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Session ordinaire de 2000-2001 - 43ème jour de séance, 99ème séance

1ère SÉANCE DU MARDI 19 DÉCEMBRE 2000

PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI

Sommaire

          AVENIR DES INSTITUTIONS
          (Questions orales avec débat) 2

La séance est ouverte à neuf heures.

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AVENIR DES INSTITUTIONS (Questions orales avec débat)

L'ordre du jour appelle la discussion de cinq questions orales avec débat sur l'avenir des institutions.

M. le Président - Ces cinq questions ont été publiées au Journal officiel et au Feuilleton.

Je demande à tous les orateurs de respecter scrupuleusement leur temps de parole.

M. Alain Juppé - Le débat que vous avez voulu organiser ce matin, Monsieur le Premier ministre, me semble surréaliste. Il est en complet décalage avec les attentes des Français qui, comme on l'a vu en septembre dernier, ne portent qu'un intérêt limité aux questions institutionnelles, et avec le contexte et le calendrier politiques. On ne change pas, en effet, les règles du jeu juste avant la partie. Comme l'écrivait le 8 décembre dernier Claude Estier dans son bloc-notes dans l'Hebdo des socialistes : « Ce n'est pas un débat institutionnel : il ne s'agit pas de changer notre Constitution ou de rééquilibrer les pouvoirs, même si nous pouvons le souhaiter. Il serait difficile d'engager maintenant un débat institutionnel de fond en période de cohabitation et à quatorze mois d'échéances décisives ».

La seule question concrète à laquelle nous ayons maintenant à répondre est donc la suivante : faut-il inverser les dates des élections législatives et présidentielle ?

Dans sa simplicité, cette question apparaît bien pour ce qu'elle est : une man_uvre. Alors, pour tenter de lui donner quelque noblesse, on veut la parer du voile d'une réflexion de fond et l'on déplace ainsi le problème. « L'esprit des institutions » ne commande-t-il pas de commencer par l'élection présidentielle pour continuer par les élections législatives ? Pour notre part, nous ne le croyons pas. Nos institutions ont, depuis 1962, un caractère mixte, à la fois présidentiel, avec l'élection du président au suffrage universel direct et les pouvoirs constitutionnels étendus que lui confère la Constitution, et parlementaire, le Premier ministre étant chef de la majorité parlementaire et l'Assemblée nationale ayant le pouvoir de renverser le Gouvernement.

C'est la spécificité et sans doute la force des institutions de la Ve République. Tel fut en tout cas longtemps l'avis de la majorité des constitutionnalistes.

Comme le rappelait avant-hier Edouard Balladur, il y a eu depuis 1962 six élections présidentielles au suffrage universel direct et l'élection présidentielle n'a immédiatement précédé les élections législatives que dans deux cas. Encore était-ce à l'initiative de M. Mitterrand, qui n'est sans doute pas le meilleur exégète de notre Constitution.

En réalité, la question n'est pas de savoir s'il faut respecter l'esprit des institutions mais s'il faut en changer, et passer de la Ve à la VIe République. C'est une question légitime sur laquelle chacun peut avoir son point de vue. Nous pensons pour notre part que nos institutions sont bonnes et qu'elles ont fait la preuve de leur capacité d'adaptation. Leur défaut majeur est de nous exposer au risque de la cohabitation entre les deux têtes de l'exécutif, qui n'est pas une bonne chose même si elle est apparemment populaire -apparemment car, dans leur bon sens, jamais les Français n'ont voté, à quelques semaines d'intervalle, dans des directions différentes.

Nous avons donc tenté d'éviter la cohabitation, par le quinquennat, dont ce n'est d'ailleurs pas la principale raison d'être puisqu'il s'agit avant tout de s'adapter au monde moderne, mais qui, sans être une garantie absolue, sera sans doute un garde-fou efficace.

Nous pensons en effet qu'à quelques semaines de distance, les Français voteront dans le même sens, quel que soit l'ordre des élections, puisqu'il s'agira, dans un court laps de temps, de la même échéance électorale.

Si l'on commence par l'élection présidentielle, l'impact du résultat sur la consultation suivante sera fort, et si l'on commence par les élections législatives, les candidats seront naturellement conduits à prendre position en faveur de tel ou tel candidat à l'élection présidentielle. J'ai lu hier dans Le Monde sous la plume de Valéry Giscard d'Estaing que les députés seraient dans ce cas interrogés moins sur leur programme que sur leur soutien à un candidat à la présidence et qu'il serait paradoxal de demander aux Français de se prononcer d'abord sur un programme législatif, avant de choisir un Président, lequel se contenterait alors de mettre en _uvre le programme des partis. Comprenne qui pourra !

Quinquennat garde-fou, disais-je, et non garantie absolue, contre la cohabitation. Si l'on veut une garantie absolue, il faut changer de Constitution... ce qui, bien sûr, peut se concevoir. Il faut alors soit ramener le président au rôle qui était le sien sous la IVe République, et revenir à un régime purement parlementaire, soit instituer un vrai régime présidentiel en supprimant le poste de Premier ministre, le droit de dissolution et la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale.

Les partisans de ce saut vers la présidentialisation sont de plus en plus nombreux, mais beaucoup d'entre nous continuent à s'interroger. Nous pensons qu'un basculement vers un régime « à l'américaine », qui au demeurant a cessé ces derniers temps d'apparaître comme un modèle, s'avérerait dangereux : que se passerait-il en cas de blocage entre le Président et l'Assemblée ? Avons-nous dans notre tradition les soupapes de sécurité nécessaires pour gérer ce type de situations ? Je n'en suis pas sûr. En toute hypothèse, cette réforme serait si profonde qu'on ne peut la faire à la sauvette. Elle mérite, à l'instar de la méthode adoptée pour réformer l'ordonnance organique de 1959 sur les lois de finances, un large débat, et certainement une consultation populaire. Il ne s'agit évidemment pas de cela aujourd'hui, mais de l'inversion du calendrier, qui apparaît clairement comme une man_uvre de circonstance ou de convenance, et rien de plus.

Le 19 octobre 2000, vous déclariez, Monsieur le Premier ministre : « Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne. Moi, j'en resterai là (au calendrier prévu) et il faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent être prises ».

Où est ce consensus ? L'opposition est majoritairement hostile, et votre majorité divisée.

Où est donc la motivation ? Pour la comprendre, il faut lire l'article d'Eric Perraudeau dans la revue socialiste de novembre 2000. Il y rappelle que la défaite de la droite en juin 1997 ne s'est jouée qu'à un très petit nombre de voix : il aurait suffi, pour que le résultat final soit inversé, qu'à l'échelle nationale moins de 1 % des électeurs modifient leur comportement et si, d'après lui, à propos des triangulaires, le calcul de la droite se révèle faux et empreint d'une certaine mauvaise foi, il note qu'une dizaine de circonscriptions auraient pu passer à droite sans le maintien du Front national au deuxième tour. Quant à l'évolution du rapport de forces politiques depuis 1997, la Revue socialiste la résume en une formule implacable : « Une progression électorale de la gauche en trompe-l'_il ! »

Cette argumentation a dû faire « tilt » dans l'esprit des stratèges du parti socialiste, d'où leur volte-face devant le risque estimé élevé d'une défaite aux élections législatives suivie de la mise sur la touche du champion de la gauche à l'élection présidentielle, et la parade : changeons de calendrier !

L'opposition ne s'associera pas à cette man_uvre, destinée à conforter la position du candidat socialiste à l'élection présidentielle, et nous espérons de tout c_ur que les soutiens dont le parti socialiste a besoin pour mener à terme l'opération ne viendront pas de nos bancs.

En toute hypothèse, nous avons confiance. A en croire le journal, vous auriez dit qu'il y a peut-être une man_uvre, mais qu'elle est belle. Prenez garde toutefois de ne pas vous retrouver dans la position de l'arroseur arrosé... (Sourires) J'ai reconnu que l'expérience m'avait mûri, j'espère qu'il en sera de même pour vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF)

Quant à nous, nous livrerons la bataille présidentielle avec le même enthousiasme, quelle qu'en soit la date. Elle ne se jouera pas sur le terrain politicien où vous voulez nous entraîner, mais sur des questions de fond.

La France a-t-elle tiré le meilleur parti possible de l'embellie économique exceptionnelle que, comme ses voisins européens, elle a connue de 1997 à 2001 ?

A-t-elle fait, pour préparer son avenir, aussi bien que les autres ?

Quel est, surtout, le projet qu'on lui propose : projet européen, pour mieux faire l'Union sans défaire la Nation, projet démocratique, pour moderniser l'Etat, faire revivre les libertés locales, et promouvoir une nouvelle démocratie de proximité, projet économique, pour nourrir une croissance forte, en allégeant nos charges et nos contraintes, projet social, pour développer le dialogue contractuel et mieux partager les savoirs et les pouvoirs, projet environnemental, pour préserver la planète et l'espèce.

A toutes ces questions, je sais que, le moment venu, notre champion apportera des réponses convaincantes, que ce soit avant ou après les élections législatives !

C'est pourquoi nous attendons le scrutin de demain avec désapprobation, mais aussi avec un brin de curiosité et, en tout cas, dans une sérénité à toute épreuve (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et sur quelques bancs du groupe UDF) ;

M. Robert Hue - Le parti communiste a dit, d'emblée, son opposition à l'inversion du calendrier électoral prévu pour 2002.

Plusieurs députés RPR - Très bien !

M. Robert Hue - Je confirme notre hostilité à un tel projet, hostilité qui nous fera voter contre les propositions qui nous sont soumises.

Il y a trois mois à peine, un référendum était organisé, qui visait à réduire à 5 ans la durée du mandat présidentiel. Les promoteurs de ce projet nous expliquaient alors que cette réforme ferait progresser la démocratie. Nous avions, pour notre part, souligné le risque d'accroissement du pouvoir personnel du Président de la République qui s'ensuivrait, et mis l'accent sur le fait qu'il ne s'agissait que d'un premier pas, qui serait immanquablement suivi d'autres : nous y voilà ! Quelques semaines ont suffi pour qu'une démarche nouvelle soit engagée, qui tend à accroître encore le pouvoir présidentiel.

Qu'on le sache : je récuse la prétendue cohérence qui fonderait ce projet, alors qu'il s'agit de faire de l'élection du Président un scrutin hégémonique, celle des députés devenant subalterne. C'est cela qui nous est proposé, alors même que le Parlement devrait voir ses compétences et ses prérogatives accrues (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

Attendez, Messieurs de l'opposition, vous aurez bien d'autres sujets d'applaudissements !

Si un tel projet aboutissait, la démocratie pluraliste, constitutive de l'identité de la France, serait fort compromise. Déjà, la bipolarisation qui caractérise notre politique a pour conséquence de faire de toutes les personnalités politiques autres que les présidentiables des figurants, et l'on veut aggraver cet écrasement du pluralisme ? J'y insiste : c'est une atteinte à la démocratie, et c'est très préoccupant pour l'avenir d'une Assemblée destinée, de ce fait, à devenir davantage encore le simple auxiliaire d'un exécutif doté de tous les pouvoirs. Le fossé entre les citoyens et le pouvoir politique ne pourra que s'élargir, ce qui est plus que fâcheux.

A cet égard, je crains que nos débats d'aujourd'hui ne soient considérés par nos concitoyens que comme des faux-semblants. Ce que veulent les Français, c'est tout autre chose : une réforme profonde, visant à la démocratisation et à la modernisation réelles de nos institutions. Au lieu de quoi, on leur propose des modifications minimes qui auront des conséquences néfastes maximales. Quel exemple de surdité politique ! Pourquoi refuser de tirer les enseignements d'un référendum qui a été l'occasion, pour 7 électeurs sur 10, de s'abstenir ? Je sais que tous les abstentionnistes n'ont pas, par leur geste, répondu à l'appel du parti communiste ; mais tous ont exprimé qu'ils n'étaient pas dupes, et qu'ils avaient d'autres aspirations que cet ersatz de modification constitutionnelle.

En quoi, d'ailleurs, cette inversion serait-elle devenue subitement primordiale, au point de nous appeler à trancher dans la précipitation ? C'est d'autant plus singulier que lorsque les communistes -et d'autres- souhaitent introduire une certaine dose de proportionnelle dans les élections législatives, ou permettre aux résidents étrangers de voter, ces projets sont repoussés au prétexte que l'on ne pourrait changer les règles du jeu d'ici à 2002, pour ce qui apparaîtrait comme des considérations électoralistes... Je saisis cette occasion pour annoncer que nous déposerons, dans les prochains jours, une proposition visant à instaurer la proportionnelle dès 2002.

L'opposition des députés communistes et apparentés aux textes qui nous sont soumis est fondée, aussi, sur la nécessité incontestable d'une profonde démocratisation des institutions de notre pays visant, en premier lieu, au rééquilibrage des pouvoirs au profit du pouvoir législatif.

Chacun le sait : la proposition d'inversion du calendrier électoral de 2002 ne survient pas comme un coup de tonnerre dans un ciel politiquement serein puisqu'une dizaine de modifications de la Constitution ont eu lieu depuis 1992, sans compter la tentative, malheureusement inaboutie de modification du Conseil supérieur de la magistrature. A chaque fois, il s'agissait d'adapter nos institutions à des évolutions politiques importantes. Mais répondre au cas par cas, à dose homéopathique et exclusivement dans le but de contenir les exigences citoyennes d'une autre approche du fonctionnement de la vie politique, c'est prendre la très lourde responsabilité d'aggraver la coupure entre représentants et représentés.

Oui, il y a une crise de la politique et de plus en plus nombreux, nos concitoyens ont le sentiment que la politique ne sert à rien. Ils ont le sentiment d'avoir toujours moins de prise sur toutes les décisions qui intéressent leur vie quotidienne, leur avenir et celui du pays. Voilà qui explique le mécontentement chronique que traduit l'abstention qui progresse régulièrement, tandis que les votants ont tendance à « sortir les sortants ».

Cette crise, réelle, n'est pas pour autant synonyme de désintérêt. Les enquêtes d'opinion consacrées aux attentes des jeunes à l'égard de la politique en témoignent : ils sont extrêmement méfiants à l'égard des politiques, c'est vrai, mais aussi très informés et disponibles à l'engagement au service des autres, dans le mouvement associatif, pour des actions solidaires, humanistes. Ils s'engagent partout où ils ont le sentiment de peser sur le cours des choses. A leurs yeux, la politique n'a pas cette qualité.

Comment répondre de façon convaincante à leurs aspirations et à celles de la très grande majorité des Françaises et des Français ?

On peut -c'est ce qui nous est proposé- s'en tenir à une « astuce » pour régler un problème de fond, ou plutôt pour conditionner les votes en opérant le couplage présidentielle-législatives afin d'en finir -ce qui reste à prouver- avec la cohabitation. C'était l'objectif du « quinquennat sec ». Mais comme rien n'indique qu'il garantira la coïncidence entre majorité présidentielle et majorité parlementaire, on veut aujourd'hui inverser le calendrier pour augmenter les chances qu'il en soit bien ainsi. Plutôt que de transformer les institutions, on veut plier la réalité à des institutions à bien des égards dépassées.

On peut au contraire -c'est la démarche que propose le Parti communiste- travailler à une transformation démocratique de grande ampleur de la vie politique. Le suffrage universel est, certes, une conquête fondamentale de la démocratie. Mais il est besoin d'élargir le champ de l'intervention des citoyens pour leur permettre de participer effectivement à l'élaboration des décisions et à l'évaluation de leur mise en _uvre. Il est donc urgent d'améliorer le fonctionnement de la démocratie représentative. Il faut encourager une authentique diffusion des pouvoirs dans la société ; il faut, en quelque sorte « désétatiser » l'Etat (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) ...et donc entreprendre une décentralisation significative, organisée autour de l'intervention citoyenne dans les affaires publiques. Les lois du début des années quatre-vingt ont permis un début de cheminement vers cet objectif. Le rapport Mauroy affirme des exigences, mais reste bien en-deça des réponses qu'elles appellent, et traduit la crainte persistante de voir les citoyens s'emparer de la chose publique. Il manque donc de souffle et d'ambition.

Une décentralisation effective doit permettre que les décisions soient prises au plus près des besoins à satisfaire, avec le concours le plus direct possible des citoyens concernés.

Il faut, ensuite, que la délégation de compétence à des niveaux territoriaux plus larges s'opère en fonction des impératifs de cohérence, d'efficacité, de solidarité et de progrès social.

A toutes les étapes du pouvoir, il est indispensable d'engager une démocratisation en profondeur des processus de décision, jusqu'au processus législatif.

Certes -et les communistes l'envisagent ainsi à propos de la Corse- la loi est, et doit demeurer, l'expression de la souveraineté et de la solidarité nationales. Dès lors, elle ne peut être votée que par les représentants du peuple tout entier, c'est-à-dire le Parlement. Cela n'empêche pas d'en démocratiser l'élaboration et la mise en _uvre. Aujourd'hui, dans l'intervalle de cinq ans qui sépare deux élections législatives, les députés exercent ces responsabilités.

Je ne propose pas de les en priver, tout au contraire : ils doivent pouvoir les exercer plus pleinement, ce qui suppose un rapport constant avec ceux qui les ont mandatés. Pourquoi les citoyens ne pourraient-ils prendre des initiatives particulières, que la représentation nationale aurait l'obligation d'examiner ? On pourrait par exemple instituer le principe de la proposition de loi d'initiative populaire ou faire place à l'Assemblée nationale à des propositions de terrain exprimées au niveau des collectivités à partir des problèmes concrets auxquels les citoyens sont confrontés. Je suis persuadé que déployer ces possibilités nouvelles ne conduirait ni à embouteiller notre Assemblée, ni à diminuer ses prérogatives. Il en résulterait au contraire un rééquilibrage sensible de nos institutions, au profit d'une citoyenneté plus responsable.

On l'aura compris, le parti communiste attache une très grande importance, pour ressourcer la démocratie représentative, au développement de la démocratie participative. Nous sommes également tout particulièrement soucieux de l'élaboration d'un véritable statut de l'élu. Tant que nous en serons privés, il n'y aura pas d'égalité en politique. Des dizaines de milliers de femmes et d'hommes, de jeunes seront objectivement dans l'impossibilité de s'y engager, alors même qu'ils en auront le désir et les compétences. Oui, le statut de l'élu est une nécessité impérative pour démocratiser la pratique de la politique et pour contribuer à son nécessaire renouvellement. Cela exige d'agir pour mettre un coup d'arrêt à la marchandisation de la politique et cela relève bien de la responsabilité publique. Cela demande aussi de consentir des efforts matériels, de se doter, dans la transparence la plus totale et le contrôle le plus strict, des moyens nouveaux qu'exige la démocratie politique.

Au-delà des élus, il y a également à donner un statut mieux établi aux associations et à celles et ceux qui les animent. Nous vivons à cet égard sous le régime de la loi de 1901 qui a contribué à une spécificité française dont il y a lieu de se réjouir. Mais un siècle plus tard, il n'est que temps d'en évaluer les effets. Je le répète, les associations sont nombreuses et actives et elles participent à stimuler l'exercice de la citoyenneté. Pas autant cependant, et loin s'en faut, qu'elles pourraient le faire. Tout simplement parce qu'elles sont davantage tolérées que réellement associées à la vie publique et qu'il en sera ainsi tant qu'elles ne disposeront pas de moyens suffisants pour se dégager de la dépendance de ceux qui les financent.

Il est un second domaine dans lequel notre démocratie souffre de graves carences, sans que le débat public s'en saisisse. Je veux parler des rapports entre politique et économie. Ainsi, en septembre 1999, l'entreprise Michelin annonçait plusieurs milliers de licenciements, en même temps qu'elle affichait des résultats financiers florissants. Ce décalage s'est mué en traumatisme quand les politiques ont avoué leur impuissance face à une telle situation. Ainsi, il faudrait se résoudre à accepter avec fatalisme, les conséquences d'un événement aussi manifestement contraire à l'intérêt public.

Incontestablement, ce discours est marqué de la vague libérale (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) qui a déferlé sur notre pays. Les privatisations, la déréglementation, la remise en cause des services publics : tout cela a enraciné l'idée de l'incapacité de l'Etat à peser sur les choix des entreprises, alors que certaines se livrent à un véritable jeu de massacre contre l'emploi.

J'affirme qu'il faut, à l'inverse de la gravissime « refondation sociale » préconisée par le MEDEF, reconquérir des outils d'intervention économique, au profit de l'intérêt général.

Il ne s'agit pas d'étatiser la vie économique mais de donner une impulsion nouvelle à la démocratie. Ce qui est moderne et efficace, ce n'est pas d'amoindrir la propriété publique, c'est de la transformer en permettant aux usagers et aux salariés de participer à la définition de ses objectifs, à sa gestion et au contrôle de l'efficacité de ses choix.

Je n'oublie pas, en évoquant ces questions, le pouvoir et les responsabilités sociales considérables que confère la propriété du capital. On ne peut accepter la succession des plans sociaux, des licenciements, qui s'imposent parfois avec une brutalité inouïe et sans autre justification que d'accroître les profits ; on ne peut tolérer que les salariés, leurs emplois, leurs salaires soient traités en simples « variables d'ajustement ».

En 1997, la gauche avait pris des engagements, pour favoriser une intervention nouvelle des salariés et de leurs organisations dans la gestion des entreprises. En novembre dernier, le Parti communiste a demandé que ces engagements soient tenus, et il a avancé plusieurs propositions. Nous sommes ainsi partisans de conférer aux comités d'entreprises un pouvoirs suspensif des décisions patronales, lorsque celles-ci sont gravement préjudiciables à l'emploi.

Cette proposition n'a rien à voir avec je ne sais quelle soviétisation des entreprises (Murmures sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Elle permettrait simplement aux salariés et aux citoyens de mettre un pied dans la gestion. Et il ne s'agit pas de dresser dogmatiquement l'Etat contre le marché mais de les démocratiser tous les deux !

Du reste, comment ignorer la dimension planétaire qu'ont pris tous les problèmes auxquels nos sociétés sont confrontées ? Ce que l'on a coutume d'appeler la mondialisation est le résultat des rapports nouveaux entre les peuples qu'entraînent les prodigieux bouleversements liés à la révolution des systèmes d'information.

Mais ce mouvement est largement confisqué par les marchés financiers qui cherchent en permanence à affaiblir le pouvoir des nations, et celui des constructions qui, telles l'Europe ou une organisation différente de l'OMC, pourraient permettre de renforcer les pouvoirs des citoyens, au service du progrès social, de la démocratie, du partage des connaissances. A l'inverse, leurs efforts s'accomplissent sur une base ultralibérale, régressive du point de vue social. C'est ainsi qu'aujourd'hui, 80 % des normes sont décidées à Bruxelles sans que les citoyens en soient aucunement saisi et l'essentiel de ce qui s'élabore procède d'une démarche à laquelle ne participent que les pouvoirs exécutifs sur lesquels s'exercent de surcroît les contraintes imposées par les dogmes du libéralisme.

C'est la raison pour laquelle les communistes plaident pour une profonde démocratisation des institutions européennes, et en particulier du Parlement. Nous souhaitons de même que les négociations qui engagent notre pays soient menées à partir d'un mandat clair, donné par les parlementaires français. Encore faut-il que ceux-ci soient véritablement consultés pour en définir le contenu ! Et ce qui vaut a priori pour le mandat vaut également a posteriori, pour évaluer les accords conclu.

Monsieur le Premier ministre, les députés communistes et apparentés vont voter contre les propositions de lois organiques soumises cet après-midi à la Représentation nationale, qui visent à inverser l'ordre des consultations électorales de l'année 2002.

Outre les raisons que j'ai déjà évoquées, j'ajoute celle-ci : il n'est pas bon, dans la situation de crise de confiance à l'égard de la politique que nous traversons, de vouloir faire jouer à l'Assemblée nationale un rôle médiocre, au service de ce qui apparaît avec raison comme une mesure de circonstance.

En revanche, il est urgent d'ouvrir le très vaste chantier de la modernisation et de la démocratisation de nos institutions. Pour la deuxième fois en trois mois, les attentes de nos concitoyens vont être déçues, si une majorité d'entre nous adopte l'inversion du calendrier. Je le dis avec solennité : il est temps que notre Assemblée se ressaisisse. Les communistes s'efforceront de contribuer, de toutes leurs forces, à ce qu'il en soit ainsi : dans cette enceinte, bien sûr, et dans tout le pays, avec l'ensemble des citoyennes et des citoyens, tant il est vrai que rien ne s'accomplira sans eux ni à plus forte raison contre eux (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Valéry Giscard d'Estaing - Même si, comme c'est probable, y compris dans mon propre groupe, nous sommes appelés à émettre des votes différents sur les propositions de loi organique qui nous sont présentées, rien ne nous empêche ce matin de réfléchir ensemble à l'avenir de nos institutions. Rien ne nous empêche, et tout nous y invite. D'abord, c'est le rôle du Parlement. Chacun répète à l'envi qu'il faut restaurer les droits du Parlement. Le meilleur moyen d'y parvenir est d'en faire l'enceinte normale des grands débats politiques de notre pays, et le premier lieu de réflexion sur les enjeux de son avenir.

C'est le cas aujourd'hui, puisqu'avant de débattre cet après-midi des propositions de loi sur la date des élections législatives -débat qui prendra en compte les aspects tactiques et les enjeux politiques- nous avons ce matin un débat sur l'avenir de nos institutions. J'aurais souhaité que ces deux discussions fussent plus éloignées, pour nous laisser le temps de respirer, c'est-à-dire de réfléchir. Mais ne chipotons pas. L'essentiel est que ce débat général ait lieu.

Il intervient dans une circonstance singulière : les hasards du calendrier politique inscrivent, pour la première fois dans l'histoire de la Vème République, les élections législatives juste avant l'élection présidentielle. Cette configuration du hasard pose le problème des relations entre ces deux élections, et, indirectement, la question du rôle du Président de la République dans la conduite de la vie publique de notre pays.

C'est pourquoi mon intervention portera sur trois points : la nature exacte de la situation où nous sommes placés ; la signification de l'élection présidentielle dans la Vème République ; enfin, la relation entre les campagnes présidentielle et législative.

La situation devant laquelle nous sommes placés est celle d'une élection législative précédant immédiatement l'élection présidentielle, les deux campagnes se succédant sans discontinuité. Cette situation est sans précédent : certains ont voulu en trouver un en 1973-1974 mais c'est seulement le décès du président Pompidou, en avril 1974, qui a avancé la date de l'élection présidentielle, normalement fixée à 1976. Encore les deux scrutins sont-ils restés distants de plus d'un an et, surtout, il s'agissait d'une coïncidence fortuite, ne devant rien à la volonté du constituant ou du législateur.

Soulignons d'abord un fait qui n'a pas été indiqué clairement à l'opinion : la date de l'élection présidentielle n'est nullement en cause ici, elle restera celle que fixe la Constitution et toute manipulation est donc exclue à cet égard, contrairement à ce que pourrait accréditer l'expression malheureuse d' « inversion » des dates, qui donnerait à penser qu'on jonglerait avec les deux élections comme avec des boules de billard (Rires). Il m'était bien venu à l'esprit une autre image, mais je ne dirai pas laquelle ! (Nouveaux rires)

Notons ensuite que ces élections mettront fin à la plus longue cohabitation de toute la Vème République -cinq ans ! Or les deux précédentes, celles de 1986 et de 1993, ont été dénouées par une élection présidentielle et il semble donc qu'il revienne à celle-ci de mettre un terme à ces situations.

Relevons enfin qu'on n'a pas attendu le dernier moment pour soulever le problème : certains, dont le président de l'UDF, l'ont fait dès le printemps ; j'ai consacré moi-même à la question un développement dans mon dernier essai politique, remis à l'éditeur en juillet dernier (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR).

M. Jean-Louis Debré - Quel éditeur ?

M. Valéry Giscard d'Estaing - Rien ne vous empêche de lire cet essai, Monsieur Debré !

Deux anciens Premiers ministres, MM. Barre et Rocard, ont ensuite posé publiquement la question à l'automne.

Quelle est-elle ? Celle de savoir si les élections législatives doivent avoir lieu juste avant ou juste après l'élection présidentielle. Et, jeudi, le Président Chirac a reconnu à son tour qu'elle se posait et qu'on pouvait très bien défendre la thèse selon laquelle l'élection présidentielle devait précéder les élections législatives.

C'est précisément la thèse que je défends (Rires sur les bancs du groupe du RPR) et je vais vous en exposer les raisons (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UDF).

Quel est, d'abord, le sens de l'élection présidentielle ? Il tient à la fois à la place du Président de la République dans nos institutions, et à la portée que l'opinion donne à son élection.

Le rôle du Président est prééminent, au sens étymologique du terme : cela ne signifie pas que son pouvoir soit absolu, ou illimité, mais qu'il l'exerce au-dessus des autres pouvoirs, à l'exception du pouvoir judiciaire, et dans les limites tracées par les lois.

Cette prééminence vient de ce qu'il doit, dans son action, prendre en compte la durée et assumer la globalité des intérêts de notre pays.

Dans sa célèbre allocution du 20 septembre 1962, le général de Gaulle déclarait : « Le Président inspire, oriente, anime l'action nationale. Il est la clé de voûte de notre régime » -le Président ne peut donc pas être rendu dépendant d'un autre pouvoir et c'est bien le sens que l'opinion donne à son élection : cette dernière est un moment de vérité collectif pour le pays, qui se prononce sur les grandes orientations de la vie nationale.

Si la campagne présidentielle sert donc à fixer les grands objectifs, la campagne législative sert plutôt à déterminer les modalités de l'action (Exclamations sur divers bancs). Je sais que ce n'est pas la thèse de tous, ce qui explique la position de certains dans le débat !

Au cours de mon mandat présidentiel, les principales initiatives constitutionnelles que j'ai prises visaient à affirmer le rôle du Parlement -instauration des questions d'actualité, saisine du Conseil constitutionnel par les membres du Parlement- mais restaient compatibles avec la prééminence que j'évoquais à l'instant. Que se passera-t-il si la campagne des législatives précède de quelques semaines la campagne présidentielle ? Elle sera conduite sur un programme élaboré par les partis politiques ; le parti des gagnants élira le Président de l'Assemblée nationale, et sera appelé par le Président de la République à former un gouvernement de deux mois qui reprendra à son compte le programme approuvé par ses électeurs. C'est alors que s'ouvrira la campagne présidentielle.

Quel pourrait être son contenu ? Le candidat du parti gagnant annoncera qu'il appliquera, à quelques variations près, le programme de la majorité. Celui du parti perdant s'efforcera, lui, d'élaborer un programme différent de celui qu'avait défendu son camp, et il sera acculé à annoncer que, s'il l'emporte, il devra dissoudre l'Assemblée pour être en mesure de tenir ses engagements.

Que deviendront alors les grands débats entre les candidats, les tête-à-tête télévisés, qui permettent aux électeurs de se former un jugement. Que restera-t-il comme marge de proposition puisque les électeurs auront déjà largement tranché ? L'un se contentera de répéter qu'il veillera à l'application du programme élaboré par les partis de sa majorité, l'autre que les Français se sont trompés -ou plutôt qu'ils ont été trompés !- et qu'il faut qu'ils reviennent sur le choix effectué au moment des élections législatives. Qui ne mesure la confusion qui en résulterait, et l'abaissement concomitant du Président de la République, dont le rôle se réduirait à ratifier ou bien à contester des orientations élaborées par des formations politiques ?

Ceci ne me paraît conforme, ni à la signification que le Général de Gaulle a voulu donner à l'élection présidentielle et qui m'a valu de me séparer, pour le soutenir, de la formation politique à laquelle j'appartenais, ni à la lecture de la « Lettre à tous les Français » où François Mitterrand en mars 1988, définissait en dehors de toute référence aux partis, ses objectifs.

Prenons l'autre hypothèse : celle d'élections législatives suivant l'élection présidentielle.

Les Français ont élu leur Président. Ils ont donné la préférence à son projet pour la France, et aussi, dans une autre mesure, confirmé sa stature présidentielle. Il reste à mettre en _uvre cette politique. Le vote aux élections législatives va permettre d'en graduer les moyens : massif, il facilitera une action rapide ; plus réservé, il tracera des limites, de prudence ou de crainte. Chacune des deux campagnes aura ainsi joué son rôle. La campagne présidentielle en permettant aux Français d'exprimer leurs préférences sur les matières économiques et sociales, sur le rôle de la France en Europe, sur les interventions extérieures, sur le maintien de l'identité française, et, éventuellement, sur l'évolution prudente de nos institutions. La, ou plutôt les campagnes législatives, en donnant la mesure exacte du soutien donné aux projets du Président élu, ce qui conduira le nouveau Gouvernement à en adapter les modalités et le rythme.

Il nous faut maintenant prendre en considération un élément nouveau : l'adoption du quinquennat présidentiel, en faveur duquel vous vous êtes prononcés le 20 juin, par 466 voix contre 28. Désormais la durée de la mandature présidentielle et celle de la législature parlementaire seront identiques. Cette identité va faire sentir graduellement ses effets, les électeurs se prononçant lors des élections législatives en tenant compte du résultat de l'élection présidentielle. Celle-ci doit donc intervenir en premier, lorsque les deux sont proches dans le temps.

Le Président Chirac a souhaité un débat d'ensemble sur l'avenir de nos institutions. Ce débat est en effet utile, voire indispensable, car ce qui sera en question cet après-midi n'est rien de plus -ni de moins- que la rectification d'une anomalie de calendrier. La Vème République a donné à la France de bonnes institutions. La primauté du Président de la République, la responsabilité du Premier ministre devant le Parlement, l'affirmation du pouvoir législatif, le droit de dissolution, constituent un ensemble original et cohérent, adapté à la psychologie et au comportement des Français. Cet ensemble, comme toute construction humaine, a besoin d'être adapté, complété, et éventuellement corrigé.

Adapté : vous venez de le faire pour le quinquennat.

Complété : il est exact que le débat d'aujourd'hui n'épuise pas le sujet des élections. Celles-ci doivent-elles rester rapprochées ? Peut-on même envisager de les fixer à la même date ? Les conséquences de la disparition d'un Président de la République en cours de quinquennat n'ont pas été étudiées...

Eventuellement corrigé : je vise ici l'affirmation nécessaire du rôle législatif du Parlement, et de son pouvoir de contrôle de l'action du Gouvernement. Question difficile, car il existe toujours des nostalgiques du régime d'assemblée, qui a fait s'écrouler la IVème République. Mais avec le temps, le châtiment que la Vème République a infligé au Parlement pourrait être atténué.

Ma dernière réflexion portera sur la méthode. Si nous voulons améliorer nos institutions, procédons par touches successives et gardons-nous à la foi des choix de la table rase, ou, si l'on préfère, du « tout ou rien », car à défaut de faire le tout, on se contente de ne rien faire, et de la coupure trop profonde de la France en deux, qui rend difficile tout dialogue.

Dans le pays de l'impressionnisme, agissons par touches successives.

Un député RPR - Le pays des Fauves, aussi !

M. Valéry Giscard d'Estaing - Nous avons décidé le quinquennat. Rétablissons maintenant l'ordre normal des élections de 2002. D'autres viendront, après nous, compléter le tableau.

L'objet de ce débat n'est pas de persuader mais de réfléchir ensemble. Mon intention était d'essayer de vous faire partager mon expérience, aux différents niveaux des institutions de la Vème République (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, sur de nombreux bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe RCV).

M. Jean-Pierre Chevènement - J'aimerais aborder ce débat sur les institutions d'un point de vue plus général, celui de la crise du politique et de la démocratie.

Ce qu'il est convenu d'appeler les « affaires » ne suffit pas à expliquer le désintérêt pour la chose publique, la montée de l'abstention, notamment dans les couches populaires, et l'émergence d'une démocratie censitaire de fait.

Le citoyen se sent mis à l'écart. Il a le sentiment d'une scène politique devenue théâtre d'ombres, parce que les hommes politiques ont abandonné la plupart des leviers de commande : pouvoir monétaire confié à une Banque centrale européenne indépendante ; politique budgétaire contrainte par des critères de convergence rigides : politique des impôts soumise à la concurrence du moins disant fiscal ; politique industrielle jetée bas par l'article 3 du traité de Maastricht qui proscrit toute mesure pouvant porter atteinte au sacro-saint principe de la liberté de concurrence ; politique commerciale extérieure presque entièrement confiée à la Commission européenne ; prolifération des directives et du droit dérivé européen ; multiplication des autorités administratives indépendantes ; judiciarisation de la vie publique et des rapports sociaux ; primauté croissante du contrat sur la loi ; mise hors jeu du Parlement, en cas d'intervention extérieure. La liste des abandons est longue et chacun d'eux a été délibéré et consenti.

Que reste-t-il de l'article 3 de notre Constitution ? : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation ». Et de son article 6 ? « La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous ». Les tenants du droit sans Etat, fondé sur le contrat et la jurisprudence, triomphent, laissant le champ libre aux marchés et à la loi du plus fort. Faut-il évoquer, pour parfaire la description du déclin de la loi sous notre République, le pouvoir d'adaptation législative qui serait confié à une assemblée territoriale ?

Pour comprendre la crise du politique, il faut en tout cas évoquer la substitution d'une démocratie d'opinion à la démocratie citoyenne. Dans l'univers de la communication, on ne parle plus de grand dessein ni de choix de société. Une bulle médiatique chasse l'autre, comme nuages dans le ciel, et tout l'art de gouverner dans les démocraties dites « avancées » semble bien souvent se résumer à l'art du démineur. Un ancien Premier ministre a cru jadis pouvoir théoriser une pratique moderne de la démocratie en affirmant sans rire qu'aucun gouvernement n'était fondé à aller dans un autre sens que celui de l'opinion, telle que la mesure les sondages. La « sondagite » sacrifie le long terme. Cette première maladie des gouvernements modernes se double d'une autre : la « bougite ». Ils se croient obligés de bouger en permanence, pour répondre à la demande insatiable de médias, toujours assoiffés de nouvelles, et pour échapper à l'accusation d'immobilisme.

La contestation elle-même ne porte plus de projets. Elle participe en profondeur de ce qu'elle prétend refuser : un monde qui a renoncé à se gouverner lui-même, au profit d'un ajustement permanent entre les actions des uns et les réactions des autres, ce qu'en termes modernes on appelle « régulation ». Tout se passe comme si celle-ci tendait à remplacer la République, c'est-à-dire la capacité à se gouverner soi-même, selon les exigences d'un intérêt général librement débattu. L'élection n'a plus qu'une lointaine fonction de légitimation.

Sommes-nous donc condamnés à une démocratie d'apparences, les décisions réelles, celles qui engagent le long terme, échappant de plus en plus aux gouvernants ? Le philosophe britannique Eric Hobshawn a comparé les gouvernements modernes à des poulpes cachés derrière un nuage d'encre pour donner le change aux électeurs. La cohabitation contribue encore plus à anesthésier le débat. Or il n'y a pas de démocratie sans débat d'idées, sans confrontation de projets. Pour redonner aux citoyens le goût de la politique, il faut les faire juges directement des grandes questions qui intéressent leur avenir. On ne vaincra pas le consumérisme civique en exhortant les citoyens à prendre dix minutes de leur temps pour aller voter, mais en repolitisant le débat public. Il faut que le dépositaire de ce bien inaliénable qu'est la souveraineté soit mis en mesure de l'exercer.

Pour cela, il faut remettre le citoyen au c_ur des institutions et lui redonner la capacité d'influer sur le cours des choses. Cela suppose de rendre son efficacité au suffrage universel et de refaire de l'élection du Président de la République une élection directrice.

Depuis 1965, le Président n'est plus un arbitre. Il faut donc renoncer à l'illusion d'un retour durable au régime parlementaire ainsi qu'à la pérennisation de la cohabitation qui, en institutionnalisant la rivalité des deux têtes de l'exécutif, conduit bien souvent à ce que les affaires de l'Etat soient traitées non pas en elles-mêmes mais à travers le prisme de cette rivalité.

C'est cette responsabilité devant le suffrage universel de celui qui a vocation à tracer les grandes orientations de la police nationale qui est l'apport déterminant de la Vème République à la démocratie. Comment ceux qui se réclament de l'héritage du Général de Gaulle pourraient-ils ne pas reconnaître cette évidence ?

L'élection présidentielle est le moment structurant de notre vie politique parce qu'elle oblige les coalitions à se former devant le suffrage universel. Elle invite les candidats à formuler un programme sur lequel ils seront jugés. Elle permet à la souveraineté populaire de s'exprimer directement tout comme le référendum -qui pourrait aussi être d'initiative populaire, dès lors que serait requise une majorité d'électeurs inscrits. Il faut remettre la souveraineté populaire au c_ur de nos institutions.

Mais pour cela, il faut sortir de la cohabitation. L'instauration du quinquennat a répondu à ce souci de réduire les risques de la cohabitation. Pour donner sens à cette réforme, il convient maintenant de replacer l'élection présidentielle devant les législatives. Il faut en effet permettre au suffrage universel d'exprimer des choix clairs, de déterminer qui gouverne, qui légifère et contrôle, et qui s'oppose. C'est cela une République moderne et vivante.

Quand les présidentielles précèdent immédiatement les législatives, ces dernières tendent à confirmer le choix initial.

Y a-t-il risque alors -je me tourne pour poser cette question vers le groupe communiste- que les petits partis soient laminés par cette logique majoritaire ? Il me semble au contraire que les différents partis peuvent profiter du premier tour de la présidentielle pour affirmer leur influence et défendre ainsi leur représentativité aux législatives suivantes. Comme l'a écrit le doyen Vedel : « le premier tour des présidentielles donne une chance exceptionnelle aux petits partis d'exister, de percer et de se renforcer, infiniment plus que des législatives éclatées et soumises aux pesanteurs locales. Le premier tour présidentiel s'apparente ainsi à un scrutin proportionnel. Chacun y vote pour celui qui est le plus proche de ses préférences, sans trop se soucier d'utilité. »

Placer la présidentielle avant les législatives conforte certes la cohérence majoritaire mais n'empêche pas le pluralisme. Ce qui entrave bien davantage ce dernier, c'est le carcan majoritaire qui fait d'emblée les députés prisonniers du soutien du gouvernement .

Pour relever le Parlement, il faudra en réalité aller progressivement vers un régime plus présidentiel. D'ores et déjà, la réforme en cours de l'ordonnance de 1959, relative aux lois de finances est de nature à rééquilibrer nos institutions. Il faudrait aussi créer une commission des affaires européennes capable de contenir et de contrôler l'inflation du « droit européen dérivé ». Une modification de l'article 55 de la Constitution devrait par ailleurs être envisagée afin de limiter la supériorité des traités sur les lois aux seules lois votées avant la ratification desdits traités.

Au-delà de ces corrections, il faudra aller progressivement vers un régime plus présidentiel. Cela se fera puisqu'avec le quinquennat et la logique majoritaire qu'il induit, le Gouvernement sera de facto responsable devant le Président de la République. Il conviendra donc d'organiser progressivement la désuétude de la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale. En contrepartie, la dissolution devrait impliquer la remise en jeu simultanée du mandat des députés et du mandat du Président. Ainsi seraient évités les risques de blocage souvent allégués pour écarter le régime présidentiel tel qu'il fonctionne aux Etats-Unis. Il y aurait une soupape de sûreté. C'est dans une logique voisine que s'inscrivait l'amendement déposé par Georges Sarre lors du débat sur le quinquennat, qui aurait obligé le Président de la République à démissionner s'il était explicitement désavoué par l'Assemblée élue après une dissolution. Ainsi le Gouvernement ne dépendrait plus de l'Assemblée mais du Président. L'Assemblée ne craindrait plus la dissolution qui n'interviendrait qu'en cas de conflit majeur entre elle et le Président. Conflit que le peuple trancherait. Le Parlement pourrait alors mieux exercer ses pouvoirs d'initiative et de contrôle. Dans ce cadre, on pourrait instiller une dose de proportionnelle dans le scrutin législatif.

C'est donc par une méthode de glissements successifs que nous pourrions trouver un meilleur équilibre entre un Gouvernement qui gouverne et un Parlement qui débatte, légifère et contrôle, tandis qu'en dernier ressort il reviendrait aux citoyens de trancher.

La modification de l'ordre des échéances électorales n'est pas plus un ajustement que ne l'était l'instauration du quinquennat. C'est un deuxième pas dans la bonne direction : celle d'une démocratie rendue aux citoyens et à la volonté du peuple.

Naturellement, les députés du MDC voteront cette modification, sans dissimuler qu'elle ne fera que rendre plus urgente une révision constitutionnelle encadrant les conditions d'exercice du droit de dissolution. Nous attendons à ce sujet, Monsieur le Premier ministre, l'exposé de vos vues sur la place à donner au Parlement dans nos institutions.

Nous ne dissimulerons pas davantage que le renouveau de la démocratie dans notre pays dépasse largement les problématiques institutionnelles : il implique que les hommes politiques affirment des projets à long terme, proposent de véritables alternatives et non de simples alternances, s'attachent à reprendre en mains les leviers de commande, bref, relèvent l'Etat républicain.

Tel est le projet de notre mouvement. C'est dans cet esprit que nous nous prononcerons pour une élection présidentielle intervenant avant les élections législatives. Non par intérêt de boutique, mais parce que cela nous paraît conforme à l'intérêt public (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe socialiste)

M. le Président - Je rappelle aux orateurs l'existence d'une barrette lumineuse à la tribune : lorsqu'elle clignote, cela signifie que le temps de parole est dépassé.

M. Alain Madelin - « Je suis pour l'inversion du calendrier parce que je veux que Jospin gagne les présidentielles. Tout ce qui affaiblit la droite est bon. Donc il faut inverser le calendrier. C'est l'intérêt de Lionel Jospin. Il faut être franc en politique ». Ces propos, on s'en sera douté, ne sont pas les miens. Ce sont ceux de Daniel Cohn Bendit, dans un moment de franchise, il y a quelques jours à la télévision.

D'ailleurs, votre ministre de l'équipement, Jean-Claude Gayssot, s'il se refuse à parler de magouille -solidarité gouvernementale oblige- ne dit pas autre chose lorsqu'il reconnaît qu'il peut y voir une « man_uvre ». Il est vrai que cette modification du calendrier électoral qui nous vaut ce débat a toutes les apparences d'une manipulation électorale.

En octobre dernier, Monsieur le Premier ministre, vous affirmiez devoir conduire vote mission jusqu'aux élections législatives, pour ne parler des élections présidentielles qu'après.

Un mois plus tard, voici que vous proposez de repousser les élections législatives. Vous étiez contre. Vous voici pour. Un changement si rapide qu'il laissa le site Internet de votre parti afficher encore quelque temps la position officielle qui était jusqu'alors la vôtre : « Pas question pour nous de demander une modification que nos concitoyens pourraient considérer comme une modification de circonstance ou de convenance » (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe du RPR).

Convenance, vous avez dit convenance ? Comment expliquer un tel revirement ? Par un souci de clarté, dites-vous. Pourtant on murmure, on dit, on écrit que cette modification du calendrier serait votre riposte à la demande de retrait -d'ailleurs justifiée- des farines animales que vous a faite le Président de la République et dont la forme publique vous aurait profondément déplu. Je n'ose y croire : ce serai si petit... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

On explique, on raconte qu'il s'agit là d'un coup monté, dans les couloirs de Strasbourg, avec la participation, bienveillante pour les uns, involontaires pour les autres, d'une petite fraction de l'opposition. Je n'ose pas davantage l'imaginer : ce serait si trouble, au moment où vous parlez de clarté.

Je ne saurais d'ailleurs mettre en cause les convictions des uns et des autres, lorsqu'elles sont réfléchies et sincères.

Mais dans votre cas, Monsieur le Premier ministre, je crains de pouvoir affirmer que cette modification du calendrier électoral n'est pas l'affirmation d'une grande conviction, mais le résultat d'un petit calcul d'intérêt (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe du RPR).

Oui, votre intérêt, comme l'a dit crûment Daniel Cohn Bendit, qui à l'instar du patriarche de Constantinople au IVe siècle, joue au sein de votre majorité plurielle le rôle de saint Jean Bouche d'Or (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Je veux bien convenir, Monsieur le Premier ministre, que le hasard et les circonstances nous ont fabriqué pour le printemps 2002 un curieux calendrier électoral. J'avais moi-même, il y a déjà quelque temps, parlé du bogue des élections de 2002.

Mais nous avons une tradition républicaine, une vertu républicaine, qui veulent qu'on mette le calendrier politique et la loi à l'abri des manipulations de circonstance.

Et les questions posées par ce calendrier, renforcées par l'adoption du quinquennat, ne sauraient trouver leur solution dans une prolongation de quelques semaines du mandat de notre Assemblée.

Nous avons dit « oui » au quinquennat. Notre « oui » n'était pas un point d'arrivée, mais un point de départ. Pas un « oui » sec, ou un « oui » point final, mais un « oui » pour aller plus loin, un « oui » pour ouvrir le chemin à d'autres réformes institutionnelles. Nous étions en effet convaincus que poser la question de la durée du mandat présidentiel nous amènerait inéluctablement à poser la question de la nature du pouvoir présidentiel, et de la nécessité de redistribuer et rééquilibrer les pouvoirs trop concentrés au sommet de l'Etat.

Et le débat sur l'avenir de nos institutions, que nous aurions dû avoir au moment du quinquennat...

Mme Christine Boutin - Tout à fait !

M. Alain Madelin - ...voici qu'il s'ouvre aujourd'hui. Non sur le fond, pour éclairer une réforme d'avenir, mais par commodité, pour accompagner une « modification » que vous qualifiiez, il y a un mois à peine, « de circonstance ou de convenance ».

Ce débat nécessaire, c'est celui de la reconstruction des institutions modernes d'une France moderne. On ne saurait le limiter à l'adoption du quinquennat en septembre et à la modification d'un calendrier électoral en décembre : une modification qui, nous dit-on, doit nous permettre de « revenir aux origines de la Vème République », de retrouver « l'esprit des institutions ». Curieux débat, curieux chassé croisé où l'on voit les héritiers du gaullisme être contre, quand les héritiers de Lecanuet et de Mitterrand sont pour.

Quant à moi, héritier de la tradition de séparation et d'équilibre des pouvoirs, du courant républicain, libéral et indépendant...

Plusieurs députés socialistes - Occident !

M. Alain Madelin - ...j'ai la conviction qu'un tel « retour aux sources » ne constituerait pas aujourd'hui un progrès, mais un recul (Applaudissements sur les bancs du groupe DL).

Les institutions de la Ve République, faut-il le rappeler, ont été forgées dans des circonstances historiques exceptionnelles, celles de 1958, à la mesure d'une personnalité exceptionnelle, celle du général de Gaulle. Depuis, le monde a évolué, la société a évolué, nos institutions elles-mêmes ont évolué.

M. Michel Françaix - Seul Madelin n'a pas évolué.

M. Alain Madelin - Ce n'est pas remettre en cause les vertus des institutions de la Vème République que de dire que le modèle d'origine ne constitue pas un modèle d'équilibre des pouvoirs satisfaisant pour la France d'aujourd'hui. Car les institutions de la Vème République sont aussi celles qui ont donné cette extraordinaire concentration des pouvoirs au sommet de l'Etat, si caractéristique de ce qu'on appelle le mal français, et sans équivalent dans aucune autre démocratie.

L'Elysée, Matignon, l'administration, l'Assemblée nationale, et même la justice et la télévision au tout début de la Vème République, tous ces pouvoirs en une seule main.

Certes, une telle concentration des pouvoirs correspond à un moment compliqué de l'histoire, dans le contexte de la guerre froide. Certes, cette concentration a été tempérée, au plan politique, par les vertus des premiers présidents de la Vème République, mais elle a entraîné une confiscation des pouvoirs par la haute administration (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et sur plusieurs bancs du groupe du RPR). C'est ainsi que la France a été de plus en plus étatisée. On a ajouté les lois aux lois, les règlements aux règlements, les impôts aux impôts, les dépenses aux dépenses, les fonctionnaires aux fonctionnaires.

M. Jean-Pierre Baeumler - Et les cumuls aux cumuls !

M. Alain Madelin - Super Etat, à l'efficacité décroissante, incapable de se réformer lui-même : « l'absolutisme inefficace », diagnostiquera Jean-François Revel. « Omnipotence présidentielle », dont François Mitterrand restera le symbole, et si bien décrite par Alain Peyrefitte : « La présidentialisation progressive du régime s'est faite omnipotence, l'Elysée interfère dans toutes les décisions, il forme un obscur super gouvernement, dont les compétences sont d'autant plus envahissantes qu'elles ne sont nulle part définies. Aux pouvoirs que lui donne la Constitution, le chef de l'Etat a ajouté l'autorité qu'il détient sur le parti dont il a su faire sa chose. La liberté de man_uvre de l'Elysée est sans limite : on ne connaît rien de tel dans les grandes démocraties ; la France est devenue au fil des temps une monarchie, élective certes, mais quasi absolue. La toute-puissance à l'abri de l'irresponsabilité. L'Etat touche à tout. Jamais on a vu pareille colonisation sous la Vème République. L'esprit de parti est le parti du Président ». Telles étaient nos institutions sous François Mitterrand (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe du RPR).

Certes, au fil du temps, la justice a affirmé son indépendance, le Conseil constitutionnel est venu borner le pouvoir du législateur, le droit européen s'est imposé. Des autorités indépendantes de régulation, n'en déplaise à Jean-Pierre Chevènement, se sont affirmées,

La cohabitation est venue changer la nature de nos institutions. « N'employez pas l'expression chef du Gouvernement pour parler du Premier ministre, disait le général de Gaulle, le chef du Gouvernement, c'est moi. Car le Gouvernement procède de mon choix, il n'agit que moyennant ma confiance ». A cette lecture présidentielle de votre Constitution, a succédé, avec la cohabitation, une lecture parlementaire qui donne tout son sens à son article 20, « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation », ce qui confine le Président de la République dans un rôle accessoire et un domaine réservé.

Au terme d'une troisième cohabitation, il est temps de rééquilibrer nos institutions afin d'éviter de passer d'un extrême à l'autre.

Il est temps aussi de remettre en question cette centralisation excessive du pouvoir, d'autant plus insupportable et archaïque que la France s'ouvre sur le monde et sur l'Europe et que les vieilles structures autoritaires, hiérarchisées, jacobines, craquent de toutes part, remises en cause par une nouvelle économie et une nouvelle société.

La crise que nous vivons n'est pas une crise de la société française, qui est pleine de vitalité. C'est essentiellement une crise politique, la crise de tout un système de décision aujourd'hui usé, incapable de se réformer et qui suscite la défiance. Oui, on se défie d'une classe politique coupée de la vie, repliée sur elle-même, d'un Gouvernement dont presque tous les membres sont issus de la fonction publique (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). On se défie d'un Etat qui semble trop souvent assurer le triomphe des intérêts particuliers sur l'intérêt général et renoncer à faire respecter la loi, d'une corruption qu'un croit généralisée et des abus de bien public qui ne trouvent jamais ni responsable, ni coupable.

Si nous voulons que cette démocratie de défiance fasse place à une démocratie de confiance, il nous faut mettre fin aux excès de la concentration des pouvoirs, mieux séparer et équilibrer les pouvoirs, les redistribuer au profit des citoyens, des collectivités locales et des partenaires sociaux.

Voilà les vrais enjeux d'une vraie réforme des institutions. Convenez, Monsieur le Premier ministre, que devant de tels enjeux, alors que nous changeons de siècle, de monde, d'économie et qu'il nous faut changer d'institutions, il y aurait de votre part un vrai manque d'ambition, à ne nous proposer que de changer la date des élections.

J'entends bien, au-delà du calcul d'intérêt qui est le vôtre, Monsieur le Premier ministre, les arguments qui, chez d'autres, plaident en faveur d'une telle modification. Mais vouloir que l'élection législative suive l'élection présidentielle, n'est-ce pas risquer que la majorité législative soit absorbée par la majorité présidentielle et donc renforcer la confusion des pouvoirs au risque d'aggraver le mal Français ? Et vouloir pérenniser ce calendrier n'est-ce pas pérenniser et organiser cette confusion ? Au reste, dans l'histoire de la Vème République, nous n'avons connu que deux fois cette situation, à l'initiative de François Mitterrand, en 1981 et 1988. Et je ne pense pas que nous ayons eu alors à nous féliciter des conséquences institutionnelles d'un tel choix : l'omnipotence présidentielle et partisane, comme le disait Alain Peyrefitte (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

On dira aussi que ce nouveau calendrier écarte le risque d'une nouvelle cohabitation. On peut le penser, mais c'est présumer du choix des Français, qu'il y aurait quelque illusion à vouloir forcer par une astuce de calendrier.

Répétons-le, le véritable enjeu institutionnel est ailleurs : redistribuer les pouvoirs, mieux les séparer et les équilibrer.

Il ne s'agit pas d'inventer des institutions idéales, mais de moderniser les nôtres à partir de notre pratique et de notre réalité constitutionnelle. Deux modèles viennent alors à l'esprit.

Nous devons, disent les uns, nous doter d'un vrai régime présidentiel, à l'instar des Etats-Unis, c'est-à-dire d'un exécutif autour du Président qui ne puisse être renversé par le Parlement, d'un Parlement puissant, qui ne puisse être dissous, d'un droit de veto présidentiel, tout en faisant disparaître le poste de Premier Ministre. Une telle révolution institutionnelle ne conviendrait sans doute pas à la France. Le système bi-partisan qui va de pair avec le régime présidentiel américain, et la pratique des contre-pouvoirs sont en effet étrangers à notre tradition.

D'autres avancent que nous devrions revenir à un vrai régime parlementaire, du type allemand, britannique ou italien, où le chef de l'exécutif est issu des élections législatives. Dans cette hypothèse, le Président de la République, qui resterait élu au suffrage universel, comme en Finlande ou au Portugal, verrait ses pouvoirs limités à des fonctions représentatives, son rôle essentiel tenant à la nomination du Premier ministre en fonction des résultats électoraux. Le Premier ministre représenterait seul la France au Conseil européen.

Je pense cependant que sans être en soi mauvais, le régime parlementaire a toujours été en France, comme l'a noté le Président Valéry Giscard d'Estaing, « un régime faible, du fait de la division de la majorité et du poids des coalitions ». Un gouvernement parlementaire chez nous entreprend si rarement de grandes réformes que nous avons dû en changer lors de la décolonisation et des grandes crises institutionnelles. Au moment où la France a tant de réformes à accomplir pour rattraper son retard, elle ne peut s'accommoder d'un pouvoir politique à faible capacité d'action.

Oui, comme vous l'avez noté, Monsieur le Président, « le convoi politique français a besoin d'être tiré par une locomotive ».

Dès lors que nous avons choisi d'élire le Président de la République au suffrage universel et que nous refusons tant l'omnipotence présidentielle que le régime parlementaire qui réduit le Président à l'impuissance, il nous faut trouver la voie d'un régime présidentiel équilibré à la française.

Je brosse ici rapidement les traits de cette modernisation de nos institutions : un Président qui préside, un Gouvernement qui gouverne en collaborant avec le Parlement pour l'élaboration de la loi, un Parlement qui légifère et contrôle, une justice indépendante et impartiale, des collectivités locales responsables, un droit plus clair laissant plus de part au contrat.

La première modernisation consiste à retrouver l'unité de l'exécutif.

Sous la Ve République, l'essence même du pouvoir présidentiel est d'éclairer les Français sur les grands choix auxquels ils sont confrontés et de définir une orientation, dont il sera le garant.

L'élection présidentielle n'est pas l'affaire des partis politiques, disait le général de Gaulle. En tout cas elle les transcende, en constituant un rassemblement ouvert au-delà des frontières traditionnelles des partis.

Le Président se doit en effet d'être respectueux de la diversité française, garant de l'unité de la nation, de l'Etat de droit et de la cohésion sociale, gardien des institutions et des grands principes de la République. Tant la sagesse que la tradition veulent donc qu'on distingue la fonction présidentielle de celle de Premier ministre.

Dans cette perspective, le Président nomme le Premier ministre et le Gouvernement en conformité avec les orientations qu'il a définies et qui l'ont fait élire, afin d'assurer l'unité du pouvoir exécutif.

Cette unité ne signifie pas pour autant que le Président dirige l'action du Gouvernement au quotidien. S'il doit l'inspirer, il doit aussi le laisser agir. Il serait sage d'assouplir nos institutions et de laisser aux hommes le soin de définir les rôles respectifs du Président et du Premier ministre.

L'histoire voit en effet se succéder des périodes de remise en ordre et des périodes de remise en cause. L'autorité politique suprême remplit tantôt une fonction d'arbitrage, tantôt une fonction d'entraîneur. Saint-Louis rendant la justice sous son chêne, Bonaparte au Pont d'Arcole pour reprendre la distinction imagée de Bertrand de Jouvenel, sont deux formes de pouvoir qui ont chacun leur vertu. Dans le premier cas, il s'agit de consolider l'ordre social, une fois celui-ci fondé, ce qui demande des qualités de sagesse, et une capacité de conciliation. Dans le second, on exigera de l'autorité qu'elle fasse davantage preuve d'ardeur pour fonder des choses nouvelles. Ainsi, les qualités que l'on demande à ceux qui conduisent le destin d'un pays varient selon les moments de l'histoire. Tantôt le Président de la République sera davantage entraîneur, tantôt on le souhaiterai davantage arbitre.

La deuxième modernisation consiste à équilibrer la relation Parlement-Gouvernement.

Un régime présidentiel équilibré est celui qui sait organiser la coopération entre les deux pouvoirs issus du suffrage universel direct, le Gouvernement, procédant du seul Président de la République, et l'Assemblée nationale, qui doivent être associées pour confectionner les lois, à la manière de la co-décision législative européenne. Dans cette perspective, le Parlement verrait ses moyens de contrôle renforcés, l'opposition mieux associée, et le Sénat revalorisé dans sa contribution à la confection des lois et au chantier de la recodification.

Reste la question du droit de dissolution, qui devrait disparaître ou être limité en contrepartie de la disparition de la censure, les Français étant appelés à trancher, le cas échéant, par référendum, les conflits importants entre les pouvoirs exécutif et législatif.

La troisième modernisation consiste à assurer une justice indépendante et impartiale, ce qui pose le problème de son recrutement, de sa formation et de son contrôle. La justice ne saurait être réduite à l'application pure et simple de la loi, mais doit aussi être elle-même une source de droit.

La quatrième modernisation consiste à redistribuer les pouvoirs au profit des collectivités locales et des partenaires sociaux.

Il faut équilibrer le pouvoir central par le pouvoir donné aux régions (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF).

Vouloir une vraie régionalisation, vivifier le principe de libre administration des collectivités locales inscrit dans la Constitution, suppose une pleine dévolution de blocs de compétence dans un certain nombre de domaines, accompagnée de ressources fiscales propres et d'un « pouvoir normatif » délégué.

Il faut équilibrer aussi le pouvoir de l'Etat en donnant un espace de liberté contractuelle aux partenaires sociaux.

Oui, il faut donner aux acteurs de la vie économique et sociale la possibilité de définir, dans le cadre de lois générales, leurs propres règles du jeu en fonction des réalités locales, économiques et professionnelles.

Voici, Monsieur le Premier ministre, comme vous nous y avez invités en organisant ce débat sur l'avenir de nos institutions, quelques pistes pour demain.

J'ai bien conscience que mettre en chantier les institutions modernes d'une France moderne et définir un régime présidentiel équilibré à la française sont des tâches difficiles, qui exigent des débats plus longs que cette courte matinée que vous nous avez offerte.

Je sais que ces réformes exigent de rassembler et de convaincre les Français pour, le moment venu, obtenir leur aval au moyen d'un ou plusieurs référendums.

Mais le chantier est aujourd'hui ouvert, et, que le calendrier électoral soit ou non bousculé, ce débat sera au c_ur du rendez-vous des prochaines élections présidentielles.

Dommage, Monsieur le Premier ministre, que vous n'ayez cru devoir l'ouvrir qu'à la faveur de ce qui reste un calcul politique (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et sur quelques bancs du groupe UDF).

M. Jean-Marc Ayrault - Il ne s'agit pas de défendre aujourd'hui un simple report de date d'élections générales. Il ne s'agit pas, dans l'esprit de ceux qui déposent une proposition de loi organique, de modifier sans réflexion ni signification un calendrier politique. Notre calendrier institutionnel ne saurait en effet être ramené à une question d'agenda.

Cette modification a une utilité et une portée politique. Il s'agit, je le crois profondément, d'orienter l'avenir de nos institutions pour conforter notre démocratie.

Cette modification de notre calendrier électoral n'est donc pas une fin en soit et n'épuise pas, après l'adoption par le peuple du quinquennat, l'évolution de nos institutions : elle est justement l'occasion d'engager une réflexion, et je me réjouis que notre Assemblée y consacre ce matin un premier débat d'orientation. D'aucuns diront que c'est là un débat d'experts ou de spécialistes, passionnant mais éloigné des préoccupations des Français. Je n'en crois rien. Le désintérêt supposé des Français pour la politique, la montée de l'abstention lors des consultations électorales et notamment lors du référendum sur le quinquennat, révèlent un malaise qui trouve sa source dans un mauvais fonctionnement de notre démocratie qui n'est pas propre à la France.

Notre devoir et notre ambition, c'est bien de répondre à cette exigence démocratique : les citoyens peuvent-ils encore peser sur les décisions qui les concernent, leur vote a-t-il encore un sens et la politique peut-elle encore infléchir le cours des choses ?

Chacun connaît la complexité des mécanismes qui régissent nos sociétés contemporaines. Elles est telle que bien des citoyens s'interrogent sur la pérennité et la solidité du lien social et sur la valeur même des institutions qui nous représentent, dans lesquelles nous devrions nous reconnaître.

A mon sens, le devoir essentiel du politique consiste à adapter sans relâche l'appareil démocratique à l'attente démocratique. Pourquoi conserver une conception impériale et figée des institutions de la République ? Pourquoi les considérer comme des reliques que nous aurions pour seul devoir de préserver, alors que la vie nous montre que même sans bouleversement des textes, de nouvelles pratiques s'imposent ?

Il s'agit d'apporter une pierre nouvelle dans la construction permanente d'une démocratie vivante et moderne.

Pour travailler aux liens indispensables de confiance qui doivent unir l'électeur aux élus, les priorités me paraissent claires : lisibilité, crédibilité, efficacité et équité. Ainsi nos institutions conserveront et développeront leur attrait et leur valeur, sans lesquels notre République ne serait plus composée que d'une collection de consommateurs individualistes rassemblés sous le drapeau indistinct du marché.

Il est donc crucial que le citoyen puisse faire une claire lecture de nos institutions. Or, ce sont quatre niveaux de décisions qu'il faut prendre en compte : la nation et le local, l'Europe et le monde.

Au niveau mondial, les traités internationaux et les institutions qui les appliquent influent sur notre vie quotidienne. Peu à peu, l'humanité s'organise, se donne des règles, souvent imparfaites certes, mais qui sont autant de prémices d'un ordre mondial dont il faudra que la démocratie s'empare s'il l'on ne veut pas en confier l'irresponsable souveraineté aux seules forces de l'argent ou à la prédominance des puissants.

M. Richard Cazenave - Et c'est l'inversion du calendrier électoral qui va changer tout cela ?

M. Jean-Marc Ayrault - A nous d'ouvrir la voie à une meilleure représentation, sans en laisser le monopole à des exécutifs technocratiques ou des contestataires marginaux et violents. La naissance d'une opinion publique mondiale en montre l'urgence et la nécessité (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste).

En Europe, bien des progrès ont été accomplis depuis la signature du traité de Rome, en 1957. Le choix essentiel entre une zone douanière et un regroupement d'Etats-nation a été fait. Mais à la veille de son élargissement et de la mise en place de l'euro, et même si le traité de Nice est un bon accord, qui a permis de progresser, l'Union européenne doit conférer à ses institutions une plus grande légitimité, par une meilleure représentation des citoyens et en se dotant d'une réelle dimension sociale, culturelle et politique, au risque, sinon, de créer une véritable crise de confiance dans l'Europe.

Au niveau national, même si les Français ne rêvent pas d'un « grand soir » institutionnel, veillons à rendre nos institutions plus compréhensibles. La question du calendrier des élections relève d'abord de ce souci de clarté et de cohérence (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR).

Les Français sont attachés à l'élection au suffrage universel direct du Président de la République et à la stabilité gouvernementale. Mais ils sont également demandeurs d'un rééquilibrage des pouvoirs en faveur du Parlement (Approbations sur tous les bancs).

Aucune grande formation politique ne souhaite remettre en cause l'élection au suffrage universel direct du Président de la République, quels qu'aient été les choix faits en 1958 et 1962. Cependant, la fonction présidentielle doit éviter deux écueils : celui de la dérive autoritaire et monarchique des débuts de la Ve République, et la concentration du pouvoir à l'Elysée lorsque le Président dispose d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale.

M. François d'Aubert - Ca, c'est François Mitterrand !

M. Jean-Marc Ayrault - Comme l'avait proposé Lionel Jospin en 1995 -et, en réduisant à 5 ans la durée du mandat présidentiel, nous avons commencé de le faire- nous devons donc trouver la voie vers un président citoyen...

M. Richard Cazenave - Chirac !

M. Jean-Marc Ayrault - ...proche des préoccupations quotidiennes des Français...

M. Richard Cazenave - Chirac !

M. Jean-Marc Ayrault - ...responsable des grandes orientions politiques du pays, respectueux des rôles du Gouvernement et du Parlement...

M. Richard Cazenave - Chirac !

M. Jean-Marc Ayrault - ...garant de l'impartialité de l'Etat, de la cohésion sociale, du respect et de l'indépendance de la justice.

M. Richard Cazenave - Chirac !

M. Jean-Marc Ayrault - Cette conception d'un président citoyen ne peut s'accommoder d'une immunité absolue, héritée d'une autre époque, sous peine de créer une situation d'exception source d'un malaise durable.

Le droit de dissolution doit être strictement limité. Un président citoyen ne saurait user de son droit de dissolution pour des raisons de convenances personnelles ou en fonction de considérations purement tacticiennes...

Mme Odette Grzegrzulka - Chirac !

M. Jean-Marc Ayrault - La dissolution ne peut être qu'un instrument permettant à la France d'éviter la paralysie de ses institutions, son usage ne doit être qu'exceptionnel.

Mais si les Français sont attachés à la fonction présidentielle, ils sont attentifs à la capacité du Parlement à les représenter et sensibles à l'équilibre des pouvoirs. Certains ont cru voir dans la cohabitation une réponse à cette attente ; mais c'est une fausse réponse, et les choses ne peuvent rester en l'état.

Aujourd'hui, le poids du pouvoir exécutif est trop fort.

La pratique du Gouvernement montre qu'une autre perspective est possible...

M. François d'Aubert - Par exemple, la transposition par ordonnances de cinquante directives communautaires !

M. Jean-Marc Ayrault - ...une manière de faire qui ne met en péril ni la stabilité gouvernementale, ni l'existence d'une majorité, et qui permet de gouverner le pays. La suppression de l'article 49-3 de la Constitution est non seulement possible mais souhaitable, comme celle du vote bloqué. Pour l'avenir, la question de l'instillation d'une dose de proportionnelle dans le scrutin législatif permettant une meilleure représentation de la diversité politique de notre pays est posée.

Plusieurs députés RPR, UDF, DL - Ah ! Nous y voilà !

M. Jean-Marc Ayrault - Plus de moyens de contrôle et d'évaluation, davantage d'initiatives propres : le Parlement a montré ces derniers temps son efficacité -et les Français l'ont appréciée. Mais c'est sans doute à travers la réforme de l'ordonnance de 1959 et de la procédure budgétaire, proposée par notre rapporteur général, Didier Migaud, que le Parlement retrouvera une réelle crédibilité et amorcera la véritable réforme du fonctionnement de l'Etat.

Cependant, cela ne suffira pas à redonner au citoyen pleinement confiance dans nos institutions.

Au niveau local, je ne suis pas certain que le citoyen connaisse l'étendue des responsabilités confiées à la région, au département et aux agglomérations. Les lois de décentralisation de 1982, que certains groupes politiques avaient refusé de voter...

Mme Odette Grzegrzulka - Mais ils l'ont oublié !

M. Jean-Marc Ayrault - ...ces lois ont ouvert le chemin. Il nous faut désormais poursuivre, par de nouveaux transferts de responsabilités et la clarification des compétences entre les différents niveaux, par l'affectation à chaque échelon local d'un impôt spécifique et autonome, par le renforcement de la démocratie de proximité.

La décentralisation, l'expérience l'a montré, est une source de dynamisme et de participation citoyenne. Abordons cette deuxième étape avec audace et confiance. je me réjouis que le Gouvernement ait prévu que l'Assemblée y consacre un grand débat en janvier.

Mais les institutions n'auront la confiance durable des citoyens que si elles garantissent durablement le pacte républicain. a cet égard, chacun se rappellera les grandes conquêtes de l'ère mitterrandienne que sont l'abolition de la peine de mort, la suppression des juridictions d'exception et la libéralisation des radios et des télévisions. Il est loin, le temps où Alain Peyrefitte, ministre de l'information de Charles de Gaulle, dictait par téléphone le contenu des journaux télévisés ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste)

A cela sont venus s'ajouter le RMI, les 35 heures, la CMU, la parité, la présomption d'innocence et l'indépendance de la justice, le pacte civil de solidarité, le renforcement des droits des femmes, la protection des citoyens contre les dérives de l'informatique, la révision des lois sur la bioéthique, le droit de vote des étrangers aux élections locales... C'est ainsi, lorsque les institutions sont au service des citoyens qu'ils en perçoivent le sens et l'efficacité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mais que seraient nos institutions sans l'arrivée de nouveaux acteurs représentatifs de la diversité de la société ?

Qu'il soit politique, économique ou administratif, il faut ouvrir le « cercle enchanté » du pouvoir afin qu'il ne soit plus l'apanage quasi exclusif de deux ou trois filières de recrutement, ou plutôt d'autorecrutement. Le système actuel permet à un nombre trop limité de personnes de passer, en cercle fermé, des grandes écoles au service de l'Etat, de l'Etat aux grandes entreprises publiques ou privées ou à la politique, voire au monde des médias. Ce système, assez rare dans les grandes démocraties, donne le sentiment aux citoyens qu'il existe une caste accaparant le pouvoir, les rendant impuissants à peser sur les décisions qui les concernent. Ce sera une tâche rude -sans doute la plus difficile- que de le réformer, mais elle est nécessaire. La parité, le statut de l'élu, une nouvelle étape de la décentralisation, la limitation du cumul des mandats, une nouvelle conception de la formation, tout cela peut y contribuer.

En 1996, les socialistes avaient intitulé leur convention nationale consacrée à l'avenir de nos institutions « les acteurs de la démocratie ». Il s'agissait de rendre leurs pouvoirs aux citoyens. Aujourd'hui, c'est de cela qu'il s'agit, et de rien d'autre.

Redonner du sens à l'action politique, voilà l'exigence à laquelle nous devons répondre. Comme le disait si bien Pierre Mendès-France « la République doit se construire sans cesse car nous la concevons comme éternellement révolutionnaire à l'encontre de l'inégalité, de l'oppression, de la misère, de la routine des préjugés, éternellement inachevée tant qu'il reste un progrès à accomplir » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Le débat d'aujourd'hui ne concerne pas seulement certains d'entre nous : c'est un débat pour les Français et pour leur avenir. Il ne doit pas être centré sur la carrière présidentielle de certains (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UDF).

Dans quelques jours, nous allons tourner la page du siècle et de son cortège de tragédies, de barbaries, de guerres, de morts, de réussites et de lâchetés humaines : il nous revient aujourd'hui de définir l'esprit du siècle nouveau,...

Mme Odette Grzegrzulka - Restons modestes !

M. Renaud Donnedieu de Vabres - ...de garder ce qui est solide dans la Constitution de 1958, revue en 1962 et de rénover ce qui peut s'apparenter à des archaïsmes.

Nous devons avoir à c_ur de renouer le lien entre la politique et le citoyen et de redéfinir des lieux d'efficacité. Lequel d'entre nous ne souffre pas que la politique soit aujourd'hui considérée comme une activité marginale et parfois impuissante ? Au seuil du nouveau siècle, bien des problèmes restent en suspens...

Mme Odette Grzegrzulka - C'est le blues de l'UDF !

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Nous devons redonner sa primauté à l'action politique. Certes, nous savons parfaitement qu'aux yeux des Français le débat institutionnel n'apparaît pas comme une priorité. Nos concitoyens attendent plutôt -et ils ont raison !- des résultats concrets, immédiatement perceptibles dans leur vie quotidienne et ne perçoivent pas forcément le lien entre les questions institutionnelles et l'action de terrain. Mais ce débat, qui vise à restaurer l'efficacité de l'action publique, méritait mieux qu'une discussion d'une matinée, partielle et improvisée (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UDF).

La politique doit devenir le lieu de l'efficacité. C'est pourquoi nous devons penser à de nouvelles architectures...

Plusieurs députés socialistes - C'est du bla-bla !

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Commençons d'abord par ne jamais utiliser pour parler de nous-mêmes le terme de « classe politique ». Mes chers amis, nous sommes des porte-parole, nous devons être des liens entre les citoyens et ceux qui prennent les décisions. Nous ne sommes pas les membres d'un ghetto. Alors, oui, la question des institutions se pose et le moment nous semble parfaitement légitime : après 1958, 1962, il y a eu la réforme de l'an 2000 avec l'instauration du quinquennat. Son adoption peut être une étape féconde, à condition qu'elle soit prolongée par une vraie réflexion sur la nature du régime, qui suppose que l'on tranche une alternative : souhaitons-nous une évolution présidentialiste de nos institutions ou renforcer le régime parlementaire ? Faut-il rappeler que le régime présidentiel suppose un seul Exécutif, confié à un président et à un vice-président, et une réelle séparation des pouvoirs ? Si ces conditions sont réunies, il n'est pas exclu que l'élection présidentielle précède les élections législatives ou que les deux scrutins soient concomitants. Tels sont les principes du régime présidentiel.

Mais encore faut-il annoncer la couleur. Si telle est l'évolution que nous souhaitons, disons-le et faisons-le. A l'inverse, si l'on considère qu'il est dans l'esprit français de s'en tenir au régime parlementaire, l'élection parlementaire doit nécessairement précéder celle du Président de la République, ou, au moins, en être déconnectée.

Dans ce cas, le calendrier qui se présentait en 2002 ne peut nous choquer. Dans les deux cas de figure, ce qui rassemble aujourd'hui les députés de l'UDF par ailleurs divisés,...

Plusieurs députés socialistes - Ce n'est pas nouveau !

M. Renaud Donnedieu de Vabres - ...c'est le souci d'un rééquilibrage des pouvoirs. Tous les députés du groupe s'accordent sur la nécessité de renforcer les pouvoirs du Parlement et les prérogatives locales. La démocratie nouvelle pour le siècle qui vient, c'est un homme, une équipe, un projet mais ce sont aussi des contre-pouvoirs puissants et des responsabilités clarifiées pour que l'on sache enfin qui fait quoi, aux niveaux européen, national et local. Nous appelons de nos v_ux une nouvelle architecture des pouvoirs, plus respectueuse des droits de l'opposition à qui serait offerte la possibilité juridique de déclencher commissions d'enquête et missions d'information.

Le choix de la date est en fait le choix d'un système : définissons-le une fois pour toutes. Or, le débat de ce matin ne tranche pas ce point. Monsieur le Premier ministre, en contradiction avec ces enjeux élevés, je dois malheureusement vous dire que la pratique de votre gouvernement contredit la sincérité de vos intentions. Si vous aviez voulu un débat serein, il vous était possible non pas d'annoncer cette réforme devant le congrès de votre parti, mais d'inviter à Matignon, -en liaison avec le Président de la République qu'elle concerne directement- tous les chefs de partis disposant d'un groupe au Parlement (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UDF). Force est de constater que les positions que vous avez prises concernant l'UNEDIC, l'intervention des forces françaises au Kosovo ou la question de la cagnotte n'ont jamais été précédées d'un vote qui eût permis au Parlement d'exercer son pouvoir de contrôle. Or, notre légitimité tient à notre faculté de prendre part aux débats cruciaux qui engagent la nation. Du reste, s'agissant du Kosovo, soyez assuré, Monsieur le Premier ministre, que nous ne vous aurions pas fait défaut et il serait apparu clairement -notamment aux soldats engagés dans le conflit- que sur certains sujets majeurs, nous sommes capables de nous réunir ! Alors, on ne peut pas nous accuser de sectarisme...

M. Patrick Lemasle - Oh ! si.

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Le débat qui s'ouvre ce matin, tel qu'il est conçu, n'entravera pas la dérive présidentialiste de vote démarche (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). C'est la raison pour laquelle, un certain nombre d'entre nous...

Mme Odette Grzegrzulka - Un petit nombre !

M. Renaud Donnedieu de Vabres - ...refusent de s'associer à ce qu'ils considèrent comme une man_uvre, liée aux impératifs de votre agenda politique (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UDF). La logique de nos institutions, c'est celle d'un choc frontal entre deux blocs, projet conte projet. L'esprit de 58, c'est le deuxième tour de la présidentielle où, de par la loi constitutionnelle, deux candidats s'affrontent sur deux projets. S'opposer est donc conforme à l'esprit de notre Constitution. Nous affirmons aujourd'hui avec sérénité notre détermination à préparer une alternative au socialisme...

Mme Nicole Bricq - On attend toujours le projet !

M. Renaud Donnedieu de Vabres - ...avec ouverture d'esprit mais avec réalisme et solidité vis-à-vis de nos partenaires. Fixer une date, c'est agir pour convenance personnelle ; fixer un principe politique, c'est poser la pierre angulaire d'une nouvelle architecture institutionnelle pour redonner sens à l'action publique !

Monsieur le Premier ministre, nombreux sont ceux à l'UDF, qui à l'image des Français, ne croient pas que vous soyez l'architecte des temps nouveaux ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UDF).

M. Bernard Charles - Nous sommes conviés aujourd'hui à réfléchir sur l'avenir de nos institutions et les radicaux attendaient avec impatience que cette question vienne en discussion. En effet, nous sommes restés sur notre faim lors du vote du quinquennat : peu d'échanges, pas de possibilité d'amendement ; la séance de ce jour fera oublier, souhaitons-le, ce défaut de démocratie lié à la cohabitation.

Cette discussion a du reste commencé il y a longtemps mais elle s'est accélérée lors du vote du quinquennat. Monsieur le Premier ministre, vous avez eu raison d'ouvrir le débat sur cette réforme. De grandes personnalités politiques comme le Président Giscard d'Estaing ou les anciens Premiers ministres MM. Raymond Barre et Michel Rocard, des partis de la gauche plurielle -tels le PRG et le MDC- ont, en déposant des propositions de loi, publiquement exprimé leur volonté de revoir l'ordre des élections.

Il ne s'agit donc pas d'une modification de circonstance mais d'un travail législatif de fond qu'il était nécessaire d'engager. Voilà pourquoi le débat d'aujourd'hui ne peut être qualifié d'opportuniste ou comme relevant d'un souci de convenance personnelle. Depuis plusieurs années, nous prônons une vaste réforme de nos institutions qui conduise à la création d'une VIe République. Compte tenu de notre histoire, nous portons en Europe et dans le monde un héritage fort -la Révolution française et l'instauration de la République- et nous sommes redevables à notre passé d'un devoir tout particulier face à l'idéal, jamais achevé, de la démocratie. Or, force et de constater que les valeurs fondatrices de la République et le sens de l'intérêt général ne paraissent pas authentiquement réalisés. La force des intérêts particuliers pèse à l'excès sur l'action publique. En outre, les Français sentent confusément que le déclin de la puissance publique signifierait le retour en force des inégalités et une régression des valeurs démocratiques comme du principe de laïcité. L'essoufflement du modèle institutionnel de la Cinquième République -avec notamment des pesanteurs liées à la cohabitation- appelle des réponses à la hauteur du besoin de modernisation de la République.

Face au sentiment d'usure qui affecte notre pays, une refondation républicaine s'impose. « Rien n'est plus dangereux qu'une idée quand on n'a qu'une idée » affirmait Alain. Face aux enjeux qui viennent d'être présentés, la question du calendrier électoral semble bien étroite. Elle ne se résume cependant pas à la recherche d'un meilleur ajustement calendaire. Nous devons trouver une réponse adaptée au blocage des mécanismes de notre démocratie représentative et décider de l'ordre le plus clair et le plus logique selon lequel nous choisirons pour cinq ans et le Président de la République et les représentants des Français, cela à quelques semaines d'intervalle. Mais pourquoi ne le ferions-nous pas en même temps au lieu de mobiliser, à deux reprises et à peu de distance, des millions de citoyens et des moyens considérables ? Je note que le Président Giscard d'Estaing a récemment estimé que la solution la plus moderne consisterait, après l'adoption du quinquennat, à organiser simultanément ces deux élections.

M. Jean-Pierre Defontaine - Très bien !

M. Bernard Charles - Légitimer en une seule fois toute l'équipe chargée de diriger la France pour cinq ans représenterait en effet une innovation radicale, mais aussi tout à fait cohérente avec un régime présidentiel qui exige à la fois un exécutif fort et un Parlement libre de son expression.

Nous avons déposé une proposition de loi visant à organiser le même jour et pour la même durée l'élection du Président et des deux assemblées. La mesure devrait s'accompagner d'autres, rendant notamment l'initiative budgétaire au Parlement ; l'équilibre des pouvoirs appellerait également la disparition du droit de dissolution et de la censure. Nous souhaitons enfin la suppression du poste de Premier ministre -je vous rassure, Monsieur le Premier ministre, je ne me sens pas pour autant la vocation de Raoul Villain.

En bref, il nous faut faire un nouveau pas en direction d'un régime présidentiel : l'élection d'une majorité cohérente avec les orientations du chef de l'Etat y gagnerait en probabilité et, de plus, en réduisant le nombre des consultations, nous favoriserions une meilleure participation des Français aux élections.

Cependant, toutes ces dispositions ne recueillent pas encore l'accord d'une majorité de nos partis, les députés PRG voteront aujourd'hui le report de la date d'expiration des pouvoirs de cette Assemblée : cette inversion du calendrier permet en effet, déjà, de rétablir l'ordre logique des élections, tel qu'il résulte de nos institutions ! Plus de quarante années après l'instauration de la Vème République, nous ne pourrons toutefois échapper à la nécessité d'une rénovation de celles-ci : les radicaux attendent impatiemment que s'ouvre ce chantier ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RCV)

M. Arnaud Montebourg - Comment nier qu'il y ait crise morale ? C'est la torture quotidienne des élus, confrontés à la défiance, au discrédits, voire au mépris. Mais elle traduit aussi un changement d'attitude de nos concitoyens, qui ont commencé à réfléchir à la question des institutions après l'avoir abandonnée pendant quarante ans à la décision de leurs dirigeants. Les Français ont compris qu'il ne suffit pas d'organiser l'alternance dans les urnes pour modifier les pratiques politiques. Car ce régime autoritaire, d'inspiration bonapartiste, a su digérer ces alternances en contraignant tous les gouvernements aux mêmes méthodes -et peut-être aussi aux mêmes échecs et aux mêmes sanctions.

Ce fut à votre honneur, Monsieur le Premier ministre, que de tenter d'inventer une nouvelle politique. Votre circulaire du 6 juin 1997, qui réglementait le cumul des mandats par les ministres et organisait au-delà de ce que dispose la Constitution le dialogue avec le Parlement et la société, reste pour tous les fervents Républicains un bel acte de rupture, mais peut-on mettre fin à quarante d'abus par une simple circulaire et déplacer des montagnes avec une plume ? Chacun a bien compris qu'il ne suffit plus de changer tous les cinq ans une disquette dans l'ordinateur institutionnel et qu'il faut désormais s'attaquer au disque dur !

Pendant trop d'années, les Gaullistes ont su intimider les adversaires de la Ve République par le spectre du retour à la Quatrième. Pour moi, qui n'ai pas connu celle-ci, je crois que des solutions nouvelles et douces sont à la portée de nos mains modestes. Les Français sont aujourd'hui assoiffés de démocratie, ils exigent davantage de discussion avant toute décision, ils demandent des contre-pouvoirs, des possibilités de contrôle et de participation. Nos idées -je pense à la réforme du cumul des mandats, bloquée par le Sénat, et à la réforme de la justice, bloquée par la droite- nous invitent à nous tourner vers eux pour faire, avec et pour eux, les belles et grandes réformes que rendrait sinon impossible le corporatisme des professionnels du pouvoir -que nous donnons, à tort- l'impression d'être.

Allant plus loin, il nous faudra réfléchir aussi à l'opportunité de remettre en cause l'élection du Président de la République au suffrage universel. Elle est en effet à l'origine de la désolation actuelle dans la mesure où elle pousse à s'intéresser davantage aux hommes et à leurs egos qu'aux grands choix politiques. Elle organise le nivellement de cette orientation et des programmes, elle autorise les abus de pouvoir et l'irresponsabilité juridique, politique et judiciaire, notamment au plus haut échelon. C'est elle aussi qui a conduit à une corruption désastreuse qui nous détruit tous à petit feu et, avec nous, détruit la foi en la République.

Il vous reste donc, Monsieur le Premier ministre, à nous dire comment vous changerez le disque dur de nos institutions. Si vous ne le faites pas, les mêmes causes continueront d'engendrer les mêmes effets. Si vous le faites, vous serez ce mécanicien de l'histoire qui aura su avant les autres de quoi souffre notre peuple. Pour moi, je souhaite que, victorieux dans quelques mois, vous soyez le dernier Président élu au suffrage universel de cette République : nous pourrons enfin nous passionner un peu moins pour le pouvoir et ses luttes et davantage, sérieusement et modestement, à la transformation de ce triste monde ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe RCV)

M. Jean-Jacques Guillet - « Au fond, comme chef d'Etat, deux choses lui avaient manqué : qu'il fût un chef et qu'il y eût un Etat ! ». Cette réflexion à la fois cruelle et sombre du général de Gaulle à l'égard du dernier Président de la IIIème République illustre sa préoccupation majeure : donner à la France des institutions assez solides pour résister à la tentation bien gauloise des divisions et pour assurer l'indépendance du pays ; la doter d'un chef qui sache impulser le mouvement et garantir la continuité des pouvoirs publics. Sans cette volonté politique, le fonctionnement des institutions risque en effet de se trouver altéré.

Depuis 1962, ce chef dispose de la légitimité conférée par l'élection au suffrage universel direct. La souveraineté populaire ainsi affirmée dans la Constitution pour la première fois depuis 1793, la relation étroite entre les Français et le Président de la République est ce qui tient ensemble nos institutions. Comme l'a affirmé le général de Gaulle dès le discours de Bayeux, c'est du chef de l'Etat que procèdent le pouvoir exécutif et les ministres, y compris le premier d'entre eux. Jusqu'en 1986, nos institutions ont reposé sur ce principe, illustré a contrario par le départ du général de Gaulle en 1969. Depuis, trois cohabitations ont fait leur _uvre, sous lesquelles le Premier ministre et le Gouvernement ont procédé en fait de la majorité parlementaire. Le Président n'ayant pas tiré les conséquences de cette situation, sa fonction ne pouvait que s'en trouver atteinte. Le Parlement même, dont les pouvoirs étaient rognés par les traités européens, se voyait abaissé encore, le Gouvernement devant être en permanence assuré d'une majorité quasi automatique. La cohabitation conduisait alors à tronquer les débats sur les sujets essentiels...

Chacun s'accorde aujourd'hui sur la nécessité de sortir de ce désordre institutionnel, qui contribue à creuser le fossé entre les Français et leurs représentants. Cette raison a déjà été invoquée par les deux têtes de l'exécutif pour justifier leur campagne commune en faveur du quinquennat et contre la cohabitation. D'autres, par résignation ou parce qu'ils suivent leur pente naturelle, ont considéré l'élection législative comme l'élection reine, ne croyant pas que cela revient à conforter les partis plutôt que le Parlement. D'autres encore préconisent le régime présidentiel à l'américaine, condamné par le général de Gaulle. Tout ce débat est légitime à présent que nous avons instauré le quinquennat, mais comment ne pas voir qu'il contribue à masquer la défaillance des hommes ? Ce ne sont pas les institutions qui ont échoué, en effet, mais l'usage qu'on en a fait. Surtout, un tel débat ne peut s'ouvrir que devant les Français, à la faveur de l'élection présidentielle qui est le seul moment où un candidat peut présenter un projet auquel faire adhérer l'ensemble de nos concitoyens. Que vaudraient les réformes, même proposées par référendum, qui n'auraient pas fait l'objet d'un contrat entre ceux-ci et leur président ? Toute évolution de nos institutions exige un chef de l'Etat qui donne l'impulsion. Il va de soi, dès lors, que nous devons renouer avec l'esprit de la Ve République. Après l'adoption du quinquennat, cela devrait nous pousser à reconnaître que l'élection présidentielle ne saurait être subordonnée à l'élection législative.

Nous devons par conséquent modifier le calendrier électoral, dans l'intérêt de la France (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UDF).

M. Noël Mamère - Ce n'est pas la première fois que nous débattons de questions institutionnelles. A l'initiative de la majorité plurielle et du Gouvernement, nous avons déjà adopté pendant cette législature plusieurs réformes : nous avons institué la parité hommes-femmes dans toutes les élections, instauré le quinquennat, réformé le mode de scrutin pour les élections régionales et sénatoriales, renforcé l'intercommunalité, sans oublier la démarche extrêmement positive engagée pour la Corse.

Dès votre déclaration de politique générale, vous aviez insisté, Monsieur le Premier ministre, sur la nécessité de restaurer le pacte républicain et de rétablir la confiance entre les citoyens et leurs institutions, entre les citoyens et la classe politique et pour tout dire entre les citoyens et la politique.

A cet égard, votre gouvernement a un certain bilan à faire valoir. Tout le monde reconnaît que votre attitude personnelle n'y est pas étrangère.

Pour autant, les grandes réformes institutionnelles sont encore devant nous. Contrairement à ce qu'a récemment affirmé le Président de la République, notre pays vit en effet une grave crise politique et même une crise de régime.

Parmi ses causes, il y a bien sûr le climat détestable créé par les affaires politico-financières et aggravé chaque jour par de nouvelles révélations. Comment ne pas partager l'éc_urement des Français quand on apprend que l'intérêt général a été sacrifié au profit d'intérêts particuliers ? Le fait que ces accusations concernent principalement le parti du Président de la République ne peut que contribuer à saper la confiance des Français dans leurs institutions. Et le fait que le Président se refuse obstinément à témoigner ne peut qu'alimenter le sentiment d'une justice à deux vitesses, dure avec les faibles et faible avec les puissants.

Cette crise politique, dont témoignent l'abstention et la multiplication des votes de défiance à l'égard des partis traditionnels, a aussi d'autres causes, peut-être plus profondes. Comment convaincre nos concitoyens qu'il est utile de voter si leurs idées ne sont pas représentées ici même à l'Assemblée nationale et si les pouvoirs réels du Parlement restent aussi faibles ? Comment croire encore à la République quand le principe « un homme une voix », n'est pas appliqué, que ce soit avec le mode de scrutin sénatorial ou avec le mode de scrutin cantonal, et quand l'absence de statut de l'élu restreint à ce point l'accès aux fonctions électives ? La liste des maux dont souffre notre République, sclérosée et à bout de souffle, est hélas longue.

Depuis leur création, les Verts placent la réforme des institutions au c_ur de leur projet. Pour eux, une république rénovée et vivante suppose une véritable démocratie participative. C'est un préalable à toute politique de changement.

Puisque le temps nous est compté dans ce débat, organisé dans l'urgence, je me contenterai d'évoquer rapidement quelques réformes nécessaires. Donnons enfin réalité, deux siècles après Montesquieu, au principe de séparation des pouvoirs. Il faut pour cela renforcer les pouvoirs du Parlement, notamment par une plus grande maîtrise de son ordre du jour et de nouveaux pouvoirs d'investigation et de contrôle sur le Gouvernement et sur l'administration. Il faut aussi achever la réforme de la justice.

Il nous semble par ailleurs prioritaire de clarifier et d'harmoniser tous les modes de scrutin et de limiter la durée de tous les mandats à cinq ans. Nous proposons d'adopter un mode de scrutin mixte, moitié majoritaire, moitié proportionnelle, comme cela fonctionne en Allemagne depuis plus de cinquante ans sans nuire à la stabilité gouvernementale. Un tel mode de scrutin garantirait la juste représentation de tous les courants de pensée. Je n'oublie pas la question du droit de vote des résidents étrangers. Notre assemblée a adopté, à l'initiative des Verts, une proposition de loi sur ce sujet, le 2 mai dernier. Quand le Gouvernement l'inscrira-t-il à l'ordre du jour du Sénat ?

Un certain nombre de réformes sont voulues par une très large majorité de Français. Elles sont même défendues, au moins pendant les campagnes électorales, par de nombreuses formations politiques de la majorité comme de l'opposition. Seuls les jeux politiciens et les intérêts des uns et des autres, notamment en période de cohabitation, empêchent ces projets d'aboutir. C'est ce qui s'est malheureusement passé pendant cette législature avec la réforme de la justice.

Les Verts veulent profiter de ce débat pour lancer un appel à tous les réformateurs de cette Assemblée : rassemblons-nous pour refonder la République avant que la politique ne soit plus que l'affaire de quelques uns ! Nous serons très attentifs, Monsieur le Premier ministre, aux réponses que vous nous ferez, en espérant qu'elles ne seront pas de circonstance (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe groupe communiste).

M. Paul Quilès - Ce bref échange de vues sur l'avenir de nos institutions à l'occasion d'une séance de « questions orales au Gouvernement » peut sembler étranger. D'abord parce que nous n'aurons évidemment pas le temps d'aller au fond de ce sujet, ensuite parce qu'une succession de discours ouvre en quelque sorte l'examen des six propositions de loi qui seront présentées cet après-midi. Je ne bouderai pas pour autant ces quelques minutes, au cours desquelles je m'efforcerai de montrer la nécessité d'une réforme.

Certains s'offusqueront : « Toucher à la Constitution de la Vème République, vous n'y pensez pas ! Elle forme un tout intangible ». D'autres brandiront l'épouvantail de la IVe République et du régime d'assemblée.

Ce n'est pourtant pas de cela qu'il s'agit, mais plutôt de regarder en face la réalité de nos institutions et d'en tirer des enseignements.

La réalité, c'est d'abord que nos institutions résultent non seulement du texte de la Constitution de 1958, mais d'un ensemble de décisions structurantes aux statuts juridiques divers, telles que l'élection du Président de la République au suffrage universel, l'ordonnance du 2 janvier 1959 sur les lois de finances ou encore le décret du 14 janvier 1964, qui donne au Président de la République le pouvoir d'engager les forces nucléaires. Il y a eu aussi quinze modifications de la Constitution, dont certaines non négligeables comme l'instauration de la session unique, et, tout récemment, du quinquennat.

La réalité, c'est également une pratique qui a conduit dans certaines domaines -comme la politique internationale et celle de la défense- à l'apparition d'une sorte de jurisprudence renforçant le pouvoir présidentiel. Cela s'est fait d'autant plus aisément que plusieurs articles de la Constitution sont flous. Je pense par exemple à la combinaison de l'article 15 « le Président de la République est le chef des armées »- et de l'article 21- « le Premier ministre est responsable de la défense nationale ».

La réalité, c'est encore la situation créée par la cohabitation, situation à l'évidence non voulue par les pères de la Constitution et qui pourtant s'est reproduite à trois reprises depuis 1986. Elle devient même le mode le plus fréquent de fonctionnement de l'exécutif, puisque, sur les 16 ans qui séparent 1986 de 2002, les périodes de cohabitation représenteront 9 ans.

La cohabitation est un système qui surprend les étrangers et qui devrait nous amener à réfléchir aux jeux de rôle qu'il impose aux deux têtes de l'exécutif, puisqu'il est admis qu'il n'existe pas de « domaine réservé » du Président, mais plutôt des « domaines partagés », par exemple en matière de politique étrangère. C'est ainsi que l'on peut voir un Président qui s'exprime publiquement sans administrer et un Premier ministre qui administre sans pouvoir s'exprimer librement. Les inconvénients de cette situation pour l'efficacité ou l'image de la France ont été maintes fois soulignés et vous-même, Monsieur le Premier ministre, avez reconnu qu'on pourrait « faire mieux » sans la cohabitation !

On comprend dans ces conditions que l'on souhaite éviter ce système. C'était l'un des objectifs de l'instauration du quinquennat, mais sera-t-il atteint ? Nul ne peut en effet obliger les Français à faire deux fois le même choix politique et la possibilité demeure bel et bien de connaître à nouveau pareille situation. Il faut donc clarifier le partage des attributions entre le Président et le Premier ministre.

La réalité, c'est enfin l'état du Parlement sous la Vème République et notamment celui de l'Assemblée nationale, qui se trouve, comme le note le doyen Vedel, « dans une situation de subordination excessive par rapport au pouvoir exécutif ». Sans doute les parlementaires n'ont-ils pas toujours su ou voulu exercer complètement les prérogatives prévues par le titre V de la Constitution, mais il faut dire aussi que le texte de 1958 s'est tellement efforcé d'éviter le retour aux erreurs de la IVe République qu'il a fait du Parlement une institution mineure. Faute d'avoir le temps d'expliquer pourquoi le Parlement remplit mal les trois fonctions qui sont sa raison d'être -le vote de la loi, le contrôle de l'exécutif, l'orientation de la politique gouvernementale-, je me contenterai de citer quelques articles de la Constitution qui doivent être révisés si nous voulons conserver à notre régime sa caractéristique de « régime parlementaire ». Ce sont notamment l'article 40, qui restreint à l'excès l'initiative du Parlement en matière de dépenses publiques ; l'article 38, qui n'oblige pas le Gouvernement à inscrire à l'ordre du jour les projets de loi de ratification des ordonnances ; l'article 24, qui devrait préciser explicitement que le Parlement a pour mission d'évaluer les résultats de lois et de contrôler l'action du Gouvernement ; l'article 35, sur la déclaration de guerre, qu'il faut réécrire pour que le Parlement soit consulté sur l'engagement des forces françaises et que dans certains cas, il l'autorise ; l'article 34, qui limite le domaine de la loi et dont le dernier alinéa n'a jamais été appliqué ; l'article 49-1, qui devrait rendre obligatoire une déclaration du Gouvernement suivie de l'engagement de sa responsabilité, dès sa nomination ; l'article 44 et l'article 49-3, destinés originellement à discipliner la majorité, qui devraient être modifiés pour en préciser le sens et en limiter l'usage ; l'article 43, qui devrait permettre une augmentation du nombre des commissions permanentes.

On le voit, il y a place pour une vraie réforme constitutionnelle, franche, motivée, à l'opposé d'une succession de retouches sans finalité globale claire. Si nous voulons que nos institutions soient plus démocratiques, plus efficaces, et mieux comprises des Français, il faudra clarifier les zones d'ombre de la Constitution et procéder à un rééquilibrage des pouvoirs. Ce faisant, nous nous souviendrons, comme le disait si justement le doyen Vedel que « la règle de droit est le moyen irremplaçable de promouvoir les droits de l'homme et de faire vivre la République et ses idéaux » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et quelques bancs du groupe communiste).

M. Bernard Derosier - Monsieur le Premier ministre, depuis votre discours de Grenoble le 26 novembre dernier et votre suggestion de modifier le calendrier pour disiez-vous, rétablir la cohérence de l'exécutif, je m'interroge : et si vous aviez raison ? Car il est vrai que ces deux légitimités issues du suffrage universel qui s'affrontent en période de cohabitation ne créent pas une situation conforme à l'esprit de notre Constitution. Cela n'empêche pas pour autant le Gouvernement de gouverner, ni la majorité parlementaire de voter des lois conformes à ses engagements devant les Français. A l'inverse, les engagements du Président de la République ne se traduisent pas toujours par des avancées législatives, même quand la majorité à l'Assemblée nationale et la majorité présidentielle sont les mêmes. La période 1995-1997 en est une bonne illustration.

Parce que je ne suis pas favorable à un régime présidentiel et parce que je souhaite un renforcement du rôle du Parlement, j'ai besoin aujourd'hui d'être rassuré : après le quinquennat, ne va-t-on pas encore accentuer la présidentialisation du régime ? Et je vous remercie donc, Monsieur le Premier ministre, d'avoir organisé ce débat.

Depuis plusieurs années, par touches successives, les majorités qui se succèdent votent des révisions constitutionnelles dont on nous dit qu'elles vont renforcer le rôle du Parlement. Or elles ont à peine modifié l'équilibre de nos institutions, ou pour mieux dire, leur déséquilibre. L'institution présidentielle demeure hégémonique. Ce déséquilibre n'est pas dans la lettre de notre loi fondamentale, il résulte d'une interprétation extensive du texte de 1958, tout particulièrement depuis 1962.

Aujourd'hui, il nous est interdit d'espérer les réformes nécessaires avant la prochaine législature, que je souhaite sous l'égide d'une présidence plus respectueuse de la véritable nature de notre régime politique.

En février 1993, un comité installé par François Mitterrand sous la présidence du doyen Vedel rendait des conclusions qui ont retenu l'attention de tous. Conformément à ses conclusions, je souhaite un exécutif mieux défini, c'est-à-dire le partage clair des attributions entre le Président et le Premier ministre.

Le Président de la République ne doit pas être celui qui gouverne tout en demeurant irresponsable politiquement. Il revient au Gouvernement de déterminer et de conduire la politique de la nation, pas uniquement en période de cohabitation.

La réduction de la durée du mandat présidentiel qui ne s'est pas accompagnée de mesures propres à renforcer les responsabilités du Parlement, accroîtra certes la responsabilité du chef de l'Etat devant les électeurs, mais cette mesure, isolée, n'est pas suffisante. Elle ne me semble du reste pas des plus propices à conforter la nature parlementaire de notre régime.

Des dispositions nouvelles doivent compléter la Constitution pour encadrer plus strictement les compétences du Président de la République et pour interdire, à l'avenir, les dévoiements. Il faut mieux définir les conditions de l'arbitrage présidentiel, qui, pour l'heure, reste un mythe. La dissolution de l'Assemblée nationale doit être réservée au seul règlement par les électeurs des différends politiques entre les pouvoirs. Nous devons encore encadrer plus strictement l'usage de l'article 16.

Je souhaite aussi et surtout un Parlement plus actif, disposant de compétences et de pouvoirs de contrôles accrus.

Les solutions apportées par le constituant de 1958 pour remédier aux problèmes de l'instabilité ministérielle et de la toute-puissance parlementaire ont vite montré leurs limites. Bien que cela ne fasse pas partie de mes références habituelles, je m'autoriserai cette comparaison religieuse : Monsieur le Premier ministre, le Parlement a fait pénitence de ses excès des IIIe et IVRépubliques ; le temps est venu de son absolution (Sourires sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Pour rétablir l'équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif, il faut revoir les modalités de la définition de l'ordre du jour des travaux des assemblées, ainsi que les conditions d'exercice du droit d'amendement des parlementaires.

Outre la réforme de l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances, de nouvelles dispositions constitutionnelles sont nécessaires pour améliorer le contrôle parlementaire.

Monsieur le Premier ministre, il n'est pas trop tard pour réaffirmer le rôle du Parlement. Je vous remercie de nous donner votre sentiment sur autant de mesures qui doivent mettre fin au déséquilibre de nos institutions, un déséquilibre préjudiciable à la forme parlementaire du régime politique de notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste).

M. Julien Dray - En cinq minutes, je me contenterai de vous faire part d'un souvenir, d'un sentiment et d'une réflexion.

Un souvenir : en juin 1992, nous sommes allés à Versailles pour rendre possible la ratification du funeste traité de Maastricht. Les plus anciens nous conseillèrent de vivre ce moment intensément car, disaient-ils, « nous ne retournerons pas souvent à Versailles ». C'est donc intensément que nous avons vécu ce moment, collectionnant cartes postales, vignettes et flammes du Congrès. Depuis, nous sommes revenus souvent à Versailles ; il faudra bientôt prévoir une navette pour les parlementaires... (Sourires)

Quelle est la valeur d'un texte perpétuellement révisé, dont on a modifié jusqu'au préambule ?

Je veux vous faire part d'un sentiment, celui d'un jeune parlementaire arrivé sur ces bancs en 1988, tout fier d'avoir été choisi par les électeurs de la dixième circonscription de l'Essonne.

Mme Odette Grzegrzulka - Nostalgie, quand tu nous tiens...

M. Julien Dray - Douze ans plus tard, le doute le ronge. à quoi sert le Parlement ? C'est la question que se pose toute une génération de députés. La lassitude l'emporte. Toutes les batailles sont considérées comme perdues d'avance. L'idée se répand que le débat parlementaire n'est qu'un faux semblant et que les vraies décisions sont prises ailleurs.

Cette situation est à l'origine du mal qui mine notre pays. Nous allons préparer le prochain Parlement des enfants. Quand on nous demandera : « A quoi servez-vous ? », nous réciterons ce qu'il faut répondre, tout en sachant que notre rôle est à redéfinir. C'est en nous rabattant sur l'action de proximité -dans nos permanences ou en exerçant un mandat local- que nous pouvons redonner du sens à la politique.

J'en viens à la réflexion. Un jeune étudiant qui assiste à son premier cours de droit constitutionnel...

Mme Odette Grzegrzulka - Ça suffit, les anciens combattants !

M. Julien Dray - ...apprend que la Ve République est un régime particulier, combinant des éléments du régime présidentiel avec des éléments de régime parlementaire. Mais cette Constitution est datée. Elle est née dans des circonstances particulières, à un moment où la société française ne parvenait pas à se tourner vers l'avenir.

Nos institutions, en outre, ont évolué.

On nous dit que notre système est parfait. Pourtant, l'élection du Président de la République au suffrage universel n'a été acquise qu'en 1962, et l'instigateur de cette réforme lui-même doutait de son utilité. Il redoutait simplement que le système initial aboutisse à l'élection d'Antoine Pinay.

Comme l'a dit Jean-Pierre Chevènement, nos institutions n'ont cessé d'évoluer. Le ballottage de 1965 a atténué le caractère bonapartiste de la fonction présidentielle et la bipolarisation de la vie politique n'a fait que s'accentuer.

La Ve République cumule les inconvénients des deux systèmes, sans nous en procurer les avantages. L'élection présidentielle oblige à choisir entre des hommes plus qu'entre des idées et le Parlement ne parvient pas à trouver sa place. Si nous voulons faire avancer notre pays, il nous faut faire un choix.

Soit nous voulons un régime présidentiel : il faut dans ce cas supprimer la fonction de Premier ministre, le Gouvernement tirant alors sa légitimité du Président de la République. Dans ce cas, le Parlement redevient un contre-pouvoir. Il ne participe plus à l'élaboration de la politique menée par l'exécutif, mais il exerce un véritable contrôle et n'a plus à se dessaisir au profit d'experts ou d'autorités indépendantes.

Soit, comme je le souhaite, nous revenons à un vrai régime parlementaire, dans lequel le Parlement joue tout son rôle, tirant sa légitimité du suffrage universel. Nous sommes d'ailleurs entrés dans ce système : le Gouvernement actuel, en effet, tire sa légitimité des élections de 1997 et non du Président de la République.

S'il faut tourner la page de la Ve République, c'est pour redonner tout son sens à l'action parlementaire et faire du Parlement le lieu où sont prises les décisions (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur quelques bancs du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe communiste).

M. André Vallini - Notre débat a permis d'avancer de nombreuses propositions pour améliorer le fonctionnement de nos institutions. Aussi indispensables qu'elles soient, toutes les réformes demandées ne sauraient suffire à donner le nouveau souffle qui manque à notre vie publique, comme le montre l'augmentation continue de l'abstention et du vote blanc.

La vitalité du monde associatif, l'écho rencontré par certains débats comme celui de Maastricht, ou encore le succès de certains mouvements comme Attac, montrent pourtant que le regain civique est là, en puissance, qui ne demande qu'à s'accomplir. En outre, une nouvelle chance s'offre au civisme, avec le temps libéré par la réduction du temps de travail.

Qu'attendent nos concitoyens de leurs institutions pour y croire à nouveau ? Ils souhaitent d'abord qu'elles soient représentatives.

Or la concentration sociologique du pouvoir leur donne l'impression que le monde trop fermé des dirigeants ne les représente plus vraiment. Si les lois sur la parité et la limitation du cumul des mandats vont permettre de diversifier la représentation politique, il reste qu'il faut encore élargir l'accès aux fonctions électives, notamment au plan local, où tout commence.

Les citoyens attendent aussi de leurs institutions qu'elles soient utiles et efficaces. Or le discours de la contrainte -la contrainte extérieure surtout- a trop souvent remplacé celui du projet et de l'action. C'est un sentiment d'impuissance publique qui se répand, même si, Monsieur le Premier ministre, le volontarisme de votre Gouvernement montre le contraire.

Les Français comprennent de mieux en mieux la nécessité d'agir au plan européen, mais c'est alors le problème du déficit démocratique des institutions européennes qui se pose, celui de leur éloignement et de leur responsabilité.

Nous en arrivons donc à la troisième exigence de nos citoyens à l'égard de leurs institutions : l'exigence de responsabilité. Les dirigeants politiques semblent oublier, parfois, qu'ils tiennent leur mandat du peuple et qu'ils doivent, en retour, lui rendre des comptes.

Faire des promesses oubliées aussitôt après l'élection, dire qu'on mènera une politique et en conduire une autre, dissoudre sans en tirer aucune conséquence, provoquer un référendum dont on dit par avance qu'il n'aura aucune conséquence, c'est distendre le lien civique.

La voie choisie par votre Gouvernement est la bonne : montrer aux Français que la politique ne se résume pas à la conquête ou à la conservation du pouvoir, mais qu'elle doit reposer sur une éthique, sur un projet et sur des engagements qu'on tient.

Des institutions représentatives, des institutions utiles, des institutions responsables, voilà trois exigences à satisfaire pour renouer le lien civique et faire vivre la République (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe RCV).

M. le Président - La discussion est close.

M. Lionel Jospin, Premier ministre - L'année 2000 aura été une année importante pour nos institutions et pour la vie démocratique de notre pays. Le 24 septembre dernier, le peuple français a approuvé par référendum la révision constitutionnelle instaurant le quinquennat que le Parlement avait au préalable votée. Aujourd'hui, à l'initiative de plusieurs personnalités et de groupes politiques de l'Assemblée nationale, celle-ci engage une discussion plus large sur l'avenir des institutions, avant d'examiner six propositions de loi visant à rétablir, en 2002, l'ordre logique des élections présidentielle et législatives. Comme vous l'avez souhaité en organisant ces questions orales avec débat, et après avoir écouté les positions exprimées par chacune des sensibilités présentes, je voudrais apporter ma contribution à cette réflexion et à votre prise de décision.

En l'état actuel du calendrier, les élections législatives devraient se tenir les 10 et 17 mars, suivies de l'élection présidentielle les 21 avril et 5 mai 2002.

Ce calendrier, on le sait, est fortuit. Il est dû à l'aléa d'une vie -la mort du Président Pompidou en 1974- et à une décision politique inattendue -la dissolution de l'Assemblée nationale en 1997, un an avant le terme de son mandat.

Si ce calendrier était maintenu, pour la première fois dans l'histoire de la Cinquième République, le Président serait élu juste après les députés.

Plusieurs députés RPR - Ce ne serait pas la première fois !

M. le Premier ministre - Nombreux sont ceux qui pensent qu'une telle séquence, sans précédent, fait peu de cas de la logique de nos institutions, qu'elle est contrainte au bon sens, et constitue même, comme l'a souligné M. le Président Giscard d'Estaing (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR), une anomalie. Il a donc été proposé de rétablir le calendrier normal quand il en était encore temps, et je partage cette conviction. Je voudrais d'abord répondre à l'objection -la seule, en réalité, avancée par certains, faute de s'exprimer sur le fond- selon laquelle une telle proposition serait de convenance. Il est aisé de montrer la faiblesse de cette objection.

Le premier argument est politique. Nul ne peut, quinze mois à l'avance, prévoir le résultat des élections, ni décider à qui tel ou tel ordre pourrait profiter. Ceux qui prétendent que les socialistes craignent les législatives ne donnent-ils pas à penser qu'ils craignent eux-mêmes la présidentielle ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) En réalité, la majorité actuelle n'a pas de raison de penser qu'elle perdrait les élections législatives, pas plus qu'elle ne peut regarder l'élection présidentielle comme acquise. Dans chaque cas, c'est le peuple qui tranchera. Et l'on a vu à plusieurs reprises qu'il était imprudent d'anticiper sur son jugement. Nous sommes d'accord sur ce point, Monsieur Juppé !

C'est en tout cas le moment pour décider du calendrier. Nous sommes à seize mois de l'élection présidentielle. Aucune candidature n'est véritablement déclarée, et la campagne est encore loin. Si le calendrier actuel est aberrant, le devoir des responsables politiques est de dire pourquoi et de le changer. Les Français n'ont peut-être pas pris toute la mesure des inconvénients de ce calendrier, mais il les réaliseront au cours des prochains mois. Il sera alors trop tard pour rétablir un ordre normal entre les deux élections et ils pourraient collectivement nous le reprocher. Nous avons d'ailleurs il y a moins de trois mois adopté le quinquennat qui s'appliquera dès la prochaine présidentielle, et nous aurions, pu, à cette occasion, comme l'a remarqué Bernard Charles, débattre de l'avenir de nos institutions et du calendrier, si le Président l'avait accepté (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste).

La décision qui vous est proposée est si peu de convenance que plusieurs leaders politiques d'horizons différents, dont M. Valéry Giscard d'Estaing, ancien Président de la République, et deux anciens Premiers ministres issus de majorités politiques différentes, M. Raymond Barre et M. Michel Rocard, ont demandé parmi les premiers le rétablissement d'un calendrier plus logique. Cette approche est si peu circonstancielle, que les constitutionnalistes, au premier rang desquels le doyen Vedel, l'ont recommandée. En vérité, la seule surprise de ce débat est que la formation politique qui se réclame de l'héritage gaulliste ne porte pas cette exigence (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Si le calendrier électoral est remis sur ses pieds, les Français choisiront leur Président de la République à la date prévue, sans changement du mode de scrutin, pour cinq ans, comme ils l'ont décidé, et ensuite leurs députés, selon un mode de scrutin et un découpage électoral inchangés. L'élection se fera simplement en juin au lieu de mars.

La prolongation de mandats électifs pour quelques semaines a des précédents validés par le Conseil constitutionnel, qui avait admis, en 1990, la prorogation d'une année de la moitié des conseillers généraux et, en 1994, celle de trois mois des conseillers municipaux.

M. Patrick Ollier - Quel est le rapport ?

M. le Premier ministre - La proposition de calendrier qui est faite par différents groupes de votre Assemblée est celle qui convient. Elle assure la cohérence de notre système politique, la clarté du processus électoral et l'égalité des candidats.

La cohérence implique de rétablir l'ordre du calendrier républicain, puisque la dissolution de 1997 a inversé l'ordre normal des rendez-vous démocratiques.

M. Christian Jacob - La dissolution n'est-elle pas prévue dans la Constitution ?

M. le Premier ministre - Depuis 1962, le Président de la République est élu au suffrage universel direct dans une circonscription unique. C'est cette élection qui a structuré la vie politique nationale des dernières décennies. 1965, 1974, 1981, 1988, 1995 : chacune de ces dates est significative.

Alors, on peut toujours proposer de supprimer l'élection du Président au suffrage universel -mais qui le ferait aujourd'hui ?- mais on ne peut faire de cette élection majeure une élection seconde (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Or personne n'avait imaginé que des élections législatives puissent se tenir cinq semaines avant l'élection présidentielle, au risque d'en dénaturer le sens...

M. Patrick Devedjian - Et la dissolution ?

M. le Premier ministre - Par respect pour nos concitoyens et pour la dignité même de l'élection présidentielle, il ne saurait être question de la cacher, voire de l'embusquer, derrière les élections législatives. Elle ne peut être le solde des élections à l'Assemblée nationale. C'est pourquoi, sur une question de cette importance, et au-delà des clivages partisans, chacun doit prendre ses responsabilités sans s'abriter derrière des arguments formalistes.

Il y va de la cohérence entre l'exécutif et le législatif. Puisque notre système institutionnel est à la fois présidentiel et parlementaire, il est préférable d'avoir une cohésion entre la majorité présidentielle et la majorité parlementaire.

En 2002, nous aurons sans doute connu cinq ans de cohabitation, autrement dit d'exécutif partagé. Certes, grâce aux précautions prises par le Président et le Gouvernement, ces cinq années auront été vécues sans drame, mais elles n'auront pas favorisé l'unité et la simplicité que requiert l'action. La cohérence entre la majorité parlementaire, le Gouvernement et le Président reste une garantie d'efficacité. La cohabitation peut toujours survenir si les Français la provoquent, mais doit être conçue comme une parenthèse, par nature brève. Or, il est clair que la dynamique de la cohérence sera plus forte si l'élection présidentielle précède les législatives, rendant ainsi moins probable le risque de cohabitation.

En revanche, cette cohérence n'implique pas le sacrifice du pluralisme, qui peut s'exprimer aussi bien lors du premier tour de l'élection présidentielle, où toutes les sensibilités sont portées par des personnalités fortes, qu'au moment des élections législatives. M. Jean-Pierre Chevènement l'a brillamment exposé tout à l'heure.

Le choix du quinquennat procédait déjà de ce souci de cohérence. Certes, aucun ordre d'élection ne permet de la garantir mécaniquement. Mais la séquence électorale doit contribuer à donner au débat la clarté dont les citoyens ont besoin pour se forger une opinion.

J'insiste sur cette nécessaire clarté. Compte tenu de la brièveté du délai entre les deux élections, le rendez-vous démocratique de 2002 formera un tout. La question est de savoir comment permettre à chacune des deux élections de jouer pleinement son rôle. Si l'élection du Président vient après les législatives, la question du moment et de la durée de la campagne présidentielle sera inévitablement posée. Ou elle est précoce, et elle noiera celle des législatives, empêchant l'expression des formations politiques et la valorisation des candidats dans leurs circonscriptions, ou bien elle est tardive, et l'élection du Président sera éclipsée et abaissée. Il y a donc un risque d'interférence néfaste (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe RCV).

Au contraire, si l'élection présidentielle a lieu la première, la campagne peut se dérouler dans la clarté et porter sur les grandes orientations proposées par les différents candidats. Ensuite, la donne politique ayant été clarifiée, les élections législatives retrouvent toute leur place, les candidats et les partis menant campagne dans les circonscriptions, en disposant pour cela d'un temps qui n'appartient qu'à eux.

Le refus de la confusion entre les deux élections procède aussi d'une exigence fondamentale en démocratie : celle de l'égalité entre les candidats. Dans toute compétition régulière, les candidats sont placés à égalité sur la ligne de départ. Ce ne serait pas le cas si le calendrier actuel était maintenu. Dans cette hypothèse, en effet, les candidats à l'élection présidentielle seraient en règle générale candidats aux élections législatives, ou, en tout état de cause, engagés ans la campagne nationale de leur formation politique.

Pour tous les candidats à l'élection présidentielle, sauf un -qu'ils soient de gauche ou de droite-, le dilemme sera le suivant : soit affaiblir leur campagne législative parce qu'ils auront déjà annoncé leur candidature à l'élection présidentielle, soit retarder leur candidature à la présidence jusqu'au terme des législatives, ce qui les placera en situation d'inégalité manifeste face au Président sortant, si celui-ci décidait d'être à nouveau candidat (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR). C'est là où pourrait se retourner l'argument de la convenance.

Si le calendrier est rétabli, chacun a les mêmes droits, dispose du même temps, peut se consacrer pleinement à sa ou à ses campagnes, et la compétition redevient équitable. Le rendez-vous présidentiel de 2002 mérite que se confrontent devant les Français, des hommes et des femmes en terrain découvert, avec leurs bilans, leurs convictions et leurs propositions, à égalité de chance (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Vous avez souhaité que ce débat soit inscrit dans une réflexion plus large sur l'avenir de nos institutions, qui ne pourra être menée à terme aujourd'hui. Comme l'ont souhaité M. Hue et M. Mamère, elle devra être reprise et approfondie, justement en 2002 (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR).

Pour autant, il n'est pas interdit de l'amorcer dès maintenant. En votant pour le rétablissement du calendrier électoral, vous permettez aux Français de se prononcer en toute connaissance de cause lors des rendez-vous démocratiques de 2002. Vous servez l'intérêt de la Nation et vous confortez la République, mais vous ne changez pas la nature du régime : il ne devient ni plus présidentiel ni plus parlementaire, car ce n'est pas l'ordre des élections qui détermine la nature d'un régime. Le rétablissement du calendrier électoral ne modifie en rien la conviction politique de chacun, ni son jugement sur les institutions de la Ve République.

Pour ma part, comme vous le savez, j'ai contribué depuis trois ans et demi à faire vivre la dimension parlementaire de notre régime, certains, ici, en ont porté témoignage.

Dans le cadre constitutionnel existant, le Gouvernement « détermine et conduit la politique de la Nation ». Il le fait pleinement et, avec le concours du Gouvernement tout entier, je respecte scrupuleusement les prérogatives du Parlement. J'ai toujours approuvé et accompagné les initiatives du Parlement, de l'Assemblée nationale et de son Président pour renforcer votre information. Nous l'avons fait, chaque fois que l'actualité nationale, européenne ou internationale le justifiait, en organisant des débats spécifiques, mais aussi, pour renforcer votre contrôle sur l'action du Gouvernement, par le concours apporté aux travaux de contrôle et d'enquête, en facilitant par des instructions précises l'examen de l'action des services de l'Etat. De manière générale, tous les grands projets du Gouvernement, ceux qui ont marqué cette législature depuis 1997, ont donné lieu à de vrais débats devant le Parlement.

M. Patrick Ollier - Ce n'est pas le cas ce matin !

M. le Premier ministre - Avec la majorité, le pacte de confiance a été constant. Comme l'a souligné M. Ayrault, jamais le Gouvernement n'a eu recours à l'article 49-3 pour faire adopter ses réformes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). La majorité m'a accordé sa confiance par un vote que j'avais sollicité le 19 juin 1997. Elle l'a toujours maintenue depuis.

Pour l'avenir, je suis favorable à un rééquilibrage des pouvoirs en faveur du Parlement, ce qui devrait se faire d'abord en confortant le statut des parlementaires. Une réforme devrait permettre aux parlementaires de mieux se consacrer encore à leur mandat grâce à la limitation du cumul des mandats électifs. Elle a malheureusement été limitée. Il faudra la poursuivre lorsque les conditions politiques seront réunies (Applaudissements sur les mêmes bancs).

Il faudra, ensuite, renforcer la fonction de contrôle parlementaire, grâce à des moyens d'expertise et des outils de recherche et d'analyse mis à la disposition des parlementaires. Ce contrôle doit tout particulièrement s'exercer sur les finances publiques. Le Gouvernement est prêt à inscrire la réforme de l'ordonnance de 1959 rapidement à l'ordre du jour.

En matière internationale et de défense, nous avons pu constater, à plusieurs reprises, que certaines procédures n'étaient pas satisfaisantes. Ainsi, lors du conflit au Kosovo, nous avons relevé l'inadaptation pratique de l'article 35 de la Constitution, selon lequel « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ». J'ai dit, à l'époque, que j'étais favorable à une réflexion sur l'évolution de ces dispositions. Je le demeure.

Hors cohabitation, d'autres changements, plus importants, seront nécessaires pour rééquilibrer nos institutions. Le débat de 2002 permettra de les préciser.

En démocratie, le temps de l'élection est un temps décisif. C'est celui de la responsabilité, puisque l'élu rend compte de ses engagements. C'est celui du débat, et chacun doit y prendre part à égalité. C'est celui du choix, et les citoyens doivent pouvoir dire clairement comment ils entendent que la France soit dirigée et gouvernée au cours des cinq années suivantes.

J'espère que vous serez convaincus que le rétablissement du calendrier électoral le plus logique, celui par lequel l'élection présidentielle précède l'élection législative, loin d'obéir à un esprit partisan, est la condition pour que 2002 soit le moment démocratique de responsabilité, de débat et de choix que nos concitoyens attendent (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et quelques bancs du groupe RCV).

Prochaine séance cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 25.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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