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Session ordinaire de 2000-2001 - 50ème jour de séance, 118ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 17 JANVIER 2001

PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

LUTTE CONTRE LE TRAFIC DE STUPÉFIANTS 2

AVENIR DES RETRAITES COMPLÉMENTAIRES 2

LUTTE CONTRE LA PROPAGATION DE L'ESB 3

DÉSAMIANTAGE DU CAMPUS DE JUSSIEU 4

DROITS DES MALADES 4

SECRET DE L'ACCOUCHEMENT 5

RÉFORME DES PROFESSIONS DE SANTÉ 5

INSÉCURITÉ 6

JEU IGNOBLE 7

PRIME À L'EMPLOI 7

PRIME POUR L'EMPLOI 8

BLANCHIMENT DE L'ARGENT 9

DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT
SUR LA DÉCENTRALISATION 9

La séance est ouverte à quinze heures.

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      QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

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LUTTE CONTRE LE TRAFIC DE STUPÉFIANTS

M. Thierry Mariani - Le rapport que vient de rendre l'Office européen des drogues et toxicomanies est alarmant. La consommation de drogues ne fait que croître en France, qu'il s'agisse du cannabis, de la cocaïne, de l'héroïne, des amphétamines ou de l'ecstasy, et que ce soit sur les lieux de travail, à la grande inquiétude des médecins du travail, dans les établissements d'enseignement, de manière de plus en plus précoce, dans les soirées « rave », dans les milieux « branchés », comme en atteste un fait divers récent. Et les zones rurales ne sont pas épargnées.

Il y a un mois, votre majorité a refusé l'adoption d'une proposition de loi du groupe RPR relative à la conduite de véhicules sous l'emprise de stupéfiants. Quant à M. Lang, ministre de votre Gouvernement, il s'est déclaré favorable au contrôle de la qualité des comprimés d'ecstasy, semant le trouble dans l'esprit des éducateurs.

Vos campagnes d'information ont frappé par leur laxisme et leur inadéquation à la réalité. Allez-vous vous en tenir là, et baisser les bras devant ce fléau ? N'est-il pas urgent de lancer une campagne d'information ? N'est-il pas temps, aussi, qu'un débat se déroule dans cette enceinte sur les ravages de ce fléau, première cause de la délinquance dans notre pays, et qui sape les fondements de notre société ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice - Dans ce dossier d'une extrême importance, il convient de distinguer campagnes d'information et de prévention d'une part, lutte contre le trafic de stupéfiants d'autre part. L'action volontariste menée dans ce domaine par le Gouvernement et particulièrement par Mme Guigou a conduit à la multiplication des opérations menées de conserve avec nos partenaires européens pour définir le cheminement de la drogue, qui recoupent bien souvent les circuits de blanchiment d'argent.

Notre lutte commune contre le trafic de stupéfiants doit nous inciter à une prudence particulière dans l'expression. Jamais je ne considérerai anodine la consommation de drogues, jamais je ne me satisferai que les jeunes ignorent les dangers auxquels ils s'exposent par méconnaissance, jamais je n'aurai la moindre tolérance pour ceux qui diffusent ces produits toxiques, et que j'entends traquer (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. le Président - Je vous invite, mes chers collègues, à prêter attention aussi bien aux questions qu'aux réponses qui leur sont faites.

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AVENIR DES RETRAITES COMPLÉMENTAIRES

M. Jean-Pierre Brard - Le MEDEF, dont la représentativité est toute relative, puisqu'il a recueilli moins de 20 % des voix des inscrits aux élections des chambres de commerce (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur de nombreux bancs du groupe socialiste), se livre à une agression intolérable. Son président, le baron Ernest-Antoine Seillière de Laborde, veut en effet remettre en cause le droit à la retraite. Cet aristocrate insolent ne sait-il pas que, depuis 1789, les Français ont acquis quelques droits ? Sa démarche n'est pas sans rappeler celle de M. Juppé qui prétendait, en 1995, démolir la sécurité sociale (Vives protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Le Gouvernement et les forces de progrès feront face, unis, à cette attaque et soutiendront les organisations syndicales, unanimement engagés dans la défense du droit à la retraite (Mêmes mouvements). Ces cris traduisent bien l'irritation des fondés de pouvoir du baron Ernest-Antoine Seillière de Laborde (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; rires sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

Face à cette agression, le Gouvernement est-il prêt à soumettre au Parlement, le cas échéant, une loi défendant les droits des retraités actuels et futurs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV)

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Le blocage auquel vous avez fait allusion concerne, je le rappelle, les négociations relatives aux seules retraites complémentaires, le régime de base, financé par la sécurité sociale n'étant pas menacé. La proposition du MEDEF, qui remet en cause le droit à la retraite à 60 ans, est en effet refusée par le front uni des organisations syndicales. Il ne m'appartient pas de dicter aux partenaires sociaux leur conduite dans un dossier qui relève de leur responsabilité. Cela ne m'empêche pas de dire mon étonnement que l'on puisse à la fois se prononcer en faveur de la refondation sociale et prétendre procéder par diktats.

J'ajoute que les projections les plus récentes montrent que le régime de retraite complémentaire n'est pas menacé. Le déficit annoncé se produira en 2013 et non, comme on le craignait, en 2009. Dès lors, le temps ne manque pas pour une négociation sereine, et il n'y a aucune raison de forcer la décision.

Le Gouvernement fait confiance aux partenaires sociaux pour trouver une solution acceptable par tous. Mais si tel n'était pas le cas, il prendrait ses responsabilités. Nous sommes, vous le savez, attachés au droit à la retraite à 60 ans, et aussi à la retraite par répartition. C'est bien pourquoi nous avons demandé à la représentation nationale d'abroger la loi Thomas sur les fonds de pension (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

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LUTTE CONTRE LA PROPAGATION DE L'ESB

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Le dépistage systématique de l'ESB ne suffira pas, à elle seule, à rétablir la confiance des consommateurs. Lorsque les sociétés Coca-Cola ou Perrier ont constaté un défaut dans quelques-unes de leurs productions, elles ont procédé au retrait et à la destruction de l'ensemble des lots, et les acheteurs ont été pleinement rassurés. Eh bien, si l'on souhaite que la consommation de viande bovine reprenne en France, il convient d'éliminer des entrepôts frigorifiques tous les stocks de plats cuisinés confectionnés avec la viande de bovins de plus de trente mois non testés. Cette destruction totale, assortie d'indemnisation, relancerait l'industrie de la transformation, aujourd'hui au plus mal.

Monsieur le ministre de l'agriculture, qu'allez-vous faire pour rassurer les Français et soutenir la filière bovine ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Je pense comme vous qu'une seule mesure ne suffirait pas à rétablir la confiance et c'est pourquoi le Gouvernement ne s'en est pas tenu à celle que vous avez mentionnée.

Nous avons mis en place un dispositif global grâce auquel, les dernières statistiques le montrent, la confiance renaît progressivement. La reprise constatée depuis une semaine ira en s'amplifiant.

S'agissant des stocks de produits cuisinés avec de la viande de bovins de plus de trente mois, je vous rappelle que sa commercialisation était parfaitement légale jusqu'au 2 janvier. La question a été abordée avec les industriels concernés, et il est apparu qu'interdire la distribution de ces produits, légaux et jugés non dangereux, aurait exposé l'Etat à des recours judiciaires et à des indemnisations qui auraient pu s'élever à plusieurs milliards.

Nous avons abordé le problème en toute sérénité avec l'ensemble des industriels et des administrations concernées et la réponse est claire : ces stocks sont tout à fait commercialisables et, je vous rassure, ils sont commercialisés (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur divers bancs).

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DÉSAMIANTAGE DU CAMPUS DE JUSSIEU

M. Georges Sarre - Je voudrais aborder la question du désamiantage des locaux des universités de Paris VI et Paris VII à Jussieu.

Le 14 juillet 1996 le Président de la République déclarait que d'ici la fin de l'année il n'y aurait plus d'étudiants à Jussieu (Rires sur les bancs du groupe socialiste).

Le 30 septembre 1996, M. Bayrou annonçait le désamiantage complet de Jussieu en trois ans.

Le 3 février 1999, suite à des rapports d'experts mettant en cause la sécurité des bâtiments, M. Allègre précisait que les étudiants n'avaient rien à craindre.

Depuis, force est de constater que les travaux ne progressent que très lentement. Quel est le calendrier prévu pour ces travaux de désamiantage ? Quand la rénovation du campus de Jussieu sera-t-elle achevée ? Des locaux provisoires sont-ils prévus pour permettre l'accélération des travaux ? Quels sont les projets de Gouvernement concernant ce campus ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV)

M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel - J'ai le plus grand respect pour les autorités que vous citez, mais il arrive que les meilleures intentions butent sur des difficultés techniques insoupçonnées.

Le premier plan de travaux établi par un précédent gouvernement n'était pas financé : nous y avons remédié, si bien qu'il n'y a plus d'obstacle de ce type à l'accélération des travaux. Mais le désamiantage est une technique nouvelle, il a fallu du temps pour l'assimiler sans exposer les personnes qui travaillent sur ces chantiers. C'est maintenant chose faite.

Nous avons dégagé 14 000 m2 de locaux provisoires et en décembre M. Jack Lang a signé un accord en ce sens avec la ville de Paris.

Sur le terrain même, un responsable de la sécurité du chantier a été nommé en octobre dernier et un complément de financement de 19 millions dégagé, ce qui garantit la sécurité du campus.

Je conclurai en adressant une pensée très amicale aux salariés qui procèdent à ce désamiantage (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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DROITS DES MALADES

M. Philippe Houillon - Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. Depuis votre départ du ministère de la justice, votre successeur doit gérer un lourd passif. Faute de vision et de moyens, la justice est dans l'impasse, peut-être parce que, comme le titre un grand quotidien, vous avez du mal à quitter la place Vendôme.

Au ministère de la solidarité, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Faute de réponses claires, le mécontentement augmente chez les praticiens de la santé, mais aussi du côté des patients. Les dix-neuf plus grandes associations de malades ont décidé de quitter toutes les instances nationales où elles représentaient les usagers pour dénoncer le report sine die du projet de loi sur les droits des malades et l'absence de concertation -elles n'ont même plus d'interlocuteurs dans votre cabinet.

Les usagers attendent depuis des mois ces dispositions plébiscitées par l'opinion et les médecins souhaitent avoir un cadre stable. Au nom des trois groupes de l'opposition (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste), je vous demande comment vous entendez reprendre le dialogue avec les associations de malades -à moins que vous n'ayez l'intention de laisser ce dossier en héritage à votre successeur ! Ce projet de loi sera-t-il inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée avant l'été ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF)

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - Je vais vous répondre sur l'action du ministère dont j'ai la responsabilité. En ce qui concerne la justice, Marylise Lebranchu assume ses responsabilités avec une remarquable compétence (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Les malades revendiquent à juste titre d'avoir des droits, notamment celui de pouvoir consulter leur dossier, et demandent une meilleure coordination des soins. Cela fait des années qu'ils s'expriment, mais c'est ce Gouvernement qui a préparé un projet de loi sur les droits des malades et la modernisation du système de santé. Il est dans la dernière phase des arbitrages interministériels. Des questions compliquées sont abordées, comme l'indemnisation de l'aléa thérapeutique, sujet très difficile auquel vous ne vous êtes jamais attaqués (Exclamations sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF), et je vous confirme, après le Premier ministre, que ce projet sera présenté au Parlement avant la fin de la session (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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SECRET DE L'ACCOUCHEMENT

Mme Françoise Imbert - Madame la ministre déléguée à la famille et à l'enfance, certaines jeunes femmes en détresse n'ont d'autres recours que l'accouchement dans le secret. Cependant la Convention internationale des droits de l'enfant prévoit le droit de connaître ses parents. Si, depuis dix ans, le nombre d'enfants nés de parents inconnus est en recul régulier, il n'en reste pas moins qu'aujourd'hui en France 400 000 personnes se heurtent à des difficultés dans la recherche de leurs origines.

Vous venez de présenter en Conseil des ministres un projet de loi réformant l'accouchement dans le secret et créant un Conseil national pour l'accès aux origines personnelles. Quelles en sont les principales dispositions ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance - Les hommes et femmes nés de parents inconnus sont de plus en plus nombreux à rechercher leurs origines et à exprimer leur souffrance face à ce vide, d'où l'évolution de notre droit. Il a fallu, sur ce sujet complexe et sensible, rapprocher les points de vue entre le maintien d'un secret absolu et la demande de vérité. Le projet présenté ce matin en Conseil des ministres se veut équilibré. Il affirme le droit de toute personne à avoir accès à son histoire : il maintient la possibilité d'accouchement anonyme, mais organise la réversibilité de ce secret grâce à la création d'un Conseil qui pourra recueillir les informations, accéder aux archives, rapprocher les parties pour qu'une démarche volontaire puisse aboutir.

Je rends hommage à tous ceux qui ont connu cette souffrance et pris la parole, mais aussi aux familles d'adoption, qui ont évolué et admettent aujourd'hui que dire la vérité à un enfant construit la confiance. C'est cette compréhension qui a permis d'engager la création d'un nouveau droit de l'identité. Faciliter la quête de milliers de personnes sans forcer au face-à-face, tel est l'objectif de ce projet qui sera soumis prochainement à votre Assemblée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe UDF).

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RÉFORME DES PROFESSIONS DE SANTÉ

M. Jean-Paul Bacquet - Le rythme actuel d'augmentation des dépenses d'assurance-maladie laisse à penser que l'ONDAM pour 2001 sera très difficile à respecter (Exclamations sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

Paradoxalement, c'est au moment où les Français n'ont jamais autant dépensé pour leur santé que les professionnels manifestent leurs inquiétudes pour l'avenir. On observe en effet une baisse de la démographie médicale pour les spécialités pénibles, une difficulté à faire assurer les gardes et astreintes, une vacance de postes hospitaliers et même une désaffection pour la carrière hospitalo-universitaire, une démotivation face aux contraintes administratives dans les hôpitaux, une difficulté à remplacer les médecins dans les régions rurales.

Des réformes sont nécessaires, mais elles ne pourront se faire sans la participation des professions concernées. Que peut-on attendre, Madame la ministre, de la réunion de concertation que vous leur avez proposée le 25 janvier prochain ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité - De fait, alors que les dépenses de santé augmentent plus que prévu -ce qui montre au moins qu'il n'y a pas rationnement des soins, contrairement à ce que disent certains !- un malaise s'exprime chez les professionnels de santé et on observe une pénurie dans certaines spécialités et certaines zones rurales, doublée d'une inquiétude face à l'avenir. Face à ces problèmes, nous devons veiller à ce que chaque franc dépensé le soit à bon escient puisqu'il s'agit de financements publics. En outre les nouveaux traitements sont de plus en plus chers et il n'y a pas d'argent à gaspiller. Nous avons pris des mesures utiles dans ce domaine comme le développement des génériques. Il faut poursuivre l'effort de régulation pour une meilleure qualité de soins.

C'est ce que nous ferons lors de la réunion du 25 janvier avec des représentants des médecins, des kinésithérapeutes, des infirmiers, qui tous ensemble _uvrent à la médecine de ville et font de notre système de santé l'un des meilleurs du monde, ne l'oublions pas. Nous aborderons ces sujets fondamentaux que sont la démographie médicale, la coordination des soins, les urgences, le droit des malades, nous examinerons comment réguler un système mixte, à financement public et à ordonnancement semi-public et semi-privé. J'indiquerai une méthode de travail et un calendrier pour les mois à venir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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INSÉCURITÉ

M. Jean-Claude Mignon - J'interroge M. le ministre de l'intérieur au nom des trois groupes de l'opposition (Rires sur les bancs du groupe socialiste ; quelques applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). L'insécurité est une préoccupation majeure, mais jusqu'ici vos réponses ne nous ont pas satisfaits.

Désormais même des médecins sont agressés. L'un d'entre eux l'a été dans son cabinet à Vénissieux, un autre a reçu des pavés sur sa voiture à Evreux, le SAMU se refuse parfois à aller dans les quartiers sensibles.

Vous nous répondez par la police de proximité, les contrats locaux de sécurité. Mais cela ne fonctionne pas, en tout cas par comme nous le souhaiterions. Prenez plutôt exemple sur l'Angleterre, où l'on a pris des mesures courageuses pour régler le problème. Que comptez-vous faire très concrètement pour mettre fin à l'insécurité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur - Cette question revenant sans cesse, je me dois de faire _uvre de pédagogie. Tous les gouvernements sont confrontés à la délinquance. Police et gendarmerie sont essentielles pour lutter contre l'insécurité, mais ne sont pas les seuls. Il faut savoir prévenir et dissuader autant que sanctionner. Il faut que la société dans son ensemble apporte des réponses. Policiers et gendarmerie exercent un métier difficile comme l'ont montré des drames récents et ils ont su arrêter des malfaiteurs longuement recherchés (Protestations sur les bancs du groupe du RPR).

Quant à la question que vous posez (« Ah ! » bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) vous ne suggérez certainement pas de mettre un policier à côté de chaque médecin ? Aujourd'hui, il est vrai, les forces de police ne sont pas au niveau auquel elles devraient être (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), oui, si vous aviez pris vos responsabilités et préparé en temps voulu le remplacement des départs en retraite ! Vous ne l'avez pas fait. Nous sommes obligés de le faire (Huées bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Il y faudra du temps. Sans attendre nous avons recruté des policiers en surnombre. Oui, la police de proximité sera généralisée (Mêmes mouvements) car nous voulons mettre fin à l'insécurité tandis que vous ne voulez que l'exploiter (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

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JEU IGNOBLE

M. Didier Boulaud - Depuis quelques mois un jouet, qui s'est vendu à 615 000 exemplaires en deux mois après son lancement aux Etats-Unis, est apparu sur le marché français. Il s'agit d'une petite figurine assise sur une chaise. Des fils partent en boucle du dossier. On actionne une manette, provoquant une décharge électrique. La figurine mime les spasmes de la douleur, crie, ses yeux rougissent : l'enfant peut à loisir exécuter un condamné. J'ai été saisi par l'Association nationale d'enfants et de jeunes et par Mme Claire Brisset qui a fait vérifier que ce jouet a été mis en vente, notamment dans un grand établissement d'ordinaire voué à la diffusion culturelle. Il a été retiré des vitrines mais on peut toujours se le procurer. Le salon du jouet s'ouvre. Avez-vous l'intention d'interdire la commercialisation de cet ignoble jouet et d'engager des poursuites pénales contre les distributeurs et commerçants concernés pour apologie de la peine de mort alors que la France est fière de fêter cette année le 20ème anniversaire de son abolition ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV, sur de nombreux bancs du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe du RPR et du groupe DL)

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance - Nous ne ferons aucune publicité à ce que je me refuse à appeler un jouet, qui banalise la peine de mort abolie en 1981. Il met l'enfant dans la posture ludique et jubilatoire d'un bourreau. C'est inadmissible. C'est aussi un jeu vidéo, et cela pose la question de la violence et de la bêtise de certains jeux. Avant d'engager des procédures lourdes, il y a place pour un appel au bon sens et à la responsabilité.

M. François Rochebloine - Cela ne suffit pas !

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance - C'est ce que j'ai fait, et le distributeur a décidé de retirer cet objet de la vente. Si d'autres s'obstinaient, le Gouvernement engagerait les procédures que vous appelez de vos v_ux.

Au-delà, suite au conseil de sécurité intérieure présidé régulièrement par le Premier ministre, j'ai rencontré chaque président de chaîne de télévision et les ai invités à une table ronde (« Ah ! » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), ainsi que les responsables des radios et la presse pour adolescents et les importateurs et distributeurs de jeux vidéo pour que chacun prenne conscience de sa responsabilité éducative, cesse de considérer que la violence et les images dégradantes sont inévitables et pour qu'en aucun cas la recherche du profit ne porte atteinte à la dignité de l'homme et à la protection des mineurs (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

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PRIME À L'EMPLOI

M. Patrick Malavieille - La prime pour l'emploi se substitue à la ristourne de CSG censurée par le Conseil constitutionnel. Dix millions de Français en profiteront contre neuf pour la première mesure. Mais la prime sera moins élevée que la ristourne.

Par ailleurs nous pensons qu'on peut anticiper cette mesure avant septembre pour soutenir la consommation. Le même objectif implique d'augmenter le SMIC et les minima sociaux. Le Gouvernement peut le décider très rapidement. Comptez-vous améliorer les modalités de versement de la prime pour l'emploi ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour conforter le pouvoir d'achat, en particulier celui des bas salaires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - La décision ayant été annoncée hier, il est normal qu'il subsiste quelques incertitudes sur ses modalités. En réalité, on ne peut dire qu'en général la prime pour l'emploi sera inférieure à la ristourne de CSG. J'ai à l'esprit des cas où elle sera supérieure pour un salaire au SMIC. Prenons l'exemple d'un smicard marié, avec deux enfants et un seul salaire. Pour lui la ristourne de CSG était d'environ 180 F par mois : elle passera à 200 F, soit 2 400 F par an.

Quel était le problème ? La ristourne de CSG a été annulée par le Conseil constitutionnel, qui nous a enjoint de prendre en compte des critères supplémentaires, notamment les charges de famille. Il y aura donc plus de personnes concernées, soit dix millions, et d'une certaine manière c'est une bonne chose. Dès lors, puisqu'une somme globale est inscrite au budget, il y aura pour certaines personnes une légère atténuation de la mesure, mais pour beaucoup de familles elle sera accrue.

Vous me demandez d'autre part ce qui sera fait pour le pouvoir d'achat. Je précise que le mécanisme de revalorisation du SMIC s'appliquera cette année comme les précédentes. En outre, fin 2000 et début 2001, le Gouvernement a pris plusieurs décisions ; il a notamment augmenté l'allocation logement, sur proposition de mon collègue Gayssot.

Enfin, puisque la croissance est au rendez-vous et que l'économie française créera des emplois, nous n'entendons pas séparer croissance et solidarité, qui sont les deux étages d'une même maison, et nous avons bien l'intention de faire que le pouvoir d'achat continue d'augmenter cette année (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

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PRIME POUR L'EMPLOI

M. Augustin Bonrepaux - Vous avez déjà répondu en partie, Monsieur le ministre de l'économie, à la question que j'allais vous poser. Mais votre réponse même souligne combien la mesure que nous avions votée était plus équilibrée et plus simple, et assurait un équilibre entre ceux qui sont redevables de l'impôt sur le revenu et ceux qui, n'ayant pas les moyens de l'acquitter, doivent néanmoins bénéficier d'une contrepartie. Nous avions assuré celle-ci par une réduction de la CSG. Le Conseil constitutionnel, saisi par l'opposition, a annulé ce dispositif, qu'inspirait le seul souci de faire bénéficier les catégories les plus modestes des fruits de la croissance. La décision du Conseil constitutionnel s'impose, certes, ce qui n'empêche pas de s'interroger. Elle semble donner raison à d'éminents juristes pour qui, de plus en plus, le Conseil penche du côté de l'opportunité politique plutôt que de la rigueur juridique (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe RCV ; vives exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Cela ne manquera pas de poser des problèmes à la démocratie (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. le Président - Revenons à la question.

M. Augustin Bonrepaux - Le principe d'égalité fiscale qu'invoque le Conseil ne doit cependant pas interdire la justice fiscale, qui nous tient à c_ur. Monsieur le ministre, quel dispositif allez-vous nous proposer pour rétablir cette justice fiscale en faveur des plus modestes, aujourd'hui victimes de la décision de l'opposition et du Conseil constitutionnel (Huées sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Pourront-ils, dans l'esprit de la décision que nous avions votée, bénéficier d'une réduction de charges significative, afin d'améliorer le salaire net et d'encourager le retour à l'emploi comme nous l'avons souhaité ? A quelle date pourrons-nous examiner ce projet ? Quand cette compensation pourra-t-elle être versée, et à quel niveau ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Vous comprendrez que je n'entreprenne pas de commenter une décision (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL) qui en tout état de cause s'impose à nous. En revanche je sais votre attachement à la défense des catégories les plus modestes, et je vais donc vous répondre très concrètement.

La prime pour l'emploi vous sera proposée rapidement : le projet, qui comporte un seul article, est au Conseil d'Etat, et sera présenté au conseil des ministres avant la fin du mois. Et je suis sûr que les deux assemblées tiendront à l'examiner rapidement. En conséquence, dix millions de personnes recevront en septembre, soit une feuille attestant d'une réduction d'impôt, soit un chèque correspondant à la prime pour l'emploi. Qui sera concerné ? On peut considérer deux catégories d'exemples. Pour un smicard sans enfant, la prime représentera 1 500 F cette année, 3 000 F l'an prochain, et 4 500 F en 2003, ce qui est tout de même une avancée. Pour un couple de smicards avec deux enfants, le revenu supplémentaire sera de 3 400 F cette année, 6 400 F l'an prochain et 9 400 F en 2003 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

Nous sommes évidemment restés fidèles à l'état d'esprit qui était le nôtre : il s'agit d'encourager à l'activité, et de faire que cet encouragement s'adresse aux plus modestes parmi les salariés. Sur l'ensemble des dix millions de personnes, soit huit millions de foyers concernés, il y aura certes 30 % de personnes imposables, quoique petitement, mais 70 % de personnes non imposables. C'est dire que l'objectif du Gouvernement et de la majorité, qui est d'aider l'activité et l'emploi pour les plus modestes, sera pleinement rempli (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

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BLANCHIMENT DE L'ARGENT

M. Michel Hunault - En mai 1996, l'Assemblée a voté à l'unanimité une loi contre le blanchiment, en application de la convention du Conseil de l'Europe. Cette loi crée des obligations pour les banquiers, notamment celle d'une déclaration de soupçon sur l'origine frauduleuse de certains mouvements financiers. La France a toujours été à la pointe de la lutte contre le blanchiment. Or la presse s'est faite l'écho d'un projet d'amendement élaboré par le ministère des finances, en liaison avec la Chancellerie, et qui serait adopté en deuxième lecture de la loi NRE. Cet amendement conduirait à mettre entre parenthèses la législation contre le blanchiment. Monsieur le ministre de l'économie, pouvez-vous garantir à la représentation nationale qu'il n'en sera pas ainsi, et que la conversion en euros ne risquera pas de donner lieu à une vaste opération de blanchiment ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe du RPR)

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Votre question soulève celle des conditions du passage à l'euro. Nous devons concilier deux objectifs. D'une part, si nous voulons que la conversion des francs en euros se fasse bien, il ne faut pas multiplier les barrières ; l'opération de change devra se faire sans procédures inquisitoires. D'autre part il faut éviter qu'à cette occasion se développent divers trafics. Nous y avons réfléchi en liaison avec les banques. Vous savez en effet que certains responsables de banques ont été incriminés pénalement pour des opérations dont pourtant ils n'étaient pas informés. Nous proposerons donc une disposition qui évitera que pèse sur ces opérations une inquisition inutile, tout en nous assurant qu'elles ne donnent pas lieu à un blanchiment du blanchiment. Nous en avons discuté avec la Garde des Sceaux, le Premier ministre, et aussi le Président de la République, et nous vous proposerons une disposition simple et pratique qui, je crois, ne soulèvera aucune difficulté (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 20.

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DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT SUR LA DÉCENTRALISATION

L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement sur la décentralisation et le débat sur cette déclaration.

M. Lionel Jospin, Premier ministre - Je suis heureux d'ouvrir aujourd'hui devant vous le débat d'orientation générale sur la nouvelle étape de la décentralisation que je vous avais annoncé à la fin de l'année 2000.

Sous la cinquième République, la décentralisation est inséparable de l'action réformatrice des gouvernements de gauche. Il y a vingt ans, sous l'impulsion du président Mitterrand, les lois de décentralisation préparées par le gouvernement de Pierre Mauroy ont profondément modifié les relations entre l'Etat et les collectivités territoriales et modernisé l'architecture des institutions locales. Cette réforme majeure a atteint ses objectifs. Elle a donné un nouveau souffle à la démocratie française en conférant aux élus locaux des responsabilités importantes et les moyens de les assumer. Elle a fait des collectivités territoriales des acteurs à part entière du développement local, capables d'agir et d'inventer pour répondre aux besoins des citoyens. L'action publique y a puisé des formes nouvelles et un dynamisme puissant. Dans le même temps, l'Etat a continué de garantir la cohésion nationale, veillant à un développement équilibré du territoire et à la péréquation des ressources entre collectivités locales.

Les lois de décentralisation votées entre 1982 et 1986 ont été complétées, dans le même esprit, en 1992. Plusieurs textes ont renforcé la péréquation entre les collectivités, encouragé la coopération entre elles et fixé les principes de la déconcentration à travers une Charte, pour que l'Etat et ses services territoriaux accompagnent plus efficacement les initiatives des collectivités locales. Depuis 1997, ce mouvement de décentralisation a repris grâce aux lois que le Parlement a adoptées. Je pense en particulier à la loi d'orientation sur l'aménagement et le développement durable du territoire défendue par Mme Voynet ou à la loi sur le renforcement de l'intercommunalité. Ces lois commencent à être reconnues par tous, comme l'ont finalement été celles de 1982 puis de 1992.

Depuis trois ans et demi, le gouvernement a également fait adopter plusieurs textes essentiels pour moderniser la vie politique locale : la réforme du scrutin régional et des règles de fonctionnement des conseils régionaux, l'introduction de la parité entre femmes et hommes, une réduction -malheureusement inachevée- du cumul des mandats.

Le gouvernement souhaite à présent lancer une nouvelle étape de la décentralisation, une décentralisation citoyenne et solidaire. J'avais demandé en octobre 1999 à une commission présidée par Pierre Mauroy de réfléchir au contenu de cette nouvelle étape. Ce travail de réflexion ne fut pas isolé. Plusieurs groupes de travail, au Sénat, au Conseil économique et social et dans différentes instances, ont examiné les moyens d'adapter nos institutions locales aux évolutions démographiques, économiques et sociales que connaît notre pays.

La commission Mauroy a rendu son rapport à la fin du mois d'octobre 2000. Je tiens à souligner ici la grande qualité de ce document qui synthétise des débats approfondis, constructifs et même consensuels -sauf peut-être dans les dernières semaines, et pour des motifs éloignés du sujet. Certains, parfois ceux-là même qui ont participé à la rédaction du rapport, ont voulu, à tort, voir dans ce consensus de la timidité. Le débat d'orientation générale que nous ouvrons sera, je l'espère, l'occasion pour eux de présenter un programme d'ensemble sur une décentralisation rénovant profondément le paysage institutionnel local. Le Gouvernement leur prêtera, bien entendu, la plus grande attention.

M. René Dosière - Ils n'ont pas d'idées !

M. le Premier ministre - Un élément de ce consensus est que le bilan des lois de décentralisation mises en _uvre depuis vingt ans est positif. Il est en conséquence logique de travailler à partir de ce socle, reconnu solide par tous. Parce que l'attachement des Français aux communes, aux départements et aux régions est réel, il n'est pas envisagé de supprimer un de ces niveaux de collectivité ; il faut en revanche moderniser, et parfois démocratiser leur fonctionnement. Parce que la solidarité nationale est le fondement du pacte républicain, la France restera un Etat unitaire. Mais unité ne signifie pas uniformité : chaque territoire doit pouvoir mettre en valeur ses atouts de la façon la mieux adaptée aux besoins de ses habitants. L'Etat, lui, doit conserver ses missions de défenseur de l'intérêt général, de gardien de la cohésion nationale, de garant d'un développement équilibré sur l'ensemble du territoire.

Cette nouvelle étape doit répondre à l'attente, chez les Français, d'un approfondissement de la démocratie locale. Elle doit aussi répondre au souci des élus de moderniser les finances locales, de simplifier le partage des compétences entre Etat et collectivités, de transférer de nouvelles attributions et de rénover les conditions d'exercice des mandats locaux. Elle doit enfin répondre à l'attente qu'ont les citoyens d'une administration plus proche d'eux, plus efficace, plus juste, plus responsable, et leur permettre de s'investir davantage dans la vie publique.

C'est dans le respect de ces principes et conscient de ces objectifs que le Gouvernement vous propose d'engager pour notre pays cette nouvelle étape de la décentralisation. Nous en définirons ensemble le contenu au terme d'une concertation aussi approfondie que possible. Celle-ci rassemblera les associations d'élus, la population et les syndicats de la fonction publique ou plutôt des fonctions publiques. Le Gouvernement est particulièrement attaché à la qualité de cette concertation, car la nouvelle étape de la décentralisation ne tiendra ses promesses que si chacun -élu, usager, fonctionnaire- s'engage pour sa réussite.

Le Gouvernement propose d'organiser cette nouvelle étape autour de six priorités.

La première concernera la rénovation des institutions locales.

La France dispose de trois niveaux de collectivité territoriale : la commune, le département, la région. Les Français sont attachés à chacun d'entre eux. Ils tiennent à la proximité de la commune ; ils mesurent le rôle du département dans le domaine social et pour les infrastructures facilitant leur vie quotidienne ; ils apprécient l'action de la région, qui _uvre à la formation, au développement économique et à l'aménagement du territoire. Cet attachement aux trois niveaux de collectivités est partagé par les élus locaux, chez qui ne se dessine aucun consensus prônant la suppression de tel ou tel niveau.

En revanche, le grand nombre de collectivités à chacun des niveaux doit nous amener, comme cela a déjà été engagé avec succès ces dernières années, à renforcer la coopération entre communes et à faciliter celle-ci entre départements et entre régions. Cette coopération peut se réaliser par la voie contractuelle : le Gouvernement envisage qu'elle puisse se traduire aussi par la création d'établissements publics.

L'ouverture de la France à l'Europe doit également nous amener à faciliter la coopération transfrontalière. La coopération décentralisée avec des pays non limitrophes s'inscrit dans ce même objectif d'ouverture de nos collectivités sur le monde.

La politique des contrats a fait l'objet de plusieurs critiques dans le rapport de la commission Mauroy. Certes, il convient d'éviter la multiplication des contrats, qui aboutit à un manque de lisibilité pour les usagers, mais la politique contractuelle a néanmoins fait ses preuves. Je pense en particulier aux contrats de villes et aux contrats de plan Etat-région, dont la dernière génération témoigne d'une ambition plus large, tant dans les domaines couverts -comme l'environnement- que dans les moyens rassemblés par les partenaires. Il nous faudra réfléchir ensemble aux moyens de mieux centrer encore ces contrats sur des sujets d'intérêt commun.

La deuxième priorité du Gouvernement sera l'approfondissement de la démocratie locale.

Cet approfondissement vise à aider les citoyens qui le souhaitent à assumer des responsabilités locales. Le Gouvernement y a déjà contribué en réduisant le cumul des mandats et en introduisant la parité entre les femmes et les hommes -dont nous verrons l'effet éclatant aux élections municipales (Interruptions sur les bancs du groupe DL). Il nous faut encore améliorer les conditions d'accès aux mandats locaux et d'exercice de ces mandats, afin que le travail accompli par les élus au service de l'intérêt général ne le soit pas au détriment de leur propre vie professionnelle et personnelle. Dans cet esprit, le Gouvernement soumettra au Parlement dès cette législature un premier projet de loi sur la démocratie citoyenne, présenté par le ministre de l'intérieur (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Ce projet de loi devra d'abord améliorer la formation des élus, en particulier en début de mandat, lorsqu'elle est la plus nécessaire. Il devra attribuer aux élus salariés davantage de crédits d'heures pour accomplir leur mission pendant leur temps de travail. Il devra également leur permettre, une fois leur mandat achevé, de retrouver leur emploi dans les meilleures conditions. C'est pourquoi des mesures favorisant la réinsertion professionnelle et créant une allocation de fin de mandat seront mises en _uvre. Ce projet devra par ailleurs renforcer la protection sociale des élus ; en particulier leurs droits à la retraite devront être préservés (« Enfin ! » sur plusieurs bancs du groupe du RPR). Enfin, les indemnités qui ne l'ont pas été déjà été devront être revalorisées pour certaines responsabilités ; le remboursement des frais de fonctionnement, comme les frais de garde d'enfants, sera prévu. Ce sont là des mesures qui répondent au souci de nombre d'entre vous, sur tous les bancs : plusieurs propositions de loi ont été déposées, qui vont dans ce sens.

Cet approfondissement permettra aussi de mieux associer l'ensemble des citoyens aux décisions locales. Le Gouvernement a déjà fait progresser la démocratie participative, en instaurant les conseils de développement dans les agglomérations et les pays. Il a décidé d'aller plus loin encore dès le premier projet de loi qu'il présentera en 2001. Des conseils de quartier seront créés dans les villes moyennes et grandes ; présidés par un conseiller municipal, ils devront bénéficier des moyens nécessaires pour fonctionner et agir. Des structures d'information de proximité et d'association des citoyens à la vie publique, s'agissant en particulier des services publics, devront être mises en place. Le droit des enquêtes d'utilité publique sera réformé, conformément à la communication présentée par la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement au mois de septembre. Ses objectifs seront la démocratisation et la transparence du processus d'élaboration des projets d'équipement et d'aménagement, le renforcement des responsabilités des collectivités dans l'appréciation de l'utilité publique de leurs projets, la simplification et la rationalisation des procédures. Enfin, au sein des assemblées délibérantes, les droits de l'opposition devront être renforcés afin que celle-ci puisse, comme c'est le cas au Parlement, faire part de ses propres propositions (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) ; elle devra aussi disposer de tribunes dans les documents d'information locaux. Je souhaite que notre débat permette de compléter ces premières orientations.

Cet approfondissement de la démocratie locale suppose enfin une réforme de certains scrutins. Cette réforme fera l'objet d'une préparation approfondie tout au long de 2001, afin qu'elle puisse être soumise au Parlement dès la prochaine législature et entrer en vigueur lors des prochains renouvellements.

Les exécutifs des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, à partir du moment où ils peuvent lever l'impôt, doivent être responsables directement devant les électeurs, conformément à la tradition républicaine. Le Gouvernement proposera que l'élection des conseillers de communautés au suffrage universel direct intervienne en même temps que celle des conseillers municipaux. Il nous faut en préciser ensemble les modalités, en vue du renouvellement municipal en 2007 (« Très bien ! » sur les divers bancs).

Par ailleurs, chacun reconnaît désormais que le scrutin départemental ne permet pas, du fait de l'inadaptation des cantons, une représentation équitable de l'ensemble de la population (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Pascal Clément - Ce n'est pas notre opinion ! Il nous convient, à nous !

M. le Premier ministre - Il nous sert aussi en Haute-Garonne, mais il ne respecte pas le principe « un homme, une voix », qui fonde le suffrage universel !

M. Pascal Clément - Ce n'est pas le seul critère !

M. le Premier ministre - Il convient de modifier ce mode de scrutin pour mieux tenir compte des évolutions démographiques. Plusieurs formules peuvent être envisagées ; le Gouvernement sera attentif à vos propositions.

M. Christian Estrosi - C'est l'assassinat du monde rural !

M. le Premier ministre - La troisième priorité est le meilleur partage des compétences.

Les lois de 1983 ont organisé les transferts de compétences de l'Etat vers les collectivités locales par « blocs ». La pratique a cependant abouti à un enchevêtrement de ces compétences, au point que beaucoup de citoyens ont du mal à identifier précisément qui est responsable de quoi. Une clarification du partage de compétences est donc nécessaire. Le Gouvernement s'y est déjà engagé dans plusieurs secteurs, comme celui de la formation professionnelle : le projet de loi relatif à la modernisation sociale confirme et clarifie le rôle des régions dans les comités régionaux de la formation et leur fait place au sein du Conseil national des missions locales (Interruptions sur les bancs du groupe UDF).

Il faut amplifier ce mouvement de clarification. La désignation de chefs de file, telle qu'elle est proposée par le rapport Mauroy, doit y concourir. De même faut-il sans doute faciliter le recours aux délégations de compétences entre collectivités, à condition que ces délégations se fassent dans la transparence.

Par-delà cette clarification, il faut réfléchir à de nouveaux transferts de compétences de l'Etat vers les collectivités, mais aussi entre collectivités. Ces transferts doivent être guidés par le principe de subsidiarité (« Très bien ! » sur les bancs du groupe DL). Il s'agit de définir le meilleur niveau d'exercice d'un service, au plus près du terrain et au moindre coût. Ces transferts doivent aussi veiller à ce que la cohésion sociale et l'équité entre les différentes collectivités, qui garantissent à chaque citoyen un service identique sur l'ensemble du territoire, ne soient pas remises en cause. C'est pourquoi le Gouvernement est défavorable à une décentralisation « à la carte », qui donnerait l'avantage aux collectivités les plus riches et les plus puissantes, au détriment des autres. Le principe de l'égalité républicaine doit dicter tous nos choix en ce domaine (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Robert Galley - Comme en Corse !

M. le Premier ministre - C'est pourquoi aussi la notion d'expérimentation qui figure dans le rapport Mauroy -et qui a fait l'objet d'une proposition de loi constitutionnelle examinée hier dans cet hémicycle- doit être reçue avec attention et développée. L'expérimentation pourra être le moyen de vérifier que de nouveaux transferts de compétences répondent aux objectifs recherchés, sans remettre en cause ni l'intérêt des usagers, ni leur égalité devant le service public, ni les droits des fonctionnaires (Interruptions sur les bancs du groupe UDF). Il pourra alors être procédé à leur généralisation à tout le territoire. Il va de soi que l'expérimentation des transferts de compétences ne saurait concerner les missions régaliennes de l'Etat.

En matière d'expérimentation, la régionalisation des services des transports ferroviaires de passagers, qui vient d'être décidée dans la loi de solidarité et de renouvellement urbains, constitue un précédent ; mais il en existe aussi dans les domaines de la formation professionnelle ou de la culture, par exemple. Dans le secteur de l'environnement, le projet de loi sur l'eau, qui sera bientôt présenté au conseil des ministres, proposera aux départements qui le souhaitent la décentralisation de la gestion des cours d'eaux domaniaux.

Le projet que présentera le Gouvernement cette année modifiera également la loi de 1996 sur les services d'incendie et de secours pour en clarifier le fonctionnement (« Très bien ! » sur plusieurs bancs) : la départementalisation sera approfondie et les conseils généraux retrouveront une place entière, conforme à leur vocation (Mêmes mouvements). De même, dès la présente session, un projet portant création d'une aide personnalisée à l'autonomie conférera aux départements un rôle important. Le projet sur la société de l'information permettra aux collectivités d'intervenir beaucoup plus facilement pour le développement des nouvelles technologies. Enfin, le droit des interventions des collectivités locales en faveur des entreprises fait actuellement l'objet d'une mise en conformité avec la réglementation européenne. Le dispositif d'ingénierie financière et le régime des sociétés d'économie mixte locales seront adaptés en 2001 pour renforcer le soutien au développement local. Le rôle des régions en ces domaines sera souligné.

Il nous faut évaluer quels autres transferts de compétences pourraient être envisagés. Le rapport Mauroy ouvre des pistes intéressantes que nous explorerons afin d'en mesurer la pertinence et les effets économiques et sociaux. Notre débat permettra d'enrichir ces propositions et de préparer ce travail.

La quatrième priorité est donnée à la modernisation des finances locales, qui appelle une profonde réforme. A l'initiative du Gouvernement et de votre Assemblée, la fiscalité, locale et nationale, a connu ces trois dernières années d'importants changements visant à en alléger le poids sur les contribuables (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF) et à favoriser l'emploi dans les entreprises -ce que certains, curieusement, déplorent (Protestations sur les mêmes bancs). Mais nombre d'impôts locaux restent injustes, ou sont devenus obsolètes, ou incompréhensibles. L'affectation de leurs recettes à plusieurs collectivités déresponsabilise les élus, car l'on ne peut clairement attribuer telle ou telle variation de taux. S'agissant des dotations, leur système de répartition, à force de retouches et d'ajouts, est devenu lourd et obscur ; elles n'assurent plus une péréquation suffisante entre collectivités et concourent moins bien à un aménagement équilibré du territoire, ce qui était pourtant leur vocation première.

Les objectifs de la modernisation de la fiscalité locale sont clairs et incontestés : une plus grande simplicité, une plus grande justice. La réforme de la taxe d'habitation y a déjà notablement contribué (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste). Le Gouvernement tient à souligner son attachement au maintien d'une fiscalité locale dynamique qui garantisse le lien entre électeurs et élus et responsabilise ces derniers. Je voudrais, à cet égard, revenir sur l'imputation de « recentralisation fiscale », formulée par certains (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), peut-être pour tenter de faire passer à l'arrière-plan les réductions d'impôts qui ont motivé l'action du Gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Les décisions prises ont-elles remis en cause tel ou tel projet d'une collectivité ? Non. Chaque suppression d'impôt local a été exactement compensée par une dotation indexée (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). La proportion des recettes fiscales dans les recettes globales des collectivités a été jugée suffisante par le Conseil constitutionnel pour garantir leur libre administration.

M. Philippe Auberger - Jusqu'à quand ?

M. le Premier ministre - Le Gouvernement est attaché au maintien de la responsabilité fiscale des élus.

M. Philippe Auberger - Attachement variable !

M. le Premier ministre - Cette responsabilité suppose que la part de la fiscalité dans les recettes des collectivités locales permette aux exécutifs locaux de prendre les initiatives qu'il jugent utiles. Faut-il pour autant inscrire dans la Constitution des pourcentages de principe, comme le Sénat le propose ? Nous ne le croyons pas. Outre que ce type de dispositions ne relève pas vraiment de la Constitution, ces pourcentages figeraient les inégalités entre collectivités : celles qui ont la chance de bénéficier de l'implantation de nombreuses entreprises et d'une population aisée disposeraient de recettes fiscales en quantité importante ; mais d'autres collectivités ne disposant pas des mêmes atouts verraient leurs initiatives entravées par la faiblesse de leurs recettes fiscales, que l'Etat ne pourrait compenser par ses dotations puisque celles-ci devraient respecter la proportion inscrite dans la Constitution (M. Pascal Clément proteste). Il nous faut donc veiller à ce que le principe d'autonomie fiscale, qui découle du principe de libre administration des collectivités locales, ne se traduise par une vision « libérale » des institutions locales et n'aboutisse ainsi à figer, voire à aggraver les inégalités entre collectivités (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Faut-il, par ailleurs, spécialiser les impôts par niveau de collectivités ? Il est certes indispensable de bien les identifier, pour faciliter la compréhension, par les contribuables, des enjeux locaux. Mais la spécialisation ne doit pas aboutir à rendre les finances des collectivités vulnérables aux événements conjoncturels qui affecteraient les bases de tel ou tel impôt. C'est pourquoi il nous faut trouver ensemble le système qui garantira à la fois la clarté de l'impôt et une stabilité suffisante pour les recettes des collectivités locales -même si, bien entendu, elles évoluent en fonction de la richesse nationale et donc de la conjoncture.

Il nous faudra enfin veiller à ce que cette réforme n'entraîne pas des transferts de charges excessifs entre collectivités et entre contribuables, et ne nuise à la nécessaire péréquation des ressources. Toutes les pistes, y compris celle du partage d'une partie des recettes des impôts d'Etat, peuvent être explorées. Je ne doute pas qu'en matière de fiscalité, nous pourrons compter, comme par le passé, sur la sagesse des collectivités afin de maîtriser l'évolution des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques, conformément à nos engagements à l'égard de l'Union européenne.

Les dotations devront, elles aussi, être simplifiées et permettre une péréquation plus volontariste. Le devoir de l'Etat sera de redistribuer entre les collectivités locales, suivant des critères simples, des dotations modernisées, prenant en compte l'objectif d'un aménagement équilibré du territoire.

Tous les rapports publiés en 1999 et 2000 l'ont souligné : cette réforme d'ensemble nécessite nombre de calculs pour éviter que les transferts de charges entre contribuables et entre collectivités n'aient des effets économiques et sociaux inéquitables. Le ministre de l'économie et le ministre de l'intérieur prépareront un premier rapport qui sera remis au Parlement à la fin de l'année 2001. Ce rapport fera l'objet d'une concertation, à partir de cet été, avec le Comité des finances locales et les grandes associations d'élus afin de bien prendre en compte toutes les contraintes.

M. Eric Doligé - Je n'en crois pas un mot

M. Henri Emmanuelli - Rabattez-en ! On vous a vus à l'_uvre !

M. le Premier ministre - La cinquième priorité sera de répondre aux attentes de la fonction publique territoriale, dont l'évolution démographique, avec les départs massifs en retraite programmés au cours des vingt prochaines années, pose le problème de l'amélioration des conditions de recrutement et de formation. La commission Mauroy a présenté plusieurs propositions qui permettent de mieux tenir compte de la spécificité des missions des agents, de l'expérience accumulée et des besoins nés de la complexité accrue de leurs tâches.

Déjà, la loi sur la résorption de la précarité dans la fonction publique met en _uvre nombre de ces propositions. Il nous faudra aller plus loin pour simplifier les procédures de recrutement par concours en prenant davantage en compte l'expérience accomplie, pour faciliter les passerelles entre filières sans remettre en cause l'édifice actuel et pour simplifier la gestion des corps. Cela suppose une réflexion approfondie sur les structures de formation et de gestion des fonctionnaires territoriaux.

La dernière priorité consistera à faire progresser la déconcentration pour mieux répondre aux sollicitations des collectivités locales. Déjà, les décrets d'octobre 1999 renforçant le pouvoir de direction des préfets sur les services déconcentrés de l'Etat ont complété l'élan donné par la loi de 1992. Cette réforme avait pris du retard car, entre 1992 et 1997, aucune initiative de poids n'avait été prise (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste). Il faut souligner le travail engagé depuis lors par le ministère de l'intérieur pour adapter les préfectures à leurs nouvelles missions et, notamment, la rédaction de projets territoriaux de l'Etat dans chaque département.

Le ministre de l'économie a engagé une modernisation dont l'un des axes essentiels est la rénovation de la gestion publique et l'amélioration du service rendu aux collectivités locales.

M. Eric Doligé - Il reste beaucoup à faire !

M. le Premier ministre - La simplification des démarches administratives et le recours accru aux nouvelles technologies de l'information, voulus par le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, est en cours. Ces adaptations vont dans le sens d'une modernisation de l'Etat, indispensable au succès de la décentralisation. Enfin, la prochaine réforme de l'ordonnance de 1959 sur les lois de finances permettra, à terme, une meilleure lisibilité de la dépense publique, par la fixation d'objectifs de résultats locaux. Cette réforme constituera un progrès décisif de la déconcentration.

M. Jean-Pierre Soisson - C'est vrai.

M. le Premier ministre - La nouvelle étape de la décentralisation souhaitée par le Gouvernement est un travail d'envergure, au moins aussi important que celui qui a été mené entre 1982 et 1986. Les réformes les plus urgentes seront soumises au Parlement dès 2001, dans le cadre d'un premier projet de loi, qui renforcera la démocratie de proximité, améliorera les conditions d'exercice des mandats, fixera les principes pour la rénovation des institutions locales et la clarification des compétences et précisera le régime de départementalisation des services d'incendie et de secours.

Tout au long de 2001, nous travaillerons aussi à la préparation d'autres volets de cette nouvelle étape, en pesant toutes les conséquences politiques, économiques et sociales des réformes proposées. Nous le ferons à un rythme compatible avec le calendrier parlementaire, mais suffisamment soutenu pour que l'ensemble des institutions locales soit bientôt adapté à la nouvelle donne économique et sociale de notre pays.

La participation des associations d'élus, des syndicats de la fonction publique et des citoyens à la préparation de cette réforme, que mènera le Parlement, est le plus sûr moyen de la réussir. De premiers éléments de consensus ont été réunis dans le rapport de la commission présidée par Pierre Mauroy. Je suis convaincu que la contribution de tous et d'abord celle de la représentation nationale permettra de lancer une nouvelle étape de la décentralisation qui rassemble mieux encore le peuple français autour des institutions locales de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste, et sur plusieurs bancs du groupe RCV).

M. Jean-Pierre Balligand - Vous avez choisi, Monsieur le Premier ministre, de vous adresser aux députés pour ouvrir le débat d'orientation sur la nouvelle étape de la décentralisation. Nous en sommes heureux pour trois raisons.

La première est historique : ce sont les socialistes qui ont fait les lois de décentralisation (Interruptions sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR). Dans le Nord, on dit qu'il y a les « diseux » et les « faiseux » (Mêmes mouvements). Ayant siégé dans cette enceinte depuis 1981, je puis vous dire que certains grands diseux n'ont strictement rien fait pour la décentralisation ! Les socialistes avaient préparé les lois de décentralisation, dès avant 1981, aux côtés de Pierre Mauroy et Louis Le Pensec et ils les ont votées en 1982-83. Ensuite, en 1992, nous avons voté une loi qui a modifié de manière extraordinaire l'architecture territoriale française, la loi Joxe sur l'intercommunalité. Aujourd'hui vous reconnaissez qu'il s'agit d'une révolution, mais à l'époque aucune partie de la droite ne l'a votée.

A cette révolution intercommunale concernant les villes petites et moyennes, que vous n'avez pas votée, mais que vous avez appliquée sur le terrain en en disant toutes les vertus (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF), il manquait un complément concernant les grandes agglomérations : c'est la loi Chevènement, que, cette fois, vous n'avez pu faire autrement que de voter (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). C'est facile de dire ce qu'il faut faire, mais la vérité, c'est que vous n'avez jamais rien fait sur le plan législatif depuis vingt ans dans ce pays ! (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF)

La deuxième raison, c'est qu'au travers de la loi sur l'aménagement du territoire et de la loi Chevènement, vous avez opéré Monsieur le Premier ministre, une grande avancée. Jean-Pierre Chevènement étant présent, je lui rappellerai qu'à l'époque il pensait que si 22 ou 23 communautés d'agglomération se mettaient en place avant le renouvellement de 2001, ce serait déjà un grand succès. Nous en sommes, à la veille de ces élections, à 90 communautés d'agglomération englobant 11 millions d'habitants, ce qui montre que les élus des communes ont compris la nécessité de se regrouper.

Ce texte comportait une mesure très forte, l'instauration d'une taxe professionnelle unique à l'intérieur des agglomérations et également, sur option, dans les communautés de communes. C'est une avancée extraordinaire qui a permis la révolution intercommunale actuellement en cours. Dire que la France n'a pas bougé sur les questions de décentralisation, c'est faux : elle a énormément changé. Certes, il reste à régler le problème de la région parisienne, qui n'est pas simple. Mais partout ailleurs, le regroupement s'est opéré : après le grand Lyon et le grand Lille se constituent le grand Nantes, le grand Rennes, etc.

Après ce rappel historique, je voudrais que nous discutions de la décentralisation non en tant qu'élus locaux, mais en partant du point de vue du citoyen local, du contribuable local. Il ne comprend pas toujours le dispositif actuel. Il faut donc le modifier en partant de sa vison des choses et je vous remercie, Monsieur le Premier ministre, d'avoir présenté plusieurs propositions allant dans ce sens.

La première chose à faire est d'élire au suffrage universel les représentants des communautés d'agglomération et probablement des communautés de communes. Ayant monté moi-même une communauté de 68 communes en milieu rural, je constate qu'elle a aujourd'hui un budget bien plus important que la commune-membre la plus importante. C'est encore plus vrai pour les communautés urbaines, dont certaines ont un budget plus important que le département ou la région.

Nous souscrivons donc à la proposition du Premier ministre : après la mise en place de l'intercommunalité sur tout le territoire -c'était la proposition n° 1 du rapport Mauroy- il faut passer à l'élection directe des structures intercommunales, proposition n° 7 du même rapport. Pour nous, socialistes, le XXIe siècle sera celui de la citoyenneté intercommunale, comme le XIXe a été celui de la citoyenneté communale.

Deuxième proposition, qui va un peu au-delà de celles de M. Mauroy, c'est de conjuguer pour le citoyen la spécialité et la solidarité, tant en ce qui concerne les compétences des collectivités, que pour la fixation des impôts. Par exemple, en matière d'action économique, pour laquelle la région a compétence, je pense qu'il faut hâter le formidable mouvement vers la taxe professionnelle unique en décidant que le lieu de la perception sera la structure intercommunale.

De même, pour la taxe d'habitation, je propose un couplage entre la commune et le département, qui a compétence en matière sociale. Essayons de conjuguer spécialisation, solidarité et intercommunalité, en nous plaçant toujours du point de vue du citoyen.

Reprenons le rapport Mauroy, et osons faire des propositions qui aillent au-delà.

M. Francis Delattre - Ce ne sera pas difficile !

M. Jean-Pierre Balligand - L'opposition a le droit de critiquer (« Merci ! » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Mais honnêtement, j'espère que vous aurez l'intelligence de comprendre que le rapport Mauroy ne suppose pas une lecture au premier degré (Murmures sur les mêmes bancs). Par exemple il est proposé de « départementaliser » les routes nationales... Mais pourquoi ne pas transférer à la région qui a compétence pour l'économie et l'aménagement du territoire, certaines de ces routes qui sont d'intérêt régional ? Ce transfert a été une réussite pour le transport ferré.

M. Pascal Clément - Mais à quel prix !

M. Jean-Pierre Balligand - La région administrera ainsi le maillage routier entre sa capitale et ses pôles d `excellence.

Dans ce débat d'orientation qui dépasse le clivage droite-gauche, osons donc proposer, en conservant comme fil directeur les rapports entre le citoyen et l'action publique locale.

Par exemple, comme l'article 72 de la Constitution nous le permet, décentralisons le pouvoir réglementaire. Malgré la défiance culturelle de certains grands corps de l'Etat, les élus locaux sont tout à fait capables de respecter l'intérêt général. Qu'on leur délègue cette compétence, avec l'encadrement adéquat, c'est ce que souhaitent les socialistes. Ils vous font confiance pour faire progresser la décentralisation (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Alain Madelin - « Les hommes se divisent naturellement en deux partis : ceux qui craignent le peuple, ne lui font pas confiance et veulent mettre tous les pouvoirs dans des mains supérieures et ceux qui ont confiance dans le peuple. Dans tous les pays, ces deux partis existent, vous les reconnaîtrez à leur langage ». Cette distinction de Thomas Jefferson, le père de la déclaration d'indépendance américaine convient bien au débat sur la décentralisation.

Il est vrai que la France est marquée par une confiance en l'Etat plus forte qu'ailleurs ; mais le monde qui vient impose de remettre en cause cette extraordinaire concentration et confusion des pouvoirs au sommet.

Cette centralisation jacobine étouffe la société française, épuise l'autorité de l'Etat et empêche toute véritable réforme.

Voilà pourquoi la question institutionnelle constitue aujourd'hui l'enjeu politique central, pourquoi il nous faut faire preuve d'imagination et d'audace.

Monsieur le Premier ministre, en vous écoutant, j'ai pensé à ce que Paul Thibault, intellectuel proche des socialistes a récemment dit de vous : « Lionel Jospin considère avec distance, avec réserve, et sans imagination, un monde qui ne l'inspire pas ».

M. le Premier ministre - Inventez donc vos propres formules.

M. Alain Madelin - Qui ne voit que les perspectives que vous tracez renvoient à la prochaine campagne présidentielle plutôt qu'à de solides convictions ? Vous déclarez vouloir aller plus loin dans la décentralisation, mais qu'avez vous fait depuis quatre ans sinon le contraire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR) Monsieur Balligand a raison, il y a les « diseux » et les « faiseux ». Ce que caractérise l'action de votre gouvernement, ce n'est pas la décentralisation, mais la recentralisation rampante : confiscation arbitraire des ressources autonomes des collectivités, interférences permanentes avec leurs décisions, financement de mission de l'Etat sur les contrats de plan, refus de laisser les régions gérer des crédits européens... enfin votre décision de modifier le statut de la Corse en dehors d'une réflexion d'ensemble sur l'avenir des régions au risque de donner le sentiment de récompenser le terrorisme et de gâcher une bonne idée... Tout cela ne vous donne guère de crédibilité pour innover.

M. René Dosière - Et quelle est la vôtre de crédibilité ? Vous n'avez rien fait.

M. Alain Madelin - D'ailleurs le rapport de la commission Mauroy, bien mal conduite car l'opposition qui se révélait constructive a dû claquer la porte, n'est au-delà des déclarations de principe sympathique qu'un laborieux catalogue de propositions d'inégal intérêt -rebaptiser le Conseil général conseil départemental-, parfois utiles, parfois dangereuses, souvent trompeuses sans fil directeur. L'enjeu n'est pas aujourd'hui de poursuivre la décentralisation modèle 1982, même si elle a apporté un bol d'air frais.

M. le Premier ministre - Ah !

M. Alain Madelin - Je le dis, et j'ai toujours accompagné ce qui allait dans le bon sens.

Il nous faut une plus grande ambition. Le monde change. Il est temps de nous débarrasser de cet uniforme jacobin, technocratique, qui étouffe la société.

Il faut redistribuer le pouvoir aux Français, aux partenaires sociaux, aux collectivités locales, en donnant aux régions un rôle pivot. Aussi ce débat est-il inséparable de la mutation de la démocratie française. Notre société étant organisée de haut en bas à partir d'une conception dangereuse de la souveraineté illimitée de l'Etat. On redécouvre l'efficacité d'une société qui se construit de bas en haut, à partir d'individus libres et responsables.

Cette refondation a pour fil directeur le principe de subsidiarité. Ce que les citoyens, les familles, les associations, les collectivités locales peuvent faire par eux-mêmes, il faut les leur laisser faire et ne renvoyer vers l'Etat et vers l'Europe que ce qu'ils feront plus efficacement. Ce débat n'est pas celui de la « refondation de l'action publique locale », pour citer le titre du rapport Mauroy : c'est celui de la refondation de notre démocratie, et je veux en tracer les perspectives en dégageant sept orientations.

Tout d'abord cette refondation requiert un meilleur équilibre et une meilleure séparation des pouvoirs au sommet de l'Etat ; je me suis exprimé à ce sujet lors du récent débat organisé par M. le Premier ministre sur l'avenir de nos institutions. En second lieu elle exige une audacieuse redistribution des pouvoirs en faveur des collectivités locales, à commencer par les régions, et cela pour deux raisons. D'abord un pouvoir local -dès lors, j'y reviendrai, qu'il est accompagné de contre-pouvoirs- est plus attentif, plus efficace, plus économe. Ensuite il est clair qu'on ne sait plus gérer, ni même réformer, d'en haut nos grands systèmes publics aujourd'hui bloqués. Décentralisons donc avec audace, à l'instar des autres grandes régions européennes, la culture, le développement économique, l'environnement, le sport, le tourisme, la politique de l'emploi, la politique d'insertion, les transports -mais aussi le logement, les universités, l'éducation, la santé !

D'où la troisième orientation : une telle redistribution des pouvoirs est inséparable d'une réforme de l'Etat : réforme de la politique sociale, de la politique du logement, de l'éducation, des transports, réduction du nombre des ministères, réforme des administrations centrales, mise en place de nouvelles régulations. Regardons ce qui se fait autour de nous en Europe et prenons-en le meilleur.

Mais bien sûr -quatrième orientation- redistribuer les pouvoirs, c'est aussi redistribuer les ressources, dans le cadre d'une réforme d'ensemble de la fiscalité nationale et locale ; à charge pour l'Etat, naturellement, d'assurer les péréquations solidaires entre régions. Il ne saurait y avoir de vraie redistribution des pouvoirs, au profit des régions ou des collectivités locales, sans transfert de tout ou partie de grandes ressources comme la TVA et la TIPP. A petites compétences, petites spécialisations fiscales. Mais à grand transfert de compétences, il faut de grands transferts de ressources (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et sur quelques bancs du groupe du RPR).

Mais cette redistribution des pouvoirs doit s'accompagner d'un pouvoir normatif délégué. Voilà bien l'épineuse question : « pouvoir législatif », comme on l'a laissé dire en Corse ? « Pouvoir réglementaire », comme le réclame la majorité de la région Bretagne ? Entre les deux, j'ai employé à dessein le terme de « pouvoir normatif ». Que nous dit l'article 34 de la Constitution ? La loi « fixe les règles » dans des domaines fondamentaux comme les droits civiques, les libertés publiques, le droit civil, la nationalité, les crimes et délits ou la procédure pénale. Dans d'autres domaines comme « la libre administration des collectivités locales, leurs compétences et leurs ressources », « l'enseignement », « le régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales », « le droit du travail, le droit syndical et la sécurité sociale », le même article 34 dispose que la loi détermine seulement « les principes fondamentaux ». La réalité législative s'est éloignée de cette définition constitutionnelle. C'est pourquoi le débat constitutionnel sur les pouvoirs délégués aux partenaires sociaux, comme aux collectivités locales, est un débat refondateur qui nous permet de repréciser le rôle de la loi dans une démocratie moderne, de remettre le droit à l'endroit, et d'engager un jour prochain, je l'espère, les recodifications nécessaires pour dégager un droit plus simple et plus clair.

On ne saurait transiger pour autant sur le rôle de la loi républicaine pour fixer les règles générales et les principes fondamentaux. Ayant combattu l'idée de « préférence nationale », je ne saurais accepter l'idée d'une préférence corse, basque ou bretonne, pas plus que les dérives ethniques ou communautaristes de notre droit. A la loi de déterminer les règles et les principes fondamentaux applicables à tous et en tout point du territoire. Aux acteurs économiques, aux partenaires sociaux et aux pouvoirs locaux de définir, dans le cadre de ces lois générales, leurs propres règles du jeu en fonction des réalités locales, économiques ou professionnelles. Si l'on ne fixe bien les principes que d'en haut, on ne règle bien les choses que d'en bas. A cet égard je me réjouis qu'hier, à l'initiative de M. Méhaignerie, notre assemblée ait enfin donné vie au droit à l'expérimentation, inscrit depuis longtemps dans le programme de l'opposition, et même dans celui du gouvernement, en 1995, par Claude Goasguen, alors ministre de la Réforme de l'Etat. Le droit à l'expérimentation, c'est le droit de déroger dans certaines conditions et dans certaines limites aux lois existantes ; de poursuivre les objectifs généraux fixés par la loi, par d'autres moyens que ceux qu'elle prévoit.

Je préconise encore -sixième orientation- la libre organisation des collectivités locales entre elles. Laissons les régions organiser librement leur coopération. Et oublions dans les tiroirs ces plans de l'autorité centrale tendant à regrouper les régions dans des super-régions technocratiquement correctes...

Laissons aussi les collectivités locales s'organiser librement dans le cadre régional. D'une région à l'autre, les situations peuvent être différentes. Dans les territoires ruraux, les départements jouent un rôle fort ; ailleurs ce sont les métropoles qui ont un rôle structurant. Ailleurs encore, en Corse, en Alsace ou en Savoie, région et départements peuvent souhaiter se regrouper. Laissons vivre nos collectivités !

Enfin, tout ceci n'a de sens que si, à de nouveaux pouvoirs correspondent de nouveaux contre-pouvoirs. On le sait depuis Montesquieu, il faut que « le pouvoir arrête le pouvoir ». C'est vrai au niveau national, mais tout autant au niveau local. Nous connaissons le risque de féodalité, le poids des notables, les verrouillages partisans, le clientélisme, les liaisons dangereuses avec les intérêts privés. Nous avons donc besoin de contre-pouvoirs locaux. Nous devons aussi renforcer les procédures d'évaluation et de contrôle, et élargir l'usage du référendum au plan local.

Voilà quelles seraient, Monsieur le Premier ministre, les principales orientations d'une vraie réforme. Elle exigera un grand débat devant les Français. Et ce sera pour une part, n'en doutons pas, le débat de 2002. Elle exigera aussi une réforme constitutionnelle forte et une loi cadre, qui devront, le moment venu, être soumises aux Français par référendum. Il faut une réforme constitutionnelle, car les libertés locales n'ont pas aujourd'hui les bases constitutionnelles nécessaires. Nous devrons constitutionnaliser le principe de subsidiarité, donner aux régions une garantie constitutionnelle et consacrer l'autonomie fiscale.

Je sais bien qu'une telle mutation de la démocratie française heurte tous ceux qui restent attachés à une conception jacobiniste et dirigiste de l'Etat et de la loi. Ils brandissent l'étendard de la République et de l'unité de la France : mots trompeurs, combats d'arrière-garde ! Certes, les idées que je viens de défendre appartiennent plutôt à la tradition libérale et indépendante, celle de Montesquieu, de Benjamin Constant et de Tocqueville. Mais on les retrouve aussi, avec Proudhon, aux origines du socialisme français. On les retrouve encore dans la tradition syndicale française avec Henri Tolain, fondateur de l'internationale ouvrière, qui disait : « Nous ne demandons qu'une chose, qu'on nous laisse faire nos affaires nous-mêmes » ! On les retrouve, n'en déplaise à M. Chevènement, dans la vraie tradition républicaine, celle des pères fondateurs, républicains libéraux, Gambetta, Jules Ferry, Waldeck-Rousseau, tradition qui est une école de vertu et de principes, mais aussi de confiance dans la liberté et dans la responsabilité. Il suffit de relire l'éloge de la décentralisation et des libertés locales que faisait Jules Ferry dans sa célèbre lettre « Quand la province voudra... ». Enfin, c'est le général de Gaulle qui, dans son discours du 2 février 1969 à Quimper, proposait de « faire renaître nos anciennes provinces et leur donner les moyens nécessaires pour que chacune règle ses propres affaires ».

C'est pourquoi, oui, il est possible de rassembler aujourd'hui autour d'une démarche audacieuse. Tel n'a pas été votre propos, Monsieur le Premier ministre, et c'est dommage. L'audace, aujourd'hui, n'est pas de « poursuivre » la décentralisation, d'engager une « nouvelle étape » : c'est de refonder notre démocratie autour de ce principe simple, la confiance dans les libertés locales (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Jean-Pierre Chevènement - Je m'exprime au nom des députés du Mouvement des Citoyens. En dépit de votre présence aujourd'hui, Monsieur le Premier ministre, je crains que le débat de fond sur la décentralisation, que vous voulez citoyenne et solidaire, ait commencé hier sur les bases funestes de la proposition de loi constitutionnelle de M. Méhaignerie. Je sais que cette aventure ne pourra prospérer sans référendum, et je veux croire qu'il est encore temps, pour la représentation nationale et pour le Gouvernement, de faire un choix clair entre la décentralisation républicaine et la vision libérale qui aboutirait, quoi qu'on dise le professeur de démagogie que nous venons d'entendre, (Murmures sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF) au délitement interne de la République. Je vais essayer de le démontrer.

Tout d'abord la décentralisation ne s'oppose pas à la République. J'ai montré que j'étais aussi décentralisateur que tous ceux qui s'en font une profession. J'ai décentralisé les lycées et les collèges par la loi de 1985. Et la loi sur l'intercommmunalité en témoigne également. Mais la République s'est construite contre la féodalité : veillons à ne pas la laisser se reconstituer. La France d'avant 1789 n'était, selon Mirabeau, qu'un « agrégat inconstitué de peuples désunis » et Voltaire disait plaisamment qu'en la traversant on changeait plus souvent de lois que de cheval.

La République a marqué l'avènement du règne de la loi, expression de la volonté générale et de la souveraineté du peuple. Le respect de la loi exprime au plus haut degré la reconnaissance de la règle sans laquelle aucune société démocratique et civilisée ne peut vivre. Comment faire respecter l'ordre public dans les quartiers si la loi cesse d'être révérée comme une norme intangible, supérieure à toute autre ?

L'article 72 de la Constitution est clair : « les collectivités territoriales de la République s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi ». Ainsi l'exercice de la liberté locale s'exerce sous le contrôle du suffrage universel, « en bas » dans les assemblées locales, et « en haut » au Parlement.

La décentralisation de 1982 n'a pas remis en cause l'unité des règles et la hiérarchie des normes qui font la République. Elle a permis, certes, un foisonnement des initiatives locales et un développement sans précédent des services et des équipements, mais non l'expression d'autonomies identitaires. Elle a renforcé l'autonomie financière des collectivités territoriales sans porter atteinte au pouvoir local du législateur. Elle a maintenu la cohésion nationale en assurant l'indispensable péréquation entre les collectivités. Est-ce un hasard si, dans toute l'Europe, c'est en France que les inégalités entre régions sont les moins grandes ?

Ce système original de décentralisation, conforme à notre génie et à notre histoire, n'a pas à être remis en cause. Pourquoi dévier de la voie tracée en 1982 ? Nous n'avons pas besoin d'emboîter le pas à M. Madelin. Celui-là prétend que le pays est paralysé, l'initiative locale bloquée par un Etat omnipotent. C'est une contre-vérité. Je lui accorde un point : le Conseil constitutionnel ne joue pas son rôle qui serait de contenir le Parlement dans les limites de l'article 34. Mais ne confondons pas. Notre système a de formidables capacités d'auto-réforme. En témoigne la loi du 12 juillet 1999. Cent quatre communautés d'agglomération avec une taxe professionnelle unique qui met fin à des concurrences terribles, avec des compétences qui font émerger un pouvoir d'agglomération capable de mettre en _uvre des stratégies et des solidarités à l'échelle pertinente, ce n'est pas rien. Bien sûr, cela coûte cher, mais comme le disait Jules Ferry, on n'a pas encore inventé l'art de faire de grandes choses sans argent. Ce n'est pas cher payé pour lutter contre la ségrégation urbaine et éviter d'aboutir à des villes à l'américaine.

Le mouvement porté par le Gouvernement a fait consensus au Parlement. Certains voudraient remettre en cause les trois niveaux de notre administration, mais il faut observer que nos voisins sont organisés sur le même système. La seule exception française en ce domaine consiste dans le nombre des communes, mais l'Allemagne ou l'Italie, qui ne comptent chacune que 7 000 communes, ont aussi des régions et des départements. Il n'y a pas lieu donc de supprimer le département, mais peut-être de le refonder, en élisant comme le recommande la commission Mauroy, ses responsables sur la base des intercommunalités pour maintenir leur ancrage local, mais en cessant d'injurier l'égalité du suffrage induite par le découpage actuel.

La vision libérale de la décentralisation peut conduire au délitement de l'Etat républicain. Certains évoquent la république d'en bas, plurielle, décentralisée, territoriale, girondine, la première Internationale, Proudhon... Laissez-nous faire, clament les libéraux, affranchissez-nous des règles de la fonction publique, des contrôles, et tant pis pour les inégalités territoriales ! Heureusement, la plupart des élus savent que l'intérêt général est le contraire de la loi du plus fort. La République ne va pas sans solidarité nationale et sans le respect d'une loi qui, selon la déclaration des droits de l'homme, doit être la même pour tous.

Donner à une assemblée locale le pouvoir d'adapter la loi, c'est-à-dire de la changer, c'est mettre le doigt dans l'engrenage du fédéralisme et risquer de rompre l'unité nationale. C'est tout le sens de l'histoire de la France comme construction politique, comme communauté de citoyens, quelle que soit leur origine, qui serait remise en cause. Une France fédérale serait, sous couleur de modernité chatoyante, une régression moyen-âgeuse.

Qu'est-ce qu'une fédération sinon l'agrégation de communautés organiques co-détentrices de la souveraineté et régies par le principe de la subsidiarité ? Or cette philosophie renvoie au Saint-Empire, à Saint Thomas d'Aquin, mais pas à la République.

L'économie de marché n'a aucune vision à long terme. L'Europe des régions supprimerait l'obstacle que constituent encore les Etats-nations face à la mondialisation libérale, à la domination exclusive des marchés et à la mise en concurrence sauvage des territoires.

M. Madelin nous a invité à regarder autour de nous, mais les Länder allemands exercent une tutelle sur les communes, ce qui n'existe pas en France, et suivent un mouvement de recentralisation dans les domaines de l'éducation ou de l'économie par exemple. Trêve de balivernes. Pour mettre en _uvre l'aménagement du territoire, lutter contre le chômage ou la désertification rurale, on doit développer des politiques publiques.

Donner aux collectivités territoriales le droit d'adapter la loi, c'est le suicide du Parlement. Comment définir le cadre dans lequel la loi pourrait être adaptée ? En définissant des exceptions, comme dans le texte sur le droit à l'expérimentation des collectivités locales ? Mais en oubliant de citer le domaine de la sécurité, on a ouvert la voie à la municipalisation de la police : aux villes riches les polices riches. Ce n'est pas ce que vous vouliez, Monsieur le Premier ministre. Quand l'idée d'une dévolution du pouvoir législatif a été pour la première fois avancée au bénéfice de l'assemblée territoriale de Corse le 20 juillet 2000, j'ai pensé que c'était une erreur.

Mais vous avez vous-même, Monsieur le Premier ministre, plaisamment théorisé le droit à l'erreur.

Il y a deux manières de sortir d'une erreur : soit on la confesse, mais je sais que ce n'est pas votre culture... (Sourires) soit on la généralise afin de mieux la banaliser. C'est cette crainte d'une contagion de la Corse sur le reste du territoire que j'avais exprimée en évoquant le virus « I love you ». Et bien elle se réalise avec la proposition de loi de M. Méhaignerie, qui serait selon lui un moyen pour le Gouvernement de « sortir du piège corse ». C'est le contraire qui sera vrai, et cette proposition ruine par ailleurs l'argumentation selon laquelle le problème corse serait un problème politique spécifique -sauf à faire de la République une collection de spécificités !

Les libéraux, on le sait depuis deux siècles, agitent l'épouvantail de l'uniformité pour remettre en cause le principe d'égalité.

On peut comprendre que la thèse de Démocratie libérale soit que tout ce qui peut affaiblir l'Etat est bon. Mais comment expliquer que les socialistes apportent leur soutien à ces projets ? Je ne crois pas qu'ils seraient convertis au libéralisme. Serait-ce pour renvoyer l'ascenseur, comme le laisse entendre M. Roman en disant qu'il n'est pas contre l'élégance en politique ? D'ailleurs le MDC a voté lui aussi (Rires) pour l'inversion du calendrier électoral...

Je ne veux pas croire non plus qu'il s'agisse de répondre au discours de Rennes du chef de l'Etat, nous avons mieux à faire qu'un concours de démagogie. En voulant mettre de la souplesse partout, on ne trouverait plus de fermeté nulle part. Plus de loi, plus de repères ! A force de vouloir concilier les inconciliables, c'est l'édifice même de la République qui serait remis en cause.

Est-ce que j'exagère ? (« Oui »sur les bancs du groupe DL et du groupe du RPR) Mme Voynet elle-même, pourtant championne de l'autonomie de la Corse, s'alarme à l'idée que « la loi littoral » et la « loi montagne » puissent être remises en cause.

Les propositions de la commission Mauroy élaborées par de grands élus, de droite ou de gauche, remarquables connaisseurs d'un paysage complexe, dessinent des orientations cohérentes. En les suivant vous bâtirez, selon l'expression du général de Gaulle, du neuf et du raisonnable.

Il s'agit d'abord de poursuivre le mouvement d'intercommunalité en prévoyant l'élection au suffrage universel en 2007 des délégués communautaires et en abondant les dotations. Il s'agit ensuite de préserver en le refondant le département, échelon essentiel de l'organisation sociale et administrative française depuis deux siècles. Les pêcheurs, les Verts, les unions syndicales sont tous organisés sur cette base !

Il faut surtout améliorer la transparence et la démocratie dans le fonctionnement de la décentralisation, en définissant des blocs de compétence plus cohérents et en choisissant des collectivités chef de file pour éviter la dilution des responsabilités.

Il est indispensable que l'Etat exerce plus efficacement le contrôle de légalité. Il y a des dérives, pas seulement en Corse, il suffit de voir l'affaire des marchés d'Ile-de-France. L'Etat doit être capable de les redresser par l'exercice d'une tutelle préfectorale vigilante, qu'aucune intervention politique ne doit venir empêcher.

On doit aussi améliorer la lisibilité de la décentralisation en identifiant des recettes propres à chaque niveau de collectivité. Enfin, si la vie locale est une merveilleuse école de démocratie, encore faut-il faciliter l'accès aux mandats électifs. Les élus doivent pouvoir se consacrer pleinement à leur mandat et retrouver un emploi à leur issue.

J'espère que nous travaillerons ensemble au projet de loi sur la démocratie citoyenne que vous avez annoncé, Monsieur le Premier ministre.

Les Français plébiscitent la décentralisation, mais ils sont attachés au rôle de l'Etat. C'est donc à son approfondissement et à son adaptation qu'il faut se livrer, pas à sa liquidation.

On ne doit pas opposer démocratie locale et Etat républicain : ce sont des oppositions factices, démagogiques, électoralistes. Gardons le sens de l'Etat et de l'intérêt général. La République n'est pas une parenthèse dans notre histoire (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. Marc-Philippe Daubresse - « Pour répondre aux aspirations des Français qui veulent participer plus activement aux décisions concernant leur vie quotidienne et qui souhaitent une administration plus proche et plus simple, l'Etat doit transférer aux collectivités locales des compétences qui peuvent être assumées à l'échelon local.

« La transformation de l'économie et de la société française depuis la fin du siècle ne peut rester sans effet sur les institutions. Le moment est venu de franchir une nouvelle étape... »

Ceci n'est pas l'introduction du rapport Mauroy mais un extrait de l'exposé des motifs du projet de loi déposé le 20 décembre 1978 par M. Christian Bonnet, ministre de l'intérieur, au nom de M. Raymond Barre, Premier ministre.

Ce projet, qui comportait plus de 150 articles, fut adopté en première lecture au Sénat et bloqué à la commission des lois de l'Assemblée nationale, notamment par des élus socialistes. Il y a eu des décentralisateurs avant Gaston Defferre et à toutes les époques, il y a eu de « grands faiseux » et de « petits diseux ». La décentralisation a commencé en 1969 avec le discours de Quimper du général de Gaulle, elle s'est poursuivie avec le projet de loi de Raymond Barre en 1978 que vous n'avez pas voté, avec les lois Defferre de 1982 et 1983 et avec les propositions de la commission Mauroy, qui devraient aboutir à un consensus.

Monsieur le Premier ministre, personne ne peut s'approprier le monopole des bonnes idées en matière de décentralisation. Il y a toujours eu, à l'Assemblée nationale, des jacobins et des girondins -nous venons d'entendre une grande voix de chacun des camps. L'UDF pour sa part a toujours suivi le parti de l'Europe et de la décentralisation. C'est pourquoi elle préfère juger le Gouvernement sur ses actes que sur ses discours.

Or, nous n'avons guère été gâtés depuis trois ans, le Gouvernement ayant persévéré dans la voie de la recentralisation : transferts de charges, lois Voynet et Gayssot, « contrat de croissance et de solidarité », limitations successives de l'autonomie financière des collectivités locales - sur lesquelles la commission Mauroy n'a d'ailleurs même pas été consultée, ce qui a provoqué le départ des représentants de l'opposition.

Le groupe UDF regrette le demi-échec de cette commission, car il était prêt à apporter une contribution positive au débat, au-delà des clivages politiques. Le rapport Mauroy comporte, certes, des suggestions intéressantes, qui peuvent servir de base à la réforme que nous appelons de nos v_ux, mais il manque cruellement d'innovation, d'audace et de souffle. Nous proposons, pour notre part, une démarche ambitieuse, claire et fonctionnelle.

Comme Jean-Pierre Chevènement, nous aimons l'Histoire : celle de la France, celle de la République, mais aussi celle de la richesse et de la spécificité de ses provinces, dont la compétition consolide cependant le pouvoir de l'Etat. Notre objectif premier est que les Français s'approprient leurs territoires et en soient responsables. Cela suppose que soit appliqué le principe de subsidiarité, qui veut que chaque compétence soit exercée au niveau le plus proche des citoyens, sauf lorsqu'elle est attribuée, dans l'intérêt général, à l'échelon supérieur. Il convient donc de partir, non de l'organisation territoriale telle qu'elle existe, mais de ce que les citoyens en attendent.

Le groupe UDF propose, par conséquent, une réforme complète de l'organisation et de l'aménagement du territoire. Il faut simplifier, clarifier, expérimenter. « La mort d'une organisation, c'est quand, en bas, on n'en veut plus, et quand, en haut, on ne peut plus », disait Lénine, que M. Bocquet connaît bien... (Sourires) Le XXIe siècle sera celui des agglomérations et des régions, et le succès de la loi Chevènement, dû pour une bonne part à une incitation financière forte et à un partage lisible des compétences, doit nous faire réfléchir.

Distinguer les collectivités de proximité -la commune et l'intercommunalité- des collectivités de projet -le département et la région- permet de sortir du faux débat entre régionalistes et départementalistes, qui sert d'alibi à l'Etat pour diviser au lieu de réformer. La simplification viendra de l'organisation des relations entre les différents niveaux, non de la suppression de l'un d'eux. C'est pourquoi François Bayrou a proposé que département et région fusionnent en une collectivité unique, dotée d'un bloc de compétences élargi, et siégeant en formation tantôt départementale, tantôt régionale. La loi électorale régionale actuelle serait changée, afin que les territoires puissent être représentés en tant que tels. De même, les intercommunalités seraient élues au suffrage universel, dans le cadre de circonscriptions respectant la diversité des communes qui les composent. En cette affaire, le mode de scrutin n'est évidemment pas neutre. Il ne doit pas servir une quelconque opération politicienne, mais tenir compte de la diversité de la France, en représentant simultanément la population et le territoire.

Clarifier, c'est d'abord aller plus loin dans le transfert de compétences, en raisonnant, comme l'ont fait Gaston Defferre et Jean-Pierre Chevènement, par blocs de compétences, exclusives et cohérentes, de façon à éviter le parcours du combattant qu'imposent les financements croisés. De ce point de vue, les propositions du Gouvernement sont beaucoup trop timides, et il est d'ailleurs amusant de constater qu'il envisage de décentraliser la taxe professionnelle alors qu'il vient de recentraliser la collecte de la taxe d'apprentissage... (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UDF) La région, collectivité majeure, doit gérer non seulement les lycées, mais aussi les collèges, et acquérir de nouvelles compétences en matière d'éducation, de santé, d'aménagement du territoire, de développement économique et d'emploi.

Clarifier, c'est aussi cesser de parler de déconcentration, car celle-ci a surtout servi, par le passé, à freiner la décentralisation, et parler plutôt de délégation, comme nous y invitent aussi bien Jean-Pierre Balligand que Jacques Barrot. Quant à la spécialisation des taxes, elle nous importe moins que le respect de l'autonomie financière des collectivités locales, car elle peut être source d'inégalités inacceptables. Pour ce qui est, enfin, du statut de l'élu, les propositions du Gouvernement constituent une bonne base de discussion.

L'expérimentation a fait un pas très important, hier, avec l'adoption de la proposition de loi constitutionnelle de Pierre Méhaignerie. La loi sur les 35 heures, comme celle relative à la lutte contre l'exclusion, a démontré les insuffisances d'un Etat dirigiste et centralisé, tandis que la régionalisation des chemins de fer a été couronnée de succès. Mise au service des politiques de l'emploi, du logement, de l'environnement, de la sécurité et de la solidarité, l'expérimentation permettrait aux collectivités locales de s'engager dans des politiques ambitieuses, qui bénéficieront à nos concitoyens.

Nous souhaitons participer à la réflexion qui s'ouvre, pour que la démocratie redevienne le fait des citoyens. « A force de sculpter dans le marbre, on en oublie le vent », écrivait Georges Pompidou. Le groupe UDF souhaite que le Gouvernement sache tenir compte du vent qui monte de nos villes et de nos villages, afin de donner à la France un nouveau visage (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

Mme Lazerges remplace M. Forni au fauteuil de la Présidence.

PRÉSIDENCE de Mme CHRISTINE LAZERGES

vice-présidente

Mme Jacqueline Fraysse - Nos concitoyens manifestent à la fois une aspiration grandissante à être informés et écoutés et une défiance croissante vis-à-vis de la politique telle qu'elle est pratiquée. Pour les députés communistes, la « nouvelle étape » proposée par le Gouvernement n'a de sens que par le rôle qu'elle peut jouer dans l'avènement d'un nouvel âge de la démocratie. L'attachement des Français à la décentralisation s'appuie d'ailleurs largement sur le fait qu'elle permet un meilleur partage des pouvoirs.

Comment donner à nos concitoyens les moyens de décider de ce qui concerne leur vie, de l'échelon communal jusqu'à celui de l'Europe ? La nouvelle étape de la décentralisation doit aller de pair avec de nouvelles initiatives pour la réforme de nos institutions nationales et européennes, car les vingt dernières années ont été marquées par deux évolutions parallèles et contradictoires : la décentralisation, dont l'ambition proclamée est de rapprocher le citoyen du pouvoir, et la construction européenne, dont la pratique a été inverse. Il est d'ailleurs significatif que le maire soit l'institution dans laquelle les Français ont le plus confiance, et l'Union européenne celle dont ils se méfient le plus.

La commune a toute sa place, et son avenir devant elle. Notre diversité communale, fruit de l'histoire, est un acquis démocratique à préserver, même si le nombre des communes est sans doute à reconsidérer.

L'intercommunalité ne saurait donc être conçue comme une uniformisation stérilisante, ni présentée comme l'unique bonne réponse.

Bien sûr, les coopérations intercommunales doivent se développer, car elles peuvent améliorer l'efficacité de la dépense publique, le co-développement, la croissance et l'efficacité sociale, mais elles doivent être librement consenties. C'est cette liberté que le cadre institutionnel devrait favoriser, plutôt que figer et normaliser la coopération intercommunale, par exemple en autorisant les préfets à définir des périmètres intégrant d'autorité certaines communes. L'élection des conseillers des EPCI à fiscalité propre au suffrage universel s'inscrit dans ce cadre.

Mais le débat est plus large encore, puisqu'il porte sur l'aménagement d'ensemble du territoire. Notre responsabilités d'élus de la République est en effet de favoriser le développement harmonieux de l'ensemble du territoire et non pas, seulement, d'accélérer le regroupement en quelques grandes régions ou collectivités particulièrement rentables et attirantes. Certes, il faut tenir compte de la rentabilité, mais elle doit au moins être autant humaine et sociale que financière.

Les départements, enfin, demeurent un échelon pertinent de collectivité territoriale de plein exercice. Ils ont d'ailleurs largement fait la preuve de leur efficacité, y compris en zones urbaines, dans les missions qui leur avaient été confiées, sur le plan social particulièrement.

La démocratisation des institutions locales est un enjeu essentiel, je l'ai dit, mais en dépit des progrès permis par les lois de 1982 et de 1992, beaucoup reste à faire. Or de nombreuses expériences de démocratie directe ont été menées à bien ces dernières années. Pourquoi ne pas les évaluer et proposer des expérimentations plus larges ? La commission Mauroy a formulé de nombreuses propositions à ce sujet. J'ai noté avec intérêt que vous en repreniez un certain nombre. En effet, la concertation n'est pas un hochet laissé à l'élu local, alors que les vrais pouvoirs se situeraient ailleurs.

La commune ne doit surtout pas rester le seul lieu du débat. Nous nous opposons donc à la délégation aux régions, aux départements et aux EPCI de la quasi totalité des compétences. Ce sont toutes les institutions locales qui doivent être démocratisées, dans des formes à définir d'urgence. C'est évidemment beaucoup plus difficile mais aussi beaucoup plus audacieux.

A cet égard, la question du vote des étrangers non communautaires aux élections locales est posée avec force, et le groupe communiste regrette que cette réforme proposée par le groupe RCV n'ait pas encore été mise en _uvre. Nous aurions souhaité, Monsieur le Premier ministre, que vous reveniez sur ce point.

D'autre part, la démocratie impose d'impliquer réellement les élus locaux. Il ne suffit pas de souligner leur compétence et leur dévouement : ils ont besoin d'un statut leur permettant d'exercer toutes leurs responsabilités dans le cadre de leur mandat. Voilà qui explique le texte proposé par le groupe communiste et adopté par notre Assemblée. Je souhaite que le Gouvernement aille au bout de ses engagements, et que ce texte soit de nouveau inscrit à l'ordre du jour de notre assemblée avant le 8 février, pour qu'il soit applicable dès les élections municipales de mars prochain.

Vous nous confirmez, Monsieur le Premier ministre, le dépôt, par votre Gouvernement, de plusieurs textes plus complets. Le groupe communiste s'en félicite, et il sera attentif à ce que ces projets prévoient les moyens nécessaires à l'amélioration des conditions d'exercice des mandats locaux.

En ce qui concerne le partage des compétences, nous refusons, comme vous, une décentralisation « à la carte ». Il faut cependant noter qu'au long des vingt dernières années, l'Etat a pris des décisions contradictoires, dont certaines ont eu pour conséquence d'accentuer les déséquilibres et d'aggraver la concurrence entre les territoires.

Le droit à l'expérimentation ayant fait l'objet, hier, de débats ici même, je ne m'y attarderai pas, sinon pour dire que son extension doit naturellement être envisagée. Personne ne peut prétendre que le législateur, seul, détient les bonnes réponses. Pour autant, nous ne pensons pas qu'une réforme constitutionnelle soit nécessaire. Ces expérimentations, je le répète, doivent respecter les principes d'égalité et d'indivisibilité qui fondent la République.

S'agissant de la réforme des ressources des collectivités locales, la question est celle des capacités des collectivités territoriales à financer les décisions qu'elles prennent. Une réforme d'ampleur est donc nécessaire, d'autant que certaines mesures récentes, telles que la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle ou celle de la vignette, et leur simple compensation par l'Etat ont réduit l'autonomie des collectivités territoriales.

Il faut donc, c'est vrai, renforcer la péréquation, notoirement insuffisante, mais il ne doit pas s'agir seulement de mieux redistribuer un fonds identique : les collectivités territoriales ont besoin de moyens supplémentaires. L'imposition doit évoluer, et nous réaffirmons notre souhait d'une taxation nationale des actifs financiers, dont le produit serait ensuite réparti à l'échelon local.

En taxant à 0,03 % les quelques 20 000 milliards d'actifs financiers, nous apporterions en moyenne 1 250 F par habitant, beaucoup plus, donc, que les 175 à 250 F versés aujourd'hui pour inciter à l'intercommunalité.

Monsieur le ministre de l'intérieur a exposé, en commission, que cette proposition était examinée au ministère des finances. Nous souhaitons vivement connaître les conclusions de cette étude, d'autant -et je m'en félicite- que cette exigence grandit, comme en témoigne la résolution du dernier congrès de l'AMF.

Les fonctionnaires territoriaux ont exprimé avec force une série de revendications légitimes, qui portent tant sur les salaires que sur les créations d'emplois ou la réduction du temps de travail. Une journée d'action est d'ailleurs prévue, demain, par l'ensemble des organisations syndicales. Il faut souligner que le pouvoir d'achat de ces milliers d'agents n'a cessé de se dégrader. De manière concomitante, les collectivités locales se sont vues imposer, par décrets, le versement de différentes primes qui développent les inégalités entre les agents et qui grèvent les budgets locaux. Or le Gouvernement semble déterminé à poursuivre dans cette voie, puisque les collectivités locales devront appliquer les 35 heures sans dotation supplémentaire. Ce n'est pas ce qui a été décidé pour le secteur privé ! Nous regrettons vivement cette disparité.

Enfin, nous ressentons la nécessité d'une plus grande déconcentration de l'Etat, pour assurer, à tous les niveaux, la présence des interlocuteurs efficaces dont les élus ont besoin. Le renforcement de la contractualisation et l'élargissement de ses domaines d'intervention et des moyens qui y sont consacrés y obligent.

Ce très riche débat participe d'une réflexion plus large sur nos institutions, qui ne saurait se mener seulement dans cet hémicycle. Ce sujet d'importance exige un véritable débat national, ouvert à toutes celles et à tous ceux qui le souhaitent, afin de définir, ensemble, l'avenir institutionnel démocratique de notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et quelques bancs du groupe socialiste).

M. François Fillon - L'histoire de la France épouse l'idée de la République une et indivisible. Sa culture politique épouse l'idée de la citoyenneté, qui transcende les appartenances culturelles, sociales et raciales. Son âme politique a cela de singulier que, pour elle, la liberté est pour une large part consubstantielle à l'égalité, cette égalité étant elle même constitutive de l'unité nationale, qui se cristallise en l'Etat. C'est ce que l'on appelle pour le meilleur comme pour le moins bon, « le modèle français », que certains jugent dépassé. Pour d'autres, dont nous sommes, il conserve sa grandeur car il invite généreusement les citoyens à s'inscrire dans un dynamique collective suscitant l'adhésion par les actes et non au travers de la culture des origines.

Entre ces deux thèses, où s'affrontent deux conceptions de la France, le débat s'aiguise sous la pression des événements.

Pour la France, le XXIe siècle s'ouvre sur deux grands défis : investir la mondialisation sans perdre son âme et investir l'Union européenne pour s'en approprier la conduite.

Pour les relever, vaut-il mieux renforcer notre unité ou approfondir nos différences ? Vaut-il mieux poursuivre l'aventure nationale ou en sortir pour une autre aventure, qui pourrait être fédérale ?

De nos réponses dépend l'organisation des pouvoirs que nous voulons. La décentralisation n'est plus un problème technique, dès lors que nous nous accordons sur la nécessité de l'approfondir. Parce qu'elle est au confluent des pouvoirs, des concepts et des normes qui régissent le modèle français, elle nous renvoie nécessairement à notre idée de la France et du pacte républicain.

Monsieur le Premier ministre, avez-vous un projet de société ? Et plus précisément, la décentralisation participe-t-elle à ce projet ? Nous vous avons entendu, vous ne nous avez pas convaincus.

Car nous jugeons votre politique de décentralisation sur les actes. Et ces actes ne traduisent pas une cohérence à toute épreuve. Votre politique oscille en fait entre le centralisme et la fuite en avant.

Réforme de la taxe professionnelle, réduction des droits de mutation, suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, suppression de la vignette : en moins de trois ans, la part des recettes fiscales autonomes dans les budgets des collectivités locales est passée de 54 % à 44 %. Vous auriez pu choisir de supprimer d'autres prélèvements, de baisser les dépenses publiques, de réformer l'impôt sur le revenu... Non ! Vous avez choisi de piocher dans la fiscalité des collectivités locales. C'est le choix du centralisme et du dirigisme.

Mais ce conservatisme a généré une étrange contrepartie, que je qualifie de fuite en avant ; centralisateur pour l'immense majorité des collectivités territoriales, vous voici brusquement devenu inventif pour la Corse. Ce qui est refusé au plus grand nombre est accepté pour quelques autres. Langue corse obligatoire, compétences accrues, pouvoirs d'adaptation législative... Quelle est l'origine de ce revirement ? La réponse est dangereusement simple : la violence paie ! Vous voici donc en train d'inventer, autour de la décision du 28 juillet 1993 du Conseil constitutionnel, un statut dérogatoire pour la Corse... Il y a là quelque chose de piquant car cette décision de 1993 ne m'est pas étrangère. Elle sanctionnait, sur saisie des socialistes et des communistes, la modeste loi sur les expérimentations dans les universités que j'avais fait adopter. Ce qui était autrefois inadmissible pour la gauche dans les universités est aujourd'hui acceptable au centuple pour la Corse (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). Ce que vous acceptez pour la Corse, sous quels motifs le refuserez-vous aux Bretons et aux Alsaciens ? Que direz-vous lorsque les élus viendront vous réclamer la création d'un département basque ? Votre politique à géométrie variable multipliera les requêtes contradictoires.

Mes chers collègues, la décentralisation peut être une chance pour la France, mais elle peut être aussi une défaite pour la République si elle épouse une logique centripète qui, progressivement, déchirerait le pacte national. En définitive, la problématique est la suivante : voulons-nous vivre prioritairement autour de nos particularismes locaux ou voulons-nous vivre ensemble avec, voire malgré, nos particularités ?

En revanche, la décentralisation peut être une chance pour la France si elle conduit à nous interroger courageusement sur l'efficacité des pouvoirs centraux, déconcentrés et décentralisés. Parce que l'Etat et les collectivités territoriales sont affectés par une langueur comparable, ils doivent se réinventer pour poser les bases d'un contrat national rénové.

Ce contrat doit épouser les évolutions de la société française. Celle-ci est en quête de créativité, d'identité et de responsabilité. Elle est attentive à sa qualité de vie et tourne le dos aux schémas de développement standardisé et uniforme. Cette nouvelle France doit s'épanouir dans un cadre institutionnel élargissant les champs de l'innovation et de la participation. Dans cet esprit, l'Etat doit apprendre à écouter, à déléguer. Il doit s'écarter d'une logique hiérarchique au profit d'une logique relationnelle, où l'autorité ne se décrète plus mais se gagne et s'orchestre différemment.

Pour ce faire, il convient d'arbitrer en faveur d'un Etat recentré et relayé par des collectivités locales placées en position de partenaires, et non de concurrentes, suivant le principe d'une véritable subsidiarité. Entre le « jacobinisme étouffant » et le « girondisme extravagant », entre le tout-Etat et l'absence d'Etat, il faut imaginer une relation constructive entre l'unité nationale et l'expression locale.

La décentralisation peut être une chance ou une défaite. A chacun sa voie, à chacun ses choix !

Pour notre part, nous avons choisi de moderniser le pacte républicain sans le démembrer. En rester au statu quo est impossible. Initié il y a vingt ans, un cycle s'achève et s'épuise dans la confusion. L'irrésolution et la suspicion. Oui, il y a confusion entre les cinq échelons centraux et décentralisés. Cinq échelons où nul ne sait plus très bien qui fait quoi, où se neutralisent les financements et les meilleures volontés, où l'esprit de clocher prévaut souvent sur l'esprit d'équipe. Une clarification est nécessaire.

Oui, il y a irrésolution dans les relations entre l'Etat et les collectivités locales : les dernières négociations pour les contrats de plan auront constitué l'expression d'une politique à bout de souffle. Un doute quasi-existentiel affecte la puissance publique dont le rôle et le statut n'ont pas été repensés en fonction du nouvel environnement économique et social. Ce constat nous conduit à réclamer une réforme courageuse et continue de l'Etat, non pour le destituer mais pour le restaurer. A bien des égards, nous estimons que la décentralisation peut sauver l'Etat !

Oui, il y a suspicion au sein d'un Etat qui est ferme là où il devrait être compréhensif et laxiste là où il devrait être vigilant. L'Etat dévolue certaines de ses responsabilités les plus sacrées à l'Europe, aux commissions indépendantes, aux experts, mais ne cesse de suspecter, de cadrer, voire d'exploiter les collectivités territoriales. La recentralisation fiscale, l'augmentation des contraintes et des contrôles tatillons qui pèsent sur les collectivités symbolisent cette suspicion.

La réforme que nous proposons repose sur les principes d'une décentralisation clarifiée, approfondie et démocratisée.

Nous souhaitons que l'Etat se recentre sur ses missions régulatrices, qui doivent s'exercer dans le cadre d'une République unitaire. Pour ce faire, nous préconisons un regroupement des moyens d'action de l'Etat autour du préfet de région.

Nous voulons une décentralisation clarifiée, dans un esprit de complémentarité politique. Nous proposons donc d'articuler les institutions autour des deux couples communes-intercommunalités régions-départements. Parce que la région doit constituer le vecteur principal des grandes ambitions locales, nous préconisons le mariage des régions et des départements. Nous souhaitons que les conseillers régionaux et généraux soient à l'avenir les mêmes et qu'ils soient élus au scrutin uninominal dans le cadre de circonscriptions redessinées et élargies. En réunifiant ces deux mandats, nous conduirons ces deux collectivités à coordonner leurs stratégies et leurs politiques.

Parallèlement la fiscalité locale devrait être modernisée en respectant l'autonomie fiscale des collectivités et la spécialisation fiscale, qui va de pair avec la responsabilité démocratique.

Nous proposons d'affecter la taxe foncière et la taxe d'habitation rénovée à la commune, la taxe professionnelle à l'intercommunalité, et une part additionnelle d'impôt d'Etat modernes comme la TIPP, l'impôt sur les sociétés ou la TVA au couple région-départements.

Mêmes élus, même ressource fiscale prélevée sur une base régionale : voilà les ressorts du couple solidaire que nous ambitionnons.

Nous voulons une décentralisation approfondie. Il faut élargir les compétences des collectivités territoriales. L'Etat doit, selon les cas, transférer de nouvelles attributions ou déléguer certaines de ses charges.

Cela suppose un audit général des missions et des méthodes de l'Etat, une redéfinissions des blocs de compétences, des critères clairs de répartition des compétences entre les collectivités locales selon le principe suivant : la proximité au couple communes-intercommunalités, la solidarité à l'échelon départemental et les politiques structurelles à la région. Une collectivité devrait être désignée comme « chef de file » sur chaque grand dossier.

Dans cinq domaines les collectivités locales sont, selon nous, mieux à même que l'Etat de faire vivre le principe d'égalité des chances.

En ce qui concerne l'aménagement du territoire, les transports ferroviaires hors grandes lignes, les équipements portuaires et aéroportuaires, le réseau routier national, la politique de logement, la gestion des fonds structurels européens doivent être confiés au couple région-département.

Sur le plan économique, nous souhaitons le transfert intégral des compétences aux collectivités locales, principalement aux régions.

En matière d'éducation et de formation, l'intégralité de la formation professionnelle et la responsabilité des moyens de l'éducation, du primaire à l'enseignement supérieur, doivent être transférées aux collectivités locales.

Sur la sécurité elle-même, vous ne pouvez plus, Monsieur le Premier ministre, continuer d'ignorer les attentes des maires des villes moyennes et grandes. Les contrats locaux de sécurité ne sont pas une panacée. Tout en affirmant l'essence régalienne de la politique de sécurité, les maires doivent pouvoir être associés à la gestion d'une partie des forces de police et de gendarmerie.

Enfin l'action sociale gagnerait à une clarification des responsabilités, en particulier pour le volet insertion du RMI.

Cette liste n'est pas exhaustive. La redéfinition des périmètres de l'Etat ne doit pas obéir à des présupposés idéologiques, mais être menée sans précipitation et avec pragmatisme.

Approfondir la décentralisation, c'est aussi offrir aux régions le pouvoir d'expérimenter de nouvelles formules qui, ensuite, peuvent être généralisées. Mais pour ne pas favoriser une France à plusieurs vitesses, ce droit doit être sérieusement encadré par le législateur, suivi par les services déconcentrés de l'Etat et d'une durée limitée.

Enfin, nous voulons démocratiser la décentralisation. Nous proposons le scrutin uninominal pour les conseillers régionaux et généraux, l'élection au suffrage universel dans le cadre communal des membres des structures intercommunales et l'élargissement du référendum local.

Voilà les axes du contrat national rénové que nous voulons proposer aux Français.

A cause de la crise, la société française s'est crispée sur la conservation des acquis. Avec le retour de la croissance, le mouvement doit reprendre. La décentralisation en est un des aspects (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Bernard Roman - Avant 1981, la décentralisation était un rêve. En 1982 elle devint un pari. Aujourd'hui, c'est un nouveau défi.

J'en suis convaincu, toute réflexion à ce propos doit s'inscrire dans la durée. Au cours des vingt dernières années, la décentralisation fut une réussite fabuleuse à bien des égards. Aujourd'hui les collectivités locales réalisent plus de 70 % de l'investissement public ; elles ont créé un réseau moderne d'équipements de proximité. Les conseils généraux ont pris en charge la solidarité, les régions le développement économique.

Pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Mais une étape nouvelle s'impose car nous parvenons au terme d'un cycle.

En effet, pour l'équipement du territoire, et notamment la rénovation de l'appareil éducatif, le contrat est rempli. D'autre part la décentralisation ne peut être qu'une dynamique. Des évolutions majeures l'ont marquée. Les conseillers régionaux sont élus au suffrage universel depuis 1986, les élus intercommunaux le seront en 2007 -ce dont je me réjouis après l'avoir souhaité un peu trop tôt. Puis la démocratie doit être lisible. L'empilement, le chevauchement des structures l'a rendue complexe. Enfin, les fonctions exécutives locales sont devenues un véritable métier qui suppose une formation continue et engage souvent la responsabilité pénale.

Quelles leçons tirons-nous de ces évolutions ? Je proposerai trois directions.

D'abord, il faut simplifier notre organisation territoriale. Cinq niveaux d'administration territoriale, 36 000 communes, 22 régions, c'est trop pour l'efficacité.

Notre organisation ressemble à un catalogue à la Prévert, la poésie en moins : aux communes et départements, nous avons ajouté les communautés urbaines, les villes nouvelles, les syndicats d'agglomérations nouvelles, les conseils régionaux, le statut PLM, les communautés de communes, les communautés de villes, les communautés d'agglomérations.

M. René Dosière - C'est de la géologie.

M. Bernard Roman - L'intercommunalité oblige à simplifier. A terme il faudra supprimer un niveau ; à mes yeux celui dont la pertinence est contestable est le conseil général. Naturellement, je ne propose pas de supprimer les départements, garants de l'égalité d'accès aux services publics de l'Etat et de la présence de ses services déconcentrés. Mais à terme il faudra envisager la fin des assemblées départementales dans leur forme actuelle.

La commission pour l'avenir de la décentralisation a suggéré de supprimer les cantons. C'est une première étape. A terme, l'intercommunalité couvrant tout le territoire, les assemblées départementales seront le lieu de convergence de ces structures. Il faudra alors s'interroger sur l'exercice des compétences actuellement dévolues aux conseils généraux. Aux communes les fonctions de proximité, aux structures intercommunales le développement, aux régions les infrastructures, c'est, je pense, la solution la plus adaptée.

La deuxième direction est de créer un véritable statut de l'élu, et de lui offrir un contrat à durée déterminée.

Le maire serait le premier salarié de sa commune, soumis aux droits et devoirs de tous les cadres de la fonction publique. Il cotiserait à une caisse de retraite et disposerait d'une couverture sociale du régime de la fonction publique, de congés pour exercice d'un mandat électif avec des modalités de retour à l'emploi et d'une formation désormais indispensable. La commission Mauroy a, à cet égard, avancé des suggestions intéressantes, et j'a compris que le Gouvernement allait nous proposer rapidement de légiférer sur ce point. Soyons ambitieux. L'engagement bénévole qui prévalait avant la décentralisation devient un mythe. Ou allons-nous nous satisfaire d'élus locaux qui seront des retraités ou des cumulards ?

En troisième lieu, il va nous falloir clarifier la fiscalité locale. Ce n'est pas par hasard que les récentes baisses d'impôt ont concerné les impôts les plus injustes, frappant les moins favorisés.

M. René Dosière - Et ils s'en sont aperçu.

M. Bernard Roman - Ces derniers mois, au Sénat et à la commission pour l'avenir de la décentralisation, la réflexion s'est concentrée sur deux thèmes, la spécialisation et l'autonomie fiscale.

S'agissant de la spécialisation, la création d'une taxe professionnelle d'agglomération dans les structures intercommunales est un pas décisif. Aux communes restera pour l'essentiel la taxe d'habitation. Percevant une taxe plus dynamique, les structures intercommunales auront des ressources qui augmenteront plus rapidement. On peut le déplorer ou, comme moi, s'en féliciter, mais il faut en tirer les conclusions.

Les maires savent désormais que dans les 10 à 20 ans qui viennent l'assiette de la taxe d'habitation dans leur commune évoluera peu -de 1 à 2 % en moyenne-, et que l'autonomie fiscale que certains appellent à grands cris risque, sans modification de cette assiette, de se réduire à peu de chose. Deux questions se posent ici au législateur. D'abord, peut-on modifier cette assiette, comme le proposent Edmond Hervé, René Dosière et d'autres collègues, pour y introduire des outils moins obsolètes et plus justes, comme les éléments de revenu des ménages ? Si nous ne le faisons pas, cet impôt n'a aucun avenir dans une vision progressiste de la fiscalité locale. Ensuite, quelle que soit la solution retenue pour l'assiette, comment assurer la solidarité, la péréquation entre les territoires -M. le Premier ministre y a insisté- bien au-delà de ce qui existe aujourd'hui ?

Je ne suis pas convaincu que le combat pour l'autonomie fiscale des collectivités soit le seul bon combat. L'essentiel est la pérennité de la ressource, l'assurance de son évolution, plutôt que la nature du prélèvement et la capacité de le décider -dans des limites qui seront très étroites dans l'avenir. Ce qui est choquant dans les dotations aux collectivités, ce n'est pas leur principe même : c'est l'incertitude qui pèse sur leur évolution, et qui handicape l'action à long terme des élus. Depuis dix ans, le produit de la taxe d'habitation a évolué à peine plus vite que l'inflation. Si l'Etat s'engageait -par un pacte qui pourrait être de nature constitutionnelle- à transformer une part importante des ressources fiscales des collectivités en dotations dont l'évolution serait garantie par indexation sur l'inflation et le PIB, je n'en serais pas choqué. Ce serait au contraire, sans doute, une occasion unique pour mettre en place la péréquation entre territoires, sur laquelle nous ne faisons encore que balbutier.

La solidarité entre les territoires est une dimension essentielle de la solidarité entre les citoyens. Nos propositions pour une nouvelle étape de la décentralisation se légitiment par la volonté de rapprocher le pouvoir des citoyens. Je vous remercie, Monsieur le Premier ministre, d'avoir, par ce débat, ouvert ce chantier devant le Parlement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Nicole Ameline - Pas plus que l'Europe ne sera l'héritière de Montesquieu, la France ne peut limiter son histoire institutionnelle à l'héritage colbertiste, puis jacobin. Non pas qu'il faille renier l'histoire de notre république : elle a su construire l'unité et la cohésion du pays, et inspiré sa conception du pouvoir au point qu'on peut se demander si la France peut renoncer à son Etat décentralisé sans renoncer à elle-même... Mais bien sûr la réponse est oui. Notre pays n'échappe pas à la nécessité de s'adapter à un monde qui met en concurrence, non seulement les appareils productifs, mais les modes de gestion publique. A cet égard notre pays a accumulé de lourds handicaps. Il lui faut un surcoût d'efficacité et de démocratie.

La décentralisation est un principe actif de cette modernisation. En débattre, du reste, conduit à s'interroger non seulement sur l'organisation et la gestion des collectivités territoriales, mais bien sur l'exercice même du pouvoir dans une république moderne, plus ouverte sur le monde et mieux adaptée à l'évolution de la société, avec son exigence de proximité. La décentralisation doit donc inspirer un véritable projet politique dans un paysage politique renouvelé. La France nouvelle, c'est un formidable élan de responsabilité des élus locaux, qui méritent un immense respect pour leur implication et leur compétence. C'est aussi l'émergence de territoires comme les pays, les communautés de communes, les agglomérations. L'intercommunalité est un mouvement irréversible. Et je n'oublie pas le fait régional, qui s'affirme sans affaiblir les autres échelons. La France nouvelle, c'est encore l'émergence de la société civile, désireuse d'une démocratie plus interactive et plus participative.

Outre ces tendances, la décentralisation malgré un bilan positif, présente des dysfonctionnements qui justifieraient à eux seuls une nouvelle étape : doubles emplois, financements croisés, transferts de charges indus, recentralisation financière et fiscale... Une nouvelle étape ne peut donc se limiter à des inflexions, mais appelle d'amples changements.

Il faut tout d'abord rétablir un équilibre entre l'Etat et les collectivités. Ceci n'implique nullement de remettre en cause la souveraineté nationale et l'unité de la République. Entre unité et diversité, il n'y a pas à choisir : elles doivent se compléter pour donner au système sa souplesse.

La décentralisation ne se résume pas à une dévolution de compétences de l'Etat vers les collectivités. C'est aussi une approche nouvelle, tournée vers le droit à l'expérimentation, que nous avons reconnu hier, et à l'innovation. Sans revendiquer pour elles la compétence de leur compétence, les collectivités, et particulièrement les régions, devraient avoir une responsabilité élargie dans l'adaptation des lois. Mettre en _uvre une nouvelle étape suppose donc une ambition forte, appuyée sur des moyens nouveaux et cohérents.

Il faut revenir aux principes, et tout d'abord à l'esprit des blocs de compétences. Si l'on doit envisager de nouveaux transferts de responsabilités, et par exemple, au niveau de la région, la création d'un pôle économique -éducation, formation, emploi, soutien aux entreprises-, celle d'un pôle aménagement du territoire -transports, environnement, eau, agriculture...- alors il faut retrouver l'esprit de cohérence de la réforme initiale.

La nouvelle étape exige d'autre part une vraie réforme fiscale, qui doit garantir deux principes fondamentaux : tout transfert de compétences doit s'accompagner des moyens correspondants ; et l'autonomie fiscale doit être préservée par un transfert de ressources propres. Aujourd'hui le périmètre fiscal des collectivités se réduit constamment, et l'Etat est le premier contribuable local, ce qui prive les collectivités du lien indispensable avec la réalité économique. Il est essentiel de retenir le principe d'une spécialisation des taxes par niveau de collectivités, assorti d'un renforcement de la péréquation.

Il importe aussi de changer les méthodes, de donner aux contrats -entre collectivités, entre elles et l'Etat- un contenu et une force juridique nouveaux pouvant conduire à de vraies délégations de compétences. Il faut en outre réformer et redéployer l'Etat, en soumettant son action au principe d'efficacité. Notre administration est compétente et dévouée, mais elle s'est rigidifiée et n'a pas suivi l'évolution sociale. Il est possible d'en améliorer le fonctionnement, à condition de recentrer l'action de l'Etat sur ses missions régaliennes. Aujourd'hui, malgré l'ampleur de la dépense publique, certaines de celles-ci -police, justice, santé- sont de plus en plus mal remplies, comme si, à vouloir s'occuper de tout, l'Etat n'arrivait plus à s'occuper de rien. Il faut donc que les attributions de crédits soient soumises à évaluation. Il faut aussi faire plus confiance à la capacité des élus à gérer les collectivités.

On le voit, la décentralisation n'est pas seulement un système de gestion, mais un changement de perspective, de culture. Les obstacles restent nombreux : nous aimons les jardins à la française, fût-ce au prix d'un égalitarisme forcé qui s'apparente au conservatisme.

Outre un nouveau transfert de compétences, la vraie réforme suppose que soit réaffirmé le principe de libre administration des collectivités territoriales, et que celles-ci, dans l'exercice de leurs nouvelles responsabilités, aient plus d'autonomie et de pouvoir d'initiative.

Nous devons nous interroger sur le rôle de la loi dans la démocratie moderne. On pourrait imaginer qu'elle devienne plus squelettique, pour laisser une plus grande marge d'application, voire d'adaptation locale.

Parler de décentralisation, c'est parler de responsabilité : il est temps de redonner aux Français du pouvoir et de la responsabilité, avec notamment un vrai statut de l'élu local. C'est aussi parler de liberté : nos concitoyens se sentent trop souvent contraints, freinés dans leurs initiatives.

Vouloir une démocratie vivante, c'est faire confiance aux femmes et aux hommes, accepter de faire la preuve par le local et d'enrichir la République de tous ses talents. C'est aussi regarder vers l'Europe : la complémentarité du local et du global devient évidente, et c'est dans le cadre européen qu'il faut réfléchir à la décentralisation, sur la base du principe de subsidiarité. Une répartition plus claire des compétences entre le local et l'européen s'impose. C'est dans le cadre de l'Europe aussi qu'il faut réfléchir à l'aménagement du territoire, comme le montrent notamment les études de la DATAR. Le niveau régional doit être conforté dans ses capacités de coopération nationale et européenne.

La décentralisation peut renforcer la démocratie locale, la vitalité des territoires et leur rééquilibrage ; je pense notamment au monde rural, peu avantagé par les logiques de développement urbain que privilégie le Gouvernement. Elle peut aussi permettre de réhabiliter la politique, grâce à la proximité. Il y a urgence. Quand il y a urgence, disait Talleyrand, il est déjà trop tard... Je ne le crois pas. Nous avons rendez-vous avec un nouveau monde et un nouveau siècle. Sachons que la politique n'est pas seulement l'art de gérer les crises, mais bien de proposer un projet de société en phase avec son temps. Notre avenir, autour d'un Etat rénové, sera européen et décentralisé. C'est une formidable chance pour la démocratie française (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Noël Mamère - Les députés Verts se réjouissent de la tenue de ce débat. La décentralisation est un des piliers de la modernisation de nos institutions et elle doit être menée à terme. Il est grand temps de répondre aux attentes des Français, dont l'insatisfaction va grandissant, et nous regrettons que le Parlement n'ait pas saisi l'occasion des débats sur le quinquennat ou sur l'inversion du calendrier électoral pour réformer nos institutions en profondeur.

La décentralisation est au c_ur d'un projet plus global de démocratisation. Nous devons combattre la fracture démocratique qui s'est installée, comme en témoignent les records d'abstention ou les votes blancs et nuls qui ne sont malheureusement pas comptés comme un geste politique. Le but est simple : rapprocher les citoyens de la politique. Pour cela, il faut transférer certaines compétences et les budgets qui vont avec aux collectivités locales mais aussi démocratiser leur fonctionnement.

A cet égard, les Verts se félicitent de l'accord trouvé sur la Corse. Tout d'abord, la démarche est saine : le Gouvernement, rompant avec toute attitude jacobine et centralisatrice, a su rétablir le dialogue avec les élus corses, de toutes les sensibilités. Chacun a pu, en Corse comme dans le reste de la France, exprimer son point de vue. Mais au-delà de la méthode, c'est le résultat qui compte, et le résultat est bon.

Nous avons par conséquent bien du mal à comprendre que le Gouvernement refuse la régionalisation généralisée de certaines politiques. Il n'est pas dangereux de reconnaître les identités régionales. Au contraire, il faut développer cette multi-appartenance pour mieux se prémunir contre tout repli identitaire.

Même si cela peut paraître paradoxal, la construction européenne doit être couplée avec un profond mouvement de décentralisation en France. Il est indispensable de prendre les décisions plus près des citoyens si l'on veut réduire le fossé qui se creuse avec les politiques. Alors que la mondialisation a besoin d'institutions politiques qui couvrent des territoires de plus en plus vastes, il est sain de préserver des communautés d'appartenance : le quartier, l'agglomération, la région, la nation... C'est le meilleur antidote aux deux maux qui guettent notre époque : l'atomisation individualiste et le repli nationaliste.

Le nationalisme corse ne vaut d'ailleurs pas mieux que le jacobinisme parisien. S'il n'y avait pas des assassinats commis en son nom, on pourrait s'amuser de voir les défenseurs du nationalisme français s'offusquer que d'autres veuillent appliquer le même raisonnement à la Corse. Les Verts condamnent sans réserve le nationalisme d'exclusion. Les crimes perpétrés à ce titre n'ont de politique que le nom.

Il faut donc poursuivre le processus de réforme jusqu'au bout. Certains voudraient le suspendre dès qu'un attentat est commis. Ce serait faire un grand honneur aux poseurs de bombes. C'est au contraire la marque des grands démocrates que de ne pas se laisser intimider par ceux qui veulent imposer la loi des armes.

Au-delà de la Corse, il faut engager une véritable régionalisation des pouvoirs dans notre pays. Après la première étape de 1982, il faut garantir l'autonomie des collectivités territoriales par un important transfert de compétences et de moyens financiers et établir leur légitimité en démocratisant leur fonctionnement.

Le débat sur la Corse a posé la question des pouvoirs législatifs des régions. Les Verts y ont toujours été favorables. Si des garde-fous doivent éviter la contradiction avec les législations françaises et européennes, l'expérimentation sera utile.

Ce type de fonctionnement a en effet toujours été un facteur de progrès, créant une sorte d'émulation entre les collectivités locales. Des propositions peuvent convaincre au niveau national après avoir été testées dans une région. C'est un moyen parmi d'autres d'empêcher la sclérose qui menace tout système politique.

Le transfert de compétences pourrait aujourd'hui se faire sans grande difficulté dans des domaines aussi variés que les transports, la culture, la protection des citoyens, l'agriculture et la forêt ou le logement. Les responsables régionaux ont en effet une bonne perception des réalités. C'est à eux que les demandes des citoyens sont de plus en plus souvent adressées et ils doivent pouvoir y répondre. Dans le domaine de la santé par exemple, il existe maintenant des schémas régionaux d'organisation de la santé, des agences régionales d'hospitalisation... et les conseils régionaux n'ont toujours pas de compétences dans ce domaine !

Cette nouvelle étape ne sera néanmoins possible que si le fonctionnement des collectivités locales est profondément démocratisé. La démocratie y est en effet souvent formelle et limitée. Il faut commencer par l'harmonisation des modes de scrutin et de la durée des mandats à cinq ans. Le mode de scrutin régional pourrait servir de modèle. Dans ce cadre, l'élection au suffrage universel direct des élus intercommunaux et la suppression des conseils généraux doivent être envisagées.

Il est nécessaire de mettre en place des modes de scrutin mixtes, moitié majoritaire, moitié proportionnel. Il s'agit par là de refléter fidèlement la volonté politique de nos concitoyens, mais aussi de laisser la place à l'innovation. Il est en effet évident que toute idée nouvelle commence par être minoritaire. Les collectivités locales pourraient ainsi être le creuset de l'innovation et de l'expérimentation.

La régionalisation des pouvoirs devra aussi être entreprise pour l'outre-mer. Il faut donc aller vers une assemblée unique pour chaque région d'outre-mer et les Verts se réjouissent que le Gouvernement ait abandonné le projet de bi-départementalisation de la Réunion.

Les DOM-TOM doivent bénéficier de statuts particuliers qui leur donnent les moyens de l'autodétermination. Ce sera la seule façon de se défaire définitivement de l'héritage colonial.

Un mot maintenant d'un sujet démocratique majeur : le statut de l'élu. Comme toute chose, la démocratie a un prix. Il ne s'agit évidemment pas de l'alourdir sans cesse, et la simplification des échelons locaux permettrait d'ailleurs de faire beaucoup d'économies. Il est en revanche nécessaire de garantir un minimum à tous les élus, pour qu'ils puissent exercer leur tâche convenablement.

Des milliers d'élus locaux qui se consacrent à faire vivre la démocratie dans leur commune ne sont pas indemnisés du tout. Soit parce qu'aucune indemnité n'est prévue, soit parce que le budget de leur commune est trop faible. Nous réclamons instamment la prise en charge partielle ou totale des indemnités par l'Etat. C'est une question de solidarité nationale, d'égalité républicaine et tout simplement de démocratie.

C'est une ardente nécessité si l'on veut que la représentation politique soit le reflet de notre diversité sociale, si l'on désire l'engagement en politique de personnes aux revenus faibles ou mal assurés. Combien y a-t-il d'ouvriers dans cette assemblée ? Combien de paysans ? Combien de personnes ayant connu le chômage ? Les réponses claquent comme autant de désaveux à l'idéal républicain.

Nous pouvons prendre des mesures rapides pour commencer à combler ce fossé. J'espère que les différentes initiatives, dont celle du groupe communiste, aboutiront très prochainement. C'est une des conditions pour faire vivre une authentique décentralisation.

M. Pierre Méhaignerie - L'UDF souhaite voir s'engager une nouvelle étape de la décentralisation. Celle-ci ne peut pas être confisquée par un parti, et je regrette les propos excessifs de M. Balligand, qui ne lui ressemblent pas. Il faut d'ailleurs rappeler que la première étape de la décentralisation fut la proposition du général de Gaulle en 1969, et que si le projet de M. Defferre ne fut pas accepté par certains de mes collègues, c'est en raison du contexte profondément conflictuel qui accompagnait les nationalisations.

M. René Dosière - Il ne faut pas réécrire l'histoire !

M. Pierre Méhaignerie - Si le rapport Mauroy va dans le bon sens, nous ne sommes pas convaincus par le discours du Premier ministre, qui semble évoquer une « décentralisation concédée », ni certaines de ses convictions après les décisions de ces trois dernières années. Mais nous savons que l'enjeu présidentiel fera de la décentralisation un élément du débat politique. La prochaine loi sur l'eau sera un test pour savoir si nous allons vers elle ou vers une étape de la recentralisation.

Nous pensons qu'on peut mieux gérer l'Etat en le recentrant sur ses fonctions essentielles, qu'il faut rapprocher le citoyen de l'exercice du pouvoir et que les services publics seront plus efficaces, plus économes et plus démocratiques s'ils sont gérés à un niveau plus proche des citoyens.

Sur les rôles respectifs de l'Etat et des différentes collectivités locales, le Premier ministre s'est montré d'une grande imprécision. Il a parlé de culture, de formation professionnelle, mais non de logement, ni d'environnement -ni des SDIS, pour lesquels deux options sont possibles : leur départementalisation complète ou, au contraire, leur transfert à l'Etat, en tant que mission régalienne. Une autre application judicieuse du principe de subsidiarité serait le transfert de l'aide sociale des départements aux intercommunalités. Il importe, en tout cas, de clarifier les responsabilités, car nos concitoyens ne peuvent plus se retrouver dans le maquis actuel, le summum de la complexité étant atteint par la gestion de l'eau, qui relève actuellement d'une demi-douzaines de directions différentes.

Non seulement l'Etat ne corrige pas les inégalités, mais encore il les aggrave sous couvert de péréquation. Songez, mes chers collègues, que les Alpes-Maritimes reçoivent 350 F par habitant au titre de la compensation de la taxe d'habitation, quand la Creuse ou la Lozère n'en reçoivent que 90 !

M. René Dosière - C'était dans mon rapport de l'an dernier !

M. Pierre Méhaignerie - Tout à fait, et c'est un point sur lequel nous sommes d'accord, comme je suis d'accord avec M. Roman pour dire qu'il est temps de tirer les conséquences du poids grandissant pris par la région et par l'intercommunalité. S'il est inéluctable que le département n'ait plus, demain, les mêmes responsabilités qu'aujourd'hui, il y a, en revanche, quelque risque à encourager à l'excès le transfert de compétences de la commune, qui reste le pilier de la démocratie locale, à l'intercommunalité. Le coefficient d'intégration fiscale, qu'il était sans doute nécessaire de fixer à un niveau élevé pour assurer la dynamique initiale, doit être rendu plus neutre.

M. Germain Gengenwin - Très bien !

M. Pierre Méhaignerie - Quant à l'élection des conseillers d'agglomération au suffrage universel, je dis : cent fois oui ! Mais ce ne sera pas sans conséquence sur les départements. Là encore, deux options sont ouvertes : celle qu'ont défendue MM. Daubresse et Fillon, et que défend François Bayrou, et celle qui consiste à faire du département le fédérateur des structures intercommunales. En tout état de cause, il faut éviter une superposition qui serait incompréhensible par nos concitoyens.

L'UDF n'est pas favorable, dans sa majorité, à une spécialisation trop poussée des taxes. Si la TPU a eu le mérite de permettre une péréquation pertinente, car réalisée au niveau des bassins d'emploi, l'extension du même principe au foncier bâti et à la taxe professionnelle serait des plus périlleuse, car elle entraînerait sans doute un dérapage des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques, au mépris de nos engagements européens.

Quant à la déconcentration, à laquelle le Gouvernement dit vouloir faire faire de nouveaux progrès, j'observerai simplement que Gaston Defferre tenait déjà le même discours en 1982 et que, près de vingt ans plus tard, nous rencontrons, dans le train, de plus en plus de responsables locaux qui viennent à Paris pour conclure des contrats ou des conventions avec l'Etat. J'ai souvent demandé au Gouvernement de combien de mètres carrés disposaient, dans la capitale, l'ensemble des administrations centrales ; je n'ai jamais obtenu de réponse, mais il semble, si l'on se fonde sur divers recoupements, que la surface ait doublé au cours de cette période. Je crois, pour ma part, qu'il n'y aura pas de vraie déconcentration tant que la concentration parisienne de matière grise administrative restera la même...

Enfin, je voudrais dire à Jean-Pierre Chevènement que je respecte ses convictions, mais que ceux pour qui l'Etat fonctionnerait mieux s'il se recentrait sur ses fonctions essentielles n'ont pas moins le sens de l'Etat que lui. Je conclurai en citant un homme d'Etat européen qui a marqué l'histoire récente de notre continent : « Les peuples qui réussiront dans les prochaines années sont ceux dont les Etats accepteront un double transfert de pouvoir, vers l'Union européenne pour faire face à la mondialisation et vers les collectivités de base pour libérer les capacités d'initiative et de responsabilité des citoyens » (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 15.

La séance est levée à 19 heures 40.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

        www.assemblee-nationale.fr


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