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N° 1480

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIXIÈME LÉGISLATURE



Rapport remis à M. le Président de l’Assemblée nationale le 5 juillet 1994.

Dépôt publié au Journal Officiel du 6 juillet 1994.

 

RAPPORT

 

DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE (1) SUR LE CRÉDIT LYONNAIS

Président

M. Philippe SÉGUIN,

 

Rapporteur

M. François d’AUBERT,

 

Députés.

 

RAPPORT

 

(1) Cette commission est composée de : MM. Philippe Séguin, président, Philippe Auberger, Henri Emmanuelli (*), vice-présidents, Louis Pierna, Jean Royer, secrétaires, François d’Aubert, rapporteur ; MM. Raymond-Max Aubert, Gilles Carrez, Jean-Jacques Descamps, Yves Fréville, Alain Griotteray, Didier Migaud.

(*) M. Henri Emmanuelli a démissionné le 22 juin 1994.

Banques et établissements financiers

 

 



AVANT-PROPOS DU PRESIDENT         9
INTRODUCTION       19
I. — L’ETAT DES LIEUX       23
A. — DES COMPTES DEGRADES       23
1. — Les comptes de l’exercice 1993       23
2. — Les données complémentaires       28
a. — Les certificats d’investissement       28
b. — Les actions et les dividendes versés à l’Etat       28
c. — Les impôts versés à l’Etat       30
d. — L’évolution de la notation       31
e. — Eléments de comparaison       32
B. — D’INDENIABLES ACQUIS, DES ATOUTS SERIEUX MAIS UN       
TRAUMATISME CERTAIN       34
1. — Les acquis et les atouts       34
2. — Un traumatisme certain       36
II. — LA RECHERCHE DES CAUSES       37
A. — UNE STRATEGIE EXTREMEMENT AUDACIEUSE       37
1. — La banque-industrie       38
2. — La croissance externe en Europe       39
3. — La course aux fonds propres       41
B. — UNE STRATEGIE D’AUTANT PLUS EXPOSEE AUX       
RETOURNEMENTS DE CONJONCTURE       43
1. — Le surinvestissement       44
2. — Le choc immobilier       45
a. — Comment en est-on arrivé là ?       46
b. — Les déboires en France et à l’étranger       47
c. — Le Crédit lyonnais se fait « coller »       50
d. — Des provisions immobilières décidées tardivement       51
e. — A quoi ont servi les crédits ?       54
f. — L’activité immobilière du Crédit lyonnais était-elle conforme à ce qu’on       
peut attendre de la plus grande banque publique française ?       57
3. — Le transfert de certains engagements douteux à       
l’Omnium immobilier de gestion (OIG)       59
a. — Les conditions de l’opération       60
b. — Le contenu de la structure de cantonnemnt       62
c. — Les résultats escomptés       62
C. — UNE STRATEGIE AUX IMPLICATIONS INSUFFISAMMENT       
MAITRISEES       64
1. — Les insuffisances des procédures centrales       65
2. — Des filiales la bride sur le cou       69
a. — Le Crédit lyonnais Bank Nederland (CLBN)       71
b. — Altus Finance       86
c. — La Société de banque occidentale (SDBO)       94
d. — International Bankers SA     103
III. — LA RECHERCHE DES RESPONSABILITES     106
A. — DE L’ETAT ACTIONNAIRE ET TUTEUR     106
1. — Une responsabilité ambiguë     107
a. — L’Etat : un actionnaire atypique     107
b. — L’autonomie de gestion     109
2. — L’exercice de la tutelle et le contrôle de l’actionnaire     113
B. — DES INSTANCES DIRIGEANTES     119
1. — Le président     119
a. — Les erreurs de choix stratégiques     119
b. — Des modes de gestion défaillants     121
c. — La part de responsabilité des prédécesseurs     123
2. — L’état-major et les collaborateurs     124
3. — La pratique d’une déontologie parfois émoussée     126
4. — Le conseil d’administration     130
C. — DES CONTROLES EXTERNES NECESSAIREMENT TARDIFS     135
1. — Les commissaires aux comptes     135
2. — La Commission bancaire     138
a. — Des contrôles a posteriori     138
b. — Des contrôles tardifs     139
c. — Des conséquences décisives     140
d. — La faiblesse du contrôle des filiales étrangères     141
3. — La Cour des comptes     143
IV. — LES CONCLUSIONS     144
A. — LES SANCTIONS     144
B. — LES PERSPECTIVES     146
1. — Les perspectives du groupe     146
2. — Des enseignements à tirer     147
3. — L’incapacité à sortir des contradictions de l’économie mixte     148
ADOPTION     151
EXPLICATIONS DE VOTE     153
ANNEXE     163

SOMMAIRE DES AUDITIONS

Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des séances tenues par la Commission

(La date de l’audition figure ci-dessous entre parenthèses)

Pages


— M. Jean Peyrelevade, Président du Crédit lyonnais (10 mai 1994)         7
— M. Jean-Yves Haberer, Président du Crédit lyonnais de 1988 à 1993 (11 mai 1994)       40
— M. Jean-Claude Trichet, Gouverneur de la Banque de France, Président de la Commission bancaire,       
Directeur du Trésor de 1987 à 1993 (18 mai 1994)       85
— M. Jean-Maxime Lévêque, Président de la Banque de l’Union maritime et financière,        
Président du Crédit lyonnais de 1986 à 1988 (18 mai 1994)     135
— M. Jean-Yves Haberer, Président du Crédit lyonnais de 1988 à 1993 (19 mai 1994)     
— M. Michel Sapin, Membre du Conseil de la politique monétaire,     165
Ministre de l’Economie et des Finances d’avril 1992 à mars 1993 (25 mai 1994)     217
— M. Bernard Thiolon, Directeur général du Crédit lyonnais de 1985 à 1992 (25 mai 1994)     244
— M. Jean Deflassieux, Président du Crédit lyonnais de 1982 à 1986 (25 mai 1994)     271
— M. Jean-Louis Butsch, Secrétaire général de la Commission bancaire (25 mai 1994)     291
— M. Denis Samuel-Lajeunesse, Président de la Société lyonnaise de Banque,     
membre du conseil d’administration du Crédit lyonnais, représentant de l’Etat     
(direction du Trésor) de mars 1989 à juin 1992 (26 mai 1994)     314
— Mme Ariane Obolensky, Chef du service des affaires internationales à la Direction du Trésor,     
Chef du service des affaires monétaires et financières d’octobre 1988 à septembre 1992     
(26 mai 1994)     332
— M. Jean-Pascal Beaufret, Chef du service des affaires monétaires et financières et membre du conseil     
d’administration du Crédit lyonnais, représentant de l’Etat depuis     
juillet 1992 (26 mai 1994)     353
— M Pierre Joxe, Premier Président de la Cour des Comptes, accompagné de MM. Roland Morin,     
Président de Chambre, et Jean Driol, Président de section à la Troisième chambre (31 mai 1994)     384
— M. Edmond Alphandéry, Ministre de l’Economie (1er juin 1994)     416
— M. Albert Pavie, Commissaire aux comptes, et M. Kevin Pilgrem, Responsable technique (2 juin 1994)     456
— M. Marc Ladreit de Lacharrière, Président de Fimalac, membre du conseil d’administration du Crédit lyonnais     
en tant que personnalité qualifiée de septembre 1986 à début 1994 (8 juin 1994)     496
— M. Pierre Gisserot, Chef du service de l’Inspection générale des Finances,     
membre du conseil d’administration du Crédit lyonnais, représentant de l’Etat depuis septembre 1986 (8 juin 1994)     512
— Mme Denise Gerlat, membre du conseil d’administration du Crédit lyonnais,     
représentant du personnel depuis 1982 (CGT) (8 juin 1994)     532
— M. Jacques Journoud, membre du conseil d’administration du Crédit lyonnais,     
représentant du personnel depuis 1982 (FO) (8 juin 1994)     542
— M. Georges Vigon, en retraite. Président du directoire du CLBN de 1981 à 1988,     
Directeur au siège, responsable Europe jusqu’en 1991 (8 juin 1994)     550
— M. Christian Peene, Directeur des Financements et des Services à     
l’Immobilier au Crédit lyonnais (8 juin 1994)     577
— M. François Gille, Directeur général du Crédit lyonnais     
de décembre 1992 à avril 1994 (9 juin 1994)     600
— M. Jacques de Larosière, Président de la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD),     
depuis 1993, Gouverneur de la Banque de France de 1987 à 1993 (15 juin 1994)     630
— M. Alexis Wolkenstein, Directeur général adjoint, chargé de la direction centrale des     
affaires internationales au Crédit lyonnais, en retraite depuis le 31 décembre 1992 (15 juin 1994)     657
— M. Jean-François Hénin, ancien Directeur général d’Altus,     
actuellement Président de Electricité et Eaux de Madagascar (15 juin 1994)     670
— M. Michel Gallot, directeur de la direction centrale des groupes d’entreprises et des affaires immobilières jusqu’en 1991,     
Président de la Société de Banque occidentale jusqu’en mai 1994 (15 juin 1994)     691
— M. Jean Peyrelevade, Président du Crédit lyonnais. (16 juin 1994)     716
— M. Jean-Yves Haberer, Président du Crédit lyonnais de 1988 à 1993 (22 juin 1994)     760

AVANT-PROPOS DU PRÉSIDENT

Fallait-il ou ne fallait-il pas créer une Commission d’enquête parlementaire sur la situation du Crédit lyonnais et ses origines ? Le débat autour de cette question a été plus vif que ne le laisse supposer la discussion publique des propositions de résolution qui tendaient à de telles investigations. Rien ne dit qu’il ne rebondira pas après la publication du présent rapport.

Ni le gouvernement ni la direction de l’établissement n’accueillaient cette perspective avec empressement, arguant de ses risques pour la réputation d’une banque déjà ébranlée par des résultats médiocres et une pression médiatique qui est allée crescendo au cours des derniers mois. On pouvait craindre, au surplus, que, du fait des critiques et des accusations ayant émané des rangs mêmes de l’Assemblée nationale depuis plusieurs années, celle-ci ne se retrouvât juge et partie et manquât de la sérénité et du détachement nécessaires dans ce genre d’exercice. Il était permis de s’interroger en outre sur la capacité d’une assemblée parlementaire à démêler un écheveau incroyablement complexe sur lequel, de surcroît, travaillaient depuis longtemps les équipes des commissaires aux comptes, des services du Trésor, de la Commission bancaire, de la Cour des comptes, dont les investigations devraient, pour certaines, durer des mois, sinon des années encore, et qui ne pourraient utilement se conjuguer que tardivement pour approcher, sans doute bien approximativement, la vérité...

La question méritait d’autant plus d’être posée que la marge de manœuvre dévolue à la Commission d’enquête promettait d’être limitée et par l’opposition, qui promettait d’être fréquente, du secret bancaire et par l’impossibilité d’enquêter dans les domaines concernés par les procédures judiciaires ouvertes sur nombre des secteurs d’intervention de la banque.

Il n’était pas jusqu’à l’Assemblée elle-même qui pouvait s’interroger sur l’opportunité - et les dangers - de son intervention. Aux raisons déjà évoquées, qu’elle ne pouvait pas ne pas prendre en considération, s’en ajoutaient qui lui étaient propres. Il apparaissait vite en effet que c’était sa crédibilité même qui risquait d’être mise en cause : acceptait-elle par avance, dès lors qu’elle s’efforçait à l’objectivité et à un strict respect des limites qui lui étaient imposées, de s’exposer à l’insatisfaction prévisible de l’opinion dont il était clair, d’emblée, qu’elle ne pourrait répondre à toutes les attentes ? Enfin, sur quels critères devrait-elle fonder son propre jugement ?

Ces interrogations étaient encore renforcées par les effets de la concomitance de deux processus : parallèlement à l’initiative parlementaire, et avant même qu’elle ait abouti, l’idée d’une Commission d’enquête fut évoquée, en Conseil des Ministres — le jour même de la révocation de M. Jean-Yves Haberer de ses fonctions de Président du Crédit National — et les échos recueillis donnaient à penser qu’elle devrait avoir des allures de jury d’honneur et, sans doute, une autre composition.

Si finalement la solution parlementaire devait prévaloir, il demeurait que les objectifs qui lui étaient impartis aux yeux de l’opinion s’avéraient d’autant plus flous. A la recherche des éléments pouvant engager — ou dégager — la responsabilité de M. Haberer — qui avait lui-même demandé publiquement à s’expliquer — s’ajoutait encore l’invitation pressante à s’en tenir à la démonstration de la validité d’une hypothèse que paraissait retenir notamment le libellé de la résolution votée par l’Assemblée : aux termes de celle-ci, s’il y avait eu des problèmes au Crédit lyonnais, c’était, tout particulièrement, en raison de la défaillance des contrôles qui auraient dû normalement s’exercer.

Tout a été mis en œuvre pour tenter de conjurer ces risques et dissiper ces équivoques.

Eu égard à son enjeu pour la banque, pour la place de Paris et pour l’Institution, il a été d’abord décidé, à titre exceptionnel, que le Président de l’Assemblée présiderait lui-même la Commission d’enquête.

Puis la Commission a décidé de s’imposer le secret pour ses auditions et ses délibérations tout en se réservant de rendre publiques ses conclusions ainsi que tout ou partie des déclarations des personnes entendues.

On notera que la Commission, qui a pu ainsi travailler hors de toute pression, aura été guidée de bout en bout par quatre préoccupations : répondre autant que faire se pouvait aux objectifs qui lui étaient fixés ; trouver les moyens d’une appréciation équitable du rôle de l’ensemble des protagonistes et en tout premier lieu de M. Jean-Yves Haberer ; contribuer — sous la seule réserve de ses devoirs vis-à-vis de ses mandants — à garantir l’avenir du Crédit lyonnais ; assurer la réputation de l’Assemblée Nationale.

La Commission a vite estimé que, dans la mesure où elle ne pouvait prétendre à l’exhaustivité dans l’analyse des multiples affaires dans l’affaire, ni mettre un point final au débat engagé, elle devait s’imposer d’apporter une réponse rapide à celles des interrogations qui avaient motivé sa création.

Elle a donc choisi d’emblée de s’imposer un rythme de travail soutenu et de se fixer pour objectif la publication de son rapport avant la fin de la session extraordinaire du Parlement, normalement prévue à la veille du 14 juillet.

Au cours de ses dix semaines d’existence, elle aura tenu 23 séances plénières et procédé à l’audition de 28 personnes. Entendant M. Jean-Yves Haberer à trois reprises et M. Jean Peyrelevade deux fois, elle aura consacré un total de 50 heures à cette phase d’investigations. Parallèlement, le rapporteur, usant de ses pouvoirs propres, aura interrogé une vingtaine de personnes et conduit au Crédit lyonnais une enquête sur pièces et sur place. La Commission se sera fait communiquer par ailleurs et aura exploité un volume considérable de documents, émanant de la Cour des Comptes, du Ministère de l’Economie, de la Commission bancaire et de la Commission des opérations de Bourse, qu’il y a lieu de remercier pour l’aide précieuse ainsi apportée à la Commission.

Je tiens moi-même à exprimer ma reconnaissance aux membres de la Commission qui ont fait preuve d’une assiduité d’autant plus méritoire que les obligations qui en découlaient étaient astreignantes et qui, par la pertinence de leurs questions et le sérieux de leur participation au débat, ont facilité la tâche redoutable du rapporteur qui avait à la fois à en assurer fidèlement la synthèse et à organiser la présentation de la documentation recueillie.

L’objet de cette introduction n’est ni de se substituer au rapport ni de le résumer. Elle tend seulement à l’éclairer et pourra valoir avertissement à ses lecteurs.

1) La Commission a estimé dès l’origine que ses investigations tiraient leur légitimité de ce que les finances publiques — dont la représentation nationale est garante — étaient appelées à compenser les effets de l’évolution financière du Crédit lyonnais. Pour autant, elle n’a pas pu ne pas manifester sa perplexité sur les critères et la nature même du jugement qu’elle avait à formuler. Cette perplexité tient au fait que les différences entre une banque privée et une banque publique apparaissent fort ténues : elles se limitent au fait que celle-ci est soumise au contrôle a posteriori de la Cour des Comptes et non celle-là, et que le président d’une banque publique est seul mandataire social, alors que cette responsabilité est partagée avec le directeur général dans une banque privée.

En revanche, aucun des interlocuteurs de la Commission — on lit bien aucun — n’a pensé pouvoir discerner l’esquisse de l’ombre d’une différence dans les missions imparties à l’une et à l’autre. Au contraire, chacun — et c’était particulièrement vrai des fonctionnaires de l’Etat — a beaucoup insisté sur le fait que la direction d’une banque publique devait disposer de la même liberté de manœuvre, de la même autonomie de décision qu’une banque privée. Même M. Jean-Yves Haberer, auquel l’audace de sa stratégie est souvent reprochée, n’a pas estimé nécessaire de la justifier par le statut de l’établissement qu’il dirigeait et le rôle particulier qui pouvait lui incomber en conséquence.

A la question : « Votre stratégie était-elle liée et inséparable du fait que vous étiez une banque publique ? », il a ainsi répondu : « Mon opinion est ferme : que la banque soit privée ou publique, c’est la même chose, c’est comme cela que je vois agir les grandes banques ».

M. Haberer est seulement convenu qu’il pouvait lui revenir de prendre en compte des recommandations de portée générale du gouvernement.

Dans ces conditions, il n’y avait plus lieu — comme prévu initialement — de s’interroger sur l’efficacité de contrôles spécifiques dont il a été vite établi qu’ils n’existent pas et qu’ils n’ont pas à exister, sauf a posteriori, mais sur l’efficacité de l’exercice de son rôle d’actionnaire par l’Etat.

A cet égard, il est vite apparu — et le rapporteur en donne maints exemples — que cette efficacité est proche de la nullité.

Non en raison d’une incompétence, ou de faiblesses des représentants de l’Etat au conseil d’administration de la banque mais parce qu’il est clair que l’Etat ne sait pas au juste en quoi peut ou doit constituer son rôle d’actionnaire. Comme cela a été souligné au cours des auditions de la Commission, la définition par l’Etat de sa responsabilité d’actionnaire est assez ambiguë, l’organisation de l’exercice de cette responsabilité n’est pas pleinement satisfaisante. Ces imprécisions ne sont évidemment pas sans effet sur le comportement des autres administrateurs pour lesquels la responsabilité supposée de l’Etat vaut exonération de toute obligation.

Il n’entrait pas dans les compétences de la Commission de s’interroger sur le problème de l’opportunité de l’existence d’entreprises publiques. Pour autant, si l’arbitrage va dans le sens du maintien de certaines d’entre elles, encore conviendrait-il de donner une signification à ce choix et de définir — enfin — les voies et moyens pour l’Etat de l’assumer, autrement que par l’exercice occasionnel d’une magistrature d’influence, elle-même sujette aux interprétations les plus variées et aux malentendus les plus regrettables. L’Etat a sûrement mieux à faire, dans de telles circonstances, qu’à se comporter comme un groupe de pression, seulement plus puissant que tout autre.

2) Parmi les causes de la situation du Crédit lyonnais ainsi que les détaille le rapporteur, il y a incontestablement une stratégie audacieuse qui lui promettait les plus beaux fruits en période de croissance forte mais qui le rendait particulièrement vulnérable à une conjoncture défavorable. Il y a par ailleurs une série de dysfonctionnements — sous-estimation du risque immobilier, autonomie totale de certaines filiales, inadaptation des procédures de contrôle interne — qui ne vont pas peu contribuer à transformer la conjonction de certaines difficultés en « affaire ».

La Commission a tenu à ce que les résultats de 1993 et l’effort demandé d’ores et déjà à l’Etat actionnaire soient mis en perspective dans le temps (dividendes et impôts passés) et l’espace (accidents survenus dans d’autres pays) et appréciés à l’échelle du bilan de la banque. Elle a voulu rappeler avec force que la stratégie retenue ne date pas de la gestion de M. Haberer, même si celui-ci a voulu la théoriser (concept de la banque-industrie) : elle remonte à une époque plus ancienne et s’est affirmée sous la présidence de M. Jean-Maxime Lévêque, nommé en 1986.

Il reste que, décidé à devenir la première banque d’Europe — voire du monde — comme cela a été indiqué à plusieurs reprises, le Crédit lyonnais a été plusieurs années durant en proie à une véritable boulimie d’investissements et de prises de participations, que n’accompagnait pas toujours une juste appréciation des risques. Cela supposait une réorganisation interne qui n’apparut que tardivement, trop tardivement. De surcroît un pouvoir traditionnellement très centralisé a continué à nourrir sa fatale contrepartie : l’existence de baronnies dont les effets négatifs sont allés croissant.

Il ne faut donc pas s’étonner qu’un certain nombre d’errements fâcheux de certaines sociétés françaises aient été parfois poussés dans le cas d’espèce à une sorte de paroxysme. La Commission a ainsi eu souvent la confirmation d’une loi non écrite — qui n’a pas échappé à l’opinion publique — et au terme de laquelle plus le montant des sommes en cause est élevé et moins le sérieux et l’objectivité prévalent dans le processus de la prise de décision. Elle a pu constater, qu’au corps défendant des dirigeants, l’étanchéité à l’argent douteux ne pouvait être établie.

On sera plus circonspect sur les effets au Crédit Lyonnais de la confusion des genres entre la politique et les affaires, dont le statut de la banque, entre autres éléments, pouvait alimenter la rumeur. Non que des symptômes ne puissent en être décelés. Mais du moins aucune des interférences supposées — s’agissant, en tout cas, de la politique française — n’aura-t-elle eu un effet décisif sur la situation de l’établissement : il n’est même pas certain à cet égard que les engagements — très discutés — dans Usinor-Sacilor ou dans Aérospatiale doivent davantage à un souhait des pouvoirs publics qu’à un choix délibéré de la banque.

C’est assez dire que rien, selon la Commission, ne saurait être reproché à M. Jean-Yves Haberer aux chapitres de la déontologie, de l’honnêteté et de l’honneur.

La précision n’est probablement pas inutile si l’on songe aux conditions dans lesquelles l’intéressé a été révoqué de la Présidence du Crédit National.

Dès lors que M. Haberer était le responsable d’une stratégie et d’une gestion qui, sous réserve des précisions apportées par le rapport, étaient à l’origine des difficultés constatées, il n’était pas anormal qu’on pût songer à lui retirer la direction du Crédit lyonnais. Aller le poursuivre dans son nouveau poste pouvait conduire à des interprétations plus fâcheuses, que la Commission se doit d’écarter : elle a bien voulu considérer, comme on le lui a suggéré, que cette opération en deux temps n’avait d’autre objet que de permettre une transition « en douceur » et de ne pas mettre en cause trop brutalement la crédibilité de l’établissement.

Pour apprécier la responsabilité de M. Haberer en termes de gestion, et dès lors qu’on aura bien pris conscience des effets du décalage croissant entre stratégie d’une part, structures et procédures d’autre part, il convient, dans un souci d’équité, de se demander s’il est bien, comme il le pense, une victime expiatoire nécessaire. Il y a lieu donc d’évaluer — même si cela n’entrait pas dans le domaine d’investigation de la Commission — les effets de la stratégie retenue par son successeur qui se caractérise par une volonté de rupture, le souci d’obtenir — avant même d’accepter la présidence de l’établissement — les meilleurs moyens possibles pour conduire le redressement, sa volonté déclarée de corriger l’image de l’établissement à la faveur de la démonstration par voie publique d’un nouveau mode de traitement des dossiers difficiles.

Ce choix pérennise une situation déjà ancienne : l’intrusion des médias, de certains élus et de l’opinion dans les affaires du Crédit lyonnais est relativement ancienne et a créé un contexte sans précédent. La banque a eu à vivre sous une pression constante qui n’a probablement pas été pour rien dans l’aggravation de ses difficultés. L’affaire MGM en donne une bonne illustration, au demeurant paradoxale : en accréditant les rumeurs qui couraient sur ses acheteurs, la décision du gouvernement relative à Pathé-Cinéma aura contribué à l’écroulement du montage financier de l’OPA sur le groupe américain et, indirectement déterminé un engagement du Crédit lyonnais dans des conditions rocambolesques.

Les raisons de cette situation semblent nombreuses mais très complémentaires : les déboires — hélas bien réels — de la banque dans des secteurs qui attiraient la curiosité ou excitaient les imaginations (cinéma, immobilier), ses relations avec des hommes parfois controversés et au fort impact médiatique (M. Tapie, M. Parretti), les difficultés financières avérées dont on exigeait d’autant plus l’explication et la réparation que la banque était considérée comme une propriété voire un service de l’Etat et qu’on voulait supposer des relations troubles entre le pouvoir politique et sa direction.

On n’excédera pas les pouvoirs dévolus à la Commission en souhaitant que chacun s’efforce désormais de contribuer à l’apaisement des esprits, à la normalisation des rapports de l’établissement avec l’extérieur et à la restauration d’un climat plus propice à son fonctionnement régulier.

3) Le souci de ne pas compromettre l’avenir de l’établissement et de la place de Paris a été au centre des préoccupations de la Commission sous la seule réserve — on le répète — de son devoir de recherche de la vérité.

Si le Président Peyrelevade a repoussé — fièrement... ou prudemment — toute idée de validation de son plan de redressement par la Commission, celle-ci ne peut que constater que l’établissement dispose des moyens de restaurer sa réputation, de justifier la confiance de ses clients et même, à terme, de tirer tout le parti possible des audaces d’hier.

On s’en réjouira d’autant plus que l’on comprend le désarroi qu’aura pu éprouver le personnel de la Maison mère et de son réseau qui aura eu à supporter les effets d’une situation dans laquelle il n’était généralement impliqué ni de près ni de loin et qui constitue, à n’en pas douter, la meilleure chance d’avenir de l’établissement.

On souhaitera d’autant plus que ces données morales et psychologiques soient prises en compte au moment de la mise en œuvre des restructurations qui peuvent s’avérer nécessaires.

A l’inverse, il convient d’insister sur le souhait exprimé par la Commission de voir confirmées, enclenchées et menées jusqu’à leurs termes les plus ultimes toutes les procédures judiciaires relatives aux affaires dans lesquelles la responsabilité de clients du Crédit lyonnais est engagée.

La Commission n’a pas souhaité entrer trop avant dans le débat de l’évaluation des pertes du Lyonnais, au demeurant provisoirement tranché lors de la mise en place de la structure de cantonnement. Seul, en effet, et encore, l’avenir dira si les décisions prises ont été bonnes. Aussi étonnant que cela puisse paraître — et on serait encore plus étonné de la fréquence et de l’insistance des rappels qui lui en ont été fait — la Commission n’avait, théoriquement, aucune compétence sur la période postérieure au 31 décembre 1993, donc sur la période de l’arrêté des comptes... 1993 !

L’enjeu de ce débat est double et explique son âpreté : il ne s’agit pas seulement d’évaluer les conséquences des choix de l’ancienne gestion, il s’agit aussi, et simultanément, de déterminer si l’engagement de l’Etat actionnaire qui s’en est ensuivi, a réellement et sincèrement correspondu aux besoins.

On ne s’étonnera pas dans ces conditions que M. Haberer rapporte des rumeurs qui auraient cours dans les services du Trésor et faisant état de « casse du siècle », tandis que M. Peyrelevade estime qu’il aurait dû demander davantage.

On relèvera seulement que l’arbitrage entre M. Peyrelevade et le Ministère de l’Economie a été rendu par l’Hôtel Matignon contre ce dernier et que l’éventualité de la démission du nouveau Président du Crédit lyonnais paraît avoir été, pour le moins, l’un des critères retenus.

On relèvera le regret émis par la Commission que cet arbitrage n’ait pas prévu de confier à un représentant de l’Etat, comme cela aurait été logique et sage, la présidence de la structure de cantonnement. Au-delà du contrôle strict des engagements à venir de l’Etat, cela aurait donné une garantie d’objectivité sur le jugement définitif à porter, au vu de son évolution, sur ce que fut la réalité de la crise du Crédit lyonnais.

4) Parce qu’il intervient à un moment du long processus d’évaluation des effets de la gestion antérieure, parce que d’autres investigations longues et patientes demeurent nécessaires et que, en tout état de cause, seul l’avenir permettra de faire procéder à un chiffrage approchant de la vérité, l’intervention de l’Etat étant aujourd’hui calculée sur la base de provisions dont à titre principal, l’évolution de la conjoncture économique permettra de confirmer ou d’infirmer, dans un bon ou dans un mauvais sens, la fiabilité, il est possible que ce rapport suscite des insatisfactions.

Qu’on veuille bien considérer, du moins, qu’autant que ses propres constatations et conclusions, la Commission entend que la publication, qu’elle a décidée, des déclarations des différents protagonistes — pour la plupart totalement inédites — aide les Français, en les confrontant, à se forger une opinion. Le résultat de ses travaux doit donc être considéré comme un tout. C’est cet ensemble de pièces et de points de vue, qui est sans précédent, que la Commission entend livrer comme résultats de ses travaux.

Elle souhaite que les conclusions qui en seront tirées demeurent nuancées.

Le vocabulaire même nous rappelle qu’une banque gère « des risques ». Frileuse, on la critique, audacieuse, on la condamne. S’agissant du Crédit lyonnais, si ces risques ont été, pour une part, excessifs car insuffisamment contrôlés, ils ont été aussi dans une large proportion partagés avec d’autres établissements bancaires.

Elle souhaite enfin qu’on ne néglige pas que cette crise aura été également révélatrice de problèmes qui dépassent largement l’établissement et qui interpellent l’Etat. Dégradation des moeurs, argent douteux, dérégulations excessives — aux yeux, du moins, de plusieurs des commissaires — insuffisante précision des missions dévolues à la puissance publique, connivences sociologiques : au-delà du problème propre du Crédit lyonnais, ce sont ces questions que se devait de poser la Commission. Elle s’est efforcée d’honorer une responsabilité qui est celle de la représentation nationale.

Le Président

Philippe SÉGUIN

Président de l’Assemblée nationale

INTRODUCTION


Le 28 avril dernier, l’Assemblée nationale décidait la création d’une commission d’enquête sur le Crédit lyonnais.

Cette initiative faisait suite au dépôt de deux propositions de résolution : la première présentée par M. Bernard Pons et les membres du groupe du Rassemblement pour la République, la seconde par M. François d’Aubert et les membres du groupe de l’Union pour la Démocratie française et du centre, et déposées respectivement les 30 mars et 1er avril 1994.

Dans les deux cas, il s’agissait, devant l’ampleur des pertes du Crédit lyonnais — telles que rendues publiques le 24 mars 1994 et compte tenu du coût qui allait en résulter pour l’Etat actionnaire, et à travers lui, pour le contribuable — de rechercher les causes de cette situation.

Ces demandes différaient donc des initiatives antérieures, notamment de celles de votre Rapporteur, qui interrogeaient le Gouvernement de l’époque ou proposaient des enquêtes sur les risques engagés par le Crédit lyonnais et sa filiale, le Crédit lyonnais Bank Nederland.

En effet, le dispositif, adopté par l’Assemblée nationale sur proposition de la Commission des finances, de l’économie générale et du plan, fixait une double mission à cette Commission :

— analyser les causes des difficultés financières liées aux pertes qu’a connues le groupe Crédit lyonnais avant le 31 décembre 1993 et qui ont justifié la mise en œuvre par l’Etat d’un plan de redressement ;

— déterminer les conditions dans lesquelles les contrôles comptables ainsi que lé contrôle de l’Etat et des autorités prudentielles se sont exercés sur le Groupe Crédit lyonnais.

Afin d’assurer à ses travaux la confidentialité requise par la nature de son champ d’investigation, votre Commission, composée de douze membres, décida d’appliquer à ses travaux la règle du secret. Ceci permettait également d’éviter que ses auditions ne soient à l’origine de polémiques publiques préjudiciables non seulement à la nécessaire sérénité de ses travaux mais aussi aux intérêts et à l’avenir du Crédit lyonnais.

Votre Commission, dans la conduite de ses investigations, a considéré qu’il convenait de ne pas se limiter à la seule présidence de M. Jean-Yves Haberer de septembre 1988 à novembre 1993.

Elle a estimé nécessaire de remonter plus loin dans le temps.

Elle a ainsi procédé à l’audition de 28 témoins. Les quatre derniers présidents du Crédit lyonnais, MM. Jean Deflassieux, Jean-Maxime Lévêque, Jean-Yves Haberer et, enfin, M. Jean Peyrelevade ont déposé devant elle. Outre les présidents, ont également témoigné plusieurs des membres de l’état major de la banque : MM. Bernard Thiolon, François Gille, Alexis Wolkenstein et Michel Gallot, également entendu comme dirigeant d’une filiale, la Société de Banque occidentale, de même que M. Jean-François Hénin pour Altus et M. Georges Vigon, ancien président du Crédit lyonnais Bank Nederland puis directeur Europe au Crédit lyonnais. M. Christian Peene, directeur des financements et des services à l’immobilier du Crédit lyonnais a également été entendu.

Votre Commission a enfin entendu des membres du conseil d’administration de 1987 à 1993 : M. Marc Ladreit de Lacharrière, au titre des personnalités qualifiées, M. Pierre Gisserot, à celui de représentant de l’Etat et Mme Denise Gerlat et M. Jacques Journoud en leur qualité de représentants du personnel.

Ces auditions ont eu pour objet, d’une part, d’éclairer votre Commission sur l’évolution de la stratégie de l’établissement et, d’autre part, de rechercher les différentes causes de dysfonctionnements internes à la banque.

Par ailleurs, et conformément à son second mandat, votre Commission a fait porter ses investigations sur le fonctionnement des contrôles tant externes qu’internes.

A ce titre, elle a entendu deux ministres chargés de l’Economie, successivement responsables de la tutelle du Crédit lyonnais, MM. Michel Sapin et Edmond Alphandéry et des membres de la direction du Trésor en charge du dossier durant la période retenue : M. Jean-Claude Trichet, alors directeur du Trésor — également entendu comme actuel Gouverneur de la Banque de France — , M. Denis Samuel-Lajeunesse, chef de service au Trésor et représentant de l’Etat au conseil d’administration, Mme Ariane Obolensky, ancien chef du service du Trésor chargé de la tutelle et M. Jean-Pascal Beaufret, actuel chef du service du Trésor chargé de la tutelle et représentant de l’Etat au conseil d’administration du Crédit lyonnais.

MM. Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes, Roland Morin, Président de chambre et Jean Driol, Président de section, ont présenté à la Commission les modalités du contrôle de la Cour sur le Crédit lyonnais et les enquêtes déjà effectuées par elle, en indiquant la portée de l’aide que la Cour pourrait apporter à votre Commission grâce à ses propres investigations.

M. Jacques de Larosière, ancien Gouverneur de la Banque de France et M. Jean-Louis Butsch, secrétaire général de la Commission bancaire ont exposé les conditions dans lesquelles la surveillance de la Commission bancaire s’était exercée sur le Crédit lyonnais.

Enfin, la Commission a entendu MM. Albert Pavie et Kevin Pilgrem, commissaires aux comptes du Crédit lyonnais maison mère.

Outre les auditions, le travail de la Commission a pu s’appuyer sur une documentation importante transmise par le ministère de l’Economie, la Cour des comptes, la Commission bancaire, et la Commission des Opérations de Bourse, dans la limite des obligations de secret ou de confidentialité propres à chacune de ces institutions.

Votre Rapporteur tient à remercier ces institutions pour l’aide précieuse qu’ils ont ainsi apportée.

Dans l’exercice de sa fonction, votre Rapporteur, parallèlement aux travaux de la Commission, a procédé à de nombreuses réunions, plus d’une vingtaine, permettant soit de prolonger les auditions de la Commission comme ce fut le cas avec la Cour des Comptes, la Commission bancaire ou les commissaires aux comptes — et dans les mêmes limites de secret et confidentialité rappelées ci-dessus — soit d’approfondir sa propre réflexion afin d’enrichir les débats de votre Commission.

Votre Rapporteur veut ici exprimer sa reconnaissance à toutes les personnes qu’il a rencontrées à cette occasion.

Votre Rapporteur veut enfin faire part d’un regret. Il ne peut en effet que vivement déplorer que durant tout le déroulement de l’enquête, ses demandes d’informations ou de documents adressées au Crédit lyonnais lui-même aient reçu soit une fin de non recevoir, soit des réponses souvent tardives. Il regrette également les conditions contraignantes qui lui ont été imposées pour rencontrer certains membres du personnel du Crédit lyonnais actuellement en fonction.

Cette attitude, que votre Rapporteur juge fondée sur une interprétation erronée par le secrétariat général du Crédit lyonnais des dispositions de l’article 6, paragraphe II, de l’ordonnance n° 58.1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, l’a conduit à user de son pouvoir d’enquête sur pièces et sur place.

Votre Rapporteur considère que cette attitude a gêné et souvent inutilement retardé les travaux de la Commission.

Le présent rapport n’a pas pour objet de refaire ce qu’ont déjà fait la Commission bancaire et la Cour des comptes. Ce type d’investigations ne relevait pas de la mission confiée à la Commission et nécessiterait, d’ailleurs, une durée bien supérieure à celle qui lui était impartie.

Ayant pour objectif de satisfaire à la résolution du 28 avril 1994, le rapport dresse dans un premier temps, un état des lieux qui permet de présenter la genèse des comptes de l’exercice 1993 (I).

Ce constat permet dans un deuxième temps d’analyser les principales causes des difficultés financières du Crédit lyonnais (II), et partant de s’interroger sur les responsabilités respectives des différents acteurs tant à l’intérieur du Crédit lyonnais et de ses filiales qu’au sein des organismes de contrôle (III).

Enfin, il tente de dégager des conclusions en s’interrogeant sur les sanctions prises et trace quelques perspectives (IV).

I. — L’ETAT DES LIEUX

L’examen comptable et financier du groupe auquel il a été procédé, en dépit de la publication tardive des comptes de l’exercice 1993 et de la difficulté à obtenir des données complètes en la matière, a été complété par une appréciation d’ordre économique.

A. — DES COMPTES DEGRADÉS

1. — Les comptes de l’exercice 1993

Connus au printemps 1994, les comptes de l’exercice 1993 révèlent une perte de 6,9 milliards de F., « part du groupe », qui fait elle-même suite à une perte de 1,8 milliard de F. lors de l’exercice précédent.

Ces deux exercices déficitaires tranchent avec les trois exercices antérieurs, fortement bénéficiaires, comme le montre le tableau ci-après :

Résultats consolidés du Crédit lyonnais

après provisions et impôts

(en millions de F)

Année Total Part du groupe
1984 1.082 1.021
1985 1.265 1.204
1986 1.931 1.821
1987 2.357 2.223
1988 2.158 2.063
1989 3.494 3.130
1990 4.562 3.707
1991 4.078 3.162
1992 - 765 - 1.848

Source : Crédit lyonnais.

La perte élevée de l’exercice 1993 résulte d’une forte hausse des provisions et d’une dégradation du résultat de certaines filiales.

Si le produit net bancaire (PNB) augmente en raison de l’acquisition de la BfG Bank, il se contracte à périmètre constant (- 0,4 %), les bons résultats des activités de marché ne suffisant pas à compenser l’érosion des marges d’intérêt de la banque commerciale, l’augmentation de la charge de financement du haut de bilan (participations) et la baisse des plus-values sur titres qui intégraient en 1992 les cessions d’obligations à haut rendement d’Altus finance. On note, en outre, que sont comptabilisés dans le produit net bancaire certains agios non payés par les débiteurs sur les sommes dont la banque est créancière. Cette pratique, qui est conforme à la réglementation en vigueur, implique cependant un provisionnement intégral ; dans cette mesure, la comptabilisation des intérêts non payés n’a pas d’incidence sur le résultat. Mais cela n’a pas toujours été respecté, notamment au CLBN.

Le résultat brut d’exploitation (RBE) augmente de 9,2 % mais diminue de 13 % à périmètre constant en raison notamment de l’augmentation des frais généraux et amortissements qui, après une hausse importante en 1992, ne sont pas stabilisés.

La dotation nette aux provisions d’exploitation, déjà très lourde en 1991 (9,6 milliards de F.), encore augmentée en 1992 (14,3 milliards de F.), est portée en 1993 à 17,8 milliards de F. — non compris la part transférée dans la structure de cantonnement (on retiendra dans la ligne de la circulaire établie en liaison avec l’Académie française, cette expression de structure de cantonnement pour désigner ce que les interlocuteurs de la Commission se sont obstinés à appeler structure de « defeasance ») — en raison des risques spécifiques subis par le groupe et de la persistance de la crise économique.

La dotation aux provisions a fait l’objet d’évaluations successives à mesure que la Commission bancaire progressait dans la connaissances des risques et que la conjoncture aggravait la détérioration des actifs.

La lettre du Gouverneur de la Banque de France au ministre de l’Economie, en date du 4 août 1993, évalue à 7 milliards de F. le retard de provisionnement du Crédit lyonnais. Comme M. Jean-Louis Butsch l’a souligné au cours de son audition, le chiffre ne concernait que la maison mère et résultait des données connues fin décembre 1992. Or, d’une part, la Commission bancaire a constaté par la suite la dégradation de la situation de certains débiteurs tant de la maison mère que des filiales, d’autre part « la situation s’est détériorée en raison de l’effet mécanique de la conjoncture économique » ; elle a constaté par ailleurs que de « nouveaux risques avaient été pris par les filiales », ce qui l’a incitée, à l’automne 1993, à « retourner dans les filiales puis au Crédit lyonnais lui-même ».

Une note de la direction du Trésor au ministre de l’Economie en date du 24 novembre 1993 résume ainsi la situation : « Au 30 juin 1993, le retard de provisionnement est maintenant estimé à 14 milliards de F. par la Commission bancaire qui l’avait pourtant chiffré dans la lettre du 4 août 1993 au Gouverneur à 7 milliards de F. au 31 décembre 1992. Le Crédit lyonnais estime ce retard à plus de 17 milliards de F. » Aux éléments précédemment évoqués pour expliquer cette évolution, on se doit d’ajouter qu’entre-temps M. Jean Peyrelevade a été « pressenti », dès le mois de septembre, pour être nommé à la présidence du Crédit lyonnais, cette nomination étant intervenue le 8 novembre 1993.

Comme le soulignent plusieurs témoins, le nouveau Président a conduit ses propres investigations, et a « passé la paille de fer ». On observe en effet que si la Commission bancaire a présenté le 22 décembre 1993 un chiffrage final du retard des provisions s’élevant à 20,6 milliards de F., une note du 28 février 1994 du ministre de l’Economie au Premier ministre fait état d’un montant de provisions exceptionnelles demandé par le Président du Crédit lyonnais qui s’élève à 22,4 milliards de F.

Selon le secrétaire général de la Commission bancaire, le chiffre retenu dans le plan de redressement est le résultat d’un compromis : « Le Crédit lyonnais a fait son chiffrage de son côté. La direction du Trésor avait fait le sien à partir des éléments que nous lui fournissions. Pour le chiffrage final, j’ai envoyé des collaborateurs au Crédit lyonnais. Il a été réalisé en présence des responsables de la banque et d’un agent de la direction du Trésor, qui assiste en observateur, et donc les trois parties intéressées ont relevé les chiffres. Nous avons dit ensuite quel était, à nos yeux, le montant des provisions à constituer, et j’assume la responsabilité de ces chiffres. Effectivement, le Crédit lyonnais lui-même est parvenu à un chiffre un peu supérieur et la direction du Trésor, quant à elle, à un chiffre un peu inférieur. Je le comprends d’ailleurs très bien. C’est humain de la part de l’un et de l’autre qui avaient des points de vue un peu différents. Nous avons dit quel était le chiffre de la Commission bancaire. Il se trouve qu’il se situait entre les deux, sans être d’ailleurs dans le juste milieu. C’est grosso modo notre chiffrage qui a été repris dans le plan final. »

M. Jean-Yves Haberer a, quant à lui, qualifié cette opération de « chiffrage politique » et s’en est indigné.

On se bornera à rappeler que les comptes de l’exercice 1993 font état d’un niveau de provisions nettement supérieur à celui arrêté le 22 décembre 1993 ; en effet, si l’on ajoute aux 17,8 milliards de F. de provisions les 14,4 milliards de F. prévus au titre des actifs transférés dans la structure de cantonnement, somme qui peut s’analyser comme un complément de provisions liées à ces actifs, le total s’élève à 32,2 milliards de F. Comme un étalement des provisions ne pouvait suffire à couvrir l’ensemble des risques du groupe, une structure de cantonnement d’actifs a donc été mise en place.

La dégradation du résultat des sociétés mises en équivalence a lourdement pesé sur les comptes. Les pertes d’Usinor-Sacilor et d’Aérospatiale et certaines autres participations industrielles ont aggravé le résultat global. Mais les pertes totales du groupe trouvent aussi leur origine dans les activités spécifiques développées par des filiales : Crédit lyonnais bank Nederland (CLBN), Société de banque occidentale (SDBO), Altus finance, Banque Colbert, IBSA.

L’insuffisance des fonds propres rend nécessaire une recapitalisation à hauteur de 4,9 milliards de F. (dont 3,5 milliards souscrits par l’Etat, 1,2 milliard par Thomson-CSF et 0,2 milliard par la Caisse des dépôts et consignations).

Selon le rapport annuel pour l’année 1993, les fonds propres et assimilés s’élevaient en 1992 à 85 milliards de F. dont 62 milliards de F. de fonds propres « durs » ; pour 1993, ces chiffres sont respectivement de 79,5 milliards de F. et 56,5 milliards de F.

Si l’on s’en tient aux seules composantes des capitaux propres, on obtient les éléments suivants, qui donnent une autre approche de la valeur financière du groupe.

En millions de F.

  1992 1993
  • Capital
7.075 8.240
  • Primes d’émission
15.335 19.282
  • Réserve consolidée
18.058 7.893
  • Fonds pour risques
    bancaires généraux (FRBG)
3.086 5.794
Total 43.544 41.209

Source : comptes annuels.

Ces 41,2 milliards au 31 décembre 1993 constituent les fonds propres stricto sensu.

Le chiffre de 41,209 milliards de F. permet d’apprécier la valeur patrimoniale du groupe Crédit lyonnais, qui est en diminution par rapport à 1992 (43,544 milliards de F.).

Après recapitalisation, le ratio de solvabilité du groupe s’établit à 8,3 % au 31 décembre 1993, contre 8,2 % au 31 décembre 1992. Il est donc légèrement supérieur au niveau du ratio européen de solvabilité équivalent dans l’Union européenne au « ratio Cooke » (8 %) rendu obligatoire depuis le 1er janvier 1993.

Autre aspect du redressement entrepris, une structure de cantonnement d’actifs a été mise en place. Dans ce cadre, un volume d’actifs immobiliers de 42,6 milliards de F. a été transféré à une société de gestion, afin d’alléger le montant élevé des provisions, et donc des pertes, et d’améliorer le ratio européen de solvabilité, de réduire les coûts de portage d’actifs temporairement peu ou pas rentables et d’assurer par une garantie partielle de l’Etat la couverture des risques de pertes lors de la cession des actifs. Cette structure présente en outre l’intérêt de regrouper au sein d’une même entité les principaux actifs immobiliers en confiant leur gestion à une même équipe (voir, ci-après, la description de cette structure II.B.3).

2. — Les données complémentaires

On complètera cet aperçu financier par des données relatives au certificat d’investissement du Crédit lyonnais (qui peut être souscrit par tout épargnant), aux actions du Crédit lyonnais (seulement souscrites par l’Etat ou les entreprises du secteur public), ainsi qu’à la notation des émissions du Crédit lyonnais sur les marchés. On donnera enfin quelques éléments de comparaison.

a. — Les certificats d’investissement

Les certificats d’investissement représentent environ 20 % du capital détenu en actions du Crédit lyonnais. Cotés en bourse, leur cours qui avait fortement baissé à la fin de l’année 1992 et au début de l’année 1993 (466 F.) s’est vivement redressé pour atteindre 755 F. en février 1994 avant de retrouver, en mai 1994 un montant proche de 600 F. ce qui le situait sur sa tendance de longue période. Ce cours est de 488 F. au 1er juillet 1994. Cependant, la valeur d’actif net du titre a diminué ; supérieure à 1.000 F. de 1990 à 1992, elle est ramenée à 774 F. en 1993. Le volume des titres a été multiplié par 1,8 entre 1986 et 1993.

b. — Les actions et les dividendes versés à l’Etat

Les dividendes versés à l’Etat actionnaire, qui détient 55,27 % du capital du Crédit lyonnais au 31 décembre 1993 (19,21 % étant détenus par Thomson-CSF et 3,58 % par la Caisse des dépôts), se sont élevés en 1992 à 204,9 millions de F., montant moindre que ceux des exercices précédents, ainsi que le montre le tableau ci-après qui permet en outre de comparer les distributions de dividendes des trois grandes banques.

Ces chiffres ne sont, toutefois, pas totalement comparables du fait de la présence d’actionnaires publics autres que l’Etat (dont les dividendes accroissent le patrimoine public) et des effets de la privatisation des deux autres banques.

On constate néanmoins que le montant total des dividendes versés par le Crédit lyonnais à l’Etat au cours des exercices 1984-1992, soit 2,7 milliards de F., est très inférieur au coût pour la collectivité de sa seule recapitalisation. Pour être équitable, on rappellera que le Crédit lyonnais s’est substitué à l’Etat pour recapitaliser en numéraire Usinor-Sacilor et l’Aérospatiale (SNIAS).

Distribution de dividendes par le Crédit lyonnais , la BNP et la Société générale depuis 1984

  1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 To 1994
Crédit lyonnais
  • — dividendes
  • — dont versés à l'Etat
  • — résultat social
  • — résultat consolidé*
  • — taux de distribution**
 
  • 96.011.787
  • 96.011.787
  • 368.906.446
  • 1.020.000.000
  • 26,03 %
 
  • 75.530.001
  • 75.530.001
  • 442.066.992
  • 1.203.535.000
  • 17,09 %
 
  • 393.360.000
  • 295.669.050
  • 964.417.557
  • 1.821.401.000
  • 40,79 %
 
  • 498.256.000
  • 374.514.130
  • 2.391.021.462
  • 2.357.123.000
  • 20,84%
 
  • 498.266.000
  • 374.514.130
  • 680.131.223
  • 2.062.979.000
  • 73,26 %
 
  • 608.384.518
  • 453.359.210
  • 1.118.191.523
  • 3.130.000.000
  • 54,41 %
 
  • 763.429.714
  • 389.518.170
  • 904.996.185
  • 3.707.000.000
  • 84,36 %
 
  • 807.450.926
  • 410.791.017
  • 750.686.894
  • 3.162.000.000
  • 107,56 %
 
  • 377.396.320
  • 204.934.710
  • 649.432.162
  • -1.848.000.000
  •  
2.674.842.205
BNP
  • — dividendes
  • — dont versés à l'Etat
  • — résultat social
  • — résultat consolidé*
  • — taux de distribution**
 
  • 161.050.071
  • 161.050.071
  • 619.064.833
  • nd
  • 26,02 %
 
  • 187.613.796
  • 187.613.796
  • 720.426.000
  • 1.987.676.000
  • 26,04 %
 
  • 587.917.880
  • 466.912.161
  • 1.163.151.000
  • 3.014.857.000
  • 50,55%
 
  • 676.105.562
  • 536.948.984
  • 1.545.826.284
  • 2.834.745.000
  • 43,74 %
 
  • 764.293.244
  • 606.985.808
  • 1.647.404.136
  • 3.062.000.000
  • 46,39 %
 
  • 853.340.659
  • 679.092.422
  • 1.586.895.782
  • 3.643.577.000
  • 53,77 %
 
  • 357.711.767
  • 257.217.615
  • 9.270.848
  • 1.616.346.000
  • 36,88%
 
  • 742.764.151
  • 541.431.723
  • 5.741.606.013
  • 2.936.430.000
  • 12,94 %
 
  • 530.545.822
  • 386.736.945
  • 2.793.019.687
  • 2.167.982.000
  • 19%
3.823.989.525
Société générale
  • — dividendes
  • — dont versés à l'Etat
  • — résultat social
  • — résultat consolidé*
  • — taux de distribution**
 
  • 148.187.315
  • 132.106.593
  • 530.000.000
  • nd
  • 27,96%
 
  • 206.881.147
  • 131.649.477
  • 660.368.000
  • 1.308.144.000
  • 31,33 %
 
  • 462.050.782
  • 380.777.827
  • 799.918.000
  • 2.302.383.000
  • 57,76 %
 
  • 559.203.420
  • 21.285.470
  • 2.577.771.000
  • 2.375.935.000
  • 21,69 %
 
  • 768.658.592
  • 12.052.937
  • 2.260.000.000
  • 3.041.000.000
  • 34,01 %
 
  • 931.311.660
  • 13.960.065
  • 1.870.000.000
  • 3.561.000.000
  • 49,80 %
 
  • 1.031.362.785
  • 10.523.640
  • 1.996.000.000
  • 2.678.000.000
  • 51,67 %
 
  • 1.121.478.315
  • 0
  • 1.485.000.000
  • 3.369.000.000
  • 75,52 %
 
  • 1.165.606.605
  • 0
  • 3.917.000.000
  • 3.268.000.000
  • 29,76 %
702.356.009

Source : Ministère de l’Economie

* part du groupe.

** taux de distribution = dividendes / résultat social

Le nombre total d’actions du Crédit lyonnais est passé de 21 millions en 1989 à 35 millions en 1993, tandis que le prix de l’action (fixé lors de l’augmentation de capital) s’est stabilisé pendant la même période : 915 F. en 1989 (souscription par la CDC) 1.226 F. en 1990 (apport d’actions Rhône-Poulenc), 980 F. en 1993.

c. — Les impôts versés à l’Etat

Le même type de comparaison, avec toutes les réserves qui s’imposent, peut être fait pour le montant des impôts versés par le Crédit lyonnais à l’Etat ainsi que par les autres grandes banques.

Impôts acquittés par le Crédit lyonnais, la BNP et la Société générale depuis 1985

En Francs

Années Crédit lyonnais BNP Société générale
1985 863 260 000 1 669 644 000 1 208 712 000
1986 904 967 000 1 815 276 000 1 361 536 000
1987 1 235 117 000 1 541 412 000 1 063 274 000
1988 1 339 550 000 2 068 892 000 1 649 000 000
1989 755 000 000 1 669 267 000 1 890 000 000
1990 1 404 000 000 937 011 000 734 000 000
1991 1 350 000 000 1 040 277 000 1 940 000 000
1992 340 000 000 1 359 128 000 1 605 000 000

Source : Ministère de l’Economie.

En dépit de l’importance de la contribution au titre de l’impôt sur les sociétés (qui atteint, dans les meilleures années, 1,3 et 1,4 milliards de F.), les sommes considérées ne sont guère comparables avec celles que devra supporter le contribuable.

d. — L évolution de la notation

Au cours de son audition par la Commission, M. Jean Peyrelevade a évoqué la dégradation de la notation des dettes du Crédit lyonnais sur les marchés ; sans comporter nécessairement un effet mécanique, toute diminution de note par les principales agences est susceptible de renchérir le coût de la collecte des ressources et rend par conséquent plus difficile le développement de l’activité.

Le tableau ci-après retrace l’évolution de la notation des émissions du Crédit lyonnais de 1986 à 1993.

Notation du Crédit lyonnais (évolution 1986-1993)

Agences de notation Date de mise sous surveillance Date de nouvelle notation Notation Commentaires
Moody's
Court terme



Long terme



04/02/1994


13/04/1987
03/07/1991
23/09/1992
29/03/1993



env. 1983


env. 1983
20/07/1987
23/09/1991
16/12/1992
09/06/1993



P1


Aaa
Aa1
Aa2
Aa3
A1

en attente de décision


confirmé en octobre 1990
Standard & Poor's
Court terme



Long terme
23/06/1993


23/06/1993
env. 1985
05/07/1993


07/01/1993
05/07/1993


A1 +
A1


AA -
A
chez S&P, il n’est pas
possible d’avoir une note
court terme à A1 + avec
une note long terme à A

dégradation de 2 crans, en
dépit d’une procédure
d’appel

Source : Ministère de l’ Economie

Les notations du Crédit lyonnais se sont maintenues à un niveau élevé avant d’amorcer une baisse à partir de septembre 1991 chez Moody’s, baisse plus accentuée chez Standard and Poor’s-Adef à partir de janvier 1993. Alors que la note la plus élevée est AAA, les émissions à long terme du Crédit lyonnais sont notées en janvier 1993 à AA- (trois crans en dessous du maximum) puis, en juillet 1993 à A, deux crans plus bas que la note précédente. Ces variations ont les conséquences que l’on sait sur le coût de la ressource.

La notation actuelle des émissions tend à montrer, au-delà du maintien à un niveau élevé des dettes court terme — la note tenant compte du soutien de l’Etat — un niveau moyen pour les dettes à long terme, la qualité des engagements de la banque étant jugée « moyenne supérieure ».

Un communiqué de Standard and Poor’s Adef, en date du 23 juin 1994, abaisse de « A/A-1 » à « A-/A-2 » les notes long terme et court terme attribuées aux émissions du Crédit lyonnais.

D’une manière générale, ces notations reflètent surtout la détérioration de la rentabilité d’exploitation du Crédit lyonnais, résultant d’actifs non performants, qu’il s’agisse de participations ou d’autres immobilisations et d’un volume de provisions très élevé.

e. — Eléments de comparaison

Pour porter un jugement d’ensemble sur ce bilan comptable et financier il paraît nécessaire de le replacer dans un contexte plus large. Il faut ainsi tenir compte de la dimension du Crédit lyonnais pour apprécier ses pertes et le comparer à d’autres banques.

La perte de 6,9 milliards de F. au titre de l’exercice 1993 représente 7 % de ses fonds propres. Pour d’autres banques françaises de moindre taille et spécialisées, ce rapport est bien plus important. Ainsi la banque Worms en perdant 6 milliards de F. a perdu 3 fois ses fonds propres. En perdant 1 milliard de F., la banque Hervet a perdu 100 % de ses fonds propres.

De nombreux exemples existent également à l’étranger. Ainsi, l’actuel Gouverneur de la Banque de France, entendu par votre Commission d’enquête, a indiqué qu’il avait constaté des problèmes de même ampleur à une époque pour la quasi-totalité des banques américaines, pour certaines banques anglaises, tandis que certaines banques australiennes connaissaient quant à elles des problèmes de même ampleur, voire d’une ampleur supérieure.

Si on rapproche ensuite le résultat de l’exercice 1993 du Crédit lyonnais de celui d’autres banques, on constate qu’il se trouve dans une situation très particulière. Tous ses concurrents ont en effet réalisé, en dépit d’une conjoncture peu favorable, un résultat bénéficiaire. Ce résultat a été, par rapport à 1992, en baisse de 50 % pour la BNP mais en hausse de 10 % pour la Générale et le CCF.

On remarque aussi que le cumul des résultats nets sur la période 1988/1993, indicateur incontestable de la qualité de la gestion de l’entreprise sur une période longue, ne s’élève qu’à un total de 3,5 milliards de F. pour le Crédit lyonnais, contre 19,5 milliards pour la Société générale, 14,2 milliards pour la BNP, et près de 23 milliards pour le Crédit agricole sans même prendre en compte l’année 1993. Le résultat de la BNP est donc quatre fois supérieur, celui de la Société générale plus de cinq fois supérieur.

La croissance de la part du résultat brut d’exploitation dans le produit net bancaire, qui caractérise l’effort des gestionnaires en poste et non pas l’héritage de leurs prédécesseurs, est nettement inférieure, au Crédit lyonnais, à la moyenne du secteur, aussi bien de 1986 à 1990 que, plus encore, de 1990 à 1991.

Le Crédit lyonnais est également mal placé quant à la croissance du montant du PNB rapporté à l’encours de crédit qui le génère, si on le compare à l’ensemble du secteur et à la Société générale ; il se maintient à un niveau supérieur à celui de la BNP.

La part des frais généraux dans le PNB, autrement dénommé coefficient d’exploitation, a été croissante au Crédit lyonnais de 1986 à 1990, comme — mais avec un rythme moindre — à la Société générale et à la BNP, alors qu’elle était stable pour le secteur dans son ensemble. Décroissant significativement à partir de 1990 pour le secteur, mais également cette fois pour la Société générale et la BNP, ce coefficient reste stable au Lyonnais. Il n’est pas interdit d’émettre l’hypothèse que ce double retard du Lyonnais n’est pas sans lien avec la difficulté de la banque à absorber la croissance de la taille de son bilan.

B. — D’INDÉNIABLES ACQUIS, DES ATOUTS SÉRIEUX MAIS UN TRAUMATISME CERTAIN

On ne peut porter de jugement sur une banque à partir de son seul résultat. Il n’est certes pas question de minimiser l’importance de la perte de 1993. Mais ce résultat est trop réducteur pour apprécier la valeur réelle de l’établissement et ses potentialités. Car le Crédit lyonnais possède d’indéniables atouts.

Le Crédit lyonnais est l’une des plus grandes banques mondiales. La modernisation de son réseau de banque classique et de ses activités de marché, l’extension de ses implantations en Europe et dans le monde, sont à mettre au crédit des gestions passées. Tout cela est positif. Il n’en demeure pas moins que l’institution a reçu un choc. L’ampleur des pertes, les mesures d’accompagnement du plan de redressement, les divers contentieux auxquels la banque est actuellement partie sont autant d’éléments qui portent une ombre sur l’image de l’établissement.

1. — Les acquis et les atouts

Quelques chiffres donnent une idée du poids du Crédit lyonnais. Son bilan frôle les 2.000 milliards de F. L’encours de ses prêts bruts atteint 970 milliards de F. Son produit net bancaire dépasse 53 milliards de F. Il compte 8 millions de clients particuliers en Europe dont 6 millions en France. Le groupe emploie plus de 71.000 personnes. Par ailleurs, le professionnalisme de ses équipes dans le secteur bancaire est unanimement reconnu.

Le Crédit lyonnais gère ou conseille plus de 470 milliards de F. de capitaux. Le montant de ces capitaux s’est accru de 70 milliards en 1993 — soit une augmentation de 17 % par rapport à l’année précédente — dont 38 milliards de F. en France et 30 milliards à l’étranger. Il propose notamment une gamme de quelque 150 organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM). Le Crédit lyonnais se situe ainsi parmi les tout premiers gestionnaires européens. Quant aux activités de marché, on rappellera qu’il arrive au premier rang des banques introductrices sur le marché boursier français et sur le marché obligataire domestique du franc, qu’il est le 7e courtier mondial sur valeurs asiatiques et qu’il arrive au 12e rang mondial pour les émissions internationales d’actions. Tous ces chiffres permettent de mieux mesurer l’importance du Crédit lyonnais dans les différents métiers de la banque. Elle est considérable.

Le réseau mis en place constitue un autre atout majeur dont dispose aujourd’hui l’établissement. Son réseau se compose de 2.788 implantations en France. Mais à l’étranger le Crédit lyonnais dispose aussi du premier réseau bancaire en Europe avec plus de 900 implantations. En outre, il est présent hors d’Europe dans 80 pays avec près de 800 implantations. Aux Etats-Unis, le Crédit lyonnais est ainsi comparable à la dixième banque américaine par la taille de son bilan. En Extrême-Orient, il a multiplié le nombre de ses implantations par deux en cinq ans.

A ces atouts très largement mesurables, on ajoutera deux mentions qui sont à porter à l’actif de la banque, même s’il est difficile d’en quantifier le poids, et qui sont en partie liées.

Il apparaît tout d’abord que le Crédit lyonnais, dans une période économique extrêmement difficile, a pris plus que d’autres des risques en acceptant de soutenir des particuliers ou des entreprises. Dans la conjoncture que la France a traversée, cette politique n’a pas manqué de finir par peser sur les comptes. Elle n’a pu manquer aussi de contribuer à sauver des entreprises et des emplois.

La seconde mention est fortement liée elle aussi aux engagements pris par la banque et à l’évolution de la conjoncture. Si le Crédit lyonnais a particulièrement pâti de la récession et même si des réorientations de stratégie ne manqueront pas d’être définies dans certains domaines, il est assez logique d’espérer que le redémarrage économique que l’on commence à observer en Europe devrait lui être bénéfique, tant il est vrai que c’est plutôt en période de croissance que le dynamisme joue.

Il n’est pas sans intérêt enfin, pour apprécier de manière plus complète ces différentes caractéristiques du Crédit lyonnais, de rappeler quels sont les ordres de grandeur comparables observés à la Société générale et à la BNP. Il ressort des comparaisons que ces deux dernières se situent un cran en dessous par les volumes, les implantations et les moyens.

Ainsi, le total de leur bilan s’établit aux alentours de 1.500 milliards de F. : 1.534 milliards de F. pour la Société générale et 1.476 milliards de F. pour la BNP. Leurs produits nets bancaires atteignent respectivement 30 milliards de F. pour la première et 42 milliards de F. pour la seconde. La Société générale emploie 44.000 agents, la BNP 56.000. Le nombre des implantations atteint 2.500 dont 500 à l’étranger pour la première et 2.600 dont 515 à l’étranger pour la seconde. Pour y ajouter une touche qualitative, on relèvera la « grande prudence » évoquée par le Président de la Société générale dans son message introductif au rapport annuel pour 1993. Son homologue de la BNP évoque pour sa part la « politique de gestion rigoureuse et motivante... engagée pour assurer un redressement que la reprise devrait favoriser ».

Il apparaît donc que la situation actuelle du Crédit lyonnais appelle un jugement nuancé.

2. — Un traumatisme certain

Pour autant, il est aussi évident que l’établissement a subi un traumatisme. L’ampleur des pertes a été rappelée. Elle est préoccupante ; d’autres facteurs ne le sont pas moins.

Ainsi en est-il du plan de redressement lui-même. Certains s’interrogent sur l’impact des mesures d’accompagnement internes à la banque dont l’objet est de compléter l’effort des actionnaires. Il est ainsi prévu de supprimer plus de 1.100 postes en 1994 et au total 3.800 sur trois ans. D’autres redoutent l’incidence de telles dispositions sur la solidité et la dimension du réseau qui constituent l’une des forces de l’établissement. Ainsi, les représentants des salariés au conseil d’administration du Crédit lyonnais entendus par votre Commission n’ont pas manqué de faire part de leur inquiétude sur ce point. De fait, les discussions relatives au plan social proposé aux organisations syndicales n’ont toujours pas abouti et les grèves sporadiques que connaissait l’établissement au moment où la Commission siégeait témoignent des difficultés rencontrées.

Les contentieux dans lesquels la banque est engagée aux Etats-Unis et en Suisse sont également du plus mauvais effet. Il ne s’agissait pas de les éviter, bien au contraire. Chaque fois qu’il y a lieu de poursuivre des escrocs au pénal et en dommages et intérêts, les poursuites doivent être engagées. Il s’agit d’une œuvre de salubrité qui doit être entreprise de manière tout à fait systématique. Les contentieux de cette nature étant toutefois exclus par la loi du champ de son enquête, votre Rapporteur se limitera d’ailleurs à en évoquer seulement l’existence pour souligner qu’ils rappellent à chacun le manque de discernement dont a parfois fait preuve la banque dans la sélection de ses clients. Ces contentieux démontrent que la première banque française a pu être victime d’escroqueries de grande ampleur et qu’elle a traité avec des clients sulfureux. L’image de la banque en est tout naturellement affectée.

Le Crédit lyonnais traverse à l’évidence l’une des plus graves crises de son histoire. Le plan de redressement mis en œuvre peut toutefois s’appuyer sur de réelles potentialités.

II. — LA RECHERCHE DES CAUSES

Les causes objectives de la situation actuelle du Crédit lyonnais et de la crise qu’il a traversée sont à rechercher dans la rencontre d’une stratégie extrêmement audacieuse, dont les implications ont été insuffisamment maîtrisées, et d’un retournement de conjoncture auquel le groupe s’était, plus que toute autre banque, largement exposé.

A. — UNE STRATEGIE EXTREMEMENT AUDACIEUSE

La stratégie du Crédit lyonnais au cours des dernières années, surtout depuis 1989, est une stratégie « particulière, offensive, présente, publique, connue, commentée » selon M. Michel Sapin, ancien ministre de l’Economie, une stratégie de banque « universelle » ou plutôt de banque « multi-activités (...) multi-métiers, multi-marchés, multi-produits, multi-pays » pour M. Jean-Yves Haberer. C’est une stratégie qui a alors les faveurs des pouvoirs publics, soucieux de l’activité et de l’emploi, donc des entreprises, pour lesquelles le Crédit lyonnais est la banque qui a « le pouvoir de dire oui », ce slogan ayant constitué depuis plusieurs années, un thème majeur de campagne publicitaire.

Le Crédit lyonnais prend des participations dans un très grand nombre de groupes industriels français tout en finançant aussi les PME ; il développe et organise son réseau de banque commerciale en France tout en acquérant des banques ou en ouvrant de nouvelles agences en Europe ainsi qu’en s’implantant très fortement aux Etats-Unis. Cette stratégie a pesé sur les fonds propres de l’entreprise.

1. — La banque-industrie

Le Crédit lyonnais se distingue en développant le concept de la « banque-industrie » tant au niveau de la maison mère que des filiales (Clindus, Clinvest, Altus...). Il s’agit de multiplier les prises de participations dans les entreprises industrielles et commerciales, de façon à soutenir leur développement par un apport en fonds propres et la présence d’un actionnaire de référence. Présent dans les entreprises françaises de la chimie, de l’agro-alimentaire, du bâtiment, des services collectifs et de l’informatique, le Crédit lyonnais prend également pied dans la sidérurgie avec l’acquisition de 20 % d’Usinor-Sacilor en décembre 1991.

La banque-industrie correspond d’ailleurs à un besoin des entreprises françaises, traditionnellement sous-capitalisées, manquant de fonds propres et de solidité ; la participation d’une banque de cette importance avait en même temps un effet de levier sur le développement des entreprises. M. Jean-Yves Haberer a ainsi déclaré : « Une banque renommée qui prend 5 % du capital d’une entreprise a un effet catalyseur car les autres actionnaires qui n’ont pas à leur disposition les services d’ingénierie économique et financière, dévaluation, les services d études, l’équipe d’ingénieurs conseil qui évaluent les entreprises et l’opportunité, l’avenir des entreprises, l’avenir des secteurs où elles se trouvent, se disent que si cette grande banque vient dans le capital, elle a tous les moyens d’y venir à bon escient, donc, ils y viennent aussi. Dans les PME, nous avons vécu beaucoup de cas de ce genre, cela aide à convaincre ceux qui ont des capitaux à placer«: “le Crédit lyonnais est là, je peux y aller” (...). On a comparé l’argent frais apporté par les augmentations de capital des entreprises françaises souscrites en Bourse auxquelles on a ajouté l’exercice d’options, avec l’argent frais apporté par le Crédit lyonnais à la faveur d’augmentations de capital. Pour les années 1991-1992, le Crédit lyonnais a apporté autour de 40 % du total. Là, il y a vraiment un effet macro-économique ; si les autres grandes banques avaient agi de la même manière, le problème de la sous-capitalisation des entreprises françaises aurait quand même beaucoup évolué en quelques années. »

Au total, le Crédit lyonnais a, en 1993, environ 1.500 lignes de participations au capital d’entreprises. Ces participations ont d’ailleurs permis, tant que l’activité a été porteuse, d’accroître le résultat de la banque, qui a été multiplié par deux, entre 1982 à 1986, a de nouveau doublé de 1986 à 1990 tandis que le total du bilan, continuant sa poussée, même après le ralentissement de l’activité, a doublé entre 1988 et 1993 pour atteindre près de 2.000 milliards de F. en 1993.

Le Crédit lyonnais et les 550 filiales consolidées dans ses comptes, et l’Etat avec lui, ont pris une place considérable dans l’économie française. Le montant de la capitalisation boursière qu’il détient est très important et à ce titre ce n’est pas tout à fait une banque comme les autres. Elle exerce, et l’Etat avec elle, un rôle nécessairement particulier. Mais il n’est pas sain qu’une entreprise publique contribue ainsi à infiltrer de manière aussi lourde l’économie. Le soutien qu’elle a apporté aurait d’ailleurs pu prendre davantage la forme de prêts que de prises de participations. Les entreprises doivent pouvoir être gérées à partir de considérations économiques et financières. Le mélange des genres est à proscrire. Dans les deux sens d’ailleurs car la grande banque publique n’a pas supporté cette expansion trop rapide.

Toujours en raison de ces prises de participations industrielles, le Crédit lyonnais a contribué à nourrir la spéculation financière comme il l’a fait pour l’immobilier. Son appétit de titres dans une période de marché haussier n’a pu que contribuer à entretenir le mouvement. Cette financiarisation sophistiquée et coûteuse est-elle bien le type d’action que l’on est en droit d’attendre d’une grande banque publique ? Force est en tout cas de constater qu’elle aura nourri la fameuse bulle financière dont on voit bien aujourd’hui les dangers.

2. — La croissance externe en Europe

Le Crédit lyonnais a une longue tradition internationale. Dès son origine au XIXème siècle, Henri Germain, son fondateur, avait eu l’idée de développer ses implantations en Europe. Lorsque M. Jean-Maxime Lévêque passe le relais à M. Jean-Yves Haberer, la banque est déjà très présente dans la zone. Le nouveau président ne tarde pas à faire du développement en Europe un axe de sa stratégie.

M. Haberer a expliqué qu’à la fin des années 80, les décloisonnements des marchés des banques et des assurances dans la Communauté et le nouveau cadre réglementaire européen conduisaient à accélérer la compétition. Alors que par le passé, l’agrément par les autorités administratives et de contrôle de son pays d’origine permettait de défendre sa part de marché, aujourd’hui l’agrément des concurrents par des autorités d’autres Etats de l’Union européenne leur permet aussi de revendiquer une part de ce même marché.

Cependant développer la présence du Crédit lyonnais dans une région déjà surbancarisée coûte cher. Alors que l’on assiste à des regroupements et des concentrations, le Crédit lyonnais multiplie les opérations de croissance externe, probablement plus coûteuses en fonds propres que ne l’admet M. Jean-Yves Haberer, compte tenu du prix des survaleurs (« goodwill ») couramment ajoutées à la valeur de l’actif net, compte tenu aussi du fait que les prises de contrôle impliquent de participer aux nouvelles provisions et pertes qui peuvent apparaître après acquisition. Ainsi, selon le rapport annuel 1992, la prise de contrôle de la BfG Bank intervenue fin décembre 1992 n’entraîne dans un premier temps que la consolidation de son bilan, à l’exclusion de ses résultats. Mais, ensuite, les importantes provisions pour risques-pays passées par la banque ont entraîné une perte qui a été compensée par des apports de fonds propres, pour un montant équivalent, effectués par le Crédit lyonnais.

Les opérations de croissance coûtent de plus en plus cher. C’est le cas lorsqu’elles permettent à leur acquéreur d’augmenter ses fonds propres et de consolider ses intérêts minoritaires, et donc de mieux satisfaire au ratio européen de solvabilité. C’est le cas aussi lorsque le nombre d’opérations possibles dans un pays devient très rare. Ainsi en est-il de l’acquisition de la BfG par le Crédit lyonnais.

Les nombreuses acquisitions bancaires du Crédit lyonnais en Europe : Slavenburg aux Pays-Bas en 1981, Alexanders, Laing and Cruiskshank en Grande-Bretagne en 1987, puis Banco Jover et Banco comercial en Espagne, Banco Lombarda, Banca Agricola Milanese et Credito Bergamasco en Italie, BfG en Allemagne et de plusieurs autres (juin 1992 : 87 filiales et participations étrangères étaient intégrées globalement ; en outre, 30 filiales et participations étrangères étaient mises en équivalence) ont permis au Crédit lyonnais de constituer le premier réseau des banques européennes en dehors de leur pays d’origine, sur le marché des particuliers et des professionnels.

M. Jean Peyrelevade a déclaré que, si par le passé, cette politique avait été parfois menée de manière contrastée, le pari européen, du fait de la réalisation du marché unique et de l’internationalisation des entreprises françaises, était raisonnable. Il a remarqué que si l’on avait dû payer un peu cher certaines survaleurs, notamment dans les pays d’Europe du Sud, il n’en demeurait pas moins que le financement de survaleurs faisait partie des opérations d’acquisitions importantes classiques.

3. — La course aux fonds propres

La stratégie retenue est grande consommatrice de fonds propres alors même que le Crédit lyonnais ne pouvait ni mobiliser, dans de grandes proportions, son actionnaire, ni lever de capitaux sur le marché du fait de la fameuse règle du « ni-ni » (ni nationalisation, ni privatisation). Dans le même temps, les règles prudentielles définies par le Comité de Bâle l’obligeaient à accroître son ratio de solvabilité (fonds propres rapportés aux engagements).

Dès lors, en dehors d’une contribution en numéraire de la Caisse des dépôts et consignations, le Crédit lyonnais a dû avoir recours à des montages consistant en l’apport de titres de sociétés publiques par l’Etat et en des participations croisées. Ceci permettait certes d’accroître comptablement les fonds propres, mais a compromis les résultats du groupe du fait de la faible rentabilité de ces participations, puis de la consolidation des pertes subies par certaines de ces entreprises.

Le tableau suivant récapitule les différentes augmentations de capital réalisées au cours des dernières années.

Evolution du capital en actions du Crédit lyonnais de 1986 à 1993

Date Opération Prix de l'action(F.) Nombre d’actions créées Nombre total d’actions Montant augmentation de capital (F.)
31/12/85 Situation     8.960.000  
Mai 1986 Division par 2 du nominal de l'action   8.960.000 17.920.000  
Déc. 1986 Attribution d’1 action pour 10   1.792.000 19.712.000  
Nov. 1989 Emission d’actions réservée à la CDC 915,20 1.595.280 21.307.280 1.460.000.25
Janv.1990 Emission d’actions réservée à la CDC 915,20 43.706 21.350.986 39.999.73
Fev. 1990 Emission d’actions réservée à Thomson CSF
(apport AltusFinance 1ère phase)
1.071,00 4.530.588 25.881.574 4.852.259.74
Août 1990 Emission d’actions réservée à'Etat
(apport actions Rhône Poulenc)
1.226,90 1.388.567 27.270.141 1.703.632.85
Déc. 1990 Emission d’actions réservée à Thomson CSF
(apport Altus Finance 2ème phase)
1.134,00 1.322.570 28.592.711 1.499.794.38
Déc. 1991 Emission d’actions réservée à l'Etat
(apport d’actions Usinor
1.139,40 2.632.992 31.225.703 3.000.031.08
Déc. 1992 Emission d’actions réservée à l'Etat
(apport d’actions Aérospatiale)
1.192,00 1.567.450 32.793.153 1.868.400.40
Sept. 1993 Emission d’actions réservée à Thomson CSF
(apport Altus Finance 3ème phase)
980,00 2.940.946 35.734.099 2.882.127.08

Source : Ministère de l’économie.

Total des augmentations de capital 17.306.245.532 F.

Ces apports de fonds propres permettaient de démultiplier les engagements du Crédit lyonnais, mais ils se sont souvent révélés improductifs puis générateurs de pertes. Ils sont particulièrement significatifs en ce qu’ils se situent au confluent de la stratégie des fonds propres et de celle de la banque-industrie. L’opération Usinor-Sacilor, par exemple, qui a été décidée par les deux présidents, MM. Jean-Yves Haberer et Francis Mer, en août 1991 et approuvée ensuite par le ministre de l’Economie, s’est effectuée dans les conditions suivantes : le Crédit lyonnais souscrit à une augmentation de capital d’Usinor-Sacilor par un apport de numéraire de 2,5 milliards de F. ; cette société ayant été évaluée à 25 milliards de F., la participation du Crédit lyonnais était donc, dans un premier temps, de 9,09 % (2,5/27,5). Le Crédit lyonnais a reçu ensuite un apport par l’Etat de titres d’Usinor-Sacilor de 3 milliards de F. en contrepartie d’une augmentation de son capital réservée à l’Etat ; la participation totale du Crédit lyonnais dans Usinor-Sacilor était donc portée à 20 % (5,5/27,5). La quote part des résultats afférents à cette participation a été consolidée par mise en équivalence dans les comptes du Crédit lyonnais à compter du 1er janvier 1992. De ce fait, les comptes des exercices 1992 et 1993 subissent, dans la même proportion, les pertes d’Usinor. L’effet négatif sur les comptes de 1993 est d’un milliard de F., compte non tenu de la dépréciation des titres détenus par le Crédit lyonnais.

Comme pour les apports de titres Rhône-Poulenc, Thomson et Aérospatiale, ces apports permettent une extension des capacités de prêt en améliorant les ratios de solvabilité. Cependant, il s’agit rarement d’apports en numéraire ; dès lors, pour combler ses besoins de liquidités, le Crédit lyonnais a dû accroître son endettement. En outre, la capacité d’absorption des pertes potentielles par les fonds propres s’est trouvée limitée par le manque de liquidité des titres apportés.

B. — UNE STRATÉGIE D’AUTANT PLUS EXPOSÉE AUX RETOURNEMENTS DE CONJONCTURE

La stratégie mise en œuvre par le Crédit lyonnais a conduit la banque à augmenter considérablement le montant de ses prises de participations et le volume de ses concours aux entreprises. Ce surinvestissement industriel et financier s’est accompagné d’une politique comparable à bien des égards dans le secteur de l’immobilier. La banque s’est donc trouvée de ce fait très exposée aux retournements de conjoncture d’autant que le développement de ses structures n’a pas suivi celui de sa stratégie.

1. — Le surinvestissement

L’accroissement ample et rapide des prises de participations a contribué à augmenter le volume des concours aux entreprises et, s’il a permis de développer des activités d’ingénierie et de conseil, il a entraîné une augmentation des risques qui a été relevée par les agences de notation.

La dégradation de l’activité a donc frappé plus lourdement la banque, d’autant plus que les secteurs dans lesquels elle s’était le plus engagée ont été les plus gravement touchés. En décembre 1991, les dirigeants du Crédit lyonnais présentent aux porteurs de certificats d’investissement une analyse fondée sur l’hypothèse d’un résultat net d’Usinor-Sacilor de 7 milliards de F. en 1991 et 1992 ; or c’est une perte nette cumulée de 4 milliards de F. qui a dû être constatée au cours de cette période. Les prises de participations commerciales et industrielles, comme les engagements dans l’immobilier ont représenté au cours des dernières années un volume équivalent à ceux de la Société générale et de la BNP réunies.

Ce surinvestissement a contribué à déséquilibrer le bilan avant de conduire, dès le début du retournement conjoncturel, à une dégradation de la rentabilité du groupe. Le rapport du résultat net aux fonds propres moyens était de 9,87 en 1989; il est à 10,5 en 1990 et 7,50 en 1991, avant d’être négatif en 1992 (- 4,1) et en 1993 (- 7,72) alors que le comité exécutif s’était fixé, en 1992 un objectif de 12, lui-même en retrait sur l’objectif de 15 retenu par le programme 1990-1992. Celui de la Société générale est de 11,8 % en 1993, après avoir été de 13,64 % en 1989, 9,92 % en 1991 et 8,15 % en 1992. A la BNP, il est de 5 % en 1993 après avoir atteint un « pic » à 10,30 en 1989 et un « creux » à 4,33 en 1990.

M. Jean-Yves Haberer a évoqué les avantages de la banque industrie par rapport à une activité traditionnelle de crédit bancaire de la manière suivante : « Quand on compare ces rentabilités, contrairement à ce que je vois écrit par des plumes superficielles et inexpertes, avec la déréglementation et la concurrence, les marges sur les crédits sont tombées à très peu de chose : quand on prête à un grand groupe les marges sont très faibles, de l’ordre de 0,20 à 0,25. Les dividendes, c’est souvent un peu plus et quand on fait un investissement en capital, il y a aussi la valorisation et donc la réalisation d’une plus-value quand on revend au moment où le prix de l’action a monté. Il s’y ajoute aussi, pour être complet, des flux d’affaires ; le chef d’entreprise ne voit pas du même regard, ce qui est naturel, la banque qui prend une partie, même faible, même symbolique de risque d’entreprise à ses côtés et la banque qui n’en prend pas. »

Votre Rapporteur souscrit à cette analyse sous réserve de la prise en compte conjointe des moins-values et des plus-values — dans le contexte actuel, toutes les actions n’évoluent pas à la hausse... En revanche, il apparaît que la multiplication des prises de participations industrielles et commerciales, du fait de son ampleur et de sa concentration dans le temps, a fini par peser sur l’équilibre financier de la banque, ce qui a conduit le Président Peyrelevade à parler de « surinvestissement » et à justifier sa position en ces termes : « Cet effort d’investissement considérable réalisé en quatre ou cinq ans a dû être financé par des capitaux d’endettement. La structure du bilan est donc totalement déséquilibrée, ce qui pèse sur la rentabilité du groupe, puisque, les participations ne rapportant que 2 à 3 % par an, c’est-à-dire un bon dividende, et coûtant 7 à 8 % au passif en refinancement, sur 50 milliards de F de fonds de roulement négatif, nous avons une perte de recettes annuelle de l’ordre de 2 à 2,5 milliards de F., qui nous manquent cruellement aujourd’hui. »

Le choc immobilier a également pesé très lourd, de même que, d’une manière générale, l’insuffisante sélection des engagements dont beaucoup se sont révélés de mauvaise qualité.

2. — Le choc immobilier

L’ampleur du sinistre immobilier subi par le Crédit lyonnais apparaît en pleine lumière avec les 42,6 milliards d’actifs transférés dans la structure de cantonnement, dont la majorité est sans doute compromise, pour lesquels les risques latents supportés par l’Etat et donc par les contribuables s’élèvent à 14,4 milliards de F. Ce montant correspond à des encours qui n’ont pratiquement plus aucune chance d’être remboursés à la banque par ses clients défaillants.

42 milliards, c’est l’équivalent des engagements du Crédit lyonnais sur ses trois principaux clients industriels : Usinor- Sacilor, Bouygues et Renault, mais aussi sur des milliers de PME.

Les ordres de grandeur sont considérables.

Malheureusement, le total des encours immobiliers du groupe Crédit lyonnais reste imprécis. La nouvelle direction l’évalue à une centaine de milliards de F. sans que l’on sache vraiment si cette évaluation est sur ou sous-évaluée. Ce que l’on sait, c’est que le total inclut les concours aux professionnels de l’immobilier (promoteurs et marchands de biens, mais aussi aménageurs de golfs — cas d’Altus — ou de stations de sport d’hiver intégrées). Il inclut en outre, désormais, les crédits globaux aux entreprises (crédits « corporate ») accordés aux grands groupes comme Bouygues, la Générale des eaux ou la Lyonnaise des eaux, pour la partie des engagements correspondant à des opérations immobilières.

La direction précédente avait une vision plus restrictive de l’ensemble des engagements immobiliers. Elle ne faisait pas la même analyse des crédits globaux aux entreprises, ce qui lui permettait d’englober leurs opérations immobilières compromises dans les encours non immobiliers. Cette analyse ne se justifiait pas dans tous les cas, mais a permis en 1991 et 1992 au Crédit lyonnais de fournir une évaluation minorée de ses engagements immobiliers compromis.

Pour avoir une idée de la totalité des encours immobiliers compromis, il faut en fait additionner l’encours de la structure de cantonnement (42,6 milliards de F.) et les encours non transférés à cette structure (8 milliards de F.). Le total atteint près de 51 milliards de F.

Quant au stock de provisions sur l’ensemble des encours immobiliers compromis, il s’élève à 24 milliards de F. environ : 0,8 milliard en 1991 ; 5,3 milliards en 1992 ; 17,8 milliards en 1993 (dont 14,4 au titre de la structure de cantonnement et 3,4 au titre des engagements non transférés).

a. — Comment en est-on arrivé là ?

Le Crédit lyonnais a toujours eu un certain tropisme pour l’immobilier. La banque en avait déjà fait un slogan dans les années 80. L’immobilier était une priorité évidente.

La banque a été l’un des principaux fers de lance — en tout cas le plus massif — du boom immobilier et de la spéculation de la fin des années 80 en France. Une véritable folie spéculative sur les bureaux et les immeubles a été alimentée par la banque en région parisienne.

La folie générale en région parisienne résulte de la suppression de l’agrément et de la possibilité de construire des bureaux « en blanc ». Tout le monde pensant qu’un tel cadeau politico-administratif ne durerait pas, on s’est empressé de construire n’importe où, grâce à toutes sortes de montages financiers. Promoteurs et marchands de biens étaient ainsi assurés de gagner énormément d’argent.

Comme l’écrit M. Christian Peene, responsable de l’immobilier, dans son rapport présenté, le 1er décembre 1992, au comité exécutif du Crédit lyonnais : « l’immobilier est cyclique. Il doit être évalué sur le long terme. Il doit être appuyé sur des financements solides et structurés. Le financement de l’immobilier relève du financement de projet. Ces quatre règles d’or ont été passagèrement oubliées ».

b. — Les déboires en France et à l’étranger

• Le groupe Pelège est de loin le principal sinistre immobilier du groupe Crédit lyonnais. 5,814 milliards d’engagements en France et à l’étranger sont compromis, dont 75 % quasi irrémédiablement perdus, « couverts » par la garantie de l’Etat. Le Crédit lyonnais est engagé à la fois comme actionnaire (dans SMCI SA, dans la Financière Pelège et dans Avenue Banque) et comme banquier. Après l’échec de l’OPA sur la SAE, fin 1991, une coûteuse restructuration a été entreprise qui a entraîné une implication encore plus directe dans la gestion du groupe, et le départ, chèrement payé de M. Pelège, lequel a repris une activité indépendante de promoteur immobilier.

• En France, le groupe Vaturi entre pour près de 3,5 milliards de F. dans la structure de cantonnement des actifs considérés comme compromis. Ils ont deux origines : la banque Altus Finance et le Crédit lyonnais via Clinvest. Pour cette dernière, il s’agit d’une conséquence du rachat au groupe Pinault à un prix jugé maintenant élevé de l’ancien siège de la Compagnie française de l’Afrique occidentale (CFAO), place d’Iéna. Pour s’en débarrasser, le Crédit lyonnais avait confié en 1992 l’affaire au groupe Vaturi, spécialisé dans la contruction d’hôtels de luxe. Mais le projet de transformation de l’immeuble en hôtel cinq étoiles ne verra finalement jamais le jour pour des raisons administratives et financières. L’immeuble risque de rester un immeuble de bureaux, mais avec un prix de revient nettement supérieur au prix du marché à Paris.

• Le groupe Copra « logé » lui aussi au Crédit lyonnais maison mère avait au 30 juin 1993 près de 2,2 milliards d’encours compromis. Comme pour le groupe Pelège, le Crédit lyonnais est à la fois son premier banquier et un actionnaire important (8,45 %). Le capital de Copra est majoritairement détenu par des banques et organismes publics ou parapublics. Le groupe vient d’être placé sous administration provisoire. Quelques opérations, comme l’immeuble du 39-41 rue Cambon, pèsent lourd dans ce bilan particulièrement négatif.

Parmi les risques gérés par la maison mère et qui promettent d’être également coûteux pour le contribuable, figurent les Nouveaux constructeurs, engagés avec d’autres dans la catastrophique SNC Balzac Saint-Honoré (ancien siège social de Péchiney), ou encore le groupe Pierre 1er.

Les encours « logés » au Crédit lyonnais même représentent 35 % des encours compromis transférés à la structure de cantonnement. Le reste concerne les filiales Altus, SDBO, Colbert et IBSA.

Altus entre pour plus de 9 milliards dans la structure de cantonnement. En effet, la banque ne s’est lancée que très tardivement dans l’immobilier, en 1990, pour compléter son activité de marché qui ne lui procurait pas de revenus récurrents. Certains encours transférés à la structure de cantonnement sont aussi le résultat de jongleries industrialo-financières récentes, dont le dossier Cofival-Sogamur (1,5 milliard de F. transférés) fournit une bonne illustration. L’envol tardif des encours immobiliers, via SBT, n’en est pas moins extrêmement vigoureux puisque, aujourd’hui, Altus prend la première place dans la structure de cantonnement.

• La SDBO arrive à la seconde place des filiales sinistrées avec 7,8 milliards d’encours dont 2,7 considérés comme irrécupérables. Cette filiale s’était spécialisée dans le financement des marchands de biens, mais a financé aussi des promoteurs. Elle réalise encore en 1990-1991 des opérations qui pèsent lourd dans le désastre de 1993. A titre d’exemple, c’est en 1991 qu’Immopar — dont plus de 2 milliards d’actifs compromis transférés à la structure de cantonnement en font le principal sinistre de la SDBO — devient client de la banque qui entre en même temps dans son capital.

• La Banque Colbert, avec 5,6 milliards d’encours compromis est la troisième filiale la plus exposée. Cet ensemble disparate rassemble près de 400 dossiers compromis provenant pour la plus grande part des anciennes filiales bancaires d’Altus (Saga, etc.) et pour une autre part du portefeuille d’IBSA.

IBSA, enfin, dont le Crédit lyonnais est devenu actionnaire de référence à la suite d’un accord critiqué entre MM. Lévêque et Haberer, a un encours compromis de près de 4,8 milliards de F., dont plus du tiers à haut risque. L’opération SNC Le Havre (rue Saint-Lazare) représente près de la moitié de l’encours compromis.

A l’étranger, les déboires du financement de l’immobilier sont aussi lourds.

Le cas d’Olympia and York est symptomatique. Au 30 juin 1993, sur 2,6 milliards d’engagements, 490 millions de F. sont provisionnés.

A l’étranger, l’immobilier n’a pas attiré que la maison mère.

La SDBO a en effet laissé quelques centaines de millions de F. au Portugal, en Espagne et aux Etats-Unis (840 millions de F. d’engagements) dans des opérations particulièrement hasardeuses où la malchance le dispute à une certaine légèreté. Ainsi de l’opération Ezquerdo à Madrid, où la SDBO aide en 1989 un promoteur à acheter un immeuble dont la transformation de clinique en bureaux ne supposait pas moins qu’une modification du plan général d’aménagement urbain de la capitale.

A l’étranger, l’immobilier contrôlé directement ou indirectement peut entraîner encore quelques mauvaises surprises. C’est un secteur où le CLBN était engagé au 30 juin 1992 à hauteur de plus de 2,7 milliards de F et où la BfG a mené une politique très offensive avant son rachat : un choix dont les conséquences peuvent peser lourd comme le montre la récente et frauduleuse déconfiture du groupe immobilier Jürgen Schneider. L’opacité de la gestion et le caractère spéculatif du fonds immobilier américain à haut rendement Appolo Real Estate mérite enfin qu’il soit porté une attention soutenue à cette entité contrôlée dans des conditions particulières par Altus.

c. — Le Crédit lyonnais se fait « coller »

Quand apparaissent les prémices du retournement immobilier, à la mi-1991, le Crédit lyonnais ne réduit pas la voilure, bien au contraire. Le cas Pelège est caractéristique. Les encours sur le groupe sont de 1,7 milliard de F. au 31 décembre 1990. Deux ans plus tard, ils atteignent 4,2 milliards de F., soit une progression de 146 %. Pelège est de loin le principal client immobilier du Crédit lyonnais, lequel accroît son engagement envers le groupe en augmentant sa participation au capital, jusqu’à désintéresser les autres banques et jusqu’à ce que Pelège continue sans Pelège, sous l’autorité presque exclusive du Crédit lyonnais.

Curieusement, plus la crise se développe, plus le Crédit lyonnais et ses filiales s’engagent dans le financement de l’immobilier. Ils financent des professionnels dont les projets atteignent des prix de base élevés (achat de terrains pour les promoteurs, ou d’immeubles pour les marchands de biens) qui, négociés au sommet du cycle, sont ensuite invendables du fait des prix de sortie trop élevés qu’ils impliquent. Ils reprennent aussi des dossiers déjà compromis : Copra prend sous son aile le dossier Dahan, et la SDBO, Immopar.

L’immobilier apparaît enfin parfois, au Crédit lyonnais, au plus mauvais moment, comme une conséquence, ou même un « sous-produit », de la banque-industrie et de la nécessité pour la banque d’aider certains de ses grands clients comme le groupe Pinault ou le groupe Lagardère en leur rachetant leurs sièges sociaux.

Face à la montée de la crise immobilière, la réaction du Crédit lyonnais est tardive : un retard d’autant plus préjudiciable à un assainissement en profondeur que les mêmes errements continuent jusqu’à la mi-92.

Une importante étape dans cette prise de conscience tardive apparaît dans le rapport précité de M. Peene.

On peut y lire à propos des risques immobiliers :

« — Aux risques directement imputables à la conjoncture et aux modes de financement de l’immobilier d’avant crise :

« 1. — ralentissement général des commercialisations entraînant une surconsommation insupportable de frais financiers. ;

« 2. — baisse des valeurs immobilières qui impacte les bilans des opérations ;

« 3. — pourcentage insuffisant des fonds propres (marge de sécurité bancaire souvent dérisoire) ;

« 4. — multiplication des financements « corporate » (sic) détachés des projets ;

« — s’ajoutent des circonstances aggravantes, à caractère général ou propres à la position du Crédit lyonnais :

« 1. — le comportement attentiste, voire « tétanisé » de certains de nos confrères, qu’ils agissent par calcul ou qu’ils soient dépassés par la situation, conduit à une grande difficulté de faire avancer les solutions notamment dans le cadre des tours de table ou des « pools » (sic) constitués autour des opérations. Cette situation se traduit par une grande lenteur dans le traitement des problèmes ;

« 2. — dans une ambiance de place dominée (à quelques exceptions près) par le « chacun pour soi » la position dominante du Crédit lyonnais dans l’immobilier et sa situation d’actionnaire [dans Pelège par exemple] chez un trop grand nombre de promoteurs constitue un handicap, un grand nombre de nos partenaires enclins à fuir leurs responsabiliés, s’efforçant de reporter sur nous leurs propres obligations. Nous sommes, bien entendu, très attentifs et très réactifs sur ce point ;

« 3. — si certaines sociétés de promotion ont su, face à la crise, conserver leurs équipes (donc leur expertise) et leur sang froid, beaucoup d’autres ne sont plus totalement en mesure de faire face à la gestion des projets, au moment même où il faudrait au contraire montrer une qualité de gestion exceptionnelle. »

d. — Des provisions immobilières décidées tardivement

Le Crédit lyonnais ne s’est décidé que tardivement à provisionner des risques immobiliers qu’il connaissait mal.

Les comptes de l’exercice 1991, présentés en avril 1992, quelques semaines avant le renouvellement du mandat de M. Jean-Yves Haberer, font apparaître un niveau minimum de provisions sur l’immobilier.

Cela s’explique peut-être aussi par le fait que le provisionnement SASEA-Parretti prenait beaucoup de place. Le provisionnement d’un peu plus d’immobilier aurait alors nui au résultat final.

D’autres banques cependant ont déjà fait des provisions sur l’immobilier. A la fin du premier semestre 1992, les provisions se présentent de la manière suivante :

Encours immobiliers - Provisions constituées

En milliards de F.

Situation à mi-1992 Crédit lyonnais BNP Société générale Suez Paribas UM
Encours 43 26 17 28,5 29 24
Provisions 2 1,3 0,8 1,9 3,2 1,8
Taux de provision 4,7 % 5 % 4,7 % 6,7 % 11,1 % 7,5 %

Source : Cholet Dupont.

C’est l’exercice 1992, présenté en avril 1993, qui marque réellement le début du provisionnement de l’immobilier. L’effort reste toutefois timide. Craint-on de dépasser un certain niveau de pertes alors qu’on poursuit l’effort de provisionnement sur SASEA ? Toujours est-il que le périmètre pris en considération par les comptes est réduit et limité aux seuls professionnels de l’immobilier. Cela masque la réalité et exclut par exemple les engagements sur les golfs (par exemple, le golf Montgriffon — sur lequel la filiale du Crédit lyonnais, Altus, étudiée ci-après, a des engagements importants — n’est pas considéré comme un risque immobilier) ou sur les hôtels. La part d’encours compromis reconnue par le Crédit lyonnais est limitée. Il y a manifestement un retard de provisionnement.

Les comptes du premier semestre 1993, arrêtés au 30 juin 1993, rattrapent une partie de ce retard. Ces provisions seront toutefois jugées insuffisantes un peu plus tard par la Commission bancaire.

La nouvelle direction du Crédit lyonnais réévaluera à son tour les provisions à un montant supérieur à celui de la Commission bancaire de près de 2 milliards de F.

Retards de provisionnement au 30 juin 1993

En milliards de F.

  Selon la Commission bancaire Selon le Crédit lyonnais (nouvelle direction)
Altus 1,3 1,5
IBSA 1,5 2
SDBO 1,3 2
Pelège 2,8 3,6
Colbert - 1
Divers 2,5 1
Total 9,4 11,1

Il semble établi que la politique trop prudente de provisionnement du Crédit lyonnais avait été encouragée et couverte par les pouvoirs publics. Les échéances ont ainsi été repoussées.

La gestion de la crise immobilière française montre là deux particularités : la politique de provisionnement est très influencée par le ministère des finances et la Banque de France, via la Commission bancaire ; les conciliations immobilières ont pris une importance considérable. Un consensus de place, mou et spontané, selon votre Rapporteur, a émergé, le filet de sécurité ayant été déployé, en priorité, en raison du risque systémique (Trésor), mais aussi au nom de la protection des actifs immobiliers des compagnies d’assurance.

Le lissage du risque immobilier qui en est résulté a très largement contribué à l’alourdir. Il est quand même étonnant de constater que les encours immobiliers augmentent encore entre 1992 et 1993, sans qu’aucune mesure énergique — hormis la reprise en main de certains dossiers — n’ait été prise. La politique souple suivie en matière de provisions a en quelque sorte agi comme une drogue douce, et n’a pas en tout cas incité à la prudence.

e. — A quoi ont servi les crédits ?

Les engagements du Crédit lyonnais et de ses filiales en France et à l’étranger dans l’immobilier représentent environ 100 milliards de F., dont 42 milliards de F. considérés comme des encours compromis.

Distribués pour l’essentiel à des promoteurs et des marchands de biens, ils ont servi à financer des projets immobiliers, sans doute de façon moins équilibrée entre bureaux et logements, et entre Paris et la province que ne l’indiquait le rapport annuel du Crédit lyonnais de 1992. Les encours sur les bureaux, l’hôtellerie et les activités commerciales dépassaient de très loin ceux sur le logement ; les encours parisiens dominaient de loin ceux de la province, très délaissée, à l’exception de la région lyonnaise et de ce celles de la Côte d’Azur et du Nord.

Tableaux de répartition des encours transférés à l’OIG

par activité et par mode d’intervention

Répartition par activité En millions de F. En pourcentage
Logement 10.512 25
Bureaux 11.737 28
Hôtellerie 6.185 15
Commerces 3.047 7
Activités/Entrepôts 1.344 3
Terrains 3.384 8
Divers 1.316 3
Corporate 5.087 12
Total 42.612 100

Sources : Crédit lyonnais.

Répartition par activité En millions de F. En pourcentage
Promotion 14.776 35
Marchands de biens 14.001 33
Corporate 5.087 12
Autres (long terme) 8.748 21
Total 42.612 100

Sources : Crédit lyonnais.

1. — La part prépondérante de l’immobilier de bureaux : 28 % des encours bruts cantonnés (11,7 milliards de francs) apparaissent très concentrés sur la région parisienne, ce qui montre clairement les motivations très spéculatives du groupe pendant la période d’euphorie.

La responsabilité est partagée entre Altus (22 %), Colbert (8 %), IBSA (8 %), SDBO (15 %), soit 53 % au total pour les filiales, et 47 % pour la maison mère en raison de quelques dossiers « lourds », comme l’ancien siège de Péchiney, où le Crédit lyonnais est associé à d’autres banques.

2. — La part surprenante de l’hôtellerie immobilière : (15 % des encours bruts cantonnés, soit 6,2 milliards de F.) d’où émergent les mauvais risques pris par les groupes Vaturi (39 % avec les dossiers Hilton, Iéna) et Pelège (21 %) ainsi que par Altus (18 %).

3. — Les encours compromis dans le « logement » avec une proportion importante d’immeubles de luxe sur Paris intra-muros.

La SDBO, spécialiste du financement des marchands de biens en est le principal responsable avec 26 % de l’encours cantonné devant IBSA (22 %), Altus (19 %), Colbert (13 %), soit 80 % au total de l’encours logement, alors que le Crédit lyonnais SA est responsable des 20 % restant au travers de divers dossiers de promotion immobilière de Francim et de Pelège (9 %).

4. — Les promoteurs et marchands de biens se partagent les deux tiers des encours immobiliers cantonnés (28,7 milliards de francs), le reste étant du financement à long terme ou du crédit global d’entreprise (« corporate »).

Près du tiers de l’encours marchands de biens compromis est à mettre au compte de la SDBO (4,4 milliards de F. sur 14 milliards) devant IBSA (15 %) et Altus (14 %). Mais les marchands de biens « logés » dans la maison mère représentent quand même 18 % de l’encours groupe Crédit lyonnais de la profession.

5. — Les principaux opérateurs concernés par les encours cantonnés sont les groupes :

— Pelège : 12,5 % de l’encours brut cantonné, 30 % des risques latents au 31 décembre 1993 ;

— Vaturi : 7,4 % de l’encours brut cantonné, 5,7 % des risques latents au 31 décembre 1993.

Les autres opérateurs importants concernés par le cantonnement sont à rechercher derrière une structure propre au Crédit lyonnais, telle Francim (avec Copra, Nouveaux - Constructeurs, Pierre 1er, notamment) et dans les filiales SDBO (avec Immopar, pour plus de 2 milliards de francs, Gozlan-Actimo, Cohen), IBI (avec la SNC Le Havre) et surtout Altus « plombé » notamment par ses opérations avec le groupe Vaturi, par les projets hasardeux de l’entité SBT Immo (près de 30 % des encours compromis d’Altus), par le poids du rachat de la station de Flaine à un client « maison » en difficulté, ainsi que par Cofival, une autre entité contrôlée par des partenaires très privilégiés de la filiale dirigée par M. Jean-François Hénin.

6. — Les causes premières des difficultés immobilières du Crédit lyonnais renvoient à l’évidence à quelques décisions lourdes de conséquences prises au plus haut niveau du groupe.

D’abord, l’entrée en force d’Altus dans l’immobilier dès son passage dans le giron du Crédit lyonnais en 1990 s’est révélée une aventure particulièrement malheureuse (9 milliards d’encours brut compromis, soit 21 % des actifs cantonnés) et qui souligne par son ampleur l’erreur manifeste d’appréciation des dirigeants de la filiale, M. Jean-François Hénin en tête.

Puis, la confiance aveugle de M Jean-Yves Haberer autant que de M. Jean-Maxime Lévêque dans les talents de M. Michel Pelège a coûté très cher. D’importants dossiers de son groupe ont été acceptés par la direction générale du Crédit lyonnais, notamment en Espagne malgré l’avis négatif des services techniques. La prise en main du groupe Pelège après l’OPA ratée sur la SAE en 1991 marque une étape décisive de l’engagement du Crédit lyonnais.

Ensuite, le rachat par le Crédit lyonnais, à un coût généralement jugé maintenant trop élevé, de l’ancien siège de la CFAO au groupe Pinault, a des conséquences négatives qui apparaissent dans l’ampleur du risque Vaturi.

Enfin, le Crédit lyonnais est devenu l’actionnaire de référence dans International Bankers, la banque présidée par M. Jean-Maxime Lévêque.

Ces quatre décisions expliquent à elles seules, directement ou indirectement, la moitié environ des transferts d’actifs compromis à l’OIG.

7. — On notera que tous les sinistres immobiliers du groupe Crédit lyonnais ne sont heureusement pas pris en charge par la structure de cantonnement : c’est le cas notamment des dossiers Olympia and York, où le Crédit lyonnais est engagé à hauteur de 2,6 milliards de francs et de Scotti, malheureuse conséquence de l’affaire Fiorini-Sasea (4,25 milliards de francs), dossiers pour lesquels des provisions ont été déjà constituées.

f. — L’activité immobilière du Crédit lyonnais était-elle conforme à ce qu’on peut attendre de la plus grande banque publique française ?

Le Crédit lyonnais maison mère, mais surtout ses filiales, ont eu des comportements étonnants. Les procédures d’instruction des dossiers et de décision, et les financements font ressortir d’importantes carences :

— Sur le plan de l’orthodoxie des montages financiers.

On relève ainsi des pratiques assez généralisées dans l’immobilier des années de croissance : le Crédit lyonnais et ses filiales ne se singularisent pas par une retenue ou une prudence particulière, bien au contraire. On remarque :

— une absence ou une faiblesse des fonds propres apportés par les promoteurs ou les marchands de biens. Au plus fort de la spéculation, il y a longtemps qu’on a oublié la règle de l’apport minimum de 20 % ; exemple extrême, la SCI, 39/41 rue Cambon, un des dossiers les plus lourds du promoteur Copra : sur un coût total de 1,7 milliard de F., les fonds propres représentaient 20 millions de F., soit à peine plus de 1 % ;

— des surfinancements de biens eux-mêmes surévalués. C’est le cas par exemple lorsqu’est accepté le préfinancement des marges, un système alimentant la spéculation qui permettait, aux promoteurs ou aux marchands de biens, de récupérer, en trésorerie, leur marge bénéficiaire au moment du lancement d’une opération et non lors de sa commercialisation ;

— une pléiade d’honoraires et de commissions. A cet égard, la Commission ne peut qu’exprimer ses doutes sur la destination de certains honoraires ;

— des échanges d’immeubles permettant de faire apparaître des plus-values plus ou moins bien fondées ;

— des montages inextricables dans le cas où, pour reprendre le contrôle d’actifs, il faut désintéresser le promoteur.

— Sur le respect des principes de prudence dans l’immobilier.

Les règles en la matière ne sont pas toujours respectées, qu’il s’agisse du poids de la charge foncière, du pourcentage de fonds propres demandé, des exigences de pré-commercialisation et des perspectives de rentabilité des capitaux.

La Cour des comptes a relevé des coûts d’acquisition du foncier dépassant 60 à 70 % du prix de revient prévisionnel de certaines opérations, alors qu’on estime généralement qu’au delà de 50 % l’opérateur prend un risque considérable. Ce fut le cas par exemple des opérations Balzac Saint-Honoré (immeuble Péchiney), SNC Forum Seine à Issy-les-Moulineaux, SCI rue Cambon et du 50 avenue Montaigne. Anticipant non seulement le maintien mais l’accélération des hausses spéculatives observées depuis 1985, la banque a permis à des promoteurs d’acquérir des terrains à des prix dépassant parfois 100.000 F./m2, et qui ne valent aujourd’hui que moins de 60 ou 70.000 F./m2.

Les filiales, essentiellement, ont financé des projets dont l’originalité est à la source de grands risques, partout en France et parfois à l’étranger :

• les golfs : Altus s’ést lancé dans leur financement à grande échelle ;

• les hôtels : Altus encore a financé l’hôtel Montalembert, et l’hôtel du Golf à Sainte Maxime, ce dernier dans des conditions sévèrement critiquées par la Cour des comptes. La SDBO a financé les hôtels du groupe Cohen, en particulier un projet abandonné à New-York. Le Crédit lyonnais maison mère finance le groupe Vaturi ;

• les stations de sport d’hiver dites « intégrées », après la catastrophe des Arcs. On trouve Altus dans Flaine (il y a 530 millions d’engagements sur Oparfi, dont la moitié correspond à des pertes potentielles). On trouve la SDBO dans Isola 2000 (204 millions de F. engagés ; 80 millions de F. de risques) ;

• les sièges sociaux : les immeubles de la CFAO (avec le groupe Vaturi), de Vallourec (immeuble Adenauer), de Péchiney (rue Balzac), de Philips ;

• des opérations de prestige urbanistique comme la Tour de la rue d’Alsace à la Défense et l’ensemble Euralille.

Compte tenu des engagements très élevés du Crédit lyonnais dans l’immobilier et surtout de leur partie compromise nécessitant des provisions, il était indispensable de créer une structure de cantonnement ad hoc pour lisser l’impact du provisionnement sur ses résultats.

3. — Le transfert de certains engagements douteux à l’Omnium immobilier de gestion (OIG)

Le transfert d’engagements à risques élevés à une structure de cantonnement d’actifs est destiné à lisser les pertes éventuelles d’un établissement sur le moyen terme tout en lui permettant de satisfaire au ratio européen de solvabilité (RES), l’équivalent du ratio Cooke dans l’Union européenne.

En raison du niveau élevé des nouvelles provisions à la fin du premier semestre 1993, le Crédit lyonnais avait étudié la possibilité de créer une telle structure de cantonnement à l’image de celle d’autres établissements bancaires. « Cette idée est très vite proposée par la Commission bancaire pour des raisons de crédibilité des comptes et des résultats » a assuré M. Jean-Pascal Beaufret.

On ne reviendra pas sur le niveau très élevé des provisions fin 1993 qui justifient l’opération de cantonnement de très grande ampleur. On examinera cet aménagement sous un triple aspect : les conditions de sa réalisation, son contenu et enfin les résultats escomptés.

a. — Les conditions de l’opération

L’opération a un caractère temporaire. Elle permet d’optimiser à moyen terme, entre le 31 décembre 1993 et le 31 décembre 1998, la valeur du portefeuille immobilier du Crédit lyonnais, dont la qualité s’est dégradée. La centralisation des moyens de gestion de l’ensemble des actifs concernés au sein de l’Omnium immobilier de gestion (OIG), filiale du Crédit lyonnais, et la mise en place d’une garantie extérieure assurée par la Société de participation banque industrie (SPBI) ont pour objet de céder les actifs immobiliers dans des conditions optimales.

Les actifs transférés à l’OIG doivent satisfaire à trois critères afin de limiter le montant de la garantie de l’Etat et de traiter autant que possible les engagements du Crédit lyonnais comme un actionnaire ordinaire les aurait traités.

La Commission ad hoc présidée par M. Marc Maugars, inspecteur général des finances, a été chargée par le ministre de l’Economie d’identifier les actifs du Crédit lyonnais qui pouvaient être concernés et de les sélectionner en fonction des trois critères suivants :

1. — les engagements doivent ressortir de l’immobilier ;

2. — le Crédit lyonnais doit être en mesure d’en maîtriser le dénouement ;

3. — les engagements doivent avoir été pris par les filiales, non par le Crédit lyonnais maison mère.

Il n’existe pas de critère sur la qualité des actifs (compromis ou non).

Ensuite l’OIG, société financière constituée par le Crédit lyonnais, achète l’ensemble des actifs ainsi sélectionnés à leur valeur comptable au 31 décembre 1993 grâce à une avance de 42 milliards de F. accordée par la SPBI.

La SPBI, société en nom collectif, initialement créée par le décret du 30 décembre 1993 (J.O. du 25 mars 1994), constituée par l’Etat et Thomson-SIEG pour une durée de 5 ans, finance, grâce à un prêt du Crédit lyonnais de 42 milliards de F., l’acquisition des actifs effectuée par l’OIG.

A compter du 31 décembre 1993, la SPBI couvre l’OIG contre le risque de dépréciation des actifs concernés dans la limite de 14,4 milliards de F.

L’Etat assure le financement du prêt de 42 milliards de F. du Crédit lyonnais, en lui versant une rémunération de 2 milliards de F. en 1994 et autant en 1995 correspondant à la couverture des frais de portage des actifs. A partir de 1996, le prêt est rémunéré par l’intégralité des revenus perçus par la SPBI, notamment en provenance de l’OIG, déduction faite des frais de fonctionnement de l’OIG. L’avance de la SPBI à l’OIG est rémunérée par l’intégralité des revenus nets de l’OIG.

Les intérêts de l’Etat sont préservés en cas de privatisation du Crédit lyonnais. Les différents crédits de la SPBI à l’OIG seront remboursés.

Parmi les conditions de l’opération de cantonnement, on soulignera une double contrainte : les critères de transfert des actifs en limitent le volume ; la garantie accordée par l’Etat est plafonnée.

M. Jean-Pascal Beaufret a insisté sur l’importance des critères. Faisant référence aux actifs susceptibles d’être transférés, il a précisé : « il faut que ce soit de l’immobilier des filiales et pas de la maison mère, à l’exception du dossier Pelège ou d’un ou deux autres dossiers. Il faut qu’il y ait des garanties immobilières, il ne faut pas que ce soit des crédits faits en blanc. Et il faut que ce soit des crédits maîtrisés par le Crédit lyonnais et non pas des bouts de crédits engagés par des “pools” (sic). Sinon, on imposera un traitement déterminé à une créance, alors que les autres banquiers ne la traitent pas pareillement ».

Par ailleurs, s’intéressant à la responsabilité résiduelle du Crédit lyonnais dans l’OIG, M. Jean-Louis Butsch a précisé : « lorsque des confrères concurrents trouvent anormal ce que fait l’Etat pour le Crédit lyonnais, je réponds que cela l’aurait été si le Crédit lyonnais avait été déchargé de tout. Mais le Crédit lyonnais sait que s’il gère mal ou si la conjoncture évolue mal et qu’il y a plus de 14,4 milliards de F. de pertes c ést lui qui paiera. Le Crédit lyonnais sait aussi que le coût du portage est assuré par l’Etat pour deux ans mais que dès la troisième année, c’est lui qui le paiera. Et le Crédit lyonnais sait que cela pèse sur son ratio de solvabilité. »

b. — Le contenu de la structure de cantonnement

Les actifs transférés à l’OIG s’élèvent à 42,61 milliards de F. Ils sont regroupés dans 10 dossiers ou filiales : Altus comprend 9,09 milliards de F. d’actifs ; SDBO : 7,75; Pelège : 5,81 ; Colbert : 5,65; Francim : 5,21 ; IBSA : 4,79 ; Vaturi : 3,44 ; Slipar : 0,73 ; BIGT : 0,07 et Ucina : 0,07.

La charge de l’opération serait répartie entre l’Etat, Thomson, la Caisse des dépôts et consignations et le Crédit lyonnais. Elle comprend une partie propre à la structure de cantonnement et une partie d’accompagnement correspondant à l’augmentation de capital du Crédit lyonnais de 4,9 milliards de F. La charge de l’Etat ne peut en principe excéder 19,8 milliards de F. sur 5 ans. Elle se décomposerait entre :

— 12,3 milliards de F. d’abandons de créances, montant plafond ;

— 4 milliards de F. de portage des actifs en 1994 et 1995 ;

— 3,5 milliards de F. de dotation en capital.

La charge de Thomson serait plafonnée à 2,97 milliards de F., répartie entre :

— 1,77 milliard de F. d’abandons de créances, montant plafond ;

— 1,2 milliard de F. de dotation en capital.

La charge de la CDC serait plafonnée à 0,55 milliard de F. répartie entre :

— 0,33 milliard de F. d’abandons de créances, montant plafond ;

— 0,2 milliard de F. de dotation en capital.

Au total, la charge des trois actionnaires du Crédit lyonnais est plafonnée à 23,3 miliards de F.

c. — Les résultats escomptés

La garantie de l’Etat accordée aux engagements compromis transférés à l’OIG permet au Crédit lyonnais d’atteindre un meilleur ratio de solvabilité. L’opération de cantonnement devrait en outre permettre de dénouer les engagements immobiliers dans des conditions optimales.

M. Jean-Louis Butsch a considéré que si « toutes les grandes banques internationales présentent actuellement un ratio de l’ordre de 9 %, on comprend qu’il faudra que le Crédit lyonnais fasse en sorte de monter à 9 % ». L’Etat le soutient fortement dans cette ambition en faisant garantir par la SPBI les engagements transférés à l’OIG.

M. Jean-Louis Butsch a ainsi observé : « ce sont donc 14,4 milliards de F que nous aurions fait provisionner par le Crédit lyonnais s’ils étaient restés dans les comptes du Crédit lyonnais, que nous n’avons plus à faire provisionner dans la structure de cantonnement, qui, ayant le statut d’établissement de crédit la structure ad hoc, OIG, est un établissement de crédit — , est placée sous notre contrôle. Il n’y pas lieu de les faire provisionner, puisqu’ils sont garantis par l’Etat. La garantie de l’Etat étant la meilleure qui puisse exister, nous ne faisons jamais provisionner ce qui est garanti par l’Etat français ou par un Etat de l’Union européenne. »

En définitive, la garantie de l’Etat à hauteur de 14,4 milliards de F. joue, à l’égard des ratios de solvabilité, non pas le rôle d’un simple provisionnement de 33,8 % des 42,6 milliards de F. d’engagements mais celui de véritables fonds propres sans que l’Etat ait besoin d’effectuer des décaissements préalables.

Afin d’inciter l’OIG à économiser les deniers publics, le protocole sur le cantonnement prévoit par ailleurs plusieurs mécanismes incitatifs concernant le dénouement des engagements immobiliers.

Tout d’abord M. Jean-Pascal Beaufret a annoncé : « il convient de rappeler qu’il existe une incitation générale sur les 4 milliards de F. de coût de portage puisque théoriquement, le Crédit lyonnais doit nous redonner 1,12 milliard de F. sur les 4 milliards au cas où ses résultats sur les deux années seraient supérieurs à 3 milliards de F. »

Ensuite, le Crédit lyonnais est incité à céder une partie de ses actifs dans le délai de deux ans, puisqu’au-delà il ne trouvera avantage à conserver que ceux dont le prix de cession ultérieur compensera les charges de portage.

Par ailleurs, lorsque préalablement à la cession de certains actifs il sera nécessaire que l’OIG consente une avance complémentaire pour optimiser leur valorisation (avance pour travaux), le Crédit lyonnais bénéficiera d’un intéressement proportionnel au supplément de prix de cession sur le prix de référence des actifs évalués à la date où est consentie l’avance.

Enfin, si la cession des actifs dégageait une perte supérieure à 14,4 milliards de F., le Crédit lyonnais devrait la prendre à sa charge. M. Jean-Louis Butsch a insisté sur le fait que « l’Etat a voulu plafonner sa garantie. » Il a alors enchaîné : « mais l’Etat a dit : je plafonne ma garantie au montant que la Commission bancaire estime raisonnable et qu’elle aurait fait provisionner par le Crédit lyonnais. Je trouve que l’Etat a eu tout à fait raison. C’est le Crédit lyonnais qui va gérer cette structure, c’est le Crédit lyonnais qui va recouurer ces créances. L’Etat voulait intéresser le Crédit lyonnais à la bonne gestion de ces actifs. Si bien que le Crédit lyonnais va avoir intérêt à les recouvrer le plus rapidement possible, mais sans brader et sans faire des abandons en se disant qu après tout, c’est l’Etat qui paie. Je trouve que c’était judicieux de la part de l’Etat. »

Votre Commission s’étonne, s’agissant de la nature de la garantie mise en œuvre et du montant des sommes en cause, que le Parlement n’ait pas eu connaissance de la mise en place de cette structure et que l’utilisation d’un montant de 14,4 milliards de F. ne fasse pas l’objet d’un contrôle suivi de la part de l’Etat et du Parlement.

C. — UNE STRATÉGIE AUX IMPLICATIONS INSUFFISAMMENT MAÎTRISÉES

La stratégie de développement accéléré adoptée par le Crédit lyonnais depuis 1989 imposait un effort et une vigilance particulière sur le respect des procédures de contrôle interne.

Il n’est pas étonnant que lorsque l’on multiplie par deux le bilan en cinq années, les structures de contrôle interne et de suivi des risques aient des difficultés à s’adapter et ne répondent plus aux besoins, surtout lorsque cette progression exponentielle s’opère grâce à de nombreuses opérations de croissance externe et dans un contexte économique bientôt dégradé. De fait, malgré les efforts de la Commission bancaire qui s’est attachée à faire respecter les dispositions du règlement du Comité de la réglementation bancaire n° 90-08 en date du 25 juillet 1990, entré en vigueur le 1er janvier 1991, l’appareil de contrôle et de suivi n’a pu soutenir la marche forcée qui lui était imposée.

Le règlement ci-dessus fixe au contrôle interne bancaire des objectifs (le respect des règlements et des usages déontologiques, la maîtrise des risques et la qualité de l’information comptable) et des obligations (établissement d’un rapport annuel sur les conditions d’application du contrôle interne, désignation d’un responsable chargé d’évaluer l’efficacité du système, présentation d’une synthèse des résultats du contrôle interne au conseil d’administration). Si cette réglementation a pu entraîner une amélioration de la situation à partir de 1992-1993, sous l’impulsion notamment de l’Inspection générale du Crédit lyonnais, force est de constater que, sur l’ensemble de la période, il y a eu un relâchement des fonctions de « contrôle commande », à la fois au sein du Crédit lyonnais maison mère et, davantage encore, dans quelques unes de ses filiales les plus importantes.

1. — Les insuffisances des procédures centrales

De nombreux témoins entendus par votre Commission ont souligné l’insuffisance des procédures en vigueur au Crédit lyonnais maison mère. Leurs observations se sont cristallisées sur l’extrême décentralisation des engagements de crédits ainsi que sur les imperfections du processus de centralisation des risques.

Depuis la présidence de M. Claude Pierre-Brossolette en 1977, la décentralisation des engagements a été de règle au Crédit lyonnais. Chaque direction centrale, dotée d’une direction des engagements, bénéficie d’un système de délégations qui lui est propre, au point que M. Bernard Thiolon, directeur général du Crédit lyonnais de 1985 à 1992 a déclaré devant la Commission ignorer celui de la direction centrale des groupes d’entreprises et des affaires immobilières.

Au niveau de chaque directeur central, les délégations sont illimitées — aucun critère objectif ne s’impose à eux pour saisir le Comité des opérations, l’instance d’arbitrage qui réunit deux fois par semaine les responsables de chaque direction opérationnelle en présence de la Direction centrale de la gestion financière du groupe, sous la présidence d’un membre de la direction générale. La notion « d’opération spéciale présentant un risque atypique » ne saurait constituer ce critère objectif. Même si les directeurs généraux adjoints et quelques directeurs centraux peuvent échanger des informations, de manière plus informelle, chaque matin en présence du président à l’occasion d’un comité exécutif « debout » ou chaque semaine lors d’un comité exécutif « assis », les insuffisances de cette organisation sont évidentes.

L’information ne circule pas assez entre les directions des engagements des différentes directions centrales. Il y a manifestement un cloisonnement préjudiciable entre les directions centrales qui sont d’autant plus enclines à constituer des baronnies. Cette étanchéité confine parfois à l’absurdité comme l’exemple du financement de l’OPA sur la MGM le montre à l’évidence. La Direction centrale des affaires internationales qui suivait (mal) le déroulement des évènements via sa filiale aux Pays-Bas ignorait que la Direction centrale des agences de France avait accordé un crédit de 150 millions de dollars à l’un de ses vieux clients, destiné à participer à l’opération, au travers d’une société coquille. Cette absence d’interface étonne.

Il est vrai que lorsque l’information circule et que les directions centrales collaborent, le résultat n’est parfois pas meilleur, faute vraisemblablement d’habitudes prises de travailler en commun, comme le montre le dossier Olympia and York, tel qu’il a été analysé par l’Inspection générale dans un rapport en date du 12 juin 1992.

Le Crédit lyonnais a commencé à financer le groupe canadien Olympia and York en 1986. Comme ceux de nombreux banquiers de par le monde, ses engagements ont augmenté pour atteindre en 1993 un montant de 263 millions de dollars garantis par des titres des filiales papetière et pétrolière.

En juillet 1990, la banque est sollicitée pour participer à l’opération immobilière « Canary Wharf » sur les docks de Londres, à hauteur de 50 millions de livres sterling. La procédure d’octroi de ce prêt est éclairante.

Le 4 septembre 1990, M. Thiolon, directeur général du groupe, reçoit M. Paul Reichmann, dirigeant du groupe Olympia and York, après avoir pris connaissance des conclusions réservées d’une étude de la direction des engagements de la Direction centrale des affaires internationales (DCAI), à la suite de laquelle il demande un avis technique argumenté.

Le 10 septembre, les Affaires immobilières livrent une étude à la DCAI qui souligne les risques de Canary Wharf et évalue son impact possible sur le « cash flow » d’Olympia and York,en apparente bonne santé.

Le 18 septembre, le comité de la DCAI donne son accord qui sera entériné le même jour par le Comité des Opérations.

La réputation du groupe, pourtant particulièrement opaque à cette date, semble avoir occulté les éléments négatifs propres à l’opération. Il s’agit d’un crédit global d’entreprise (« crédit corporate ») qui se transformera en sinistre de première ampleur. Les conclusions de l’Inspection générale sur cette affaire semblent révélatrices des méthodes de travail de l’état-major du Crédit lyonnais : « le groupe Olympia and York a fait pression sur ses banquiers pour obtenir une décision très rapide. (...) De notre côté, après une analyse du dossier en juillet 1990, la période des vacances a amené une mise en sommeil de notre examen avant le redémarage accéléré de septembre. (...) La multiplicité d’intervenants dans le processus de décision, avec une valeur ajoutée individuelle limitée, et la collégialité de la décision expliquent peut-être que l’on soit passé sans raison objective d’une position plutôt négatiue à une position plutôt favorable (...) Ce dossier sans véritable père a finalement été accepté faute de véritable opposant (...) La position très négative du Crédit lyonnais Londres qui avait refusé de prendre l’opération, ne semble pas avoir constitué un clignotant supplémentaire. »

Une centralisation efficace des risques était d’autant plus nécessaire que le cloisonnement des directions centrales était très marqué. Mais sur ce point aussi de nombreux témoins ont souligné les difficultés qu’éprouvait le Crédit lyonnais à disposer d’un instrument fiable même si chacun des présidents entendus par la Commission lui a affirmé avoir considérablement amélioré la situation dans ce domaine. Si l’exemple de Parretti est plus spectaculaire que significatif en raison de ses caractéristiques propres, le fait est que le groupe du Crédit lyonnais a longtemps peiné pour centraliser ses différents engagements sur un même client. Cette centralisation laborieuse le distinguait d’établissements comparables.

Le suivi des grands risques de contrepartie, tant vis-à-vis des groupes industriels ou commerciaux que vis-à-vis des groupes bancaires ou financiers présentait de nombreuses insuffisances. L’Inspection générale en a souligné certaines dans deux rapports successifs consacrés à ce problème. Près de 20 % des engagements pondérés du groupe étaient exclus du tableau de bord, la notion d’engagement était assimilée à tort à celle d’utilisation, le délai d’élaboration du tableau de bord était trop long.

Afin de remédier à cette situation, la direction générale a mis en place en 1992 un contrôle général rattaché à la Direction centrale de la gestion financière. Cette réforme tardive mais nécessaire a permis d’améliorer le suivi des grands risques puisqu’elle s’est accompagnée de la mise en place d’un système de notation interne proche de celui des agences de notation, d’un niveau de suivi du risque et d’une diminution du seuil des engagements pris en compte. Un comité de suivi des grands risques composé des représentants des grandes directions centrales examine désormais chaque trimestre la situation des groupes figurant au tableau de bord.

Si ce nouveau système n’est pas encore parfait, le seuil actuel étant relativement élevé (100 millions de dollars ou 500 millions de F.), les délais d’élaboration du tableau encore longs et l’équipe qui s’y consacre très réduite, cette réforme va évidemment dans la bonne direction. On s’étonne tout de même qu’il ait fallu attendre 1992-1993 pour la mettre en place.

En érigeant dès 1994 le contrôle général du groupe en direction centrale des engagements, la nouvelle direction du Crédit lyonnais témoigne qu’elle a pris conscience de l’acuité de ce problème et de l’importance de sa solution.

Le Président Peyrelevade en a défini les missions à votre Commission dans les termes suivants : « Premièrement, fabriquer de la doctrine en matière de risque, dire si on doit ou non financer du cinéma, dans quelles conditions on peut financer de l’immobilier, quels sont les chiffres à ne pas dépasser et les ratios à respecter. Deuxièmement, recentraliser la décision sur tous les dossiers supérieurs à un certain chiffre que l’on pourrait situer aux alentours d’un milliard de F. ce qui, dans le cas du Crédit lyonnais, représente déjà trois à quatre cents dossiers par an. Troisièmement, afin d’éviter une bureaucratisation évidente et un excès de centralisation, opérer la recentralisation des gros dossiers en fonction de “ratings” (sic) que nous sommes en train de définir sur chacun de nos clients. Pour les clients de la meilleure catégorie, les délégations seront supérieures au chiffre fixé et les dossiers ne seront pas soumis à ce niveau de décision, contrairement à ceux des clients des catégories moins favorables. »

En tout état de cause, l’évolution des effectifs réels de l’Inspection générale (111 personnes en 1987, 97 en 1990) suffit à démontrer que le contrôle interne n’était manifestement pas la priorité du Crédit lyonnais avant 1991, alors même que le groupe traversait une période de croissance sans précédent. Depuis la nomination d’un nouveau responsable, l’Inspection générale est plus active et plus précise.

Au-delà de ces insuffisances au niveau central, le périmètre du contrôle interne pouvait susciter des inquiétudes puisqu’aucune des filiales à risque n’y était intégrée.

2. — Des filiales la bride sur le cou

Le Crédit lyonnais contrôle un nombre important de filiales en France et à l’étranger. En 1992, 75 filiales bancaires françaises détenues pour la plupart à 100 % lui sont rattachées ; 87 filiales bancaires étrangères sont dans le même cas. La grande majorité des témoins entendus par la Commission a souligné l’ampleur des pertes dues aux conditions d’activité de certaines filiales du Crédit lyonnais.

S’interrogeant devant votre Commission sur l’origine des grandes bévues du Crédit lyonnais, M. Jean-Pascal Beaufret a déclaré : « la cause initiale est le défaut de suivi des filiales. Le Crédit lyonnais est une des rares banques à ne pas avoir mis en place avant fin 1992 — c’est pourquoi j’ai dit qu’un redressement était intervenu en 1992 et 1993 — un contrôle des risques centralisé : c’est la dernière grande banque qui a mis en place un contrôle de gestion central. Ce mode de fonctionnement était caractéristique. Les filiales avaient une grande liberté. Altus avait une grande liberté. La SDBO faisait des choses que le Crédit lyonnais ne faisait pas. IBSA avait une très grande liberté. C’est en fait le défaut de « reporting » (sic) au Crédit lyonnais central, le défaut d’implication des équipes du Crédit lyonnais central qui sont un peu à l’origine de cette liberté des filiales et de cette accumulation de risques. Sur les 20 milliards de F. de retard de provisionnement décelés par la Commission bancaire en décembre 1993, au moins les trois quarts proviennent des filiales. »

Faisant l’historique des contrôles de la Commission bancaire, M. Jean-Louis Butsch a indiqué : « Dans un souci d’efficacité, nous avons décidé de commencer par la périphérie et de ne pénétrer qu’ensuite dans le coeur du réacteur. Donc, nous avons commencé par les filiales. Nous avons eu raison, car aujourd’hui, on peut dire que plus des deux tiers des pertes finales, évaluées à fin 1993, proviennent des filiales. Chaque filiale a demandé plusieurs mois d’investigation. (...) chaque contrôle sur place est un travail de fourmi. »

Ces personnes ont précisé leur analyse en identifiant principalement quatre filiales comme des sources principales sinon exclusives, à des degrés divers, des difficultés financières du Crédit lyonnais. Il s’agit par ordre d’importance du Crédit lyonnais Bank Nederland (CLBN), d’Altus Finance, de la Société de Banque Occidentale (SDBO) et d’International Bankers SA.

M. Peyrelevade a estimé les ordres de grandeur des engagements douteux de ces filiales de la manière suivante : CLBN, 3,5 milliards de dollars (2 milliards de dollars pour l’ensemble Parretti/Sasea, et 1,5 milliard de dollars pour le cinéma américain hors MGM), Altus, un milliard de dollars, SDBO et IBI, 500 millions de dollars chacune. Ces chiffres, qui regroupent des engagements compromis totalement ou partiellement provisionnés, donnent une première idée de l’impact des activités de ces filiales sur la situation financière de la maison mère. Des témoins ont ainsi souligné que sans ces filiales et notamment sans le CLBN, le Crédit lyonnais n’aurait pas eu à afficher de pertes et aurait fait face seul sans l’aide de l’Etat.

Le fait est que ces filiales ont lourdement pesé sur les comptes de la banque qui a dû consolider leurs pertes et leur accorder sa garantie (CLBN) ou transférer dans ses comptes des actifs compromis (SDBO), ce qui a été à l’origine d’importantes provisions dans les comptes du Crédit lyonnais maison mère.

La Commission a donc cherché à comprendre les mécanismes ayant abouti à ces différents sinistres en se penchant sur l’activité de ces différentes filiales. Il lui est apparu que, fondamentalement, et sous réserve des évidentes différences de contexte et d’ordre de grandeur, on pouvait constater le même phénomène. Toutes ces filiales ont considérablement accru leur activité ; dans le même temps, elles ont continué de bénéficier d’une très large autonomie vis-à-vis de la maison mère ou l’ont même renforcée, ce qui a abouti à une dégradation de la qualité de sélection du risque. Il y a eu à la fois emballement de la machine et affaiblissement du « contrôle commande », ce qui a inévitablement entraîné de graves déconvenues.

Bien évidemment, au-delà de ce constat global, il importe de préciser l’analyse. Les sinistres relevant du CLBN sont sans commune mesure avec ceux des autres filiales. Sa qualité de filiale étrangère lui conférait aussi un régime juridique différent. Les domaines d’activité ne sont pas les mêmes. Le CLBN a dû ses principaux déboires à sa spécialisation cinématographique, la SDBO et IBI principalement à leurs activités immobilières et Altus à sa diversification tous azimuts.

C’est la raison pour laquelle chacune de ces filiales mérite un examen particulier.

a. — Le Crédit lyonnais Bank Nederland (CLBN)

Le Crédit lyonnais est entré aux Pays-Bas en achetant en 1981 la banque Slavenburg, sans aucun audit préalable des comptes, dans des conditions qui ont été précisées à votre Commission par le président Jean Deflassieux.

Pour une prévision initiale d’investissement de 1 milliard de F. (500 millions de F. pour l’achat des titres et 500 millions de F. pour « les réparations » qui en découleraient), le Crédit lyonnais a dépensé finalement 3 milliards de F. étalés sur deux ou trois exercices. Si l’on neutralise le surcoût relatif à l’augmentation de sa participation qui s’est finalement élevée à 92 % du capital, la dérive s’est établie, à périmètre constant, à un milliard de F. Cette inflation a résulté de la remontée des placards d’un certain nombre de dossiers qui n’ont été portés à la connaissance de l’acquéreur qu’une fois la transaction faite, ainsi que d’une escroquerie commise par des employés de la banque qui spéculaient sur les marchés de matières premières.

A la suite de ces déconvenues, le Crédit lyonnais s’est attaché à renforcer son contrôle sur la banque et à la redresser sous l’impulsion du président français de son directoire, M. Georges Vigon. En 1987, le CLBN a fusionné avec la « Nederlandse Credietbank » filiale de la « Chase Manhattan Bank », pour devenir en 1988 la première banque étrangère aux Pays-Bas et le quatrième réseau bancaire du pays avec une part de marché de l’ordre de 8 %. Banque commerciale classique, le CLBN offre une gamme complète de services bancaires et financiers et contribue pour une part importante au résultat brut d’exploitation de sa maison mère dont c’est l’une des plus grosses filiales à l’étranger. En 1989, le CLBN dégageait dans ses comptes sociaux un résultat net de 189 millions

de F. pour des ressources de clientèle de 45 milliards et un bilan de 98 milliards pour des fonds propres de 2,5 milliards.

Après 1989, les chiffres ne sont plus significatifs puisque le Crédit lyonnais maison mère a accordé en 1990 sa garantie pour les engagements sur le groupe Comfinance et le groupe Sasea afin de dégager le CLBN de toute perte au titre de l’ensemble des risques pris directement ou indirectement dans le cinéma. C’est en effet du cinéma que les ennuis du CLBN puis du Crédit lyonnais sont venus.

La banque Slavenburg s’était déjà spécialisée dans le financement de cette activité et détenait une clientèle de producteurs de cinéma indépendants comme M. Dino de Laurentiis. Sous l’impulsion de M. Franz Afman, cette activité s’est développée au CLBN au sein d’une structure d’une trentaine de personnes basée à Rotterdam et dénommée Entertainment Business Division (EBD).

Ce secteur très spécialisé et à haut risque était à ses débuts très rémunérateur puisque la banque prenait des intérêts et des commissions d’engagement élevés. La banque finançait des producteurs indépendants sur projet, film par film, en escomptant des contrats passés entre le producteur et des distributeurs ou des diffuseurs. Afin de se garantir d’une défaillance du producteur, par exemple l’inachèvement d’un film, elle souscrivait une garantie de bonne fin auprès d’une société spécialisée.

L’expertise du CLBN résidait dans sa bonne connaissance des acheteurs européens de droits cinématographiques que les banques américaines connaissaient mal. Le créneau bien que risqué semblait donc en théorie prometteur. Malheureusement, cette belle mécanique s’est rapidement déréglée au fur et à mesure que les engagements augmentaient.

EBD a commencé à octroyer des lignes de crédit globales à un producteur donné qui finançait plusieurs films par an, les contrôles des dépassements de devis se sont relâchés, les garanties de bonne fin n’ont pas été systématiquement passées, des prises de risques sur des contrats non signés ou sur des pays où le film n’était pas encore vendu sont apparues. On a même financé des projets sans aucun contrat en garantie.

Les incidents de paiement et les échelonnements de dette se sont multipliés sans être immédiatement apparents dans les comptes puisque selon une pratique bancaire courante, on a intégré des intérêts non payés au produit net bancaire sans les provisionner.

On a accordé de nouvelles lignes de crédits à des débiteurs défaillants dans l’espoir de se refaire et l’engrenage a été rapide dans un secteur où les devis s’établissent en dizaines de millions de dollars !

Malgré les efforts déployés par la maison mère qui a dépêché sur place des avocats spécialisés et renouvelé les équipes, la progression des engagements compromis ne s’est pas relâchée comme en témoigne le tableau suivant :

Evolution des encours cinéma CLBN

hors MGM/PCC

  en millions USD
Décembre 1981 129
Décembre 1982 141
Décembre 1983 149
Décembre 1984 136
Décembre 1985 224
Juin 1986 224
Décembre 1988 775
Décembre 1989 1.466
Décembre 1990 1.576
Décembre 1991 1.609
Décembre 1992 1.457
Décembre 1993 1.365

Source : Crédit lyonnais.

Ce tableau révèle que l’année 1989 a été particulièrement « dynamique » dans ce domaine et que le CLBN n’est pas parvenu à ralentir son activité cinématographique avant son rapatriement à Paris à compter de janvier 1991.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 1.365 millions de dollars d’engagements compromis, d’ores et déjà provisionnés à 80 %.

Cette situation résulte d’une addition d’engagements particulièrement lourds et risqués, pour certains franchement folkloriques, dont on se demande parfois comment des banquiers professionnels ont pu les prendre, sinon par fascination pour un univers particulièrement brillant et séduisant qu’ils cotoyaient parfois peut-être de trop près.

Comme le dit M. François Gille, « le seul reproche que l’on ne puisse adresser aux équipes de CLBN est de ne pas être allées à Hollywood ! »

Cinq dossiers (Epic, TWE, de Laurentiis, Gladden, Hemdale) sont à l’origine de près de la moitié des encours compromis.

Parallèlement à cette accumulation de sinistres, EBD a aussi été à la source directe de l’entrée en clientèle au CLBN de M. Giancarlo Parretti.

Selon le témoignage de M. Georges Vigon devant votre Commission, ce serait du printemps 1987 qu’il faudrait la dater, à l’occasion du rachat par Parretti d’un client de EBD, la société Cannon.

M. Giancarlo Parretti est lui-même à l’origine de l’entrée en clientèle de la Sasea de M. Fiorini qu’il faut dater de l’été 1987. On sait que le Crédit lyonnais et sa filiale le CLBN ont toujours refusé de consolider leurs engagements sur ces deux groupes au motif principal que les activités étaient différentes (la Sasea était plus diversifiée que Comfinance) et que la structure des participations croisées n’imposait pas cette consolidation. Le point de rencontre des deux groupes était la société Melia dans laquelle chacun avait des participations.

S’agissant de M. Parretti qui, ayant racheté Cannon, n’a demandé au CLBN dans un premier temps que le maintien de la ligne de production de cette société, l’étape décisive date du troisième trimestre 1988 avec la participation du CLBN au financement de l’OPA sur Pathé cinéma. Elle s’inscrit dans un cadre plus vaste d’achats par MM. Parretti et Fiorini d’actifs du groupe Rivaud détenus par les banques Stern et Duménil-Leblé. L’opération Pathé ayant été bloquée en juin 1989 puis en juin 1990 par le gouvernement français, les titres Pathé et les titres Rivaud détenus par M. Parretti furent revendus durant l’été 1990 au groupe Chargeurs et au groupe Bolloré.

Dans le même temps, M. Parretti lança une OPA sur la MGM avec le soutien du groupe Time Warner qui se retira le 15 juin 1990 en raison du blocage de l’investissement sur Pathé pour atteinte à l’ordre public. Selon les témoignages réunis par votre Commission, le CLBN n’aurait pas été à l’origine de cette acquisition. Ce n’est qu’en octobre 1990 qu’il aurait contribué de manière indirecte à boucler l’opération en consentant des crédits relais ou en escomptant des engagements pris par des tiers.

Certaines de ces garanties s’étant révélées fragiles quelques semaines plus tard, le CLBN se serait retrouvé plus engagé qu’il ne l’avait prévu.

Les informations recueillies par votre Rapporteur permettent toutefois d’apporter quelques éclaircissements supplémentaires sur ces différents points.

S’agissant du groupe Sasea, votre Commission ne peut que suivre, en raison des procédures en cours, l’avis de la Commission des Finances dans son rapport n° 1146 du 29 avril 1994 selon lequel « l’information ouverte à Paris à l’initiative du Crédit lyonnais excluera du champ d’investigation de la Commission d’enquête les conditions d’obtention par le groupe Sasea du soutien financier du Crédit lyonnais. »

S’agissant du groupe Parretti, quelques précisions peuvent être apportées.

Engagements du Crédit lyonnais sur les groupes Parretti, Fiorini et affiliés

En millions de dollars

Dates groupe Parretti Groupe Fiorini Sociétés affiliées total
31-12-1987 180 70   250
2-9-1988 210 90   300
2-1-1989 400 200   600
2-1-1990 600 500 66 1166
28-2-1990 700 525 25 1250
31-5-1990 725 550 105 1380
31-10-1990 1300 630 130 2060

• Pendant le mandat de M. Lévêque, les engagements sur les groupes Parretti et Fiorini passent de 0 à 300 millions de dollars. L’évolution est marquée également par l’entrée en relations commerciales du CLBN avec Parretti officiellement en mai 1987 (en réalité, selon des informations communiquées à votre Rapporteur par les commissaires aux comptes luxembourgeois de la société Interpart de Parretti, dès fin 1986) à l’occasion du financement de la reprise du groupe cinématographique Cannon par Parretti, et à partir de fin 1987 par le financement de sociétés du groupe Sasea de Fiorini.

• Dès le début du mandat de M. Haberer, ils doublent, à cause notamment du financement du rachat de Pathé par le groupe Parretti via la société de Max Théret.

A ce propos, votre Rapporteur note que l’acquisition de Pathé Cinéma qui ne devait impliquer le CLBN qu’à concurrence de 482 millions de F., l’a amené, au moins dans un premier temps, à participer au financement de la quasi-totalité de l’acquisition pour un montant d’environ 950 millions de F. Le CLBN a laissé acréditer l’idée que Max Théret Investissement (MTI) était le donneur d’ordre, alors que la plus grande partie des fonds qui ont transité par le compte MTI provenait de Comfinance. A ce titre, l’opération révèle une volonté de dissimulation.

Les crédits consentis par le CLBN ont été remboursés pour partie par l’arrivée de fonds d’origine inconnue sur le compte MTI et pour le solde par le produit de la cession des titres (Pathé) au groupe Chargeurs.

• Dans un long communiqué d’explications publié le 11 juillet 1991 « où, a-t-il indiqué à la Commission, chaque mot a été soigneusement pesé », le Président du Crédit lyonnais indique « qu’il avait au début de 1990 demandé de plafonner, puis de faire maigrir l’encours sur le groupe Parretti, alors d’environ 400 millions de dollars ».

La comparaison avec les données chiffrées dont dispose votre Rapporteur fait apparaître début 1990 un écart important entre la réalité (600 millions de dollars sur le seul groupe Parretti, auxquels il faudrait ajouter 500 millions de dollars sur le groupe Sasea) et le chiffre de 400 millions avancé par M. Haberer.

D’après une lettre du 24 avril 1991 du Crédit lyonnais au Trésor, signée de M. Serge Boutissou, directeur adjoint de l’International, en réponse à une question écrite de votre Rapporteur, la situation de l’encours sur le groupe Parretti au 1er octobre 1990 est de 221 millions de dollars, alors qu’en fait il est d’environ 600 millions de dollars, auxquels s’ajoutent 650 millions de dollars pour Sasea.

Ces écarts impressionnants entre la réalité et les chiffres communiqués par le Crédit lyonnais laissent perplexe. M. Jean-Yves Haberer a indiqué à la Commission qu’en juillet 1991 il ne connaissait pas exactement le « périmètre » du groupe Parretti début 1990, ce qui expliquerait selon lui l’écart entre les 400 et les 600 millions de dollars.

En fait, le problème semble avoir été moins la connaissance du nombre de sociétés rattachées au groupe Parretti que l’analyse de leurs liens avec les « holdings » de tête. Comme le montre un échange de lettres de début 1990 entre le Directeur de la Banque centrale des Pays-Bas et le Président du Crédit lyonnais, il existait un vrai désaccord sur deux points : d’une part sur le fait de considérer les groupes Parretti et Fiorini comme une seule entité, ce que souhaitait la Banque centrale des Pays-Bas mais que refusait fermement M. Jean-Yves Haberer, alors que leur enchevêtrement était total ; d’autre part, sur les périmètres respectifs des groupes Comfinance et Sasea, dont le Crédit lyonnais avait manifestement une vision réductrice, considérant par exemple que la société immobilière italienne Scotti, dont l’actionnaire de référence était de toute évidence Sasea n’en faisait cependant pas partie, compte tenu du niveau de sa participation (27 %).

Cette conception « rétrécie » des groupes Parretti et Fiorini par le Crédit lyonnais ne pouvait être involontaire et n’était pas sans rapport avec le problème important que posait au CLBN le respect des ratios prudentiels de division des risques de la Banque centrale des Pays-Bas. Mais elle a conduit le Crédit lyonnais à diffuser dans le public, au Trésor et à l’Assemblée nationale des informations incomplètes voire inexactes.

• Quant à l’ordre donné début 1990 par M. Haberer à MM. Thiolon et Wolkenstein de plafonner, puis de faire maigrir l’encours sur le groupe Parretti, il n’a pas été donné par écrit. Des témoins en ont cependant confirmé l’existence. Cet ordre pouvait paraître ambigu puisqu’il ne comprenait pas la partie « Fiorini-Sasea » du conglomérat.

En tout état de cause, il a été transgressé de manière évidente et durable.

C’est en effet à concurrence d’au minimum 58 % et très probablement de 93 % que le CLBN a financé les 353 millions de dollars d’acomptes versés par Parretti entre mars et octobre 1990 pour le rachat de la MGM. Quant au solde par rapport au prix d’acquisition, il a été apporté pour 70 % par le Crédit lyonnais (CLBN : 46 % ; Crédit lyonnais Montmartre : 15 % ; Crédit lyonnais New York : 9 %). Au total, c’est 76 % du prix de MGM qui ont été financés initialement par le groupe Crédit lyonnais.

• Enfin, parmi les nombreux actifs figurant dans le dossier Parretti, on trouve une société anonyme d’HLM de la région parisienne, la Seimaroise, ainsi que sa filiale, la Fiac, propriétaires de plus de 10.000 logements.

M. Parretti en a pris le contrôle en 1986 pour les céder ensuite à M. Fiorini au travers d’une cascade de sociétés écrans luxembourgeoises et hollandaises. Ces sociétés HLM sont aujourd’hui dans l’orbite du Crédit lyonnais à la suite de la reprise des actifs immobiliers de la Sasea par le groupe Pierre 1er. La Seimaroise a fait l’objet de plusieurs réévaluations successives en contravention totale avec la législation HLM. En conséquence, votre Rapporteur demande au ministère du logement qu’une enquête détermine les conditions précises de ces réévaluations et les raisons pour lesquelles aucune enquête judiciaire n’a été ordonnée à ce jour alors que l’affaire a été révélée fin 1992.

• L’impact de ces engagements sur les comptes du Crédit lyonnais a donc été d’une ampleur considérable. Les provisions à passer l’ont été principalement sur l’exercice 1992. Elles ont été complétées sur l’exercice 1993, essentiellement sur le risque Scotti ( + 1600 millions de F.), comme le montre le tableau suivant :

Engagements du CLBN sur Sasea et Parretti hors MGM au 31 décembre 1993

En millions de F.

  Brut Stock de provisions Net
Groupe Comfinance-Parretti 1312 1282 30
Sasea (holding et affiliés) 4838 4682 156
Scotti 4512 3799 713

Source : Rapport annuel Crédit lyonnais 1993.

S’agissant de la MGM, la banque estime pouvoir revendre la compagnie dont elle est propriétaire depuis mai 1992 à un prix lui permettant de récupérer sa mise qui s’élève approximativement à 13,5 milliards de F. au 31 décembre 1993, ce qui en fait le troisième engagement en volume du Crédit lyonnais, tous secteurs d’activité confondus.

Sans compter la MGM, sur laquelle l’avenir est ouvert, le CLBN a donc totalisé sur la nébuleuse Parretti-Fiorini une somme d’engagements supérieure à 10 milliards de F.

• Ce constat posé, on peut s’interroger sur le degré d’autonomie de la filiale du Crédit lyonnais aux Pays-Bas. S’agissant d’une filiale étrangère, elle n’appartenait pas au périmètre du contrôle interne de la maison mère. Celle-ci était essentiellement représentée par trois cadres membres du directoire du CLBN dont le président, M. Georges Vigon de 1982 à 1987, date à laquelle il fut nommé directeur Europe de la Direction centrale des affaires internationales (DCAI) et remplacé par M. Jean-Jacques Brutschi. Ce directoire examinait tous les dossiers de crédit importants et la DCAI disposait d’un compte-rendu mensuel des risques notables.

Par ailleurs, certains membres du comité exécutif du Crédit lyonnais comme MM. Jean-Yves Haberer, François Gille et Alexis Wolkenstein étaient aussi membres du conseil de surveillance du CLBN.

S’agissant du contrôle comptable, il était assuré par les propres commissaires aux comptes du CLBN. Le contrôle prudentiel du CLBN mérite quant à lui une analyse spécifique car il est riche d’enseignements.

Banque de droit hollandais, soumise à la réglementation bancaire hollandaise mais filiale à 95 % d’une grande banque française, le CLBN a subi de fait un contrôle externe très amoindri de la part des autorités prudentielles : la Banque centrale des Pays- Bas, contrôleur officiel du CLBN et la Commission bancaire française, contrôleur officiel de la maison mère, se sont constamment « renvoyé la balle » pour savoir à qui incombait la responsabilité ultime de la surveillance.

La Commission bancaire, s’appuyant sur une lecture très stricte des textes réglementaires estimait ne pas disposer des bases juridiques nécessaires au contrôle du CLBN. Son « entrée » dans le CLBN aurait néanmoins pu se faire sous forme de demandes précises d’informations adressées à la maison mère. Mais l’attitude de celle-ci n’était guère encourageante, dans la mesure où, jouant à fond la « néerlandisation » du CLBN, elle voyait d’un très mauvais oeil tout ce qui aurait pu ressembler à une mise en cause par l’extérieur de son autonomie par rapport à la maison mère.

Ainsi, dans une lettre au directeur du Trésor en date du 7 mars 1989 et relative aux crédits accordés par le CLBN à Max Théret Investissement et au groupe Parretti pour l’OPA sur Pathé, le président du Crédit lyonnais expose sa conception de l’autonomie du CLBN : « le CLBN est une banque néerlandaise, soumise aux lois et réglementations néerlandaises, fonctionnant sous la responsabilité néerlandaise de son conseil de surveillance et de son comité de direction (...). Le rôle de l’actionnaire français est de veiller à la stratégie et à la synergie avec le reste du groupe et d’exiger, grâce au contrôle budgétaire, une bonne profitabilité. Pour le reste, la réussite commerciale de cette banque qui emploie 3.500 personnes dont 6 seulement sont françaises, repose sur son identité hollandaise, sur son enracinement local (..,) et sur son autonomie de gestion.

« Ce serait lui porter un grave préjudice que de la considérer comme un auxiliaire de l’administration française, chargé de faire respecter les réglementations françaises par ses clients néerlandais ou internationaux et si je ne peux malheureusement pas empêcher la malveillance ou l’ignorance des milieux culturels et des journaux d’exprimer cette vue erronée je ne peux pas accepter que cette illusion soit partagée par la direction du Trésor. La compétition des groupes bancaires français et de leurs concurrents étrangers est perdue à l’avance si les autorités de notre pays prennent nos filiales pour l’équivalent de comptoirs en territoire colonial, chargés d’un droit de suite pour l’application des réglementations françaises que nul résident français n’est censé ignorer. »

En résumé, les crédits accordés à la nébuleuse Fiorini-Parretti avant même l’OPA sur la MGM auront été une constante pierre d’achoppement entre la Banque centrale des Pays-Bas, le CLBN, le Crédit lyonnais et la Commission bancaire.

Dès le premier semestre 1988, la Banque centrale néerlandaise avait émis des réserves auprès du CLBN sur les crédits accordés aux sociétés contrôlées par le tandem.

En 1988-1989, la Banque centrale néerlandaise opère de fréquents contrôles au CLBN. Selon un ancien collaborateur néerlandais du CLBN, elle s’étonne de l’opacité de la nébuleuse Parretti-Fiorini : l’apparition permanente de nouvelles sociétés coquilles auxquelles sont accordés des crédits qui sont ensuite remboursés par d’autres sociétés lui rend extrêmement difficile la tenue à jour des engagements de la banque. Elle fait part au CLBN et à la Direction centrale des affaires internationales du Crédit lyonnais de son souci de voir respecter le ratio de division des risques de la réglementation bancaire hollandaise. Après une réunion avec des représentants de la Banque centrale des Pays-Bas, M. Georges Vigon, devenu directeur chargé de l’Europe à la Direction centrale des affaires internationales du Crédit lyonnais, écrit le 31 janvier 1990 au directeur de la banque, le Docteur Wellink, pour lui confirmer qu’à la première demande de la Banque centrale néerlandaise, le Crédit lyonnais couvrira toute perte du CLBN dès que les prêts au groupe Sasea-Comfinance dépasseront 25 % des fonds propres du CLBN. Copie de cette lettre de garantie du Crédit lyonnais maison mère au bénéfice de sa filiale est transmise à M. Wolkenstein, directeur général adjoint, en charge de la DCAI.

Le 12 février 1990, la Banque centrale des Pays-Bas revient à la charge à propos des prêts du CLBN au groupe Sasea-Comfinance dans une lettre adressée à M. Jean-Yves Haberer. Elle est transmise par celui-ci à M. Wolkenstein pour projet de réponse avec l’annotation « M. Wolkenstein, c’est très sérieux et, pour moi, très surprenant » (lors de sa dernière audition devant la Commission, M. Haberer indiquera que son étonnement provenait du fait que ce n’était pas le président, mais seulement le directeur de la Banque centrale des Pays-Bas qui s’adressait au président du Crédit lyonnais).

En réalité, la Banque centrale des Pays-Bas exprime à la fois son impuissance à surveiller le CLBN, son inquiétude sur le risque consolidé Parretti-Fiorini, passé de 660 millions de dollars en janvier 1989 à 1.035 millions en octobre 1989, et sur les conséquences négatives de ces prêts quant à la réputation, améliorée mais fragile, du CLBN.

Soulignant le caractère exorbitant et étroitement lié de ces risques et celui complexe et « opaque » des prêts, elle doute que le CLBN contrôle bien ce dossier et en soit complètement informé surtout au niveau du directoire, dont un seul des membres, M. Jacques Griffault en connaît les détails. Elle réitère sa demande de voir baisser l’encours des crédits sur la nébuleuse Parretti-Fiorini à 200 millions de dollars au 31 mars 1990 et souhaite pouvoir s’assurer que les nouveaux débiteurs n’auront aucun lien financier ni contractuel avec les anciens.

Le président du Crédit lyonnais répond le 23 février 1990 que selon le Crédit lyonnais et le CLBN, « Sasea et Comfinance sont deux groupes différents, avec des managements différents, des organisations et des stratégies différentes ». Curieuse analyse alors qu’à cette époque l’enchevêtrement des holdings et des sociétés de Parretti et Fiorini est quasiment de notoriété publique. Il souligne également que l’augmentation d’encours à 1.035 millions de dollars provient de crédits consentis à des sociétés que « le CLBN n’a jamais considérées comme faisant partie des groupes Sasea et Comfinance ». Il s’agit pourtant de trois sociétés, Anglo European Properties, Miroco et Trans Real Holding, filiales d’une société immobilière italo-hollandaise Scotti, dont la Sasea de Fiorini est l’actionnaire de référence.

Le président Haberer assure à son interlocuteur que « la situation de ces groupes est contrôlée de très près et sur des bases quotidiennes par le CLBN » mais il reconnaît que pour un observateur extérieur « l’évolution de certaines sociétés citées soit assez difficile à suivre spécialement du fait que certaines d’entre elles soient en permanence en train d’acheter et de uendre des actifs ».

Mais le président du Crédit lyonnais se veut aussi rassurant, rappelant « qu’une étude en profondeur réalisée par des spécialistes du Crédit lyonnais Paris sur les groupes Sasea et Comfinance pendant le premier semestre 1989 a conclu à la couverture correcte des engagements » et que la vente des cinémas anglais et hollandais de Cannon au groupe Berlusconi via une société coquille « Cinéma 5 Europe » est chose faite, ce qui devrait diminuer les engagements du CLBN vis-à-vis du groupe Parretti.

En fait, Cinéma 5 NV dont le capital avait été souscrit pas la Seychelles International Bank du groupe Sasea avait bien acheté les cinémas en question. Mais il n’a jamais existé de lien financier entre Cinéma 5 NV et le groupe Berlusconi : un de ses collaborateurs, Angelo Codignoni, avait juste siégé quelques jours au conseil d’administration de cette société-écran. Le rachat des salles de cinéma de Cannon avait été en réalité financé par un prêt de 1 milliard de F. du CLBN, qui n’a jamais été remboursé ; il n’était, curieusement, provisionné au 30 juin 1993 qu’à hauteur de 510 millions de F.

Le Crédit lyonnais s’engage enfin à réduire les encours du CLBN sur les groupes Parretti-Fiorini « de façon substantielle » soulignant que Sasea et Comfinance vont disposer fin mars d’ « actifs majeurs » sans plus de précision. On ne peut s’empêcher de rapprocher de cette expression l’OPA sur la MGM qui sera lancée début mars.

Le 15 mars 1990, le directeur de la Banque centrale des Pays-Bas réécrit sous le sceau « strictement confidentiel » une lettre de mise au point au président du Crédit lyonnais, laquelle restera sans réponse.

La Banque centrale des Pays-Bas y maintient sa position quant à l’unicité du conglomérat formé par les groupes de Parretti et Fiorini, ajoutant que le volume des prêts à chaque entité est tel que même si Sasea et Comfinance étaient considérés comme deux groupes séparés, seul le Crédit lyonnais Paris disposerait de la base financière permettant d’en supporter l’ultime responsabilité.

Enfin, la Banque centrale constate qu’en sa qualité d’autorité de surveillance locale du CLBN, il lui est extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, de parvenir à une connaissance approfondie des risques de l’engagement substantiel et complexe représenté par les prêts à Sasea et Comfinance. Selon sa philosophie, l’ultime responsabilité de surveillance incombe à l’autorité de contrôle de la maison mère, le Crédit lyonnais Paris. Elle tient donc à ce que la Commission bancaire soit informée et lui envoie copie de ses échanges avec le CLBN.

Aucun de ces avertissements n’a manifestement été suivi d’effet. Le CLBN est resté perméable à l’escroquerie et au risque de mauvaise qualité pendant de longues années.

La personnalité de M. Georges Vigon, président du directoire de 1982 à 1987, puis directeur Europe de 1987 à 1991 à la DCAI où il était chargé de l’analyse du risque du CLBN, a contribué à renforcer le fonctionnement autarcique de cette filiale. Son intervention dans le financement indirect de l’OPA sur la MGM a été décisive, comme il l’a lui-même reconnu devant la Commission. Il n’a toutefois pas été le seul à croire au sérieux des projets de M. Parretti, comme le montre l’implication personnelle de M. Haberer dans l’OPA sur Pathé Cinéma en 1989 et 1990.

Pourtant, dans son communiqué de juillet 1991, M. Haberer indique qu’il n’a jamais rencontré « ce personnage hors du commun » qu’est M. Parretti. Une affirmation qui peut laisser dubitatif. Mais si tel est bien le cas, on peut légitimement s’étonner, compte tenu des usages dans les banques, que le président du Crédit lyonnais n’ait jamais rencontré celui qui était, et de loin, le client le plus important de la filiale étrangère la plus importante du groupe Crédit lyonnais.

• La reprise en main de l’ex-banque Slavenburg après son rachat par le Crédit lyonnais permit de l’engager sur la voie de l’assainissement financier et éthique.

Force est cependant de constater que le CLBN est resté, au moins jusqu’à l’éclatement de l’affaire MGM, une banque vulnérable, notamment par rapport au problème extrêmement grave de la « contribution » volontaire ou involontaire du système bancaire au blanchiment de l’argent sale ou d’origine douteuse.

Tous les experts, et en particulier ceux du Groupe d’action financier international (GAFI), estiment en effet que les cibles préférées des financiers spécialisés dans le blanchiment sont des petites banques, ou des filiales étrangères de grandes banques, habituées à des montages financiers impliquant des paradis fiscaux, et notamment celles qui sont fragilisées par des problèmes de profitabilité, ce qui inévitablement les entraînent à financer des opérations et des clients à haut risque, et à se montrer insuffisamment curieuses sur l’origine de leurs fonds et des garanties ou sécurité qu’ils présentent. Or le CLBN avait quelque resssemblance avec ce profil.

Plus particulièrement, la manière invraisemblable dont ont été gérées les garanties des prêts au cinéma (parfois absentes, souvent insuffisantes, fréquemment irrécupérables), constatée notamment par les commissaires aux comptes, et reconnue aujourd’hui par l’état-major du Crédit lyonnais, laisse parfois planer le doute sur l’existence éventuelle d’autres garanties plus discrètes. Interrogés à ce sujet, les dirigeants du Crédit lyonnais ont très nettement rejeté cette hypothèse dans la droite ligne de leur volonté maintes fois réitérée de lutter contre le blanchiment de l’argent sale. Seuls les moyens d’une enquêté policière et judiciaire menée en Hollande, en Italie et dans divers paradis fiscaux permettraient d’avoir des certitudes dans un sens ou dans l’autre. M. Wolkenstein a par ailleurs indiqué devant la Commission que la pratique des prêts « dos à dos » (« back to back ») lui était inconnue.

A l’époque, de surcroît, les Pays-Bas n’avaient pas de législation réprimant le blanchiment de l’argent sale : un simple « accord de place », passé entre les banques, tenait lieu de réglementation.

L’origine des fonds de Parretti avait notamment motivé le dépôt d’une demande de commission d’enquête par le groupe UDF en 1990. La Commission n’a pas eu les moyens de mener une investigation à ce sujet. Mais l’affaire ne peut être considérée comme close car il est avéré que, dans l’affaire Pathé, les crédits consentis par le CLBN ont été remboursés, pour partie, par l’arrivée de fonds d’origine inconnue sur le compte de Max Théret Investissement (MTI) et pour le solde, par le produit de la cession des titres au groupe Chargeurs.

Dans sa lettre du 15 mars 1990, la Banque centrale des Pays-Bas appelait tout particulièrement l’attention du président du Crédit lyonnais sur les rumeurs de blanchiment d’argent sale concernant les groupes Sasea et Comfinance du tandem Parretti-Fiorini et le jugeait plus en mesure qu’elle d’en vérifier le fondement. Sur ce point non plus, le Crédit lyonnais n’a jamais répondu à la Banque centrale néerlandaise.

La vulnérabilité au blanchiment de l’argent sale est d’autant plus marquée que le principal client de la banque à partir de 1987, via de multiples sociétés, était un conglomérat dirigé par MM. Parretti et Fiorini. L’un, M. Parretti, était un repris de justice proche d’amis de la mafia italienne, et l’autre, M. Fiorini, comme cela a été prouvé en 1993 par la justice de Milan, était le gestionnaire d’un célèbre compte ouvert à l’UBS de Lugano, le compte Protesione, alimenté exclusivement par des commissions occultes de la vie politique italienne.

Votre Rapporteur n’a pas eu le temps d’approfondir sur place d’importants renseignements émanant du Parquet de Milan, repris récemment par la presse italienne (en particulier « Il Mondo » du 11-18 avril 1994), et ayant pour origine les confessions d’un « repenti » important de la Mafia, M. Michele Amandini, un financier opérant à la fin des années 80 à Milan et à Lugano pour le compte des mafias siciliennes et calabraises. M. Amandini représentait à Milan la Blax Corporation, une société immatriculée à Vaduz au Liechtenstein, contrôlée en fait par MM. Parretti et Fiorini, et instrument en 1990 d’une tentative avortée de sauvetage d’une société financière immobilière milanaise, l’Halldomus.

Si les dirigeants du Crédit lyonnais admettent aujourd’hui que MM. Fiorini et Parretti étaient des escrocs et dénoncent les systèmes très sophistiqués qu’ils avaient mis en place, pour bénéficier des prêts du Crédit lyonnais, ils invoquent leur manque d’informations sérieuses à l’époque pour justifier leur « laisser-faire » à l’égard des deux aventuriers italiens. Les soupçons sur les liens avec la Mafia de ces deux personnages leur paraissaient insuffisants pour les écarter, faute de preuves, ce qui témoigne d’un perfectionnisme juridique peu compréhensible lorsqu’on se dit très attentif à la lutte contre le blanchiment de l’argent sale. Pour sa part, M. Peyrelevade a déclaré que de simples soupçons ou des rumeurs de ce genre lui suffisaient pour refuser un crédit à un éventuel client.

b. — Altus Finance

C’est en 1989 que le Crédit lyonnais décida de prendre 50 % de Thomson CSF Finance en contrepartie d’une souscription du groupe Thomson à une augmentation de capital de la banque. Cette opération faisait partie des participations croisées entre entreprises publiques destinées à renforcer leurs fonds propres sans contribution budgétaire de la part de l’Etat. Celui-ci trouvait son compte, Thomson aussi, car l’évaluation d’Altus, censée représenter 20 % de la valeur du Crédit lyonnais, pouvait paraître généreuse.

Les motivations des deux partenaires qui avaient déjà eu des relations d’affaires peuvent être éclairées par cet extrait des procès-verbaux du conseil d’administration du Crédit lyonnais en date du 14 novembre 1990, relatif à l’augmentation de 50 à 65 % de la participation du Crédit lyonnais dans Thomson CSF Finance devenu Altus : « Le Président rappelle que la politique du Crédit lyonnais consiste à saisir toute opportunité d’accroître ses fonds propres. Pour sa part, Thomson CSF, en substituant à une participation dans Altus Finance, sensible aux aléas de marchés, une participation dans le Crédit lyonnais, à la stabilité beaucoup plus affirmée, trouve ainsi un moyen d’assurer la pérennité d’une partie de ses résultats tout en satisfaisant ses objectifs de diversification ».

La première opération dont la tutelle n’avait pas été à l’origine, mais qu’elle considérait plutôt favorablement parce qu’elle croyait y déceler une perspective de « normalisation » des activités de Thomson CSF Finance, fut suivie d’une série d’autres, destinées à élever progressivement jusqu’à 100 % la participation du Crédit lyonnais dans Altus.

Thomson CSF Finance, bâti à partir de la trésorerie du groupe Thomson que dirigeait depuis 1982 M. Jean-François Hénin, était constitué de Thomson Crédit international qui gérait la couverture des risques monétaires générés par les opérations commerciales du groupe et de la Batif qui développait une activité d’arbitrage.

Passé dans l’orbite du Crédit lyonnais, l’ensemble prit le nom d’Altus, raison sociale inspirée par M. Haberer et dont la traduction latine (« haut ») devait symboliser l’excellence et l’exigence.

Cette acquisition allait surtout incarner de manière paroxystique la stratégie adoptée par le Crédit lyonnais entre 1989 et 1993. Son activité se caractérisera à la fois par une progression en volume et une diversification tous azimuts dont les résultats, du fait notamment de leur grande volatilité, auront un impact très fort sur les comptes du groupe. L’issue de cette aventure sera malheureuse, même si l’ampleur des pertes est encore difficile à cerner, en raison notamment des défaillances du contrôle interne qui, une fois encore, n’a pas été satisfaisant.

Les résultats d’Altus depuis son entrée dans le groupe s’établissent ainsi :

En millions de F.

  1989 1990 1991 1992 1993
Résultat net + 1.129 + 802 + 1.101 + 1.771 - 2.596

Ces chiffres sont à prendre avec précaution puisqu’ils ne reflètent pas un certain nombre de modifications de périmètre dans l’activité d’Altus.

Pour sa part, M. Jean-François Hénin a établi devant la Commission le bilan de la période 1989-1993. Il estime à sept milliards la contribution d’Altus au groupe du Crédit lyonnais sur les exercices 1989-1992 en prenant en compte la plus-value latente, techniquement différée, qui sera effective au moment de la cession par Artémis (dont Altus détient 25 %) de son portefeuille d’obligations à haut rendement et à haut risque (« junk bonds »), ainsi que certaines opérations engagées par la maison mère et auxquelles Altus a été partie prenante. Quant aux pertes, il ajoute aux 2,6 milliards de l’exercice 1993, 800 millions de F. pris en charge directement par le Crédit lyonnais au titre du dossier Concept, 1 milliard au titre des opérations de marché et 1,5 milliard au titre d’engagements immobiliers (sur un total de 9 milliards transférés dans la structure de cantonnement). Il estime donc à 1 milliard de F. l’apport net d’Altus sur l’ensemble de la période.

Cette estimation optimiste, notamment sur les risques immobiliers latents, ne prend pas en compte les moins-values latentes d’Altus qui, comme le reconnaît M. Hénin, dès lors qu’elle est techniquement en phase de liquidation, ne dégage plus guère que des charges.

Il n’en reste pas moins que l’exercice 1993 a été particulièrement mauvais puisque le produit net bancaire s’effondre et que les provisions continuent de progresser pour représenter un stock de 3,3 milliards de F. environ au 31 décembre 1993, dont 1,7 milliard pour le seul exercice 1993. La contribution d’Altus au résultat brut d’exploitation (4 milliards sur 13,2 milliards en 1992) comme au résultat net du groupe (Altus ne constituant pas de réserves) a été importante de 1989 à 1992. On peut toutefois s’interroger sur la portée économique de certaines plus-values et souligner l’extrême volatilité de ses résultats qui a contribué à fragiliser l’ensemble du groupe alors que l’une des conséquences envisagées de l’intégration d’Altus était d’en faire une source de profits récurrents.

Cette volatilité et cette déconfiture finale sont en fait le produit d’une stratégie de diversification mal maîtrisée. Le créneau fondamental de M. Hénin et de ses équipes a toujours été d’exploiter, en prenant des positions contracycliques, des situations temporaires de marchés en phase de retournement, surachetés ou survendus et souvent mal arbitrés.

C’était le cas chez Thomson sur les marchés de produits dérivés afin de couvrir les risques de change du groupe, cela a continué au sein du Crédit lyonnais avec le marché des dettes pays, des obligations à haut rendement et à haut risque, de l’immobilier américain en détresse, puis des mines de charbon, etc. Comme le dit M. Hénin, il s’agit là de son vrai métier, qu’il continue d’ailleurs de pratiquer aujourd’hui avec les mêmes partenaires en dehors du Crédit lyonnais et en bénéficiant de son soutien indirect. La poursuite de ces activités a assurément contribué à renforcer le caractère irrégulier et atypique des résultats d’Altus. Les résultats du premier semestre de 1991 furent par exemple très mauvais à cause notamment d’une perte de change d’un montant net de 800 millions de F. qui inquiéta en son temps la direction du Trésor.

Inversement, l’acquisition en 1991 d’un important portefeuille américain d’obligations à haut rendement et à haut risque améliora considérablement les résultats d’Altus en 1992. Ce portefeuille a dégagé des revenus récurrents au cours du premier semestre de 1992 et une plus-value estimée à 400 millions de dollars à l’occasion de sa cession partielle à Artémis en décembre 1992. Altus cherchait alors un acquéreur pour se conformer à la loi américaine qui lui interdisait, en sa qualité de banque commerciale, de détenir des participations dans des entreprises. La cession à Artémis, dans laquelle Altus a pris 25 % et la Financière Pinault (holding de tête dans laquelle le Crédit lyonnais détient 20 %) 75 %, financée par émission de titres, fut une bénédiction pour le Crédit lyonnais. Elle rapprocha davantage encore la banque d’un de ses très gros clients, M. François Pinault, aujourd’hui membre de son conseil d’administration.

Parallèlement à ce rôle d’intermédiaire financier (courtage, produits dérivés, compensation), Altus s’est lancé dans une diversification poussée en développant considérablement ses activités de banque commerciale classique : gestion de patrimoine (les produits de défiscalisation sur des bateaux de tourisme en Martinique était une de ses spécialités), participations industrielles et commerciales, immobilier, etc.

Pour ce faire, le groupe Altus prit un certain nombre de participations dans des sociétés financières ou des établissements bancaires comme la Banque Financière Parisienne (la Bafip) ou la banque Saga. Même si Altus fit quelques bons « coups », on peut affirmer que cette stratégie se solda globalement par un échec.

Altus prit ainsi 33 % de la banque Saga en 1991. Cette opération malheureuse fut réalisée sans audit préalable et aurait coûté à Altus approximativement un milliard de F., sans compter les participations résiduelles. Cette banque a notamment pris des risques dans le secteur aéronautique hors de proportion avec son bilan et ses dirigeants se sont livrés à des pratiques de gestion et à des artifices comptables qui ont justifié une procédure pénale. Embarqués dans cette affaire, Altus et le Crédit lyonnais, actionnaires de référence, ont dû affronter leurs anciens partenaires et supporter le coût d’un certain nombre de dossiers très mal engagés (par exemple Gamavia-AOM).

S’agissant du pôle immobilier, les activités de la SBT-Batif, filiale à 100 % d’Altus, firent l’objet d’un rapport de la Cour des comptes très sévère, communiqué au ministre de l’Economie en mars 1993. La Cour y dénonçait de graves défaillances de gestion et des pratiques délictueuses de partenaires d’Altus Finance. Le golf de Montgriffon (750 millions de F. d’encours au 30 juin 1993) et l’hôtel du golf de Sainte Maxime (250 millions de F. au 30 juin 1993) sont par exemple des opérations désastreuses dans lesquelles les équipes d’Altus se sont engagées en faisant preuve, pour user d’un euphémisme, d’un amateurisme très coûteux. Ces opérations sont aujourd’hui garanties par le contribuable. Cela n’a pas empêché Altus de racheter 33 golfs en 1993 dans l’espoir de se « refaire ». Il est parfois des investissements contracycliques bien incompréhensibles.

Quant aux prises de participations industrielles et commerciales, ébranlées par la crise mais aussi par une course incessante aux plus values, elles ont également été ponctuées d’échecs retentissants qui se sont soldés par des provisions élevées : Concept dans l’informatique, Marland dans la distribution, Sogamur, un fourre-tout aux « caractéristiques opaques » dénoncées par les inspecteurs de la Commission bancaire, en sont autant d’exemples significatifs.

Elles sont le reflet assez fidèle des paris perdus ou compromis de M. Hénin. On y retrouve le pôle aérien hérité de la banque Saga ; Sellotape Pembridge, un fabricant de rouleau adhésif revendu à des Australiens et qui a coûté 380 millions de F. en provisions ; le groupe Novalliance ; et surtout les décombres de l’ancien pôle de distribution créé et animé par M. François Marland, une personnalité sur laquelle s’est beaucoup appuyé le directeur général d’Altus. Les provisions sur l’ex-groupe Marland s’élèvent après consolidation de quatre entités dont deux commandites néerlandaises (Hornbeam BV et Pancho BV) à près de 1,2 milliard de F. Elles sont la sanction de la crise, d’un expansionnisme débridé et d’une complexe opération de reprise-restructuration confiée temporairement à d’autres proches de M. Hénin, MM. Wahnich, Silberman, Andrevon et Ullman.

Toutes ces déconvenues ne sont pas le fruit du hasard. M. Jean-François Hénin a lui-même reconnu qu’Altus avait grossi trop vite, s’était trop diversifié sans disposer des ressources humaines indispensables à la consolidation de cette croissance. Le suivi des dossiers était déficient. Par suite d’engagements mal sélectionnés, Altus a dû s’impliquer dans la direction de certaines entreprises en difficulté sans expérience de leur gestion. Son service juridique, pour reprendre les termes de M. Hénin, « n’a pas toujours été assez pointu dans la rédaction des contrats ». Au vu des conditions anormales de sortie accordées à certains partenaires de la banque par convention ou contrat, il s’agit d’un euphémisme.

Tous ces graves problèmes de gestion étaient parfaitement connus des pouvoirs publics. Dès le 31 octobre 1991, M. Jean-Claude Trichet, alors directeur du Trésor, alerté par un collaborateur de l’entreprise, signale par note manuscrite à Pierre Bérégovoy un potentiel considérable de pertes chez Altus qu’il évalue à 2,7 milliards de F. en sus des 1,2 milliards de F. déjà provisionnés et qui résultent aussi bien de l’immobilier (600 millions) que de l’industrie (200 millions) et des dossiers Pembridge (400 millions) et Concept (500 millions). Ces prévisions négatives seront d’ailleurs amplement dépassées par la réalité. Il écrit aussi ceci : « ce qui est clair, c’est que les structures de la banque — “back office” (sic), procédures de décision, suivi des investissements — ne sont pas appropriées. » Le directeur du Trésor demande enfin à la Commission bancaire d’accélérer le calendrier des investigations qu’elle devait en tout état de cause entreprendre avant la fin de l’année.

Celle-ci se rend chez Altus en 1991 et 1992. Ses premières conclusions filtrent dès l’hiver 1992. Dans sa lettre de fin de mission à M. Haberer, elle souligne « la modestie des effectifs, l’intervention quelque peu isolée du directeur général dans quasiment toutes les prises de décisions, l’absence d’un organigramme clair et d’une répartition précise des tâches. » Les graves déficiences du contrôle interne sont précisées : « En ce qui concerne les engagements, les procédures d’octroi des crédits puis de surveillance de leur évolution ne sont pas suffisamment strictes. Des concours ont pu être consentis sans accord du Comité spécialisé tandis que d’autres ont été autorisés bien après les décaissements », etc.

Là encore, ceci n’est pas le fait du hasard. Altus a été délibérément exclu du périmètre du contrôle interne du Crédit lyonnais au point que c’est la Commission bancaire qui a révélé au Crédit lyonnais l’ampleur de certains engagements de sa filiale en 1993. L’Inspection générale ne s’y est jamais aventurée d’elle-même car il aurait fallu un feu vert explicite du président du Crédit lyonnais. Altus fonctionnait en circuit fermé, sous la direction de M. Hénin, sans procéder à des recrutements mais en recourant fréquemment à des consultants extérieurs fort bien rémunérés. La façon dont elle a utilisé, dans la reprise du portefeuille d’Executive life, les services de M. Leon Black, un financier américain mêlé aux turpitudes de Drexel-Burnham-Lambert et grand spécialiste des obligations à haut risque et haut rendement est tout à fait symptomatique. Altus ne coopérait pas avec les services spécialisés (immobilier) de la maison mère alors que ses engagements suivaient une courbe exponentielle (30 milliards en crédits et hors bilan au 31 décembre 1991 et 54 milliards un an plus tard).

Ce fonctionnement autarcique a été voulu par la maison mère. M. Haberer l’a explicitement confirmé à la Commission. Cette indépendance devait permettre à Altus de continuer à faire preuve de la souplesse, de la vitesse de réaction, de la mobilité qui lui avaient si bien réussi chez Thomson. Il s’agissait de ne pas entraver la créativité de M. Hénin et de ses équipes, négociateur (« trader ») de génie aux intuitions inquiétantes, qui n’aurait pas pu se plier aux procédures en vigueur au Crédit lyonnais.

Ce raisonnement qui se justifie pour certaines activités de marché, était-il pertinent en matière de banque commerciale ? Le fait est que la seule véritable remontée hiérarchique qui fonctionnait entre Altus et sa maison mère était celle de la relation directe entre M. Hénin et M. Haberer qui présidait le conseil d’administration d’Altus Finance. Chaque semaine, les deux hommes avaient des conversations stratégiques et évoquaient l’ensemble des dossiers de cette filiale atypique.

Force est de constater que ce mode de fonctionnement n’a pas donné pleine satisfaction. Très amendé, il aurait peut-être pu éviter certains sinistres. Ce n’est qu’à la fin de 1992 et au début de 1993 que le contrôle du Crédit lyonnais sur sa filiale est véritablement mis en place — il était sans doute trop tard. Une autre organisation aurait-elle permis à Altus Finance de faire ce que « le Crédit lyonnais ne voulait, ne savait ou ne pouvait pas faire » selon le mot du président Haberer, souvent repris avec une nuance d’amertume par les cadres de la banque entendus par la Commission ?

Cette citation mériterait d’ailleurs une exégèse approfondie. Ne « sait » pas faire, s’agit-il d’un constat d’incompétence ? Ne « peut » pas faire, s’agit-il d’une inquiétante inclination à braver les interdits attachés au statut de grande banque publique ? Ne « veut » pas faire, s’agit-il d’un aveu d’impuissance du président du Crédit lyonnais à se faire obéir de ses troupes au sein même de la maison mère ?

L’inventaire d’Altus réserve encore bien des surprises.

Il est apparu à votre Commission qu’Altus ne pouvait pas seulement être jugé à l’aune de ses résultats financiers mais aussi de ses structures et de ses méthodes.

Au départ de son directeur général, cette filiale du Crédit lyonnais était devenue une sorte de nébuleuse internationale, Altus étant elle-même devenue la maison mère d’une multitude d’autres filiales contrôlant plusieurs centaines de sociétés, dans un enchevêtrement juridico-financier indescriptible, sans cesse en mouvement et incontrôlé.

A ces structures opaques qui ne cessent de révéler des surprises plutôt mauvaises jusqu’à maintenant, s’ajoutaient un style et des méthodes de gestion qui laissent perplexe. Que penser des critères de choix des clients et des partenaires financiers du directeur général d’Altus ? Celui-ci tombait parfois sur d’authentiques entrepreneurs, fréquemment sur des escrocs, presque toujours sur des aventuriers. Comme le CLBN dans le cinéma, Altus a eu ses « sauveurs repreneurs » attitrés, peu regardants sur les moyens, très attentifs à l’intéressement aux bénéfices, mais terriblement soucieux de ne pas partager les pertes. Que penser de certaines formules financières d’intéressement ou de participation à des projets, réservées à quelques dirigeants d’Altus, où l’on ne distingue plus très bien ce qui relevait de leurs intérêts personnels et de l’intérêt de l’établissement ? Que penser de la liberté laissée aux spécialistes des marchés de produits dérivés qui entraînèrent en plusieurs occasions la banque bien au-delà du raisonnable sur des positions hyperspéculatives et qui pouvaient parfois mettre en danger le Crédit lyonnais lui-même ? Que penser enfin de ces curieux partenariats dans l’immobilier, les golfs et l’hôtellerie où l’incompétence dans la gestion des projets le disputait à la rapacité dans la récupération des commissions, honoraires et autres « dédommagements » ?

On peut à bon droit s’étonner que dans cette ambiance de finance débridée, aussi peu de dossiers aient donné lieu à ouverture d’enquête, notamment dans les cas largement décrits par la Cour des comptes dans son rapport sur l’immobilier d’Altus.

Altus était devenu au fil des ans mais surtout depuis son entrée dans le groupe Crédit lyonnais une sorte de caricature de l’économie mixte : filiale de la plus grande banque publique française et bénéficiant d’une garantie implicite de l’Etat, elle n’avait finalement de comptes à rendre à personne et savait que le système continuerait d’être approuvé par le Crédit lyonnais ou les pouvoirs publics, sa pérennité n’étant pas en cause. Ceci lui permettait par ailleurs de se prêter aux jongleries financières les plus osées et aux spéculations les moins orthodoxes sur des marchés rendus euphoriques par la déréglementation, sans risque ni complexe et sans se soucier que l’actionnaire public et le contribuable puissent finalement en faire les frais.

c. — La Société de banque occidentale (SDBO)

Cette banque, discrète et moyenne, issue de la fusion de la Société de banque et de crédit, filiale du Crédit lyonnais, et de la Banque occidentale pour l’industrie et le commerce, filiale du groupe Générale occidentale, est aujourd’hui détenue à 100 % par le Crédit lyonnais.

Parmi les causes identifiées des difficultés du Crédit lyonnais, la SDBO occupe une place de choix, disproportionnée par rapport à la modestie de son bilan (21 milliards de F.). En deux ans (1992-1993), elle a perdu 803 millions de F., soit l’équivalent de ses fonds propres, et totalise 1,644 millions de provisions (non compris les provisions sur les engagements immobiliers transférés à l’OIG). Elle vient, avec 7,75 milliards de F. d’actifs immobiliers compromis, au second rang derrière Altus pour sa « contribution » au cantonnement, dont elle représente 18 %. Au travers de l’OIG, le « sinistre » SDBO risque de coûter 2,7 milliards de F. aux contribuables. La SDBO est par ailleurs la banque de référence du groupe Bernard Tapie provisionné en 1993 à hauteur de 500 millions de F. pour un engagement qui s’élevait au 31 décembre 1993 à près de 1,5 milliard de F.

— Une banque spécialisée dans des activités parfois très risquées

L’activité de la SDBO a très fortement progressé au cours de ces dernières années et a plafonné en 1993. Son bilan qui était de 5,2 milliards de F. en 1981 a atteint 9,5 milliards en 1988, 15,5 milliards en 1990, 21,9 milliards en 1992 et 21,4 milliards en 1993. Ses engagements hors bilan (cautions, avals, obligations cautionnées, garanties d’ordres de clientèle...) ont triplé de 1991 (2 milliards de F.) à 1992 (6,7 milliards de F.).

La stratégie de la banque est orientée vers une clientèle de PME, à la recherche de marchés spécifiques considérés comme rémunérateurs du fait de la moindre concurrence et des montages sur mesure qu’elle peut mettre en place.

La SDBO est depuis longtemps spécialisée dans l’exploitation de quatre « niches » : la clientèle liée à l’activité des tribunaux de commerce (administrateurs judiciaires et syndics liquidateurs ; repreneurs d’entreprises), spécialité du précédent directeur général de la banque (jusqu’au 30 juin 1992), M. Pierre Despessailles, lui-même ancien juge au tribunal de commerce de Paris ; l’immobilier avec une préférence pour les opérations de marchands de biens, domaine où le Crédit lyonnais maison mère répugnait à s’aventurer ouvertement ; le marché de l’art (commissaires priseurs, antiquaires, galeries...) ; le financement de fonds de commerce dans la restauration. Mais à partir de 1991-1992, la crise touche ces « niches » de plein fouet, fragilisant la banque qui, en 1992, commence à perdre de l’argent, alors qu’avant elle était bénéficiaire de 60 à 70 millions par an. L’adossement au Crédit lyonnais joue alors à plein, sous forme d’abandon de créances, de reprise de 4,7 milliards d’encours immobiliers et de promesse de recapitalisation : au moins jusqu’à l’arrivée de M. Jean Peyrelevade, le Crédit lyonnais souhaitait conserver cet outil financier très à part et à la réputation ambiguë sur la place de Paris.

Cependant, le retournement de conjoncture n’explique pas à lui seul, loin s’en faut, les difficultés de la SDBO.

Elle possède, en effet, et surtout, une clientèle à haut risque financier, et même à très haut risque, ce qui ne semble pas avoir perturbé pendant des années la sérénité de ses dirigeants.

Pourtant, en 1991, sur 590 clients (11,6 milliards de F. d’encours) déclarés auprès du service central des risques de la Banque de France, seulement 48 (14 % des crédits) avaient une cote de crédit favorable (cote 3).

En choisissant de financer, avec l’assentiment du Crédit lyonnais, des entreprises aux situations financières déséquilibrées, souvent rejetées ou délaissées par les autres banques, la SDBO pouvait certes leur imposer des marges élevées (2 points, allant jusqu’à 4 ou 5 points pour les entreprises en procédure judiciaire), mais, finançant souvent l’intégralité des besoins de ces clients très spéciaux, elle accumulait les risques.

L’ancien directeur général de la banque, M. Pierre Despessailles, semblait d’autant moins soucieux de la division des risques clientèle que les comptes de la banque étaient consolidés par le Crédit lyonnais. D’où sur un nombre réduit de clients aujourd’hui en difficulté, une concentration très excessive, flagrante, dans l’immobilier (à lui seul le groupe Immopar de M. Hallais représentait près de 2 milliards de F d’engagements de la SDBO), mais aussi sur le marché de l’art. Quant au groupe Bernard Tapie, il représentait 21,4 % de l’encours de crédits de la SDBO au 31 décembre 1993.

La SDBO a pris d’autant plus de risques que, dans beaucoup d’opérations dans l’immobilier et l’art, elle était à la fois prêteur et actionnaire. Les cas d’Immopar où elle détient désormais une participation importante et d’Occipar, sa filiale dans l’art, sont caractéristiques, sans compter les innombrables SNC, SCI et sociétés en participation dans lesquelles elle avait des parts.

La direction de la SDBO mettait également en avant sa capacité d’expertise et son flair exceptionnel. On en voit aujourd’hui les limites. Elles apparaissent par exemple de façon flagrante dans le soutien à de catastrophiques opérations immobilières aux Etats-Unis et en Espagne.

Il lui est souvent arrivé de se laisser griser, sans précautions suffisantes, par des opérations internationales dont l’opacité le disputait à la complexité. Ainsi, le dossier Abbot Fields où, en décembre 1991, un prêt de 100 millions de dollars est accordé à la société luxembourgeoise Abbot Fields SA SOPAFI, appartenant via une société du Lichtenstein à une des plus grandes fortunes du monde, dans le but de racheter au groupe hôtelier CIGA de l’Aga Khan, les murs et fonds de commerce de l’hôtel Meurice à Paris. Suite à un conflit entre les parties, l’emprunteur n’a encore rien remboursé et 38 millions de F. ont dû être provisionnés.

Sous l’impulsion de M. Pierre Despessailles, la SDBO était devenue un haut lieu, discret et feutré, de la spéculation parisienne. C’est dans cette banque plus encore que dans les établissements spécialisés comparables, qu’on pouvait avoir accès, avec un minimum de formalités, de garanties et de fonds propres, sans coup férir (mais à un coût élevé), aux surfinancements, aux avances sur vente et autres montages permettant d’anticiper une hausse qui semblait devoir être éternelle, et de réaliser des plus-values. Aujourd’hui, la SDBO paie le prix de ses imprudences, de son irresponsablité et d’une certaine outrecuidance.

— La SDBO et M. Bernard Tapie

En 1977, la banque entre en relation avec M. Bernard Tapie, qui recherche un soutien dans la reprise de deux affaires, Duverger et Diguet Denis. Le système que l’homme d’affaire commence alors à exploiter consiste à racheter à bas prix des entreprises en cessation ou en quasi-cessation de paiement, à les restructurer en obtenant, grâce à la loi, un étalement de leur passif ou leur rachat décoté, et à les revendre, une fois remises en ordre, en faisant une plus-value.

Ainsi, il a successivement repris Draeger, Manufrance, la Vie Claire, Terraillon, Testut, Wonder, Mazda, Look, Donnay, et Adidas en 1990.M. Despessailles, directeur général de la SDBO, a joué un rôle essentiel dans cette succession d’opérations.

En effet, jusqu’à la reprise d’Adidas, la SDBO a accompagné la croissance du groupe Bernard Tapie en finançant l’intégralité de ses prises de participations. Mais comme elles se dénouaient vite, avec des plus-values, les prêts étaient remboursés et les agios payés (à l’exception d’une opération patrimoniale engagée en 1986 qui n’est toujours pas remboursée). En outre, lors de son introduction en bourse en 1989, Bernard Tapie Finances (BTF) valait 950 millions de F. et équilibrait les encours de la SDBO.

Le rachat d’Adidas marque un premier tournant dans les relations. En juillet 1990, M. Bernard Tapie annonce avec les soeurs Dassler la reprise d’Adidas et ne demande qu’ensuite à SDBO de monter un tour de table pour la financer. Neuf banques participent au financement de 1,6 milliard de F, dont la SDBO (26,5 %), la Banque générale du Phénix et la BNP sont co-chefs de file.

Si Adidas n’est pas payé trop cher, le montage financier mis au point à base d’emprunts est en revanche difficile à supporter pour l’acquéreur car les charges de remboursement sont considérables. A partir du rachat d’Adidas, les crédits aux sociétés du groupe Bernard Tapie relèvent plus du crédit de notoriété que d’analyses financières propres à chaque projet financé, ce qui étonne d’ailleurs certains collaborateurs de la SDBO. La banque est souvent mise devant le fait accompli. Mais les dépassements de découverts antérieurs sont entérinés sans difficultés.

Le dossier Tapie est suivi de près par la SDBO, Clinvest et le président du Crédit lyonnais. Dès avril 1991, M. Haberer est précisément informé par la SDBO et Clinvest que le dossier Adidas n’évolue pas conformément aux prévisions initiales.

Le manque à gagner résultant de la mauvaise conjoncture, de la déficience de la gestion mise en place par Bernard Tapie et de la forte hausse des taux d’intérêts se chiffre à plusieurs centaines de millions de F. par rapport à la plus-value que la SDBO et le Crédit lyonnais avaient cru pouvoir anticiper pour Bernard Tapie Finance (BTF) sur la revente d’Adidas.

Un repreneur, mais surtout un montage financier dégageant Bernard Tapie et mobilisant divers partenaires institutionnels (AGF, UAP, Crédit national) et des banques étrangères sont recherchés par Mme Beaux, partenaire de Bernard Tapie dans Adidas et très proche de la SDBO, le tout en accord avec M. Jean-Yves Haberer.

Après que le groupe britannique Pentland ait pris une participation de plus de 20 % en 1991 dans le groupe Bernard Tapie, en échange du paiement d’une échéance, un protocole est signé avec ce même groupe britannique en juin 1992 en vue de lui céder Adidas. Ce groupe ayant acheté du Deutschemark pour financer son acquisition, la dévaluation de la livre sterling en août 1992 l’aurait fait renoncer à l’opération, le gain sur le change lui paraissant plus avantageux. Le retrait de Pentland d’Adidas sonne le glas des espoirs de la SDBO et du Crédit lyonnais de voir diminuer leurs autres encours sur les sociétés du groupe Bernard Tapie.

L’endettement, sur les sociétés du groupe toujours pour l’essentiel par découvert, augmente fortement jusqu’en avril 1993.

Fin novembre 1992, une réunion décisive a lieu entre MM. Tapie, Gallot et Haberer ; ce dernier négocie avec le client de la SDBO la restructuration de son endettement ; est prévue aussi une ingénierie financière à mettre en œuvre par Clinvest pour la reprise d’Adidas et le montage d’une consolidation d’une partie des découverts en prêts participatifs. La création de deux sociétés entre le Crédit lyonnais et Bernard Tapie est également envisagée, l’une pour détenir les actifs personnels de M. Tapie et dont les titres seraient nantis au profit de la SDBO en garantie de ses encours au groupe, l’autre pour permettre à M. Tapie de retrouver une certaine valorisation de son capital et de disposer d’un revenu régulier.

Le 13 janvier 1993, le président du Crédit lyonnais reçoit communication par M. Gallot des dernières demandes complémentaires de M. Tapie qui voulait faire acheter sa collection d’œuvres d’art par une société dont la SDBO prendrait 50 % du capital, se faire verser en avance une commission d’apport de 6 % par an et voir racheter à l’amiable Terraillon et la Vie Claire par une filiale commune BTF-SDBO. Le président du Crédit lyonnais n’y donne pas suite.

En fait, entre décembre 1992 et avril 1993, la SDBO et le Crédit lyonnais vont accorder des soutiens décisifs au groupe Bernard Tapie.

Le plus important est la reprise d’Adidas par M. Louis-Dreyfus, à un prix qui en fait une opération blanche, grâce à un montage particulièrement complexe (le Crédit lyonnais refuse encore aujourd’hui de révéler qui se dissimule derrière les deux mystérieux fonds extraterritoriaux, Coatbridge et Omega, qui représentent 35 % du tour de table) mobilisant le secteur nationalisé (AGF, UAP-Worms, Crédit lyonnais, qui représentent au minimum 42 % du capital) mais surtout quasi intégralement supporté par le Crédit lyonnais. Non seulement celui-ci double sa participation dans Adidas (portée à 36 %) mais il effectue une véritable opération de portage. M. Louis-Dreyfus ne court aucun risque puisqu’il bénéficie d’une promesse de rachat de ses actions au cours boursier de février 1993.

L’augmentation de la participation de Mme Beaux (8 %) est intégralement financée par la SDBO. Elle a été remboursée récemment. Pour Bernard Tapie, le sauvetage organisé et supporté par le Crédit lyonnais était le bienvenu car le seul coût des intérêts supportés entre la vente ratée à Pentland en juillet 1992 et février 1993 représentait 150 millions de F.

Juste avant la revente d’Adidas, la SDBO avait accordé à GBT, une des deux sociétés en nom collectif de Bernard Tapie, le 16 décembre 1992, un prêt de 237 millions de F. (alors qu’à l’origine, il devait être plafonné à 120 millions de F.) pour financer l’offre publique de retrait sur 33,36 % des actions BTF. Après la reprise d’Adidas, la SDBO accordera, le 17 mars 1993, aux deux SNC (GBT et FIBT) de Bernard Tapie des prêts sur cinq et dix ans d’un montant de 350 millions de F. pour consolider leurs découverts.

Enfin, le 2 avril 1993, 150 millions de F. seront prêtés par la SDBO à FIBT et à GBT pour reprendre leurs dettes auprès d’autres banques (Finter Bank, Banque générale du Commerce, GMF Banque, Gallière, Worms), la SDBO devenant ainsi, à un moment crucial, la banque exclusive du groupe Bernard Tapie.

Cette restructuration massive et avantageuse de l’endettement du groupe Tapie a eu pour résultat de le déplacer vers les structures de tête du groupe, c’est-à-dire les « holdings » financières (les deux SNC, GBT et FIBT) qui n’avaient aucune capacité de dégager un flux de trésorerie et ne pouvaient rembourser les prêts que par la très hypothétique vente des participations industrielles et patrimoniales qu’elles détenaient. C’était la structure d’endettement la plus malsaine, dès lors que M. Haberer n’avait aucunement l’intention de forcer M. Tapie à vendre ses biens personnels. Ce choix qui ressemble à une fuite en avant étonne. Il entraîne alors une inéluctable augmentation du découvert sur FIBT.

Les comptes des sociétés du groupe Bernard Tapie continuent de se dégrader puisque la sortie d’Adidas en février 1993 ne permet pas d’apurer la situation du groupe auprès de la banque.

Les engagements de la SDBO vis-à-vis des sociétés du groupe atteignent près de 1,5 milliard de F. au 31 décembre 1993. En face, hormis un portefeuille de SICAV monétaires, les garanties disponibles sont fragiles et d’une valeur incertaine : d’une part, les filiales industrielles, handicapées par des résultats négatifs se sont dévalorisées très rapidement même si la SDBO conteste systématiquement les évaluations — trop basses d’après elle — , faites de l’extérieur. D’autre part, la valeur susceptible d’être attribuée aux seuls biens ayant fait l’objet de garanties formalisées est difficile à établir : la SDBO estimait par exemple l’hôtel particulier à 100 millions de F. en 1992 et, malgré la crise immobilière, à 200 millions de F. en 1993.

Selon les hypothèses hautes ou basses d’évaluation des actifs industriels et patrimoniaux, le solde non financé par rapport aux encours consentis aux diverses entités du groupe se situait d’après le Crédit lyonnais entre 300 et 600 millions de F. lors de l’arrêté des comptes de 1993 par la SDBO. Il incluait une valorisation des meubles entre 200 et 350 millions de F., du Phocea entre 50 et 60 millions de F et de l’hôtel de Cavoye entre 150 et 200 millions de F.

Compte tenu de la situation des sociétés Trayvou, SNC FIBT et GBT, la Commission bancaire avait demandé à la SDBO de passer 129 millions de F. de provisions à l’automne 1992.

Mais, du fait de la restructuration de certains engagements et de la concrétisation de l’annonce de la cession de Adidas, aucune provision ne sera passée par la SDBO qui reportait cette opération à l’exercice 1993.

Par rapport à cette évaluation entre 300 et 600 millions de F du risque potentiel de pertes, la SDBO, sur ordre du Crédit lyonnais, a passé sur le groupe Tapie une « provision de passif pour risques éventuels » de 500 millions de F. Elle peut être rapprochée du montant de la recapitalisation (515 millions de F.) promise par le Crédit lyonnais à la SDBO.

On observera que les agios sur les prêts non remboursés continuent de faire progresser la dette et que ces évaluations ne prennent en considération ni les éventuelles dettes fiscales du groupe, ni les conséquences incertaines du prolongement des encours sur certains repreneurs des sociétés du groupe Bernard Tapie. En effet, selon une pratique courante, la banque finance souvent l’acquisition d’actifs appartenant à un client, dès lors que leur repreneur atténue son risque antérieur.

Cette technique de rachat par financement bancaire partiel ou intégral a été utilisée lors des cessions de plusieurs sociétés du groupe Bernard Tapie, dont Adidas. Pour mesurer au sens large l’impact de l’ensemble des opérations liées au groupe Bernard Tapie, il faudrait donc ajouter aux risques pris sur les encours du groupe lui-même, ceux pris sur les encours transférés aux clients repreneurs.

La Commission a estimé que l’examen de l’accord signé le 13 mars 1994 entre M. Tapie et le Crédit lyonnais, n’entrait pas, compte tenu de sa date, dans le champ de ses compétences.

Filiale du Crédit lyonnais, la SDBO est présentée aujourd’hui par l’état-major du Lyonnais comme une banque qui jouissait d’une grande autonomie. La réalité est plus ambiguë.

En effet, ses ressources provenaient pour une large part, et compte tenu de la faiblesse de ses dépôts, de financements interbancaires, principalement du Crédit lyonnais. Son conseil d’administration, dont des participants ont souligné à votre Rapporteur qu’il ne fonctionnait pas comme une simple chambre d’enregistrement, comprenait six représentants du Crédit lyonnais, et parmi eux plusieurs membres de l’état-major, tels que MM. Renault et Wolkenstein. Son président, M. Michel Gallot, occupait, du moins jusqu’à sa retraite du Crédit lyonnais, des fonctions stratégiques au siège de la maison mère et avait facilement accès à M. Jean-Yves Haberer, y compris après sa retraite du Lyonnais.

Le Crédit lyonnais était très régulièrement informé par l’intermédiaire de la direction des participations, de comptes rendus réguliers et de contacts personnels de la direction générale de la SDBO, des activités de la banque dont il approuvait tacitement, au plus haut niveau, la stratégie à haut risque, dont il ne pouvait ignorer l’orthodoxie pour le moins problématique de certains montages et crédits. L’Inspection générale du Crédit lyonnais y accédait facilement et connaissait la situation. La souplesse et la spécificité de la SDBO devraient être accompagnées d’une plus grande maîtrise des risques, recommandait déjà en substance la lettre de fin de mission des inspecteurs généraux du Crédit lyonnais, le 26 septembre 1991. Cette lettre précisait: « le prochain départ du directeur général, dont le charisme et la personnalité ont marqué les dix premières années de fonctionnement de la SDBO, nous paraît être une occasion opportune pour procéder aux ajustements nécessaires et à l’introduction d’une plus grande rigueur dans la conduite de l’ensemble des activités ».

Pourquoi n’a-t-elle pas été entendue ?

De fait, le Lyonnais, un peu comme dans le cas d’Altus, pouvait donner l’impression qu’il se déchargeait en toute connaissance de cause sur la SDBO de ce qu’il ne pouvait, voulait ou ne savait pas faire surtout dans l’immobilier.

Le personnage central du dossier SDBO n’est sans doute pas M. Michel Gallot, son président, mais M. Pierre Despessailles, son directeur général jusqu’au 30 juin 1992. Si celui-ci peut se flatter d’avoir durant son mandat, présenté des résultats comptables bénéficiaires, le résultat positif de 1991, dont le caractère artificiel est noté par la Commission bancaire, jette un doute sérieux sur la prétendue solidité financière de la banque, même à l’époque où elle affichait une grande prospérité.

L’indépendance de M. Despessailles, son réseau de relations dans des secteurs à la réputation financière discutée, ses rapports très — sans doute trop — personnalisés avec des clients importants qui ne pouvaient qu’apprécier sa disponibilité, marginalisaient quelque peu le président de la SDBO, du moins jusqu’au départ en retraite de son subordonné qui l’amena, à partir de 1992, à s’investir davantage dans les destinées de la banque. Parallèlement, comme le montre le traitement du dossier Tapie à partir du rachat d’Adidas en 1990, le président de la SDBO informait régulièrement et précisément le président du Crédit lyonnais.

En même temps, la SDBO a profité des interventions tardives et modérées de la Commission bancaire alors que la Cour des comptes peut se flatter d’avoir la première crûment mis en lumière ses défaillances.

Dans son rapport sur la politique de financement des professionnels de l’immobilier par la SDBO, la Cour des comptes a mis en garde dès 1992 la banque et les autorités de tutelle : « Il y a tout lieu de craindre que la situation du marché immobilier parisien n’oblige la SDBO à augmenter de manière drastique le montant de ses provisions à la fin 1992 ». Devant l’erreur d’accepter des modes de financement qui déresponsabilisaient promoteurs et marchands de biens, la Cour recommandait « de revenir aux règles de prudence habituelles, notamment en ce qui concerne le niveau minimum de fonds propres exigés des marchands de biens ».

En 1992, cependant, la Commission bancaire soulignait les faiblesses de la banque (gestion administrative, qualité des engagements du fait de l’ampleur des financements à des marchands de biens), demandait de très importants reclassements en créances douteuses et de substantiels compléments de provisions, et exigeait en outre d’être tenue informée de l’évolution du dossier Bernard Tapie.

d. — International Bankers SA

La prise de participation du Crédit lyonnais dans IBSA pose, avec une acuité certaine, le problème de l’actionnariat de référence. La présence d’un actionnaire de référence dans de petits établissements a été systématiquement exigée par la Banque de France après la défaillance de la Al Saudi Bank. Elle est particulièrement inconfortable puisqu’elle implique qu’un actionnaire qui détient au moins 20 % de participation dans une affaire soit sollicité en cas de difficultés. Elle impose donc une vigilance particulière, comme le soulignait le président Haberer à son conseil d’administration le 5 juillet 1990: « Le Crédit lyonnais, qui fait l’objet de fréquentes sollicitations, étudiera les opportunités qui lui sont offertes sous réserve qu’elles répondent à un objectif stratégique de développement de synergies ou de mise en œuvre d’un partenariat avec de grands groupes étrangers souhaitant disposer d 5r,ne implantation en France. Le Crédit lyonnais veillera à préserver ses intérêts en prévoyant différentes clauses, telles que la possibilité de l’intervention d’une mission d’inspection ou le droit de veto pour certaines décisions engageant des capitaux trop importants. »

Votre Rapporteur se demande si cette doctrine a bien été respectée en juillet 1990 lorsque le président du Crédit lyonnais décida d’engager la banque dans le capital de la compagnie financière International Bankers Inc à hauteur de 25 % et pour un coût d’environ 40 millions de dollars. Il s’agissait là de la holding de tête d’un petit groupe financier basé à Luxembourg et dont les mésaventures antérieures à Genève, Hong Kong et Londres, jointes à un actionnariat où l’on trouvait une personnalité aussi controversée que M. Traboulsi, ne lui conféraient pas une image très reluisante. On s’aperçut plus tard qu’International Bankers était aussi l’un des banquiers de la Sasea de M. Fiorini.

IBI, compagnie financière luxembourgeoise, présidée en 1990 par M. Jean-Maxime Lévêque, souhaitait faire de sa filiale française, l’ancienne banque Wedge, son centre opérationnel et recherchait un actionnaire de référence, à la demande de la Banque de France. Le Crédit lyonnais, dont le Président avait été de 1986 à 1988 M. Jean-Maxime Lévêque, accéda fort obligeamment à cette demande. Cet échange de bons procédés s’est révélé désastreux pour la banque du boulevard des Italiens puis pour le contribuable appelé là aussi à la rescousse afin de réparer les erreurs de ses dirigeants.

Lors de son audition devant la Commission, le 16 juin 1994, M. Jean Peyrelevade a estimé à 500 millions de dollars, soit approximativement à 3 milliards de F., les engagements compromis relevant de cette opération qu’il a qualifée d’« erreur de caractère stratégique ».

IBI est en liquidation volontaire depuis qu’il a demandé et obtenu son retrait d’agrément d’établissement financier le 26 novembre 1992. Au 31 décembre 1992, les pertes (659 millions de F.) représentaient dix fois ses fonds propres et au 31 décembre 1993, elles s’élevaient à 1.570 millions de F. A cette date, la perte potentielle sur le portefeuille de crédits immobiliers était estimée à près de 2,5 milliards de francs. Au moins 500 millions de F. sont imputables à la SNC Le Havre, une énorme opération de promotion portant sur huit immeubles à usage de commerces, de bureaux et de logements situés en face de la gare Saint-Lazare et acquis en juin 1990. L’encours représente déjà près de 1,8 milliard de F. alors que l’opération vient seulement de voir se terminer la phase des évictions et ne sera au mieux achevée qu’en 1997. D’une transparence très relative (honoraires anormalement élevés et à destination incertaine), spéculative (foncier surpayé) et déjà lourde de contentieux, elle est très révélatrice de certains errements de l’immobilier parisien du début des années 1990.

On retrouve ainsi près de 5 milliards de F. d’engagements immobiliers compromis émanant d’IBI dans la structure de cantonnement d’actifs sans compter ceux qui ont été transférés à la Banque Colbert en 1992.

Lorsqu’il s’est engagé dans IBI, le Crédit lyonnais a précisé par contrat les modalités du contrôle qu’il entendait exercer en sa qualité d’actionnaire de référence. Il s’agissait d’un accord préalable pour les investissements supérieurs à 5 % de l’actif net d’IBI (soit à partir de 7,5 millions de F.), d’un nombre d’administrateurs lui garantissant la majorité des voix, d’une information préalable pour chaque crédit supérieur à 120 millions de F. et du principe de la compétence de l’Inspection générale du Crédit lyonnais sur IBI. Le Crédit lyonnais pouvait donc surveiller au plus haut niveau l’évolution d’IBI, d’autant que M. François Gille, directeur général adjoint chargé de la direction centrale de la gestion financière du groupe, était membre de son conseil d’administration. On est que plus étonné de l’ampleur du sinistre.

Deux missions de l’Inspection générale y ont été dépêchées. La première a étudié du 13 mai au 21 juin 1991 le département immobilier d’IBI qui représentait à lui seul 65 % des encours totaux de crédits.

Après avoir observé que les concours accordés couvraient généralement 100 % du montant investi dans les opérations (y compris les honoraires et les frais divers) et que IBI recherchait systématiquement une participation en capital, les inspecteurs ont noté que 50 % des dossiers examinés présentaient des lacunes de documentation sur les clients et que la banque n’était pas équipée pour consolider ses encours par groupe client.

Nonobstant ces considérations, l’Inspection a constaté une bonne maîtrise d’ensemble des engagements portés sur ce secteur, tout en soulignant que la spécialisation de la banque la rendait sensible à une éventuelle crise de l’immobilier.

La seconde mission, envoyée pour évaluer la qualité des actifs d’IBI transférés à la Banque Colbert, a pour sa part indiqué, le 9 juillet 1992, à propos des engagements clientèle hors immobilier que les dossiers étaient sommaires et que les « concours en anomalie » étaient nombreux et leur suivi peu régulier.

Certains témoins entendus par la Commission ont été plus sévères à l’endroit d’IBI. Le président Peyrelevade a ainsi évoqué des niveaux anormaux de rémunération et d’honoraires, ainsi que des comportements peu conformes à la déontologie bancaire.

III. — LA RECHERCHE DES RESPONSABILITÉS

Sous peine de manquer aux devoirs de sa charge, votre Rapporteur ne pouvait se limiter à présenter une analyse, même circonstanciée, de la situation financière du groupe Crédit lyonnais et des mécanismes qui ont contribué à la créer.

Une fois les chiffres commentés et les processus décrits, il faut bien les relier à des choix, à des structures et finalement à des hommes, à moins de renoncer à réellement comprendre l’enchaînement des événements.

Le souci de votre Commission est d’essayer de déterminer les obligations et les devoirs des uns et des autres et la manière dont ils ont été remplis afin d’éclairer le passé et d’en tirer certaines leçons pour l’avenir.

A. — DE L’ETAT ACTIONNAIRE ET TUTEUR

A la fois actionnaire et tuteur des entreprises publiques, l’Etat a choisi pour organiser ses relations avec elles un système original et hybride. On est en présence d’un système sui generis hérité de l’histoire et qui doit concilier des exigences à la fois sociales et libérales que notre arsenal juridique classique, pourtant riche, ne permet guère d’encadrer.

Force est de constater que le recours à un tel système dans le cas du Crédit lyonnais n’a pas donné le résultat que l’on était en droit d’en attendre. La définition par l’Etat de sa responsabilité apparaît ambiguë et son exercice n’a pas donné, il s’en faut, un résultat satisfaisant.

1. — Une responsabilité ambiguë

L’appartenance du Crédit lyonnais au secteur public est-elle un élément d’explication de l’ampleur de ses pertes ? L’Etat actionnaire porte-t-il une part de responsabilité dans la dégradation des résultats de l’entreprise ? Il apparaît en fait que la définition par l’Etat de sa responsabilité à l’endroit des entreprises publiques, et notamment du Crédit lyonnais, est finalement très ambiguë. Cette ambiguïté résulte d’une part du comportement de l’Etat actionnaire qui le distingue d’un actionnaire privé et d’autre part des contradictions de la règle de l’autonomie de gestion.

a. — L Etat : un actionnaire atypique

Il est difficile sinon impossible de caractériser l’activité et la stratégie d’une banque universelle publique comme le Crédit lyonnais par rapport à ses concurrents privés de même taille. Dans son activité quotidienne, rien ne la distingue des banques privées. Aucune définition par l’Etat d’une quelconque mission de service public d’une banque publique du secteur concurrentiel n’a jamais été établie comme l’a indiqué avec regret un des magistrats de la Cour des comptes entendus par la Commission. En la matière, la doctrine est particulièrement pauvre. Une telle définition est-elle d’ailleurs possible au regard du contexte économique mondial qui régit l’activité des banques de cette dimension ?

En revanche, l’actionnaire d’une banque publique présente pour sa part un certain nombre de traits distinctifs par rapport aux actionnaires privés de ses concurrents. Un actionnaire privé aurait-il eu, aurait-il même pu avoir l’attitude de l’Etat actionnaire s’agissant des fonds propres de la banque ? La réponse est probablement non. Il aurait apporté à son entreprise de véritables fonds propres ou s’en serait désengagé. Dans le cas du Lyonnais, l’Etat n’a apporté que des ersatz de fonds propres, ce qui est tout à fait détestable. En apportant à la banque des titres d’entreprises publiques, il lui a seulement permis de respecter de façon comptable les ratios de solvabilité. Lorsque la banque apportait des fonds en numéraire aux entreprises dans lesquelles elle prenait une participation et qu’elle devait, le cas échéant, consolider leurs pertes dans ses comptes, elle recevait souvent en échange des titres dont le taux de rentabilité était limité.

On peut ensuite penser qu’un actionnaire privé aurait été plus vigilant dans les opérations de rachat de réseaux bancaires à l’étranger, qu’il aurait été plus exigeant quant à la rentabilité des capitaux investis. Un actionnaire privé sérieux se serait-il lancé dans les aventures hollandaise et espagnole sans avoir réalisé d’audit préalable ? On en doute.

De manière plus générale, la qualité de l’actionnaire du Crédit lyonnais donne consciemment ou non à ses dirigeants un sentiment de sécurité quelque peu pervers qui tend à fausser l’appréciation du risque bancaire et à atténuer les prudences élementaires qui s’imposent dans ce domaine. M. Haberer aurait-il revendiqué aussi fortement le fameux « droit à la perte » s’il avait présidé une banque privée et s’il n’avait pu bénéficier, comme président de banque publique, d’un adossement à l’Etat et donc in fine du concours forcé du contribuable ?

Autre effet pervers de l’adossement étatique, la notation ne joue qu’imparfaitement son rôle de clignotant. La garantie que constitue la présence de l’Etat est prise en compte par les agences de notation. Elles sont de ce fait moins sévères. Avec des notes inférieures, la banque aurait vu le coût de ses ressources augmenter davantage, ce qui aurait contribué à lui faire prendre plus rapidement conscience de ses très réelles difficultés financières.

Discret par vocation au nom des principes et par nécessité au nom des moyens, l’actionnaire public ne pouvait semble-t-il réagir que lentement face à la détérioriation des résultats de la banque. Un actionnaire privé aurait-il eu, aurait-il même pu avoir ce comportement un peu mou, voire nocif ? Le Crédit lyonnais avait d’ailleurs atteint une telle taille que ses besoins en capitaux étaient devenus probablement hors de portée d’un Etat confronté à une crise budgétaire grave. Il y avait quelque paradoxe à vouloir faire grossir autant et aussi vite une banque peu rentable qui devait fatalement solliciter un actionnaire bien démuni.

b. — L’autonomie de gestion

Dans le suivi des activités de la banque, l’Etat actionnaire a établi une doctrine dite de l’autonomie de gestion qui présente inévitablement, elle aussi, des contradictions et des ambiguïtés.

Si le terme de « tutelle » est usuellement utilisé pour désigner la relation qu’entretient l’Etat avec les entreprises du secteur public, il est plus exact de voir dans cette appellation une commodité de langage qu’un concept qui traduirait fidèlement la réalité à laquelle il renvoit. La notion de tutelle suppose en effet un contrôle très étroit et général, voire une substitution provisoire ou définitive. Or, l’Etat a choisi de reconnaître aux entreprises publiques, du moins à celles qui évoluent dans le secteur concurrentiel, une autonomie de gestion érigée en principe, si ce n’est en dogme. Cette doctrine relève du système conceptuel de l’entreprise publique concurrentielle, elle semble s’imposer à tous les gouvernements quelle que soit leur appartenance politique même si tous les gouvernements n’ont pas la même conception de l’étendue du secteur public.

Il a été estimé par les pouvoirs publics que ces entreprises devaient pouvoir évoluer librement dans leur branche d’activité et affronter la concurrence comme n’importe quelle autre entreprise. En application de ce principe, l’Etat n’intervient pas dans la gestion de l’entreprise qui relève de son seul président, lequel est jugé à ses résultats.

La dimension internationale des entreprises publiques a été aussi mise en avant pour conforter le principe de l’autonomie de gestion. Ces entreprises sont en effet appelées à intervenir massivement et de plus en plus à l’étranger sous des formes diverses. En l’absence de ce principe, certains craindraient, par exemple, que des prises de participations réalisées par des entreprises publiques françaises dans des entreprises étrangères ne soient interprétées par les autorités du pays d’accueil comme des nationalisations françaises. L’activité de nos entreprises publiques dans certains pays importants pourrait s’en trouver gênée. L’application du principe de l’autonomie de gestion des entreprises publiques assure, à l’étranger, l’indispensable garantie de l’abstention de l’Etat français dans la conduite des entreprises qui dépendent de lui.

La conciliation entre « tutelle » et autonomie devient par nature conflictuelle puisque les deux termes sont antinomiques. Il ne peut donc s’agir d’appliquer en la matière des règles de droit, car l’exercice ne relève pas d’une science exacte mais d’un « art subtil » comme l’a déclaré l’un des témoins à notre Commission.

Il ressort de l’ensemble des éléments d’information sur lesquels votre Commission a travaillé et notamment des procès-verbaux des réunions du conseil d’administration Crédit lyonnais, des notes ministérielles et de celles émanant de la direction du Trésor que l’Etat s’est le plus souvent limité à une forme de contrôle a posteriori. Le fondement même du système retenu voue en effet les représentants de l’Etat à n’exercer qu’un rôle bien modeste au sein du conseil d’administration qui ressemble à une chambre d’enregistrement. On ne peut s’en étonner, puisque le président n’est pas responsable devant son conseil. Un fonctionnaire du Trésor qui a représenté l’Etat au sein du conseil d’administration du Crédit lyonnais a même déclaré devant la Commission qu’il concevait son rôle comme celui d’un simple porte-parole de l’Etat au conseil. On mesure ici l’importance de l’« informel » dès lors que le président traitait en fait directement avec le directeur du Trésor voire avec le ministre chargé de l’Economie.

Il ressort des documents mis à notre disposition que jusqu’à la mi-92, le Crédit lyonnais a été l’objet d’une tutelle légère, choix justifié par le dogme de l’autonomie de gestion. La tutelle s’est longtemps davantage intéressée aux ratios de solvabilité et à la rentabilité de l’établissement qu’aux choix stratégiques retenus dans tel ou tel domaine, à l’exception des opérations de croissance externe et de « respiration » qui modifiaient le périmètre du secteur public et avaient un impact sur les fonds propres du groupe.

S’il fallait tenter une typologie des interventions de l’Etat sur le Crédit lyonnais au cours de la période qui nous intéresse, on distinguerait trois catégories : les prises de participations et les opérations en capital, les crédits à des clients sensibles et des opérations relevant de l’intérêt général.

S’agissant de la première des trois catégories, la tutelle est active. La direction du Trésor s’intéresse au plus haut point aux fonds propres du Crédit lyonnais, comme d’ailleurs à ceux de la BNP.

Ainsi, par exemple, le directeur du Trésor attire l’attention du ministre par une note du 22 janvier 1987 sur l’insuffisance des fonds propres de la banque et de la couverture des risques pays. Ainsi encore lors de la réunion qu’a tenue le conseil d’administration du Crédit lyonnais le 14 avril 1988, le représentant de l’Etat concentre ses observations sur le niveau des fonds propres et la rentabilité de la banque qu’il estime insuffisants. C’est toujours de la nécessité de renforcer les fonds propres des entreprises publiques en général et du Crédit lyonnais en particulier qu’il est question dans une longue note du directeur du Trésor au ministre datée du 19 janvier 1989.

Le Trésor est également très actif s’agissant des prises de participations dans des entreprises nationales ou étrangères, notamment lorsqu’elles appartiennent au secteur bancaire. Ainsi dans les affaires les plus importantes, l’Etat impose souvent ses conditions comme cela a été le cas pour la prise de contrôle de la BfG. Pour autant, le principe de l’autonomie de gestion n’en est pas moins mis en avant, ce qui est notamment destiné à rassurer le monde financier anglo-saxon.

La seconde catégorie est constituée par les crédits accordés à des clients sensibles. Dans ce cas, le principe est celui de la non-intervention de la tutelle. Une note datée du 13 novembre 1990 par le directeur du Trésor au ministre à propos d’une question parlementaire sur le niveau des engagements du CLBN accordés à M. Parretti dans l’affaire MGM fait figure de rappel de la doctrine dans ce domaine.

Il est indiqué que « l’autonomie de gestion des entreprises publiques fait que l’Etat actionnaire n’a pas à connaître des décisions individuelles d’octroi de crédits des banques nationales et a fortiori de leurs filiales à l’étranger ». L’intervention de l’Etat, lors de la tentative de MM. Parretti et Fiorini en direction de Pathé, constitue une exception. La non-intervention est donc en principe la règle du moins si l’on s’en tient aux traces écrites. Pour autant, il est des cas troublants. Ainsi parmi les documents communiqués à la Commission, il n’existe aucune note de la direction du Trésor au ministre concernant l’affaire Adidas. Rien en 1990 au moment du rachat par M. Tapie. Rien en février 1993 au moment de la revente. Or, à chaque fois, un tour de table de sociétés nationalisées joue un rôle déterminant dans le financement des acheteurs et dans le tour de table permettant de constituer le capital. Il est curieux pour le moins que le Trésor se soit aussi totalement abstenu sur le sujet. Il est parallèlement aussi curieux d’ailleurs que M. Haberer ait pu nous déclarer ne pas avoir géré le dossier Tapie.

On dispose enfin sur des questions d’intérêt général de traces d’interventions des autorités publiques marquant ainsi les limites de l’autonomie de gestion. Cela a été le cas en 1991 selon l’information fournie à votre Commission par M. Haberer lorsqu’il lui a été demandé d’intervenir en accompagnement de l’action du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI). La multiplication des défaillances d’entreprises a conduit l’Etat, pour sauver des emplois, à porter atteinte à l’autonomie de gestion. Les banques privées, mises également à contribution, sont plus en mesure de résister. Cela a, à l’évidence, été aussi le cas lorsque le Premier ministre lui-même a décidé en 1993 de la suspension des plans sociaux élaborés pour les entreprises du secteur public.

De même, l’Etat demandait parfois à la banque, en échange d’apports en fonds propres, des contreparties sous forme de prises de participations dans des entreprises publiques en difficulté.

On comprend dans ces conditions que le maniement du principe de l’autonomie de gestion se révèle délicat, du fait même de son ambiguïté que ne dissipera guère l’observation suivante : peut-on en effet sérieusement imaginer une entreprise publique qui aurait une stratégie dont les grands axes seraient à l’opposé de ce que souhaite l’Etat ? Surtout s’agissant d’une stratégie aussi audacieuse que celle du Crédit lyonnais dont il a été souligné à juste titre devant votre Commission qu’elle était ostensible et notoire ?

Cette stratégie, dans ses principes, était en fait totalement approuvée et encouragée par les pouvoirs publics. Le directeur du Trésor de l’époque, M. Jean-Claude Trichet, a ainsi affirmé devant votre Commission, en la remettant en perspective au sein de l’ensemble du secteur public de la banque et des assurances, que la stratégie audacieuse du Crédit lyonnais, même fondée sur le pari fondamental de la croissance, n’avait pas paru déraisonnable à l’Etat actionnaire. Il a en effet indiqué : « Je crois que le gouvernement, l’Etat actionnaire, n’était pas infondé à se dire : sur mes six multinationales dans les services financiers, il y en a une qui est gérée de manière ambitieuse — un peu à la japonaise — , et disons cinq de manière prudente, ou bien, sur les cinq multinationales mondiales ayant réellement l’ambition de devenir parmi les premières du monde et Dieu sait, d’ailleurs, qu’elles ont bien réussi, aussi bien la BNP que l’UAP et que les AGF sont des succès de stratégie et de résultats dans l’ensemble, est-ce que l’une sur ces cinq-là ne pourrait pas avoir un parti ambitieux ? Cela ne paraît pas déraisonnable, cela n’est pas apparu comme étant déraisonnable au gouvernement, aux ministres successifs, à ceux qui ont nommé M. Haberer ».

Dans ces conditions, la Commission a pu avoir l’impression que le principe de l’autonomie de gestion était destiné à un usage externe, notamment vis-à-vis du milieu financier international et du monde politique français. Dans cette pratique et cette présentation, la convergence de vue stratégique entre MM. Bérégovoy, Trichet et Haberer semble avoir été forte.

2. — L’exercice de la tutelle et le contrôle de l’actionnaire

Votre Rapporteur s’est efforcé de suivre la chronologie selon laquelle les autorités de tutelle ont appliqué leur contrôle pour comprendre le déroulement du processus et en rendre compte. Cette description se fonde sur des documents, des déclarations et des faits. Pour autant, il faut avoir présent à l’esprit en observant cette évolution le poids de ce qu’il faut bien appeler l’« informel » qui a dû l’entourer, tous les échanges verbaux, les démarches dont on a pas forcément la trace mais que l’on imagine et qui ont nécessairement compté.

La procédure de suivi des engagements n’a été mise en place par le ministre des Finances qu’en septembre 1992, alors que la Commission bancaire a renforcé de manière nette sa surveillance sur le Lyonnais à partir de l’été 1991.

On ne peut se limiter à ce simple parallèle pour conclure au caractère tardif de l’intervention des pouvoirs publics. La réalité est plus nuancée et un rappel chronologique permet de s’en convaincre. La direction du Trésor est représentée au sein de la Commission bancaire, en application de l’article 38 de la loi du 24 janvier 1984 dite « loi bancaire ». Elle n’a donc pu ignorer totalement, sauf à envisager un regrettable déficit de coordination, que la surveillance de la Commission s’intensifiait sur la banque. Le rôle et l’approche des pouvoirs publics sont différents de ceux de la Commission bancaire. La gravité des mesures qu’ils sont susceptibles de prendre — et qu’ils ont d’ailleurs prises plus tard — sont sans commune mesure avec les conséquences d’un simple contrôle comptable.

Cette tutelle relève en fait de deux catégories d’acteurs qui interagissent : la direction du Trésor, d’une part, à qui incombe la surveillance et le contrôle régulier du Crédit lyonnais, qui a un rôle d’alerte en premier ressort et qui instruit et exécute les décisions, et, d’autre part, le pouvoir politique, en l’occurrence le ministre chargé de l’Economie, qui oriente l’action et prend les décisions.

Dès 1989, un des premiers dossiers donnant lieu à « contentieux » entre le Crédit lyonnais et le Trésor est le dossier Pathé.

La direction du Trésor résiste, via le bureau des investissements étrangers, à la tentative de prise de contrôle de Pathé par M. Parretti. Elle n’est pas dupe de la francisation artificielle et tardive du dossier d’investissement par l’utilisation d’une société écran présidée par M. Max Théret.

La direction du Trésor cherche à bloquer l’arrivée de Parretti. Elle préconise de porter l’action au pénal, ce qui est refusé par le ministre des Finances, Pierre Bérégovoy, qui préfère une sanction administrative douanière. Elle se bat aussi dans cette affaire contre la Commission de Bruxelles, sensible aux arguments de M. Parretti et dont M. Bangemann, l’un des deux commissaires allemands, se fait curieusement et énergiquement le porte-parole. Il est vrai que l’avocat de M. Parretti était fort bien introduit auprès de la Commission. Un compromis est trouvé dans un premier temps, M. Parretti faisant mine de redevenir minoritaire dans Pathé. La Direction du Trésor le vécut, semble-t-il, comme un échec.

Mais, lorsqu’au printemps 1990, M. Parretti revient à la charge, pour prendre le contrôle de Pathé, le directeur du Trésor — on ne peut que l’en féliciter — préconise au ministre de l’Economie et des Finances d’invoquer « l’ordre public », conformément au Traité de Rome, pour bloquer M. Parretti.

Le blocage de cet investissement pour « atteinte à l’ordre public », le 15 juin 1990, par son caractère exceptionnel — cette décision est conforme à l’intérêt général — ne peut que commencer à détériorer les relations entre l’ancien directeur du Trésor, qu’est M. Haberer, et le ministère de l’Economie et des Finances.

De fait, l’examen attentif des pièces mises à la disposition de la Commission révèle que c’est bien Pierre Bérégovoy qui, le 14 juin 1990, a pris cette décision après en avoir longuement et personnellement évalué la portée comme il l’avait fait un an auparavant pour un motif moins exceptionnel relatif à l’absence de déclaration préalable d’un investissement étranger et ce malgré les importantes pressions dont il a été l’objet.

Cette décision vient d’être annulée par le tribunal administratif de Paris dont le jugement, en date du 16 février 1994, ne s’appuie réellement que sur le considérant suivant : « Considérant qu’il ressort des pièces versées au dossier par le ministre de l’économie, des finances et du budget qu’à la date de la décision attaquée, le casier judiciaire de M. Parretti ne faisait apparaître aucune condamnation pénale définitive à l’encontre de l’intéressé qui avait seulement fait l’objet d’une condamnation, alors frappée d’appel, prononcée par une juridiction italienne pour banqueroute frauduleuse ; que, ni cette condamnation, ni les indications contenues dans un rapport parlementaire ou des articles de presse relatant les conditions de la prise de participation au capital de la société “PATHE Cinéma” n’étaient de nature à établir que le projet d’acquisition de la majorité de ce capital par la société “PATHE France Holding”, comportait pour l’ordre public un trouble ou une menace justifiant l’ajournement prononcé par le ministre. »

Votre Commission estime que ce jugement insuffisamment motivé contribue, au nom d’un juridisme étroit, à semer le doute sur la légitimité d’une décision qui s’imposait au nom de la raison d’Etat. Il ne saurait rester sans appel.

Cet épisode ne semble toutefois pas avoir affecté la confiance que le ministre témoignait au président du Crédit lyonnais de l’époque. Les résultats de la banque continuaient d’ailleurs à être globalement satisfaisants.

Il est paradoxal qu’au moment même où, en juin 1990, M. Parretti est bloqué dans sa tentative de prise de contrôle de Pathé, la même banque aide le même personnage, par des moyens indirects, à prendre le contrôle de MGM.

Aujourd’hui, les hauts fonctionnaires du Trésor, en charge du dossier à cette époque, plaident la bonne foi : ils n’auraient découvert que plus tard que le groupe du Crédit lyonnais avait contribué pour une part importante au financement initial de l’acquisition de la MGM. En réalité, la direction du Trésor semblait très tôt convaincue que le Crédit lyonnais y avait participé plus qu’il ne le prétendait. Ses questions adressées à la banque, afin de répondre à des demandes de parlementaires, dont votre Rapporteur, en témoignent.

A partir de l’affaire MGM, la direction du Trésor semble porter une attention particulière aux activités du Crédit lyonnais et de quelques unes de ses filiales, comme Altus.

La multiplication des petites affaires, comme le rachat de la banque Saga, inquiète le Trésor. La véritable alerte a lieu en octobre 1991 en raison des mauvais résultats semestriels d’Altus résultant notamment d’une importante perte de change.

Le 31 octobre 1991, le directeur du Trésor en informe le ministre dans une longue note manuscrite qui commence ainsi : « Nous avons reçu une information d’une exceptionnelle gravité concernant les pertes potentielles d’Altus Finance ». Pierre Bérégovoy a alors souhaité relativiser ces inquiétudes et n’a pas considéré ces informations comme de nature à remettre en cause son soutien à M. Haberer comme le prouvent des annotations de sa main d’un article du Nouvel Observateur de septembre 1991, annotations évoquées, devant votre Commission, par MM. Denis Samuel-Lajeunesse et Pierre Gisserot.

Toutefois, le directeur du Trésor informe le ministre par note du 26 février 1992 des premiers résultats des investigations de la Commission bancaire qui montrent qu’Altus est « en situation de risque élevé sur de nombreux secteurs d’activité ».

A cette époque, le Trésor n’a manifestement pas encore une claire perception de l’ampleur des engagements à risques du Crédit lyonnais. Même s’il n’est pas sûr que la direction générale du Crédit lyonnais ait été elle-même consciente des engagements de certaines de ses filiales, rien n’empêchait le Trésor d’intervenir plus tôt et d’être plus pressant dans ses demandes d’information à la banque.

Certes, la banque ne cultive pas la transparence, mais ce qui est grave, c’est qu’elle pratique la rétention de l’information à l’égard de son actionnaire, comme le montre une note de Mme Ariane Obolensky au ministre d’alors, M. Michel Sapin, en date du 26 juin 1992 qui affirme ceci : « Il n’est pas normal que le Crédit lyonnais décide des opérations importantes de prises de participations sans en référer a son actionnaire majoritaire, pour ensuite lui réclamer des fonds propres » (...). Mes services éprouvent aussi des difficultés à se faire communiquer des renseignements sur les engagements du Crédit lyonnais dans des secteurs à risques et sur la stratégie qu’il entend mener dans ces domaines (immobilier, cinéma, aéronautique). Les informations ne sont jamais transmises à l’initiative du Lyonnais et demeurent très parcellaires (Olympia and York, MGM et Parretti, Maxwell Group en constituent autant d’exemples). Cette situation n’est pas satisfaisante dans la mesure où ces engagements influent directement sur les résultats du groupe, et donc sur les dividendes versés à l’Etat en fonction de leur niveau de provisionnement. » Mais la note est tardive : curieusement, aucune observation de cette nature n’est faite lorsque Pierre Bérégovoy est ministre de l’Economie et des Finances, alors que le problème de la remontée et de la crédibilité de l’information en provenance du Crédit lyonnais sur des dossiers délicats se posait déjà dans les mêmes termes.

Dans ces conditions, et alors même que la préoccupation du Trésor allait croissant à propos des résultats du premier semestre 1992, on peut s’étonner que M. Michel Sapin, ministre de l’Economie et des Finances, ait déclaré à la Commission qu’après une interrogation plus longue au sujet de M. Haberer que pour les autres présidents de banques ou de sociétés d’assurances publiques, il ait estimé ne pas disposer d’éléments suffisants, clairs et précis pour pouvoir proposer au Premier ministre de ne pas le renouveler au Crédit lyonnais. M. Haberer fut donc renouvelé le 24 juin 1992.

Pourtant, dès cette époque, plusieurs éléments d’information étaient à la disposition du ministre. En effet, au mois de juin 1992, le ministre de tutelle comme le Premier ministre ne pouvaient ignorer :

— l’engagement du Crédit lyonnais dans l’OPA de Parretti sur la MGM ;

— le retournement de conjoncture et les conséquences qu’un tel retournement allait nécessairement avoir sur les engagements de la banque dans l’immobilier, le groupe Pelège notamment, et dans l’industrie ;

— les conséquences des prises de participations dans des entreprises publiques déficitaires comme Usinor-Sacilor ;

— enfin, les dysfonctionnements que les premières enquêtes menées par la Commission bancaire dans certaines filiales du groupe (Altus par exemple) laissaient prévoir.

Dans ces conditions, ce renouvellement n’aurait pas dû être proposé. Une critique analogue peut d’ailleurs être adressée aux pouvoirs publics lorsqu’en novembre 1993, ils décident de déplacer M. Jean-Yves Haberer à la présidence du Crédit national.

Les éléments clairs et précis n’allaient pas tarder à se manifester puisque c’est avec la connaissance des premières indications relatives aux comptes du premier semestre 1992 que le ton change. Il n’est plus douteux que la préoccupation a laissé la place à l’inquiétude. Le 1er septembre 1992, le directeur du Trésor adresse une note intégralement manuscrite de six pages au ministre où il indique que les comptes du premier semestre 1992 seront très mauvais et que l’impact de ces résultats sur l’opinion ne saurait être sous-estimé. Trois semaines plus tard, le ministre adresse une lettre au président du Crédit lyonnais qui annonce la mise en place d’une procédure contraignante de suivi des engagements de la banque. Le même ministre demande ensuite en février 1993 que le suivi des engagements soit renforcé. Ce suivi a été actif jusqu’à l’institution du plan de redressement. La Commission dispose de nombreuses notes qui en témoignent. On ne peut que déplorer cependant que cette procédure n’ait pas été étendue aux engagements immobiliers, alors même que la direction du Trésor dispose de services compétents en la matière.

De cette chronologie ressort-il que l’intervention de la tutelle aurait pu et aurait dû être plus incisive et plus rapide ? Il est apparu à votre Commission que si un gain de temps était possible sur le plan technique — et alors on peut considérer qu’il aurait dû être réalisé — ce gain n’aurait pu être considérable compte tenu du dispositif en place et des principes affichés selon lesquels on juge aux résultats : lorsque les premiers mauvais résultats arrivent, les choses sont déjà mal engagées et les comptes de la banque sont « plombés ».

Cependant, on ne peut s’empêcher de penser que le contexte politique (soutien initial du ministre de l’Economie qui devient Premier ministre, renouvellement par un ministre qui, lui-même, n’est en fonction que depuis peu, et alternance politique qui retarde encore les décisions) n’a guère contribué à accélérer la réaction des pouvoirs publics. Il faut, en outre, tenir compte d’une considération exprimée à votre Commission par le directeur du Trésor de l’époque. Ce dernier soulignait que l’intervention envisagée par les pouvoirs publics était trop grave pour le système bancaire pour que l’on prenne le risque de poser le problème sans lui apporter en même temps la solution, d’où un allongement inéluctable des délais.

L’attitude de l’actionnaire tuteur au cours de la période appelle, sur le fond, deux observations :

— On observe une certaine incohérence de la position de l’Etat en matière de fonds propres puisque la banque est poussée à l’expansion et que l’Etat n’a pas les moyens de lui accorder de vrais fonds propres. La banque ne pouvait pas les trouver dans l’autofinancement du fait de sa faible rentabilité, ni sur le marché financier puisqu’elle était interdite de privatisation du fait du principe du « ni ni ». Elle devait donc se tourner vers son actionnaire qui, aux prises avec de lourds problèmes budgétaires, ne lui proposait que des ersatz de fonds propres eux-mêmes de nature à peser sur la rentabilité de la banque et à réduire sa capacité d’autofinancement d’autant que l’Etat lui demandait des contreparties.

De surcroît, M. Haberer contestait la manière dont la direction du Trésor et la Banque de France voulaient lui imposer un ratio de solvabilité légèrement supérieur à la norme de 8 % au motif que les autres grandes banques françaises étaient proches de 9 %. M. Haberer estimait que sa banque était inutilement pénalisée dans la concurrence internationale et que cette conception de l’application du ratio était un frein à la reprise économique.

— On ressent, enfin, parfois de manière un peu gênante, le grand respect des fonctionnaires du Trésor à l’égard de leur ancien directeur. On est parfois obligé d’y voir le signe d’une connivence qui aura été finalement préjudiciable à son bénéficiaire.

B. — DES INSTANCES DIRIGEANTES

1. — Le président

Quelles que soient les contradictions de l’Etat actionnaire au sein d’une grande banque, on ne peut attribuer à celui-ci la responsabilité principale de la situation du Crédit lyonnais. La Commission exprime l’avis que M. Jean-Yves Haberer, président du Crédit lyonnais de 1988 à 1993 en porte la responsabilité principale. Encore a-t-elle eu le souci de faire le partage, parmi les reproches qui peuvent lui être adressés, entre ceux qui relèvent de choix stratégiques erronés et ceux qui révèlent des modes de gestion défaillants. La Commission a également fait la part de responsabilité qui incombe aux prédécesseurs de M. Haberer.

a. — Les erreurs de choix stratégiques

C’est bien sous la présidence de M. Haberer, même si certaines de ses composantes (prises de participations industrielles et commerciales et extension du réseau international notamment) étaient apparues avant 1988, que cette stratégie a pris une ampleur et un rythme sans commune mesure avec le passé.

La définition de la stratégie d’une entreprise publique relève de son président, surtout dans le système juridique français où le rôle du président, seul mandataire social, est déterminant. M. Haberer, qui exerçait toutes les prérogatives de sa fonction, est donc responsable de la définition et de la conduite d’une stratégie qui a donné de mauvais résultats. Avant de cerner les erreurs liées à la stratégie, on rappellera, dans un souci d’équité que les pouvoirs publics, et notamment le ministre de l’Economie, Pierre Bérégovoy, ont approuvé et encouragé cette stratégie au nom des bienfaits de son impact macro économique. Il est non moins certain que le Crédit lyonnais, sous la présidence de M. Haberer, a adopté une position dynamique, qualifiée par certains témoins de « sympathique », de soutien à l’activité et que son intervention a permis à de nombreuses entreprises, des grands groupes comme des PME, d’affronter la crise sans déposer leur bilan ou licencier.

Le premier reproche que l’on peut lui adresser porte sur la stratégie de la banque-industrie. En elle-même, cette stratégie n’est pas critiquable ; c’est la manière dont elle a été appliquée qui s’est avérée coûteuse. Dans son entretien avec la « Tribune de l’Expansion » (9 janvier 1990) M. Jean-Yves Haberer déclare : « notre concept stratégique est simple : nous voulons être pour un certain nombre de sociétés françaises et à notre échelle ce que les banques allemandes peuvent être pour certaines entreprises industrielles. Ainsi, nous interviendrons de plus en plus dans le capital des entreprises qui le souhaiteront avec l’idée d’être des partenaires actifs ».

Malheureusement, le modèle de la banque d’affaires à l’allemande n’est pas aisément transposable ; il repose sur des décennies de relations confiantes entre les partenaires ; il est donc lié à des conditions de durée et de connaissance du client qui, en l’espèce, n’ont pas été réunies. Au surplus, les banques allemandes ont acquis après les guerres des entreprises à bas prix, alors que le Crédit lyonnais a effectué ses acquisitions en haut de cycle conjoncturel, donc à des prix très élevés, acquisitions dont la rentabilité s’est révélée faible ou négative. On constate surtout une boulimie d’acquisitions et de participations réalisées dans un laps de temps très bref.

En outre, le Crédit lyonnais s’est livré à un dangereux mélange des genres : cumulant la prise de participations et l’octroi de crédits à une même entreprise, il se trouvait piégé en cas de détérioration de la situation. Cette confusion aura coûté cher.

Le second reproche lié à la stratégie du Crédit lyonnais porte sur l’erreur qui l’a conduit à accroître ses fonds propres par des apports de titres d’entreprises industrielles du secteur public. Répondant à la fois à la stratégie des fonds propres et à celle de la banque-industrie, cette initiative a cumulé les inconvénients : soutien artificiel — et extrêmement coûteux — à des entreprises publiques en difficulté (Usinor, Aérospatiale) ; sortie de liquidités pour acquérir les titres de ces entreprises ; détérioration des comptes en raison des pertes qu’elles ont subies par la suite. D’une manière générale, la stratégie adoptée était largement incompatible avec l’impossiblité dans laquelle était le Crédit lyonnais d’obtenir les augmentations de capital en numéraire qui auraient été nécessaires. Il y a donc une incohérence qui a miné l’ensemble de cette stratégie.

b. — Des modes de gestion défaillants

Ces erreurs sont de plusieurs natures. Certaines sont liées au rythme très rapide qui a caractérisé l’expansion du Crédit lyonnais pendant les années 1989-1993 : acquisitions sans audit, mauvaise sélection des risques, éparpillement des secteurs d’activité dans lesquels intervient la banque, en capital ou en crédits, insuffisante spécialisation des équipes mises en place. La poursuite des relations avec des clients douteux, avant de se traduire par de lourdes pertes, a terni l’image de la banque et porté atteinte, au moins temporairement, à une renommée de longue date. Surtout, l’expansion ne s’est pas accompagnée d’une adaptation des procédures de contrôle, d’une définition rigoureuse des limites des délégations par niveau de décision, ni de la mise au point des remontées hiérarchiques nécessaires. M. Haberer n’a enfin ni anticipé ni accompagné le retournement de conjoncture, alors même que la stratégie qu’il avait adoptée exposait particulièrement la banque à ce retournement.

Aucun contrepoids n’a joué pour éviter ou limiter les erreurs, qu’il s’agisse de la désignation de certains collaborateurs, de l’accumulation des choix d’investissement peu sélectifs et de l’inadaptation des structures de contrôle.

En définitive, la politique conduite par M. Jean-Yves Haberer s’est faite au détriment de l’instrument bancaire lui-même, au détriment de l’entreprise qui lui avait été confiée et qui, aujourd’hui, ne peut se redresser qu’avec le concours de la collectivité et doit elle-même procéder à des réductions d’effectifs. M. Haberer a soutenu qu’il aurait dû être maintenu en place dans cette période difficile, les réserves du Crédit lyonnais devant lui permettre, avec l’amélioration de la conjoncture, de faire face à la situation par ses propres moyens. Tous les éléments du plan de redressement contredisent cette analyse.

M. Haberer a dit et répété à la Commission qu’une banque publique a droit à la perte du moment qu’elle remplit son rôle macro économique, en dehors de toute considération de mission de service public. Il n’est pas possible de partager cette conception, sauf à ce que l’actionnaire définisse précisément dans un cahier des charges ou un contrat de plan les missions de service public d’une banque. Par conséquent, votre Rapporteur estime que le postulat de M. Haberer, qu’il a d’ailleurs été seul à adopter parmi ses confrères du secteur public de la banque et de l’assurance, est erroné.

Dans un système dit « d’autonomie de gestion » où l’on juge les présidents d’entreprises publiques aux résultats de leurs entreprises et non à l’impact de leur action sur l’économie nationale, ce raisonnement témoignait d’un certain illogisme de la part des pouvoirs publics qui l’encourageaient et d’une inébranlable assurance de la part du président qui le faisait sien.

M. Haberer aurait dû se préoccuper davantage et plus tôt de l’efficacité du dispositif de documentation et de suivi des engagements, de centralisation des risques, et de provisionnement des engagements compromis.

Les exemples développés précédemment abondent et montrent que la rigueur qui s’imposait n’a pas été observée. « Les structures n’ont pas suivi » nous ont dit de nombreux témoins. Qui devait veiller à ce qu’elles suivent, sinon le président ?

Ces structures ont gardé leur étanchéité, les baronnies toute leur puissance, comme le montre l’exemple de la Direction centrale des affaires internationales. Si l’on exclut l’hypothèse d’une volonté de dissimulation de sa part, le président, sur des dossiers très importants, a appris après coup l’évènement, l’ampleur des dégâts et circonstances de la décision. M. Haberer n’aurait pas dû tolérer si longtemps une telle indépendance de ses directions centrales qui s’est parfois traduite par des désobéissances caractérisées et durables aux ordres donnés.

c. — La part de responsabilité des prédécesseurs

En remontant plus avant dans le temps, faut-il rappeler que M. Jean Deflassieux, président du Crédit lyonnais de 1982 à 1986, avait, comme directeur de l’international, participé aux négociations pour l’acquisition de la banque Slavenburg ? Outre le surcoût de l’achat, on ne peut, certes a posteriori, que s’interroger sur l’opportunité de cette acquisition réalisée sans audit préalable, malgré la réputation détestable de la banque à l’époque.

Sous la présidence de M. Jean-Maxime Lévêque, de juillet 1986 à septembre 1988, les exercices 1986, 1987 et 1988 se sont traduits respectivement par un résulat positif de 1,8 milliard de F., 2,2 milliards de F. et 2,06 milliards de F. (part du groupe). Mais des précisions doivent être apportées sur les clients à haut risque dont les aventures financières se répercutent aujourd’hui sur les comptes.

— Le risque Pelège : Pélège était déjà client du Crédit lyonnais à l’arrivée de M. Lévêque. Plus significative de son attachement au groupe Pélège que l’augmentation des encours durant son mandat est la prise de participation dans la banque du groupe immobilier. Le Crédit lyonnais a en effet pris 20 % du capital d’Avenue Banque et lui a donné sa garantie. Avant le départ de M. Lévêque, à la mi-mars 1988, les engagements du Crédit lyonnais sur Pelège était de 750 millions de F., alors qu’au 30 novembre 1986 les engagements sur la SMCI étaient de 53 millions de F. Le 30 juin 1993, ils s’élevaient à 5,88 milliards de F.

— Le risque Maxwell : le groupe Maxwell est devenu client du Crédit lyonnais sous le mandat de M. Lévêque, à la suite de l’investissement malheureux fait par la banque en Grande-Bretagne dans Alexanders Laing. Le coût final est élevé : au 30 juin 1993, les engagements s’élèvent à 1,03 milliard de F. provisionnés à hauteur de 540 millions de F.

— Le risque Parretti-Fiorini : MM. Parretti et Fiorini, animateurs du conglomérat Comfinance-SASEA, deviennent clients du CLBN sous le mandat de M. Lévêque. Ce dernier avait été informé du projet de reprise de Pathé et avait demandé à M. Wolkenstein « des informations très précises sur les activités de M. Parretti » (Comité exécutif du 19 juillet 1988). Cette enquête n’a, semble-t-il, pas été faite. Au 2 septembre 1988, au moment de son départ, les engagements auprès du conglomérat Sasea-Comfinance sont de 300 millions de dollars. La première décision prise par M. Haberer est de donner son feu vert au financement de l’opération Pathé. Après deux ans de présidence de M. Haberer et au jour de la clôture de l’OPA sur la MGM, c’est-à-dire au 30 octobre 1990, ils dépassent les 2 milliards de dollars.

C’est aussi sous la présidence de M. Jean-Maxime Lévêque qu’est intervenue la nomination contestable de M. Georges Vigon, alors Président du directoire du CLBN, à la Direction Europe de la DCAI. M. Bernard Thiolon, directeur général du Crédit lyonnais à cette époque, a reconnu que cette nomination avait constitué une entorse aux règles de sécurité. La suite des événements l’a montré.

2. — L’état-major et les collaborateurs

La responsabilité toute particulière qui incombe au président, corollaire de l’étendue de ses pouvoirs dans le droit français des sociétés, n’exclut pas celle de ses collaborateurs.

Des dirigeants et des collaborateurs du Crédit lyonnais ont failli à leurs obligations et à leurs devoirs : incompétence, imprudence, légèreté. Quant au soupçon de corruption, il ne peut être écarté. Votre Commission en a pris conscience au cours de ses investigations.

L’état-major du groupe, essentiellement les directeurs généraux et directeurs généraux adjoints, des directeurs centraux, membres du comité exécutif, des directeurs de filiales (Altus, SDBO) ne sont pas non plus exempts de tout reproche et portent la responsabilité collective de certaines situations. Votre Rapporteur aurait apprécié de voir certains d’entre eux assumer davantage leurs responsabilités sans chercher systématiquement à les reporter sur le président ou leurs collègues.

Quant à la Direction centrale des affaires internationales (DCAI), elle mérite une analyse approfondie en raison de l’ampleur des pertes dont elle est directement ou indirectement à l’origine.

Comptable de 30 % environ du bilan total du Crédit lyonnais, la DCAI et tout particulièrement son directeur de 1985 à 1992, M. Alexis Wolkenstein, ont une part déterminante de responsabilité à assumer dans la défaillance du CLBN pour les dossiers du cinéma et l’affaire Parretti-Fiorini. Cette part ne saurait être exclusivement attribuée à M. Georges Vigon, l’ancien directeur du secteur Europe, parti à la retraite en 1991 après la découverte de la participation du Crédit lyonnais à l’OPA sur la MGM.

La DCAI, outre des lacunes dans ses fonctions de contrôle de gestion, ne bénéficiait pas d’une organisation satisfaisante permettant notamment une remontée fiable des informations nécessaires à la consolidation des engagements les plus importants. Une confiance trop grande était accordée aux commissaires aux comptes des filiales étrangères comme le cabinet KPMG pour le CLBN, par ailleurs auditeur de Sasea, dont l’un des présidents était aussi dirigeant de filiales de KPMG en Suisse. Il a fallu attendre 1992 pour que soit créé un département d’audit interne à la DCAI. Lors de la période cruciale de 1988-1990 la direction des engagements de la DCAI, dirigée par M. Gouzerh était informée mensuellement du détail des engagements du CLBN. Compte-rendu était fait « verticalement » dans la hiérarchie à M. Serge Boutissou, adjoint de M. Wolkenstein, ainsi qu’à M. Georges Vigon, directeur pour l’Europe. Nonobstant les liens directs de « tutelle » de M. Vigon sur le CLBN, il existait donc une seconde remontée hiérarchique de l’information au moins à destination de M. Wolkenstein. Certes, la DCAI ne recevait que des « positions » de la part de la direction des engagements du CLBN, mais ces informations permettaient de mesurer sinon la « qualité » de l’engagement sur le conglomérat Fiorini-Parretti, du moins son niveau et son évolution.

Force est de constater que les commissaires aux comptes du CLBN (cabinet KPMG) n’ont jamais demandé de provisions pour le risque Parretti-Fiorini avant l’OPA sur la MGM comme en témoigne cette annotation surprenante datant de 1989 : « le manque de rigueur dans la tenue des garanties par le CLBN ne compromet pas la qualité du crédit... »

A propos du dossier Fiorini-Parretti, votre Rapporteur constate une surprenante légèreté du CLBN sur un dossier aussi complexe et important, une quasi-absence de réaction aux indices d’alerte puis aux interventions des différents organes de contrôle, un délai assez long entre la perception des difficultés et la mise en œuvre de mesures concrètes.

Différents indices d’alerte concernant Parretti et Fiorini apparaissent en effet dès 1987 :

— une fiche de renseignements commerciaux du 22 juillet 1987 de la Direction des études financières du Crédit lyonnais, précise et très négative, énumérait notamment les condamnations et les séjours en prison de M. Parretti ;

— des comptes rendus d’anomalies sur la gestion des crédits aux sociétés du conglomérat Parretti-Fiorini adressés à la DCAI engagements dès l’été 1989 ;

— des notes de la DCAI du 13 juin et 31 juillet 1990 annonçant la nature des positions et des problèmes posés par le groupe ;

— des réactions individuelles de dirigeants ou de collaborateurs néerlandais du CLBN.

On peut y ajouter l’inquiétude manifestée à l’Assemblée nationale par le groupe UDF qui demande en juin 1990 une commission d’enquête parlementaire sur les conditions de rachat de Pathé par Parretti (résolution n° 1438 du 12 juin 1990), initiative précédée par des questions écrites de votre Rapporteur.

3. — La pratique d’une déontologie parfois émoussée

Dans plusieurs dossiers lourds de conséquences, il existe de grandes incertitudes sur le respect des règles déontologiques applicables à l’activité bancaire.

Faut-il y voir de simples — quoique coûteuses — défaillances individuelles ? ’Ou les conséquences de choix stratégiques audacieux et de cette croissance trop rapide spécifique au Crédit lyonnais? Ou encore le reflet d’une financiarisation à outrance de la vie économique ? Ou enfin les scories d’une époque marquée par la glorification des réussites financières météoriques, le recul des interdits et du sens des responsabilités et la montée en puissance de la corruption ? Il est délicat dans ce domaine de cerner de près des faits que les banques répugnent à évoquer et pour lesquels elles ont une tendance naturelle à rejeter la responsabilité sur des échelons subalternes.

La Commission a pris acte, au cours des auditions auxquelles elle a procédé, qu’aucun cas de corruption n’avait été découvert et sanctionné par le Crédit lyonnais.

Mais une Commission d’enquête parlementaire n’étant pas un tribunal, elle n’a pas vocation à se livrer à des investigations que seule la justice peut mener. Il lui aurait été bien difficile de faire la part entre la faute individuelle et l’erreur collective, entre le répréhensible et le toléré, entre l’intentionnel et le subi, entre la faveur et l’incitation financière, entre les intérêts d’une banque et les intérêts privés de certains collaborateurs dont le statut est ambigu.

La Commission se bornera donc à formuler quelques observations concernant le Crédit lyonnais de ses filiales dans un monde financier décidément en quête de repères déontologiques.

• D’une façon générale, le Crédit lyonnais et ses filiales ont été en France et à l’étranger des « fers de lance » de la « financiarisation » de la vie économique. On ne saurait les critiquer d’avoir ouvert des salles de marché ou fait preuve d’imagination dans les montages financiers : c’est le coeur même de la compétition interbancaire. Mais en même temps les formidables perspectives de profits rapides et discrets qu’offrent les nouveaux instruments monétaires et financiers favorisent un risque de confusion entre des intérêts personnels et ceux de la banque. On souhaiterait être sûr que les grands établissements financiers et surtout leurs filiales échappent bien tous à cette tendance. Mais il est évident que dans les établissements à « fonds de commerce » hyperspéculatifs tels qu’Altus ou la SDBO ou spécialisés dans la valorisation de participations tels que Clinvest, les confusions de ce type peuvent être nombreuses.

• Il semble à votre Rapporteur, au-delà même du débat privatisation-nationalisation, que les responsables d’une banque publique, propriété de la Nation, ont à faire preuve d’exemplarité déontologique et à mobiliser leur personnel autour du respect scrupuleux des règles professionnelles, de la lutte contre la corruption et le blanchiment de l’argent sale. Car l’altération de ces principes dans une banque publique rejaillit sur la réputation de l’Etat et, plus encore que pour les banques privées, sur l’image d’une place financière comme Paris. Si ces préoccupations sont présentes au Crédit lyonnais, elles ont pu paraître s’estomper derrière les priorités de croissance financière.

• Dans l’organisation du Crédit lyonnais, les filiales françaises Altus et SDBO (Clinvest à un moindre degré) et CLBN en Hollande avaient une autonomie apparente justifiée par leur spécialisation ou des circonstances locales, mais elles se voyaient aussi implicitement reconnaître par la maison mère une sorte de statut d’« espace de tolérance » conçu pour maximiser dans la discrétion des profits avec des clientèles à haut risque. Quand le collaborateur d’une filiale sait que son métier consiste, selon une formule célèbre, à faire ce que le Crédit lyonnais « ne sait, ne veut ou ne peut pas faire », il est peut-être plus exposé que d’autres au risque de prendre des libertés avec les règles déontologiques.

• Certaines déconvenues d’une ampleur spécifique au Crédit lyonnais trouvent leur origine dans la promiscuité étonnante de la banque avec des opérateurs de moralité douteuse, connus commes tels sur les places financières et dans le monde judiciaire avant même leur entrée en relation avec le Crédit lyonnais. Certains méritent à n’en pas douter, de l’aveu même des responsables de la banque, le qualificatif d’escroc. Ce manque de curiosité sur les antécédents y compris judiciaires de quelques partenaires et clients étonne beaucoup de la part de l’état-major de la banque. Serait-il un corollaire de la stratégie de conquête accélérée de parts de marché en France et à l’étranger, décidée par M. Jean-Yves Haberer et approuvée par les pouvoirs publics? Celle-ci supposait en effet le recrutement de nouveaux clients nombreux et prometteurs, et presque fatalement le relâchement du processus de sélection. L’état-major de la banque, tout à sa volonté de découvrir de nouveaux talents — ce dont on ne saurait le blâmer, bien au contraire — , en était venu à oublier que le slogan « le pouvoir de dire oui » et les guichets largement ouverts, séduisaient aussi des aventuriers.

• Le Crédit lyonnais a aussi eu recours en plusieurs occasions à des personnages contestés dès lors qu’ils se disaient prêts à reprendre des clients en difficulté. Le cas de Parretti considéré comme une aubaine pour la reprise du groupe cinématographique Cannon n’est pas unique en son genre. Chez Altus, la pratique est fréquente ; la SDBO n’y échappe pas non plus. En compensation du service rendu, ces « sauveurs » exigent alors des participations à des opérations rentables ou, pour le moins, des honoraires de gestion anormalement élevés tout en refusant de prendre le moindre risque.

• Il n’y a plus dès lors à s’étonner des relations de connivence entre certains clients et leur interlocuteur habituel à la banque. Le dossier Parretti-Fiorini en fournit quelques exemples, le plus significatif étant l’entrée en 1988 de l’ancien directeur Europe du Crédit lyonnais au service du groupe Parretti dès son départ en retraite, alors qu’il suivait ce dossier depuis plusieurs mois. Dans le dossier Maxwell, le collaborateur du Crédit lyonnais qui fit l’étude préconisant l’ouverture de relations bancaires avec le groupe anglais et fut ensuite en charge du dossier devint quelques mois plus tard directeur financier du groupe Maxwell. L’influence de ces liens sur l’octroi de crédits est difficile à mesurer. Mais elle n’a pu être totalement neutre. Cependant, les connivences de loin les plus « opérationnelles » ont joué lorsqu’il s’agissait de la part de la banque ou de ses filiales, au niveau des états-majors ou des directeurs généraux, et pour un nombre limité de clients, d’évaluer des actifs ou des entreprises servant de garanties à des prêts ou dans lesquelles elles avaient l’intention de prendre des participations.

• Autre paradoxe sur lequel s’est penchée la Commission d’enquête : l’ouverture d’une sorte de droit à un « reclassement financier décent » organisé par le Crédit lyonnais au profit de certains de ceux qui sont pourtant à l’origine de graves déboires. De celui-ci qui peut se mettre à son compte grâce à des financements du Crédit lyonnais à ceux-là partis avec des viatiques de quelques dizaines de millions de F. pour les « désintéresser » d’entreprises qu’ils avaient menées au désastre, en passant par quelques promoteurs immobiliers débiteurs de centaines de millions de F. auprès de la banque, mais qui se voient quand même confier de confortables mandats de gestion, le Crédit lyonnais a quelques bienveillances étonnantes... Sans parler même d’anciens dirigeants de la banque, devenus après leur retraite consultants de leur ancien employeur.

• Dans le produit net bancaire de tous les établissements financiers, honoraires et commissions représentent une part croissante par rapport à l’activité commerciale classique. L’intermédiation peut rapporter beaucoup mais nécessite des équipes très performantes, sensibles aux incitations financières très personnalisées notamment sous forme de participations aux résultats financiers de projets où d’opérations. On pouvait se douter que l’enchevêtrement des intérêts de la banque avec les intérêts particuliers de ses collaborateurs était l’écueil majeur à éviter. Un grand établissement financier comme le Crédit lyonnais n’aurait pas été plus exposé que d’autres à ces risques de dérapages s’il n’avait eu dans son giron des filiales comme la SDBO, Clinvest et Altus.

• Votre Rapporteur n’a pas considéré qu’il était dans sa mission de chercher à vérifier si, par fonds d’investissements personnels interposés financés par la banque, des collaborateurs de celle-ci pouvaient participer à des tours de table dont ils sont professionnellement les maîtres d’œuvre ou si, encore dans le secteur immobilier, des salariés de filiales avaient des parts dans des sociétés civiles immobilières ou des sociétés en participation supports d’opérations dont ils avaient assuré le montage pour le compte de leur employeur. Ces systèmes ne sont pas illégaux. Ils peuvent être présentés comme des formes d’intéressement, des « incentives » ainsi que le disent joliment les intéressés ou comme la preuve que la banque croit à un projet puisqu’elle incite ses collaborateurs à y investir. Mais ils peuvent aussi fausser le jeu et être désavantageux pour la banque : car s’ils prévoient un partage des bénéfices entre le salarié et sa banque, celle-ci assure généralement la totalité du risque en cas de perte. Ils offrent une perspective d’enrichissement personnel non négligeable, mais réservée à quelques privilégiés, sinon à des initiés.

Pendant la période d’euphorie, les montages immobiliers ont permis la distribution de centaines de millions de F. de commissions et d’honoraires divers, n’obéissant, pour la plus grande part, à aucun critère rationnel de tarification. Seul l’examen policier ou judiciaire des dossiers permettrait — et encore — de savoir à quels services précis, à quelles prestations correspondaient ces honoraires. Mais la distribution incontrôlée de commissions d’apport d’affaires (qui se sont révélées souvent pourries, la Cour des comptes en a donné de nombreux exemples), d’honoraires dits de gestion, d’avances diverses et variées sur honoraires de gestion, sur frais de commercialisaton ou sur marges ne comporte-t-elle pas de formidables risques de dérapages ?

• Quant à la politique de communication du Crédit lyonnais, qu’il s’agisse de celle de l’institution elle-même ou de celle, coûteuse, de son Président, elle n’a pas semblé adaptée à la situation de crise qui existe dans la banque depuis 1992.

4. — Le conseil d’administration.

A l’instar de celui de l’ensemble des entreprises du secteur public concurrentiel, le conseil d’administration du Crédit lyonnais est une étrange chimère résultant de la combinaison des dispositions de la loi sur les sociétés de 1966 et de la loi de démocratisation du secteur public de 1983. Les statuts du Crédit lyonnais qui font application de ces dispositions législatives sont, sur ce point, d’une simplicité trompeuse: « le Crédit lyonnais est administré par un conseil d’administration » (article 9).

L’examen systématique des procès-verbaux des réunions de cet organe depuis 1987 incite à nuancer quelque peu la portée de cette disposition.

A l’exception des délibérations relatives aux opérations qui ont un impact sur le capital du Crédit lyonnais ou de mesures d’ordre interne (plan de formation) qui se concluent par un vote, le conseil d’administration est un organe consultatif qui effectue une forme de contrôle a posteriori.

Il se réunit en moyenne une matinée par mois. La direction générale arrête l’ordre du jour des séances. Une séance par trimestre est réservée à l’examen des comptes, suivi d’un échange sous la forme de questions-réponses. Les autres séances sont consacrées à des exposés sectoriels, à la politique salariale ou de formation, à la présentation des activités de certaines filiales ou de certaines directions centrales ou régionales. Un résumé des opérations les plus significatives est fait à chaque séance. Toutefois, le conseil d’administration a délégué à un comité consultatif, composé du tiers de ses membres, l’examen détaillé et systématique des engagements les plus importants du Crédit lyonnais maison mère.

Ce comité consultatif a fait l’objet d’une réforme en 1989. Le seuil des engagements présentés a été porté à 150 millions de F., sa périodicité est passée d’hebdomadaire à mensuelle et les administrateurs suppléants n’y ont plus été admis. Cette réforme, destinée à pallier l’absentéisme chronique des administrateurs non salariés, ne semble pas avoir particulièrement redynamisé ce comité qui, au vu des comptes rendus dé ses activités présentés aux conseils d’administration, n’a jamais émis la moindre observation sur les engagements qui lui ont été présentés. Il est vrai que ces présentations ne comprenaient pas les engagements des filiales du Crédit lyonnais qui étaient examinés par leurs propres conseils d’administration.

L’impression d’ensemble qui se dégage de l’examen systématique des travaux du conseil d’administration du Crédit lyonnais, est qu’il a globalement fait preuve de passivité et d’une étrange absence de curiosité. Cette impression a été confirmée par le témoignage de certains de ses membres devant la Commission. L’un d’entre eux l’a qualifié de « lieu d’enregistrement de décisions prises ailleurs ».

Le fait est que le conseil a soutenu jusqu’au bout l’action et la personne de son président. Votre Rapporteur n’a pas trouvé trace d’une contestation sérieuse de la stratégie mise en place et appliquée par la direction générale du groupe. Aucun administrateur n’a démissionné de son mandat pendant cette période.

Un premier élément d’explication de cette attitude résulte du statut atypique de ce conseil. Dans le droit des sociétés, l’équilibre des pouvoirs est organisé au sein du conseil d’administration selon deux principes simples : le président détient l’essentiel des pouvoirs, mais il est désigné par le conseil devant lequel il est responsable. Dans le cas présent, seul le premier principe subsiste. Le président exerce la réalité du pouvoir mais, et c’est tout à fait essentiel, il est nommé et révoqué par décret.

L’un des administrateurs entendus par la Commission a même indiqué que cette procédure de nomination du président lui conférait une légitimité incontestable et, par extension, une essence supérieure à celle des autres administrateurs. Votre Rapporteur en prend acte mais constate tout de même que la proximité sociologique ou amicale de nombreux administrateurs avec M. Haberer aurait pu les autoriser à s’affranchir de ce respect figé devant l’origine de son pouvoir afin de lui faire part de leurs éventuelles observations.

Il faut toutefois approfondir l’analyse en raison de la diversité des catégories d’administrateurs qui caractérise la composition d’un conseil d’entreprise publique. Selon les dispositions de la loi de démocratisation du secteur public de 1983, le conseil du Crédit lyonnais est composé de dix-huit personnes, dont six représentants de l’Etat, six personnalités qualifiées, dont le président, et six représentants élus par le personnel.

Les administrateurs relevant de la catégorie des personnalités qualifiées ont brillé par leur excessive timidité tout au long de la période. Souvent absents, leur participation aux délibérations du conseil est assez décevante. Sans exiger d’eux une remise en cause de l’autorité du président qui n’entrait pas dans leur compétence puisqu’elle relevait de l’Etat actionnaire, on était en droit d’attendre davantage de leur présence. Choisis parmi les industriels les plus prestigieux du pays, ils ont rarement mis leur expérience au service du Crédit lyonnais.

Ils auraient pu, par exemple, dispenser des conseils ou des éclairages sur la stratégie de l’entreprise ou sur certains de ses engagements comme l’aurait fait l’« Advisory Council » d’un groupe multinational.

Le fait que certains d’entre eux étaient ou soient devenus clients de la banque au cours de leur mandat est sujet de débat. On peut évidemment mettre en doute leur indépendance et évoquer un risque de conflit d’intérêt. Cependant, le choix d’administrateurs parmi ses clients n’est-il pas aussi un moyen d’impliquer davantage les industriels dans la gestion de l’entreprise et, en quelque sorte, de les forcer à prodiguer leurs conseils et remarques en connaissance de cause, du fait de leur étroite relation d’affaires avec la banque, tout en les fidélisant ? C’est manifestement la conception du président Peyrelevade qui vient de faire entrer à son conseil trois de ses principaux clients.

S’agissant des représentants du personnel, ils ont incontestablement été les administrateurs les plus curieux et les plus impliqués par leur mandat. Ils ont posé plus rapidement que les autres des questions précises et parfois embarassantes sans pour autant contester les réponses fournies. En avaient-ils les moyens ? Il est vrai que la relation hiérarchique n’incite pas à une impertinence trop marquée. Quasiment seuls, ils ont assisté assidûment aux séances du comité consultatif relatif aux engagements de la banque. Ils étaient aussi les plus disponibles puisque bénéficiaires d’un mi- temps pour l’exercice de leur mandat. Le maintien d’un mi-temps d’activité dans la banque leur permettait par ailleurs d’entretenir un réseau interne d’informations, possibilité dont ne disposaient pas les autres administrateurs. Certains d’entre eux se sont abstenus ou ont voté contre les propositions présentées par la direction générale lors d’opérations en capital ou de croissance externe. Mais il est bien naturel que leur intérêt se soit davantage porté sur la gestion interne de l’entreprise (formation, politique salariale, emploi) que sur certains montages financiers sophistiqués approuvés par la tutelle. Ils se sont toutefois souvent interrogés notamment lorsqu’il était question d’Altus, une filiale qui, manifestement, ne leur paraissait pas correspondre à la culture d’entreprise du Crédit lyonnais. A plusieurs reprises, ils ont exprimé avec lucidité le sentiment d’être exclus des débats relatifs aux prises de décision les plus importantes qui se tenaient préalablement aux réunions du conseil.

Pour ce qui est des administrateurs représentant l’Etat actionnaire, les choses étaient plus compliquées. L’un d’entre eux appartenant à la direction du Trésor exerçait parallèlement la tutelle du ministère de l’Economie. Bizarrement, jusqu’en juillet 1992, ce n’était d’ailleurs pas le chef du service des affaires monétaires et financières qui représentait le Trésor au conseil du Crédit lyonnais mais le chef du service des affaires internationales. Cette situation qui s’explique uniquement par le grand nombre de conseils d’administration dans lesquels doivent siéger les représentants du Trésor et par la volonté des présidents d’entreprises publiques de n’avoir affaire qu’à des chefs de service, n’a pas paru particulièrement satisfaisante. Le chef du service des affaires internationales a d’ailleurs reconnu devant la Commission n’avoir été qu’un simple porte-parole du service des affaires monétaires et financières qui lui donnait régulièrement ses instructions.

Quant aux autres administrateurs représentant l’Etat, essentiellement des chefs de service du ministère de l’Economie, il va de soi que leur mission n’était pas de contester l’action d’un président qui avait la confiance de l’Etat et du gouvernement avec lequel il avait un dialogue direct, mais de l’appuyer par leur vote et leurs prises de positions. Le contraire eut à vrai dire été étonnant. Ils avaient en revanche un devoir d’alerte de leur hiérarchie.

Si l’on en juge par leurs interventions, leur apport était assez limité et essentiellement orienté par leurs activités professionnelles respectives. Ils ont par exemple régulièrement attiré l’attention du président sur l’évolution des frais généraux de la banque.

En conclusion, on peut raisonnablement estimer que le conseil d’administration, avec des nuances selon les catégories d’administrateurs, est collectivement responsable de ne pas avoir été assez curieux dans ses questions ni assez critique dans l’analyse des faits qui lui ont été exposés.

Il est vraisemblable que le même constat pourrait être fait pour de nombreux conseils d’administration d’entreprises publiques. Ce sont moins les hommes qui sont en cause que les structures.

A la décharge du conseil, on peut en outre reconnaître que l’information qui lui était présentée n’était pas toujours complète et objective. M. Gisserot, chef du service de l’Inspection générale des Finances, a ainsi, devant votre Commission, évoqué des mensonges par omission voire par action, s’agissant de la présentation des engagements immobiliers en janvier 1993. Les représentants du personnel se sont régulièrement plaints de ne pas disposer d’une information suffisante à l’exercice de leur mission. On a par exemple refusé de leur fournir la revue de presse quotidienne sur l’entreprise, de même qu’on leur interdisait de se déplacer pour rencontrer qui que ce soit dans les filiales du groupe. Enfin, l’un d’entre eux s’est étonné devant la Commission de l’absence de communication au conseil de la lettre de la Commission bancaire, relative à l’insuffisance des provisions de la banque, adressée au président Haberer en 1993.

C. — DES CONTROLES EXTERNES NECESSAIREMENT TARDIFS

Trois contrôleurs externes effectuent des contrôles au Crédit lyonnais : les commissaires aux comptes, la Commission bancaire et la Cour des Comptes. Leurs contrôles sont systématiques, périodiques ou résultent de circonstances particulières : évènement dans la banque, demande du ministre de l’Economie...

1. — Les commissaires aux comptes

La loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales fixe leur mission.

Ils certifient que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la société à la fin de l’exercice. Lorsqu’une société établit des comptes consolidés, leur certification est délivrée après examen des travaux des commissaires aux comptes compris dans la consolidation.

L’article 228 de la loi de 1966 précise : « ils ont pour mission permanente, à l’exclusion de toute immixtion dans la gestion, de vérifier les valeurs et les documents comptables de la société et de contrôler la conformité de sa comptabilité aux règles en vigueur. »

A toute époque de l’année, ils peuvent, ensemble ou séparément, opérer toutes vérifications et tous contrôles qu’ils jugent nécessaires et peuvent se faire communiquer sur place toutes les pièces qu’ils estiment utiles à l’exercice de leur mission.

Ils portent à la connaissance du conseil d’administration ou du directoire et du conseil de surveillance, selon le cas :

— les contrôles et vérifications auxquels ils ont procédé ;

— les postes du bilan et les documents comptables qui leur paraissent devoir être corrigés ;

— les irrégularités et les inexactitudes qu’ils auraient découvertes;

— les conclusions auxquelles conduisent leurs observations et rectifications.

Ils sont astreints au secret professionnel mais l’article 233 de la même loi dispose qu’« ils révèlent au procureur de la République les faits délictueux dont ils ont eu connaissance, sans que leur responsabilité puisse être engagée par cette révélation. »

Enfin, ils sont responsables, tant à l’égard de la société que des tiers, des conséquences dommageables des fautes et négligences qu’ils commettent dans l’exercice de leurs fonctions.

Au cours de l’audition des commissaires aux comptes de l’un des deux cabinets intervenant au Crédit lyonnais, M. Albert Pavie a précisé qu’il ne contrôlait que le Crédit lyonnais maison mère et certaines de ses filiales qui ne posaient pas de problèmes. Les deux cabinets de commissaires aux comptes disposent de 11.000 heures par an pour effectuer leurs contrôles au Crédit lyonnais lui-même.Un autre commissaire aux comptes a estimé qu’en comparaison des moyens mis sur la BNP, le Groupe CIC ou Suez, les leurs étaient raisonnables.

Ne se sont-ils pas satisfaits un peu vite du nombre insuffisant d’heures de contrôle rétribuées en considération du prestige de la banque ? N’est-ce pas un signe de notoriété dont on peut tirer parti auprès d’autres clients ?

Un autre commissaire aux comptes a assuré que son cabinet avait exprimé par écrit que la manière de provisionner du Crédit lyonnais en 1992 était minimaliste : « le problème, bien sûr, est de savoir jusqu’á quel point on peut accepter avant de refuser de certifier les états financiers. »

Ce sont d’autres commissaires aux comptes qui ont en charge la SDBO, Altus, International Bankers et la Banque Colbert pour lesquelles, a noté M. Albert Pavie, « les informations que nous avions recueillies à la clôture de l’exercice (1992) de nos confrères ne soulevaient aucun problème (...). Si le confrère qui intervient les certifie sans réserve, par exemple, nous les prenons pour valables. C’est la règle posée par la compagnie. »

On peut s’interroger sur la fiabilité de la certification des comptes de la SDBO et d’Altus qui se sont révélés largement sous provisionnés.

Les comptes 1992 du Crédit lyonnais maison mère ont été cependant certifiés avec une observation faisant l’objet d’un renvoi dans le rapport annuel. M. Albert Pavie a tenu à ajouter : « nous nous sommes limités à cette mention dans le rapport — c’est un vaste débat — en raison du fait qu’il nous a été déclaré et confirmé au conseil d’administration que les comptes avaient été arrêtés en accord avec la direction du Trésor, avec la Banque de France (...) et avec la Commission bancaire (...). A partir du moment où ces plus hautes autorités françaises avaient pris cette position, nous avons considéré que nous pouvions certifier simplement avec cette mention (...) » Cette mention confirme qu’il y avait donc une sorte d’accord de place pour le provisionnement de l’immobilier de 1992 et 1993.

Quoique ainsi encadrée au cours des années difficiles, l’action des commissaires aux comptes aurait néanmoins permis de susciter une amélioration de l’organisation de la banque. L’un des commissaire aux comptes a en effet déclaré: « l’année dernière, le Lyonnais a fait des efforts pour mettre en place des dispositifs visant à centraliser. A mon avis, par ce que nous avons fait et dans le contexte de l’époque (...), nous avons contribué très largement au recensement des problèmes fin 1992. »

Face à une direction qui leur semblait perdre la maîtrise de la gestion de certaines filiales et de problèmes particuliers, peu nombreux, mais lourds de conséquences, les contrôleurs externes — au premier rang desquels figurent les commissaires au comptes qui sont des permanents — font tous état du devoir accompli. Chacun, à divers titres, aurait tiré la sonnette d’alarme. Dès lors, aucune responsabilité ne pouvait être imputée à l’un, si ce n’est à tous, comme l’évoque M. Albert Pavie, dans sa relation des conditions de la certification des comptes 1993, sous la nouvelle présidence de M.Jean Peyrelevade: « nous n’avions pas du tout l’intention de certifier les comptes de 1993 (...). Or depuis une dizaine de jours, nous sommes en réunion avec la Commission bancaire et l’on nous dit que nous ne pouvons pas faire un bilan avec un rapport non certifié (...). Ce que nous avons fait cette année, nous l’avons fait en gens responsables, en gens conscients de l’intérêt du Crédit lyonnais et de la place de Paris, mais avec les critiques que la presse a formulées contre nous, nous n’aurions pas dû. C’est la raison pour laquelle nous ne voulions pas le faire. »

2. — La Commission bancaire

Votre Rapporteur regrette que le contrôle de la Commission bancaire ne l’ait pas conduite à apprécier l’opportunité des décisions de gestion des opérations vérifiées lorsque des faits délictueux ont été détectés au Crédit lyonnais.

a. — Des contrôles a posteriori

Les contrôleurs externes se sont limités à effectuer un contrôle a posteriori, sur les arrêtés de comptes semestriels. Pour sa part, M. Jean-Louis Butsch, Secrétaire général de la Commission bancaire, a précisé: « la Commission bancaire n’a pas à intervenir dans l’arrêté des résultats. C’est légalement du ressort du conseil d’administration, sur la proposition du président, qui est le mandataire social, sous le contrôle des commissaires aux comptes, conformément à la loi de 1966 sur les sociétés. La Commission bancaire quant à elle, examine, a posteriori, que les résultats retracent bien la réalité de l’activité. Elle a même le droit, prévu par la loi bancaire, d’exiger au besoin des publications rectificatives des résultats qui ont été communiqués au public, ce dont, d’ailleurs, nous avons menacé un peu plus tard Altus, au printemps 1992, sur ses résultats de 1991. »

Les documents reçus par votre Commission attestent de cette menace et d’exigences de la Commission bancaire. Mais dans le cas de la demande de provisions à la SDBO en 1992 sur le groupe Bernard Tapie, ces exigences restent plus formelles que réelles.

Comme en plus des contrôles permanents sur pièces, la Commission bancaire organise des contrôles particuliers sur place, elle devrait être à même de détecter les anomalies de gestion et d’organisation.

b. — Des contrôles tardifs

M. Jean-Louis Butsch, a expliqué à votre Commission qu’en dépit des résultats positifs très élevés du Crédit lyonnais jusqu’en 1991, sa vigilance avait été alertée en 1991 par la progression de 35 % des crédits consolidés et surtout par la croissance de près de 200 % en deux ans du portefeuille de titres de participations. Comme les engagements sur quelques gros dossiers difficiles continuaient de monter, et que la visibilité sur l’évolution du groupe ne lui paraissait pas satisfaisante, la Commission bancaire décida enfin « au début de l’automne 1991, de mettre le groupe du Crédit lyonnais sous une surveillance attentive. »

M. Jean-Louis Butsch a rappelé le déroulement du programme de ces contrôles : « Altus, pour commencer, qui faisait déjà parler d’elle de novembre 1991 à avril 1993 ; International Bankers, de mars à novembre 1992 ; SDBO, de mars à septembre 1992, puis de nouveau, une visite rapide en mars 1993 ; Clinvest de mai à septembre 1992. Les investigations ont donné lieu à des lettres dites “de suite” (...). Pendant ces enquêtes nous avons continué à suivre de près la situation d’ensemble du groupe.

Dès lors que l’exercice 1991 a fait apparaître un résultat part du groupe encore très favorable de 3.162 millions de F. malgré 9,6 milliards de F. de provisions, la Commission bancaire ne fait pas preuve de la meilleure diligence pour vérifier le Crédit lyonnais maison mère.

Ensuite lorsque les vérifications commencent, les résulats tardent à venir. M. Jean-Louis Butsch a indiqué : « l’enquête sur place au Crédit lyonnais lui-même s’est déroulée d’octobre 1992 à avril 1993. Compte tenu de la date d’achèrement de cette enquête, en avril 1993, nous n’avons pu tenir compte que d’éléments encore partiels pour faire connaître notre appréciation au président du Crédit lyonnais en ce qui concerne l’arrêté des comptes de 1992. Nous avons cependant obtenu pour l’exercice 1992 une dotation nette de provisions de 14,4 milliards de F. représentant à nouveau une progression de 50 % des provisions par rapport à l’année précédente. Cet enregistrement a, pour la première fois, conduit le Crédit lyonnais à avouer une perte consolidée part du groupe de 1,9 milliard de F. Je laisse le soin à la Commission de deviner la vivacité de nos discussions avec le Crédit lyonnais pour l’obliger à cet aveu (...). A ce niveau, le Crédit lyonnais ne pouvait pas faire face seul. Il a donc été décidé — décision difficile, lourde de conséquences — de faire jouer les dispositions de l’article 52 de la loi bancaire, qui prévoit que le Gouverneur de la Banque de France peut inviter les actionnaires d’un établissement de crédit à apporter à celui-ci le soutien qui apparaîtrait nécessaire. Nous avons d’abord informé l’actionnaire au cours d’une réunion avec la direction du Trésor, au début du mois de juin 1993 (...). Notre réunion (...) avait pour objet de préparer le ministre à recevoir la lettre que le Gouverneur lui a envoyée le 4 août 1993. »

Ainsi les procédures de contrôle externe sont excessivement longues. L’importance des enjeux exige certes des investigations fouillées, mais les anomalies arrivent parfois plus vite à la connaissance du grand public qu’aux contrôleurs eux-mêmes. Dans une affaire exceptionnelle, de l’ampleur de celle du Crédit lyonnais, le public s’interroge sur les contrôles : jouent-ils bien leur rôle en permanence ?

c. — Des conséquences décisives

La Commission bancaire n’a pas davantage su prévenir le Crédit lyonnais que d’autres banques d’engagements inconsidérés dans le secteur spéculatif de l’immobilier de bureau, alors même qu’elle disposait d’instruments incomparables tels que la centrale des risques et les tableaux de bord des crédits par établissement. Elle aurait dû rappeler en temps utile aux banques que leur mission était de financer l’économie et non de se livrer à des activités spéculatives contribuant à gonfler la bulle immobilière.

La lettre au Gouverneur du 4 août 1993 a largement contribué à la décision du ministre de l’Economie de remplacer M. Jean-Yves Haberer à la tête du Crédit lyonnais. Simultanément la Commission bancaire a enfin intensifié son travail pour mieux évaluer la situation d’ensemble, en affinant et centralisant les informations provenant des filiales.

« Pendant ce temps, a observé M. Jean-louis Butsch, il n’était pas question de donner une information sur l’ampleur des pertes. On ne le fait pas, tant que, d’une part, le chiffrage n’est pas définitif et que, d’autre part, la solution (de redressement) n’est pas totalement arrêtée. »

Cette observation veut témoigner du sens de la responsabilité de l’autorité de contrôle alors que l’opinion publique connaît depuis longtemps la situation. M. Jean-Louis Butsch a cherché à expliquer à propos du Crédit lyonnais: « le crédit d’une banque, surtout lorsqu’il s’agit d’une grande banque internationale, est trop fragile pour que l’on ne présente pas en même temps le montant des pertes et le plan de redressement. » En fait lorsqu’il s’agit comme le Crédit lyonnais d’une grande banque publique adossée à l’Etat, le risque systémique est moindre.

Quant au niveau élevé des provisions exigées par la Commission bancaire au titre de l’exercice 1993, M. Jean-Louis Butsch donne une explication sur leur fort rehaussement en fin d’année : « à partir du moment où nous nous posions des questions sur les comptes et sur les résultats du Crédit lyonnais, la conséquence était que nous étions nécessairement plus sévères et plus exigeants, je dirais, dans le temps. Dans certains cas, nous acceptons qu’une banque envisage, avec notre accord tacite, voire explicite, d étaler ses provisions, par exemple, sur deux exercices, parce que, compte tenu de la configuration de la banque, nous savons qu’il n’y a rien de dramatique. Lorsque nous avons des inquiétudes sur la situation financière d’une banque, très généralement, nous n’admettons pas cet étalement et nous exigeons. Par conséquent, ce qui a pu sembler brutal à M. Haberer venait de ce que nous nous posions des questions. C’était la conséquence. »

Enfin lorsque la Commission bancaire — contrôle externe — en vient à porter une appréciation d’ensemble sur le contrôle interne du Crédit lyonnais, elle se montre excessivement nuancée même si elle observe que « l’intendance n’avait pas suivi, était mal adaptée à la politique de croissance externe » et que « il y a essentiellement faiblesse, voire défaillance à certains égards, d’une part, sur les dossiers (... ) spéciaux, et, d’autre part, sur le contrôle des filiales » et elle se retranche derrière les textes existants pour échapper à l’obligation d’informer les autorités judiciaires des infractions qu’elle a pu constater ou dont elle a pu être informée.

Cette situation n’est guère satisfaisante.

d. — La faiblesse du contrôle des filiales étrangères

S’agissant du CLBN, la Commission bancaire n’a exercé qu’un contrôle limité et, devant l’alerte, est restée passive.

A partir de fin 1989, la Commission bancaire a demandé à la Banque centrale des Pays-Bas des informations sur les engagements du CLBN sur les groupes Parretti-Fiorini, qu’à l’époque déjà l’instance de contrôle français considérait comme une seule entité de fait. A cause du secret professionnel, la Banque centrale des Pays-Bas a refusé de les donner par écrit mais a communiqué oralement avec la Commission bancaire.

Cependant après l’échange de lettres (12 février, 23 février, 15 mars 1990) entre le Président du Crédit lyonnais et la Banque centrale des Pays-Bas, la Commission bancaire a reçu d’elle des informations écrites régulières mais globales, sur le niveau des encours des groupes Fiorini et Parretti au CLBN.

La Banque centrale des Pays-Bas s’est préoccupée surtout de vérifier la compatibilité des engagements du conglomérat Fiorini-Parretti avec les fonds propres du CLBN, les encours sur un seul groupe ne pouvant représenter, selon les règles prudentielles hollandaises, plus de 25 % des fonds propres. Mais elle s’est inquiétée aussi de cette compatibilité avec les fonds propres du Crédit lyonnais.

En avril 1990, des contacts approfondis ont eu lieu entre la Commission bancaire et des collaborateurs du Crédit lyonnais. La question de l’OPA sur la MGM a été évoquée. Mais les interlocuteurs de la Commission bancaire manquaient d’informations et lui ont indiqué que le dossier MGM-Parretti était traité « au plus haut niveau ». En juin 1990, le secrétaire général de la Commission bancaire a réussi à avoir une entrevue avec le président du Crédit lyonnais qui, à propos de la MGM, a convenu alors qu’il suivait lui-même le dossier.

Dans l’affaire Parretti-Fiorini, la Commission bancaire, gênée par le secret bancaire opposé par la Banque centrale des Pays-Bas, limitée juridiquement dans ses compétences de contrôle sur une filiale de droit étranger d’une banque française, soumise à la politique de rétention d’informations du Crédit lyonnais, a joué finalement davantage un rôle d’observateur inquiet que de déclencheur d’alerte. Mais le Gouverneur de la Banque de France ne s’est, du moins officiellement, pas fait l’interprète de cette inquiétude auprès du ministère des Finances, ni auprès du président du Crédit lyonnais.

3. — La Cour des comptes

Depuis 1976, la Cour des comptes assure le contrôle des comptes et de la gestion des entreprises publiques en application de l’article 6 bis de la loi n° 67.483 du 22 juin 1967. Ce texte prévoit notamment que: « La Cour des comptes assure la vérification des comptes et de la gestion des établissements publics de l’Etat de caractère industriel et commercial, des entreprises nationales, des sociétés nationales, des sociétés d’économie mixte ou des sociétés anonymes dans lesquelles l’Etat possède la majorité du capital social. »

Il est apparu à votre Commission que la Cour des comptes a effectué, s’agissant du Crédit lyonnais, la mission de contrôle qui lui incombe dans des conditions satisfaisantes. Pour autant, ces contrôles, par leur nature même, pouvaient difficilement prévenir l’évolution constatée.

A cet égard, M. Pierre Joxe, Premier Président, a déclaré devant votre Commission: « Permettez-moi de dire que c’est un hasard si nous sommes là ». Il a en effet expliqué que c’est dans le cadre de son programme d’investigations régulières des entreprises publiques que la Cour a ouvert une enquête sur l’exercice 1992. Les premiers résultats l’ont incitée à l’élargir à l’exercice 1993, ce qui a conduit M. Pierre Joxe à souligner malicieusement: « il est rare que les travaux de la Cour puissent rattraper l’actualité. Il arrive que l’actualité rattrape les travaux de la Cour... »

Dans les différents contrôles exercés au cours de ces dernières années, il est exact que la Cour n’a pas épargné le Crédit lyonnais. La banque avait déjà fait l’objet d’un contrôle organique en 1987 alors que sa privatisation était à l’ordre du jour. Les exercices 1983 à 1986 ont été contrôlés à ce moment. Elle a eu l’occasion de s’intéresser à nouveau à la banque lors du contrôle relatif aux crédits d’impôts fictifs qui a donné lieu à une insertion dans le rappport public de 1989. Le Crédit lyonnais est également entré dans le champ de l’investigation conduite par la Cour sur les fonds propres des entreprises publiques qui s’est terminée en 1993. La Cour des Comptes a aussi examiné les problèmes relatifs au financement des professionnels de l’immobilier tant par le Crédit lyonnais que par ses filiales Altus Finance et la SDBO pour les exercices 1986 à 1991. Enfin, un contrôle est actuellement en cours qui porte sur le Crédit lyonnais, la SDBO, la BIGT et Altus finance, cette dernière banque ayant fait l’objet d’un ajout à la liste initialement prévue. La Cour a, en outre, décidé d’inclure l’année 1993 dans le champ de ses travaux en cours de manière systématique. Elle a dû pour ce faire modifier son programme de travail et mobiliser sur le dossier un nombre de magistrats plus important que prévu initialement. Elle a enfin indiqué à la Commission par la voix de son Premier Président et du Président de chambre compétent qu’elle se tenait à sa disposition pour entreprendre tout contrôle supplémentaire ou modifier la séquence de ses travaux en cours.

IV. — LES CONCLUSIONS

A. — LES SANCTIONS

Selon M. Edmond Alphandéry, ministre de l’Economie, le président du Crédit lyonnais a perdu la confiance de son actionnaire au mois d’août 1993 dès la réception de la lettre du gouverneur de la banque de France relative à l’insuffisance des provisions et à la nécessité d’une recapitalisation de l’entreprise ainsi qu’à la lecture d’un rapport jugé « accablant » de la Cour des comptes sur le financement des professionnels de l’immobilier par le Crédit lyonnais.

Par suite, le ministre de l’Economie a indiqué à M. Haberer qu’il ne serait pas renouvelé dans son mandat d’administrateur qui venait à échéance au mois de juin 1994. Votre Commission, au vu des responsabilités de M. Haberer, ne trouve pas cette décision sans fondement.

Après avoir été reçu par le Premier ministre, M. Haberer a été nommé par le Conseil des ministres du 10 novembre 1993 président du Crédit national.

Le 30 mars 1994, le Conseil des ministres a révoqué M. Haberer du Crédit national à la suite de la publication des résultats du Crédit lyonnais pour l’exercice 1993.

Votre Commission n’a pas manqué d’interroger le ministre de l’Economie sur ce dispositif à double détente. S’il paraissait en effet légitime de mettre fin au mandat de M. Haberer au Crédit lyonnais en raison des résultats de sa gestion, il semblait étonnant d’y mettre fin en le nommant à la tête d’une autre institution bancaire, puis de l’en révoquer six mois plus tard en raison de la publication des résultats d’une autre entreprise dont l’ordre de grandeur était connu des pouvoirs publics à la date du 10 novembre 1993.

Sur ce point, le ministre a apporté à votre Commission les éléments d’explication suivants.

En raison du contexte particulièrement délicat qui entourait cette décision (nombreux procès engagés par le Crédit lyonnais, risque de déstabilisation de l’entreprise et de la place financière de Paris), le gouvernement a souhaité écarter M. Haberer sans donner à cette mesure un caractère trop brutal ou spectaculaire. L’objectif premier était de ne pas afficher publiquement la situation financière de la banque avant d’avoir mis en place le plan de redressement qui s’imposait, sous peine de risquer de déclencher une crise de confiance aux effets imprévisibles. Selon M. Alphandéry, une révocation pure et simple de M. Haberer dès le 10 novembre 1993 n’aurait pas permis d’atteindre cet objectif.

Votre Rapporteur constate que cette périlleuse transition n’a pas déclenché de crise systémique.

Sur un plan plus politique, le ministre a ajouté que l’accord nécessaire du Président de la République n’était pas acquis en novembre 1993, alors qu’il l’a été en mars 1994, sous réserve de l’obtention d’informations détaillées sur la situation du Crédit lyonnais et de la création d’une commission d’enquête.

S’agissant des autres protagonistes, votre Rapporteur constate le départ du Crédit lyonnais de la plupart des membres de l’état-major portant à un titre ou à un autre une part de responsabilité dans l’émergence des pertes de la banque. Ces départs, pour la plupart d’entre eux, ne constituent pas à proprement parler des sanctions, mais permettront à la banque de repartir sur des bases nouvelles.

En ce qui concerne les rares collaborateurs indélicats ou franchement malhonnêtes, le président Peyrelevade a pris l’engagement devant votre Commission de déclencher systématiquement des poursuites dès que des faits susceptibles d’être pénalement qualifiés seront solidement établis. L’efficacité de cette démarche interdit à votre Rapporteur d’en dire plus.

S’agissant, dans un autre registre, du conseil d’administration, il faut rappeller que les administrateurs nommés au titre des personnalités qualifiées ont été intégralement renouvelés et que seuls deux administrateurs représentants de l’Etat ont été maintenus dans le nouveau conseil nommé par décret en date du 13 juin 1994.

Précisons enfin que le mandat des deux commissaires aux comptes du Crédit lyonnais SA n’a pas été renouvelé.

B. — LES PERSPECTIVES

L’arrivée du nouveau président du Crédit lyonnais, M. Jean Peyrelevade, ouvre de nouvelles perspectives. Ayant fait le choix d’une politique d’assainissement, le Crédit lyonnais conserve ses atouts qui lui permettent de poursuivre ses activités de banque commerciale, banque de marché, banque de haut de bilan, gestionnaire pour compte de tiers et assureur, et de développer encore sa clientèle d’entreprises, notamment sur le plan international.

1. — Les perspectives du groupe

Après sa nomination à la tête du Crédit lyonnais, M. Jean Peyrelevade a passé la « paille de fer ». M. Jean-Louis Butsch le reconnaît: « C’est humain. Le nouveau mandataire social commence par faire le ménage. Nous le constatons partout. C’est comme cela que ça se passe dans toutes les banques. C’est une démarche qui ne me surprend pas. C’est l’inverse qui me surprendrait ».

Effectivement, alors que les provisions atteignaient déjà 14,4 milliards de F. en 1992, elles sont portées à 17,8 milliards de F. en 1993, et, en réalité, à 32,2 milliards de F. si l’on considère que la garantie de 14,4 milliards de F. accordée à l’OIG s’analyse comme une provision sur les actifs transférés à la structure de cantonnement.

L’assainissement du bilan pratiqué en 1.993 devrait favoriser une remontée progressive du ratio de solvabilité jusqu’à l’objectif de 9 %.

L’amélioration des contrôles internes, le nouveau suivi des engagements, la création, comme l’a annoncé M. Jean Peyrelevade, d’une cellule de décision collégiale avec les plus hauts responsables de la banque autour du président, la reprise en main des filiales témoignent de la ferme volonté du nouveau président de changer les méthodes de la banque. Le provisionnement sévère des risques attesté par la perte record de 6,9 milliards de F. et la cession d’actifs apparaissent comme un électrochoc. Cette opération vérité, aux lourdes conséquences sociales, devrait permettre à la banque de repartir sur des bases assainies et de mettre en valeur ses atouts, alors que d’ici sa privatisation, le fait qu’elle conserve l’Etat comme actionnaire, devrait lui conserver la confiance des particuliers et des entreprises.

La privatisation de la banque étant un objectif raisonnable, on conçoit aisément que l’Etat avait intérêt à remettre de l’ordre dans la banque pour optimiser sa valorisation. Son engagement au côté du Crédit lyonnais constitue ainsi un investissement qui sera payé grâce aux recettes de sa privatisation.

2. — Des enseignements à tirer

Même s’il n’entrait pas dans la mission de votre Commission de tirer des enseignements pour l’avenir, les premiers constats faits au cours de ses travaux appellent plusieurs actions correctrices complémentaires, les unes de portée limitée, les autres plus ambitieuses.

Les présidents d’entreprises publiques soumises au contrôle de la Cour des comptes doivent veiller scrupuleusement à ce que les recommandations de la Cour, établies sur la base d’une procédure contradictoire, soient pleinement suivies d’effet. A l’avenir la Cour ne devrait plus avoir à rappeler aux banquiers qu’ils doivent « revenir aux règles de prudence habituelles, notamment en ce qui concerne le niveau minimum de fonds propres exigés des marchands de biens ». Ces pratiques déresponsabilisantes mériteraient en outre d’être méditées par tout banquier qui souhaite ne pas entretenir de bulle spéculative préjudiciable, à terme, à l’ensemble de l’économie.

Il serait souhaitable que la Commission bancaire s’assure bien de la solidité des contrôles internes des établissements bancaires, notamment de leurs filiales étrangères qu’elle ne peut contrôler directement que depuis peu.

En ce qui concerne les entreprises du secteur public, il faut revenir sur le statut de leurs dirigeants en substituant un pouvoir collégial au pouvoir sans partage dont ils disposent aujourd’hui.

Enfin, il est anormal que le Parlement ne dispose que d’une information des plus limitées sur les investissements des grandes entreprises nationales du secteur public, de l’énergie, des transports et des communications, qui représentent le cinquième du total de l’investissement des entreprises françaises. Pour combler cette grave lacune, il serait logique que le Parlement soit représenté au Conseil de direction du FDES, un des instruments majeurs de la politique d’investissement de l’Etat. En 1993, l’investissement des entreprises du FDES a en effet atteint 151 milliards de F. Le Parlement n’a été informé qu’en 1994, a posteriori, du détail des décisions prises, après qu’il eût obtenu la promesse du ministre de l’Economie, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 1994, de venir s’expliquer devant la Commission des finances. En associant plus étroitement le Parlement au FDES, une situation actuellement injustifiée serait ainsi régularisée.

De même, en ce qui concerne l’OIG, le Crédit lyonnais bénéficie d’une autonomie de gestion totale, sans contrôle particulier de l’Etat. Compte tenu de l’importance de la garantie accordée par l’Etat, il paraît utile qu’un contrôle puisse s’exercer sur la structure, à la fois par l’Etat et par le Parlement. Les parlementaires, contrôleurs de l’emploi des deniers publics, doivent pouvoir rendre compte, notamment avec l’aide de la Cour des comptes, de la bonne utilisation des fonds publics.

3. — L’incapacité à sortir des contradictions de l’économie mixte

Au cours des auditions, il est clairement apparu qu’une grande banque universelle publique se comporte aujourd’hui comme une banque privée dès lors qu’aucune obligation ne lui est imposée en matière de collecte et d’affectation de l’épargne et qu’aucune contrainte ne pèse sur son expansion tant qu’elle ne fait pas appel à son actionnaire.

Cette identité de situation de la banque publique et de la banque privée s’explique par l’autonomie de gestion dont jouissent les entreprises publiques qui interviennent dans le secteur concurrentiel national. Cette autonomie de gestion est en outre la condition sine qua non de leur développement international. Faut-il rappeler ici la vigilance de la Commission européenne ?

L’autonomie a pour effet d’interdire toute ingérence de l’Etat actionnaire majoritaire dans sa stratégie, dans sa gestion, dans le choix de ses clients et de ses opérations.

Dès lors, la responsabilité de l’Etat actionnaire est ambiguë : elle est limitée au seul pouvoir de nommer ou de révoquer le dirigeant de l’entreprise sans avoir aucune prise sur ses décisions. La définition de l’exercice de cette responsabilité n’est pas satisfaisante si le pouvoir de tutelle ne dispose pas de critères multiples pour apprécier la qualité du mandataire social.

Dès lors, rien ne s’oppose aujourd’hui à ce qu’une banque publique participe au financement de n’importe quelle activité.

A défaut d’assigner aux banques publiques des missions précises de service public, leur nationalisation les place en porte-à- faux. Cette situation fait naître des conflits d’intérêt dont il faut dispenser l’Etat, ne serait-ce que pour lui éviter, dans un cas comme aujourd’hui, de financer sur fonds publics, donc en faisant appel aux contribuables, une activité économique purement privée.

La Commission a examiné le présent rapport au cours de ses séances des 29 et 30 juin et du 5 juillet 1994 et l’a adopté.

Elle a ensuite décidé qu’il serait remis à M. le Président de l’Assemblée nationale afin d’être imprimé et distribué, conformément aux dispositions de l’article 143 du Règlement de l’Assemblée nationale.

EXPLICATIONS DE VOTE

EXPLICATION DE VOTE DU COMMISSAIRE APPARTENANT AU

GROUPE SOCIALISTE (*)

l. — Les députés de la majorité, en proposant la création d’une commission d’enquête parlementaire sur le Crédit lyonnais, avaient pour principal objectif de mettre en cause les gouvernements socialistes, en démontrant qu’ils portaient une lourde responsabilité dans les difficultés du Crédit lyonnais.

Avant même que la commission n’entame ses travaux, nombreux étaient ceux qui, au sein de la majorité dénonçaient, de manière d’ailleurs quelque peu contradictoire, tantôt un interventionnisme excessif des pouvoirs publics, tantôt au contraire un laxisme suspect, réputé être la contrepartie de divers services rendus par la banque... On promettait d’importantes rélévations, des faits précis et indiscutables. Il s’agissait aussi, à travers ce dossier, de faire le procès sans appel du secteur public, de dénoncer l’« économie mixte » et de justifier une privatisation souhaitée.

Les conclusions du rapport sont pour le moins nuancées au regard de ces déclarations intempestives. C’est le résultat d’un travail important de la Commission et l’effet d’une présidence qui s’est attachée à une analyse plus objective et moins partisane. Elles n’ont pas toutefois recueilli notre approbation, le parti pris politique restant fortement présent.

2. — La situation de la banque ne peut être appréciée qu’en la resituant dans le temps et dans l’espace.

La Commission a dû reconnaître que les décisions prises avant et après cette période concourent également à expliquer la gravité de la situation actuelle de l’établissement.

La Commission a admis que la banque a été redynamisée, qu’elle a également connu de beaux succès et contribué au soutien de l’activité économique. Le Crédit lyonnais est effectivement devenu une des premières banques mondiales. Il a aussi contribué, dans un contexte économique difficile, à sauver de nombreux emplois.

Le contexte oblige à une appréciation équilibrée des choses :

— La banque s’est trouvée victime d’une gigantesque escroquerie dans le dossier MGM, qui s’est aggravée avec la faillite brutale du groupe Sasea.

(*) M. Didier Migaud.

Cette affaire explique à elle seule la majorité des provisions exceptionnelles passées par la banque. Sans cet épisode, le Crédit lyonnais aurait pu faire face plus facilement au retournement de conjoncture. L’effort demandé aux actionnaires aurait été nettement plus limité et le dossier n’aurait pas connu une telle ampleur médiatique.

— La stratégie du Crédit Lyonnais s’est heurtée à un retournement de conjoncture de très grande ampleur. La banque a subi de plein fouet la plus importante récession depuis la guerre, qui a détérioré son portefeuille de risques et pesé sur son exploitation. Cette crise s’est accompagnée d’une chute sans précédent du marché de l’immobilier, où la banque était également très engagée.

— Le Crédit lyonnais, loin s’en faut, n’a pas été la seule banque à connaître pareilles difficultés.

La crise qui a affecté le secteur bancaire est la plus forte qu’on ait connu depuis les années 1930.

De nombreux établissements, privés ou publics, grands et petits, ont connu une situation comparable ou plus grave. Il suffit d’évoquer les noms de la BCCI, des Caisses d’épargnes américaines, de BANESTO, des banques scandinaves, pour lesquels les montants en cause, en valeur absolue ou en proportion de leur taille, sont supérieurs à ceux constatés pour la banque française. S’agissant du Crédit lyonnais, les fonds propres n’ont jamais été menacés et la sécurité des déposants toujours assurée.

Sans rechercher les exemples les plus frappants, le total de la perte consolidée du Lyonnais est en proportion du bilan inférieur aux pertes enregistrées par des établissements américains tels que Bankers trust, Morgan, Continental Bank Corporation ou Security Pacific Corporation. On peut également citer Citicorp qui a réalisé des pertes très élevées. En France, les provisions qu’ont dû réaliser des établissements comme Suez, Worms, la compagnie du BTP ou la BIMP... sur leurs engagements immobiliers, sont aussi bien supérieures, rapportées à leur bilan.

Chacun sait bien en outre que le montant des provisions à passer est nécessairement subjectif car on peut choisir d’étaler les provisions plus ou moins dans le temps. Dans le cas présent, les pouvoirs publics et le nouveau président ont pu choisir de « grossir le trait », afin de purger le passé et de faciliter une privatisation annoncée comme objectif à court terme.

Enfin, le jugement porté sur la situation de la banque dépend de la rentabilité future de ses investissements qui, pour audacieux qu’ils sont, se révèleront peut-être profitables.

Tenant compte de ces éléments, il est reconnu dans l’introduction du rapport qu’une appréciation équitable de la situation de la banque implique que les montants soient relativisés dans l’espace et dans le temps, et que « la banque a aujourd’hui les moyens de se redresser et de tirer tout le parti possible des audaces d’hier... ».

3. — La Commission n’est pas parvenue à faire le procès de l’économie mixte.

Le Rapporteur est obligé de reconnaître dans un propos désormais plus nuancé que « le Crédit lyonnais n’a pas été uniquement la banque des socialistes ». Le Président de la Commission déclare pour sa part que « les interférences politiques n’ont pas eu d’effet décisif sur la situation de l’établissement ».

D’autre part, les exemples cités plus haut le démontrent, la crise a affecté indifféremment les banques publiques ou privées. Les plus graves faillites concernent même des banques privées.

L’Etat actionnaire a-t-il complètement failli à sa tâche ? La Commission ne peut répondre par l’affirmative même si les pouvoirs publics ont approuvé la stratégie proposée par Jean-Yves Haberer.

Le Crédit lyonnais a réalisé d’importants bénéfices en 1989, 1990 et 1991 (10 milliards de F. au total).

La privatisation ne peut pas être considérée comme la solution pour éviter la situation qu’a connue la banque. Certains secteurs économiques ne peuvent échapper à toute maîtrise collective. Le modèle d’économie mixte repose sur la mobilisation et la coopération de tous les acteurs privés ou publics. Il ne s’agit pas d’opposer les uns aux autres mais de mettre en œuvre l’implication de chacun au service de l’intérêt général.

4. — On peut en revanche s’interroger sur la dimension politique et sur la gestion du dossier à partir du printemps 1993.

Alors qu’à cette époque la gravité de la situation est connue de tous, grâce notamment aux initiatives prises par Michel Sapin et à la surveillance mise en place par la direction du Trésor, il faudra attendre encore un an pour que le Gouvernement décide d’un plan de redressement !

En octobre 1993, Jean-Yves Haberer est écarté de la présidence du Crédit lyonnais mais nommé à la présidence du Crédit national alors que le Premier ministre dispose d’une lettre que Jean Peyrelevade lui a adressée, faisant état d’un « trou » d’un montant équivalent à celui qui apparaîtra officiellement six mois plus tard!...

Même si le Rapporteur a été contraint par la Commission de modérer ses propos, de contenir ses élans et d’être plus rigoureux, certaines affirmations ou suggestions ne sont pas dénuées d’arrières-pensées politiques, voire politiciennes. Le refus par la Commission d’auditionner le Premier ministre sur les conditions et les raisons de son arbitrage est révélateur de la volonté de la Commission de minorer la dimension politique de ce dossier.

Enfin et surtout, on peut s’interroger sur les conditions d’élaboration du plan de redressement et sur la mise à l’écart de Jean-Yves Haberer de la présidence du Crédit national.

L’évaluation des besoins et la contribution de l’Etat ont été arrêtées par le Premier ministre, par l’intermédiaire de son directeur de cabinet, en l’absence des représentants du ministre de l’économie (ce qui est sans précédent), et dans les pires conditions (il ne restait que quelques jours avant l’arrêté des comptes...). Le Premier ministre a arbitré contre son ministre de l’économie en acceptant toutes les conditions de Jean Peyrelevade. Simultanément Jean-Yves Haberer que l’on avait pourtant nommé six mois plus tôt en toute connaissance de cause, était limogé du Crédit national.

On peut craindre que le Gouvernement, quitte à altérer l’image de l’établissement et à nuire aux intérêts patrimoniaux de l’Etat, n’a pas hésité à accepter de « charger la barque » au maximum, afin de pouvoir mieux relancer le thème de « l’héritage », et préparer la privatisation du Crédit Lyonnais.

5. — Des leçons doivent être tirées afin d’éviter le renouvellement des errements constatés.

Si le Crédit lyonnais est devenu une des principales banques mondiales, il a aussi accumulé dans le même temps des risques considérables, souvent mal appréciés et qui pour certains se sont révélés très coûteux. Il est indispensable de tirer les enseignements de cette situation.

Il ressort que la grande majorité des sinistres provient de sérieux dysfonctionnements internes au groupe et, au premier chef, d’une absence de contrôle des filiales. L’affaire MGM en est une parfaite illustration. Les dirigeants de la banque ne peuvent esquiver leur lourde responsabilité. Il apparaît aussi que sur de nombreux dossiers les dirigeants n’ont pas informé suffisamment l’Etat actionnaire, parfois volontairement.

Par ailleurs, l’Etat ne pouvait accéder aux dossiers d’engagements individuels, ne serait-ce qu’en raison du secret bancaire. Qu’aurait été l’image du Crédit lyonnais à l’étranger s’il en avait été autrement ? Qu’aurait-on dit si le Gouvernement avait demandé la surveillance de l’encours de crédit sur le groupe Hersant ?...

Tout ceci n’exonère par pour autant l’Etat et les autorités de contrôle de leurs responsabilités : tant les services du Trésor que ceux de la Commission bancaire se sont peut-être trop facilement contentés du peu d’informations données par la banque, au nom du principe de l’autonomie de gestion. La réaction sur certains dossiers a parfois été tardive. Sans doute des « connivences sociologiques » ont-elles également joué...

Une question essentielle reste posée : celle de l’autonomie de gestion des entreprises publiques. Cette notion est manifestement insuffisante. Elle doit être complétée par la définition d’un véritable cahier des charges par lequel l’Etat précise les missions et les moyens des entreprises publiques.

Après avoir pratiqué un interventionnisme au début des années 1980 — fortement critiqué alors par la droite — l’Etat a changé brutalement de cap et laissé une autonomie excessive aux dirigeants d’entreprises publiques. Dans le cas du Lyonnais, l’Etat a accepté une stratégie qui privilégiait le long terme et comportait certains risques. Cela avait un sens s’agissant d’une banque publique. Cela répondait également aux critiques de ceux qui reprochent sans cesse aux banques leur frilosité. Les graves difficultés du Crédit lyonnais doivent fortement inciter l’Etat à mieux définir son rôle d’actionnaire ainsi que ses modalités d’intervention, ce qui nécessite de préciser la politique qu’il entend suivre à l’égard du secteur public.

EXPLICATION DE VOTE DU COMMISSAIRE APPARTENANT AU

GROUPE COMMUNISTE (*)

Nous avons entendu au cours de ces deux mois différents responsables de l’économie et des finances (ministre de l’Economie, directeur du Trésor, président de la Cour des Comptes, etc...) et les anciens et nouveaux dirigeants et cadres de haut niveau du Crédit lyonnais et de ses filiales.

A les écouter, les pertes enregistrées par cette banque nationalisée sont liées à la conjoncture économique, à la crise de l’immobilier de bureau et à « diverses escroqueries internationales » (affaires Parretti/Fiorini).

Ces considérations, nous ne pouvons les accepter, les organisations syndicales de l’entreprise qui n’ont pas été entendues malgré notre demande ne les acceptent pas non plus.

A noter que le rapport qui décrit avec vraisemblance les opérations malheureuses ou douteuses menées par le Crédit lyonnais et ses filiales souligne que les premières interrogations sur le bien fondé de ces opérations ont été faites par les représentants du personnel qui siègent au conseil d’administration. Dommage que le manque d’écoute, bref de démocratie ait empêché qu’ils soient entendus.

Le Crédit lyonnais a été victime de la stratégie imposée à la banque publique par les gouvernements successifs.

Elle a consisté à favoriser les opérations spéculatives contre l’emploi.

La course à la croissance externe, aux OPA en Amérique a rythmé l’essentiel des choix gouvernementaux et de gestion des groupes.

Le crédit des banques et en particulier du Crédit lyonnais a été mobilisé à cet effet.

(*) M. Louis Pierna.

Comme le déclare le syndicat CGT du Crédit lyonnais : « Comment croire que pendant de nombreuses années les analystes et les responsables du CLBN comme ceux de la maison mère ont pu être abusés ? ».

Même si le Crédit lyonnais a plus que les autres banques soutenu l’économie nationale, il reste que sa participation a été modeste et qu’il a contribué au rationnement du crédit destiné aux PME/PMI donc à la production de richesses réelles.

Nous considérons que d’autres choix s’imposent et le Crédit lyonnais qui doit rester une banque publique au service de la Nation devrait favoriser la réalisation de projets de développement de l’emploi dans notre pays.

Pour pouvoir mettre en place une telle orientation il est nécessaire de poser la question du rôle que doit jouer une banque publique telle que le Crédit lyonnais comme partenaire des grands groupes industriels publics et privés, des PME au niveau national, dans les régions et bassins d’emplois.

Le Crédit lyonnais doit pouvoir développer son activité dans la transparence en consultant les salariés et les usagers de la banque. Ce n’est pas la voie qui est choisie. Le gouvernement avec la nouvelle direction voudraient faire supporter au personnel les mauvais choix de la banque en décidant la suppression de 3.800 emplois.

C’est inacceptable, d’ailleurs le rapport de l’expert comptable du Comité central d’entreprise note que: « A l’examen des données relatives à l’activité et aux résultats du réseau il apparaît que contrairement aux arguments avancés par votre direction dans son plan triennal de productivité :

— la rentabilité n’est pas en cause,

— dès lors son redressement ne constitue pas le motif des suppressions d’emplois lesquelles peuvent a contrario, fragiliser le réseau. »

L’enjeu que constitue le redressement du Crédit lyonnais banque publique est considérable. Il contribuerait au ressaisissement par la France de la maîtrise des marchés financiers et la défense des atouts industriels.

Il aurait été nécessaire de bien situer les causes des difficultés qu’a rencontrées la banque.

Le rapport de la commission d’enquête se contente de décrire et de dénoncer certaines opérations, certains responsables, sans mettre en cause la stratégie.

La situation créée n’est pas le fait de l’entreprise publique, c’est le résultat de la politique « libérale » pratiquée par la banque.

Il ne faudrait pas que le rapport serve de prétexte au gouvernement pour aller vers la privatisation de l’entreprise : cela constituerait une fuite en avant et le développement d’opérations spéculatives qui ont causé les déficits.

Pour les raisons qui viennent d’être exposées, parce qu’il ne propose pas une stratégie différente au service du développement économique et de l’emploi, nous ne pouvons approuver le rapport de la commission d’enquête.

ANNEXE

Le Premier ministre a transmis le 22 juin 1994 trois lettres à la Commission. Deux de ces lettres, datées des 4 octobre et 3 novembre 1993, émanent de M. Jean-Yves Haberer. La troisième est datée du 2 novembre 1993 et signée de M. Jean Peyrelevade. Dans ces courriers, le président en place du Crédit lyonnais et son successeur pressenti exposent au Premier ministre l’analyse qu’ils font de la situation de la banque et les mesures qu’appelle à leurs yeux son redressement.

La Commission a pris la décision de publier ces trois courriers en annexe au rapport. Elle tient à souligner qu’elle a pris cette initiative moins pour des raisons de fond que pour des raisons de principe.

La Commission s’est en effet interrogée sur le point de savoir s’il était bien conforme à l’idée qu’elle se fait de la déontologie qu’un président seulement pressenti, donc juridiquement simple particulier, ait accès aussi facilement et largement aux dossiers de la banque.

Quant aux deux analyses proposées par ces lettres et aux solutions qu’elles suggèrent, on ne s’étonnera pas de constater de sensibles différences.

CREDIT LYONNAIS

LE PRESIDENT

Paris le 4 octobre 1993

Monsieur le Premier Ministre,

Depuis plusieurs semaines, je cherche à comprendre pourquoi, cet été, le point de vue du Gouvernement sur le Crédit Lyonnais et sur ma présence à sa présidence a changé, alors que nous poursuivons courageusement le redressement des comptes. L’article ci-joint de la Lettre A me met sur la piste d’une désinformation grave et caractérisée, pour ne pas dire d’une manipulation, contre laquelle je m’élève avec indignation.

Les comptes du Crédit Lyonnais ont été endommagés, à hauteur de 10 milliards sur trois exercices, par les provisions infligées par une escroquerie internationale de grande ampleur (ce chiffre est dans le dernier rapport annuel). Le groupe aurait pu absorber ce choc si la crise économique n’était pas arrivée au même moment, imposant des provisions sans précédent sur l’immobilier et les P.M.E. en France et dans toute l’Europe. La Commission Bancaire, après une vérification de six mois, nous a recommandé de compléter nos provisions pour 7 milliards, chiffre abaissé depuis lors à 4,6 après un dialogue avec nous. Sur les 4,6 restant, nous avons déjà rattrapé 1,6 milliard dans le premier semestre 1993. Il reste 3 encore, montant égal à notre fond de réserve pour risques généraux auquel nous n’avons pas estimé nécessaire de faire appel, car nous avons des opérations exceptionnelles encore en réserve. La cicatrisation est donc proche. Toute reprise économique l’accélérera.

J’ai eu enfin connaissance, six semaines après son envoi, de la lettre du 2 août de M. de Larosière au Ministre de l’Economie, qui en était restée aux 7 milliards initiaux de la Commission Bancaire. Qui a pu, sans aucun contact avec ceux qui gèrent les dossiers (M. François Gille, Directeur Général), y ajouter une dizaine de milliards de francs pour de prétendus risques judiciaires ? Nous avons gagné tous nos procès, et les procédures en cours, engagées à notre initiative, n’apportent pas le risque de pertes supplémentaires, mais au contraire la quasi-certitude de récupérer plusieurs des milliards perdus dans l’affaire MGM/Sasea. Encore faut-il que l’Etat ne commette à l’égard du Crédit Lyonnais aucune erreur de manœuvre susceptible de donner des arguments inespérés aux parties adverses. Encore faut-il que les diffamations extrêmement nuisibles commises par François d’Aubert soient sanctionnées par la justice, alors que diverses pressions politiques ont eu lieu pour obtenir notre désistement, lequel serait déshonorant à l’égard des 80.000 salariés et des 8 millions de clients du Crédit Lyonnais, et ruineux dans nos procès.

Je me permets de vous faire part de ces éléments d’information indépendamment du problème de mon sort personnel, dont mon actionnaire majoritaire peut à tout instant disposer. Mais je fais partie de ceux qui croient et qui espèrent que l’Etat défendra toujours, en fin de compte, son propre intérêt patrimonial. Que l’on exploite contre moi des chiffres faux, et qu’on les fasse circuler dans la presse, dépasse mon sens de la justice et de la prudence, et, pour tout dire, m’indigne.

Je vous prie de croire, Monsieur le Premier Ministre, à l’expression de ma vive considération et de mes sentiments respectueux et dévoués.

Jean-Yves Haberer

Monsieur Edouard Balladur

Premier Ministre

Hôtel Matignon

Paris

FINANCE

LES QUINZE MILLIARDS DU LYONNAIS



C'est une note de la direction du Trésor qui a mis, semble-t-il le feu aux poudres, dans ce qu’il est convenu désormais d’appeler « l’affaire du Lyonnais ». Cette note. rédigée il y a quelques semaines, concluait que le Crédit Lyonnais avait une nsufh1sance de provi- sions, qui pouvait être estimée à 15 miliards de francs (dont 7 relatifs à l’affaire Paretti-Forini). Ce chiffre a fait l’effet d’un élcetrochoc dans le microcosme. Les uns, à Bercy, s’étant toujours refusés à écouter les Cassandre. Les autres, Edouard Balladur en tête, découvrant un problème dont ils ignoraient presque tout. Certes, ce chiffre de 15 milliards est une estimation. La banque l’aurait d’ailleurs contesté, faisant valoir qu’il ne tenait pas compte de certaines provisions d’ores et déjà passées. Mais ce chiffre se veut apparemment un juste milieu entre deux estimations. L’une de 10 milliards, qui parie sur une issue relativement positive des procès en cours sur les affaires Paretti-Forini. L’autre de 20 milliards, prenant en compte l’implication financière d’une condamnation du Crédit Lyonnais pour « gestion de fait ». Quel que soit le montant des provisions supplémentaires qu’il va falloir faire - 10, 15 ou 20 milliards - la facture est suffisamment élevée pour qu’elle ait fait bondir l’Etat actionnaire et accélérer l’idée de remplacer Jean-Yves Haberer. François d’Aubert assisté de parlementaires RPR, devrait être invité à enquêter sir la banque.

En attendant les resultats de ces investigations, le remue-ménage fait autour du sort de Jean-Yves Haberer devrait cependant pousser le Premier ministre a ne pas brusquer les choses. On s’orienterait vers une non-décision. Le 20 octobre, Yves Lyon-Caen ne serait pas renouvelé à la présidence du Crédit National. Mais son successeur ne serait pas nommé tout de suite. L’actuel président expédiant les affaires courantes d’une maison qui peut d’ailleurs tourner toute seule quelques semaines. Le Crédit National retrouverait un vrai président vers la fin de l’année. Mais il n’est plus du tout certain que le poste soit reproposé à Jean-Yves Haberer. Il ne manque pas de candidats, notamment dans les rangs de l’UDF, qui se plaint de ne pas avoir eu son dû, jusqu’à présent, dans les attributions de postes Jean Peyrelevade, comme prévu, irait à la tête du Lyonnais. Les critiques du CNPF contre ce schéma ayant eu un effet inverse. Edouard Balladur est tellement remonté contre l’institution de l’avenue Pierre 1er de Serbie, que toute pression de sa pan a un effet contre-productif. Plus elle s’opposera à Jean Peyrelevade, et plus le Premier ministre voudra le nommcr. Les jeux sont cependant loin d’être faits. Il y a d’autres candidats pour le Lyonnais. Antoine Jeancourt-GalignaI est de ceux-là.

Selon une note de la direction du Trésor, le Crédit Lyonnais aurait une insuffisance de provisions de l’ordre de 15 miliards. Des chiffres contestés par la banque.

 

CREDIT LYONNAIS

Le 3 novembre 1993

A l’attention exclusive de Monsieur Baladier,

pri m’a demandé cette nete

Note confidentielle

pour le Premier Ministre

Les comptes du Crédit Lyonnais ont souffert de l’impact quasiment simultané :

— d’une escroquerie internationale (Parretti-Sasea) qu’il a fallu provisionner à 100 %, au fur et à mesure de la découverte des faits, en deux exercices, 1991 et 1992, pour environ 10 milliards, dont quelques uns peuvent être récupérés par les procédures judiciaires en cours, à condition de ne commettre aucune maladresse.

— d’une grave crise économique, qui atteint en particulier la sidérurgie, les P.M.E. et l’immobilier, secteur où le Crédit Lyonnais est la banque leader, même si l’encours des créances (47 milliards) n’est que 3 % de son bilan. Seule une politique expansionniste, en doublant le résultat brut d’exploitation, a permis de faire face, jusqu’en juin 1992, aux provisions, lesquelles provenaient souvent de risques pris avant septembre 1988. Lorsque la crise a fait plafonner le r.b.e. lui-même, il a été décidé, en accord avec la Banque de France et le Trésor, d’étaler quelque peu le provisionnement nécessaire, comme cela est fait pour d’autres banques.

La restauration des comptes du Crédit Lyonnais, si elle doit être instantanée, appelle plusieurs actions de l’Etat :

1. La neutralisation des participations dans Usinor-Sacilor et Aérospatiale

Ces participations ont été conçues en leur temps pour renforcer les fonds propres du Crédit Lyonnais. Or, du fait de la crise, elles ont l’effet inverse, soit un prélèvement prévu d’environ 2 milliards de francs pour 1993.

Par lettre de juillet 1993, il a été demandé à Bercy de neutraliser cette charge, plusieurs modalités étant possibles (swap de titres, put, trust de defeasance, etc...). C’est, à l’évidence, une priorité.

2. La mise en defeasance d’un portefeuille d’actifs immobiliers

L’Etat peut favoriser, au profit d’une banque qui joue un rôle majeur pour soutenir le marché immobilier, un amortissement sur 10 à 15 ans d’un risque de perte latent. Des 5 milliards de retard évalués par la Commission Bancaire en juillet 1993, on passerait à 12 milliards dans une vue plus perfectionniste ou plus pessimiste. Le principal problème est la confidentialité à l’égard des concurrents et, si elle n’est pas assurée, l’ampleur du chiffre construit au cours de ces dernières semaines peut faire problème.

La technique de la defeasance est fort compliquée, mais conforme à de nombreux précédents, par exemple ceux de Paribas, du C.C.F. et du Crédit Lyonnais ayant traité de cette manière, sans aucune aide de l’Etat, toutes leurs créances sur l’ex-URSS. Dans ce cas particulier, l’aide de l’Etat serait la prise en charge de la différence entre le coût de la ressource et le revenu provenant de la gestion du portefeuille.

3. La recapitalisation du Crédit Lyonnais

Le ratio européen de solvabilité, obligatoire à 8 % à partir de 1993, était de 8,3 % le 30 juin 1993 au Crédit Lyonnais. La Banque de France, après l’avoir souhaité à 8,5 %, vient soudain de réclamer 9 %. Chaque dixième de point représente 650 millions de francs de fonds propres durs. Il faudrait donc 4,5 milliards de francs, auxquels il faudrait ajouter la perte éventuelle constatée en 1993 (pour l’instant, 900 millions au premier semestre, le second semestre ayant été annoncé comme probablement un peu meilleur).

Le Crédit Lyonnais a des moyens autonomes, indiscutables par ses concurrents, de se procurer des fonds propres durs :

— l’ouverture à des minoritaires du capital de deux filiales florissantes, U.A.F. (assurances) et CLIO (services informatiques). Ces deux procédures sont engagées et apporteront 3,5 milliards de francs ;

— l’émission de preferred shares sur le marché international (1,5 milliard de francs possible, en répétant l’opération du premier semestre) ;

— l’émission sur le marché de certificats d’investissement ou même d’actions selon les limites légales récemment élargies par la loi de privatisation.

Si ces trois actions sont accomplies, la mise en perte sévère (par exemple 4 milliards de francs) du Crédit Lyonnais en 1993, afin de justifier une recapitalisation par l’Etat du même montant, n’est pas nécessaire. Elle serait inutilement traumatisante pour le groupe dont elle diminue d’autant les fonds propres pour obliger l’Etat à les reconstituer. L’Etat peut se référer au ratio européen de solvabilité pour, en cas de besoin, faire son devoir d’actionnaire, d’une manière plus modeste et moins spectaculaire, par exemple par apport de titres, sans passer par une perte néfaste pour le rating et inquiétante pour les déposants.

Jean-Yves Haberer

Le 2 novembre 1993

Monsieur le Premier Ministre,

Vous m’avez demandé, le 11 octobre dernier, de prendre la présidence du Crédit Lyonnais. Vous m’avez alors assuré de votre soutien pour le redressement de cette grande maison et bien voulu m’indiquer que ce n’était pas l’attrition progressive de son réseau bancaire qui devait, à vos yeux, conduire à ce résultat. J’ai au contraire compris qu’il s’agissait de restaurer certes la rentabilité, mais aussi la puissance et le développement du Crédit Lyonnais, première banque commerciale française.

Vous me permettrez, au moment où j’ai l’honneur, si vous y avez toujours convenance, d’accepter votre proposition, de vous dire en quelques mots dans quel esprit je le fais.

La situation du Crédit Lyonnais, que j’ai pu rapidement examiner avec, selon vos instructions, le concours de la Banque de France et de la Direction du Trésor, est sérieuse. La banque va connaître deux années de pertes successives : près de 2 milliard de francs en 1992, 3 à 4 milliards de francs en 1993 selon les prévisions actueles. Sauf à lui faire courir, et à travers elle à l’ensemble de la place de Paris, le risque d’une réaction négative des marchés, il est impératif que les années 1994 et 1995 soient pour le moins équilibrées.

Monsieur Edouard BALLADUR

Premier Ministre

Cet objectif ne sera pas facile à atteindre. Le Crédit Lyonnais est triplement frappé par quelques gros dossiers malheureux, dans le financement du cinéma notamment, par les conséquences onéreuses d’une politique agressive de prises de participations industrielles et par les difficultés aigües nées de la crise immobilière qui le frappent davantage que les établissements de taille comparable. Si l’outil bancaire reste solide et constitue le meilleur gage, à l’échelle européenne, d’une prospérité future, le poids des crédits non performants est aujourd’hui proprement insupportable : plus de 60 milliards de prêts entrent dans cette catégorie, et ce sont 4 milliards de francs d’intérêts annuels, soit plus du quart du revenu brut d’exploitation, qui ne sont pas honorés par leurs débiteurs. A cette perte de substance considérable s’ajoute une contribution négative aux résultats consolidés de 1,5 milliard de francs par an, résultant de la mise en équivalence des participations dans la SNIAS et Usinor-Sacilor. Les équilibres économiques de la maison sont ainsi gravement compromis.

Le redressement du Crédit Lyonnais m’apparaît impossible sans un effort très important de l’Etat-actionnaire, dont vous m’avez accordé le principe et demandé de fixer les contours. Le dispositif qu’il convient de mettre en place a recueilli pour l’essentiel l’accord tant de la Banque de France et de la Commission de Contrôle des Banques que de la Direction du Trésor. Il comporte les trois volets suivants :

a) une reconstitution des fonds propres du Crédit Lyonnais est nécessaire pour couvrir les pertes encourues et porter le ratio Cooke au niveau demandé par la Commission de Contrôle des Banques. Ceci implique une recapitalisation par l’Etat d’au moins cinq milliards de francs en liquide dans les délais les plus brefs. Cet effort fait, la banque devra l’accompagner dès qu’elle en aura l’opportunité, c’est-à-dire après l’annonce des pertes 1993, par la levée directe sur le marché de fonds propres et de quasi-fonds propres, dans les limites autorisées par son statut d’entreprise publique ;

b) une structure de « defeasance », mise en place au 1er janvier 1994, recueillera 40 milliards de crédit immobiliers non-performants, incluant une insuffisance implicite de provisions de 12 milliards de francs. Cette structure dégagera les comptes du Crédit Lyonnais de l’ensemble des risques de pertes en principal et des charges de financement associés à ces actifs sans rendement et permettra d’étaler les unes et les autres dans le temps. Un intéressement de la banque au résultat final assurera que la gestion de la «defeasance» pour le compte de l’actionnaire sera à la fois attentive et efficace.

Les modalités techniques, juridiques et fiscales de cette construction seront bien entendu arrêtées de façon à répondre le mieux possible à certaines préoccupations de l’Etat ;

c) la déconsolidation des participations dans la SNIAS et Usinor-Sacilor sera opérée dès l’exercice 1993, par échange progressif des titres contre des actions d’autres sociétés détenues par l’Etat. Ainsi évitera-t-on de faire apparaître une perte importante liée à la dépréciation comptable de ces deux lignes (8 milliards de francs en prix de revient dans les livres du Crédit Lyonnais). Au cas où l’échange de titres, réparti dans la durée, s’avèrerait impossible, un mécanisme dont les effets économiques seront équivalents devra être mis au point.

Ce plan de soutien de l’Etat-actionnaire, décisif, sera naturellement accompagné d’un effort propre de la banque pour rétablir ses équilibres. Aucun champ d’action ne sera négligé. Une politique vigoureuse de cantonnement, voire de réduction, des frais généraux sera entreprise, qui passe par une accélération du rythme de diminution des effectifs. Simultanément, une volonté systématique de désinvestissement sera mise en œuvre à l’égard des participations industrielles, commerciales et immobilières, le périmètre bancaire étant, comme vous m’en avez donné accord, le seul préservé.

Au moment d’accepter la responsabilité que vous désirez me confier, je mesure Monsieur le Premier Ministre, l’ampleur de la tâche. Vous remerciant de la confiance que vous m’accordez et de l’appui que vous m’avez manifesté, je puis vous assurer que je ferai de mon mieux.

Veuillez agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’assurance de ma haute considération.

Jean PEYRELEVADE