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Session ordinaire de 2000-2001 - 58ème jour de séance, 136ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 7 FÉVRIER 2001

PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI

Sommaire

          ÉPARGNE SALARIALE (lecture définitive) 2

          LOIS DE FINANCES -loi organique- (suite) 5

          ART. 2 17

          ART. 4 19

          ART. 5 20

          ORDRE DU JOUR DU JEUDI 8 FÉVRIER 2001 23

La séance est ouverte à vingt et une heures.

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    ÉPARGNE SALARIALE (lecture définitive)

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre demandant à l'Assemblée de statuer définitivement, en application de l'article 45, alinéa 4, de la Constitution, sur le projet de loi sur l'épargne salariale.

En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion de ce projet en lecture définitive.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Vous allez ce soir adopter définitivement ce projet. Tant en première qu'en nouvelle lecture, le Parlement a pleinement exercé son rôle de législateur. Les débats, tout particulièrement les vôtres, ont permis d'améliorer plusieurs dispositions de ce texte, tout en conservant son équilibre et sa logique.

La qualité de ce travail doit beaucoup -et je veux, une nouvelle fois, lui rendre hommage- à l'engagement de votre rapporteur, Jean-Pierre Balligand -qui sera sans doute fait docteur honoris causa en épargne salariale (Sourires) et à sa parfaite connaissance de la matière. L'apport de votre rapporteur pour avis, Pascal Terrasse, doit aussi être salué. Je tiens aussi à remercier les groupes de la majorité qui ont permis une meilleure adaptation du projet à ses objectifs. Je souligne enfin l'attitude constructive des députés de l'opposition.

Parmi les apports les plus significatifs de la discussion parlementaire, je citerai l'adoption d'une définition juridique des groupes, l'aménagement des modalités de conclusion des plans d'épargne interentreprises, la création d'un PPESV glissant à sortie en capital fractionnée, l'instauration d'une contribution sociale de 8,2 % sur les abondements patronaux au-delà de 15 000 F, l'incitation à investir dans des fonds à dimension éthique ou socialement responsables, la définition des entreprises et des fonds solidaires, le renforcement du pouvoir des salariés dans les conseils de surveillance des FCPE ou, encore, les modalités de développement de l'actionnariat salarié dans les entreprises à participation publique.

Dès la promulgation de la loi, les partenaires sociaux vont pouvoir négocier et instituer des plans d'épargne au bénéfice du plus grand nombre des salariés. Les petites entreprises, qui le plus souvent, ne disposent d'aucun dispositif de participation, d'intéressement ou de plan d'épargne, vont être fortement incitées à les créer, grâce aux avantages fiscaux prévus.

Les décrets d'application, notamment ceux relatifs au livret d'épargne salariale, auquel est particulièrement attaché votre rapporteur, aux modalités de transferts de l'épargne d'un instrument à l'autre, ou aux cas de déblocage anticipé de l'épargne seront, comme le Gouvernement s'y est engagé, tous publiés moins de trois mois après la promulgation de la loi.

Après votre vote, ce projet deviendra loi de la République. Une généralisation de l'accès à l'épargne salariale, un financement des entreprises plus facile, un développement de la négociation collective, tels sont les résultats que nous pouvons en attendre. Les salariés seront davantage associés à la gestion de leur entreprise, y compris dans les plus petites, et percevront une meilleure rétribution de leur travail.

Au-delà de ces acquis, parce qu'elle bénéficiera à la fois aux salariés et aux entreprises, cette réforme sera un atout essentiel pour le développement économique de notre pays et la modernisation des rapports sociaux. Je vous demande donc de lui apporter votre soutien définitif.

M. Jean-Pierre Balligand, rapporteur de la commission des finances - Le texte dont nous débattons aujourd'hui est très proche de celui que nous avons examiné le 16 janvier en seconde lecture. Le Sénat n'a pas souhaité s'exprimer, au motif que l'Assemblée n'avait pas jugé utile d'intégrer ses propositions en matière de retraite -l'ancienne loi Thomas. En conséquence, la discussion autour de ses amendements n'aura pas lieu.

Je remercie tous les parlementaires pour leur contribution. Le texte a été profondément remanié, l'avant-projet s'y prêtait.

Merci aussi aux trois ministres des finances qui se sont succédés pour que ce projet aboutisse. Dominique Strauss-Kahn a donné l'impulsion. Christian Sautter a assuré la préparation du projet ; enfin c'est à Laurent Fabius qu'est revenue la tâche de porter le projet.

Ce projet est utile pour la démocratie sociale dans nos entreprises et dans nos PME ; utile pour un meilleur partage de la valeur ajoutée dans l'intérêt des salariés, sans perte de compétitivité pour les entreprises ; utile pour réorienter l'épargne des Français vers le long terme afin de dégager des fonds propres de nos entreprises ; utile pour démocratiser l'accès à l'épargne salariale en l'ouvrant aux 80 % de salariés et aux 97 % de salariés des PME qui en sont exclus ; utile pour consolider la croissance dans notre pays.

Ce projet est aussi profondément équilibré parce qu'il ne fait pas d'amalgame avec le projet d'une retraite par capitalisation en France et parce que la cotisation de 8,2 % applicable à l'abondement au-dessus de 15 000 F en préserve l'attractivité.

Ce projet est également soucieux de la protection de l'épargne des salariés parce que, au risque d'être jugé trop frileux sur l'ampleur du retour en fonds propres vers les entreprises, j'ai toujours privilégié, en tant que rapporteur de la commission et en accord avec Jean-Baptiste de Foucauld, l'intermédiation plutôt que le face à face direct entre salariés et entreprises. Ce projet vise davantage à porter la taille du marché du capital-risque en France au niveau du marché américain qu'à créer un marché de l'épargne salariale de proximité captif pour les fonds propres des entreprises. La protection de l'épargne des salariés passe aussi par la transparence, la transférabilité et la traçabilité de l'épargne, et je remercie le ministre d'avoir accepté cette proposition, grâce au relevé récapitulatif et au livret d'épargne salariale.

Enfin, ce projet est attendu par ses futurs utilisateurs, par ses bénéficiaires, par les partenaires sociaux. Il a fait l'objet d'une très large concertation. A en juger par les premières négociations de branches, les colloques, la formation accélérée des syndicalistes à la maîtrise de cet instrument, avant même que le texte soit voté, l'avenir de cette nouvelle épargne salariale s'annonce plutôt bien.

J'allais former le v_u que les décrets paraissent dans les délais les plus rapprochés, mais M. le ministre m'a exaucé par anticipation.

Je souhaite également que l'on réfléchisse aux intermédiaires institutionnels, privés ou publics qui pourraient, dans les prochains mois, assurer la diffusion et l'explication des différentes modalités de la nouvelle épargne salariale. Une évaluation devra être menée. Il faut aussi favoriser des initiatives locales, départementales, régionales en vue d'un développement rapide des plans interentreprises de branche ou de territoire.

Ce projet enrichit le contrat social et fournit au dialogue social de nouveaux espaces d'expression. C'est un projet moderne et redistributif, utile pour les salariés de notre pays et pour la croissance durable de notre économie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Nicole Bricq - Nous arrivons au terme d'un débat engagé le 3 octobre dans des délais très raisonnables. Alors que l'on parle de revalorisation du travail du Parlement, nous nous réjouissons que cette discussion ait été menée de manière très convenable. Le rapport Balligand-de Foucauld avait éclairé le débat et permis au Gouvernement de proposer un texte équilibré, que le débat parlementaire a enrichi.

Je regrette que le Sénat ait persisté à vouloir réintroduire feu la loi Thomas, alors que l'objectif était autre. Il s'agissait en effet de réorienter l'épargne vers le capital productif, et d'améliorer les produits d'épargne de sorte que le plus grand nombre de salariés puisse désormais y accéder.

Naturellement le groupe socialiste votera le projet. Et puisque, en haut lieu, on souhaite que l'année qui commence soit utile, nous avons ce soir le sentiment de faire _uvre utile pour l'économie, les salariés et les entreprises (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jacques Godfrain - Nous voilà parvenus au dernier round. Le titre du projet, la qualité du travail préliminaire conduit par le rapporteur et M. de Foucauld, avaient de quoi nous mettre l'eau à la bouche. Nous pensions qu'enfin le Gouvernement avait franchi le pas, avait en quelque sorte été touché par la grâce, et s'apprêtait à faire sienne une conception moderne de l'économie, après de longues années d'un archaïsme dénoncé au sein même du parti socialiste.

En découvrant le résultat, nous n'avons été qu'à moitié surpris, car, nous le savons, il n'y a pas de miracle dans le domaine parlementaire, surtout de votre côté. Comme nous l'avons fait au cours des lectures précédentes, nous nous abstiendrons donc.

Je regrette enfin la méthode que vous avez choisie. La France a la chance de posséder une institution telle que le Conseil économique et social. Or le Conseil, au cours de l'année 2000, n'a pas été saisi du texte. Son président a pourtant écrit que « le CES doit aborder les mutations de la société et du travail social ». L'épargne salariale fait partie intégrante de ce domaine. Le président ajoute que le CES, à l'occasion de la présidence française de l'Union européenne, avait invité ses 25 homologues européens à se réunir au Palais d'Iéna pour étudier un programme sur « les nouveaux emplois et les nouveaux savoirs », sur lesquels porte aussi votre texte. Enfin les travaux du CES devraient bénéficier d'une attention croissante, conclut son président.

Il est dommage que, parmi tous les textes dont a été saisi le CES, le projet relatif à l'épargne salariale ne figure pas. Il faut parfois savoir échapper aux médias. Le CES, c'est vrai, travaille dans la discrétion, avec le plus grand sérieux. Il a produit ainsi des analyses dont le Gouvernement pourrait tirer grand profit (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL).

M. François Goulard - Comme Jacques Godfrain, je me réjouis que le Gouvernement et la majorité se soient convertis à l'épargne salariale et reconnaissent ses vertus.

Ce sont les gaullistes qui les premiers ont introduit la notion de participation dans le droit et dans la pratique. Depuis de nouvelles formules sont apparues, parfois un peu trop compliquées. Au total l'épargne salariale est dans notre pays une réussite, dont le seul inconvénient est de ne pas être encore assez répandue. Elle procure aux salariés une rémunération motivante, et offre aux entreprises une protection en cas de retournement de la conjoncture. Nous nous réjouissons donc sincèrement de l'intérêt porté par le Gouvernement à l'épargne salariale.

Cependant nous ne considérons pas que son projet aille dans le bon sens. Ce qui a vieilli au sein de l'épargne salariale, c'est la participation, dont le caractère exclusivement légal empêche la négociation entre les partenaires sociaux. Le principal obstacle au développement de l'épargne salariale se trouve dans la complexité des textes qui l'organisent. On le voit bien pour les PME. Je parle d'expérience, ayant tenté dans ma vie professionnelle de promouvoir des produits d'épargne salariale.

En dépit de certains aspects intéressants, votre texte n'apporte pas de réelles avancées. Demeure aussi cette fameuse question des vrais-faux fonds de pension, dont on ne parle plus guère parce que le Gouvernement s'est enfermé dans le refus systématique d'introduire dans le financement des retraites une part de capitalisation. Nous ne voyons donc pas de nouveaux motifs qui nous conduiraient à voter ce texte.

M. Jean-Jacques Jégou - Le débat est désormais clos. Globalement, ce texte permet aux PME d'accéder à l'épargne, ce qui leur était interdit jusqu'à présent. Ce dispositif gagnera à être amélioré dans l'avenir. Nous avons bien travaillé en commission des finances, et j'en remercie notre rapporteur, qui a su préserver l'équilibre du texte face à certaines velléités de dérapage. Le groupe UDF, attaché à l'épanouissement des salariés dans l'entreprise, au développement d'une épargne qui apporte un réel complément aux salariés, à la capacité pour les PME de se procurer des fonds propres, s'abstiendra (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe du RPR).

M. le Président - La CMP n'étant pas parvenue à l'adoption d'un texte commun, l'Assemblée est appelée à se prononcer sur le dernier texte voté par elle.

L'ensemble du projet, mis aux voix, est adopté.

La séance, suspendue à 21 heures 25, est reprise à 21 heures 30.

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    LOIS DE FINANCES -loi organique- (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi organique relative aux lois de finances.

M. Jean-Louis Idiart - Nos concitoyens sont de plus en plus vigilants, et donc critiques, vis-à-vis de la dépense publique, car ils sont à la fois exigeants quant aux besoins collectifs et réticents à l'idée d'y contribuer par leurs impôts. Ils ne manquent pas de faire porter toutes les responsabilités aux parlementaires, qu'ils élisent pour les représenter et contrôler en leur nom l'exécutif. Comment mieux dépenser et mieux contrôler la dépense ? Telle est la question à laquelle nous avons donc à répondre, au nom du peuple souverain.

Le Parlement ne se satisfait pas de la procédure budgétaire, et vilipende volontiers, depuis plus de quarante ans, l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, comme en témoignent les trente-cinq vaines tentatives de réformer celle-ci. Or, une occasion unique nous est offerte d'y parvenir : un gouvernement favorable à la réforme et faisant montre d'un volontarisme exempt d'esprit tacticien ou politicien ; un ministre des finances qui, lorsqu'il présidait notre Assemblée, a été à l'origine de la création de la mission d'évaluation et de contrôle ; un rapporteur général et une commission des finances faisant preuve de ténacité et de pragmatisme ; une commission spéciale présidée par le président Forni lui-même, et auxquels ont participé des représentants de tous les groupes, dans un état d'esprit constructif et consensuel ; une coopération intelligente, enfin, avec le Sénat, ce qu'attestent les déclarations du président de sa propre commission des finances.

Le moment est donc venu de doter notre Parlement des pouvoirs de contrôle dont disposent tous les autres Parlements d'Europe. Ce n'est pas du futurisme : c'est simplement du rattrapage ! Nul ne doit donc avoir peur, ni prendre le risque insensé de faire échouer cette réforme de la dernière chance. Faudrait-il, sous prétexte qu'elle ne va pas assez loin, ne rien faire du tout, et prendre encore plus de retard ? Une telle tentation ne saurait venir à l'esprit d'aucun parlementaire soucieux de redonner force à notre institution.

De toute évidence, il convient de donner souplesse et lisibilité à l'action ministérielle, en passant, comme y tend la proposition de loi organique, d'une logique de moyens à ne logique de résultats, et en fixant aux gestionnaires publics des objectifs précis tout en leur laissant une marge d'appréciation quant aux moyens à mettre en _uvre pour les atteindre -d'où l'idée de rendre les crédits fongibles au sein d'un même programme et transférables, dans certaines limites, au sein d'une même mission ; d'où, également, la pluriannualité, nécessaire à la conduite d'actions d'envergure à moyen et long terme.

Renforcer le pouvoir de contrôle du Parlement, c'est améliorer la lisibilité de l'action publique, le suivi de l'exécution budgétaire et la participation des parlementaires à la définition même des objectifs à atteindre. La présentation des dépenses par missions et programmes permet de s'affranchir de la contrainte des « services votés », et de réaffecter certaines ressources vers des priorités nouvelles. L'information du Parlement est rendue aussi complète que possible, le projet de loi de finances étant accompagnée d'une présentation « à structure constante », distinguant en outre entre moyens de fonctionnement et d'investissement. Enfin, le lien entre la procédure budgétaire nationale et les engagements européens est affirmé.

Le contrôle de l'exécution est renforcé par l'institutionnalisation de l'information des commissions des finances du Parlement sur les actes réglementaires tels que les décrets d'avance -qui devront être pris après avis du Conseil d'Etat et desdites commissions- ou les annulations de crédits -qui devront être publiées au JO après avoir été également transmises aux commissions compétentes. Dès le dépôt du projet de loi de finances, en outre, le Gouvernement sera tenu de fournir au Parlement des annexes explicatives par ministère, justifiant notamment l'évolution des crédits par rapport aux dépenses effectives de l'année antérieure.

Les principes d'universalité et de sincérité seront mieux respectés, le budget retraçant l'ensemble des recettes en faisant référence à la notion d'impositions de toute nature, et non plus à celle d'impôt, plus restrictive. La catégorie des comptes spéciaux du Trésor sera remplacée par celle des comptes annexes, et les fonds de concours se substitueront partiellement aux budgets annexes. Enfin, le projet de loi de règlement comportera un véritable compte rendu de gestion, ainsi qu'une présentation de la situation patrimoniale de l'Etat selon des principes comptables similaires à ceux du droit commun ; son dépôt devra avoir lieu avant l'ouverture de la discussion de la loi de finances suivante.

Quant au droit d'initiative du Parlement, il sera étendu, grâce à la possibilité de transférer des crédits d'un programme à l'autre, voire de créer des programmes au sein des missions, la recevabilité des amendements au regard de l'article 40 de la Constitution s'appréciant au niveau de la mission.

Le groupe socialiste votera cette proposition de loi organique, car il souhaite que la dépense publique soit plus efficace et mieux contrôlée, et le rôle du Parlement renforcé. Il en appelle à l'esprit de responsabilité de tous, au-delà des clivages habituels (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Philippe Auberger - Nous vivons assurément un moment important, étant donnée la portée de l'ordonnance de 1959 et la place prise par les débats budgétaires dans les travaux du Parlement. Est-ce un moment historique ? L'avenir le dira, et tout dépendra des conditions dans lesquelles ce texte sera -ou non- adopté.

Ce qui est certain, c'est que notre discussion de ce soir est très attendue, et depuis longtemps. Il y a un peu plus de deux ans, M. Fabius, alors président de notre Assemblée, avait constitué un groupe de travail sur le contrôle de la dépense publique, auquel l'opposition avait spontanément accepté de prendre une part active et assidue. Puis est née la MEC, que Jean-Pierre Delalande et moi-même avons accepté de co-présider. Enfin est venue cette commission spéciale, où l'opposition était également très largement représentée, et où elle a parfaitement joué le jeu de la concertation.

On peut certes regretter que nous n'ayons pas eu beaucoup de temps pour examiner le dernier état du texte qui nous est soumis, et qui eût sans doute justifié quelques expertises supplémentaires, mais force est de reconnaître qu'il comporte des aspects très positifs, notamment en ce qui concerne les modalités d'examen des lois de finances et de contrôle des comptes de l'Etat. Compte tenu des conditions dans lesquelles se déroulera notre débat, qui doit aboutir à un vote conforme des deux Assemblées, je dis d'emblée à ceux de mes collègues qui ont agité l'idée d'une révision de la Constitution que, comme l'ont d'ailleurs souhaité le Président de la République et le Premier ministre, l'affirmation de nos prérogatives budgétaires et financières devra se faire dans le cadre de la Constitution telle qu'elle est, et en particulier de ses articles 34, 40 et 47.

Quels sont les points sur lesquels les insuffisances de ce texte nous empêcheraient d'y adhérer ?

D'abord l'article premier de la loi de finances réaffirme qu'elle est l'occasion pour le Parlement de consentir à l'impôt. Il est donc indispensable que chaque année la loi de finances retrace les impositions de toute nature. Comme il doit connaître l'ensemble des ressources, le Parlement doit aussi savoir quelle est leur affectation. Or dans le passé, on a maintes fois contourné cette règle et, en jouant sur la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale, on a affecté des recettes fiscales à d'autres destinations que le budget de l'Etat. L'opacité sur les recettes subsiste. Il est donc tout à fait nécessaire que nous votions à ce propos. A côté du principe de sincérité, il faut affirmer également le principe de cohérence entre recettes, montant des prélèvements obligatoires, hypothèses économiques et financières et programmation pluriannuelle dans le cadre du pacte de stabilité européen. Malheureusement si le président de la commission spéciale était tenté d'accepter un de nos amendements à ce sujet, la majorité ne l'a pas voulu.

Un second principe auquel nous tenons est que la loi organique définisse l'équilibre de la loi de finances. Il faut admettre que les recettes doivent au moins équilibrer les dépenses de fonctionnement et d'intervention.

M. Henri Emmanuelli, président de la commission des finances - On a pourtant des souvenirs...

M. Philippe Auberger - ...et l'on ne peut emprunter indéfiniment pour couvrir les dépenses. Le Parlement pouvant seul autoriser le recours à l'emprunt il doit en connaître l'affectation. C'est le bon sens budgétaire. On prétend parfois que la nette distinction entre dépenses de fonctionnement et dépenses d'investissement est sujette à caution. Je ne crois pas. Une dépense de fonctionnement doit être financée dans l'année ; il est légitime de faire porter une partie de l'investissement sur les générations futures. En revanche on ne saurait financer une dépense de fonctionnement par l'emprunt que de façon circonstancielle, non comme un mode de gestion permanente.

Le troisième principe auquel nous sommes attachés est que chaque année, avant l'examen de l'article d'équilibre, ait lieu un débat sur le montant de la dette, la dette future et les charges récurrentes. Leur niveau a beaucoup augmenté ces dernières années au point que la dette est le deuxième budget civil de l'Etat et que l'on touche au seuil de 60 % du PIB fixé dans le traité de Maastricht pour la dette publique. Il faut donc nécessairement un vote sur ce point, et il n'a pas été annoncé.

Le quatrième point est de savoir si le Conseil constitutionnel considérera qu'une modification de la répartition entre programmes dans le cadre des missions répond à une observance rigoureuse de l'article 40 de la Constitution. Du moins ne peut-on accepter une fongibilité totale des crédits entre dépenses de fonctionnement et dépenses d'investissement, car les premières seraient systématiquement privilégiées. On peut s'interroger également sur une fongibilité complète entre dépenses de fonctionnement et dépenses d'intervention au profit d'organismes pouvant affecter les crédits à d'autres fins que celles prévues initialement. C'est là un risque potentiel contre lequel il fallait se prémunir.

En cinquième lieu, si la spécificité des crédits de la fonction publique a été reconnue et si l'on parle de fongibilité asymétrique, il est essentiel que le vote des crédits de personnel intervienne en première partie de la loi de finances, avant l'article d'équilibre. Le Parlement doit être associé à la politique de rémunération de la fonction publique, pour ne pas mentionner le problème de ses retraites.

Sixièmement, nous tenons à ce que le débat d'orientations budgétaires soit l'occasion de faire un état des lieux, de rapprocher gestion passée et gestion en cours, ce qui conduira éventuellement à une loi de finances rectificative. Ce débat d'ensemble sur la politique budgétaire n'est pas prévu dans la proposition de loi.

Au total les propositions du RPR allient simplicité, bon sens, clarté et rigueur. Elles devraient faire l'objet d'un large consensus. Or sur nos quatorze amendements, un seul a été retenu. Nous n'avons pas été suffisamment entendus. Il faut que le débat se poursuive au Sénat pour prendre une orientation plus consensuelle, comme l'a demandé le Président de la République. Pour l'heure, nous avons l'impression d'une symphonie inachevée. Le groupe RPR votera contre en attendant la discussion au Sénat et des propositions nouvelles dans le sens que j'ai indiqué.

M. Jacques Barrot - Lorsqu'on a, comme parlementaire, tant de fois déploré le caractère ingrat du débat budgétaire ; que l'on a, aux affaires, élaboré des budgets sans pouvoir en montrer toute la signification au Parlement, comment ne pas se réjouir de cette réforme ? Elle est indispensable, mais complètement indissociable de la réforme de l'Etat, d'où elle tirera son efficacité.

Il est vrai que l'exécutif va retrouver une plus grande liberté pour élaborer le budget. Elle ne doit pas être dévoyée. Tout dépendra du système de gestion mis en place par l'Etat. Et il ne faut pas aboutir à des transferts de pouvoir du législatif à l'exécutif parce qu'on aurait négligé de renforcer les moyens de contrôle du Parlement.

Mais il ne faut pas que cette réforme soit un simple trompe-l'_il, un village Potemkine. Elle serait compromise en aval si elle n'était pas suivie d'une vraie réforme de la gestion de l'Etat.

Des notions nouvelles apparaissent, qui doivent beaucoup à l'excellent travail de M. Migaud. La notion de programme d'abord, dont le montant moyen irait de 11 à 17 milliards : encore faut-il éviter que ces programmes deviennent des chaudrons où on ferait cuire la soupe que l'on voudrait. On pourrait imaginer que les rapporteurs spéciaux soient associés non au choix des programmes, mais à leur formatage. Mais pour que le Parlement dispose d'une certaine liberté pour concevoir des programmes, il faut que l'article 40 puisse être interprété. La commission spéciale fait à cet égard une distinction entre deux niveaux : le vote d'enveloppes et la définition des plafonds de dépenses. Mais ces matières sont très compliquées, et je me souviens d'avoir signé au sujet de l'article 40 un rapport dont je n'avais pas compris toutes les subtilités (Rires).

La seconde notion nouvelle est celle de fongibilité. Elle peut être facteur de modernisation, à condition de n'en pas faire une facilité laissée à l'exécutif. En tout cas, les dépenses de personnel ne sauraient être fongibles, et il faut voter l'amendement de la commission à cet égard. Il restera le problème du contrôle de l'emploi public. Pour les autres catégories de dépenses, on pourrait peut-être réserver la globalisation, dans un premier temps, à ceux qui auraient montré leur capacité de définir des objectifs et de mesurer des résultats.

Troisième nouveauté, les autorisations d'engagement, qui se substitueraient aux autorisations de paiement, en conformité avec la notion de programme.

Enfin, la notion d'indicateurs. Il ne s'agit pas de revenir aux « blancs », mais plutôt d'associer le Parlement à la mise au point des instruments permettant de mesurer les résultats. Le Parlement pourrait s'appuyer à cet effet sur la Cour des comptes et sur des audits.

Je formulerai enfin deux souhaits. D'abord que le Parlement renouvelle annuellement, dans la première partie de la loi de finances, les affectations de recettes extra-budgétaires. Mon collègue de Courson me dit que cela se fait déjà, mais c'est de façon trop discrète. Plus de solennité serait nécessaire, pour la sécurité sociale en particulier.

Nous devons ensuite parfaire notre connaissance des engagements de l'Etat à l'égard de tiers, car elle est imparfaite pour les engagements financiers, et quasi nulle pour les dettes d'exploitation. L'Etat doit être doté d'une véritable comptabilité en droit constaté, et pas seulement d'une comptabilité de recettes et de dépenses ajustée en droit constaté. Et les annexes explicatives doivent retracer, pour chaque sous-programme, les engagements de l'Etat. Aucun régime de garantie ne doit pouvoir être créé à titre permanent.

Cette réforme ne doit pas devenir une fausse fenêtre. C'est pourquoi nous resterons vigilants sur les modalités de sa mise en _uvre et souhaitons que le Gouvernement prenne, au cours du débat, les engagements indispensables pour que cette nouvelle procédure marque un tournant vers une meilleure gestion de la sphère publique. Quant à nous, nous ne ménagerons pas nos efforts pour aider à faire du solide et du sérieux, et notre abstention sera positive (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. François d'Aubert - A l'arrière plan de notre discussion sur l'ordonnance organique de 1959, il y a évidemment la Constitution de 1958 et la prééminence qu'elle donne à l'exécutif, si fortement symbolisée par l'article 40. A l'époque, il avait fallu réagir contre les excès budgétaires de la IVe, budgets refaits, votés hors délais. Mais la toute-puissance concédée à l'exécutif, et au ministère des finances en particulier, n'a pas empêché l'explosion de la dépense publique, le déficit budgétaire et l'alourdissement des prélèvements obligatoires.

Aujourd'hui, il faut s'efforcer de faire mieux, et le rapporteur général a fait un travail très fructueux...

M. Didier Migaud, rapporteur de la commission spéciale - C'est pour ça que vous allez voter contre !

M. François d'Aubert - Mais il reste ce rapport de forces très favorable à l'exécutif qui caractérise la Constitution. Or, les propositions faites par M. Migaud ne reviennent pas sur cette subordination congénitale du Parlement dans la procédure budgétaire. La préparation du budget reste le monopole de l'administration des finances. La structuration en programmes et en missions est certes intéressante. Mais les programmes, qui va les définir ? Le ministère des finances et pas le Parlement ! Et rien n'est dit non plus des relations entre le ministère des finances et les autres départements ministériels.

S'agissant du vote des lois de finances, vous proposez une formule astucieuse pour surmonter l'irrecevabilité au titre de l'article 40 de la Constitution des amendements affectant le niveau des dépenses en plaidant pour la fongibilité des dépenses à l'intérieur des programmes. Rien n'est proposé en revanche pour ce qui concerne les ressources : après la réforme, le Parlement n'aura toujours pas la faculté de diminuer ou de supprimer un impôt.

En matière de contrôle de l'exécution, votre réforme est en trompe-l'_il : les virements ne sont plus autorisés qu'à hauteur de 3 % des crédits votés -contre 10 % dans le système actuel- mais ils concerneront les programmes et non des chapitres. 10 % d'un champ réduit ou 3 % d'un ensemble beaucoup plus vaste, cela revient au même !

A bien des égards, votre proposition tend en outre à renforcer les prérogatives de l'administration. Renoncer au principe de spécialité budgétaire, c'est restreindre la portée de l'autorisation parlementaire puisque la fongibilité donnera toute latitude aux décideurs publics pour bouleverser l'affectation des crédits votés en loi de finances initiale.

De la même manière, il ne fait pas de doute que le principe constitutionnel de sincérité budgétaire doive être constamment renforcé mais il n'est pas sûr que la multiplication des annexes budgétaires constitue le meilleur moyen de garantir d'atteindre plus de transparence. Vous inscrirez la sincérité dans le marbre sans lui donner de réelle traduction ! Si plusieurs points méritent d'être salués, tels la suppression de services votés ou l'extension du champ de l'autorisation parlementaire, vous mettez une fois encore la charrue avant les b_ufs en énonçant des principes très généraux sans vous assurer au préalable que les administrations seront en mesure de les appliquer dans un délai raisonnable. Quant aux multiples indicateurs que Bercy sera tenu de transmettre au Parlement, serons-nous réellement en mesure de les exploiter totalement ?

Le principe d'universalité n'est pas mieux garanti car votre proposition ne contient rien de probant pour lutter contre la pratique si répandue de la contraction entre dépenses et recettes. De même, l'on cherchera en vain une disposition tendant à limiter le recours à divers fonds -tels le FOREC- pour contourner la règle de l'universalité. Autre entorse majeure à ce principe, les prélèvements sur recettes ne sont pas formellement exclus. Si le prélèvement de près de 100 milliards destiné à l'Union européenne est aboli -ce qui conduit à comptabiliser la dépense en tant que telle-, celui destiné aux collectivités locales -dont le montant excède 200 milliards- est maintenu. Ainsi, les relations financières entre l'Etat et les collectivités territoriales ne sont nullement éclaircies. Il en va de même des liens entre les différents budgets sociaux et celui de l'Etat ou de l'utilisation de ressources tirées des cotisations sociales pour financer des dépenses d'Etat. La réforme reste en effet extrêmement discrète sur l'articulation entre la fiscalité et les cotisations sociales.

S'agissant des pouvoirs de contrôle du Parlement, ce n'est pas la multiplication des rapports ou le déferlement d'informations nouvelles, sans moyens supplémentaires pour les traiter, qui nous permettra de contrôler plus efficacement la dépense publique. Les assemblées parlementaires gagneraient à se doter de directions du budget, susceptibles de participer plus directement à l'élaboration du budget et aux contrôles en cours d'exécution.

Il conviendrait aussi d'envisager une réforme de la Cour des comptes tendant à mieux séparer sa mission d'audit -afin de la rendre plus efficace- de sa fonction juridictionnelle classique.

Mais l'erreur essentielle de votre démarche est d'avoir laissé la réforme de l'article 40 de la Constitution en dehors de l'épure. Si vous aviez réellement voulu restaurer le Parlement dans l'ensemble de ses prérogatives budgétaires, vous auriez proposé une révision de l'article 40...

M. Jean-Louis Idiart - Que vous n'auriez pas votée !

M. François d'Aubert - Affronté à une proposition de loi organique qui ne progresse pas suffisamment dans le sens de la transparence et qui ne donne pas au Parlement des pouvoirs de contrôle réellement renforcés, le groupe DL reste dans l'expectative et s'apprête à votre contre.

M. Ollier remplace M. le Président au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Patrick OLLIER

vice-président

Mme Nicole Bricq - Plusieurs bons génies se sont penchés sur cette proposition de loi organique et je n'oublie pas, Madame la ministre, les bonnes fées... Comment ne pas saluer en effet les contributions du Président de la République, du Premier ministre, du ministre de l'économie et des finances, du Premier président de la Cour des comptes ou du ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat à la réussite de cette révolution tranquille ? Je remercie également notre rapporteur de la commission spéciale pour le travail de titan qu'il a accompli et je rends hommage à l'opiniâtreté du Président Forni.

Cependant que notre appartenance à l'Union européenne nous conduit à privilégier une approche globale de la dépense publique, qui intègre à la fois le budget de l'Etat, les budgets sociaux et ceux des collectivités locales, la présente réforme nous permettra d'accéder au rang des grandes démocraties européennes, à l'instar de celles qui ont déjà engagé la réforme de leur gestion publique telles l'Allemagne, le Royaume Uni, la Suède ou encore -et cela est moins connu- l'Italie et l'Espagne.

Sur le fond, la réforme repose sur quatre grandes idées : la liberté, par la souplesse offerte au gestionnaire public et par la capacité accrue du Parlement d'exercer son contrôle et de peser sur les choix du Gouvernement ; la responsabilité, sans laquelle il n'est pas de liberté ; la transparence, véritable exigence de la société ; l'efficacité, notamment de la dépense publique, par le contrôle et par l'évaluation.

Le groupe RPR a annoncé qu'il voterait contre la proposition, semblant toutefois faire confiance au Sénat et à la navette. Je suis plus étonnée par l'attitude du groupe DL, également défavorable, alors que ses membres fustigent sans relâche le prétendu immobilisme de l'Etat et appellent à sa réforme. M. d'Aubert a posé comme préalable un accord pour faire sauter l'article 40. Nous savons tous qu'il faudrait pour cela une révision constitutionnelle. En outre, je ne l'ai nullement entendu le réclamer au début des travaux de la commission spéciale.

Puisque c'est au pied du mur qu'on voit le maçon, soyez assurés que les députés socialistes ont déjà la truelle en main (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Michel Bouvard - Le rapport de Didier Migaud rappelle que cette proposition est la trente-septième tentative de modification de la procédure budgétaire. C'est dire l'importance de ce texte, qui a justifié la création d'une commission spéciale conduite par le Président de notre assemblée. Au-delà de l'accord nécessaire entre Sénat et Assemblée, s'agissant d'une loi organique, majorité et opposition doivent aussi se retrouver, d'autant que les propositions de réforme émanent de tous les groupes -pour le RPR, je rappelle celle que déposa en son temps Jean-Pierre Delalande.

Le Président de la République comme le Premier ministre se sont engagés en faveur de ce volet de l'indispensable modernisation de l'Etat et nous avons abordé les travaux de la commission dans un esprit constructif de proposition et de dialogue. Nous sommes en effet conscients que le monde a évolué depuis 1959, que les échanges économiques se sont libérés et mondialisés, que les budgets sociaux ont pris une place prépondérante et qu'il faut aussi tenir compte de l'encadrement budgétaire communautaire. La procédure budgétaire s'est ainsi peu à peu décalée de la réalité. Par ailleurs, l'exigence d'efficacité de la dépense publique est de plus en plus forte aux yeux des citoyens mais aussi au regard de la rareté de la ressource.

Pour nous, cette réforme visait donc à modifier l'organisation des débats, à permettre des ajustements en cours d'année, à rendre utile la loi de règlement. Il s'agissait aussi d'assurer une plus grande transparence dans l'encadrement de la loi de finances et dans son articulation avec la loi de financement de la sécurité sociale.

La proposition de Didier Migaud marque un certain nombre d'avancées significatives, notamment dans sa dernière mouture. Pour autant, un certain nombre de lacunes ont justifié de notre part plusieurs dizaines d'amendements portant notamment sur l'élaboration de l'article d'équilibre, sur la présentation consolidée des recettes, sur leur affectation, sur la situation patrimoniale de l'Etat. Ces amendements ont été repoussés en commission bien que certains aient paru bénéficier d'une certaine attention de nos collègues, y compris du Président Forni.

C'est parce qu'une telle réforme n'interviendra pas à nouveau de sitôt que nous voulons aller au fond des choses. Peut-être le Gouvernement se réserve-t-il de donner satisfaction sur certains points à nos collègues de la majorité sénatoriale, ce qui pourrait nous amener à reconsidérer notre position. Pour l'heure, je juge indispensables des avancées sur l'articulation entre loi de finances et loi de financement, sur la mobilisation des emprunts par l'exécutif, sur la gestion du patrimoine de l'Etat. En effet, ces zones d'ombre nuisent à l'efficacité du contrôle parlementaire, donc de la gestion de l'argent public.

La gestion des emplois publics est aussi une clé du succès de cette réforme, d'autant que ce poste, qui est le plus important, est appelé à évoluer avec le départ à la retraite de la moitié des fonctionnaires dans les dix ans qui viennent, ce qui permettra d'aller, là aussi, vers plus de transparence et d'efficacité.

Soucieux de la revalorisation du rôle de notre assemblée et du renforcement du contrôle démocratique sur le budget, je n'ai pas de position prédéterminée. Je souhaite vivement que notre discussion permette d'atteindre les objectifs fixés, ce qui supposera aussi, bien évidemment, que l'on engage les moyens nécessaires.

Il conviendra, notamment, de doter les rapporteurs spéciaux de plus de pouvoirs. Le rapporteur du budget des transports que je fus se souvient qu'il disposait des mêmes moyens, pour un budget de 80 milliards et de grands entreprises publiques comme la RATP ou la SNCF, que le rapporteur du tourisme que je suis, pour un budget de 450 millions et deux établissements publics.

Il nous faudra aussi renforcer notre coopération avec la Cour des comptes dont le dépôt du rapport devrait être suivi d'un véritable débat, afin que nous en tirions tous les enseignements utiles à notre travail (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. René Dosière - Cette proposition, dans laquelle Didier Migaud s'est beaucoup investi, vise à accroître la lisibilité et la sincérité des documents budgétaires par un meilleur contrôle du Parlement.

Je souscris à ces orientations, qui doivent aussi s'appliquer aux concours financiers de l'Etat aux collectivités locales, qui représentent aujourd'hui, avec près de 360 milliards, le deuxième poste budgétaire de la nation. Depuis 1959, ces collectivités ont pris une place considérable, que traduisent les lois de finances. Dans son rapport sur l'exécution du budget 1999, la Cour des comptes montre que, faute de lisibilité, le Parlement ne peut avoir une vision claire et exhaustive des flux financiers correspondant à ces concours. La transparence n'est donc ici guère assurée.

Je relève en premier lieu l'absence de cohérence dans le traitement des flux financiers selon qu'ils correspondent à des prélèvements sur recettes ou à des lignes budgétaires. La notion de prélèvement sur recettes ne figure pas dans la loi organique de 1959, ni dans la proposition d'aujourd'hui. Le rapporteur général a raison de préférer s'en remettre à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, plutôt que de vouloir encadrer cette procédure. Reste que sous cette appellation on trouve à la fois des prélèvements à caractère compensatoire et des subventions qui ne sont d'ailleurs pas toutes traitées de la même manière, par exemple le FCTVA et la DGE. De même les compensations de taxe professionnelle ressortent d'un prélèvement sur recettes en milieu urbain, et d'une dépense budgétaire en milieu rural. Voilà qui rend difficile la connaissance exacte de l'effort financier de l'Etat en direction des collectivités locales, soit 115 milliards en 1999 -mais 91 milliards affichés dans le « jaune » budgétaire, 136 milliards en 2000, dont 113 milliards affichés, et 160 milliards en 2001, donc 139 milliards affichés. Une meilleure lisibilité ferait ainsi apparaître un effort financier encore plus important de l'Etat.

En second lieu, constatons que les concours financiers imputés sur le budget général de l'Etat sont dispersés sur une quinzaine de ministères, ainsi que sur les comptes spéciaux du Trésor.

C'est dans ces conditions que le « jaune » fait apparaître l'ensemble de ces crédits, et j'approuve les dispositions de l'article 40 de la proposition, qui imposent de déposer ce document plus rapidement.

Il convient cependant d'en combler les lacunes. Ainsi les relations de trésorier entre l'Etat et les collectivités locales n'y figurent pas. Elles ne sont pourtant pas neutres, on le voit avec le mécanisme du compte d'avance qui, légèrement positif depuis trois ans, accuse néanmoins en 2000 un déficit cumulé de 106 milliards correspondant à des recettes fiscales non recouvrées.

A l'inverse, il vaudrait la peine de faire apparaître le montant de la trésorerie des collectivités locales dont bénéficie l'Etat, soit environ 65 milliards cette année, et d'en calculer les profits pour l'Etat. Là encore j'approuve l'article 26 qui dispose que pour déroger à ce placement auprès du Trésor de leur trésorerie, les collectivités devront obtenir l'autorisation du Parlement. On mesure l'importance d'une telle décision pour l'Etat comme pour les collectivités locales.

D'autres masses financières mériteraient d'apparaître en pleine clarté, à commencer par les 17 milliards de frais d'assiette et de recouvrement, traités comme une redevance alors qu'il s'agit d'une recette fiscale de l'Etat. Il serait à cet égard intéressant de disposer du coût réel de ces frais d'assiette pour l'Etat (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

On mesure à ces quelques réflexions les progrès qui restent à accomplir. La proposition permettra d'y voir plus clair, et de rendre mieux lisible l'effort considérable de l'Etat, trop considérable à mes yeux car je ne considère pas comme un progrès démocratique la substitution du contribuable national au contribuable local.

Dans l'avenir, le respect des critères financiers posés par l'Union européenne peut susciter la tentation de réduire l'effort financier de l'Etat envers les collectivités. Leurs relations doivent donc apparaître dans toute leur diversité et leur ampleur (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Yves Deniaud - La justification du projet de loi organique, c'est la clarté et la transparence qui, nécessaires au Gouvernement, au Parlement, aux administrations doivent permettre à nos concitoyens de mieux comprendre les enjeux et les choix politiques.

C'est pourquoi je crois indispensable de rapprocher la présentation du budget de l'Etat de celle des budgets des collectivités territoriales.

Le budget est l'acte essentiel de la démocratie à tous les échelons. Nos concitoyens demandent à y être davantage associés, ce qui implique qu'il soit plus lisible. On reproche généralement à l'Etat de se permettre ce qu'il interdit aux autres. Il en résulte une irritation parfois aveugle, un sentiment d'opacité délibérée.

C'est pourquoi il faut organiser une présentation de l'ensemble des prélèvements obligatoires, de leur évolution et de leur affectation et, pour le budget de l'Etat, faire apparaître clairement la distinction entre fonctionnement et investissement. Cette distinction est établie avec une précision chirurgicale pour les collectivités territoriales. Je ne vois pas pourquoi ce qui est possible pour celles qui atteignent jusqu'à 30 milliards de budget ne serait pas applicable à l'Etat.

La notion d'équilibre apparaîtrait alors entre recettes et dépenses courantes de fonctionnement, laissant toute liberté aux orientations de gestion différentes selon les sensibilités politiques de s'exprimer.

La référence à la présentation budgétaire des collectivités territoriales, qui impose de séparer les subventions d'équipement et de fonctionnement, mettrait en lumière le rôle investisseur de l'Etat. Je serais partisan qu'en sens inverse on fasse apparaître les fonds de concours des collectivités territoriales aux opérations dont l'Etat est maître d'ouvrage.

Il faudrait enfin que soit soumise au vote du Parlement la politique de la dette, en faisant apparaître l'annuité en capital, et en distinguant dans les montants autorisés un plafond d'opérations de trésorerie permettant une souplesse de gestion, et un autre pour les emprunts définitifs à moyen et long terme. Pour éviter toute rigidité, le Gouvernement pourrait proposer les modifications du montant de l'une et de l'autre ligne qu'il jugerait utiles en cours d'exécution.

Soyons francs, notre débat passe par-dessus la tête de l'immense majorité des Français. Il n'aura d'utilité que s'ils saisissent mieux les enjeux et les choix effectués par leurs représentants, et qu'ainsi leur vote soit plus éclairé et donc plus efficace.

Si nous n'y parvenons pas, alors, pour paraphraser l'expression du président de la commission des finances du Sénat, malheur à ceux qui seront responsables d'avoir raté une chance de mieux éclairer les Français (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

La discussion générale est close.

M. le Rapporteur - Je remercie tous les intervenants. Je remercie le Président Forni, qui a rappelé les enjeux de la réforme sous le triple aspect de la démocratie, de l'équilibre institutionnel et du fonctionnement de l'Etat, et je salue son rôle d'impulsion.

Le président Emmanuelli a bien montré les effets pervers de l'ordonnance de 1959, qui ont débordé les dispositions de la Constitution. Il a exposé les conditions dans lesquelles s'était déroulée notre réflexion collective sur les moyens de revaloriser le rôle du Parlement, et insisté sur le fait que l'interprétation donnée de l'article 40 de la Constitution s'inscrit dans le cadre de l'habilitation donnée au législateur organique par la Constitution elle-même.

Le ministre de l'économie et des finances nous a confirmé son soutien, dont nous ne doutions d'ailleurs pas, et considéré que l'ordonnance de 1959 était, de garde-fou, devenue carcan. Il n'a pas caché que son ministère s'interrogeait sur certains aspects de la réforme, mais a affirmé qu'il adhérait à ses objectifs et s'est dit prêt, ce que j'ai apprécié, à assumer une transparence accrue, au nom du principe de responsabilité.

Le ministre de la fonction publique a montré que la logique de la réforme dépassait le strict cadre de l'examen du budget. Encore faut-il que cette première étape soit franchie, avant de nous attaquer à cette réforme de l'Etat que nous sommes si nombreux à appeler de nos v_ux. Il a observé, cependant, que le détail de l'autorisation parlementaire n'était pas forcément le garant d'un réel pouvoir financier, et qu'il pouvait être, en revanche, paralysant pour le gestionnaire des deniers publics. C'est bien pourquoi nous entendons nous placer dans une logique d'autonomie et de responsabilité.

M. Brunhes a redit l'opposition, constante et résolue, de son groupe à la Constitution de 1958 et à l'ordonnance de 1959, et rappelé que, parmi les trente-cinq propositions de révision qui ont précédé celle que nous examinons ce soir, un bon nombre émanaient de ses amis. Je le remercie d'avoir relevé les avancées que comporte le texte, et à son souhait d'aller au-delà en révisant la Constitution elle-même, je ne puis qu'opposer le choix délibéré que nous avons fait de rester dans le cadre constitutionnel actuel : pour parvenir en haut de l'escalier, il faut en gravir les marches l'une après l'autre. Cela ne nous empêchera pas de renforcer, d'ores et déjà, les pouvoirs du Parlement, ainsi que la transparence et l'efficacité du fonctionnement de l'Etat. L'honorable parlementaire a également confirmé son hostilité à la référence au programme de stabilité ; peut-être l'amendement déposé à l'article 36, tendant à y substituer celle, plus générale, aux engagements européens de la France, le satisfera-t-il ?

Cette réforme vient-elle trop tôt ou trop tard ? Certainement pas trop tôt, et je suis au contraire de ceux qui pensent que nous ne devons pas laisser passer l'occasion qui se présente à nous. M. Jégou en est aussi, et je le remercie d'y avoir insisté. Sa participation assidue aux travaux de la commission a d'ailleurs contribué à enrichir le texte sur de nombreux points, et lorsqu'il évoque la pression européenne, la demande de lisibilité qui émane de nos concitoyens et la nécessité de sortir le Parlement du rôle d'acteur muet dans lequel il était jusqu'ici confiné, je ne peux que le rejoindre. Je crois, comme lui, que la présente proposition doit s'inscrire dans le chantier, plus vaste, de la réforme de l'Etat, et je suis persuadé, quant à moi, que le texte va bien plus loin qu'il ne le croît, et aussi loin, en tout cas, qu'il est possible d'aller, compte tenu de la nécessité de satisfaire à la fois notre Assemblée, le Gouvernement et le Sénat -lequel me paraît au demeurant animé d'un esprit constructif sur ce dossier. J'espère donc que nos travaux, ainsi que les navettes, permettront de dissiper certains des regrets qu'il a exprimés.

M. Sarre a appelé de ses v_ux, comme M. Brunhes, une révision de l'article 40 de la Constitution. Notre démarche se situe cependant, comme je l'ai dit, dans le cadre institutionnel actuel, ainsi que le président de la République et le Premier ministre nous y ont fermement invités. Mais cela ne nous interdit nullement d'améliorer l'information et le contrôle du Parlement, non plus, comme l'a souligné M. Emmanuelli, que son pouvoir d'autorisation, tant pour ce qui est des dépenses que des emplois publics. Il n'y a pas lieu de craindre que la remise en cause de la notion de services votés entraîne celle de la continuité de l'action de l'Etat ; ce n'était d'ailleurs pas elle qui motivait les rédacteurs de l'ordonnance de 1959, mais plutôt la volonté de contraindre le Parlement à reconduire chaque année, par un seul vote, 90 % des crédits de l'exercice précédent. Je crois que la formulation proposée à l'article 45 devrait rassurer M. Sarre.

M. Goulard a souhaité que soient rééquilibrés les pouvoirs respectifs du Gouvernement et du Parlement. C'est un vaste débat, qui ne saurait être tranché, il le sait parfaitement, par une loi organique. Il a considéré, en outre, que l'instauration de la loi de financement de la sécurité sociale remettait en cause l'unité de la loi de finances, et demandé que l'on clarifie cette situation. D'autres sont même allés jusqu'à demander que l'on révise aussi la loi organique de 1996 ; elle ne saurait certes être considérée comme taboue du seul fait qu'elle est plus récente...

M. François Goulard - Elle vivra moins longtemps !

M. le Rapporteur - Sans doute, mais la commission des affaires culturelles, que nous avons consultée à ce sujet, souhaite approfondir encore sa réflexion. Je ne puis que l'y encourager, afin que nous puissions ouvrir ce chantier aussi, mais je souligne, d'ores et déjà, que l'annexe prévue à l'article 38, et destinée à éclairer l'autorisation de la perception de l'impôt, comportera le recensement des impositions de toute nature, qu'elles soient affectées à l'Etat ou à toute autre personne morale.

J'ai bien noté que M. Goulard approuvait la substitution d'une logique d'objectifs à une logique de moyens. C'est, à mon sens, le c_ur même de la réforme. Il ne s'agit pas d'instaurer des règles du jeu qui seraient « de droite » ou « de gauche », mais de permettre à chacun, parlementaire ou simple citoyen, d'apprécier la pertinence d'une politique donnée, qu'elle soit de droite ou de gauche, au regard des objectifs fixés.

Plus les documents budgétaires seront transparents, mieux les politiques menées seront comprises. La démocratie y gagnera.

J'ai noté que les positions de certains sont susceptibles d'évoluer, notamment après la contribution du Sénat. M. Auberger a jugé que les insuffisances du texte l'emportaient sur les avancées, au point qu'il ne mériterait même pas une abstention constructive. Il a donc annoncé le vote négatif de son groupe. Je le regrette car cette proposition de loi améliore la gestion publique et renforce le pouvoir du Parlement en matière budgétaire.

Plusieurs intervenants se sont interrogés sur la nomenclature budgétaire. La proposition contient des dispositions à ce sujet. Le Gouvernement dont c'est la prérogative de définir cette nomenclature s'est engagé à y associer les parlementaires.

Nous reviendrons sur différents sujets comme l'équilibre budgétaire ou la distinction entre fonctionnement et investissement. Sur l'emprunt et la dette, le texte donne en grande partie satisfaction aux parlementaires puisque le tableau financier comportera des informations qui les éclaireront.

Je remercie M. Idiart de sa contribution positive. Il a noté que les travaux de la commission n'avaient aucunement un caractère partisan et souligné que le texte était une innovation profonde au regard de la tradition française mais un simple rattrapage par rapport à d'autres pays.

Cette réforme est indissociable de celle de l'Etat, a dit M. Barrot. Nous partageons sa conviction. J'espère qu'au moins la navette permettra de répondre à ses interrogations. En tout cas, ce texte n'est ni une fausse fenêtre en ce qui concerne les pouvoirs du Parlement, ni un alibi pour la réforme de l'Etat. Il comporte des avancées réelles dans les deux domaines. Aux termes de l'article 55 de la proposition, lors de la préparation du premier budget selon les nouvelles règles, le Gouvernement transmettra au Parlement la nomenclature des programmes et des missions. Le dépôt du projet de loi de règlement étant avancé du 31 décembre au 1er juin, le Parlement pourra voter cette loi avant l'examen de la loi de finances pour l'année à venir.

Mme Bricq a évoqué les bons génies qui se sont penchés sur le berceau de cette réforme nécessaire. Elle est l'un d'eux. Elle a rappelé les exigences communautaire, nos retards. Essayons de progresser dans la transparence et l'efficacité en souhaitant que les mauvaises fées soient les moins nombreuses possible.

M. d'Aubert a donné un exemple de ces hommes politiques qui font de grandes déclarations sur des textes qu'ils n'ont pas pris la peine de lire attentivement. Sinon, ancien secrétaire d'Etat au budget, il y aurait trouvé bien des réponses à ses préoccupations. Je regrette que dans les formations politiques ceux qui emportent la décision ne soient pas forcément ceux qui ont participé le plus activement aux travaux.

En revanche je remercie M. Bouvard de ses propos constructifs. Il a souhaité que l'on évalue mieux la situation patrimoniale de l'Etat. L'article 29 qui inscrit dans la loi organique la comptabilisation des recettes et dépenses de l'Etat selon les droits constatés, et l'article 46 qui fait figurer le compte général de l'Etat et le compte de bilan en annexe au projet de loi de règlement y contribuent.

Plusieurs d'entre vous ont souhaité que le Parlement se dote de moyens propres d'évaluation et d'audit. L'Assemblée a l'autonomie financière ; il ne tient donc qu'à elle de le faire. Le président Bonrepaux avait amorcé un mouvement en ce sens que le président Emmanuelli a accentué et plusieurs mesures devraient être proposées rapidement.

M. Dosière a évoqué les concours financiers de l'Etat aux collectivités locales et la place de la fiscalité locale dans la loi de finances. S'agissant du prélèvement sur recettes nous avons préféré en rester à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Faut-il aller, comme l'a suggéré M. Yves Deniaud, jusqu'à présenter le budget de l'Etat comme celui des collectivités territoriales ?

M. Charles de Courson - Ce serait bien.

M. le Rapporteur - La commission spéciale a évoqué cette hypothèse. Mais le budget de l'Etat a une autre dimension.

La distinction entre investissement et fonctionnement peut être éclairante, et l'article 38 prévoit une annexe informative. Mais la clarification n'est pas si évidente, comme on l'a vu à propos d'un amendement de M. Auberger sur les dépenses d'intervention. Je ne pense pas qu'au niveau d'un texte organique il faille figer les choses.

Trop peu d'amendements ont été adoptés, ont dit certains. Mais c'est que le texte lui-même intégrait déjà nombre de vos propositions, formulées notamment au sein du groupe de travail.

Je remercie en tout cas tous les intervenants, et veux rappeler aussi ce que notre réflexion doit à l'assistance de la Cour des comptes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget - Je vous prie d'abord d'excuser mon absence au début de vos travaux, que je regrette d'autant plus qu'il est très rare que l'on puisse débattre ainsi de l'ensemble des questions touchant au budget, cet acte si essentiel de la vie politique. Ce que j'ai entendu m'a démontré la portée et la qualité des échanges suscités par cet événement.

J'ai entendu aussi beaucoup d'interrogations sur les pensées, sinon les arrière-pensées du Gouvernement. M. Fabius et M. Sapin ont été tout à fait clairs à cet égard : nous soutenons votre démarche, qui a la singularité d'être commune à l'Assemblée et au Sénat, commune à la majorité et à une grande partie de l'opposition. Nous souhaitons que cette démarche aboutisse, au terme d'une discussion de fond, sans fard ni langue de bois. Nous avons le même objectif -transparence et efficacité-, mais je vous exposerai, au fil des articles, les questions que nous nous sommes posés.

N'oublions pas non plus que la procédure budgétaire avait commencé d'évoluer depuis quelques années. Les bleus annexés comportant désormais des agrégats, et pour la préparation de la loi de finances 2002, les ministères travailleront sur la notion d'indicateurs de performance. Nous avons encore institué un débat d'orientation budgétaire au printemps, anticipé le dépôt du projet de règlement, publié des situations budgétaires mensuelles. Tout cela soit dit non pour inciter à ne rien faire, mais au contraire pour que l'on continue !

J'ajoute que, parallèlement à vos travaux en commission spéciale, le Gouvernement et les ministères ont travaillé de leur côté. Et le ministère des finances a trouvé chez ses interlocuteurs la plus grande réceptivité : l'Etat n'est pas immobile, sa réforme est engagée, et ce texte va accélérer le processus. Vous avez donc devant vous une secrétaire d'Etat heureuse et fière de débattre avec vous de ce sujet important.

Je ne répondrai pas en détail à chaque orateur, nous pourrons dialoguer à loisir sur chaque amendement. J'ai noté cependant plusieurs observations sur le droit d'amendement et des regrets que l'article 40 ne soit pas révisé lui aussi. Il aurait fallu pour cela toucher à la Constitution, ce qui impliquait un accord des deux branches de l'exécutif -lesquelles étaient plutôt d'avis, en l'espèce, de rester dans le cadre de la Constitution. S'il est bon d'être ambitieux, prenons garde de ne pas tomber dans le maximalisme qui empêche souvent les réformes d'aboutir. La démarche proposée est pragmatique : ce sera « une révolution tranquille », comme l'a dit Laurent Fabius.

Pour la fongibilité, le processus est déjà amorcé. Nous avons déjà globalisé beaucoup de crédits en effet, et le nombre de chapitres a été divisé par deux depuis quinze ans. Nous expérimentons une fongibilité accrue, dans les préfectures, entre les dépenses de personnel et les dépenses de fonctionnement. Certains souhaitent plus de fongibilité, d'autres moins : l'équilibre proposé me paraît satisfaisant, il ménage les droits du Parlement et la responsabilité -contrôlée- des gestionnaires. A ceux qui se disent sceptiques sur la capacité de l'Etat à engager sa réforme, je réponds que ce texte ne sera pas un alibi, mais un accélérateur, et une véritable chance pour la modernisation de la gestion.

Ce débat fera date, car cette réforme est attendue de toutes parts. Le Premier président de la Cour des comptes a parlé de « conjonction astrale », le Parlement l'a souhaitée, et en a pris l'initiative, le président Lambert, au Sénat, l'a vivement soutenue, la Président de la République a prononcé de fortes paroles à son sujet. Au cours du débat qui s'ouvre, je suis sûre que les polémiques politiciennes sauront faire silence et que le Parlement sera uni pour voter le texte.

M. le Président - En application de l'article 91, alinéa 9 du Règlement, j'appelle à présent les articles de la proposition de loi dans le texte de la commission.

L'article premier, mis aux voix, est adopté.

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ART. 2

M. Jean-Jacques Jégou - L'amendement 23 -comme l'amendement 24 à l'article 4 que je défends ensemble- tend à intégrer les émissions d'emprunts dans les ressources budgétaires de l'Etat. L'Etat est en effet le seul organisme en France qui n'est pas obligé d'intégrer les opérations d'emprunts dans ses opérations budgétaires comme y sont contraintes les collectivités locales. En application des principes de prudence et de transparence, il serait donc préférable de comptabiliser les opérations financières dans les opérations budgétaires et de retracer en détail les opérations d'emprunt.

M. le Rapporteur - Tout en comprenant le sens de la proposition de M. Jégou, la commission spéciale n'a pas souhaité l'adopter. Plusieurs arguments militent en effet contre l'inscription des ressources d'emprunt dans le budget de l'Etat. En premier lieu, l'intégration des émissions et des remboursements d'emprunts dans le périmètre des opérations budgétaires conduirait à rendre le montant des dépenses et recettes budgétaires extrêmement sensible à la répartition de l'endettement de l'Etat entre le court et le long terme. Le volume apparent des dépenses pourrait ainsi augmenter sensiblement alors même que les engagements de l'Etat ne progresseraient pas. Il y aurait là un facteur de confusion qui va à l'encontre de l'objectif de sincérité que nous poursuivons.

Ensuite, la proposition de loi organique prévoit un renforcement sensible des dispositions de la loi de finances relatives à la dette : un tableau de financement sera ainsi intégré à l'article d'équilibre et voté avec lui. Il retracera en détail le besoin et la capacité de financement de l'Etat. En outre, la loi de règlement approuvera l'ensemble des comptes de l'Etat et les parlementaires qui souhaitent s'en saisir pourront débattre à loisir de son bilan. Du reste, les rapporteurs spéciaux consacrent, dans l'analyse du budget des charges communes, des développements à la politique d'endettement de l'Etat. Tout parlementaire peut donc s'y reporter.

Enfin, l'intégration des opérations d'emprunts au sein des opérations budgétaires pourrait être le prélude à une structuration du budget en sections d'investissement et de fonctionnement et la commission spéciale n'a pas souhaité retenir cette option, renvoyant cette présentation à une annexe au profit de loi de finances établie à titre indicatif. Le budget de l'Etat ne peut être soumis aux règles qui s'appliquent à ceux des collectivités locales.

Mme la Secrétaire d'Etat - Même avis que votre rapporteur. J'ajoute qu'aucun Etat européen ne traite en opérations budgétaires les amortissements et remboursements d'emprunts. Ils les considèrent comme nous comme des opérations de trésorerie.

M. Charles de Courson - Coauteur de cet amendement, je n'ai toujours pas compris pourquoi ce qui était valable pour tous les organismes, publics ou privés, ne l'était pas pour l'Etat ! Et les arguments défendus par notre rapporteur ne tiennent pas.

Vous nous dites qu'une telle intégration va gonfler les masses budgétaires mais cela n'a aucune importance. L'essentiel, c'est la clarté de l'exposé des documents budgétaires ! Et d'ailleurs, vous oubliez de rappeler que lorsque les collectivités remboursent par anticipation ou procèdent à des échanges de taux d'emprunts, c'est-à-dire des remboursements-réémissions, elles le ré-émettent. Ensuite, comment pouvez-vous justifier la dissymétrie entre l'Etat emprunteur et l'Etat prêteur ? L'Etat prêteur budgète en recettes et en dépenses sur ses comptes de prêts et d'avances les différentes opérations qui ne sont donc plus de simples opérations de trésorerie mais de véritables opérations budgétaires. La Cour des comptes l'a du reste dénoncé à plusieurs reprises car l'absence de considération en tant qu'opérations budgétaires de ces opérations d'emprunts aboutit à un certain nombre de magouilles budgétaires. Ainsi, lorsque l'Etat a repris la dette de l'UNEDIC, l'opération n'a laissé aucune trace budgétaire ! Seuls les comptes de résultat de la loi de règlement permettent de constater l'appauvrissement net de l'Etat qui en a découlé. Le maintien en opérations de trésorerie des opérations d'emprunts n'est donc en rien justifié.

M. le rapporteur nous renvoie ensuite au tableau de financement mais il n'a pas répondu aux questions précises que nous lui avons posées et qui conditionneront notre vote : le vote sur le plafond d'emprunt sera-t-il assorti de la fixation d'un plafond limitatif auquel le Gouvernement ne pourra déroger qu'après avoir à nouveau consulté le Parlement ?

On ne peut davantage s'en remettre à la loi de règlement car hormis deux ou trois spécialistes, qui lit la partie du rapport sur la loi de règlement relative aux opérations patrimoniales de l'Etat ?

Notre rapporteur récuse enfin la distinction entre budgets de fonctionnement et d'investissement. Mais elle se pratique dans tous les organismes ! Derrière ce débat se posent donc des questions fondamentales. Si nous voulons la transparence, si nous voulons éviter les magouilles budgétaires (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) -et croyez bien qu'en ma qualité d'ancien chef de bureau à la direction du budget, je connais ces pratiques...-, il faut voter ces amendements.

M. le Président - J'invite les orateurs à respecter leur temps de parole afin que chacun puisse s'exprimer dans de bonnes conditions. Je ne voudrais pas être forcé à conduire nos débats avec plus de rigueur.

M. Gilles Carrez - Ces amendements sont au c_ur de notre débat. Leur adoption vise en effet à nous permettre de mieux cerner la notion d'équilibre et à suivre de manière plus rigoureuse l'évolution de la dette. Notre rapporteur nous renvoie à une annexe mais comme vient de le démontrer M. de Courson, cela n'est pas suffisant ! Un tableau annexé ne nous donne aucune garantie sur le vote d'un plafond d'emprunt.

Sur le fond, je n'ai rien entendu dans l'argumentaire de M. Migaud qui permette de justifier la différence de traitement entre l'Etat et les autres collectivités publiques. Depuis quelques années, les collectivités locales ont toutes renégocié leurs dettes et, dans les grandes villes, ces opérations portent sur des dizaines de milliards. Elles ont été retracées en opérations budgétaires sans que cela pose le moindre problème. On est ainsi en mesure d'en suivre les variations année après année et d'évaluer la part imputable au réaménagement de la dette.

Par ailleurs, l'asymétrie rappelée par M. de Courson n'est pas défendable : lorsque l'Etat est en position de prêteur, les opérations afférentes sont retracées dans le budget ; lorsqu'il emprunte, il n'en reste aucune trace ! Dès lors, les arguments du rapporteur ne tiennent pas car ils sont en pleine contradiction avec les objectifs de transparence et de sincérité qu'il n'a cessé d'invoquer.

M. le Rapporteur - Le tableau financier ne figurera pas en annexe mais sera intégré à l'article d'équilibre et voté en même temps. Sur ce point, l'article 31 précisera bien les choses, d'une façon du reste assez proche de ce que vous souhaitez.

Par ailleurs, il faut distinguer les prêts et avances, qui correspondent à une utilisation des deniers publics pour des emplois risqués, donc à des décaissements temporaires qui peuvent devenir définitifs, et qui relèvent d'une autorisation parlementaire spécifique, des emprunts, qui ont pour seul objectif de financer des découverts de trésorerie autorisés par la loi de finances.

Je crois en fait que nous partageons la même préoccupation mais que nous divergeons sur les moyens.

M. Jean-Jacques Jégou - Dans sa proposition de loi organique du 14 mai 1980, cosignée par le Président Forni, Laurent Fabius rappelait qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, c'est la loi, donc le Parlement, qui fixe les règles d'émission de la monnaie, dont les emprunts font évidemment partie. C'est donc abusivement que le pouvoir législatif a été réduit par l'ordonnance de 1959.

Pour en revenir au présent débat, nous aimerions que l'on nous dise au moins si c'est le Parlement qui fixera le plafond des emprunts. Si tel était le cas, nous pourrions même retirer nos amendements.

L'amendement 23, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 2, mis aux voix, est adopté, de même que l'article 3.

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ART. 4

M. Jean-Jacques Jégou - J'ai déjà présenté l'amendement 24.

M. le Rapporteur - Et j'ai déjà fait part du rejet de la commission.

Mme la Secrétaire d'Etat - Même avis.

M. Charles de Courson - Je croyais que nous devions avoir un débat serein. Or on ne répond pas à notre question simple : le plafond du montant d'emprunt figurera-t-il dans le tableau financier et sera-t-il limitatif ?

M. le Rapporteur - Le tableau de financement va bien au-delà d'un simple plafond puisqu'il comporte les éléments permettant de calculer la variation de l'endettement. En outre, évoquer son caractère limitatif n'a pas grand sens puisque nous nous situons dans le cadre d'un budget qui reste prévisionnel. C'est ce qui empêche de répondre formellement « oui » à votre question. Pour les emprunts, la règle qui s'applique est la même que pour l'équilibre même de la loi de finances.

Mme la Secrétaire d'Etat - Novation récente, la gestion active de la dette permet d'avoir une dette « roulante ». Traduire ces opérations conduirait à un gonflement des masses dont l'effet sur le solde serait neutre. Or ce qui compte, en termes de sécurité et de lisibilité, c'est le solde, tout le reste n'étant que le résultat de la gestion plus ou moins active de la dette.

M. Gilles Carrez - Nous avons fait des concessions, notamment en acceptant l'idée de traiter les écritures d'emprunts en trésorerie et de renvoyer au tableau financier. En contrepartie, nous aimerions obtenir un engagement sur le plafond des emprunts qu'entraîneront les variations au sein de ce tableau.

La secrétaire d'Etat s'y oppose au motif que la dette peut-être réaménagée et le solde modifié. Mais dans nos collectivités locales, à chaque réaménagement de la dette nous inscrivons en dépenses une somme budgétée, en recettes une somme équivalente, avec un plafond voté par le conseil municipal et en-dessous duquel le maire peut négocier le réaménagement. Aucun argument technique ne peut donc être opposé à notre demande que le Parlement vote un plafond, quitte à ce qu'il soit réajusté en loi de finances rectificative. Cette question des autorisations d'emprunt est aussi au c_ur de la distinction entre dépenses d'investissement et de fonctionnement.

M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale, président de la commission spéciale - Poursuivre le débat de la sorte serait source de confusion et, peut-être, de désaccord là où il n'y en a pas.

A ce point du débat, la position du rapporteur peut apparaître comme un refus alors qu'elle sera peut-être perçue différemment lorsque nous examinerons l'article 31. Ne nous perdons donc pas dans une discussion technique, difficile à comprendre, alors que nos positions ne sont sans doute pas aussi éloignées qu'il y paraît.

M. Jean-Jacques Jégou - Je suis d'accord pour que nous reprenions la discussion à l'article 31. Reste que nous sommes tout près de nous entendre sur le point que nous examinons. Pourquoi le Gouvernement ne pourrait-il pas nous présenter, avec chaque projet de loi de finances, le plafond de l'emprunt ? Nous demandons que le Parlement, dont le rôle aura été réévalué, puisse être informé à tout moment de l'évolution de la dette.

M. le Rapporteur - Pour les parlementaires, le tableau de financement est le document le plus instructif. Le plafond d'emprunt peut n'être qu'un faux-semblant. Rien n'empêcherait le Gouvernement de contourner ce plafond en utilisant la dette à court terme. Mieux vaut nous attacher à la réalité des outils à notre disposition que de nous accrocher à des notions virtuelles.

L'article 4, mis aux voix, est adopté.

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ART. 5

M. Jean-Jacques Jégou - Les amendements 89, 90 et 91 sont défendus.

M. le Rapporteur - La commission ne les a pas examinés. L'amendement 89 ne paraît pas nécessaire, à moins que l'intention de son auteur soit d'en venir à une présentation du budget en droits constatés. L'amendement 90 tirant la conséquence du précédent, je n'y suis pas non plus favorable. Enfin, l'amendement 91 tend à préciser que les dépenses sont « imputées » et non plus « retracées », comme l'a pourtant voulu la commission afin de distinguer entre approche budgétaire et approche comptable de la dépense publique.

Mme la Secrétaire d'Etat - Même avis négatif que le rapporteur.

Les amendements 89, 90 et 91, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Philippe Auberger - Je souhaite, par l'amendement 1, distinguer les dépenses en fonction de leur nature, fonctionnement ou investissement. Il convient aussi de donner tout son sens à la notion d'équilibre, en précisant que les recettes ordinaires doivent suffire à couvrir les dépenses courantes. Ces dispositions ne paraissent poser de problème ni intellectuel ni pratique.

M. le Rapporteur - Avis défavorable. Vous cherchez à interdire le recours à l'emprunt pour financer la section de fonctionnement. Cette proposition, il y a quelques années, me séduisait. Mais des personnalités expérimentées, que nous avons entendues, m'ont convaincu que rapprocher la présentation du budget de l'Etat de la présentation de ceux des collectivités locales n'était pas pertinent. S'agissant des dépenses de l'Etat, il est difficile de distinguer à coup sûr entre investissement et fonctionnement. De quelle catégorie l'éducation et la recherche relèvent-elles exactement ? Si présenter le budget en droits constatés n'offre pas de difficulté aux collectivités locales, il n'en va pas de même pour l'Etat en raison de l'ampleur des provisions pour risques qu'il faudrait passer. Il risquerait de s'ensuivre de vastes manipulations. Par ailleurs, contraindre l'Etat à équilibrer en toute hypothèse la section de fonctionnement...

MM. Philippe Auberger et Michel Bouvard - Ce n'est pas ce que nous demandons !

M. le Rapporteur - ...pourrait se révéler dangereux en cas de retournement de conjoncture. La comparaison établie entre nos collectivités locales et le Bund allemand est trompeuse. L'Etat, chez nous, assume des tâches régaliennes qui pèsent lourdement sur ses finances.

Mme la Secrétaire d'Etat - Ce débat est légitime. Le Gouvernement lui-même s'est demandé pourquoi ce qui est possible pour les collectivités locales ne le serait pas pour l'Etat. Mais donner force juridique à la distinction entre section de fonctionnement et section d'investissement soulève plus de difficultés qu'elle n'en résout. En effet cette distinction n'est pas très sûre. On l'a dit, l'éducation et la recherche, traitées comme relevant du fonctionnement, sont plutôt des investissements pour l'avenir.

Cette distinction a cours, c'est vrai, dans certains pays, mais elle conduit parfois, comme l'explique le rapport écrit, à des pratiques de contournement qui ne sont ni saines ni souhaitables. Contraindre l'Etat à la respecter durcirait au-delà du raisonnable les règles de discipline budgétaire, car l'Etat est investi de missions spécifiques qu'aucune autre personne morale, aucune collectivité locale en particulier, n'assume ni ne peut assumer à sa place. Si d'aventure, par exemple, ce gouvernement -ou tout autre- avait à affronter un véritable retournement de conjoncture, l'application stricte d'une telle règle risquerait, je le crains, d'amplifier les mécanismes récessifs en lui interdisant de recourir à des instruments susceptibles d'en atténuer les conséquences sociales. Il ne s'agit pas d'un problème comptable, mais d'un problème politique.

M. Charles de Courson - Je m'étonne que l'on puisse contester la distinction même entre fonctionnement et investissement : elle résulte de notre droit budgétaire actuel, et repose sur le caractère durable ou non de ce que l'on finance avec l'argent dépensé. Je dirai même que je m'en inquiète, car cela revient tout bonnement à refuser toute règle de saine gestion budgétaire. Il est vrai qu'il y a eu de mauvaises applications de l'article 6 de l'ordonnance de 1959, et que la direction du budget, à l'instigation du ministre, a parfois qualifié abusivement certaines dépenses, de recherche notamment, pour faire croire que l'investissement baissait moins qu'il ne baissait en réalité, mais si l'on poussait le raisonnement jusqu'au bout, il faudrait supprimer cette distinction jusque dans la comptabilité des entreprises, qui range, pour reprendre l'exemple particulier de la recherche, les dépenses de recherche fondamentale sous la rubrique « fonctionnement » -car l'on ne sait pas si elles vont aboutir un jour- et celles de recherche appliquée sous la rubrique « investissement » (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Mais nous retrouverons ce débat plus tard, lorsque nous aborderons le vrai problème, qui est de savoir comment l'on doit financer les unes et les autres : notre position, comme chacun sait, est que la charge des dépenses de fonctionnement ne doit en aucun cas reposer sur les générations futures.

M. Yves Deniaud - L'amendement ne vise pas à corseter le budget de l'Etat, mais à assurer, pour des raisons de clarté, la même présentation de tous les budgets publics, celui de l'Etat comme ceux des collectivités locales. S'y opposer, c'est accepter l'idée que l'Etat puisse refuser à certains ce qu'il se permet à lui-même -et cela, les Français ne le supportent plus ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Quant à la distinction entre investissement et fonctionnement, n'importe quel fonctionnaire de préfecture sait la faire !

M. René Dosière - Ce n'est pas toujours si simple !

M. Yves Deniaud - En cas de litige, les chambres régionales des comptes apportent les éclaircissements nécessaires, et tout cela fonctionne très bien.

Que l'on me comprenne bien : il ne s'agit pas de considérer que les dépenses de fonctionnement sont, par nature, des dépenses honteuses, ni qu'il est anormal que la part de ces dépenses soit plus élevée dans le budget de l'Etat que dans celui des collectivités locales, ni qu'un gouvernement n'a pas le droit d'adapter sa politique budgétaire aux circonstances économiques, mais de poser un principe de bon sens, auquel on devra bien se résoudre tôt ou tard, si l'on veut aboutir à un consensus avec le Sénat, et je trouve regrettable que vous campiez sur votre position pour garder des concessions à faire aux sénateurs au cours des navettes.

M. Philippe Auberger - Très bien !

M. Henri Emmanuelli, président de la commission des financesNe faites pas dire à Mme Parly ce qu'elle n'a pas dit ! Elle n'a pas contesté qu'il y ait une différence entre fonctionnement et investissement, mais simplement observé que la limite était, dans certains cas, délicate à tracer. Ainsi, certains organismes internationaux considèrent les dépenses d'éducation comme un investissement, et le chef de l'Etat lui-même a récemment défendu cette thèse en public !

S'agissant de l'amendement, son I est satisfait à l'article 8. Notre différend porte sur le II, et nous avons dit clairement, en commission, que nous ne souhaitions pas inscrire la politique budgétaire dans une loi organique. Le I est satisfait, le II est inacceptable.

Aucun gouvernement ne pourrait se conformer à une telle disposition. En cas de retournement de conjoncture l'Etat va-t-il licencier brutalement ? C'est ce qu'elle implique.

M. Charles de Courson - Mais non.

M. le Rapporteur - La distinction entre financement et investissement figure à l'article 38. Cela suffit. Nous ne souhaitons pas lui donner une portée normative. Les observations de la Commission européenne sur les changements de nomenclature en Allemagne et en Italie montrent ce que cette distinction a d'arbitraire.

Par ailleurs, il y a à mes yeux une différence de nature profonde entre le budget de l'Etat et celui des collectivités locales.

M. Philippe Auberger - Je ne peux accepter qu'on dise que le I de l'amendement est satisfait par l'article 4. Celui-ci énumère des catégories de dépenses, alors que je propose une récapitulation par nature de dépenses.

M. le Président de la commission - Il est satisfait par l'article 38.

M. Philippe Auberger - Il y a un ordre logique. Si la distinction n'est pas faite à l'article 4, il faut la faire à l'article 5.

Quant au II, les sous-entendus que vous y voyez sont des dispositions qui seront discutées après l'article 28.

L'amendement 1, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Jacques Jégou - Mon amendement 25 aurait pu être en discussion commune.

Il précise que les opérations de fonctionnement comprennent les dépenses de consommation immédiate et répétitive de biens non durables, sans incidence sur le patrimoine de l'Etat, ainsi que les dépenses de transfert, et ne peuvent être financées que par les recettes fiscales et non fiscales.

Nous aurons ensuite l'occasion de revenir sur de vraies différences, mais j'avais pensé que sur les notions de fonctionnement et d'investissement l'accord pouvait se faire.

M. le Rapporteur - Défavorable. Pourquoi une telle insistance à faire reconnaître à l'article 5 ce qui l'est à l'article 38 ?

Mme la Secrétaire d'Etat - Même avis sur les amendements 25 et 26.

L'amendement 25, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Jacques Jégou - Mon amendement 26 traite de l'équilibre. Nous ne voulons pas corseter l'exécutif qui, dans le cadre d'un contrat de confiance, aura une liberté de gestion. Mais il faut quand même des règles pour qu'une politique soit compréhensible et transparente.

L'amendement 26, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Charles de Courson - L'amendement 92 de M. Barrot reprend la disposition de l'article 2 de l'ordonnance de 1959 qui interdit les régimes de garantie permanents.

M. le Rapporteur - La commission ne l'a pas examiné, mais il est satisfait par le 4e du II de l'article 31.

Mme la Secrétaire d'Etat - Même avis.

L'amendement 92, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 5, mis aux voix, est adopté.

La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.

Prochaine séance, ce matin, jeudi 8 février, à 9 heures.

La séance est levée à 1 heure.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER

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ORDRE DU JOUR
DU JEUDI 8 FÉVRIER 2001

A NEUF HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

Suite de la discussion de la proposition de loi de M. Alain VIDALIES et plusieurs de ses collègues (n° 2867) relative aux droits du conjoint survivant.

M. Alain VIDALIES, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. (Rapport n° 2910.)

Mme Marie-Françoise CLERGEAU, rapporteure au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. (Rapport d'information n° 2902.)

Discussion de la proposition de loi (n° 2709) de M. Gérard GOUZES et plusieurs de ses collègues relative au nom patronymique.

M. Gérard GOUZES, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. (Rapport n° 2911.)

Mme Yvette ROUDY, rapporteure au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. (Rapport d'information n° 2901.)

A QUINZE HEURES : 2ÈME SÉANCE PUBLIQUE

Suite de la discussion de la proposition de loi organique (n° 2540) de M. Didier MIGAUD relative aux lois de finances.

M. Didier MIGAUD, rapporteur au nom de la commission spéciale. (Rapport n° 2908)

A VINGT ET UNE HEURES : 3ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

        www.assemblee-nationale.fr


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