système de santé de qualité et l’égal accès de tous à ces soins de qualité.

Cependant, elle laissait de côté l’équilibre financier et ne s’attaquait pas aux dépassements d’honoraires.

Le sénateur Fourcade a été chargé de préparer une proposition de loi pour revenir sur deux dispositions contestées par les syndicats médicaux et que le Gouvernement souhaitait annuler pour renouer des relations cordiales.

L’une concerne le « contrat solidarité » demandant aux médecins installés en zone surdense d’aider leurs collègues en zones manquant de professionnels. Cette disposition a été annulée par le Sénat, annulation confirmée par notre assemblée.

L’autre disposition concernait l’obligation pour les médecins de déclarer leurs vacances au Conseil de l’Ordre, chargé d’établir les listes de garde. Sa suppression a été refusée par le Sénat, refusée par notre commission des affaires sociales, mais votée en séance publique, à la demande du ministre. Les syndicats médicaux vont être satisfaits. Mais comment, dès lors, établir une liste de garde si l’on ne connaît pas les médecins en vacances, et donc les présents ?

Cette proposition de loi a été l’occasion d’adopter diverses mesures, dont certaines sont importantes.

Il en est ainsi de la création de la société interprofessionnelle ambulatoire, facilitant l’exercice en commun des professionnels de santé et dotant les maisons de santé de la personnalité juridique.

M. le ministre Xavier Bertrand a profité de ce texte pour régler le problème majeur de la responsabilité civile professionnelle. En effet, du fait de la judiciarisation croissante dans notre société, les primes d’assurance atteignent des niveaux très élevés, mais avec deux problèmes : celui du trou de garantie et celui de l’action récursoire. L’amendement proposé permet de régler ces problèmes, avec un barème de capitalisation unique et une mutualisation permettant de limiter le coût de la surprime.

Pour les prothèses dentaires, le texte permet d’assurer la traçabilité, en indiquant le lieu de fabrication et les matériaux utilisés, mais la mention du prix d’achat n’a pas été acceptée, ce que beaucoup regrettent.

Les assureurs pouvaient mettre en place des réseaux remboursant de manière différenciée leurs adhérents. La Mutualité obtient la même possibilité, mais nous avons prévu un encadrement et un suivi de ces réseaux.

Je ne peux, dans ce court laps de temps, revenir sur toutes les dispositions, notamment la modification de l’ordonnance biologie, chère à Olivier Jardé.

Je voudrais regretter que cette proposition de loi revisitant la loi HPST ne l’ait pas davantage toilettée pour améliorer des points qui le méritent et auxquels le Nouveau Centre est très attaché, concernant l’organisation de notre système de santé, le financement, les établissements de santé. Je ne suis pas sûr qu’un nouveau texte permettra d’y revenir prochainement.

Il en est ainsi des ORDAM. La loi HPST a créé les ARS, revenant sur la coupure absurde prévention-soin, ville-hôpital, sanitaire-médico-social, créant un responsable unique de la santé au niveau régional. C’est un des acquis majeurs de la loi. Mais nous maintenons le vote d’un ONDAM unique avec des enveloppes fléchées pour la médecine ambulatoire, les établissements, le médicament, le médico-social. La logique voudrait que chaque ARS dispose d’un ORDAM calculé sur des critères objectifs, permettant une réelle fongibilité.

Aujourd’hui, Mme Roselyne Bachelot, après avoir refusé nos amendements, y est favorable. Sans doute aurons-nous raison demain. Mais, monsieur le ministre, pourquoi attendre ?

Le Nouveau Centre réclame également le renforcement des pouvoirs des conférences régionales de santé, pour améliorer la démocratie sanitaire et, surtout, responsabiliser tous les acteurs de la santé. Les établissements de santé ont aujourd’hui un patron, qui est en réalité l’ARS ; les élus n’ont quasiment plus aucun pouvoir, les professionnels sont désabusés et démobilisés. Le Nouveau Centre souhaite que les CME des établissements publics et privés voient leur rôle renforcé. Les professionnels doivent pouvoir voter le projet médical et donner leur avis sur les budgets et restructurations.

Enfin, je regrette, au nom du Nouveau Centre, que nous n’ayons pas progressé sur deux problèmes majeurs, celui de la désertification et de la démographie des professionnels de santé, et celui des dépassements d’honoraires.

Nous souhaitons tous l’égal accès de tous à des soins de qualité sur l’ensemble du territoire et à tarifs remboursables. Or nous savons tous que nous avons des progrès à faire dans la qualité : sur la formation initiale et continue, sur l’évaluation des pratiques, sur la démographie des professionnels et leur répartition sur le territoire et, enfin, sur les dépassements d’honoraires.

Je regrette que ce texte n’ait pas permis de progresser sur ces points majeurs.

Finalement, le Nouveau Centre votera cette proposition de loi, mais restera vigilant et continuera à faire des propositions pour améliorer notre système de santé et permettre l’égal accès de tous à des soins de qualité.

Nous sommes persuadés d’avoir raison, nous serions heureux que nos propositions soient enfin prises en compte rapidement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

M. le président. La parole est à M. Rémi Delatte, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Rémi Delatte. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi HPST est un texte fondamental de cette législature, qui a le mérite de réorganiser et de moderniser notre système de santé. Pour autant, certaines dispositions exigeaient d’être revisitées pour les rendre plus opérationnelles. C’est l’objet de la proposition de loi de Jean-Pierre Fourcade, qui ne remet nullement en cause la loi Bachelot, n’en déplaise aux esprits chagrins de l’opposition, mais conduit à quelques ajustements utiles.

Il ne s’agit, en effet, que d’une étape, puisque la mission d’évaluation de la loi HPST, co-présidée par notre collègue Jean-Pierre Door, rendra son rapport d’ici au mois de juillet et dressera un bilan des grandes questions que sont l’organisation hospitalière, la coopération entre les établissements et l’organisation des réseaux de soins à l’intérieur des régions.

Naturellement, le groupe UMP soutient et votera cette proposition de loi. D’abord, parce qu’elle repositionne les soins de premiers recours. Ensuite, parce qu’elle organise une meilleure permanence des soins et rééquilibre territorialement l’offre de santé. Enfin, parce qu’elle aborde des points majeurs.

Je pense en particulier à la mise en place d’un dispositif de mutualisation assurantiel des risques encourus par les professionnels de santé exerçant à titre libéral, qui constitue une heureuse conclusion à un sujet récurrent, ô combien difficile, et qui apportera sérénité et espoir aux professionnels comme aux patients ; à la généralisation du dépistage précoce des troubles de l’audition ; à la modernisation et à l’adaptation de la formation des étudiants en médecine de troisième cycle, qui bénéficieront d’une immersion en milieu professionnel pendant leurs études susceptible d’encourager l’exercice en autonomie.

Vous l’avez compris, mes chers collègues, cette proposition de loi se révèle, aux yeux des professionnels, une opportunité de reconsidérer certains aspects de l’exercice de leur activité.

D’une part, en termes de simplification et d’efficacité du fonctionnement même des structures, grâce notamment à la création de la société interprofessionnelle de soins ambulatoires, qui permet de faciliter l’exercice regroupé, de développer l’exercice sur plusieurs sites, de recourir à la coopération entre professionnels de santé. D’autre part, au niveau financier, en cohérence avec l’aspiration des jeunes, qui privilégient de nouveaux modes de rémunération. Globalement, la voie de l’incitation est privilégiée plutôt que celle de la contrainte, inefficace et toujours mal ressentie par la profession.

Voilà quelques raisons parmi d’autres qui conduisent les élus du groupe UMP à voter pour cette proposition de loi qui représente une profonde marque de confiance envers l’ensemble des professionnels de santé. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. D’ores et déjà, je fais annoncer le scrutin dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Christian Paul, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

M. Christian Paul. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte de loi soumis au vote solennel de l’Assemblée nationale est un objet politique hybride mais, finalement, extrêmement inquiétant.

L’objectif avoué était d’améliorer la loi HPST. Pourquoi pas ? Elle était, en effet, terriblement imparfaite. Quelques dispositifs, par exemple ceux visant à améliorer l’exercice regroupé ou à favoriser la création de maisons de santé, pouvaient aller dans le bon sens. Pour le reste, sous couvert d’une prétendue amélioration de la loi de Mme Bachelot, il s’agit d’un texte clientéliste, bien éloigné des préoccupations d’intérêt général qui doivent dicter une politique de santé.

Les quelques mesures sur la démographie médicale ont été soigneusement effacées. Les déserts médicaux, monsieur le ministre, vont continuer à s’étendre.

L’encre de la loi n’était pas encore sèche que, cédant à quelques pressions, le Gouvernement refuse toute forme de régulation des installations, et même la coopération entre médecins des zones denses ou des zones moins bien dotées, par exemple sous forme de remplacements. Ces quelques dispositions, pourtant bien modestes, ont été soigneusement bannies.

La proposition de loi du sénateur Fourcade, soutenue par le Gouvernement, est un signal d’abandon pour tous ceux, élus, citoyens et professionnels de santé, qui se battent contre le désert médical et qui attendaient un acte de courage politique.

Monsieur le ministre, dans tous les domaines, vous avez l’habitude de nier, de mépriser même, les propositions du parti socialiste, si tant est que vous vous donniez la peine de les écouter. Nous vous opposons aujourd’hui un projet pour la santé des Français, qui s’attaque aussi bien à la question de la démographie médicale qu’aux autres inégalités dans l’accès à la santé. Nous voulons de la régulation, non pas de la coercition. Ce que la loi HPST n’a pas fait, ce que la proposition de loi Fourcade refuse, nous nous engageons à le construire en 2012.

Mais ce n’est pas tout. En plein scandale du Mediator, la majorité a manqué une occasion historique de s’attaquer aux conflits d’intérêts entre les professions médicales et les laboratoires pharmaceutiques. L’exigence de transparence ne suffit pas, il faut aller plus loin dans les interdictions. Et là où il faut faire la transparence, comment se contenter de confier cette tâche aux seuls ordres professionnels ? La transparence doit être garantie par une institution publique et indépendante. Tous les citoyens doivent pouvoir vérifier l’absence ou l’existence de conflits d’intérêts. De surcroît, en cas d’infraction aux règles de conflits d’intérêts, aucune poursuite pénale n’est prévue, ni dans ce texte ni dans aucun autre. Vous avez repoussé notre amendement en ce sens.

Cette loi aurait pu prévenir de nouveaux scandales sanitaires ; vous ne l’avez pas voulu. De la même façon, vous avez systématiquement rejeté tous les amendements du groupe SRC, défendus en particulier par Catherine Lemorton, qui auraient permis de mettre sur le marché de véritables innovations thérapeutiques. Les assises du médicament, arrivant très tardivement en cours de législature, ne régleront pas tout.

Monsieur le ministre, cette loi a valeur de bilan de la législature en matière de politique de santé. Ce bilan, il faudra bien le résumer ainsi : beaucoup d’occasions manquées, une absence de courage face aux lobbies et aux grands défis qui doivent être relevés dans notre pays et, au total, cinq années perdues pour la santé des Français. Vous comprendrez pourquoi le groupe SRC repousse ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Jacqueline Fraysse. La proposition de loi sur laquelle nous sommes invités à nous prononcer est censée toiletter la loi HPST adoptée en 2009. Présentée à l’initiative de M. Fourcade, par ailleurs président du comité de suivi de cette loi, chargé de remettre un rapport sur son application avant juillet prochain, nous sommes interrogés à la fois sur la forme et sur le fond de ce texte.

Nous avons bien compris que vous n’ambitionniez pas de revenir sur la démarche qui sous-tend la loi Bachelot, imposée contre l’avis de la majorité des médecins et professionnels de santé, mais nous pensions que cette proposition de loi contiendrait quelques avancées susceptibles de contribuer à surmonter les difficultés actuelles les plus criantes en matière d’accès aux soins.

Hélas ! Non seulement ce texte ne contient rien permettant d’avancer dans ce domaine, mais il revient sur quelques timides dispositions utiles. Ainsi en est-il, par exemple, de la déclaration des congés des médecins au conseil départemental de l’Ordre, afin d’organiser la continuité des soins. Sachez, mes chers collègues, que cette demande doit être supprimée car elle est « vexatoire » à l’égard des praticiens ! Je vous laisse apprécier le sérieux de cet argumentaire qui bafoue sans état d’âme l’intérêt des patients.

Une des mesures phares de ce texte est la création de sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires destinées à pallier les problèmes d’installation que rencontrent les médecins libéraux. Cette innovation, outre qu’elle intervient au moment même où de nombreux centres de santé ferment faute de moyens pour fonctionner, se fait en contradiction avec les aspirations des jeunes médecins désireux de pratiquer la médecine, et non de diriger une entreprise. Alors qu’ils sont majoritairement tournés vers le salariat dans des structures pluridisciplinaires modernes permettant un exercice coordonné et collectif, vous leur proposez la création de sociétés de type managérial.

Par ailleurs, ces sociétés, bénéficiant de fonds publics, car censées répondre à la demande de soins dans des secteurs sous-dotés, pourront appliquer sans réserve les tarifs de leur choix, y compris les dépassements d’honoraires dont chacun sait combien ils pénalisent nos concitoyens. Vous avez osé vous opposer à notre amendement visant à conditionner les aides publiques pour ces structures à la pratique du tiers payant, ce qui est tout de même un comble pour des défenseurs de la République !

De même, concernant les chirurgiens-dentistes, si quelques petits progrès sont à noter en matière de transparence concernant les prothèses, vous avez refusé notre demande d’information du patient sur le prix d’achat des dispositifs, ce qui permettrait d’éviter certaines dérives inacceptables au détriment de la santé.

De plus, votre majorité a profité de ce texte, avec votre soutien, bien sûr, pour ajouter un article visant à supprimer ce qui restait de l’esprit mutualiste, de ses valeurs et de sa gestion démocratique, en exigeant des mutuelles qu’elles fonctionnent selon les mêmes règles que les assurances privées et les sociétés de prévoyance. Il s’agit pour vous de préparer l’arrivée de la directive Solvency 2 qui satisfait les appétits des actionnaires dans le domaine de la santé.

Telles sont, mes chers collègues, les principales dispositions contenues dans ce texte visant à modifier la loi HPST. Mais sur les vrais problèmes auxquels se heurtent quotidiennement nos concitoyens et les professionnels de santé, on ne trouve rien. Rien pour stopper l’escalade indécente des dépassements d’honoraires ; rien pour surmonter le problème grandissant des déserts médicaux et de la continuité des soins ; rien pour renforcer le service public de santé, tant en structures de ville qu’en secteur hospitalier, pourtant seul moyen de garantir à tous un égal accès à des soins de qualité. En un mot, rien pour enrayer ce phénomène, nouveau dans notre pays, de renoncement à des soins faute de moyens financiers. Une nouveauté qui ne vous grandit pas, vous qui ne cessez de vanter la qualité de notre système solidaire.

Ce système solidaire a effectivement fait ses preuves.

M. le président. Madame Fraysse, merci d’indiquer le sens du vote de votre groupe.

Mme Jacqueline Fraysse. J’en finis, monsieur le président. C’est peu dire que vous vous attachez à le démolir au bénéfice des intérêts privés dont vous êtes ici les représentants zélés. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Ce faisant, vous conduisez notre pays sur une voie de régression inacceptable. Comme vous l’aurez compris, nous n’avons que des raisons de voter contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l’ensemble de la proposition de loi.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 512

Nombre de suffrages exprimés 499

Majorité absolue 250

(La proposition de loi est adoptée.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures sous la présidence M. Jean-Pierre Balligand)

Présidence de M. Jean-Pierre Balligand,
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

5

Bioéthique

Discussion, en deuxième lecture, d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la bioéthique. (nos 3324, 3403)

Je vous rappelle que la conférence des présidents a décidé d’appliquer à cette discussion la procédure du temps législatif programmé, sur la base d’un temps attribué aux groupes de quinze heures.

Chaque groupe dispose des temps de parole suivants : le groupe UMP, trois heures cinquante ; le groupe SRC : cinq heures quarante, le groupe GDR, trois heures vingt, le groupe NC, deux heures dix.

Les députés non inscrits disposent d’un temps de trente minutes.

La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi et de la santé.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames, messieurs les députés, le projet de loi sur la bioéthique que nous avons l’honneur de vous présenter aujourd’hui Nora Berra et moi est un texte équilibré, parce qu’il permet de procéder aux ajustements suscités par l’évolution de la médecine et de la société, tout en restant fidèle aux principes qui fondent les lois de bioéthique : le respect de la dignité humaine et le refus de toute forme de marchandisation et d’exploitation du corps humain.

Je regrette que le travail de votre commission spéciale n’ait pas permis de revenir aux positions défendues par le Gouvernement devant le Sénat sur certains points de ce texte. Pour autant, j’en ai bien conscience, sur des sujets aussi sensibles, il n’est pas anormal que des convictions personnelles diverses se soient exprimées. Je veux saluer tout particulièrement les amendements de votre rapporteur, Jean Leonetti, sur ces différents points. Je souhaite qu’ils nous permettent d’aboutir à un consensus, comme j’ai eu l’occasion de vous le dire tout à l’heure, monsieur Claeys, lors de la séance des questions au Gouvernement.

Laissant à Nora Berra le soin d’intervenir plus largement sur l’ensemble du texte, je souhaite rappeler les intentions du Gouvernement sur deux principaux points : la recherche sur l’embryon et le diagnostic prénatal.

Le Gouvernement souhaite maintenir le principe, assorti de dérogations, d’interdiction de la recherche sur l’embryon, considérant que la position choisie en 2004 reste la meilleure : d’une part, nous maintenons l’interdiction de principe des recherches sur l’embryon pour montrer l’importance que notre société accorde à la protection de l’embryon – dans ce domaine, vous le savez, tout n’est pas uniquement question de symboles, mais ces principes ont leur importance ; d’autre part, nous permettons des dérogations très encadrées à ce principe. J’ai rappelé tout à l’heure que quarante et une équipes ont travaillé depuis 2004, preuve que nous n’avons pas versé dans l’obscurantisme, comme certains cherchent à le faire croire. Ce n’est pas la réalité de ce texte.

Cette position équilibrée permet de prendre en compte la dimension particulière de l’embryon humain sans empêcher la recherche de progresser.

Deuxième sujet important de ce débat bioéthique : le dépistage prénatal, qui comprend la question sensible de la trisomie 21.

Rappelons d’abord un principe fondamental : nous refusons toute sélection génétique des enfants à naître et nous devons veiller à ce que le dépistage ne conduise pas à une décision systématique d’interruption médicale de grossesse. Je me souviens des débats que nous avons eus et je tiens à indiquer qu’il s’agit là de la véritable limite.

L’important est de poser les termes d’un vrai choix éclairé, parce que le libre-arbitre de la femme doit être respecté. Les femmes veulent être informées, soutenues et orientées si le résultat du dépistage s’avère positif, mais ne veulent surtout pas qu’on leur impose ce qu’elles ont à faire. Ma conviction, avec Nora Berra, est qu’il faut avant tout respecter le droit des patients, en l’occurrence le droit des femmes. Le nouvel amendement proposé par Jean Leonetti est tout aussi équilibré : il prévoit que le médecin devra fournir une information « claire, loyale et appropriée ».

Je soutiens aussi le délai de huit jours prévu entre l’annonce et la décision, ainsi que la mise à disposition d’informations sur le handicap et les références des associations de familles concernées. Il est bon, en effet, que les femmes puissent être éclairées par différents avis afin de pouvoir effectuer un vrai choix en conscience.

Ces questions ne sont pas faciles. Ce débat n’est pas comme les autres. Lorsque l’on aborde ce sujet, on se pose nombre de questions personnelles, on interroge son entourage. Ces questions engagent à la fois les convictions personnelles de chacun et surtout les valeurs qui fondent notre vivre ensemble. Je pense que notre rôle n’est pas de faire une révolution, qui n’est ni souhaitée ni souhaitable, en matière de bioéthique mais de donner un cadre garantissant à chacun son libre choix, dans le respect à la fois de l’autonomie de l’individu, de la protection des plus fragiles et de la dignité humaine.

Je vais laisser à Nora Berra, dont je salue l’implication depuis le début sur ce texte, le soin de revenir sur les autres dispositions de ce projet de loi. Je tenais à être très clair sur la position du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la santé.

Mme Nora Berra, secrétaire d’État chargée de la santé. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, M. le ministre vient de vous exposer deux des grandes lignes de ce projet de loi bioéthique et a souligné combien il respectait les valeurs de liberté, de libre arbitre, de respect de l’autonomie de l’individu, de protection des plus fragiles et de la dignité humaine qui fondent notre vivre ensemble. Comme lui, je me félicite que ce projet de loi s’inscrive résolument dans un choix de continuité avec les lois de 1994 et de 2004, et de cohérence avec l’ensemble des dispositions relatives à l’embryon et garantissant sa protection.

Permettez-moi de revenir sur certains aspects de ce projet de loi, qui me paraissent particulièrement importants.

Nous ne pouvons, d’abord, considérer que les embryons surnuméraires ont vocation à entrer dans la recherche, même si nous devons autoriser ces recherches dans certains cas, si leur finalité le justifie, et seulement dans le cadre de dérogations strictes. Je tiens à souligner que le bilan de l’Agence de la biomédecine démontre que ce régime juridique de l’embryon n’a pas pénalisé la recherche française. Il n’y a donc pas de raison d’en changer, surtout si l’on opte pour un régime d’autorisation encadré. Cela peut sembler symbolique mais, dans le domaine si sensible du respect de l’embryon, et donc de la vie humaine dès son commencement, les symboles ont toute leur importance.

Il convient toutefois de veiller à ce que les contraintes imposées ne soient pas excessives et n’empêchent pas, de fait, toute recherche. Certains proposent de distinguer les recherches concernant l’embryon des recherches sur les cellules souches embryonnaires, et de faire bénéficier ces dernières d’un régime d’autorisation. Cette proposition peut paraître séduisante mais, à l’examen, elle n’est ni justifiée ni pertinente.

Elle n’est pas justifiée, parce que le prélèvement de cellules souches embryonnaires aboutit, dans les faits, à détruire l’embryon. On ne peut donc mettre en place ce régime d’autorisation sans remettre en cause la protection due à l’embryon.

Elle n’est pas non plus pertinente, parce qu’elle alimente la défiance vis-à-vis des recherches sur l’embryon in toto. Or certaines de ces recherches, par exemple sur l’embryogenèse, sont porteuses de progrès médicaux décisifs et menées par des équipes renommées.

Au total, il n’y a pas lieu, comme le souligne Xavier Bertrand, de modifier le régime instauré en 2004, car ce régime a permis de concilier le haut degré de protection accordé à l’embryon avec une qualité de recherche internationalement reconnue.

Permettez-moi de revenir sur le transfert post mortem des embryons, qui est une question délicate.

Il convient de supprimer une cause de souffrance individuelle. Il ne s’agit pas de n’importe quelle souffrance. Celle qui est en jeu, c’est de ne plus pouvoir donner la vie, alors même qu’il existait un projet de maternité du vivant du conjoint.

Toute souffrance mérite d’être entendue, accompagnée et soulagée dans la mesure du possible. Cependant, la souffrance ne peut être créatrice de droits. Dans le cas du transfert post mortem, la souffrance de la veuve est à mettre en balance avec celle de l’enfant, délibérément privé de père et condamné à être orphelin. La vocation de la loi doit rester de protéger les plus vulnérables. Il s’agit d’un enjeu particulièrement lourd, que je vous demande de bien peser.

Toujours dans le même esprit – s’assurer que l’enfant bénéficiera d’un foyer stable –, le Gouvernement reste attaché à la notion de n’autoriser l’assistance à la procréation médicale que si une durée de vie commune peut être authentifiée par les futurs parents.

Les dons d’organes ont également fait l’objet d’une réflexion qui a progressivement évolué.

Alors que les techniques chirurgicales et les traitements antirejet ont fait la preuve de leur efficacité, le nombre de greffes n’a que très faiblement augmenté depuis 2004, de 3 900 à 4 600, avec un nombre très réduit et stable de donneurs vivants.

La pratique du don croisé d’organes peut permettre d’augmenter le nombre de greffes, mais tant l’Agence de la biomédecine que le Conseil d’État, dans son rapport d’avril 2009, avaient insisté sur le fait que cette pratique devait être rigoureusement encadrée, dans la mesure où elle rompt le lien direct entre le donneur et le receveur. Il est impératif d’empêcher toute possibilité de pression quelconque sur le donneur.

Le texte de loi présente une avancée significative, car il prévoit la possibilité d’organiser la pratique de dons croisés entre donneurs vivants, en ne réservant donc plus ce type de greffe à la seule parentèle proche, mais en assurant un encadrement renforcé de ce type de prélèvement. Dans ce cadre, et avant d’engager une telle procédure, il paraît important de s’assurer de l’existence d’un lien permanent et stable entre le donneur et le receveur.

Les donneurs vivants ont représenté, en 2009, moins de 8 % des donneurs au total, et constituent en fait un complément aux dons post mortem.Il convient donc de tout faire pour augmenter le nombre de dons post mortem. La procédure est délicate. Elle doit consister à mieux accompagner les équipes hospitalières dans un moment éprouvant pour les proches, afin de développer la confiance à l’égard des dispositifs de greffes d’organes et d’augmenter ainsi les dons, ainsi qu’à renforcer l’information sur le don d’organes.

Pour ce qui concerne le diagnostic prénatal, le projet de loi a évolué dans un sens conforme au souhait du Gouvernement. Le texte adopté par votre commission propose de renforcer l’accompagnement et l’information de la femme enceinte, en particulier lorsqu’une affection particulièrement grave du fœtus est suspectée, et de faciliter la qualité du diagnostic prénatal. Ces notions ont fait l’objet de nombreuses discussions et de débats très riches, en raison, notamment, du risque de dérive eugénique. Il s’agit là d’un sujet majeur.

Le projet de texte actuel vise à renforcer l’accompagnement et l’information de la femme enceinte en insistant sur le fait qu’il conviendra de recueillir son consentement écrit, après une information adaptée sur les objectifs, les modalités, les risques et les limites de l’examen de diagnostic prénatal ; en précisant qu’une information documentée lui sera donnée sur les associations de patients présentant des anomalies génétiques, afin de l’informer au mieux sur la maladie et sur les possibilités d’accompagnement dont elle pourrait bénéficier ; en précisant que la femme est libre de ne pas souhaiter les examens de dépistage.

Le projet tel qu’il est rédigé supprime la clause de révision de la loi. S’il faut, bien sûr, exercer toute la vigilance nécessaire à l’égard des avancées biomédicales et apporter des réponses aux nouvelles attentes de la société, une clause de révision périodique n’est pas le seul moyen d’y parvenir.

Réviser les lois de bioéthique tous les cinq ans présente de sérieux inconvénients. Le législateur peut être exposé à un manque de réactivité face à de nouvelles menaces. Tous les ajustements utiles et nécessaires pourraient se trouver différés à l’échéance de la révision. Cela nécessite une procédure lourde qui, dans les faits, aboutit à allonger sensiblement les délais prévus. En outre, nous pourrions encourir le risque de radicaliser les positions des uns et des autres, alors que la bioéthique nécessite, au contraire, de cheminer sereinement vers de justes compromis.

De plus, les lois de bioéthique constituent aujourd’hui un socle juridique abouti et équilibré, comme vient de le rappeler Xavier Bertrand, qui ne nécessite plus de remise en chantier récurrente.

Enfin, le projet de loi prévoit d’organiser une procédure de veille et de suivi, et d’organiser des débats publics autour des questions soulevées, notamment, et probablement, la très délicate question de la recherche sur l’embryon, qui obéit à des critères sociétaux, éthiques, religieux, mais aussi scientifiques. Le Parlement disposera ainsi de tous les éléments d’éclairage pour proposer, le cas échéant, et probablement, des ajustements et des novations, avec toute la fluidité requise.

Mme Laurence Dumont. On pourrait le faire tout de suite !

Mme Nora Berra, secrétaire d’État. À l’inverse, une clause de révision figerait toute adaptation et toute évolution des textes. Sa suppression est pleinement justifiée.

Tels sont, mesdames et messieurs les députés, les points qu’il m’a paru important de souligner à mon tour. Il vous revient d’examiner à nouveau ces propositions. Je ne doute pas qu’au-delà des positions partisanes, le débat permettra d’approfondir l’ensemble des enjeux de ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi bioéthique.

M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi bioéthique. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons en deuxième lecture le projet de loi relatif à la bioéthique qui nous revient du Sénat. Nous allons nous pencher sur ce que ce dernier a confirmé, amélioré et contesté.

Vous le savez, le Sénat a confirmé un certain nombre de nos propositions. Comme nous l’avions fait, il s’est opposé à la légalisation de la gestation pour autrui et à la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes, répondant ainsi à nos attentes sur l’indisponibilité du corps humain comme principe intangible, et sur la dignité du corps de la femme. Il a également accepté l’idée, assez partagée sur tous les bancs ici, que l’éducatif et l’affectif primaient sans se substituer totalement au biologique et au génétique. Il nous a suivis dans la proposition d’élargir au-delà du cercle familial la possibilités de dons d’organes entre vivants, et a validé le don croisé d’organes.

Il a enrichi le texte en apportant des améliorations concernant la procédure d’information de la parentèle, qui est désormais applicable aux enfants nés d’un don de gamètes ou d’embryon. Il a également amélioré l’article relatif aux neurosciences.

En revanche, il s’est opposé sur un certain nombre d’éléments. Il a autorisé le bénéfice de l’aide médicale à la procréation aux couples de femmes, revenant ainsi sur la limitation de l’aide médicale à la procréation aux couples médicalement infertiles. Il est assez logique de penser qu’une aide médicale à la procréation a un but médical et non un but social. En ce sens, le Sénat a enfreint le principe que nous avions évoqué ensemble, selon lequel la médecine doit répondre aux pathologies, aux anomalies, pas à toutes les insatisfactions individuelles.

M. Olivier Jardé, M. Thierry Benoit et M. Jean-Pierre Soisson. Très bien !

M. Jean Leonetti, rapporteur. Je vous proposerai donc un retour au texte voté à l’Assemblée nationale en première lecture.

S’agissant du diagnostic prénatal, je prends acte que l’amendement que j’avais déposé lors de la première lecture, qui subordonnait le dépistage des pathologies de l’embryon à certaines conditions médicales, a été mal interprété. Des médecins, en particulier des gynécologues, ont cru que la décision était individuelle et que chacun pourrait, en fonction de ses convictions, proposer ou pas l’information et le dépistage. J’ai souhaité écouter ceux qui m’ont alerté sur le fait que parfois, le dépistage valant examen et l’examen valant avortement, le libre choix de la personne n’était pas respecté, car soumis à une décision de l’autorité médicale dictant à la fois le dépistage et l’attitude à adopter ensuite. C’est la raison pour laquelle j’ai repris le texte du code de déontologie médicale, que nul médecin ne peut contester, selon lequel l’information doit être adressée à toutes les femmes de manière claire, loyale et appropriée. Ces trois adjectifs sont sans équivoque : la clarté apporte une information complète ; la loyauté empêche le médecin, qui est un « sachant » face à un « souffrant », de l’orienter vers un dispositif plutôt qu’un autre ; quant à l’information appropriée, elle est fonction du degré de compréhension et de la situation de la femme enceinte. On n’apporte pas la même information selon les contextes.

L’information s’adresse à toutes les femmes, mais le dépistage n’est pas systématique : il est soumis au libre-arbitre de la personne.

J’ai également souhaité revenir sur le problème de l’interdiction de la recherche sur l’embryon avec dérogations. Lorsque l’on parle d’autorisation encadrée ou d’interdiction avec dérogations, on peut avoir l’impression qu’il s’agit de la même chose. Et il est vrai que les conditions de l’autorisation de recherche sont à peu près les mêmes que celles retenues par l’Assemblée nationale pour autoriser la dérogation au principe d’interdiction. Autoriser, mais interdire de faire des embryons destinés à la recherche est à peu près équivalent à interdire, sauf si on prend des embryons surnuméraires et qu’on n’en crée pas à des fins de recherche.

M. Olivier Jardé. Très bien !

M. Louis Giscard d’Estaing. Très juste !

M. Jean Leonetti, rapporteur. Cette différence est minime pour les chercheurs. MM. Ménashé et Peschanski, que nous avons auditionnés en commission spéciale, ont affirmé que le dispositif actuel – l’interdiction avec dérogations – n’avait en aucun cas gêné leurs recherches. Ce qui les gênait, surtout, c’était le moratoire qui, au bout de cinq ans, pouvait faire tomber l’épée de Damoclès et signer la fin de leurs recherches. Nous avons donc supprimé ce moratoire.

Si je vous propose aujourd’hui de revenir sur l’interdiction avec dérogations, c’est après avoir mûrement réfléchi et, Alain Claeys le sait, exploré les possibilités de l’autorisation encadrée. Il ne s’agit pas seulement, comme l’a dit M. le ministre, d’une formule symbolique ; il en va aussi de la clarté du dispositif. Énoncer un principe d’interdiction et n’autoriser les recherches qu’à certaines conditions, en les énumérant, est un dispositif plus facilement contrôlable qu’une autorisation encadrée aux contours flous.

M. Louis Giscard d’Estaing. Absolument !

M. Jean Leonetti, rapporteur. C’est la raison pour laquelle nous devrions revenir au dispositif initial. Sans nuire aux chercheurs, il est suffisamment clair pour tout le monde et permettra le développement de notre recherche dans le respect de la dignité humaine.

À la fin de cette présentation sommaire, je voudrais revenir sur un fait qui m’a choqué. Nous avons eu, en commission spéciale, des débats apaisés – Alain Claeys peut en témoigner, car il a été un des artisans de ce bon climat –, dans le respect et l’écoute des convictions de chacun.

M. Paul Jeanneteau. Tout à fait !

M. Jean Leonetti, rapporteur. L’expression de nos doutes a été utile, et a parfois permis d’infléchir nos positions respectives. Je n’accepte donc pas l’idée selon laquelle les députés auraient été soumis à la pression de l’industrie pharmaceutique, pour ceux qui sont favorables à l’autorisation, ou à celle des autorités religieuses. Les députés décident librement !

Mme Catherine Génisson. Heureusement !

Mme Jacqueline Fraysse. Il faut le dire à l’église !

M. Jean Leonetti, rapporteur. Les industries, les grandes religions monothéistes, mais également les philosophes peuvent utilement contribuer à l’élaboration d’un texte. Chacun peut apporter sa pierre. Mais pour vous connaître, je refuse l’idée que vos décisions n’auraient pas été le reflet de vos convictions et que nous aurions été influencés par l’extérieur. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. Roland Muzeau. Dites-le aux évêques !

M. Jean Leonetti, rapporteur. Nous sommes influencés par nos propres débats. Aucune pression ne s’exerce, ni de ce côté de l’hémicycle ni de l’autre.

La bioéthique n’est pas le débat du bien contre le mal, de la morale contre le progrès ou de la puissance de l’argent contre la morale établie ou la religion. Le débat est fait de doutes, d’inquiétudes, d’interrogations que suscitent de nouvelles connaissances scientifiques. Il nous conduit à interroger nos valeurs communes et l’idée que nous nous faisons de l’homme et de l’humanité, elle-même liée à celle de progrès et de respect. Ces idées, j’en suis sûr, prévaudront dans le débat que nous entamons, et qui connaîtra des échanges riches, passionnés, mais jamais polémiques ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Claeys, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi bioéthique.

M. Alain Claeys, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi bioéthique. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, au bout du débat, après une longue mission d’information puis une discussion en première lecture, je tiens, en qualité de président de la commission spéciale, à remercier tous les députés pour leur assiduité. À mon tour, je voudrais témoigner de la qualité des débats, de l’écoute, de la volonté des uns et des autres de convaincre.

Une nouvelle fois, j’ai compris que, sur de tels sujets, la démocratie parlementaire pouvait avoir son utilité. Quelle différence entre cette attitude responsable et le tintamarre médiatique, avec des mails à la clé, auquel nous assistons depuis plusieurs semaines ! Je le dis au nom de l’ensemble de la commission : nous n’avons pas de leçons à recevoir sur des sujets éthiques.

Mme Claude Greff. Par qui ?

M. Alain Claeys, président de la commission spéciale. Chacune et chacun d’entre nous a fait preuve d’un très grand sens des responsabilités. Avons-nous, une seule fois, eu un débat sur le respect de la dignité de la personne humaine ? Avons-nous, une seule fois, eu un débat sur les risques de la marchandisation du corps humain ?

Aucun parlementaire n’est acheté par un groupe pharmaceutique, aucun parlementaire n’est sous l’emprise de je ne sais quel groupe de pression. C’est l’honneur du Parlement d’avoir débattu librement.

Permettez-moi d’aller un peu plus loin.

Chacun a une vision propre de l’origine de la vie, qui relève de la sphère privée. Avec le rapporteur, durant la mission d’information, nous avons auditionné des représentants de toutes les grandes religions monothéistes – catholiques, protestants, musulmans, juifs – et de tous les courants philosophiques : chacun a exposé sa conception de l’origine de la vie. En tant que parlementaire, avons-nous à arbitrer entre ces positions, toutes parfaitement respectables ? Rappelons ici que si nous avons l’obligation de nous informer et d’écouter, nous n’avons pas à trancher, nous avons simplement à revenir aux fondements de ce qu’est une loi bioéthique.

Ce qui s’est passé durant la deuxième Guerre mondiale a montré que les expérimentations sur le corps humain pouvaient aboutir aux pires dérives. À Nuremberg, des principes ont été établis, qu’il nous appartient à tous aujourd’hui de respecter. C’est en quelque sorte une charte qui doit nous guider quand nous faisons évoluer, à intervalles réguliers, les lois bioéthiques. Entre nous, ce débat ne se pose donc pas et, quelles que soient les formes qu’il prend à l’extérieur de cet hémicycle, je voudrais qu’il ne vienne pas salir tel ou tel d’entre nous.

Il n’y a pas non plus l’obscurantisme d’un côté et le scientisme de l’autre. C’est une opposition totalement dépassée. Restent néanmoins certains sujets sur lesquels nous avons encore des points de désaccord.

Concernant la procréation médicalement assistée, nous en resterons, très probablement, aujourd’hui à des justifications médicales. Mais, demain, devrons-nous aller plus loin et en faire une réponse à des questions sociétales ? C’est la volonté de certains : mon groupe a ainsi déposé des amendements pour l’ouvrir à des couples de femmes ; d’autres souhaitent aller vers la gestation pour autrui. Ce sont des débats qui sont naturels et importants. Nous avons considéré, majoritairement, que la gestation pour autrui constituait un risque de marchandisation du corps humain. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas pris de décision en ce sens. Mais je respecte totalement ce débat, qui doit être poursuivi et approfondi.

Concernant la trisomie 21 et le diagnostic prénatal, j’engage ceux qui mettent sur la place publique de tels débats à peser leurs mots et à bien réfléchir aux critiques qu’ils formulent. Avons-nous, au détour d’une phrase, eu des mots qui auraient pu être blessants pour les personnes handicapées ? Un député a-t-il, un seul instant, remis en cause l’intégration des personnes handicapées, sujet central dans notre société ? Nous avons, au contraire, abordé ces sujets avec une grande responsabilité, et je souhaite que nous parvenions à un compromis acceptable par tous, corps médical compris.

Concernant la recherche, monsieur le ministre, il n’est pas question de poursuivre je ne sais quel dialogue singulier mais je voudrais, une dernière fois, préciser les choses. Il y a cinq ans, lors de la première lecture du projet de loi sur la bioéthique, la recherche sur les cellules souches embryonnaires a été autorisée pour les embryons surnuméraires. De grandes personnalités de votre formation, dont rappeler le nom n’a pas grande importance, ont voté – je crois, en conscience – en faveur de cette mesure. La deuxième lecture a abouti à ce système compliqué assortissant l’interdiction d’une dérogation et d’un moratoire – mais vous n’y êtes pour rien. Malgré la complexité de ce dispositif et grâce à l’Agence de la biomédecine, il est vrai que des recherches ont pu avoir lieu et être soumises à évaluation. Je peux témoigner ici que ces protocoles de recherche – et je parle sous votre contrôle, monsieur le ministre – ont été obtenus non pas grâce au lobby des laboratoires pharmaceutiques, mais grâce au travail sérieux d’évaluation mené par des spécialistes au sein de l’Agence de la biomédecine

Je vous demande, chers collègues, quelle que soit votre position sur les cellules souches embryonnaires, de ne pas laisser courir des arguments selon lesquels cette recherche serait déterminée par je ne sais quel lobby. C’est intolérable ! C’est insultant pour l’Agence de la biomédecine, insultant pour la recherche et, d’une certaine manière, insultant pour nous-mêmes.

M. Olivier Jardé. Très juste !

M. Alain Claeys, président de la commission spéciale. Pourquoi changer de position aujourd’hui ? Pourquoi pensons-nous que le temps est venu d’autoriser cette recherche avec un encadrement ? Pour trois raisons simples que vous allez partager, j’en suis certain.

Premièrement, l’évaluation que nous avons faite de l’encadrement nous a permis de constater qu’il était opérationnel et sérieux. Les garanties qui nous sont données nous satisfont, eu égard aux problèmes éthiques que nous avons évoqués.

Deuxièmement, il importe de rappeler que nous décidons à travers cette loi qu’il n’y aura plus de révision tous les cinq ans, ce qui implique qu’il nous faut prendre position aujourd’hui.

Troisièmement, il faut prendre en considération un aspect important, sur lequel je voudrais insister : le temps de la recherche est un temps long, plus long que le temps politique, sans parler du temps médiatique dont je m’entretenais tout à l’heure avec le rapporteur. Cela implique qu’on ne peut savoir certaines choses aujourd’hui. On se lance à la figure des arguments sur les cellules adultes ou des cellules iPS reprogrammées comme alternatives aux cellules souches embryonnaires. Mais nous ne pouvons pas savoir ce qu’il en sera. Ce que nous savons, en revanche, c’est que les cellules souches embryonnaires ont des spécificités qui peuvent être utiles pour comprendre certains mécanismes de l’organisme humain que nous ne comprenons pas aujourd’hui ou qui, tout simplement – et je suis très prudent –, peuvent aboutir à des solutions thérapeutiques pour des maladies incurables.

Il faut mener de front toutes ces recherches et je ne vois pas quel argument pourrait s’opposer à ce que nous les autorisions à partir du moment où l’encadrement est assuré.

Votre solution, madame la ministre, monsieur le ministre, j’avais envie de la qualifier d’hypocrite mais je n’utiliserai pas ce terme, car il n’est pas à la hauteur de nos débats. J’ai bien compris que vous aviez un problème à régler au sein de la majorité. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Claude Greff. Non !

Mme Catherine Génisson. Cela n’a rien de médiocre !

M. Alain Claeys, président de la commission spéciale. Je vais vous faire une confidence : cela nous arrive à gauche aussi !

Ce problème, quel est-il ? Une cinquantaine de députés, issus de l’UMP, du Nouveau Centre et du courant villiériste, ont demandé la constitution d’une commission d’enquête – acte grave – pour déterminer dans quelles conditions les recherches sur les cellules souches embryonnaires sont réalisées en France. Cela revient à introduire le soupçon et à laisser supposer que l’Agence de la biomédecine ne fait pas correctement son travail d’encadrement. Ces députés affirment leur opposition à toute recherche sur les cellules souches embryonnaires : c’est une position que je respecte mais il faut bien voir qu’elle implique de voter contre la proposition du rapporteur en faveur d’une dérogation.

M. Dominique Dord. Le monde est polychrome. De tels clivages n’ont plus lieu d’être depuis longtemps !

M. Alain Claeys, président de la commission spéciale. Monsieur le ministre, j’ai écouté attentivement votre démonstration. Quand vous dites qu’il faut protéger l’embryon, je suis d’accord avec vous, mais quand vous vous servez de cet argument pour justifier votre compromis, je ne le suis plus du tout. La transgression date de 1994 : la recherche sur l’embryon n’était pas autorisée mais on acceptait qu’il y ait des embryons surnuméraires, à condition qu’ils soient détruits au bout de cinq ans, qu’ils fassent ou non l’objet de recherches. Vous le voyez bien, votre compromis ne règle rien : qu’il y ait ou non recherche, ces embryons sont voués à la destruction. La position du Gouvernement, maintenue après le vote du Sénat et la décision de la commission de notre assemblée, n’est pas juste. En conscience – ce n’est pas une question de droite ou de gauche –, elle me paraît constituer une faute.

Il faut prendre garde à ne pas opposer progrès et éthique. Nous pouvons avoir un pays qui croit en l’avenir, qui croit au progrès et à l’accomplissement d’avancées scientifiques au profit de l’homme, dans le respect scrupuleux de toutes les valeurs éthiques que nous partageons.

Il y a un message à faire passer auprès des chercheurs. On ne peut pas leur laisser entendre qu’il y aurait des recherches plus ou moins éthiques.

M. Christian Vanneste. Bien sûr que si !

M. Roland Muzeau. Ça faisait longtemps !

M. Alain Claeys, président de la commission spéciale. Mon cher collègue, je ne crois pas que votre interpellation soit à la hauteur du débat !

M. Christian Vanneste. Écoutez-vous donc : vos propos impliquent que toutes les recherches seraient éthiques ! C’est absurde !

M. le président. Monsieur Vanneste, vous interviendrez dans la discussion générale !

M. Christian Vanneste. Non, justement, on ne peut pas !

Mme Laurence Dumont. C’est un problème interne au groupe UMP !

M. le président. Je vous prie d’écouter l’orateur, monsieur Vanneste.

M. Alain Claeys, président de la commission spéciale. Merci de votre gentillesse, mon cher collègue, et du niveau de vos arguments !

M. Christian Vanneste. Accordez-moi que tous les progrès ne sont pas éthiques !

M. Alain Claeys, président de la commission spéciale. Oui, oui, d’accord.

Je voudrais enfin que nous nous exprimions clairement vis-à-vis de nos concitoyens malades, et que la recherche, dans cette période difficile, ne fasse pas toujours l’objet d’interrogations et de suspicion.

Je n’en dirai pas plus. Je vous remercie encore, ainsi que les membres de la commission et le rapporteur, du travail que nous avons accompli ensemble. Je souhaite, mes chers collègues, que le débat en séance publique soit d’aussi bonne tenue que celui que nous avons eu en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Motion de renvoi en commission

M. le président. J’ai reçu de M. Yves Cochet et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Noël Mamère.

M. Noël Mamère. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le ministre, chers collègues, notre assemblée doit se prononcer sur l’évolution du cadre législatif des questions bioéthiques.

En 1994, la France a choisi de confier la définition des règles collectives en matière de bioéthique à la représentation nationale, l’autorisant même à adopter une clause de révision du dispositif législatif. Cette décision signifiait que ces règles n’étaient pas intangibles, qu’elles n’étaient pas réductibles à quelque tabou, moral ou politique, que ce soit. Notre société a, au contraire, estimé qu’elles pouvaient à tout moment évoluer, en réponse aux aspirations sociales, et qu’il incombait au Parlement d’en être l’arbitre et le garant ; telle est donc sa fonction.

Depuis cette date, grâce notamment aux révisions des années 2000, de nombreux progrès ont été accomplis. La société a évolué ; de nouvelles aspirations se sont manifestées.

La chronologie des lois liées à la bioéthique en France comporte deux dates importantes : 1994 et 2004. Communément regroupées sous le qualificatif de « bioéthiques », ces lois recouvrent à la fois l’affirmation des principes généraux de protection de la personne humaine, introduits notamment dans le code civil ; les règles d’organisation de secteurs d’activités médicales en développement, telles l’assistance médicale à la procréation ou les greffes, ainsi que des dispositions relevant du domaine de la santé publique ou concourant à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches médicales.

Après en avoir débattu, le législateur a estimé qu’il fallait réexaminer certaines des dispositions adoptées en 1994 afin de tenir compte de l’évolution rapide des techniques et des enseignements que l’on pourrait tirer de leurs premières années d’application. Ainsi, l’article 21 de la loi du 29 juillet 1994, qui contient notamment les dispositions relatives à l’assistance médicale à la procréation et aux greffes, a prévu que cette loi ferait l’objet, après évaluation de son application par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, d’un nouvel examen dans un délai maximal de cinq ans après son entrée en vigueur.

En 1994, trois lois ont été promulguées : celle du 1er juillet relative au traitement des données nominatives ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé et modifiant la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ; les deux lois du 29 juillet relatives l’une au respect du corps humain, au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, l’autre à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal. C’est cette dernière loi qui a fait l’objet d’une révision en 2004.

Les principales dispositions de la loi de 2004 sont connues : interdiction du clonage reproductif ou thérapeutique ; principe d’interdiction de la recherche sur l’embryon et les cellules embryonnaires, sauf dérogation – ces recherches peuvent être autorisées pour une période limitée à cinq ans si « elles sont susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs » ; élargissement du cercle des personnes pouvant procéder à un don d’organe en vue d’une greffe ; brevetabilité d’« une invention constituant l’application technique d’une fonction d’un élément du corps humain » ; création de l’Agence de la biomédecine.

Dans le domaine juridique, il faut donc constater une codification du droit de plus en plus précise. Du point de vue démocratique, les modalités de la concertation et du débat public ont, elles aussi, progressé – mais pas assez à mon goût, pas assez non plus pour qui est attentif aux évolutions sociales et à l’exigence d’égalité qui est une constante de notre société.

Aujourd’hui, le Parlement doit trancher, puisque nous sommes appelés à revoir le dispositif législatif. Permettez-moi quelques remarques liminaires.

Nous sommes tous ici conscients du fait que les sujets débattus sont délicats et suscitent parfois les passions. Car l’assistance médicale à la procréation et son éventuelle ouverture aux couples homosexuels, la légalisation de la gestation pour autrui, la levée de l’anonymat du don de gamètes, l’autorisation de la recherche sur l’embryon et les cellules souches relèvent à la fois de la politique, au sens le plus classique et le plus noble du terme, et, sans doute plus que d’autres sujets, de notre conception la plus intime de la vie et de l’organisation sociale. De ce fait, les lignes de partage qu’ils suscitent ne recoupent pas toujours les frontières partisanes ; nous avons pu le constater au cours de nos débats.

Rappelons que, le 26 novembre 1974, la loi sur l’interruption volontaire de grossesse, dite loi Veil, fut adoptée dans une atmosphère d’une grande violence. Et force est de reconnaître que, trente ans après, le droit à l’avortement n’est toujours pas totalement acquis pour les femmes.

Sur ces questions, les progrès législatifs font rarement l’objet d’un consensus. Je le répète, les questions dont traite le projet de loi font débat. Or le Gouvernement donne l’impression d’avoir choisi le statu quo, donc une forme d’immobilisme, même sur les points à propos desquels le Sénat a ouvert des pistes et proposé les avancées que nous connaissons.

Le projet de loi présenté en conseil des ministres par Roselyne Bachelot, alors ministre de la santé, apportait des réponses gouvernementales très attendues, en raison des vives polémiques que les questions abordées suscitent sur la scène publique. Il s’agissait principalement du régime de recherche sur les embryons et les cellules embryonnaires, du choix entre le maintien ou la levée de l’anonymat sur les dons de gamètes ou d’embryon, des conditions d’accès à l’assistance médicale à la procréation ainsi que des techniques permises en la matière, c’est-à-dire, pour l’essentiel, de l’éventuelle admission de la gestation pour autrui.

En matière de recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, le Gouvernement a fait le choix du principe d’interdiction, les recherches étant admises à titre d’exception. Le moratoire de cinq ans défini par la loi de 2004 n’est pas reconduit.

Si la proclamation de ce principe peut paraître rassurante au regard de nos valeurs fondamentales, elle semble illogique du point de vue juridique. En effet, de nombreux observateurs l’ont noté, elle réaffirme le maintien d’un principe vidé de toute sa substance par la portée de l’exception dont il est assorti. Or il est de l’intérêt des citoyens que la loi soit lisible.

Un régime d’autorisation précisément encadré tiendrait mieux compte de la réalité qu’un régime d’interdiction dont le domaine d’application n’est guère plus large que celui de l’exception. Mais, sur ce sujet comme sur les autres, le Gouvernement a choisi le statu quo. Après avoir ouvert le débat nécessaire au réexamen des lois bioéthiques, il cède aux composantes les plus conservatrices de sa majorité à l’approche des élections. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Réguler le champ des sciences de la vie en les confrontant à l’éthique et au principe de dignité de la personne humaine est une tâche complexe, mais aujourd’hui impérieuse. Aussi est-il légitime que nous réexaminions la législation applicable en la matière afin de chercher une nouvelle manière de concilier le développement des techniques biomédicales, la continuité des normes bioéthiques et l’état des évolutions sociales. Or le texte que le Gouvernement nous soumet en deuxième lecture ne parvient toujours pas à atteindre cet objectif.

Il s’agit davantage d’un texte d’ajustement, comme on l’a dit au Sénat, que d’un développement ou d’une réévaluation tenant compte des évolutions médicales et sociales. On ne peut que regretter cet immobilisme qui équivaut à de l’hypocrisie et témoigne d’un aveuglement à l’évolution de la société. Pourquoi ne pas avoir entendu les propositions parlementaires, notamment celles de nos collègues sénateurs ? C’est à se demander à quoi nous servons : tout semble se décider à l’écart de la représentation nationale. Nous éprouvons l’amer sentiment d’être réduits au rang de marionnettes, devenus acteurs d’un théâtre d’ombres. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Gosselin. Rien que ça !

M. Jean Leonetti, rapporteur. Ce n’est pas acceptable.

M. Noël Mamère. Ce glacis préserve cependant quelques avancées. J’approuve ainsi la redéfinition de la procédure d’information de la parentèle en cas de repérage d’une anomalie génétique, qui semble conjuguer habilement les notions complexes de respect du secret médical et de droit d’information des tiers concernés.

De même, les ouvertures ménagées afin de faciliter le don d’organes sont utiles. Les risques de marchandisation sont écartés et l’autorisation encadrée du don croisé devrait accroître les possibilités d’échange. Il faut développer une politique volontariste en matière d’information et de promotion de la transmission d’organes.

Mais cela semble bien peu au regard du traitement réservé à des questions importantes dont notre société débat depuis de longues années.

Ainsi, la gestation pour autrui et sa légalisation – sujet tabou – n’ont été discutées ni en commission ni en séance, ou si peu. Sous prétexte de combattre le risque de marchandisation du corps des femmes, le Parlement a préféré la censure.

Pourtant, cette pratique existe ; elle se développe ; elle est mondiale. Et c’est lorsque aucun dispositif législatif ne les encadre que les pratiques marchandes se répandent. C’est la loi qui protège, qui fixe les limites. Le régime de l’interdiction totale dans un monde global est une hypocrisie et une preuve d’aveuglement. Ce débat divise, certes, mais vous n’ignorez pas que de nombreuses féministes, et non des moindres, ont appelé les parlementaires à légiférer pour fixer un cadre.

M. Jean Leonetti, rapporteur, et M. Paul Jeanneteau. Agacinski…

M. Noël Mamère. Mme Badinter n’est pas du même avis que Mme Agacinski.

M. Paul Jeanneteau. Et Gisèle Halimi ?

M. Noël Mamère. Ce n’est pas l’avis des psychanalystes ou d’autres spécialistes qui fait la loi ! Ce n’est pas aux experts de décider à notre place ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Catherine Génisson. Les femmes ont aussi leur mot à dire !

M. Noël Mamère. Nous sommes là pour en délibérer ; c’est notre rôle de législateur. Mais rien ne nous empêche de dire que certains avis ont été émis, de nous en servir lorsqu’ils peuvent nourrir notre argumentation ou de ne pas les combattre lorsqu’ils ne l’alimentent pas. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Chacun est à sa place lorsqu’il défend ses idées. Je me suis permis de le faire en commission à propos de la GPA ; je le fais à nouveau aujourd’hui, même si je sais que, dans mon camp, tout le monde n’est pas d’accord. Il est normal que le débat ait lieu, il est sain que des parlementaires le formalisent politiquement, car de nombreuses associations le demandent.

Je le répète, pour ma part, je pense en conscience que ne pas légiférer, c’est laisser prospérer la marchandisation du corps des femmes. En effet, l’interdiction ne résout absolument pas le problème de la marchandisation et de la prolifération internationale de telles pratiques, qui sont condamnables. Les couples qui souhaitent recourir à cette technique continueront donc malheureusement de se rendre à l’étranger afin d’en bénéficier, et leurs enfants nés d’une GPA continueront de venir grossir la masse des sans-papiers juridiquement orphelins.

La loi encadre, la loi protège, surtout les plus faibles. C’est pour cela que nous sommes allés devant les électeurs, c’est pour cela que nous siégeons : pour améliorer et développer l’État de droit, et pour protéger les plus faibles. Sans loi, non seulement les maux ne cessent pas d’exister, mais ils prospèrent.

J’en viens aux hésitations du texte et aux problèmes qu’il ne traite ou ne précise pas assez.

En ce qui concerne la levée de l’anonymat du don de gamètes en faveur des enfants majeurs qui souhaiteraient connaître leurs origines, le texte initial présenté par le Gouvernement constituait, de mon point de vue, un compromis équilibré. Il permettait de lever l’anonymat, sous réserve de l’accord du donneur. Il constituait une étape du processus qui permettra de satisfaire le besoin, qu’éprouvent de plus en plus de personnes, d’associer à la reconnaissance éducative la connaissance de leurs origines biologiques. Il s’agit de répondre à la question qui nous anime tous : « À qui dois-je d’être né ? »

Les pays qui ont abandonné le principe d’anonymat ont décidé d’en finir avec ce vieux modèle, ses dénis et ses mensonges, pour lui substituer une autre idée de l’AMP, considérant qu’il revient au droit de fixer la règle du jeu, afin que chacun puisse désormais assumer sa place et répondre de ses actes. Ce modèle est fondé sur la responsabilité.

Ces pays ne traitent plus le recours au don comme une façon plus ou moins honteuse de faire des enfants ; ils savent valoriser les donneurs et donneuses pour le sens de leur geste, au lieu de les réduire au rôle de fournisseurs anonymes de matériaux pour laboratoires. Ils revendiquent enfin d’avoir su répondre à la détresse des couples en inventant une troisième voie pour devenir parent, entre la procréation et l’adoption : l’engendrement avec tiers donneur. On passe d’une logique de la rivalité à une logique de la complémentarité des rôles et des places. On comprend alors pourquoi ces mêmes pays ouvrent aussi très souvent l’assistance médicale à la procréation aux couples de même sexe : on ne juge la demande de ceux-ci irrecevable qu’aussi longtemps qu’on maquille le recours au don en pseudo-procréation charnelle.

Sur l’accès à l’assistance médicale à la procréation, je salue la disparition dans le texte du critère de durée minimale de vie commune. Mais l’interdiction faite aux couples de femmes d’avoir accès à l’assistance à la procréation médicale est, je crois, une erreur. L’homoparentalité est une réalité, et pourtant elle semble effrayer le Gouvernement et sa majorité. Sur ce point, le projet se trouve en décalage avec la société civile actuelle, qui n’est plus celle de 1994, notamment quant à la reconnaissance des couples de même sexe et au droit de fonder une famille. Il s’agit bien là d’une vision conservatrice de la famille. Nous savons qu’il existe un « tourisme procréatif » pour les couples de lesbiennes ; on parle même de « bébés Thalys ». Nous savons aussi qu’il est possible pour une célibataire d’adopter. Comment justifier, dès lors, le refus d’élargissement de l’aide médicale à la procréation aux couples de lesbiennes et aux femmes seules ?

J’en viens maintenant à la question fondamentale de la recherche sur les cellules souches embryonnaires à partir d’embryons surnuméraires destinés à la destruction. Le glissement de la notion – assez curieuse, d’ailleurs – d’interdiction sauf dérogation au principe d’autorisation sous conditions est un pas insuffisant.

Coupons court à l’hypocrisie ! La recherche génétique doit être autorisée. Nous effacerons alors la sémantique peureuse de l’interdiction sauf dérogation, qui se solde, depuis 2004, par 90 % de suites favorables accordées aux demandes d’autorisation.

La France a la chance de disposer d’un système universitaire de recherche qui nous préserve assez bien des logiques purement économiques.

La liberté de recherche et le respect de la personne humaine ne s’opposent pas, surtout lorsque la perspective ultime du travail scientifique donne corps au droit des malades à espérer un traitement pour les maux dont ils souffrent. Ne privons pas d’espoir ceux qui sont en attente de soins, ceux qui souffrent d’être laissés sans solution.

La science progresse, la famille se transforme, la société change et le simple catalogue de pratiques permises, tolérées, conditionnées ou interdites, ne correspondrait pas à ces bouleversements ? La société a besoin de lois adaptées à son temps, pas d’une pensée figée et conservatrice ! Ce texte n’est pas à la hauteur des attentes, il ne tient pas compte des changements, il ignore des revendications légitimes. Pour toutes ces raisons, je vous invite, chers collègues, à voter la motion de renvoi en commission.

Monsieur le ministre, vous pouvez enfin partir, puisque vous n’attendiez pour cela que la fin de mon intervention – ce dont je vous remercie.

M. Xavier Bertrand, ministre. Merci ! (Sourires.)

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Olivier Jardé, pour le groupe Nouveau Centre.

M. Olivier Jardé. Le groupe Nouveau Centre estime avoir été suffisamment éclairé sur ce texte, notamment par le travail de la commission spéciale.

Je reste pour ma part opposé à la grossesse pour autrui : la période de la grossesse n’est pas neutre. Les indications médicales seraient, de plus, tout à fait exceptionnelles – cancers de l’utérus chez une adolescente, rupture de l’utérus après un traumatisme, voire absence d’utérus.

Mais l’utérus peut-il se louer ? Cela ne reviendrait-il pas à autoriser un début de droit à l’enfant ? Pour moi, cela n’est pas assimilable à un don d’organe. Et puis, une femme riche porterait-elle l’enfant d’une femme pauvre ? N’irions-nous pas vers la recherche d’un donneur parfait ?

Je suis donc, comme tout mon groupe, opposé à la grossesse pour autrui.

Je suis également opposé à la procréation médicale assistée utilisée pour des raisons autres que médicales, pour des raisons de société. Pour moi, cette procédure ne doit être utilisée que pour des raisons d’infertilité.

Pour toutes ces raisons, je voterai contre cette motion.

M. le président. Pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire, la parole est à M. Paul Jeanneteau.

M. Paul Jeanneteau. Au risque de vous surprendre, monsieur Mamère, il y a quelques sujets sur lesquels nous pourrions nous retrouver : ces lois bioéthiques portent effectivement sur des sujets difficiles, importants ; les débats sont parfois passionnels. Ces lois relèvent, vous avez raison, de la politique au sens le plus noble du terme : nous pouvons nous accorder aussi lorsque vous ajoutez que ces sujets relèvent de convictions intimes, fruits de nos parcours philosophiques, religieux, éducatifs, culturels.

Mais notre accord s’arrête là. Je ne reviens que brièvement sur la GPA, car je partage tout à fait les arguments développés à l’instant par Olivier Jardé. Vous dites que la loi protège ; vous me permettrez de vous dire que c’est aussi lorsqu’elle interdit que la loi protège, et lorsqu’elle évite que le corps des femmes ne devienne une marchandise. Je trouve toujours très étonnant que vous appeliez les experts à la rescousse lorsqu’ils vous servent, sans citer d’autres experts d’avis tout à fait opposé – pourtant, ce sont aussi des féministes, et pas des moindres.

À propos de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, et du débat qui oppose l’interdiction avec dérogation à l’autorisation encadrée, il y a là plus qu’un symbole. Nous reviendrons sur ce débat ; mais – à un moment où la parole des experts est souvent remise en cause, où l’avis des sachants est sujet à caution, où certains accusent les lobbies d’avoir de plus en plus de pouvoir – il revient aux politiques de jouer pleinement leur rôle et d’assumer leurs responsabilités. Il me semble donc très important que le législateur prenne ses responsabilités et utilise les pouvoirs qui lui sont conférés par le peuple pour mettre en place un encadrement législatif assez strict.

Vous semblez dire que, sur un certain nombre de sujets, la loi est en décalage avec la société actuelle. Mais j’ai l’impression que vous voulez entraîner cette loi vers le moins-disant éthique. Parce que quelque chose est permis ailleurs, il faudrait que ce soit permis en France : voilà un bien curieux principe. Vous semblez vouloir tirer vers le bas les principes sur lesquels il y a pourtant consensus : la dignité, le respect dû au début de la vie et à l’embryon ; ces valeurs sont partagées par un grand nombre de parlementaires ici présents.

Pour toutes ces raisons, les députés du groupe UMP voteront contre cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. Pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, la parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Les sujets que vient d’aborder Noël Mamère sont très importants ; nous allons, au cours de l’examen de ce texte, débattre de tous ces problèmes : la recherche sur les cellules souches embryonnaires, les conditions d’accès à la procréation médicalement assistée, la gestation pour autrui, les tests génétiques, les transplantations d’organes. Tous ces sujets sont difficiles ; les débats sont passionnels ; nous avons chacun nos convictions propres.

Les lois votées de 1992 à 1994 puis de 2002 à 2004 ont permis d’avancer. Pour ma part, je regrette que, par rapport aux lois votées en 2004, ce texte en reste presque au statu quo. Or le monde a changé. Certes, nos positions sur ces sujets peuvent différer, mais, à titre personnel, je regrette la position exprimée tout à l’heure par M. le ministre, qu’il a qualifiée de position « équilibrée ». Ce qu’il a recherché, c’est plutôt, je crois, un équilibre au sein de sa majorité que des convictions équilibrées.

Nous débattrons, sereinement – Alain Claeys l’a dit tout à l’heure. Nous sommes en deuxième lecture, et nous souhaitons un d’idées ; nous souhaitons convaincre. Sur cette motion, le groupe socialiste s’abstiendra donc.

Tout à l’heure, M. le ministre a parlé de lobbies organisés – il a évoqué le lobby des industries pharmaceutiques, que je n’ai personnellement pas beaucoup entendu sur ce sujet – et d’autorités philosophiques et religieuses, qui exprimaient leur point de vue. Chacun a le droit de s’exprimer dans un débat aussi important que celui-ci.

Mais – nous aurons l’occasion d’en débattre – certaines des choses qui ont été dites cet après-midi ne sont pas vraies, et certaines interprétations sont à mon sens infidèles.

Si je comprends bien toutes les questions posées par notre collègue, nous nous abstiendrons sur cette motion de renvoi en commission.

M. le président. Pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, la parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Nous débattons effectivement d’un texte essentiel, passionnant, et très complexe.

Je voudrais dire d’abord que nous ne partageons pas toutes les positions de notre collègue Noël Mamère. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Claude Greff. C’est une bonne chose !

M. Noël Mamère. Attendez la suite !

Mme Jacqueline Fraysse. Attendez la suite. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Je crois que vous pourriez vous montrer modestes et silencieux, compte tenu des positions que vous allez défendre, et qui ne vous grandissent pas. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean Leonetti, rapporteur. Paroles inutiles.

Mme Jacqueline Fraysse. Je poursuis mon propos, et je vous invite à m’écouter dans le silence. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Nous supportons vos prises de position, je vous demande de supporter les miennes et de respecter les propos que j’envisage de tenir. Je vous remercie. (Mêmes mouvements.)

M. Yves Censi. Il faut toujours se méfier des donneurs de leçons !

Mme Jacqueline Fraysse. Concernant, par exemple, la gestation pour autrui, nous considérons qu’il s’agit d’une marchandisation du corps de la femme, dégradante et dangereuse, tant pour elle-même que pour les enfants à naître et pour la société tout entière.

Le fait que cette pratique ait cours dans d’autres pays ne saurait à nos yeux constituer un argument pour le législateur français, attaché à certains choix éthiques.

Concernant la suppression de la référence au couple constitué d’un homme et d’une femme comme condition d’accès à l’assistance médicale à la procréation, il faut sans aucun doute, au-delà de l’examen de cette loi, ouvrir un débat approfondi. J’accorde à Noël Mamère que notre législation permettant déjà à une femme seule de recourir à l’adoption, celle-ci doit également pouvoir recourir à l’aide médicale à la procréation si elle souffre d’infertilité. Plus globalement, nous le rejoignons dans le constat que nous ne pouvons pas ignorer ces débats, qui émergent très fortement dans notre société. Il nous semble que la représentation nationale doit se saisir de ces questions, et plus largement de l’évolution des questions de société relatives à la famille et à la filiation.

De même, nous estimons comme lui nécessaire une démocratisation du processus d’examen et d’adoption des projets de loi de bioéthique ; si des efforts ont été faits en ce sens, ils ne sont pas encore à la hauteur des enjeux dont nous débattons.

Nous partageons son plaidoyer sur le manque d’information et d’efforts pédagogiques volontaristes à propos du don – don de gamètes et don d’organes. Cet acte de solidarité doit être mieux expliqué et beaucoup plus encouragé dans l’ensemble de la société.

Enfin, nous partageons les inquiétudes qu’exprime Noël Mamère sur la frilosité de ce texte en ce qui concerne la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Celle-ci offre un formidable espoir de mettre au point des thérapeutiques nouvelles, ce qu’on ne peut faire à partir d’autres tissus, y compris les cellules souches induites à la pluripotence.

Notre rôle est d’encourager la recherche en l’encadrant et de ne pas inscrire dans la loi une défiance désobligeante à l’égard des chercheurs.

Pour toutes ces raisons, et surtout après les propos du ministre concernant le maintien de l’interdiction de la recherche sur l’embryon, nous voterons cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Olivier Jardé.

M. Olivier Jardé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, le projet de loi sur la bioéthique a été profondément remanié au Sénat. Aussi, pour cette seconde lecture, nous nous posons nombre de questions.

D’abord, faut-il ou non maintenir la possibilité – assez exceptionnelle en soi – de réviser la loi à intervalle régulier ? Le Nouveau Centre y est très attaché, car c’est l’occasion d’une interrogation citoyenne sur l’équilibre à trouver entre les droits fondamentaux de la personne humaine et les possibilités de la recherche médicale. L’éthique est, j’en suis persuadé, question personnelle. Elle évolue avec la science. Elle n’est pas universelle mais fondamentalement plurielle.

En second lieu, nous nous sommes demandé au Nouveau Centre si l’on avait le droit de faire un diagnostic génétique préimplantatoire et sur le fœtus. Il est certain que le génome de chacun lui appartient et ne doit pas être divulgué. Il n’y a pas à en tirer un argument. Doit-on néanmoins faire une recherche génétique de maladies graves comme la mucoviscidose, les myopathies, la trisomie 21 ? Je pense que l’on a le droit de faire ce diagnostic. Mais, au Nouveau Centre, nous avons déposé des amendements pour que, outre l’avis médical, les familles aient la possibilité d’interroger des associations qui s’occupent de ces maladies graves, de façon à être totalement informées.

Se pose pourtant le problème d’éventuelles dérives. Doit-on faire ce même diagnostic pour les gènes BRCA, c’est-à-dire pour des cancers du sein qui surviendront quand la personne aura cinquante ans ? J’espère que, dans cinquante ans, le cancer du sein pourra être guéri. Aussi me paraît-il tout à fait disproportionné d’envisager ce type de diagnostic, par rapport aux maladies beaucoup plus graves que sont la mucoviscidose et les myopathies. Les familles d’enfants malades ne comprennent d’ailleurs pas la position des députés.

Le troisième problème que je voudrais examiner est celui des greffes. Il y a là un merveilleux espoir. L’an dernier, nous avons pu réaliser 4 666 greffes grâce à 1 500 donneurs. Chacun d’eux a donc fait l’objet de trois prélèvements en moyenne. Mais il y a eu également 277 décès par impossibilité de trouver un donneur et 13 000 malades sont toujours inscrits sur des listes d’attente.

Le refus de don est désormais de 28 %. Être passé sous les 30 % est un progrès. Mais la situation est-elle acceptable, face à ces 277 personnes qui sont mortes faute de donneur ? Il faut favoriser le don d’organe. En même temps, je comprends que, lorsqu’on apprend à des parents que leur fils ou leur fille vient de se tuer en vélomoteur et qu’on leur demande en plus si on peut lui prélever des organes, certains refusent. C’est pourquoi le Nouveau Centre a déposé des amendements pour que les personnes indiquent, soit sur la carte Vitale, soit dans le dossier médical personnel, qu’elles ont été informées, de sorte que, en l’absence de refus exprimé, il y ait une présomption que le prélèvement est possible. Cela pourrait permettre de diminuer le taux de refus. En revanche, je suis opposé à l’établissement d’un fichier positif des donneurs. Dans ce cas en effet, toute personne qui n’a pas manifesté expressément qu’elle acceptait le prélèvement serait considérée comme le refusant. Je crains fort que l’on remonte alors de 28 % à 40 % de refus de don.

Le quatrième sujet que je voudrais évoquer est l’assistance médicale à la procréation. Madame la secrétaire d’État, je vous le dis tout net, je suis opposé à ce qu’on y recoure pour des motifs d’ordre sociétal. Pour moi, cela reste un geste médical, d’ailleurs remboursé par la sécurité sociale. Je refuse donc cette dérive que serait la possibilité pour un couple homosexuel de bénéficier de l’AMP.

Celle-ci soulève trois problèmes. D’abord, à quel âge a-t-on le droit d’y recourir ? L’Assemblée a tranché, et je suis totalement d’accord sur le fait qu’il faut fixer des limites. Que des femmes puissent mettre en route une grossesse à soixante ou soixante-dix ans est choquant, hors norme et cela crée des risques pour l’enfant à naître ; bref j’y suis totalement opposé.

Ensuite, les dons de gamètes doivent-ils être anonymes ? Sur la question de l’identification du donneur, je me refuse à toute discussion. À quoi bon dire à un enfant de dix-huit ans que son père était grand ou petit, qu’il avait les yeux bleus ou les cheveux blonds ? Ce n’est pas cela qu’il cherche. Il voudra aller plus loin. Au cours de nos auditions, quelqu’un dans ce cas nous déclarait qu’il aimerait bien entendre son père parler derrière une porte. Mais ensuite, bien sûr, il voudra ouvrir la porte. De toute façon, cela ferait diminuer de façon massive le nombre de donneurs, puisque 70 % d’entre eux affirment clairement qu’ils cesseront le don de gamètes s’ils deviennent identifiables. Enfin, comment envisager ce couple à trois entre l’enfant, le père biologique et le père éducateur ? Pour moi, ce dernier doit avoir toute sa place. D’ailleurs, dans notre pays, beaucoup d’hommes sont des pères éducateurs sans le savoir puisque, mesdames, je vous le rappelle : dans 15 % des cas, le troisième enfant n’est pas issu du mari. Mme Génisson, qui travaille en réanimation, peut en témoigner : pour le troisième enfant, on ne fait pas de transfusion sanguine massive du père en cas d’accident ! (Sourires.) Cela n’empêche pas celui qui les élève d’être un bon père.

Je réaffirme également mon opposition à la gestation pour autrui par des mères porteuses. J’en ai donné les raisons tout à l’heure. Le Nouveau Centre est de même totalement opposé au clonage thérapeutique et au clonage reproductif, qui ne nous semblent pas être des pratiques éthiques.

Enfin, doit-on autoriser l’expérimentation sur le fœtus ?

Mme Catherine Génisson. Sur l’embryon, pas le fœtus.

M. Olivier Jardé. Faut-il édicter une interdiction ou parler d’autorisation encadrée ?

D’abord, je rappelle que, sur 800 000 naissances environ chaque année, 20 000 enfants naissent grâce à une aide médicale à la procréation. Je rappelle aussi que nous avons 156 000 fœtus dans les congélateurs de nos hôpitaux.

Mme Catherine Génisson. Non, ce sont des embryons !

M. Olivier Jardé. Des embryons, en effet : ce n’est pas du tout la même chose.

Les cellules embryonnaires sont-elles comparables aux cellules souches adultes, voire aux cellules totipotentes ou pluripotentes ? Non. Ces cellules souches adultes offrent des possibilités de pratiquer certaines expérimentations, mais pas d’autres. De plus, toutes les cellules souches pluripotentes induites, ou iPS, subissent un stress majeur qui provoque des dégradations génétiques ; elles ne sont donc pas totalement similaires aux cellules embryonnaires.

Que faire de ces 156 000 embryons qui se trouvent dans des congélateurs ? Faut-il périodiquement « faire le ménage » ? C’est le cas d’ailleurs, puisque l’on pratique régulièrement des destructions. Faut-il donner la possibilité de pratiquer sur eux une certaine forme de recherche ? Je suis très sensible à l’argument selon lequel on se trouve là en présence du début de la vie. C’est vrai, et il s’agit d’une situation exceptionnelle qui ne peut se prolonger. Mais s’il n’y a plus aucun projet parental, si ces embryons n’ont pas été produits à des fins de recherche, si la recherche ne peut se faire autrement qu’en utilisant ces cellules embryonnaires, je ne vois pas pourquoi on s’y opposerait. D’ailleurs, en 2004, nous avions voté une interdiction avec dérogations. Elle a permis de réaliser 177 expérimentations dans nos laboratoires. Les chercheurs disent bien qu’on ne leur a pas opposé de limites pour expérimenter sur les cellules embryonnaires.

Dans ces conditions, et dans une perspective totalement franco-française, entre interdiction avec dérogations ou autorisation avec encadrement, de l’avis unanime des chercheurs, le changement n’est pas nécessaire. Mais il se trouve que la recherche n’est plus franco-française. Des laboratoires de plusieurs pays s’associent pour mener certaines recherches. Or que penser d’un programme de recherche dans un pays où l’on fixe comme cadre général une interdiction ? Pour cette raison, et avec toutes les précautions que j’ai mentionnées – l’absence de projet parental, des limites dans le temps, car je souhaite que, à terme, on n’ait plus besoin de ces cellules embryonnaires – je suis en faveur de la formule d’autorisation avec encadrement.

M. Michel Vaxès. Il a raison !

M. Olivier Jardé. Il s’agit d’assurer une lisibilité des conditions de recherche pour les équipes dans nos laboratoires. Je trouve tout à fait déplacé d’importer des cellules embryonnaires de l’étranger pour expérimenter, comme le fait l’Allemagne où l’expérimentation sur les cellules embryonnaires produites sur place est interdite.

Malgré ces questionnements, ce texte me paraît tout à fait équilibré. Des points importants sont respectés. Je suivrai donc le débat avec un regard très positif. (Applaudissements sur les bancs du groupe NC.)

M. le président. La parole est à M. Paul Jeanneteau.

M. Paul Jeanneteau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner en deuxième lecture le projet de loi relatif à la bioéthique.

Au mois de février dernier, en première lecture, notre assemblée a rappelé ces principes éthiques fondamentaux que sont la dignité de l’être humain, le respect dû au corps, la protection de l’embryon et la primauté de l’intérêt de l’enfant.

Ces valeurs ne sont pas propres à la France ; elles sont universelles. Ainsi, l’intangibilité de ces principes est consacrée dans le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont le premier considérant rappelle que « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ».

Ces principes sont aussi énoncés dans notre droit positif national, notamment dans l’article 16 du code civil, selon lequel « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ».

Le respect d’autrui dans ce qui fait son humanité constitue la base du contrat social, le fondement même de notre société. Y déroger c’est rendre toute vie en commun impossible ; c’est quitter l’état de culture pour revenir à l’état de nature où la seule loi qui s’applique est celle du plus fort. Aussi les législateurs que nous sommes devront-ils garder à l’esprit ces principes tout au long des débats afin que les dispositions législatives tendent vers le bien commun.

En première lecture, les députés ont souhaité inscrire la révision des lois de bioéthique dans la lignée des textes de 1994 et de 2004 en réaffirmant les principes éthiques qui forment le socle de notre législation actuelle, parmi lesquels l’anonymat et la gratuité du don de gamètes, le caractère libre et éclairé du don, l’interdiction des manipulations génétiques, l’encadrement de l’assistance médicale à la procréation et l’interdiction de la gestation pour autrui. Nos débats, intenses et parfois même passionnés, ont abouti à un texte relativement court qui apporte quelques ajustements à la loi de 2004.

Nos collègues sénateurs, quant à eux, ont jugé bon de réviser en profondeur le texte voté par l’Assemblée nationale. Ainsi, le Sénat a supprimé le principe d’interdiction de la recherche sur les embryons pour instaurer une autorisation avec encadrement. Il est également revenu sur les modalités selon lesquels les tests prénatals sont proposés aux femmes enceintes. Enfin, les sénateurs ont ouvert l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes.

À l’Assemblée, en deuxième lecture, la commission spéciale chargée d’examiner le texte du Sénat a souhaité revenir sur cette dernière disposition, estimant que la procréation médicalement assistée devait être réservée aux seuls couples médicalement infertiles. Elle a également souhaité réintroduire l’autorisation du transfert d’embryon post mortem, que le Sénat avait supprimé.

Mes chers collègues, nous devons faire preuve de prudence et de mesure dans nos choix éthiques, car les dispositions législatives que nous voterons auront un impact direct sur la personne humaine, de sa conception à sa naissance, puis durant sa vie. Il convient donc de bien mesurer toutes les conséquences sociales et humaines qu’induit chacune des mesures que nous adopterons afin de déterminer dans quelle société nous souhaitons vivre.

Concernant la recherche sur les embryons, je suis pour ma part favorable au maintien du texte que notre assemblée avait voté en première lecture. Il permet de contrôler, en amont, les recherches autorisées de façon dérogatoires selon des modalités strictes. Il constitue ainsi un rempart éthique contre d’éventuelles dérives rendues possibles par l’accélération des innovations scientifiques et médicales dans les domaines de la génétique ou de la procréation médicale assistée.

Surtout, le principe d’interdiction avec dérogation me semble conforme à notre corpus législatif, et plus particulièrement à l’article 16 du code civil qui garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, je l’ai déjà cité.

Je souligne aussi que la très grande majorité des chercheurs auditionnés par la mission d’information sur la révision des lois de bioéthiques n’a jamais remis en cause le principe d’interdiction. Elle souhaitait seulement l’abrogation du moratoire de cinq ans, disposition qui a été votée en première lecture.

Le transfert d’embryons post mortem pose un certain nombre de problèmes. Perdre son conjoint alors qu’un projet parental est en cours reste une situation éminemment dramatique et douloureuse. Toutefois, en faisant naître délibérément un enfant orphelin, on favorise le droit à l’enfant plutôt que le droit de l’enfant.

Les enfants ainsi conçus deviendront un substitut symbolique du père disparu, portant ipso facto une charge psychologique importante. Cela est d’autant plus vrai que, selon le dispositif adopté en commission, l’enfant naîtra entre quinze et vingt-sept mois après le décès du père.

Par ailleurs, le transfert d’embryons post mortem pose des problèmes juridiques de filiation et il porte atteinte au droit de la famille.

Il me semble donc raisonnable de poser comme limites à la procréation les limites mêmes de la vie.

En ce qui concerne la systématisation des tests prénatals, le Conseil d’État et le Comité consultatif national d’éthique, dans leurs études relatives à la révision des lois de bioéthique, avaient pointé les risques de dérives eugéniques de cette pratique qui dépasse d’ailleurs largement la question du seul dépistage de la trisomie 21. C’est pourquoi je soutiendrai l’amendement présenté par notre rapporteur, Jean Leonetti, visant à ce que ces examens soient proposés dans le respect des articles 8 et 35 du code de déontologie médical.

En première lecture, notre assemblée avait su se retrouver, majoritairement, autour de valeurs communes pour dégager le meilleur consensus sociétal possible. En seconde lecture, je vous encourage, mes chers collègues, à user de la même sagesse afin que, cette fois encore, nous puissions parvenir à adopter un texte équilibré, respectant les principes fondamentaux qui structurent notre société. En gardant à l’esprit ces valeurs intrinsèques qui nous unissent et qui transcendent les clivages partisans ou nos opinions personnelles, nous parviendront à un accord.

Les lois de bioéthique s’inscrivent dans un contexte social, philosophique, culturel et juridique propre à notre pays, que nous ne pouvons ignorer. Notre système juridique repose sur la recherche de l’intérêt général : la détermination des droits passe par la communauté, elle doit être opposée à toute forme d’individualisme.

La recherche du bien commun doit guider l’action du législateur, indépendamment de toute compassion. Chaque expérience, chaque parcours de vie, chaque souffrance ou désir est éminemment respectable. Néanmoins, les parlementaires ne doivent pas se laisser gouverner par leurs émotions ou se contenter de transcrire mécaniquement dans la loi les évolutions techniques ou sociales. Leur devoir est de transcrire dans la loi des règles applicables à tous, fondées sur une éthique partagée.

La France a fait preuve, jusqu’à présent, d’une exigence éthique dont elle peut s’enorgueillir. Certains estiment qu’aller dans le sens du moins-disant éthique permettrait d’accorder plus de liberté. Mais qu’est-ce que la liberté ? Selon Jean-Jacques Rousseau, « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ». Aussi, mes chers collègues, n’ayons pas peur d’affirmer notre liberté en défendant nos principes éthiques. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Jean-Yves Le Déaut. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en matière de recherche sur les cellules souches embryonnaires, il est difficile de contenter, d’un côté, ceux qui, par idéologie, veulent interdire toute recherche sur les cellules embryonnaires et, de l’autre, les chercheurs convaincus qu’il faut autoriser des travaux de recherche pour mieux comprendre les premiers instants de la vie.

Comment, à partir d’une première cellule indifférenciée et du même patrimoine génétique obtient-on, quelques divisions cellulaires plus tard, des cellules spécialisées ? Comment des cellules nerveuses, osseuses, hépatiques, épithéliales ou musculaires peuvent-elles être issues d’une même cellule indifférenciée ? La réponse à ces questions ne peut être trouvée que si nous travaillons sur les premiers instants de la vie. Et c’est précisément ce travail qui fera sans doute progresser la médecine.

Pourtant, alors que la recherche sur la personne humaine est aujourd’hui autorisée – même les essais thérapeutiques encadrés sont possibles – ainsi que les prélèvements sur les personnes décédées, il est très étonnant que l’on veuille interdire la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Je montrerai que cette position est due à une incompréhension.

Personnellement, je suis plus d’autant plus convaincu que les propositions d’autoriser la recherche sur les cellules souches embryonnaires qui vous ont été faites n’enfreignent en rien le principe de la dignité de la personne humaine que vous autorisez ces recherches à titre dérogatoire.

La connaissance et la recherche ont toujours constitué le moteur du progrès. L’accès à la santé, à l’énergie et à l’alimentation a fait progresser l’humanité, mais la seule véritable question qui se pose est celle du partage du progrès sur la planète.

Monsieur le ministre de la santé disait, en introduisant notre discussion, que le débat devait faire avancer les idées. Je veux évoquer deux idées qui me paraissent fausses. Elles le sont, en tout cas, telles qu’elles sont exprimées dans les documents publiés par ceux qui, aujourd’hui, ont réussi à convaincre la majorité qu’il fallait maintenir l’interdiction de la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

Première idée fausse : contrairement à ce qui est souvent relaté de façon infidèle, personne ne propose d’autoriser des recherches sur l’embryon et il ne s’agit pas de créer un embryon pour faire de la recherche. Les recherches portent, en fait, sur des cellules prélevées sur des embryons surnuméraires qui, en dehors de tout projet parental, sont destinés à être détruits.

Ces éléments réduisent à néant certains des arguments qui ont pu être exprimés dans cet hémicycle.

Aujourd’hui la loi permet de détruire ces embryons après cinq ans de conservation ; comment imaginer qu’elle ne permette pas d’utiliser ces cellules souches pour les progrès de la médecine ? En quoi y a-t-il manquement à la dignité humaine dans ce travail sur les premiers instants de la vie ?

Pour certains députés, il ne faut pas se contenter de ne pas prélever de nouvelles cellules souches embryonnaires en France et de ne pas en importer de l’étranger : ils sont allés jusqu’à déposer des amendements, repoussés par la commission spéciale, demandant l’arrêt de toute recherche sur les lignées de cellules souches embryonnaires existantes.

Pourtant, je le répète, une cellule souche embryonnaire n’est ni un enfant, ni un embryon, ni un zygote, ni un œuf : en aucun cas elle ne peut être considérée comme une personne humaine. Malheureusement, cette dernière idée s’est instillée dans le débat. Un certain nombre d’associations la reprennent, même si c’est de manière subliminale. Permettez-moi de vous lire des extraits de ce qu’elles écrivent dans les luxueux documents qu’elles nous font parvenir. « La recherche sur l’embryon entraîne sa destruction », prétendent-elles. C’est faux. La recherche sur l’embryon n’entraîne pas sa destruction. À preuve, dans le cadre du diagnostic préimplantatoire, on peut prélever une cellule lorsque l’embryon est au stade où il en compte huit, sans empêcher le développement de celui-ci. Je poursuis ma lecture : « L’embryon, être humain, ne peut-il être qu’un projet pour d’autres ? […] Le stockage d’embryons surnuméraires contourne l’obstacle de l’interdiction de la production d’embryons pour la recherche. […] Est-il convenable de congeler un être humain ? » Je ne peux qu’être en désaccord avec de telles assertions, que certains membres de la majorité ne sont pas loin de partager.

La deuxième idée fausse consiste à faire croire qu’il peut exister des alternatives à la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Ainsi, on peut lire dans la même brochure : « La conservation du sang de cordon ombilical nous semble préférable. La plupart des chercheurs s’accordent aujourd’hui à estimer que la recherche sur l’embryon est inutile sur le plan thérapeutique. » Certains prétendent en effet que les cellules souches du cordon ou les cellules souches adultes pourraient être redifférenciées. Or c’est précisément la recherche qui permettra de comprendre si, en dédifférenciant une cellule souche musculaire afin de la différencier à nouveau, on peut effectivement revenir au point zéro de sa programmation. Pour l’instant, on ne sait pas si cette redifférenciation est possible. En n’autorisant pas ces recherches, on empêche la compréhension de ces phénomènes et l’on s’interdit, comme le disait René Frydman, de développer l’innovation thérapeutique.

Troisièmement, il est évident qu’une telle interdiction brouille notre image au plan international. Est-il en effet logique d’importer des cellules souches, comme le souhaitent certains, dès lors que nous avons des embryons surnuméraires appelés à être détruits ?

Non, madame la secrétaire d’État, il n’y a pas de recul de la civilisation, comme je l’ai lu aujourd’hui. Le recul, ce serait de renoncer à comprendre les premiers instants de la vie. L’histoire de l’humanité est fondée sur la quête de connaissance. Certes, la loi doit fixer des garde-fous ; c’est ce que nous avons fait en 2004, lorsque nous avons refusé le clonage reproductif, qui a été qualifié de crime contre l’espèce humaine. Mais « interdire avec autorisation » – le président de la commission n’a pas voulu le dire, tout à l’heure –, c’est tout de même faire preuve d’une certaine forme d’hypocrisie…

M. Paul Jeanneteau. Ah non, pas ça !

M. Jean-Yves Le Déaut. …ou tenir un double langage. Car à quoi cela sert-il d’interdire si l’on donne quasi systématiquement l’autorisation ?

M. Jean Leonetti, rapporteur. Et l’inverse ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Dans le droit positif, monsieur le rapporteur, ce qui n’est pas interdit est autorisé. Il est vrai que, s’agissant d’autres sujets, je crois percevoir, dans la majorité, des évolutions sur ce point.

L’équilibre du texte ne doit pas refléter un équilibre au sein de la majorité,…

M. Paul Jeanneteau. Occupez-vous donc de la majorité au parti socialiste !

M. Jean-Yves Le Déaut. …car, sur ces questions, vous êtes parfois très éloignés les uns des autres. Certes, chacun a ses convictions dans ce type de débats. Mais nous nous honorerions de confirmer la position qui a été votée au Sénat et dans notre commission. J’ignore si ce sera le cas, car j’ai constaté que ce sujet faisait l’objet d’appels à une forte mobilisation.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Ce sera le cas !

M. Jean-Yves Le Déaut. En tout état de cause, chacun doit voter selon ses convictions, en son âme et conscience. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la révision des lois bioéthiques est un moment démocratique important. Précédée d’états généraux, elle permet aux citoyens de débattre et de s’exprimer sur des sujets qui les concernent directement et qui sont d’actualité. Il revient ensuite à la représentation nationale de délibérer pour opérer des choix situés à l’intersection des avancées de la science et des règles du vivre ensemble dont notre nation veut se doter.

Or l’arbitrage peut être délicat. Notre devoir de législateur est d’adopter des positions au service du plus grand nombre, tout en respectant l’intérêt singulier des personnes dans des domaines où les clivages politiques, religieux ou philosophiques sont très fortement marqués. Néanmoins, nous devons nous attacher, dans ce domaine plus que dans tout autre, à rechercher le consensus : un consensus centré sur le bien-être de la personne humaine, dont il faut bien mesurer la grande diversité. Cette exigence devrait nous interdire toute prise de position dogmatique, aveugle aux besoins d’une société humaine complexe et en perpétuel mouvement.

Le projet de loi que nous examinons est globalement équilibré. Il prend acte des évolutions de la société et des avancées de la recherche. Toutefois, nous pourrions aller plus loin sur certains points, sans pour autant remettre en cause l’esprit de nos débats, fondé sur le respect des différences.

Dans ses premiers articles, le texte améliore l’encadrement des tests sur le patrimoine génétique, précise mieux leur finalité et protège davantage la société contre les dérives et les discriminations qui pourraient en résulter. En matière de discriminations, nous pouvons également nous féliciter de l’introduction par le Sénat – et de l’adoption avec modification par notre commission – d’un amendement à l’article 5 quinquies AA qui précise que « nul ne peut être exclu du don de sang en dehors de contre-indications médicales ». Ces quelques mots mettent enfin un terme à des dispositions aussi inutiles que stigmatisantes visant les hommes homosexuels, lesquels se voyaient jusqu’ici exclus du don de sang sous le fallacieux prétexte qu’ils auraient des pratiques sexuelles à risque. En effet, nul ne peut préjuger des comportements et de la prise de risque de telle ou telle personne sur le seul fondement de son orientation sexuelle.

Ce point méritait d’être souligné, car il témoigne d’une évolution positive de la société, qui tend, petit à petit, à se débarrasser de préjugés infondés, stigmatisants, voire obscurantistes. À ce propos, je tiens à faire remarquer que nos collègues socialistes ont déposé un amendement tendant à faire disparaître les derniers reliquats de cette discrimination énoncée dans l’arrêté du 12 janvier 2009. J’espère que cet amendement sera voté à l’unanimité.

Nous nous félicitons également que, dans le cadre du diagnostic prénatal, soient désormais proposés à toute femme enceinte des examens visant à évaluer le risque que l’embryon ou le fœtus présente une affection grave. C’est une avancée importante qui vient renforcer les droits des femmes.

Par ailleurs, les dispositions relatives au don d’organes, outre qu’elles élargissent le cercle des donneurs aux personnes entretenant une relation proche avec le receveur, prévoient, avec le don croisé, une dérogation justifiée qui ne remet pas en cause le principe d’anonymat auquel nous tenons.

Les nouvelles dispositions sur le don de sang de cordon et de sang placentaire sont également de nature à permettre de surmonter les difficultés liées notamment à la pénurie de donneurs de moelle. Ouvrant la voie à des thérapies porteuses d’espoir pour les malades, ces prélèvements sont moins pénibles pour les donneurs et simplifiés pour la communauté médicale.

S’agissant du don d’organes, nous sommes confrontés, en France, à une pénurie très pénalisante pour les malades, qui exige que nous nous attachions à apporter des réponses novatrices. Actuellement, les campagnes d’information ne sont pas à la hauteur des besoins. Je pense particulièrement aux prélèvements d’organes effectués sur des personnes en état de mort cérébrale. On peut facilement comprendre que les familles, choquées, bouleversées suite à un décès brutal et auxquelles on demande l’autorisation de prélever un organe, refusent. C’est évidemment en dehors de ces situations dramatiques qu’il faut aborder ces sujets, en débattre et réfléchir avec l’ensemble des citoyens.

On constate que, dans d’autres pays, le taux d’implantation est très supérieur à ce qu’il est en France. Notre rôle est donc de prendre des dispositions pour informer l’ensemble de la population de ces problèmes et l’inviter à se prononcer librement, afin de limiter les difficultés rencontrées pour effectuer ces prélèvements en cas de décès. C’est pourquoi nous proposerons, par voie d’amendement, deux dispositions qui nous paraissent utiles : premièrement, une information systématique par les médecins, qui pourraient, par exemple, remettre des documents à leurs patients et en parler avec eux ; deuxièmement – j’ai entendu Olivier Jardé exprimer un autre point de vue à ce sujet –, la création d’un fichier de consentement symétrique de celui du refus, en conservant bien entendu l’actuel accord présumé pour les personnes qui ne se sont pas prononcées de leur vivant.

Il s’agit d’un sujet complexe, qui fait débat. Mais nous pensons que, si aucun texte de loi ne peut remplacer le dialogue singulier entre l’équipe médicale et les proches, ce fichier pourrait permettre à ces équipes, qui font un travail remarquable et difficile, d’engager plus facilement le dialogue. Cette disposition restera cependant inopérante si nous ne lançons pas rapidement une importante campagne d’information sur les dons d’organes.

Toujours dans le registre du don, je voudrais aborder plus particulièrement celui des gamètes, dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation. Le texte issu du Sénat offrait aux couples de femmes la possibilité de recourir à l’AMP, passant ainsi du paradigme de l’infertilité médicale à celui de l’infertilité sociale. C’est un débat que nous ne devons pas occulter, puisqu’il se fait jour dans notre société. Toutefois, je ne crois ni sérieux ni raisonnable de le trancher dans ce texte par voie d’amendement.

En effet, une telle disposition, si elle était adoptée, soulèverait plusieurs problèmes, sur le plan tant sociétal et civique que financier, sur lesquels il faudrait statuer. Certains refusent cette hypothèse, souhaitant rester dans le cadre de l’infertilité médicalement constatée ; d’autres sont prêts à examiner la possibilité d’étendre le recours à la PMA aux personnes qui la demandent pour des raisons sociétales et non plus seulement médicales. En tout état de cause, on ne peut prendre de décision à la légère, même si rien n’interdit évidemment d’aborder ce débat dès à présent, lors de l’examen de ce texte, chacun ayant la possibilité d’exposer son opinion, comme l’a fait M. Mamère.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Il est déjà parti !

Mme Jacqueline Fraysse. S’agissant de l’autorisation pour les personnes nullipares de donner leurs gamètes et de bénéficier en contrepartie d’un stockage pour elles-mêmes, je ne vous cache pas que cette disposition nous préoccupe. Au reste, les deux chambres parlementaires n’ont pas exprimé le même avis. Si l’on peut comprendre, compte tenu de la pénurie de gamètes et notamment d’ovocytes, les motivations d’une telle disposition, nous pensons néanmoins qu’elle n’apporte pas une bonne réponse à un véritable problème. Certes, les délais d’attente pour obtenir un ovocyte – autour de trois ans – sont trop longs : actuellement, en France, on enregistre 2 000 à 3 000 demandes pour environ 300 donneuses d’ovocytes par an, ce qui nécessite que l’on élargisse le cercle des donneurs.

Il nous semble cependant que, plutôt que d’élargir le cercle aux personnes sans enfant, il serait plus pertinent et plus efficace, compte tenu des risques qu’un tel geste fait courir à ces jeunes femmes, de lancer une grande campagne d’information auprès de celles et ceux qui ont déjà des enfants, et parmi lesquels il se trouverait sans doute nombre de personnes disposées à faire un don pourvu qu’elles en mesurent l’importance. N’oublions pas qu’en vingt-cinq ans, seulement deux campagnes d’information ont été conduites sur ce sujet, la dernière ayant été lancée après l’adoption de la loi de 2004 sur la bioéthique. Nous pourrions sans doute faire beaucoup mieux dans ce domaine et, puisque de grandes campagnes sont organisées dans le cadre du Téléthon, il doit être possible de faire la même chose pour le don de gamètes.

Notons par ailleurs que les progrès réalisés grâce aux nouvelles techniques de conservation enlèvent à l’argument de la jeunesse de la donneuse beaucoup de sa pertinence, la technique de congélation ultrarapide ayant rendu les échecs beaucoup moins fréquents. Pour toutes ces raisons, nous pensons que c’est vers une campagne d’information audacieuse que nous devrions orienter notre démarche pour remédier à la souffrance des couples stériles, plutôt que vers les dons de nullipares et la brèche qu’ouvre dans nos règles éthiques – je pense au principe d’anonymat et de don altruiste – la possibilité de conserver des gamètes pour soi-même.

Enfin, je voudrais aborder un sujet qui, à nos yeux, est sans doute le plus crucial, celui de la recherche. S’agissant des recherches sur les embryons et les cellules souches embryonnaires, nous sommes actuellement dans un régime d’interdiction, avec des dérogations autorisées par l’Agence de biomédecine pour des projets précis et de durée limitée, la plupart des demandes déposées dans ce cadre étant acceptées.

Si ce régime se justifiait, au moins pour certains d’entre nous, par la nécessaire prudence dans le cadre de l’expérimentation décidée lors de l’adoption de la loi de 2004, nous n’en sommes plus là aujourd’hui, justement parce que le recul de toutes ces années nous a permis de mesurer les enjeux et les limites à fixer, et nous sommes désormais en mesure de passer à un système d’autorisation encadrée.

Y renoncer serait grave pour la recherche. Dans une première phase, la recherche n’a pas été trop gênée par le régime auquel elle était soumise, mais, après avoir beaucoup progressé, nous sommes entrés dans une phase d’application plus concrète, que le maintien du régime pénaliserait, notamment en termes d’investissements.

Notre pays risque de se trouver pénalisé au sein de la communauté scientifique internationale. Le Sénat a eu l’intelligence et la sagesse d’adopter le régime d’autorisation encadrée. Il serait vraiment dommage que notre assemblée n’ait pas le courage de prendre la même décision.

M. Roland Muzeau. Très bien !

Mme Jacqueline Fraysse. Pour conclure, je veux répéter qu’il s’agit là d’un sujet essentiel et qu’il serait profondément regrettable que notre groupe soit conduit à ne pas voter ce texte en raison de quelques dispositions rétrogrades sur la recherche, alors que nous l’estimons globalement positif. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Vuilque.

M. Philippe Vuilque. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous abordons aujourd’hui la deuxième lecture de la loi bioéthique après son examen par le Sénat.

Sur certains points, le Sénat est venu préciser et enrichir les dispositions adoptées en première lecture par notre assemblée. Sur d’autres, il a profondément modifié le texte initial. C’est le cas de l’article 23, qui contient la disposition la plus importante de cette loi bioéthique, relative à la recherche sur l’embryon. En effet, le Sénat a, contre l’avis du Gouvernement, réécrit l’article 23, autorisant ainsi les recherches sur l’embryon, confortant de fait notre position et les avis convergents exprimés sur le sujet par une grande majorité de scientifiques, mais aussi par le Conseil d’État et par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Le Sénat vient de contrecarrer la frilosité de notre législation en reconnaissant la nécessité d’un régime d’autorisation encadrée. Notre commission spéciale, dans sa majorité et avec le soutien de nombreux députés du groupe UMP, s’est également prononcée en faveur de ce régime d’autorisation encadrée, montrant qu’il est possible de marier la raison et la sagesse, le progrès scientifique et le respect de règles éthiques fondamentales. Nous devons en effet concilier le droit du chercheur à faire progresser la science, le droit du malade à disposer des progrès de la science et le respect de la dignité humaine.

La recherche sur l’embryon fait craindre à certains une utilisation contraire à l’éthique. Comme l’a très bien expliqué Jean-Yves Le Déaut tout à l’heure, toute recherche sur l’embryon n’entraîne pas nécessairement sa destruction de celui-ci. L’embryon n’est évidemment pas une « chose » et l’encadrement des recherches est indispensable – ce que fait excellemment l’Agence de biomédecine, garante du sérieux de nos recherches, mais aussi de leur actualisation.

Il n’y a pas une recherche qui serait plus éthique et une autre qui le serait moins selon nos opinions philosophiques ou religieuses, chacun ayant d’ailleurs des conceptions différentes du début de la vie : il y a une recherche au service de la vie. Le recours aux cellules souches embryonnaires humaines reste encore, dans certains cas, le seul moyen d’élucider certains mécanismes pathologiques. Les travaux d’une équipe du laboratoire de l’INSERM sur la dystrophie myotonique de Steinert, l’une des myopathies les plus fréquentes, le montrent. Sachant qu’il est impossible de prélever des neurones en quantité suffisante chez les patients, les chercheurs ont suscité la différenciation en neurones moteurs à partir des cellules embryonnaires humaines porteuses des mutations génétiques associées à la maladie. En les comparant à des neurones obtenus à partir des cellules souches embryonnaires, ils ont découvert certaines propriétés des cellules malades. Des molécules susceptibles de corriger ces anomalies cellulaires sont actuellement en test. Cet exemple montre combien l’autorisation de la recherche encadrée est porteuse d’espoir dans la lutte contre les maladies dégénératives.

Le rapporteur pourrait me dire que le système actuel n’empêche pas de mener à bien des recherches de ce type. Certes mais, comme l’a dit Olivier Jardé tout à l’heure, les programmes de recherche sont souvent internationaux et l’interdiction fragilise la recherche nationale, qui participe souvent à ces programmes.

À ce moment de la discussion, je souhaite que nous ayons une pensée pour les enfants atteints de maladies rares et pour leurs parents, dont le seul espoir est la recherche sur l’embryon. Nos médecins nous ont montré combien ils savaient être brillants dans ce domaine. Il est indispensable de leur faire confiance pour que les avancées fondamentales tant espérées aient lieu. Donnons-leur l’autorisation encadrée qu’ils réclament.

Le Sénat a compris que nous devions sortir de ce balancement chaotique entre interdiction et dérogation. Évitons cette position hypocrite, confortable électoralement pour certains, mais ô combien nocive pour l’efficacité et la crédibilité de notre recherche. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Paul Jeanneteau. Complètement nul, cet argument ! Ce n’est pas à la hauteur du débat !

M. Philippe Vuilque. Quand je dis que cette position est confortable électoralement, je ne condamne pas, je fais simplement un constat.

M. Paul Jeanneteau. Vous voyez vraiment les choses par le petit bout de la lorgnette !

M. Philippe Vuilque. Je souhaite que la raison l’emporte et que nous fassions un pas vers le progrès, comme l’a fait le Sénat. Malheureusement, la réponse qui a été donnée tout à l’heure dans le cadre des questions au Gouvernement ne semble pas aller dans ce sens, et l’équilibre dont parlait le ministre paraît s’appliquer à la majorité plutôt qu’au texte.

Enfin, je veux me féliciter de l’adoption conforme par le Sénat de l’article 22 du projet de loi. Cet article prévoit que le nombre d’ovocytes fécondés dans le cadre d’une l’assistance médicale à la procréation doit être « limité à ce qui est strictement nécessaire à la réussite » de celle-ci, formulation qui permet aux médecins de décider de l’utilisation du nombre d’ovocytes nécessaires en évitant le contingentement, ce qui constitue un compromis acceptable.

Pour conclure, madame la ministre, j’ai le sentiment que, si vous maintenez votre position avec le soutien de votre majorité, nous allons faire perdre un temps précieux à la recherche française. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Paul Jeanneteau. De bien petits arguments ! Ce n’est vraiment pas brillant !

M. le président. La parole est à Mme Véronique Besse.

Mme Véronique Besse. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en ouvrant à nouveau ce débat sur la révision des lois de bioéthique, nous mesurons la responsabilité individuelle et collective qui est la nôtre.

L’enjeu des lois de bioéthique est capital car il concerne chacun d’entre nous, tout simplement parce que c’est de l’homme qu’il est question. En tant que législateur, nous avons une mission particulière, celle de faire la loi – mais pas à n’importe quel prix. Le souci du législateur est de faire coïncider ce qui est légal et ce qui est légitime, pour mettre la loi en conformité avec la justice et l’éthique. Or, le premier devoir de justice est un devoir de protection envers les plus fragiles. Les Français nous ont rappelé lors des états généraux que « les citoyens attendent de l’État qu’il soit en mesure de protéger chacun, en particulier les plus vulnérables, contre les dérives mercantiles, les expérimentations et les pratiques qui bafouent le principe d’intégrité du corps humain ».

Ce devoir de protection, disons-le clairement, est littéralement bafoué par le texte qui nous est présenté aujourd’hui. Bafoué par l’article 9, qui inscrit dans la loi la traque au handicap et oriente notre société entière vers un eugénisme d’État ; bafoué par l’article 20, qui supprime les conditions essentielles de stabilité pour accueillir un enfant dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation et qui, ce faisant, sacralise un prétendu « droit à l’enfant », infondé juridiquement, au détriment du principe d’« intérêt de l’enfant », qui devrait au contraire nous guider.

Ce devoir de protection est bafoué, enfin, d’une manière plus grave encore, par l’article 23. Il est en effet incohérent de vouloir élargir totalement la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, alors même que les recherches alternatives ne posent aucun problème éthique et ont fait la preuve de leur efficacité,…

M. Philippe Vuilque. Mais non !

Mme Véronique Besse. …ainsi que le législateur ne peut plus ignorer.

Permettez-moi également de dire à ceux qui voudraient autoriser la recherche sur l’embryon que, si le projet de loi était adopté en l’état, ils porteraient une lourde responsabilité. Nous savons tous les pressions très vives qui sont exercées par les laboratoires pharmaceutiques dans ce domaine.

Mme Catherine Génisson. Allons ! Ce n’est pas sérieux !

Mme Véronique Besse. Nous savons que l’embryon peut constituer un marché juteux pour fabriquer à moindre coût de nouvelles molécules. Mais il n’y a pire aveugle que celui qui ne veut pas voir !

J’ajoute que l’existence de lois transgressives à l’étranger n’est pas non plus un argument recevable pour justifier un « alignement » qui ne serait, en définitive, qu’un nivellement par le bas.

La France, parce qu’elle est l’héritière d’une certaine conception de l’homme, peut et doit, au contraire, tirer vers le haut la réflexion bioéthique des autres pays qui sont confrontés aux mêmes choix que nous.

Je voudrais dire, pour conclure, que le projet de loi que nous étudions mériterait le nom de « bioéthique » s’il était réellement au service de l’homme. Mais j’ai plutôt le sentiment, permettez-moi de le dire, qu’il se sert de l’homme, au mépris du respect et de la protection qui lui sont dus.

Pour ma part, je ne cautionnerai pas un texte aussi transgressif et dangereux, quels que soient les anesthésiants que l’on voudra bien nous donner ici où là. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

C’est pourquoi je vous demande, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, de mesurer la responsabilité qui est la nôtre. Il est encore temps de redonner du sens à ce projet de loi, mais aussi de redonner du sens à la politique, qui n’est jamais plus noble que quand elle est au service de l’homme.

M. Dominique Souchet. Très bien !

M. Roland Muzeau. On dirait du Monseigneur Vingt-Trois !

M. le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission spéciale, chers collègues, il est vrai que le Sénat a apporté quelques novations significatives qui constituent d’une certaine façon le signal que la discussion reste ouverte pour accueillir des modifications substantielles.

Il a ainsi proposé, pour la recherche sur l’embryon et sur les cellules souches embryonnaires, de substituer au régime actuel d’interdiction avec dérogation un régime d’autorisation encadrée. Il a par ailleurs autorisé l’accès des couples homosexuels féminins à l’assistance médicale à la procréation.

Au cours de la seconde lecture, une partie des avancées que l’on pouvait attendre a disparu, une autre a fait l’objet d’un basculement qu’il faut préserver, enfin une dernière n’est pas venue. Ces trois situations correspondent à trois sujets qui sont l’assistance médicale à la procréation, les recherches sur les cellules souche et la gestation pour autrui.

En ce qui concerne l’assistance médicale à la procréation, l’article L. 1241-1 du code de la santé publique, tel qu’il se présente à notre discussion, la réserve à l’homme et à la femme constituant un couple. Certes, le mot « mariés » et la condition de stabilité mesurée en années ont disparu. Néanmoins, la définition majoritaire de ce qu’est un couple, à savoir un homme et une femme, est restée.

De la sorte, et alors même que la finalité thérapeutique existerait, un couple où l’une des deux femmes ne pourrait avoir d’enfant n’aurait pas le droit de recourir à cette technique. Rien, sauf le refus d’évoquer et d’accepter ce que je désignerai comme une part de l’homoparentalité, ne justifie cette position.

Le deuxième sujet est la recherche sur les cellules souches et les embryons. L’article L. 2151-5 du code de la santé publique prévoit, selon les termes de la rédaction proposée, qu’aucune recherche sur l’embryon humain et sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation.

Cette rédaction constitue à l’évidence un progrès, puisque à l’interdiction avec dérogation succède le principe de recherches sous condition d’autorisation. Cette modification acquise en commission doit être préservée.

D’une part, les découvertes résultant des recherches sur les embryons surnuméraires sans projet parental conduites à des fins médicales et scientifiques sont et seront sources de découvertes importantes.

D’autre part, ces recherches sont synonymes de progrès pour des patients chez qui l’on a diagnostiqué une maladie à l’issue souvent fatale et à laquelle la recherche pourra un jour porter remède.

Néanmoins, il y a lieu de souligner que la condition posée, selon laquelle aucune autre solution que les recherches sur les embryons, les cellules souches ou des lignées de cellules souches ne soit possible pour arriver au résultat escompté, peut être difficile à apprécier et devra faire l’objet d’une attention particulière au moment de l’évaluation de la loi.

Le troisième sujet concerne la gestation pour autrui. Depuis 1994, cette pratique est refusée par la loi. Il nous aurait pourtant fallu affronter la réalité car cette évolution est irréversible. Plutôt que de la refuser en tant que telle, il aurait fallu avoir le courage de l’encadrer juridiquement et éthiquement. J’ai moi-même rédigé un long amendement visant à en définir le cadre. J’ai renoncé à le présenter, estimant qu’une proposition de loi serait plus à même d’en permettre le débat sans parasiter et paralyser la discussion sur d’autres points du projet.

Enfin, il faut quand même préciser que le législateur, dans des pays comme le Royaume-Uni ou le Canada, a posé des conditions. En un mot, dans ces pays, la gestation pour autrui est acceptée, mais encadrée pour bien montrer qu’il ne s’agit pas et qu’il ne peut s’agir d’une location d’utérus ou d’un acte de prostitution de la maternité.

M. Paul Jeanneteau. Pourtant, ce sont toujours les plus pauvres qui acceptent de le faire !

Mme Marietta Karamanli. On ne voit pas, dans ces pays, des dérives telles que celles que l’on nous promet.

Dans sa nouvelle version, ce projet comporte à la fois des avancées, des reculs par rapport à des avancées antérieures et des situations de statu quo insatisfaisantes. Au-delà, je voudrais dire en quelques mots en quoi il ne prend qu’imparfaitement la mesure des changements intervenus sur le plan scientifique sur le plan sociologique et sur celui des valeurs.

S’agissant d’abord des changements scientifiques, les nouvelles techniques conduisent à dissocier la sexualité de la parentalité et à distinguer les différents temps de la procréation. Ces changements suscitent des attentes et des demandes auxquelles nous n’étions pas confrontés auparavant.

À ces techniques fait écho la reconnaissance de faits sociologiques nouveaux. La famille nucléaire traditionnelle a changé ; elle n’est plus fermée sur elle-même ; elle n’est pas définitivement figée. Cela n’emporte pas la disparition des genres et des fonctions paternelle, maternelle ou parentale, quels que soient ceux qui les exercent. Cette transformation n’entraîne pas non plus la disparition ou l’affaiblissement de la société. Celle-ci s’appuie heureusement sur d’autres bases, par exemple sa souveraineté et ses ressources matérielles et morales.

En ce qui concerne, enfin, les changements de valeurs, la liberté des individus et des choix est plus grande aujourd’hui. Valorisée par les idées de concurrence et de réussite, elle est aussi la conséquence d’un meilleur respect de la conscience de chacun. Cette liberté ne fait pas dépendre le destin de chacun de ses seuls désirs ; elle s’inscrit dans des choix collectifs qui déterminent un équilibre à trouver. Cet équilibre nouveau ne peut cependant pas être la reconstitution à l’identique des cadres passés.

Pour ces raisons, notre loi doit prendre en considération ce que la société est en train d’inventer, pour en garantir l’équilibre et permettre à chacun de contribuer à celui-ci. Je ne peux que souhaiter, mes chers collègues, que nous soyons ensemble attentifs à ces évolutions présentes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson.

Mme Catherine Génisson. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission spéciale, mes chers collègues, nous voici réunis pour examiner en seconde lecture le projet de loi de bioéthique, texte très important qui engage l’avenir de notre pays pour de nombreuses années.

La représentation nationale joue pleinement son rôle lorsqu’elle débat de tels enjeux de société et de civilisation. Nous abordons avec ce texte toute une série de sujets très sensibles ayant trait à l’humain. Je ne peux que me féliciter, une fois de plus, de la qualité de nos débats au sein de la commission spéciale, mais aussi de la mission d’information. Je veux le dire solennellement : nous avons tous été totalement hermétiques à quelque lobbying que ce soit, qu’il s’agisse des milieux pharmaceutiques ou d’autres.

Je veux remercier très chaleureusement le président de notre commission spéciale pour sa direction des débats, toujours très respectueuse des opinions de chacun, par-delà ses convictions fortes, fruit d’une excellente maîtrise de ces enjeux cruciaux.

Je remercie aussi notre rapporteur Jean Leonetti, toujours à la recherche du compromis, même s’il est important de proposer, à la suite de compromis, une solution claire. Nous avons beaucoup discuté de ces sujets et avons trouvé de nombreux terrains d’entente, même si, parfois, l’issue de nos débats ne nous satisfait ni l’un ni l’autre ! (Sourires.)

M. Roland Muzeau. N’ayez pas peur, monsieur Leonetti !

Mme Catherine Génisson. Le sujet qui semble fondamental dans cette révision de la loi bioéthique est celui de la relation de nos concitoyens à la recherche. C’est vraiment là le cœur du débat, comme l’a très bien rappelé dans son propos le président de la commission spéciale.

Très clairement, si transgression il y a, elle date de 1994. Bien que très respectueuse de l’opinion de certains, qui refusent l’expérimentation sur la cellule embryonnaire – et je ne peux que respecter cette position –, je dois dire que la dérogation ne protège pas. Ce n’est pas la solution. Si l’on est vraiment opposé à la recherche sur la cellule embryonnaire, il faut voter contre la dérogation. Certains amendements, présentés par plusieurs de nos collègues, tendent d’ailleurs à ce but, conformément à l’opinion et à l’engagement de leurs auteurs. Je ne partage évidemment pas cette position, mais je la respecte, même s’il est par ailleurs important que la représentation nationale travaille dans le cadre d’une République laïque.

En 2004, nous avions interdit la recherche sur la cellule embryonnaire et permis la dérogation. Nous avons donc derrière nous six ans d’expérience, au cours desquels des recherches ont pu être effectuées dans d’excellentes conditions, en particulier grâce à la qualité de l’encadrement par l’Agence de la biomédecine. C’est à la lumière de ces six années d’évaluation que je pense pouvoir dire que l’interdiction avec dérogation n’est pas satisfaisante pour ceux qui sont opposés à la recherche sur la cellule embryonnaire.

Celle-ci, au demeurant, peut apporter beaucoup d’informations sur ce que nous sommes et sur nos dysfonctionnements, avant même d’imaginer des avancées thérapeutiques, comme l’a excellemment dit tout à l’heure notre président. Il me semble aujourd’hui tout à fait important de concilier éthique et progrès scientifique et d’avoir un contrat clair avec le monde de la recherche.

On peut me dire que l’interdiction avec dérogation est la même chose que la recherche avec encadrement. Le résultat, certains l’ont dit, peut effectivement être similaire, mais la nature du contrat n’est pas du tout la même. Dans le cas de l’interdiction avec dérogation, nous sommes dans une relation de suspicion par rapport aux chercheurs, que ce soit au niveau national ou international. À l’inverse, dans le cas de l’autorisation avec encadrement – d’ailleurs très strict –, nous sommes dans une relation de confiance avec la recherche.

En ce qui me concerne, je pense que c’est vraiment là le contrat citoyen que nous devons avoir avec nos chercheurs. Cela me semble tout à fait fondamental pour concilier les règles éthiques que nous nous imposons et l’accompagnement du projet scientifique. Mais nous aurons certainement l’occasion d’y revenir dans le cours du débat.

En tout état de cause, il me semble vraiment important d’adopter la position du Sénat, que nous avions soutenue pour notre part en première lecture et qui a d’ailleurs été adoptée lors des travaux de notre commission spéciale en seconde lecture. J’interpelle donc avec force le Gouvernement pour que nous adoptions une position claire par rapport au monde de la recherche, au niveau tant national qu’international. Ce n’est pas du laxisme de notre part : nous voulons, encore une fois, la dignité de la personne humaine et le respect de cette dignité, et nous refusons la marchandisation du corps humain.

Le deuxième sujet que je voulais aborder concerne le don du sang. Tout d’abord, je veux évoquer l’aspect discriminatoire de l’arrêté du 12 janvier 2009 qui exclut les donneurs de sang homosexuels en raison de leur orientation sexuelle, alors qu’aucune raison médicale ne justifie plus cette exclusion.

Le Sénat, en première lecture, a d’ailleurs voté une modification de cet arrêté en prévoyant que « nul ne peut être exclu en dehors de contre-indications médicales ». Mais, sur cet enjeu crucial de discrimination éventuelle, l’incertitude demeure, puisque l’arrêté du 12 janvier 2009 inclurait l’existence de rapports homosexuels entre hommes dans les contre-indications médicales en raison du risque de transmission d’une infection virale. La modification du Sénat ne change donc pas toutes les données du problème. L’amendement présenté par notre collègue Catherine Lemorton vise à clarifier dignement ce débat.

Je voudrais également mettre l’accent sur l’un des amendements que défend le groupe socialiste. La disposition en question est d’ailleurs sollicitée par l’Établissement français du sang. En effet, je rappelle que le don du sang en France respecte des principes éthiques stricts, à savoir le caractère anonyme et gratuit du don. Ce n’est pas le cas dans d’autres pays, y compris en Europe. Au cours du débat, nous proposerons donc que le sang importé dans notre pays respecte ces principes éthiques. C’est très important quand on sait que la commercialisation du sang et de ses dérivés n’est quant à elle pas gratuite, tant s’en faut !

Toujours en ce qui concerne le don du sang, je voudrais aborder la question de la réduction du nombre de centres dits de qualification biologique des dons, c’est-à-dire des lieux où l’on valide la qualité des poches de sang prélevé.

L’Établissement français du sang souhaite diminuer le nombre de ses centres en le faisant passer de quatorze à quatre, ce qui suscite naturellement des inquiétudes quant aux risques potentiels liés à une telle décision. En effet, le transport des tubes de sang est aléatoire. L’hiver dernier, par exemple, il aurait pu être empêché du fait du blocage de toute activité. Cela n’aurait pas de conséquence pour la transfusion d’hématies, mais le problème se pose pour la transfusion de plaquettes. Le passage de quatorze à quatre du nombre de centres risque d’être préjudiciable à la qualité des travaux de l’Établissement français du sang. Il faudra aussi penser au reclassement du personnel, qui est très inquiet de son avenir.

Enfin, l’Établissement français du sang a pris une décision importante : la réduction drastique des lieux et du nombre de prélèvements, en particulier dans les petites communes. Je voudrais rappeler que la France est autosuffisante en matière de prélèvements et de dons du sang, mais que l’on se dépanne d’une région à l’autre ou à l’intérieur d’une même région, et qu’il est très important de respecter le côté militant du donneur de sang, qui peut permettre d’augmenter de façon substantielle le nombre de dons en période de crise. La politique actuelle consistant à limiter le nombre de prélèvements, en particulier dans les petites communes, est très préjudiciable à l’expression de la solidarité nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Je rappelle aux collègues qui s’étonnent des dépassements de temps de parole que nous sommes sous le régime du temps programmé et que nous sommes loin d’avoir épuisé les temps de parole respectifs des groupes. Ceux qui figurent sur la feuille jaune ne sont qu’indicatifs et je n’ai donc pas à faire la police – mais vous savez que, lorsque j’ai à la faire, ça marche ! (Sourires.)

La parole est à M. Armand Jung.

M. Armand Jung. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, j’ai eu l’honneur, comme d’autres députés de tous bords politiques, de faire partie de la mission d’information sur la révision des lois bioéthiques, puis de la commission spéciale chargée d’élaborer le projet de loi relatif à la bioéthique qui nous est soumis aujourd’hui.

Sans être un scientifique averti ou un philosophe avéré, je suis entré dans ce débat avec un certain nombre de convictions, comme beaucoup d’entre vous. Mais au fur et à mesure des auditions, des réflexions et des échanges, je me suis rendu compte que les questions que nous abordons aujourd’hui sont extrêmement complexes et sensibles, car liées à l’intimité des personnes. Elles sont complexes parce que l’évolution scientifique est telle qu’elle nous donne parfois le tournis. Mais, dans le même temps, j’ai intégré la nécessaire modestie avec laquelle nous devons mener ce débat, car nous n’avons toujours pas résolu jusqu’à présent– mais le pourrons-nous un jour ? – la question du début de la vie et du statut de l’embryon, ni même celle de la fin de la vie. Et pourtant, ces questions sont au cœur de toutes les décisions que nous sommes amenés à prendre.

J’ai bien évidemment écouté et entendu les convictions, le croyances des uns et des autres, qui nous sont souvent communes. Malgré la richesse de nos débats, et malgré le sérieux des scientifiques, des médecins et des philosophes qui se sont exprimés devant notre commission, je reste animé par de profonds doutes.

Au-delà des certitudes affichées, au-delà des idées préconçues dont les lobbies de tous bords se sont largement fait les porte-parole, j’ai acquis deux convictions qui ne sont pas forcément celles que j’avais initialement, et qui me guident dans mes réflexions et dans mes votes.

Ma première conviction, qui est fondamentale, c’est que la vie doit aller à la vie. Si l’on adopte cette ligne directrice, beaucoup de nos problèmes apparaissent sous un jour nouveau. Je fais naturellement allusion à la partie du texte consacrée à la recherche sur les embryons surnuméraires. Au nom de quels droits supérieurs pourrais-je, pourrions-nous interdire, limiter ou entraver la recherche sur les embryons surnuméraires, alors qu’il s’agit de sauver des vies et de redonner espoir à des familles et des couples qui sont dans la souffrance ?

Ma seconde conviction, c’est que nous ne sommes ni des juges ni des censeurs. Nous n’avons pas à juger les relations personnelles et intimes entre adultes, du moment qu’elles sont pleinement consenties, et encore moins les pensées ou les démarches de couples. Au nom de quels principes universels, culturels, religieux ou philosophiques aurais-je, aurions-nous le droit d’imposer à nos concitoyens des normes, des comportements et, finalement, leur manière de vivre et de s’aimer ?

Je partage les propos du professeur René Frydman qui, s’inspirant du philosophe Emmanuel Kant, a récemment affirmé : « L’éthique de conviction des uns ne peut s’appliquer à tous. La société doit s’approcher d’une éthique de responsabilité commune. »

C’est dans cet état d’esprit, et toujours avec le souci que la vie doit aller vers la vie, que je soutiendrai la position de mon groupe telle qu’elle sera exprimée par mon collègue Alain Claeys. C’est également dans cette optique que j’ai cosigné les amendements qu’il a déposés dans le cadre de ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Nauche.

M. Philippe Nauche. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les sénateurs ont profondément modifié le texte du projet de loi bioéthique tel que nous l’avions adopté en première lecture.

Je souhaite pour ma part évoquer deux aspects de ce texte dont nous allons devoir débattre à nouveau. Ces deux points sont à mes yeux fondamentaux. Il s’agit de la recherche sur l’embryon et de l’accès à l’assistance médicale à la procréation.

En ce qui concerne la recherche sur l’embryon, la position du Sénat a le mérite de faire progresser les choses dans le sens de la responsabilité, de la clarté et de la mise en perspective pour les équipes de recherche.

De quoi s’agit-il ? Il s’agit de sortir d’un régime d’interdiction-dérogation tel que nous le connaissons aujourd’hui, pour établir un régime d’autorisation encadrée, ce qui, à nos yeux, constitue un véritable progrès, au moins dans la sincérité de l’expression. Nous considérons, en effet, que le régime d’interdiction avec dérogation tel que nous le connaissons aujourd’hui n’apporte pas plus de garanties qu’une autorisation encadrée, dans la mesure où l’encadrement de ces recherches par l’Agence de la biomédecine sera maintenu.

Je tiens à rappeler aussi que le régime d’encadrement proposé est extrêmement strict. En effet, les protocoles de recherche sur un embryon humain ou sur les cellules souches embryonnaires ne pourront être autorisés que s’ils remplissent plusieurs conditions cumulatives.

Ces conditions sont : que la pertinence scientifique de la recherche soit établie ; que la recherche soit susceptible de permettre des progrès médicaux majeurs ; qu’il soit impossible, en l’état actuel des connaissances scientifiques, de mener une recherche similaire sans recourir à des cellules souches embryonnaires ou à des embryons, même si cette formulation pose problème quant à son interprétation ; que le projet et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur les cellules souches embryonnaires et les embryons.

Dans ces conditions, nous pouvons considérer que cet encadrement présente des garanties importantes du point de vue de l’éthique et du respect dû à l’embryon, car il s’agit bien d’utiliser des cellules d’embryons ne faisant plus l’objet d’un projet parental et voués à la destruction.

Si j’insiste particulièrement sur l’aspect éthique des choses, c’est afin de dépasser d’autres débats qui n’ont pas ici lieu d’être. Je considère en effet qu’il n’y a pas de position philosophique ou religieuse qui serait le Bien et au nom de laquelle interdire ces recherches, tout en autorisant d’ailleurs à trouver des arrangements lorsque c’est nécessaire, avec des dérogations accordées en fonction des besoins. Toutes les positions sont respectables, mais elles doivent être regardées au travers du principe de laïcité qui régit notre république.

Je conclurai sur ce point en rappelant que ces recherches représentent un formidable espoir pour les malades et leurs familles, pour la recherche sur la procréation médicalement assistée et sur les causes d’infertilité, et que les découvertes sur les cellules souches adultes et les cellules de cordon ne remplacent pas celles sur l’embryon et les cellules embryonnaires. La rigueur de la démarche scientifique impose que les trois voies puissent être examinées en parallèle pour que l’on sache bien ce que l’on fait.

J’en viens au second point que je souhaitais aborder : l’assistance médicale à la procréation. Si cette dernière est une question scientifique et médicale, elle est aussi devenue une question sociétale. On ne peut, à mon sens, se limiter à son seul aspect de traitement médical palliatif de l’infertilité.

La société s’interroge désormais plus largement sur le droit à fonder une famille, c’est-à-dire sur la légitimité d’avoir un projet parental. C’est l’évolution de l’AMP qui a créé ce débat : inexistant lorsque la technique était uniquement endogène, il a émergé lorsqu’il a été fait usage du don d’une tierce personne.

Dans quelle situation législative nous trouvons-nous aujourd’hui ? Après que le projet de loi a prévu l’accès aux couples pacsés, les sénateurs ont ouvert cette possibilité à l’ensemble des « personnes formant un couple », à la condition que ces personnes soient « vivantes, en âge de procréer et aient consenti ». Je me permettrai de saluer ici la sagesse des sénateurs. En effet, il s’agit non pas de valider un quelconque désir d’enfant, mais bien de valider la constitution d’un projet parental, le droit à fonder une famille.

Le problème fondamental est bien celui du statut de l’assistance médicale à la procréation. Doit-elle rester médicale dans ses indications, c’est-à-dire réservée au seul traitement palliatif de l’infertilité ? Je ne le crois pas. Au contraire, tout en restant médicale, bien sûr, dans sa réalisation et ses techniques, avec un encadrement éthique et une logique non mercantile, elle doit avoir des indications à la fois médicales et sociétales permettant l’exercice réel du droit à un projet parental.

En l’état actuel des possibilités matérielles autorisées et non remises en cause, j’ai la conviction que nous devons offrir cette possibilité à toutes les femmes qui ont ce projet parental, qu’elles soient célibataires, en couple avec un homme ou en couple avec une femme. Cette question naît de la prise en compte conjuguée des droits de l’homme, de l’évolution scientifique et technique et de la demande sociétale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Souchet.

M. Dominique Souchet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la perspective dans laquelle s’inscrit une loi de bioéthique est d’avoir à se prononcer sur la pertinence éthique des possibilités nouvelles qu’ouvre la science, et non sur leurs mérites techniques. Il ne s’agit donc pas d’un débat d’experts. Il s’agit, pour le législateur que nous sommes, de mesurer les enjeux de civilisation qu’impliquent les différents procédés que la recherche rend possibles. Il s’agit de référer ces procédés aux valeurs qui sous-tendent notre société, à commencer par la dignité de tout être humain. Il s’agit de porter sur ces procédés un jugement éthique et, à partir de ce jugement, de nous prononcer sur ce que la loi doit permettre et ne pas permettre.

Or, nous nous trouvons aujourd’hui devant un projet de loi qui, à la suite des bouleversements introduits par le Sénat et la commission spéciale, est beaucoup plus transgressif encore que celui qui était issu de la première lecture par notre assemblée.

Il nous appartient donc de rééquilibrer ce texte, en pesant scrupuleusement les risques qu’un certain nombre de ses dispositions font courir à notre société.

J’en mentionnerai deux. La première dérive est la systématisation du diagnostic prénatal. Le texte qui nous est soumis systématise le DPN, ne l’assortit d’aucune conditionnalité et suppose que tout peut être dépisté. Si le texte est laissé en l’état, alors le DPN est appelé à se transformer en un véritable instrument de chasse au handicap. Notre société mènerait alors concomitamment deux politiques totalement contradictoires : une politique d’accueil envers les personnes handicapées pour qu’elles aient toute leur place dans la cité et une politique visant à ce qu’il ne puisse plus naître une seule personne handicapée. Cela porte un nom redoutable : cela s’appelle l’eugénisme.

La seconde dérive majeure est le basculement affectant la recherche sur l’embryon humain, domaine dans lequel le texte propose de passer d’un régime général d’interdiction à un régime d’autorisation. La levée du principe d’interdiction ouvre la voie à la banalisation complète de l’embryon humain, considéré désormais comme un matériau de laboratoire comme un autre, ne méritant plus aucune marque de respect. Le maintien du principe d’interdiction a une valeur symbolique, et il faut y revenir. D’un point de vue scientifique, la pression exercée sur nous et sur le Gouvernement en faveur d’une libéralisation complète de la recherche sur l’embryon humain est paradoxale, car les perspectives thérapeutiques sont ailleurs. Les méthodes alternatives enregistrent presque chaque jour des avancées prometteuses, qui ne sont pas des mirages médiatiques. Qu’il suffise de citer ici les découvertes toutes récentes effectuées à Boston sur les cellules souches adultes de poumon humain, ou à Paris et à Baltimore sur les cellules de moelle osseuse de mammifère adulte.

On ne peut donc qu’être fortement intrigué par l’acharnement mis à poursuivre à toute force une recherche sans réelles perspectives thérapeutiques. On ne peut manquer de s’interroger sur la question des intérêts financiers qui sont en jeu derrière cet acharnement, pour obtenir une libéralisation de la recherche sur l’embryon humain, comme ils sont en jeu derrière la volonté d’instaurer un dépistage prénatal systématique et généralisé.

M. Roland Muzeau. N’est-ce pas un peu excessif ?

M. Dominique Souchet. Cette question ne peut pas et ne doit pas être éludée. Il nous revient de la poser clairement et courageusement, et de réunir les éléments nous permettant de prendre des décisions éclairées. C’est pourquoi j’ai soutenu dès l’origine la proposition de notre collègue Jean-Marc Nesme de créer une commission d’enquête parlementaire spécifique sur les conflits d’intérêts potentiels en matière de biotechnologies. Certains des intervenants auditionnés par la commission spéciale nous y ont d’ailleurs invités, comme le professeur Jacques Testard, soulignant fortement devant nous le risque de « confusion entre des intérêts médico-scientifiques et des intérêts commerciaux ». Les pressions exercées par l’industrie pharmaceutique juste avant ce débat nous y invitent également. Elles cachent de moins en moins la couleur, nous enjoignant de ratifier purement et simplement l’autorisation introduite par le Sénat, car celle-ci « autorisera les chercheurs à travailler et les industriels à investir massivement sur le long terme ». Le président du syndicat des entreprises du médicament ne craint pas de conclure ainsi les lettres qu’ils vient d’adresser personnellement aux ministres de l’industrie et de la recherche ! J’espère que cette commission d’enquête, déjà demandée par plus de soixante députés, pourra être créée.

Quant aux chercheurs, ils ne constituent pas un bloc. Nombre d’entre eux sont extrêmement désireux que soit évitée toute assimilation entre leurs travaux de recherche et une transgression éthique. Car si, en France, certaines équipes ont, avec leurs commanditaires, tout misé sur l’expérimentation sur l’embryon humain, d’autres, au lieu de s’engager dans cette impasse, se sont tournés vers les cellules adultes reprogrammées en cellules souches, qui constituent l’un des champs les plus prometteurs de la biologie cellulaire actuelle. Ces chercheurs ne voient aucune forme d’obscurantisme dans le maintien de principe d’une interdiction de recherche sur l’embryon humain.

Il serait enfin paradoxal qu’une fois transposée la directive relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques notre législation assure à l’embryon animal une protection supérieure à celle dont bénéficie l’embryon humain. Si le texte qui nous est proposé était adopté, on se trouverait dans une situation où l’embryon humain est devenu un matériau de laboratoire banalisé, tandis que l’utilisation de méthodes alternatives à l’expérimentation sur l’embryon animal deviendrait obligatoire. La notion de bien-être animal, qui inspire la directive, l’emporterait alors sur celle de respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, pourtant inscrite dans notre code civil. Ce serait là une inversion de valeurs sans précédent.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à corriger les très graves dérives que comporte le texte qui nous est soumis et à n’accepter aucun compromis avec la mentalité eugéniste et la logique utilitariste qui inspire certaines des dispositions majeures qui y ont été introduites.

Mme Véronique Besse. Très bien !

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la bioéthique.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.)