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DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 162

Réunion du mercredi 8 mars 2006 à 9 heures 30

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Examen du rapport d'information de M. Christian Philip sur les services publics de transports de voyageurs par chemin de fer et par route (ouvert aux membres français du Parlement européen)

Retraçant la genèse de la proposition révisée de règlement, le rapporteur a tout d'abord rappelé que la proposition initiale présentée en juillet 2000 avait été bloquée au Conseil, depuis 2002, faute de la possibilité de parvenir à une position commune, du fait des divergences entre les Etats membres sur l'étendue même de l'ouverture à la concurrence et sur les règles propres nécessaires aux services publics de transports de voyageurs. Quant au Parlement européen, il s'était opposé à la principale mesure proposée par la Commission qui imposait - sauf exceptions - le recours à la procédure d'appel d'offres, en vue de l'attribution, pour une période déterminée, des contrats de services publics des transports, selon le principe dit de concurrence régulée en vigueur dans certains Etats membres. Le Parlement européen avait estimé, comme la résolution adoptée par l'Assemblée nationale le 27 juin 2001, qu'un tel régime de concurrence systématique contrevenait au principe de subsidiarité et à la libre administration des collectivités territoriales. C'est pourquoi il avait alors adopté un amendement dont l'effet était d'exempter de la concurrence les services de transports publics de proximité si l'autorité compétente décide de les fournir elle-même.

S'agissant de la proposition révisée, le rapporteur a souligné que la Commission a souhaité tenir compte des positions exprimées par le Parlement européen et de l'arrêt Altmark rendu par la Cour de justice en juillet 2003, par lequel cette dernière a défini les conditions qui permettent à une compensation relative à une obligation de service public de ne pas être qualifiée d'aide d'Etat. Le dispositif présenté par la Commission se veut simple, souple et prend en compte le principe de subsidiarité. Cette nouvelle approche est accueillie favorablement en France, en particulier par le groupement des autorités responsables de transport (GART). Pour sa part, le Parlement européen a décidé d'examiner la proposition révisée en deuxième lecture après que le Conseil aura fixé une position commune, laquelle devrait intervenir à la fin de la présidence autrichienne, au mois de juin 2006. Toutefois, le consensus n'est pas total puisque, par exemple, la Grande-Bretagne déplore l'existence d'exceptions à la mise en concurrence, bien que cet Etat ait intérêt à l'application du règlement, car il dispose - avec la France - des opérateurs les plus importants et les plus susceptibles de gagner les appels d'offres. L'Allemagne, sans être par principe opposée à la concurrence, n'y voit qu'un mode parmi d'autres des fonctionnements des services de transports des voyageurs. Les transporteurs allemands considèrent à ce titre que les principes dégagés par l'arrêt Altmark fournissent la base d'un cadre suffisant.

Pour autant, le rapporteur a tenu à souligner que la proposition révisée confirmait que l'idée de service public fait toujours partie intégrante du modèle social et économique de l'Union à l'heure où certains expriment des doutes à ce sujet. D'autre part, il s'est félicité que la proposition révisée respecte davantage le principe de subsidiarité. Mais il a considéré que, malgré les avancées contenues dans la proposition révisée, il était nécessaire d'y introduire des améliorations en soulignant que la Délégation pour l'Union européenne du Sénat et le Comité des régions étaient parvenus à des conclusions similaires.

Evoquant les grandes lignes du rapport, il a abordé en premier lieu les avancées introduites par la Commission. Il s'agit d'un dispositif simplifié qui n'envisage plus que deux modes d'attribution des contrats de service public de transport : l'appel d'offres et l'attribution directe dans le cadre du transport ferroviaire régional ou de longue distance. Ce système d'attribution directe revêt une importance particulière pour la France puisqu'il permettrait aux régions de conserver le monopole de la gestion des TER. La Commission a introduit un certain nombre d'assouplissements touchant au régime de l'autoproduction, qui consiste à autoriser les autorités compétentes à gérer elles-mêmes - sans mise en concurrence - un service de transport ou à en confier l'exploitation à un opérateur interne, celui -ci étant défini comme : « une entité juridiquement distincte sur laquelle l'autorité compétente exerce un contrôle complet et analogue à celui qu'elle exerce sur ses propres services ». A cet effet, l'opérateur interne doit, en application du principe dit de « cantonnement géographique », exercer l'intégralité de ses activités à l'intérieur du territoire de l'autorité compétente. Mais il lui est interdit de participer à des appels d'offres en dehors de ce même territoire.

En ce qui concerne l'allongement de la durée des contrats et de la période transitoire, que la Commission a repris en partie des amendements adoptés par le Parlement européen, le rapporteur a précisé qu'une nouvelle disposition instaurait une durée maximale exceptionnelle de 22 ans et demi, pour prendre en compte les investissements d'actifs nécessaires au service des transports effectués par l'opérateur. Quant à la période transitoire, elle est fractionnée en deux phases de durée variable : 4 ans pour les autobus et 5 ans pour le rail, la moitié au moins des contrats devant être attribués conformément au règlement dans ces délais. La mise en conformité de la totalité des contrats doit être effectuée dans un délai maximal de 8 ou 10 ans à compter de l'entrée en vigueur du règlement. Les deuxièmes phases de la période transitoire sont également celles au cours desquelles doit s'appliquer la clause de réciprocité. Celle-ci permet aux autorités compétentes d'exclure les opérateurs qui bénéficient, pour plus de la moitié de leurs services, d'une compensation ou d'un droit exclusif non attribué conformément au règlement.

Abordant les difficultés soulevées par les propositions de la Commission, le rapporteur a indiqué que la durée des contrats ne permet pas, par exemple, de prendre en compte le cas de la ville de Reims qui a conclu pour la gestion de son tramway une concession d'une durée de 30 ans. En ce qui concerne la période transitoire, le Comité des régions - sur la proposition de M. Bernard Soulage - a suggéré de remplacer l'obligation de procéder à un appel d'offres pour la moitié des réseaux par celle de mettre la totalité des contrats en conformité avec le règlement au terme de la première période de 4 ou 5 ans. Le rapporteur a indiqué que posait également problème l'absence d'articulation claire entre le champ d'application de la proposition révisée et la législation communautaire sur les marchés publics, puisque la proposition révisée consacre, selon le GART et certaines associations d'élus, une application prioritaire de la législation sur les marchés publics, ce qui ne permet pas de savoir précisément de quelle législation relèveront les concessions de travaux et de services, dispositif retenu sur certains réseaux urbains de grande taille. Evoquant les incertitudes quant à l'articulation entre la proposition révisée et le troisième paquet ferroviaire, le rapporteur a indiqué que pour la Commission, la notion de droits exclusifs attribués en application du règlement OSP, portait uniquement sur le droit d'assurer le service public et non sur le monopole d'exploitation d'une liaison. En ce qui concerne la définition du transport ferroviaire de longue distance urbain et régional, l'accord politique intervenu en Conseil « Transports » du 5 décembre 2005, a prévu qu'elle serait établie dans le respect du principe de subsidiarité en raison des particularités qui s'attachent aux conditions dans lesquelles les différentes autorités exercent leurs compétences.

Evoquant la controverse sur la clause de réciprocité, le rapporteur a souligné qu'elle concernait essentiellement la RATP et rappelé à cet égard la position que M. Jacques Barrot, commissaire en charge des transports a défendue lors de son audition devant la Délégation le 16 novembre 2005 selon laquelle « la RATP devrait choisir entre rester un service sous l'autorité concédante de la région Ile-de-France, assumant une autoproduction excluant d'aller chercher des marchés ailleurs, ou pratiquer la concurrence à l'extérieur et reconnaître chez soi sa propre mise en concurrence. Mais il ne serait pas possible en Europe de garder le monopole chez nous et de profiter de la concurrence chez les autres ».

Le rapporteur a fait valoir que la RATP ne pouvait pas être assimilée à une régie, étant un établissement public industriel et commercial, dont l'activité - et celle de la SNCF - est coordonnée par le STIF - le syndicat des transports d'Ile-de-France - autorité organisatrice des transports publics de voyageurs, placée sous l'autorité du président du Conseil régional d'Ile-de-France.

Exposant les améliorations qu'il souhaite introduire, le rapporteur a tout d'abord proposé l'allongement de la durée des contrats à 30 ans, précisant que cette mesure offrirait l'avantage de permettre le maintien des contrats existants et de certains projets d'infrastructures en cours, tout en étant de nature à favoriser le développement des partenariats public-privé.

En ce qui concerne les modalités d'entrée en vigueur de la période transitoire, il s'est prononcé en faveur de la reprise de la disposition adoptée par le Comité des régions, selon laquelle l'obligation de procéder à un appel d'offres pour la moitié des réseaux au bout de 4 ou 5 ans suivant l'entrée en vigueur du règlement serait remplacée par celle de mettre la totalité des contrats en conformité avec le règlement au terme de la même période. En outre, il conviendrait de prévoir que les contrats existants sont valides, y compris lorsque leur durée excède celles fixées par le règlement, afin de prévenir les procédures juridiques dont l'objet serait de compenser les préjudices subis.

Souhaitant préciser le régime de l'autoproduction, le rapporteur a estimé nécessaire de prévoir la conclusion d'un contrat dans le cas où le service chargé de l'exploitation serait une régie constituée sous forme d'établissement public industriel et commercial, afin de garantir la transparence de la gestion. Il serait également judicieux de poser le principe d'une évaluation régulière et celui d'un examen de cette dernière devant l'assemblée délibérante, qui devra confirmer le choix de l'autoproduction ou retenir un autre mode de gestion.

Pour ce qui est du statut de l'opérateur interne, le rapporteur a souhaité conformément à la demande formulée par le GART, que les sociétés d'économie mixte - tout comme les Stadtwerke allemandes - puissent être incluses dans le régime de l'autoproduction, car à défaut, c'est la possibilité pour les collectivités locales de choisir leur mode de gestion qui pourrait être mise en cause. Le rapporteur a proposé un assouplissement de la notion de cantonnement géographique afin de régler le cas des lignes dites « sortantes », c'est-à-dire celles qui vont au-delà du territoire de l'autorité organisatrice. Quant au critère de l'activité de l'opérateur interne, le rapporteur a estimé qu'il conviendrait de prévoir que ce dernier exerce non pas l'intégralité mais l'essentiel de son activité de transport public de voyageurs à l'intérieur du territoire de l'autorité compétente. S'agissant du transport régional et de longue distance, le rapporteur a considéré que la décision du Conseil « Transports » du 5 décembre 2005 de confier sa définition aux Etats membres dans le respect du principe de subsidiarité était la meilleure solution compte tenu de la diversité des définitions existantes.

Le rapporteur a également préconisé la réintégration partielle de la voie fluviale et maritime dans le champ d'application du règlement, qui serait limitée à celle incluse dans un périmètre de transports urbains faisant l'objet de services réguliers, hors la prestation de tous autres services. Sur la clause de réciprocité, le rapporteur s'est déclaré parfaitement conscient de l'importance politique que de nombreux Etats membres y attachent. En Italie, certaines autorités organisatrices ont refusé d'admettre la candidature de la RATP à des appels d'offres. Aux Pays-Bas, il existe une interdiction de nature législative à l'encontre des opérateurs jouissant d'un monopole sur leur marché de présenter leur candidature sur d'autres marchés extérieurs. Pour autant, le rapporteur s'est interrogé sur la pertinence au plan juridique de maintenir à tous prix la référence à la clause de réciprocité dans le texte de la proposition de règlement. La Commission y avait elle-même renoncé dans le texte initial de la proposition, doutant de sa légalité. D'autre part, même en l'absence de clause de réciprocité rien n'empêcherait des autorités organisatrices de la mettre en application en excluant une proposition émanant d'une entreprise en situation de monopole sur son territoire. Le rapporteur a estimé que, s'agissant de la RATP, le problème posé par l'application de la clause de réciprocité n'était pas lié à cette dernière. C'est plutôt au STIF à prendre ses responsabilités en mettant en œuvre un processus d'ouverture à la concurrence et en allotissant une partie significative du réseau de bus. Le rapporteur s'est prononcé, pour l'ensemble de ces raisons, en faveur de la suppression de la clause de réciprocité, tout en convenant qu'il serait préférable que la proposition soit adoptée avec une telle clause, plutôt qu'elle ne soit rejetée.

Enfin, en vue de renforcer les droits sociaux des salariés en cas de changement d'opérateur, le rapporteur a jugé souhaitable de reprendre l'amendement voté par le Parlement européen en première lecture. Celui-ci avait prévu que l'autorité compétente oblige l'opérateur à maintenir en faveur du personnel au moins les mêmes droits que ceux dont ils pouvaient se prévaloir avant la reprise des activités par l'opérateur sélectionné.

Evoquant le dernier état des travaux du Conseil, le rapporteur a indiqué que la proposition formulée par la délégation allemande d'étendre l'exception du transport ferroviaire régional au transport urbain faisait perdre au règlement sa raison d'être. Il a considéré qu'il s'agissait là d'un moyen pour l'Allemagne d'obtenir de certains Etats - la France en particulier - le retrait de l'exception dont bénéficie actuellement le transport ferroviaire régional. En tout état de cause, le rapporteur a souligné que ce dernier ainsi que la clause de réciprocité seraient les principales batailles dans les prochains mois, même s'il les a jugées un peu excessives. La clause de réciprocité sera appliquée de toute façon. Quant à l'exception concernant le transport ferroviaire régional, elle ne sera que transitoire, puisqu'il sera ouvert à la concurrence en 2010. Le rapporteur a fait également observer que la proposition révisée n'interdisait pas aux collectivités responsables de soumettre le transport ferroviaire régional au régime de l'appel d'offres.

En conclusion, tout en insistant sur les débats auxquels donnera lieu la proposition révisée, le rapporteur a considéré que la conclusion d'un accord au sein du Conseil n'était pas définitivement assurée. Il a suggéré - compte tenu des positions de l'Allemagne - que la proposition révisée soit abordée lors de la réunion conjointe entre la Délégation pour l'Union européenne et la commission des affaires européennes du Bundestag du 15 mars 2006. Il a indiqué que la proposition de résolution qu'il présentait reprenait les différents points qui viennent d'être évoqués.

A l'issue de l'exposé du rapporteur, un débat s'est engagé.

M. Jérôme Lambert s'est déclaré « dubitatif » à l'égard de la proposition de la Commission. Rappelant que cette initiative a donné lieu à une première mouture finalement rejetée, il a considéré que cette version ne la modifie qu'à la marge. Plusieurs points importants posent problème, en particulier ceux ayant trait à la sécurité juridique. Au total, la proposition de la Commission est un texte dangereux, et d'autant plus critiquable qu'il s'agit d'un règlement, directement applicable, ne laissant aucune marge de manœuvre au Parlement national.

Par ailleurs, il a jugé que l'initiative de la Commission ouvre un peu plus à la concurrence un secteur important, en s'inscrivant donc dans une approche générale, qui érige la concurrence en règle sacro-sainte d'amélioration de tous les domaines de la vie collective. Malgré la qualité de la présentation du rapporteur, M. Jérôme Lambert a observé que celui-ci, adopte, au final, une position exprimant sa satisfaction à l'égard de la proposition de la Commission, alors que selon lui, la Délégation devrait adopter des conclusions tendant à son rejet.

M. Jean-Claude Lefort a déclaré partager l'opinion venant d'être exprimée par son collègue. Il a estimé que les instances européennes sont animées d'une véritable frénésie en faveur de la privatisation, appelée pudiquement « libéralisation » au niveau européen. En outre, il a jugé que les quelques remarques critiques formulées par le rapporteur n'ont aucune valeur. En effet, c'est d'un règlement et non d'une directive dont il s'agit : on a donc tout lieu de craindre que les demandes exprimées concernant les services publics ne puissent trouver satisfaction.

Il s'est interrogé sur le contenu d'un nouveau principe européen, celui de la « concurrence régulée ». Il a fait part de son étonnement devant ce concept novateur. Celui-ci ne peut se substituer à un système réellement équilibré de concurrence.

M. Jean-Claude Lefort s'est ensuite déclaré surpris de la proposition du rapporteur tendant à fixer la durée des contrats de transport à trente ans. Observant que cette solution reviendrait à instituer un monopole de fait au bénéfice d'une société privée, il a jugé qu'une telle proposition vient contredire l'idée même de concurrence régulée. Enfin, il s'est interrogé sur la sincérité de l'appel lancé par le rapporteur en faveur du renforcement des droits sociaux des salariés en cas de changement d'opérateur. En effet, pourquoi faudrait-il appeler à un tel renforcement, lorsque la directive sur les services révisée est présentée, par tous, comme un texte protecteur pour les droits des travailleurs ? Si cette directive satisfait, selon ses défenseurs, cette revendication légitime des travailleurs, on peut alors se demander pourquoi une telle précaution devrait être prise pour les salariés travaillant pour un opérateur de transports.

M. André Schneider a qualifié le sujet de complexe, tout en soulignant son importance politique. D'ailleurs, la proposition de la Commission ne manquera pas de susciter des débats, y compris au niveau des parlements nationaux, dans plusieurs Etats membres, en particulier la France et l'Allemagne. A cet égard, il serait souhaitable que la question soit abordée avec les collègues de la Commission des affaires européennes du Bundestag, à l'occasion de la réunion devant avoir lieu la semaine prochaine. Enfin, M. André Schneider a estimé, à l'instar du rapporteur, qu'à tout prendre, un texte avec une clause de réciprocité, bien que celle-ci soit contestable, vaut mieux qu'un vide juridique, que ne manquerait pas de combler la Cour de justice.

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur a apporté des éléments de précision suivants :

- la concurrence régulée n'est pas un nouveau principe. La première proposition relative aux services publics de transport de voyageurs posait déjà un tel cadre. La concurrence régulée signifie que lorsqu'il y a mise en concurrence, celle-ci doit s'opérer dans un cadre précisément défini, par le règlement. Il ne s'agit donc pas d'une mise en concurrence illimitée, car celle-ci doit respecter, au bénéfice des collectivités locales, certaines contraintes permettant de respecter les obligations de service public. Dans les faits, la proposition de la Commission reprend un système de régulation de la concurrence expérimenté et encadré par la loi Sapin ;

- certains reproches adressés à l'encontre de la proposition de la Commission démontrent que ce texte s'inspire de facto du système français. Ce texte met donc en œuvre une forme de concurrence, qui trouve un équivalent dans la législation française. Cette source d'inspiration explique d'ailleurs les exceptions, prévues par la proposition, concernant la gestion sous forme de régie et l'attribution directe du transport ferroviaire régional ;

- la proposition consistant à fixer la durée des contrats à trente ans n'est pas une innovation. Cette durée est déjà appliquée en France, notamment pour les concessions. Le rapport cite l'exemple du contrat de concession pour le tramway de Reims qui est de trente ans. De même, la ville de Lyon a opté en faveur d'un régime de concession longue pour la ligne devant relier le centre-ville à l'aéroport. Ces deux exemples soulignent combien la durée des contrats doit varier en fonction de la nature de l'opération ;

- le rapport ne constitue en aucune façon un hymne à la concurrence. Il ne fait que constater que la réglementation française est, ce dont on peut se féliciter, une source d'inspiration sur le plan européen. Ainsi, la proposition correspond à ce que prévoit le modèle français, au sein duquel les collectivités territoriales sont libres de choisir le mode de gestion des réseaux de transport. La consécration de cette liberté constitue une avancée très importante par rapport à la première version de ce texte ;

- la proposition de la Commission consacre la notion de régie par le biais des dispositions encadrant l'autoproduction. A cet égard, le texte apporte une garantie importante, mais qui doit être étendue pour que soient englobées, sans ambiguïté, les sociétés d'économie mixte. Il faut s'assurer que ces structures bénéficient du système proposé ;

- un texte doit être adopté car il vaut mieux que soit mise en œuvre une concurrence régulée qu'une concurrence imparfaitement encadrée. La proposition de la Commission, à condition d'être améliorée, apportera de sérieuses garanties sur la gestion des réseaux de transports ;

- il n'existe pas de lien entre ce texte et la directive sur les services. En revanche, il convient de faire reconnaître plus clairement un principe posé par l'article L122-12 du Code du travail, relatif au maintien des contrats de travail lors du changement d'un opérateur. La proposition de résolution demande la reprise de la disposition que le Parlement européen avait adoptée en première lecture ;

- en ce qui concerne la nécessité d'un cadre communautaire dans ce domaine, la mise en concurrence régulée constitue une bonne solution, car sans un tel cadre, la Cour de justice des Communautés européennes risque d'intervenir, ce qui aurait pour effet de remettre en cause certains des modes de gestion auxquels les collectivités françaises sont légitimement attachées. Par ailleurs, l'arrêt Altmark de la Cour ne règle pas tous les problèmes. Si celui-ci a fixé quelques règles claires en ce qui concerne les compensations de service public, afin que ces dernières ne soient pas traitées comme des aides d'Etat, la Cour ne s'est pas autant prononcée sur l'obligation de mise en concurrence. Ce principe reste donc en suspens, sans être encadré par des textes précis, constituant ainsi une menace sérieuse pour les régies et les sociétés d'économie mixte. On peut imaginer, en effet, qu'une société contestant le choix d'une grande collectivité locale, comme la ville de Marseille ou de Mulhouse, décide d'introduire un recours contre une décision concernant l'attribution de la gestion de transports locaux, au motif que le choix serait contraire au principe inscrit dans le traité. La proposition de la Commission, améliorée par des recommandations faites ici, permettrait d'écarter ce risque et aux collectivités territoriales de rester libres de choisir le mode de gestion des transports publics ;

- ce texte lève donc des incertitudes. Il est préférable à l'absence d'initiative législative, même s'il devait comporter une clause de réciprocité. Sur ce dernier point, toutefois, force est de constater qu'il s'agit d'une « fausse bataille », car rien n'empêchera des autorités organisatrices de ne pas retenir, lors d'un appel d'offres, une proposition venant d'une entreprise en situation de monopole sur son territoire ;

- les améliorations proposées ici sont assez partagées, comme le montrent les recommandations contenues dans les rapports du Sénat et du Comité des régions précités. Les collectivités locales doivent se saisir de cette occasion pour fixer des limites opportunes, protectrices du principe de libre administration.

A l'issue de ce débat, la proposition de résolution ci-après, mise aux voix, a été adoptée par la Délégation, MM. Jérôme Lambert et Jean-Claude Lefort votant contre et M. Guy Lengagne s'abstenant.

« L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition révisée de règlement du Conseil et du Parlement européen relatif aux services publics de transports de voyageurs par chemin de fer et par route (COM [2005] 319 final/n° E 2970),

1. Se félicite que la Commission ait présenté un dispositif rénové plus respectueux que la proposition de règlement initiale du principe de subsidiarité et de la libre administration des collectivités territoriales ;

2. Constate que le dispositif de la proposition révisée de règlement soulève encore de nombreuses questions touchant aux modalités d'encadrement des obligations de service public ou à l'insuffisance des garanties contre l'insécurité juridique ;

3. Juge indispensable que des améliorations soient introduites, afin que puisse être instauré un système réellement équilibré de concurrence régulée ;

4. Demande, dans cette perspective, que puissent être adoptées les modifications suivantes :

a) à l'article premier, paragraphe 2, relatif au champ d'application du règlement, rétablir la référence au transport fluvial et maritime inclus dans un périmètre de transport urbain ;

b) à l'article 2-m, relatif à la définition du transport régional et de longue distance, remplacer les dispositions de cet alinéa par une disposition laissant aux Etats membres, conformément au principe de subsidiarité, le soin de délimiter le transport régional et de longue distance ;

c) à l'article 4, relatif au contenu obligatoire des contrats de service public et des règles générales :

- introduire au paragraphe 6 de cet article, relatif à la durée maximale des contrats, une disposition allongeant celle-ci à 30 ans ;

- remplacer les dispositions du paragraphe 7, relatif à la clause sociale, par des dispositions impartissant à l'autorité compétente d'obliger l'opérateur à maintenir en faveur du personnel au moins les mêmes droits que ceux dont il pouvait se prévaloir avant la reprise des activités par l'opérateur sélectionné ;

d) à l'article 5, relatif à l'attribution des contrats de service public :

- reformuler la rédaction du paragraphe premier, prévoyant une application prioritaire des directives relatives aux marchés publics, afin de mieux tenir compte du cas spécifique des concessions de travaux et de services.

- au paragraphe 2, relatif à l'autoproduction :

. imposer la conclusion d'un contrat dans le cas où le service chargé de l'exploitation serait une régie constituée sous forme d'établissement public industriel et commercial ;

. poser le principe de son évaluation au plus tard tous les six ans ainsi que celui d'un examen de cette dernière devant l'assemblée délibérante, laquelle devra alors confirmer le choix de l'autoproduction ou retenir un autre mode de gestion ;

. assouplir le statut de l'opérateur interne : en retenant une formulation moins stricte que celle du contrôle complet et analogue à celui que l'autorité compétente exerce sur ses propres services ; en autorisant l'opérateur interne à dépasser les limites géographiques du territoire de l'autorité compétente, dès lors que la (ou les) collectivité(s) desservie(s) se situent sur ce même territoire ; en prévoyant que l'opérateur exerce l'essentiel - et non plus l'intégralité - de ses activités de transport public de voyageurs à l'intérieur du territoire de l'autorité compétente ;

e) à l'article 8, relatif à la période transitoire :

- aux paragraphes 2 et 3, relatifs aux modalités de l'allotissement, remplacer ces dispositions par l'obligation de mettre la totalité des contrats en conformité avec le règlement au terme d'un délai de quatre ou cinq ans suivant son entrée en vigueur ;

- au paragraphe 5, relatif au régime des contrats existants, prévoir que ces derniers sont valides, y compris lorsque leur durée excède celles fixées par le règlement ;

- supprimer le paragraphe 6, relatif à la clause de réciprocité. »

II. Examen de la proposition de résolution n° 2923 déposée par M. Alain Bocquet et les membres du groupe Député-e-s Communistes et Républicains sur la proposition de directive relative aux services

M. Jean-Claude Lefort a estimé que cette proposition de résolution, déposée et inscrite à l'ordre du jour de la séance publique sur l'initiative du groupe des Député-e-s Communistes et Républicains, permettra de renforcer la place de l'Europe dans les débats de l'Assemblée nationale, ce dont la Délégation devrait se féliciter. Son examen intervient à quelques semaines du Conseil européen des 23 et 24 mars prochain, qui abordera ce sujet, et avant lequel il est indispensable que le Gouvernement connaisse la position du Parlement français. La Délégation pour l'Union européenne a déjà examiné la proposition de directive relative aux services sur le rapport de Mme Anne-Marie Comparini, et la résolution adoptée par l'Assemblée nationale le 15 mars 2005 est proche, sur plusieurs points, de la proposition déposée par le groupe des Député-e-s Communistes et Républicains, qui devrait donc faire l'objet d'un consensus. Depuis l'adoption de la résolution du 15 mars 2005, la proposition de directive a été approuvée par le Parlement européen, grâce au soutien des groupes PPE-DE et PSE, mais les parlementaires français de gauche ont voté contre (à l'exception de M. Michel Rocard), de même que les parlementaires français du groupe des Verts.

M. Jean-Claude Lefort a relevé que la proposition de directive a été profondément modifiée. Ces modifications ne sont pas sans rapport avec le rejet du traité constitutionnel en France et aux Pays-Bas. La « directive Bolkestein » a en effet joué un rôle important durant la campagne, au cours de laquelle toute la classe politique l'a jugée inacceptable et a exigé sa « remise à plat ». Il convient de s'interroger sur le caractère suffisant ou non des modifications apportées. Le principe du pays d'origine a été retiré et remplacé par la libre prestation de services. Aucun principe - cela aurait pu être le principe du pays de destination - n'est venu remplacer le principe du pays d'origine. Le concept de libre prestation de services n'est ainsi encadré par aucun principe, ni aucune règle. Le politique n'a pas assumé ses responsabilités et a renvoyé à la Cour de justice le soin de préciser le cadre juridique applicable. Or la Cour a jugé, de manière quasi constante, en faveur du principe du pays d'origine. C'est le triomphe du politique, par la mort du politique.

La proposition de directive sur les services renvoie, sur certains points, à la directive 96/71/CE sur le détachement des travailleurs. Cette directive est cependant a minima et insuffisante, comme l'a démontré l'affaire Vaxholm opposant les syndicats suédois à une entreprise lettonne. Une réflexion visant à la modifier est d'ailleurs en cours au sein de la commission Emploi et affaires sociales du Parlement européen.

Les exceptions au champ d'application de la proposition de directive restent également insuffisantes. La Délégation avait demandé que les services d'intérêt général (SIG) soient exclus du champ du texte. Ils l'ont été, mais l'expression « services d'intérêt général » ne renvoie à aucune réalité en droit communautaire. En ce qui concerne les services d'intérêt économique général (SIEG), le texte précise qu'il ne « devrait pas s'appliquer aux services d'intérêt économique général », mais affirme ensuite qu'il s'y applique dans la mesure où les activités de ces SIEG sont ouvertes à la concurrence. Or elles le sont par définition. Cette exception, limitée à quelques services publics régaliens, n'a donc aucune portée. Les garanties apportées par les parlementaires européens sont, au total, inexistantes. Les parlementaires qui ont approuvé ce texte ont en réalité proclamé, par leur vote : « Bolkestein I est mort, vive Bolkestein II ! ».

Mme Anne-Marie Comparini, rapporteure, a indiqué avoir examiné la proposition de résolution du groupe Communiste et Républicains à la lumière à la fois des positions exprimées par la Délégation en février 2005 à l'occasion de la présentation de son rapport d'information, et des travaux du Parlement européen. Ceux-ci ont été d'une importance telle qu'il est heureux que la proposition de résolution donne aux membres de la Délégation une nouvelle occasion de discuter de la proposition de directive. A l'issue des travaux du Parlement européen, on se retrouve devant un autre texte.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que plusieurs membres du Parlement européen avaient pris part à la réunion de la Délégation du 2 février 2005. La Délégation a travaillé efficacement en liaison avec le Parlement européen.

Mme Anne-Marie Comparini, rapporteure, a souligné que la proposition de résolution reprend les trois préoccupations principales que la Délégation avait mis en évidence en février 2005 : le principe du pays d'origine, la définition du champ d'application, et la nécessaire reconnaissance des directives sectorielles.

Qu'en est-il un an après ? Certes, on peut regretter que le texte amendé par le Parlement européen soit loin d'être un modèle de simplicité au niveau de sa rédaction. Mais il convient de saluer le travail remarquable et approfondi mené par Mme Evelyne Gebhardt pour remplacer le principe du pays d'origine par un concept qui met l'accent sur les conditions d'accès d'une part, et d'autre part les conditions d'exercice des activités de service. Il ne faut pas en conclure que ce concept, formulé dans le nouvel article 16, n'est raccroché à rien. Les parlementaires européens qui ont suivi Mme Evelyne Gebhardt sur la distinction entre l'accès et l'exercice ont cherché à résoudre le problème des conflits entre textes. Le texte voté a le grand mérite de trancher clairement cette question puisqu'il précise que la directive n'affectera ni le droit pénal, ni le droit du travail. Ainsi se trouve garanti le respect des règlementations nationales existantes, tant qu'il n'est pas opéré d'harmonisation sociale et fiscale. De plus, le texte prévoit expressément qu'en cas de conflit entre cette directive générale et des règles communautaires existantes, ce sont ces dernières qui s'appliqueront, notamment la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs, et la directive récemment adoptée sur la reconnaissance des qualifications professionnelles.

Mme Anne-Marie Comparini a souligné qu'elle avait été l'une des premières à dire qu'il fallait, compte tenu de ce qu'est l'Europe, abandonner le principe du pays d'origine. Elle a estimé que les parlementaires européens, en inventant un concept pour remplacer celui-ci et en réglant le problème des conflits de textes, ont élaboré un texte équilibré. Elle a rappelé que l'objectif politique légitime est double : empêcher le dumping social de dégrader la situation des travailleurs en Europe et permettre aux nouveaux Etats membres de faire évoluer leurs législations vers le haut.

S'agissant du champ d'application, Mme Anne-Marie Comparini s'est félicitée de ce que le Parlement européen a exclu les « services d'intérêt général ». Il serait intéressant de réfléchir, au-delà de cette directive et sur la base du rapport de M. Philippe Herzog, sur ces « services d'intérêt général ». Les directives sectorielles énumérées dans le texte, les secteurs de l'audiovisuel, des jeux de hasard, des activités participant à l'exercice de l'autorité publique, des soins de santé, viennent compléter la liste des exclusions et répondent à des demandes françaises. Et il était très important de voir figurer dans le texte une protection des directives sectorielles liées au droit du travail. Le Parlement européen a défini le champ d'application de façon satisfaisante. Il ne manque pas en Europe de politiques et de syndicats qui, en conséquence, se sont interrogés sur l'utilité d'une directive au champ autant réduit.

Le travail mené par les membres du Parlement européen en séance plénière est issu de deux apports : le rapport de Mme Evelyne Gebhardt, et une série d'amendements de compromis élaborés par les groupes politiques pour approfondir encore le travail de la rapporteure. Le résultat du vote donne au texte un visage nouveau. Il faut maintenant espérer que la Commission européenne prêtera attention aux positions ainsi exprimées par le Parlement européen, qui sont très proches de ce que la France voulait.

Le Président Pierre Lequiller a tenu à souligner la qualité du débat parlementaire européen sur ce texte, les négociations ayant duré plusieurs mois. Le texte qui en résulte lève nombre des objections, voire toutes celles que mentionnait le rapport d'information présenté par Mme Anne-Marie Comparini au nom de la Délégation. Mme Evelyne Gebhardt elle-même s'est dit satisfaite par le texte adopté. Sur le fond, le texte est le résultat d'un compromis. Sur la forme, le Parlement européen sort considérablement renforcé de ce débat. Le Président Pierre Lequiller s'est félicité que la Délégation ait travaillé à plusieurs reprises avec les parlementaires européens.

Après avoir relevé que la proposition de résolution offrait l'occasion d'un débat sur l'Europe et ses incidences concrètes sur les citoyens, M. Michel Herbillon a rappelé que la proposition de directive sur les services avait bien été évoquée lors du débat sur le référendum constitutionnel, mais qu'elle n'était qu'un élément parmi d'autres ayant motivé le rejet.

La proposition de résolution donne l'impression que rien n'a été fait depuis plus d'un an, ce qui méconnaît l'important travail qui est intervenu tant au sein de la Délégation pour l'Union européenne qu'au sein du Parlement européen. Les modifications apportées par ce dernier en première lecture correspondent aux préoccupations des parlementaires français. Les objections contre le texte d'origine ont été levées. Le texte du Parlement européen est donc d'autant plus acceptable, globalement, qu'il a reçu l'approbation de la majorité des députés européens, même de ceux de gauche, à l'exception des députés français de gauche.

En outre, son dispositif actuel n'est pas définitif, puisqu'il doit encore faire l'objet d'un examen par la Commission, puis par le Conseil. Des améliorations sont possibles. Il faut toutefois rester vigilant sur les évolutions de son contenu.

Pour sa part, la proposition de résolution et la présentation orale qui en a été faite par l'orateur qui l'a défendue, recèlent d'ailleurs vis-à-vis du principe du pays d'origine des contradictions qui montrent que l'argumentation dont elle est relève est de nature politique et non juridique. Certains paragraphes de la proposition de résolution sont uniquement d'ordre politique. On doit donc conclure à son rejet.

M. Daniel Garrigue a estimé contestable la référence au référendum constitutionnel, puisque le principe de la libre prestation des services est inscrit dans le traité de Rome. Se prononcer contre la libre circulation des services, c'est mettre en cause le traité de Rome. La remise à plat de la proposition de directive est bien intervenue, conformément à ce qu'avait souhaité le Président de la République française. Un important travail a été effectué en ce sens au sein de la Délégation pour l'Union européenne et du Parlement européen, sur l'initiative de la rapporteure, Mme Evelyne Gebhardt. On ne peut pas dire qu'une multitude de questions n'a pas été soulevée. La question du droit social a notamment été examinée, à l'occasion notamment de l'affaire Vaxholm sur l'intervention d'une entreprise lettonne sur un chantier suédois. Lors de son audition par la Délégation sur l'Union européenne, le ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, M. Gérard Larcher, a par ailleurs rappelé les éléments relatifs à la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs.

Lors de l'examen de la proposition par le Conseil, la France aura par ailleurs l'occasion de faire valoir son point de vue sur les éléments qui font l'objet de ses préoccupations.

L'enjeu économique est essentiel pour notre pays, qui est l'un des mieux placés en Europe en matière de services. Tout blocage pourrait donc nuire au développement, voire à la pérennité, de ce secteur. L'Europe des services est l'occasion d'acquérir des positions fortes sur les marchés européens et l'enfermement dans un pré carré ne peut conduire qu'à risquer de voir se développer les entreprises des pays tiers sur son territoire.

Le Président Pierre Lequiller a tenu à rappeler le rôle de M. Jacques Toubon, député européen, qui a su faire valoir les positions françaises auprès de nombreux parlementaires européens qui avaient à l'origine des options assez libérales sur la proposition de directive sur les services.

M. Jérôme Lambert a déclaré qu'on parlait toujours de compromis plus ou moins acceptable depuis l'examen de cette directive, mais que le compromis allait toujours dans le même sens pour passer du pire au « un peu moins pire » et que, pour se diriger vers l'harmonisation fiscale et sociale, là il n'y avait pas compromis mais blocage. Le compromis équivaut toujours à des petits reculs. Le texte adopté par le Parlement européen est un compromis qui ne va pas exactement dans le sens souhaité, car le principe du pays d'origine y figure encore, même si le droit du travail a été exclu. Mais il existe d'autres domaines où il va s'appliquer et la concurrence s'exercer.

Il faudrait ensuite reconnaître que la situation actuelle n'est pas défavorable à nos entreprises qui sont bien placées avec les règles en vigueur et ne pas dire que les règles de libéralisation leur seraient plus favorables, alors qu'il faudrait se battre au contraire pour le maintien de règles dont elles bénéficient.

Enfin, il est à craindre que le contrôle des nouveaux principes ne sera pas facile et qu'il sera même plutôt inexistant. Les exemples ne manquent pas de règles déjà détournées pour les missions de travailleurs de courte durée et ce sera la porte ouverte au développement des échanges de services sans contrôle avec tous les dérapages imaginables des entreprises qui viendront assurer une prestation pendant quelques semaines.

Il faut refuser le moindre recul sur le rejet du pays d'origine en général et pas seulement pour le droit du travail et se prononcer pour une harmonisation des règles vers le haut et non en faveur d'un développement de la concurrence.

M. Daniel Garrigue, devant quitter la réunion, a annoncé voter contre la proposition de résolution.

Mme Anne-Marie Comparini, rapporteure, a salué le travail accompli par le Parlement européen dont le texte ne comporte pas beaucoup de différences au regard de ce qu'avait réclamé la Délégation lors de son examen en février 2005, notamment en ce qui concerne l'abandon du principe du pays d'origine pour éviter tout dumping fiscal et social.

M. Jean-Claude Lefort a rappelé que la proposition de résolution demandait le rejet du principe du pays d'origine, « en l'absence d'un niveau d'harmonisation suffisant des secteurs concernés ». Or cette absence d'harmonisation existe toujours.

Le Président Pierre Lequiller a observé que les situations où il n'y a pas de règles sont toujours pénalisantes et qu'il fallait précisément y mettre fin.

Après avoir souligné que la Cour de justice trancherait en l'absence de règles définies par le législateur européen, Mme Anne-Marie Comparini, rapporteure, a indiqué que le Parlement européen a réglé le problème des conflits entre la directive sur les services et les autres directives sectorielles, notamment la directive sur le détachement des travailleurs, comme l'avait souhaité la Délégation, en excluant les règles de droit international privé existantes.

Par ailleurs, tout le monde avait beaucoup insisté sur le contrôle à propos de l'abandon du pays d'origine. Or le Parlement européen a éliminé les articles 24 et 25 de la directive sur les services qui prévoyait de manière totalement irréaliste un contrôle assuré par le pays d'origine et a confié la responsabilité du contrôle au pays d'accueil.

M. Jean-Claude Lefort a considéré que le texte adopté par le Parlement européen n'était pas aussi clair.

Mme Anne-Marie Comparini, rapporteure, a déclaré que la philosophie du Parlement européen était de définir des bases législatives plutôt que de se fier à la jurisprudence de la Cour de justice. C'est aussi le fil conducteur de la Délégation. Il y a certes des imperfections. Mme Evelyne Gebhardt a déclaré à propos des SIEG que « la pilule avait été un peu difficile à passer ». Le message devra être transmis au gouvernement et aux parlementaires allemands. Il y a également encore des améliorations à apporter sur la culture mais au total le Parlement européen a adopté un texte en phase avec les positions prises par la Délégation il y a un an.

M. André Schneider a déclaré que le texte adopté par le Parlement européen représentait une importante avancée parlementaire, tranchant avec le reproche souvent fait à l'Europe d'être trop technocratique, même si la gauche française s'est désolidarisée de l'accord global réalisé par les grandes forces politiques européennes.

Par ailleurs, si le plombier polonais a tendance à passer par Strasbourg, le plombier alsacien ne craint pas cette concurrence parce qu'il est compétent et qu'il voit dans le texte adopté par le Parlement européen un moyen efficace de lutter contre le travail clandestin.

La proposition de résolution, mise aux voix, a recueilli les votes de MM. Jean-Claude Lefort et Jérôme Lambert, une abstention de M. Guy Lengagne qui a déclaré ne pas pouvoir adopter un texte se référant au rejet du traité constitutionnel par le référendum du 29 mai 2005 alors qu'il avait fait campagne pour le oui, et sept voix contre. La Délégation a donc donné un avis défavorable à la proposition de résolution n° 2923.

III. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Délégation a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Aucune observation n'ayant été formulée, la Délégation a approuvé les textes suivants :

Point A

¬ Agriculture

- proposition de règlement du Conseil prévoyant des mesures spéciales en vue de favoriser l'élevage des vers à soie (document E 3076).

¬ Santé

- proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant les restrictions à la commercialisation et à l'utilisation des sulfonates de perfluorooctane (modification de la directive 76/769/CEE du Conseil) (document E 3029).

¬ Espace de liberté, de sécurité et de justice

Livre vert sur la transformation de la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles en instrument communautaire ainsi que sur sa modernisation (document E 2191) ;

- Livre vert sur les obligations alimentaires (document E 2582) ;

- Livre vert : Successions et testaments (document E 2837) ;

- Livre vert sur le droit applicable et la compétence en matière de divorce (document E 2846) ;

- proposition de décision du Conseil relative à la signature de l'accord entre la Communauté européenne et le Royaume de Danemark étendant au Danemark les dispositions du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion de l'accord entre la Communauté européenne et le Royaume de Danemark étendant au Danemark les dispositions du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (document E 2864).

¬ Questions diverses

- proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre commun pour le développement de répertoires d'entreprises utilisés à des fins statistiques et abrogeant le règlement (CEE) n° 2186/93 du Conseil (document E 2854) ;

- proposition de directive du Conseil relative aux conditions de police sanitaire applicables aux animaux et aux produits d'aquaculture, et relative à la prévention de certaines maladies chez les animaux aquatiques et aux mesures de lutte contre ces maladies (document E 2945) ;

- proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux statistiques structurelles sur les entreprises (document E 3088).

Point B

¬ Commerce extérieur

- proposition de décision du Conseil relative à la conclusion d'accords sous forme d'échange de lettres, d'une part entre la Communauté européenne et la République populaire de Chine, et d'autre part entre la Communauté européenne et les Etats-Unis d'Amérique. Proposition de règlement du Conseil concernant la mise en oeuvre de l'accord conclu par la Communauté européenne à l'issue des négociations menées dans le cadre du paragraphe 6 de l'article XXIV du GATT de 1994, modifiant et complétant l'annexe I du règlement (CEE) n° 2658/87 relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (document E 3090).

La Délégation a adopté ce texte en l'état des informations dont elle dispose.

¬ Communication

- Livre blanc sur une politique de communication européenne (document E 3078).

M. Michel Herbillon, rapporteur, a exposé la teneur du Livre blanc sur la communication européenne présenté le 2 février 2006 par Mme Margot Wallström, vice-présidente de la Commission européenne, chargée des relations institutionnelles et de la stratégie d'information. Il en a souligné les axes prioritaires, à savoir :

- la « définition de principes communs » d'information et de communication qui pourraient faire l'objet d'une « Charte ou d'un code de conduite » sur une « base volontaire » ;

- l'appropriation du projet européen par les citoyens à travers l'amélioration de l'éducation civique (par l'échange de meilleures pratiques) et l'établissement de liens entre les citoyens eux-mêmes et avec les institutions européennes ;

- la fourniture d'un meilleur service pour les médias, en modernisant la chaîne de télévision Europe by Satellite (EbS) et en exploitant mieux le potentiel offert par les nouvelles technologies ;

- une meilleure compréhension de l'opinion publique européenne, par exemple par la mise en place d'un réseau d'experts nationaux en matière d'enquêtes publiques ;

- le développement d'un partenariat entre tous les acteurs concernés : institutions et organes de l'Union européenne, Etats membres et autorités locales, société civile organisée et partis politiques.

Il a rappelé que ce document s'inscrivait dans le contexte politique des rejets français et néerlandais du traité constitutionnel, et dans le prolongement d'un plan d'action publié en juillet 2005 qui proposait 50 mesures pour « mieux communiquer sur l'Europe ». Ce Livre blanc fait également suite à la contribution de la Commission au débat sur l'avenir de l'Europe souhaité par le Conseil européen dans le cadre de la période de réflexion sur l'avenir du processus de ratification du traité constitutionnel européen.

Avant même sa publication, ce Livre blanc a néanmoins provoqué un début de polémique, notamment auprès des médias, en raison de l'intention annoncée de développer l'agence d'information audiovisuelle Europe by Satellite et d'y intégrer une agence de presse financée par le budget européen pour diffuser des informations « positives » sur l'Europe. Ce projet controversé a finalement été abandonné dans la version définitive du document adopté par le collège des commissaires.

M. Michel Herbillon a estimé que si la publication du Livre blanc partait incontestablement d'une bonne intention - celle de rapprocher l'Europe des citoyens - on pouvait s'interroger sur la pertinence de la méthode retenue par la Commission. Le déficit d'information des citoyens sur l'Europe ne provient pas tant de la difficulté d'obtenir des informations (celles-ci sont très nombreuses et très facilement accessibles pour ceux qui le souhaitent, notamment grâce au développement des nouvelles technologies) que de la trop faible appropriation des sujets européens par l'ensemble des acteurs (institutions, médias et citoyens). En outre, force est de reconnaître que les campagnes de communication sur l'Europe initiées jusqu'à présent par les institutions de l'Union n'ont jamais réellement atteint leurs objectifs, au point que l'on peut s'interroger sur le principe même de mener de telles campagnes. Le film de Cédric Klapisch « L'Auberge espagnole » a ainsi fait bien davantage pour la notoriété d'Erasmus que n'importe quelle action de communication qui peine à sortir des cercles d'initiés !

M. Michel Herbillon a ensuite insisté sur le rôle que peuvent jouer les parlementaires nationaux pour expliquer l'Europe auprès de leurs concitoyens.

A l'issue de cet exposé, la Délégation pour l'Union européenne a pris acte de ce Livre blanc et décidé de transmettre officiellement, au titre de sa contribution à la consultation lancée par la Commission, les résultats du questionnaire « Quelle Europe voulez-vous ? » récemment envoyé par les députés ainsi que le rapport remis au Gouvernement le 29 juin 2005 par M. Michel Herbillon sur « la fracture européenne ».

¬ Pêche

- proposition de règlement du Conseil relatif à la conclusion de l'Accord de Partenariat dans le secteur de la pêche entre la Communauté européenne et le Royaume du Maroc (document E 3060).

M. Guy Lengagne, rapporteur, a tenu à rappeler que la pêche constitue l'avancée la plus forte de la construction européenne. Les Etats membres ont mis leurs eaux en commun, et ne négocient plus individuellement les accords de pêche avec un Etat tiers : c'est l'Union européenne qui conduit ces négociations au nom de ses membres. Ainsi, c'est l'Union européenne qui va verser au Maroc 36 millions d'euros pour avoir le droit de pêcher dans les eaux marocaines sur la base de l'accord signé en juillet 2005. Le problème majeur est celui de la diminution des ressources liée à leur surexploitation. Alors que plus de 600 bateaux étaient autorisés à pêcher dans les eaux marocaines en vertu du précédent accord, celui-ci réduit leur nombre à 119 du fait de l'état des ressources. Les demandes concernant les bateaux espagnols et portugais ont été globalement satisfaites, mais la répartition opérée ne répond pas aux demandes de la France. La France avait demandé 4 licences pour des palangriers de fond et n'en obtient aucune ; elle avait demandé 4 licences de pêche démersale et n'en a obtenu aucune ; en revanche, elle se voit allouer 10 licences de pêche thonière alors qu'elle ne possède que 4 bateaux de ce type. L'accord, en l'état, est donc inacceptable pour la France. M. Guy Lengagne a proposé à la Délégation d'appuyer les revendications des pêcheurs et du gouvernement français, en s'opposant au texte en l'état.

M. Jean-Claude Lefort a approuvé cette position. Il a indiqué que les accords de pêche entre l'Union européenne et les pays tiers posent un réel problème : ces pays, dans les eaux desquelles les pêcheurs européens vont prélever des ressources, vont au fur et à mesure de leur développement vouloir mieux maîtriser cette activité, ce qui est tout à fait légitime. M. Jean-Claude Lefort a exprimé le souhait que soit établie une présentation globale des accords de pêche en vigueur entre l'Union européenne et les Etats tiers.

M. Guy Lengagne a précisé que ce qui faisait l'objet d'une remise en cause n'était pas les termes de l'accord conclu avec le Maroc, mais la répartition des possibilités de pêche opérée ensuite par la Commission européenne entre les Etats de l'Union.

La Délégation a adopté les conclusions suivantes :

« La Délégation,

- Vu l'article 88-4 de la Constitution,

- Vu la proposition de règlement du Conseil relatif à la conclusion de l'accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la Communauté européenne et le Royaume du Maroc (COM(2005)692 final),

- Considérant que, pour opérer entre les Etats membres de l'Union européenne la répartition des possibilités de pêche prévues par l'accord, il convient de tenir compte des caractéristiques des flottes de pêche nationales,

- Regrettant que la répartition proposée par la Commission européenne ne prenne pas en compte les demandes présentées par la France et fondées sur les caractéristiques de la flotte de pêche française,

S'oppose à la proposition de règlement en l'état. »

¬ Politique sociale

- proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant le Système européen de statistiques intégrées de la protection sociale (SESPROS) (document E 3073) ;

- proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 883/2004 concernant la coordination des systèmes de sécurité sociale, et déterminant le contenu de l'annexe XI (document E 3075) ;

- proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (document E 3077).

¬ Transports

- proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif a l'instauration de règles communes dans le domaine de la sûreté de l'aviation civile (document E 2968).

Ces quatre textes ont été adoptés par la Délégation.

Enfin, la Délégation a pris acte de l'approbation, selon la procédure d'examen en urgence, du texte suivant :

- projet d'action commune 2005/.../PESC du Conseil du ... soutenant la Convention sur les armes biologiques (CIAB) dans le cadre de la stratégie de l'Union européenne contre la prolifération des armes de destruction massive (document E 3087).

En conclusion de la réunion, le Président Pierre Lequiller s'est félicité du débat sur la directive sur les services et a précisé que la Commission des affaires économiques se prononçait également aujourd'hui sur la proposition de résolution déposée par les membres du groupe Député-e-s Communistes et Républicains avant l'examen en séance publique prévu le 14 mars.

Puis il a apporté des précisions sur l'organisation des travaux de la Délégation, en insistant sur la nécessaire assiduité des députés, alors que l'ouverture européenne de l'Assemblée nationale n'a cessé de s'intensifier depuis le début de la législature. Le Président Pierre Lequiller a ensuite indiqué qu'il envisageait de désigner au sein de la Délégation des missi dominici (à l'instar de ce qui avait été fait en 2004 sur le traité constitutionnel et en 2005 sur le budget européen) qui seront chargés de rencontrer leurs collègues parlementaires des autres pays membres de l'Union afin d'évoquer les initiatives politiques susceptibles de relancer la construction européenne. Un travail d'explication doit en effet être mené auprès de nos partenaires, dans le cadre de la période de la réflexion sur l'avenir de l'Europe souhaitée par le Conseil européen, alors que les pays qui ont ratifié le traité constitutionnel sont très réticents à voter sur un nouveau texte.

M. Jérôme Lambert a néanmoins estimé qu'après le rejet français, il n'y avait pas d'autre alternative pour les Etats ayant déjà ratifié le traité constitutionnel que de se prononcer, le moment venu, sur un nouveau texte.

IV. Nomination de rapporteurs d'information

Sur proposition du Président Pierre Lequiller, la Délégation a nommé :

M. Marc Laffineur sur le Livre vert sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et abus de positions dominantes (E 3047) ;

- Mme Arlette Franco sur l'organisation et le financement du sport dans l'Union européenne.