Fabrication de la liasse

Amendement n°CE21

Déposé le vendredi 12 juillet 2019
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Le V de l’article L. 521‑3‑1 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2019‑362 du 24 avril 2019 mentionnée à l’article 1er de la présente loi, est abrogé.

Exposé sommaire

Le présent amendement, proposé par la fédération nationale Coop de France, vise à la suppression de la disposition relative à la rémunération des apports abusivement basse qui ne respecte pas le champ de l’habilitation (article L. 521‑3-1 V). L’ordonnance n° 2019‑362 sur la coopération agricole, prise en application de la loi EGAlim, a été publiée le 25 avril 2019. Elle prévoit la création d’une action du ministre de l’Economie pour rémunération des apports abusivement basse pratiquée par une coopérative agricole à l’encontre d’un associé coopérateur.

I. – Le respect de la démocratie parlementaire

L’Assemblée Nationale a effectué son rapport, six mois après l’adoption de la loi EGAlim sur la bonne exécution de cette loi et en particulier sur l’adoption des mesures réglementaires et des ordonnances qui en découlent. Le rapport a été confié à Jean-Baptiste Moreau, rapporteur de la loi, et à Jérôme Nury, député de l’Orne, par la Commission des Affaires économiques de l’Assemblée. Dans ce cadre, les deux députés avaient auditionné Coop de France, le 30 avril 2019, qui avait exposé ses arguments sur l’illégalité de l’article L 521‑3-1- V créé par l’ordonnance dans le Code rural et de la pêche maritime (ci-après « CRPM »).

Dans le rapport sur l’application de la loi n° 2018‑938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales enregistré le 29 mai 2019, les rapporteurs ont souligné, en page 29 :

« …les coopératives de France par la voix de Coop de France ont fait part aux rapporteurs de leur opposition à ce dispositif qui excède, selon elles, le champ de l’habilitation à légiférer par ordonnances donnée par le Parlement au Gouvernement. Il semblerait que le Conseil d’État se soit prononcé en ce sens lors de son avis sur le projet d’ordonnance. Le Gouvernement n’a pas transmis cet avis aux rapporteurs.

L’article 17 prévoyant une réforme du prix abusivement bas au sein du code de commerce a servi de base juridique pour élargir le contenu de la réforme des coopératives agricoles qui, en application de l’habilitation prévue à l’article 11, ne concernait pas le prix des apports. Lors des débats parlementaires relatifs aux articles 17 et 11, il n’a pas été question de réformer les coopératives agricoles sur d’autres aspects que celui de la transparence et du contrôle des informations données à l’associé-coopérateur. L’article 17 sur lequel se fonde le Gouvernement prévoit en son II « la mise en cohérence des dispositions de tout code avec celles prise en application du I » relative au titre IV du livre IV du code de commerce. Pour autant, les députés ne souhaitaient pas que les dispositions modifiées au code de commerce soient appliquées aux coopératives agricoles au sein du CRPM. Il est d’ailleurs étonnant que les visas mentionnés en début d’ordonnance ne mentionnent que l’article 11 et non l’article 17, sur la base duquel le Gouvernement a choisi d’élargir l’application de l’action en responsabilité pour « rémunération anormalement basse » aux coopératives. »

Ainsi, cette extension du champ de l’interdiction des prix abusivement bas n’a pas fait l’objet d’un débat démocratique. En conséquence, elle n’était pas prévue par l’habilitation à légiférer par ordonnance. Ratifier l’ordonnance dans ses termes actuels, reviendrait pour les députés à valider a posteriori cet excès de pouvoir commis par le Gouvernement et à consacrer le déni de démocratie parlementaire qu’il constitue.

Tant sur l’excès de pouvoir que sur l’irrégularité de la disposition au regard de la Constitution, Coop de France a formé un recours pour excès de pouvoir auprès du Conseil d’État le 29 avril 2019. Ce recours ne peut prospérer que tant que l’ordonnance conserve une valeur réglementaire, le Conseil d’État n’étant pas compétent pour juger de la légalité d’une loi, puisque le législateur est souverain (sous réserve de respecter le bloc de constitutionnalité). Ainsi, il convient de rappeler que le Conseil d’État n’aura pas d’autre choix que de prononcer un non-lieu à statuer dès lors que l’ordonnance sera ratifiée selon la procédure parlementaire. Pour mémoire « dès lors que sa ratification est opérée par le législateur, une ordonnance acquiert valeur législative à compter de sa signature. Il suit de là qu’en cas de ratification, la juridiction administrative cesse d’être compétente pour connaître d’une demande d’annulation de l’ordonnance » (Conseil d’État, n° 416945, 6 juillet 2018).

Le Gouvernement, en inscrivant à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale la discussion du projet de loi de ratification, qui plus est selon la procédure accélérée, court-circuite le pouvoir de contrôle du Conseil d’État sur l’acte réglementaire, qu’il a adopté en ne respectant pas l’habilitation des parlementaires.

Il faut ajouter que tant que l’ordonnance n’est pas ratifiée, elle garde sa valeur réglementaire, mais est pleinement applicable. Ainsi, la ratification de l’ordonnance ne présente aucun enjeu d’application des dispositions. A compter du 1er juillet 2019, l’ordonnance est applicable aux coopératives. Elle n’aurait risqué d’être caduque que si le Gouvernement n’avait pas déposé le projet de loi de ratification avant le 25 juillet 2019. La procédure de ratification imposée par le Gouvernement, inhabituellement rapide (il faut rappeler qu’il existe de nombreuses ordonnances qui s’appliquent sans avoir jamais été ratifiées dès lors que le projet de loi de ratification a été déposé), conduit à demander aux parlementaires de valider a posteriori l’excès de pouvoir que le Conseil d’État ne pourra alors plus sanctionner.

C’est donc tant pour imposer le respect de la démocratie parlementaire que sur le fond (cf. infra) qu’il est demandé aux parlementaires de supprimer le V nouveau de l’article L 521‑3-1 du CRPM, adopté au mépris de l’ordonnance.

II. – Sur le fond :

Coop de France souhaite rappeler que le dispositif bien connu qui figure dans le Code de Commerce (action du ministre de l’Economie pour prix abusivement bas entre des commerçants, injonction, astreintes et amendes de 5 millions d’euros maximum) a été intégralement repris dans l’article L 521‑3-1 V du CRPM, très légèrement adapté pour interdire la pratique de rémunération abusivement basse (ci-après « PAB ») entre les coopératives agricoles et leurs associés coopérateurs.

Les arguments juridiques contre cette disposition sont forts au regard du droit coopératif.

1. Le respect du droit coopératif :

L’interdiction du PAB en coopérative est contraire au droit coopératif. En effet, la spécificité coopérative place les entreprises coopératives dans une situation fondamentalement différente de celle des entreprises commerciales :

– Les coopératives agricoles ont l’obligation de prendre livraison des productions des productions de leurs coopérateurs (même en période de surproduction ou d’absence de débouchés).

– Les coopératives agricoles n’ont pas le droit de se fournir auprès de tiers (car elles sont au nom du principe de l’exclusivisme dédiées à leurs associés coopérateurs), sauf exception limitée à 20 % de leurs apports.

– Les coopératives agricoles sont également dans l’incapacité d’évincer un coopérateur, même à la fin de la durée d’engagement, par exemple pour ne pas renouveler un contrat en cas de surproduction (ce que peut faire un industriel sous statut commercial).

Ainsi, ces contraintes importantes en termes d’approvisionnement placent les coopératives dans une situation différente des entreprises commerciales. La Cour de Justice de l’Union Européenne a affirmé qu’« à la lumière de ces spécificités, les coopératives peuvent être considérées comme ne se trouvant pas dans une situation factuelle et juridique comparable à celle des sociétés commerciales » (CJCE 8 septembre 2011, aff. C-78/08 à C-80/08). Ces principes ont été depuis repris par la Commission européenne (Communication de la Commission 2016/C 262/01).

C’est la raison pour laquelle l’article L 521‑1-1 du CRPM dispose que : « La relation entre l’associé coopérateur et la coopérative agricole à laquelle il adhère […] est régie par les principes et règles spécifiques du présent titre et par la loi n° 47‑1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération et définie dans les statuts et le règlement intérieur des coopératives agricoles ou unions. Elle repose, notamment, sur le caractère indissociable de la double qualité d’utilisateur de services et d’associé mentionné au a du I de l’article L. 521‑3 ».

La Cour de cassation a également reconnu la spécificité du droit coopératif, excluant ainsi l’application du droit commercial aux relations entre la coopérative et ses adhérents, au-delà même des coopératives agricoles. Des décisions récentes (Cass Com 8 février 2017, 11 mai 2017, 18 octobre 2017 et CA Paris 29 septembre 2011) excluent l’application des dispositions des articles L. 442‑6-I-2 (déséquilibre significatif) et 5° (rupture brutale) du Code de commerce aux relations intra coopératives. Ces décisions se justifient par le fait que le conseil d’administration d’une coopérative agricole est composé d’associés coopérateurs, agriculteurs, élus par leurs pairs et fonctionne démocratiquement.

Enfin, la DGCCRF a de façon constante écarté l’application des articles du Code de commerce sur les délais de paiement aux relations entre coopératives et coopérateurs.

Pour autant, le Gouvernement, dans l’extrait du compte rendu du conseil des ministres du 25 juin 2019 persiste dans la négation du contenu réel de la spécificité du statut coopératif, en affirmant : « Ces dispositions, qui prennent en compte les spécificités du modèle coopératif, conforteront son exemplarité et son attractivité en tant que levier essentiel du regroupement commercial des agriculteurs et de développement de l’agriculture dans les territoires » (soulignement ajouté). En qualifiant les regroupements que constituent les coopératives de « regroupement commercial », le Gouvernement refuse de prendre en compte le caractère « ni civil ni commercial » des coopératives, qui figure pourtant dans l’article L 521‑1 du CRPM. Le Gouvernement trahit son absence de reconnaissance de la spécificité des coopératives, en affirmant dans la même phrase, qu’on tient compte des spécificités du modèles coopératives et que les coopératives sont des regroupements commerciaux d’agriculteurs.

Il faut donc réaffirmer que les apports ne sont pas vendus à la coopérative mais apportés en vertu d’un contrat qui n’est pas une vente. Placer l’associé dans une situation d’un fournisseur quelconque est une façon de nier la spécificité coopérative et d’antagoniser les intérêts des coopératives et de ceux des coopérateurs.

Le PAB est une notion de droit commercial pour appréhender l’abus qu’un commerçant fait de sa position pour rogner la marge de son partenaire. Les coopératives sont des sociétés sans but lucratif et ne peuvent par nature rechercher à augmenter leur marge au détriment de leurs coopérateurs, qui les gèrent. Ce n’est qu’en ignorant la double qualité des associés coopérateurs que le Gouvernement a pu considérer qu’il existait un risque de conflit d’intérêt entre la coopérative et ses coopérateurs.

Le « prix » en coopérative de collecte-vente n’est pas un prix au sens commercial mais une rémunération, d’où la transformation du « PAB » en pratique de rémunération abusivement basse en coopérative. Cette rémunération n’est pas commerciale, et elle est entièrement adoptée de manière démocratique : le conseil d’administration, composé de membres élus en assemblée générale par les associés coopérateurs, est l’organe compétent pour définir les conditions de détermination des prix apports, puis l’Assemblée Générale décide l’affectation du résultat. Donc, la rémunération coopérative est décidée par des coopérateurs pour les coopérateurs. Ainsi, l’immixtion du juge, et plus encore du Ministère de l’économie, n’est pas acceptable.

Du fait du processus démocratique, la notion d’abus ne trouve pas place. Si les rémunérations des apports sont bas en coopérative, c’est que la coopérative n’a pas de marché ou que ses acheteurs ont fait une pression abusive sur leur résultat. Compte tenu du principe d’équité, si la rémunération des apports est anormalement basse, elle l’est pour tous, et non pas parce que la coopérative a nui à « un » coopérateur.

Enfin, prévoir des amendes prononcées contre les coopératives pour cette « pratique abusive » constitue une double peine pour les coopérateurs dont la coopérative, qui n’a déjà pas réussi à dégager un résultat suffisant pour leur donner une rémunération assez importante, va devoir payer, au budget de l’État, des amendes alors que les coopératives dégagent des résultats faibles structurellement. In fine, l’amende achèvera d’obérer la rémunération des associés coopérateurs.

2. Le respect du droit constitutionnel de propriété :

L’interdiction du PAB et l’action du ministre de l’Économie heurtent également le principe de propriété tel que reconnu par la Constitution, en ce qu’il induit la liberté de gérer ses entreprises selon les principes coopératifs. Les agriculteurs regroupés en coopératives doivent pouvoir se doter de règles de détermination du « prix » des apports qui ne sauraient être remises en cause par les pouvoirs publics, au nom du principe constitutionnel de propriété.

Le respect de la démocratie parlementaire, du droit coopératif et du droit de propriété motive donc l’adoption de l’amendement proposé.