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Session ordinaire de 2000-2001 - 78ème jour de séance, 178ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 17 MAI 2001

PRÉSIDENCE de M. Claude GAILLARD

vice-président

Sommaire

          COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LES CAUSES
          DES INONDATIONS EXCEPTIONNELLES 2

          RAPPEL AU RÈGLEMENT 4

          CAUSES DES INONDATIONS EXCEPTIONNELLES (suite) 4

          EXPLICATION DE VOTE 18

La séance est ouverte à neuf heures quinze.

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COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LES CAUSES
DES INONDATIONS EXCEPTIONNELLES

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de MM. Jean-Louis Debré, Jean-François Mattei et Philippe Douste-Blazy tendant à la création d'une commission d'enquête sur les causes notamment climatiques, environnementales et urbanistiques des inondations exceptionnelles, afin d'établir les responsabilités, d'évaluer les coûts et de prévenir les crues à répétition.

M. le Président - Le rapport de la commission porte également sur la proposition de résolution de M. Jacques Fleury tendant à la création d'une commission d'enquête sur les causes des inondations répétitives et sur les moyens propres à faire face aux aléas climatiques.

M. Eric Doligé, rapporteur de la commission de la production - Nos concitoyens des vallées de la Somme et du Cher sont dans la plus grande détresse, après ceux de la Vilaine il y a peu de temps. Je rends hommage au courage des sinistrés ainsi qu'au travail de nombreux élus et secouristes.

Au premier mouvement de stupeur et de désarroi a succédé un sentiment légitime d'injustice et de « ras-le-bol ». Les lourdeurs et parfois l'inefficacité de l'action publique et les carences manifestes des politiques de prévention indignent, à juste raison, la population.

Pourtant, certaines expériences innovantes ont pu être menées et ont prouvé leur pertinence, notamment dans le bassin de la Loire, grâce à une large concertation entre l'Etat, les collectivités territoriales et l'établissement public territorial de bassin. Une politique ambitieuse de prévention a été menée. Mais ce type d'actions reste subordonné à l'émergence d'une volonté politique locale s'inscrivant dans la durée. Le problème de la prévention et de la gestion des inondations exceptionnelles demeure entier.

La représentation nationale ne pouvait demeurer passive face au drame humain, économique et environnemental qui en résulte, surtout à la veille de l'examen du projet de loi sur l'eau.

C'est pourquoi notre commission vient d'examiner deux propositions de résolution visant à la création de commissions d'enquête portant sur ce sujet. La première, déposée par MM. Jean-Louis Debré, Jean-François Mattei et Philippe Douste-Blazy, porte sur « les causes notamment climatiques, environnementales et urbanistiques des inondations exceptionnelles afin d'établir les responsabilités, d'évaluer les coûts et de prévenir les crues à répétition » ; la deuxième, déposée par M. Jacques Fleury, porte sur « les causes des inondations répétitives et sur les moyens propres à faire face aux aléas climatiques ».

Nous avons conclu à la recevabilité de ces deux propositions.

Quant à l'opportunité de créer une commission d'enquête, elle ne fait pas de doute, et ce pour plusieurs raisons.

En premier lieu, il faut tirer les leçons du caractère répétitif des inondations de grande ampleur : je citerai seulement celles de Nîmes, de Vaison-la-Romaine, de l'Oise, de la Somme. Elles ne relèvent pas toutes du même type de phénomènes. Nous avons répertorié huit catégories, qui vont des crues torrentielles de Vaison-la-Romaine au ruissellement en secteur urbain de Nîmes.

En 1994, Thierry Mariani, rapporteur de la commission d'enquête créée à l'époque, mettait en évidence les facteurs humains : le remembrement, le drainage, la déforestation, l'imperméabilisation des sols etc. Le facteur climatique doit également être pris en considération.

Il serait donc utile que la commission d'enquête étudie ces causes.

Deuxième raison, nous constatons que la gestion des crues se fait au coup par coup et que l'improvisation domine. Or il faut gérer ces crues dans la durée.

Le dispositif actuel est-il adapté ? Il repose essentiellement sur le plan ORSEC et des crédits attribués par l'Etat au coup par coup, d'où une impression de dispersion et une perte d'efficacité. Il conviendrait de mieux définir les critères et modalités d'attribution des aides d'urgence, ainsi que le rôle respectif des différentes autorités.

A cette fin, il serait opportun qu'une commission d'enquête dresse un bilan, notamment financier, de la gestion des inondations de grande ampleur et propose un arsenal juridique adapté. La période de post-crise, avec les difficultés de redémarrage de l'activité économique, devrait être comprise dans cette évaluation.

Autre question à se poser, celle de la pertinence du cadre juridique actuel en matière de prévention. En 1994 M. Mariani concluait que les inondations n'étaient pas entièrement le fruit de la fatalité et préconisait une politique reposant sur quatre piliers : une meilleure évaluation du risque d'inondation, un dispositif d'alerte plus efficace, la gestion des zones à risques et l'information préventive des communes et des populations.

Sept ans après ces recommandations, le bilan n'est pas très brillant. Avant 1995, les instruments juridiques étaient nombreux et disparates. La loi dite Barnier de 1995 leur a substitué le plan de prévention des risques. Mais comme le soulignait alors M. Albertini, c'est surtout la manière d'utiliser cet outil qui est déterminante. Or l'application des PPR est décevante. Dans son rapport sur la prévention des inondations, la Cour des comptes constate que le contenu du PPR est souvent lacunaire et imprécis.

La création d'une commission d'enquête permettrait de dresser un bilan des procédures d'élaboration des PPR et de rendre compte des blocages administratifs qui sont souvent apparus.

Quatrième point important, le difficile financement de la prévention. La Cour des comptes constate que l'approche économique du risque d'inondation fait défaut, alors que les sommes en jeu sont considérables : 3 milliards de dégâts par an, dont la moitié seulement est couverte par les assurances.

Comme le souligne la Cour des comptes, l'échelle locale est inadaptée pour cette évaluation et les études parcellaires réalisées ne comportent pas de comparaison chiffrée entre le coût des ouvrages de protection et les dépenses occasionnées par d'éventuelles inondations. Par exemple, l'équipe pluridisciplinaire du plan Loué de 1994 a estimé à 40 milliards les dégâts d'une crue centennale comme celle de 1850 : or avec 3,5 milliards de travaux, ce coût pourrait être ramené à 7 milliards. La Ministre de l'environnement connaît bien ce dossier.

La prévention nécessite une cartographie mais aussi le financement d'ouvrages de protection. Il serait donc très intéressant que la commission d'enquête fasse évaluer le coût global de la prévention et des indemnisations, qui est mal connu, et qu'elle se penche sur la répartition des contributions entre collectivités territoriales, établissement public de bassin et Etat.

Enfin, elle pourrait utilement étudier les responsabilités de chacun, car la confusion règne en ce domaine. A titre d'exemple, le maire a l'obligation de prévenir la population de la montée des eaux, mais il revient à l'Etat d'assurer une alerte météorologique auprès des communes. A celles-ci d'interpréter les informations qu'on leur transmet. Le maire est aussi responsable de la protection contre des dangers d'inondations, au titre de ses pouvoirs de police. Lorsque l'ampleur de l'inondation risque de dépasser les capacités de la commune, il doit provoquer l'intervention du préfet. Mais à partir de quel niveau ?

Dans ces conditions, la création d'une commission d'enquête paraît indispensable. Elle pourrait tirer les leçons du passé, dresser le bilan de l'application des recommandations émises en 1994 par la précédente commission d'enquête et évaluer l'efficacité du dispositif juridique en vigueur.

Si elle proposait des réformes, celles-ci pourraient être intégrées au futur projet de loi sur l'eau. Les inondations ont des conséquences suffisamment importantes pour que la représentation nationale prenne l'initiative de telles réformes.

Deux propositions de résolution ont été soumises à la commission. Je propose un dispositif unique propre à satisfaire leurs auteurs.

Enfin je souligne que s'il est utile d'étudier les causes des inondations, le plus urgent est maintenant d'en traiter les conséquences (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Maxime Gremetz - Je fais ce rappel au Règlement pour savoir quelles sont désormais les règles du jeu. Lors d'un débat précédent, nous avons beaucoup discuté pour savoir si la prise en compte d'une demande de scrutin public nécessitait une demande écrite sur papier vert. En l'occurrence, je n'avais pas fait cette demande écrite. J'avais seulement indiqué que je demanderais un scrutin public si le Gouvernement n'avait pas la sagesse de retirer les dispositions en cause. Mais on a fait comme si je l'avais présentée, car un scrutin public arrangeait tout le monde.

J'ai interrogé le Président Forni sur ce point. Il m'a répondu que le papier vert est nécessaire. M. Cochet avait dit que ce n'était pas la peine, la parole d'un député étant plus importante.

Changer le Règlement pour passer en force est une attitude intolérable pour le Parlement. L'opposition s'était d'ailleurs jointe à nous pour protester contre le fait qu'on incluait dans le projet un article constituant un projet à lui seul, sans que la commission l'ait examiné. J'avais donc demandé une suspension de séance.

Bref, je pose à nouveau la question...

M. Gilles de Robien - C'est hors sujet.

M. Maxime Gremetz - ...et j'attends une réponse claire, Monsieur le Président. Comment fait-on une demande de scrutin public ? Les demandes de suspension sont-elles de droit ? Il est bien difficile de le savoir dès lors qu'on change le Règlement selon les circonstances !

M. le Président - Je ferai part de votre intervention à la Conférence des présidents. Il faut effectivement remplir une demande de scrutin public. J'ai cru comprendre que lors du débat auquel vous vous référez, un Président voyant que la personne avait la demande écrite à la main, a considéré qu'elle était déposée. En tout cas, le Président se réfère au Règlement et il n'y en a qu'un.

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CAUSES DES INONDATIONS EXCEPTIONNELLES (suite)

M. le Président - Nous passons à la discussion générale.

M. Robert Galley - En février 2000, Mme Voynet m'avait confié, en tant que président de comité de bassin Seine-Normandie, le soin de mener une enquête sur les inondations et sur le rôle que les agences de l'eau pourraient tenir dans la lutte contre ces phénomènes.

J'ai fait rapport à Mme Voynet l'an dernier. J'espère que certaines mesures qui y sont proposées seront inscrites dans le prochain projet de loi sur l'eau. Je remettrai en tout cas le rapport au président de la future commission d'enquête.

Globalement, il montre que les rapports entre l'Etat et les pouvoirs décentralisés sont complexes, relativement flous, et que les dysfonctionnements sont nombreux.

L'Etat a largement entrepris la cartographie des zones inondables mais pour nombre d'études, en particulier en zone urbaine, il se repose sur les collectivités locales qui supportent alors des frais importants.

Pour apprécier le risque, il est également nécessaire d'établir des cartes de vulnérabilité. Développer les connaissances hydrologiques et hydrauliques sur les bassins versants est une étape indispensable avant toute décision. Cela devrait conduire la commission d'enquête à reconnaître aux agences de l'eau un rôle central dans la lutte contre les inondations.

Le développement de nos connaissances nécessitera l'intervention d'équipes pluridisciplinaires. En effet le phénomène est complexe et diffère d'un bassin à l'autre, et au-delà de ses aspects hydrauliques l'enjeu est socio-économique.

Les zones inondables en amont jouent un rôle préventif alors que le développement des zones naturelles d'inondation relève de la protection. Entretenir les ouvrages existants et les rivières est aussi un aspect de la prévention.

En milieu urbain, l'imperméabilisation des sols est un facteur essentiel d'aggravation des risques.

Pour prévenir, il faut aussi tirer les enseignements de l'expérience. Sans les grands travaux menés sur le bassin de la Seine depuis le début du XXe siècle, nous viendrions aujourd'hui à l'Assemblée nationale en barque ! Après la grande crue de 1910, on a régularisé le cour de l'Yonne puis, cela étant insuffisant, créé les barrages sur la Seine, l'Aube et la Marne. Leur capacité de stockage est de 850 millions de mètres cubes et aujourd'hui ils sont pleins. La Somme ne serait pas dans cette malheureuse situation si de tels travaux y avaient été effectués en amont du fleuve.

M. Doligé a cité à juste titre le plan « Loire grandeur nature ». Je voudrais signaler que l'équipe pluridisciplinaire mise en place dans ce cadre se composait de sept personnes hautement qualifiées qui ont conduit un programme d'étude de cinq ans. C'est une expérience pilote.

Certes, les sommes à dépenser pour effectuer des travaux de prévention peuvent sembler élevées mais sont néanmoins sans commune mesure avec le coût des dommages.

Un mot enfin sur les assurances : il est regrettable qu'elles n'encouragent pas à la prévention. En effet, celui qui a réalisé des travaux pour réduire le risque paie autant que celui qui ne fait rien, et les deux seront indemnisés de la même manière. Je souhaite que la commission d'enquête se penche sur cette question et que le fonds de prévention des assurances serve à financer des travaux de prévention.

Convaincu que ce problème des inondations est l'un des plus cruciaux qui soient, le groupe RPR est très favorable à la constitution d'une commission d'enquête qui puisse enrichir de ses conclusions le projet de loi sur l'eau, étant entendu -pour ce que j'en sais- que les ressources dégagées par la modification du régime des eaux ne semblent pas à la hauteur de ce que requiert une action efficace à l'échelle du territoire national (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Jacques Fleury - Mon intention n'est pas de préconiser des solutions, ce sera le travail de la commission d'enquête, mais d'évoquer les affres de nos compatriotes de la Somme, confrontés depuis deux mois -et peut-être pour de longues semaines encore- à des inondations d'un type rare, précisément du fait de leur longue durée. Il faut remonter à 1939 pour retrouver une situation d'un genre comparable. Le phénomène a d'autant plus surpris qu'il y a deux ans, on s'inquiétait plutôt de la sécheresse, de la disparition des sources et du bon niveau des nappes phréatiques. D'un seul coup, on a vu surgir de nouvelles sources et des vallées sèches sont redevenues des rivières. Tout le département de la Somme n'est pas inondé mais l'ensemble du territoire, y compris le plateau picard, est concerné par le phénomène : les terres sont spongieuses, l'humidité règne et des puits qui atteignent parfois huit ou neuf mètres de profondeur et cinq mètres de large se sont creusés dans les champs mais aussi sous les routes et les maisons, voire sous le tracé du TGV, ce qui ne laisse pas de nous inquièter. Dans l'arrondissement de Montdidier, le préfet a recensé 800 cas !

Ces phénomènes surprenants et douloureux ont engendré chez la population un sentiment d'injustice qui a parfois nourri les rumeurs les plus folles. Je crois qu'il nous faut les écarter d'entrée de jeu.

Dans cette affaire, la solidarité nationale s'est manifestée de façon exemplaire : des collectivités locales de toute la France ont envoyé de l'aide, celles de la Somme se sont fortement mobilisées, notamment le Conseil général, et l'Etat, quoi qu'en disent certains, a joué son rôle. 900 personnels civils et militaires se sont rendus sur le terrain, des crédits importants ont été dégagés et une cellule interministérielle a été mise en place. Il faut maintenant que le Parlement apporte lui aussi sa contribution. Il le fera via cette commission d'enquête qui devra chercher les causes de la catastrophe, étudier comment en limiter les effets et éviter qu'elle se reproduise. Je voudrais que son premier travail soit de recenser toutes les conséquences économiques du phénomène : sur le patrimoine, sur les entreprises, les agriculteurs, les artisans et les commerçants. Je pense que nous serons surpris par l'ampleur du préjudice : de nombreux agriculteurs n'ont pas pu semer, quantité d'entreprises ont dû fermer boutique et sont donc menacées de dépôts de bilan. Il est évident que la loi de 1982 ne suffit pas à répondre à tous ces dommages.

J'ai parlé tout à l'heure des trous qui se sont multipliés dans la partie non inondée et qui doivent être aussi très nombreux dans la partie actuellement inondée. La Direction des services de sécurité civile nous dit qu'il faudrait faire une enquête hydrogéologique sur chaque trou pour être sûr qu'il est bien la conséquence de l'inondation, mais à raison de 15 000 à 20 000 F le trou, on comprend bien que ce n'est pas possible. Simplifions un peu ! Il est évident que ces trous sont le résultat de la catastrophe naturelle que constituent les inondations.

La commission d'enquête sera la réponse de nos assemblées au besoin de solidarité de la Somme, ce département qui a déjà beaucoup souffert au fil des siècles. Toutes les guerres et toutes les invasions sont en effet passées par là, et chaque fois pour détruire. Sachons répondre à la souffrance de sa population (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gilles de Robien - Je remercie le rapporteur de ses mots de compassion envers les victimes de la Somme et le groupe RPR de consacrer sa fenêtre parlementaire au sujet. Je vous parlerai pour ma part plutôt de la partie inondée du département.

Le phénomène dure, même si la médiatisation a tendance à fléchir un peu : le niveau de l'eau n'a baissé que de 25 cm à Amiens, de 7 ou 8 cm à Fontaine-sur-Somme, sur 1 mètre 20 ; à Abbeville, on a réussi à pomper l'eau dans quelques quartiers en forme de cuvette, mais des centaines de maisons sont encore inondées.

La répétition des inondations nous oblige à nous mobiliser. En quinze ans, elles ont entraîné 120 morts et des dizaines de milliards de dégâts ; entre décembre 1999 et juin 2000, il y a eu douze inondations et 51 morts. C'est devenu le risque naturel majeur en France. La vallée de la Somme (M. de Robien montre une carte) est inondée sur une centaine de kilomètres ; 114 communes sont sinistrées 2 802 habitations sont inondées et 495 ont été évacuées. C'est pour les habitants un drame psychologique, davantage encore que matériel : même quand on a quitté sa maison, le cauchemar de l'eau qui monte chez soi réveille la nuit.

On a tendance à incriminer la fatalité, en constatant les effets conjugués d'une pluviométrie exceptionnelle, de la géologie particulière du département et de la complexité du bassin hydrographique. Mais il faut comprendre la révolte des victimes, qui -ne voyez-là, Monsieur le ministre, aucune manipulation politique- se sont considérées abandonnées par les pouvoirs publics -à juste titre ou non, la commission d'enquête pourra peut-être le dire. Les inondations n'ont pas commencé au mois d'avril, quand le Premier ministre est venu à Abbeville, mais au mois de décembre. La DDE a d'ailleurs tiré la sonnette d'alarme à plusieurs reprises, en décembre, en février et en mars.

Il faut donc lutter contre l'esprit de fatalité, comme contre notre capacité d'oubli. A cet égard, l'excellent rapport de notre collègue Christian Kert à l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques dénonce le fait qu'on ne tire jamais les leçons des grandes catastrophes, lesquelles ne provoquent que la production de rapports dans l'urgence.

Il faut aussi lutter contre la déresponsabilisation. En effet chacun rejette la faute sur l'autre. La Cour des comptes, dans son rapport public de 1999, affirmait la nécessité d'une réforme législative d'ensemble, « notamment pour remédier à la situation d'irresponsabilité à laquelle conduit le système actuel ». Un exemple : le maire a l'obligation de prévenir la population de la montée des eaux et c'est l'Etat qui doit assurer une alerte météorologique auprès des communes : mais la responsabilité de l'Etat n'est engagée qu'en cas de faute lourde. Quant au maire, il est responsable de la protection contre les dangers d'inondation, mais lorsque le problème par son ampleur dépasse les capacités de la commune, il doit provoquer l'intervention du préfet... Il est donc indispensable de mieux préciser qui fait quoi.

Enfin, il faut lutter contre le laxisme en matière d'urbanisation. La Cour des comptes souligne les défaillances de l'Etat, qui n'a pas su faire respecter l'obligation de prendre en compte le risque d'inondation, alors qu'il aurait pu s'appuyer sur les dispositions du code de l'urbanisme pour, dans certains cas, refuser ou délivrer sous conditions les permis de construire. Le contrôle de légalité sur l'octroi des permis de construire est également jugé quasi inexistant.

Bref, puisque, comme l'indique un grand quotidien du soir, les pouvoirs publics sont incapables de tirer les leçons des précédentes catastrophes, il faut nous mettre au travail, et vite. Les milliers de sinistrés de la Somme, de la région Centre, de l'Ille-et-Vilaine, du Cher, de la Vallée du Rhône et de l'Aude nous le demandent. Il faut lutter pour la transparence, la vigilance et la solidarité. La commission d'enquête devra répondre à des questions, même si certaines sont gênantes, sur la pertinence des moyens de prévention, le fonctionnement des systèmes d'alerte, le temps de réactivité des pouvoirs publics, l'estimation des dégâts, les mesures à prendre pour prévenir les risques. C'est l'espoir de nombreux Picards atteints par le malheur qui s'est abattu sur eux mais ragaillardis par l'immense mouvement de solidarité né ces dernières semaines. Je suis sûr que la représentation nationale ne les décevra pas (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Maxime Gremetz - Notre Assemblée est appelée à examiner deux propositions de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur les causes des inondations.

Ce que je viens d'entendre m'inspire deux commentaires. D'abord, il faudrait faire preuve d'un peu plus de modestie. Si on sait déjà tout, ce n'est même pas la peine de créer une commission d'enquête... Ensuite, assez de polémique, assez d'opérations politiciennes. Il est indigne d'utiliser ainsi le malheur des gens. Les inondations ne sont ni de gauche ni de droite, chacun a ses responsabilités, chacun fait ce qu'il peut...

Les députés communistes ne peuvent que partager le souci qu'exprime la proposition de résolution qui a été adoptée à l'unanimité des membres présents de la commission de la production. Notre groupe a d'ailleurs exprimé à plusieurs occasions une préoccupation similaire.

Le drame que vivent depuis 45 jours les habitants de la vallée de la Somme a suscité une émotion considérable. Cette catastrophe exceptionnelle et ce drame humain justifient la plus ample solidarité nationale -et elle ne manque pas.

A ce jour -il faut actualiser les cartes...- 140 communes, 1 382 habitations, 1 987 caves, 21 routes départementales, l'autoroute A 16, le trafic ferroviaire sur plusieurs dizaines de kilomètres, des milliers d'hectares de terres agricoles et d'espaces naturels comme les hortillonnages -classés au patrimoine de l'UNESCO- demeurent touchés par les inondations.

Comment ne pas évoquer la situation des 1 477 personnes qui ne peuvent toujours pas rentrer chez elles, les affaissements de terrains que connaissent 18 communes, l'impact sur l'activité économique, et notamment touristique, de toute la région ?

Sans attendre la constitution de la commission, des causes fort éloignées des rumeurs alimentées par la droite locale peuvent déjà être cernées.

La particularité de ces inondations tient pour beaucoup aux caractéristiques de la nappe phréatique dans un terrain de craie et au débit particulièrement lent du fleuve.

Le volume d'eau apporté par les précipitations peut être estimé à 4 milliards de mètres cubes. Or la Somme et son canal, seul exutoire, n'ont pu en transporter que 1,3 milliard. Au vu du volume d'eau qui reste à évacuer, et même si la situation climatique s'améliore, nous ne pouvons qu'être inquiets pour les prochains mois.

Si la pluviométrie a été exceptionnelle, on doit aussi constater que le principe de précaution n'a manifestement pas été appliqué dans la Somme. Le cours d'eau est en effet très mal entretenu : les dragages du fond ont été rares et les berges, abandonnées, se sont dégradées au fil des ans. Cela n'est pas imputable à l'Etat, mais au conseil général qui, lui, n'est pas à gauche. Les écluses sont vétustes et l'ensablement de la baie de Somme empêche l'eau de s'évacuer normalement.

Il est donc urgent, par delà la solidarité remarquable de nos concitoyens, que l'Etat et les collectivités locales se mobilisent. Nous nous réjouissons d'ailleurs que le Premier ministre ait enfin mis, ainsi que nous le demandions depuis des années, le dossier de l'ensablement de la baie de Somme à l'ordre du jour du prochain comité interministériel d'aménagement du territoire.

Cela dit, l'opportunité des propositions de résolution que nous examinons dépasse largement l'actualité immédiate.

Il faut tirer toutes les leçons des inondations de grande ampleur qui se sont multipliées au cours des deux dernières décennies, qui ont privé de la vie des dizaines de personnes et ont provoqué des dégâts considérables.

Dix pour cent de la population française sont aujourd'hui directement exposés à un risque majeur d'inondations. Celles-ci ont des causes complexes. Les modifications du climat sont naturellement évoquées, même si les spécialistes ne peuvent aujourd'hui démêler ce qui est dû aux fluctuations sur une longue période et au fameux effet de serre.

D'autres causes sont directement liées aux activités humaines, à la déforestation, aux transformations de l'espace rural, à l'urbanisation croissante.

Pourquoi y a-t-il aujourd'hui un goulot d'étranglement à Amiens ? Parce que le canal que j'ai connu a été transformé en route !

M. Gilles de Robien - C'est votre prédécesseur et ami qui l'a bouché !

M. Maxime Gremetz - Je préfère ne pas faire de polémique et je n'accuse personne. Je pourrais aussi vous citer l'exemple du parc Saint-Pierre, qui est actuellement inondé.

Tenter de mieux cerner l'interaction de ces différentes causes est bien sûr essentiel, si ce n'est pour empêcher les crues, du moins pour en réduire les conséquences.

La répétition des inondations, tout comme le drame annuel des feux de forêt, obligent à une réflexion de fond sur la politique d'aménagement du territoire.

On ne saurait à cet égard exonérer de leur responsabilité particulière les logiques libérales à court terme et leur cortège de gâchis.

Prévenir les catastrophes implique d'améliorer la connaissance et la prévention du risque, mais aussi d'agir dans tous les domaines pour un mode de développement durable fondé non sur la recherche de la rentabilité financière à tout prix mais sur l'accroissement de toutes les capacités humaines.

Le rapport s'interroge justement sur la pertinence du cadre juridique en matière de prévention.

La Cour des comptes a en effet dressé un bilan très critique de l'élaboration des plans de prévention des risques naturels prévisibles. Elle souligne des carences dans leur élaboration, l'inégale qualité de leur contenu et estime que les retards accumulés ne permettront pas de bien connaître le risque inondation avant vingt ans au moins.

Il faut donc dresser un bilan des procédures d'élaboration des PPR, étudier les mesures et les financements qu'ils mettent en _uvre et mieux évaluer les coûts respectifs de la prévention et de l'indemnisation.

Le rapport note justement l'insuffisance des crédits nécessaires à la réalisation des ouvrages de prévention. Mais si celle-ci est une priorité, il faut aussi améliorer les conditions d'indemnisation lorsque la catastrophe survient.

Notre groupe a formulé des propositions précises : indemnisation sur la base de la valeur d'usage et non vénale des biens, octroi de facilités financières aux victimes, aide à la reprise d'activité des entreprises sinistrées, indemnisation des récoltes sur la base de 80 % de la moyenne des trois dernières années, aides à la reconstruction des bâtiments d'exploitation, aide aux collectivités locales. Ces mesures doivent être financées grâce à la mobilisation des réserves des compagnies d'assurance, ces rapaces qui amassent l'argent et n'en donnent qu'au compte-gouttes, et par la contribution des grandes fortunes.

Il faut aussi intégrer les nécessités d'une gestion dans la durée.

La définition d'un dispositif harmonisé précisant les modalités d'attribution des aides d'urgence selon des critères transparents ainsi que le rôle des différents échelons est, dans cette perspective, indispensable. Plus généralement, la répartition des responsabilités mériterait d'être précisée, sans toutefois remettre en cause les prérogatives des élus locaux qui, au plus près de la population, sont les mieux placés pour prendre les dispositions appropriées.

Notre groupe, dans une proposition de loi déposée en 1995 et qui malheureusement n'a pas été discutée, avait fait des propositions précises sur le rôle des agences de l'eau ou la création de comités départementaux chargés de veiller à l'application rigoureuse des documents d'urbanisme, de réfléchir à la prévention et d'intervenir lors des sinistres.

Il y a quelques jours, la Haute assemblée adoptait une résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les inondations de la Somme.

A ma demande, le Gouvernement a envoyé une mission interministérielle sur le terrain, chargée d'entendre les élus, les associations et tous les acteurs concernés pour déterminer les causes du drame et proposer des mesures urgentes.

Il est excellent que notre Assemblée se saisisse de ces questions si importantes surtout sur une initiative parlementaire, et notre groupe votera ce texte dont il souhaite l'adoption rapide.

Je finirai en citant un sondage récent : 81 % des Picards considèrent que les services de l'Etat ont bien fonctionné. Les hommes politiques qui disent le contraire doivent avoir des raisons de le faire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gilles de Robien - Le sondage cité par France 3 hier faisait apparaître des chiffres différents !

M. Dominique Bussereau - Le groupe DL votera cette résolution. Les inondations sont en effet de plus en plus préoccupantes. Elles représentent le premier risque mortel parmi les phénomènes naturels.

Six millions de nos concitoyens sont concernés, 10 % du territoire national et dix mille communes. M. Gremetz, qui a évoqué les assureurs, aurait pu ajouter que 80 % des indemnités qu'ils versent pour les catastrophes naturelles concernent les inondations. L'excellent rapport de M. Doligé rappelle les catastrophes du Grand-Bornand en 1987, de Nîmes en 1988, de Vaison-la-Romaine avec ses quarante et un morts ; les événements de l'hiver 1993-94, qui avaient motivé la création d'une première commission d'enquête de notre Assemblée ; ceux de l'hiver 1995, de 1999 dans l'Aude, les Pyrénées-orientales et le Tarn, sans oublier ceux de décembre 2000 et les phénomènes qui affectent aujourd'hui la Somme, mais aussi la région Centre et le Cher. On peut donc craindre que la série se poursuive, et que le XXIe siècle soit celui des inondations.

Face à cette situation, et soit dit sans polémique, les pouvoirs publics -j'entends par là l'Etat les différentes collectivités qui interviennent sur le terrain- ont apporté des réponses inadaptées. Il est dommage que l'excellent rapport élaboré en 1994 par Thierry Mariani soit resté lettre morte ; et si l'Assemblée adopte la présente proposition, je souhaite, Monsieur le ministre, qu'on n'en reste pas aux v_ux pieux et que les propositions de la commission d'enquête soient suivies.

On le constate aujourd'hui, comme lors de la tempête de décembre 1999, les crises sont gérées en France dans une certaine improvisation. L'Etat répond immédiatement avec les crédits de circonstance, poussé par l'émotion populaire ; après quoi tout redevient comme avant. Les moyens apparaissent insuffisants ; le financement des plans ORSEC s'appuie sur des crédits alloués au coup par coup. Après la tempête, le Ministre de l'intérieur a demandé un rapport à l'Inspection générale de l'administration. Il montre la nécessité de changer nos procédures de crise. Les plans ORSEC ne sont plus adaptés, surtout quand tout le monde est en plan ORSEC, comme lors de la tempête : quand des régions entières sont frappées, la logique de plan ORSEC, qui est de faire converger sur un lieu de crise des moyens provenant de différents départements, ne fonctionne plus.

M. Soisson y reviendra sans doute, la Cour des comptes a fait un travail remarquable sur la prévention des inondations. Elle a noté l'insuffisance des moyens, de l'approche économique, des sommes investies dans la prévention. Pour ce qui est du cadre législatif, les réflexions de la précédente commission d'enquête ont abouti à la loi Barnier de 1995. Mais la Cour des comptes a montré que le nombre des PPR réellement approuvés restait très faible. Ces plans sont souvent perçus par les collectivités comme une contrainte plutôt que comme un outil de travail cogéré avec l'Etat. La cause en est, je crois, que lors de l'élaboration des PPR le dialogue avec les collectivités n'est pas bon. Souvent l'Etat impose ses règles. Parfois le maire découvre le PPR sans avoir pu donner son avis -fût-ce pour le durcir.

En outre les responsabilités sont éclatées, alors que la prévention et la gestion des inondations requièrent une coopération étroite entre l'Etat, les collectivités et tous les services techniques. Selon qu'un cours d'eau est ou non domanial, les obligations d'entretien ne sont pas les mêmes, et il est difficile de s'y retrouver. M. de Robien a rappelé que les maires doivent prévenir en cas de montée des eaux ; mais l'alerte météorologique incombe à l'Etat : ce n'est pas simple. Les compétences des établissements de bassin en matière de prévention son mal définies.

Se pose également le problème, qu'a évoqué M. Gremetz, de l'urbanisation mal maîtrisée. Sur ce point, il est inutile de se renvoyer la responsabilité. Les compétences des maires en matière d'urbanisme ne sont pas des compétences propres des collectivités : elles sont déléguées par l'Etat, et le maire qui accorde un permis de construire le fait au nom de l'Etat. Chacun est donc responsable dans cette chaîne de décisions.

Toutefois, et la Cour des comptes est claire sur ce point, les constructions en zone inondable n'ont pas été maîtrisées faute de contrôle suffisant. Nous avons eu un débat sur les aéroports à l'initiative de M. Cochet, mais c'est le même problème qui se pose là. Même si des maires ont été un peu laxistes, le contrôle n'a pas été suffisant au niveau des préfectures et des DDE, qui sont beaucoup plus tatillonnes quand on veut construire près d'une maison un abri à poules qui fait un mètre carré de trop... (Sourires)

Les pouvoirs publics n'ont pas pris en compte l'approche économique du risque. Les analyses des coûts générés par les inondations sont rares, et peu exploitées quand elles existent. La position du ministère de l'environnement n'est pas claire ; il estime que la protection des grandes cités fluviales contre les inondations serait plus coûteuse que les dégâts éventuels produits par les crues. On pense à cette vieille logique encore trop présente au ministère de l'équipement, qui conduit à se demander si quelques morts à un carrefour coûtent plus cher que de l'équiper... Quant à la loi sur l'eau de Mme Voynet, qui exigera, semble-t-il, sa présence au Gouvernement jusqu'à l'été, la prévention et la gestion des inondations ne font pas, semble-t-il, partie de ses priorités ; peut-être M. le ministre nous dira-t-il le contraire, et je le souhaite. Mais, d'après nos informations, il ne semble pas que ces actions figurent parmi les grandes politiques nationales que la Ministre entend lancer. On évoque la création d'un compte spécial du Trésor -instrument qui n'est pas des plus faciles à gérer, ni des plus transparents pour le Parlement- qui comporterait un fonds national de solidarité pour l'eau : concernera-t-il les inondations ? Il y aurait aussi une redevance sur les agences de l'eau, ce que je trouve un peu contestable, car on n'est pas sûr qu'elle serve vraiment à la protection de l'environnement.

Telles sont les remarques de mon groupe, qui votera naturellement cette proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Philippe Duron - Avec les inondations de la Somme, ce type de catastrophe acquiert une nouvelle dimension en s'installant dans la durée. N'oublions pas pour autant la répétition et l'aggravation des inondations en France et en Europe depuis plus de dix ans. Le rapporteur et plusieurs orateurs ont rappelé la litanie de ces catastrophes, de Nîmes à Vaison-la-Romaine, de l'Oise à la Camargue, au Calvados, à l'Aude, à l'Ille-et-Vilaine... Je ne cite que les inondations qui ont marqué notre mémoire collective, mais bien d'autres, moins spectaculaires, n'en ont pas moins causé de graves dégâts et désespéré la population. L'Allemagne, la Pologne, la Grande-Bretagne n'ont pas été épargnées. Tout cela doit nous faire réfléchir.

L'Assemblée a déjà travaillé sur ces questions. Après les crues de 1994, le rapport de M. Mariani avait fait un point précieux sur la question. La loi du 2 février 1995 en avait tenu compte, en améliorant le dispositif de prévention et en simplifiant les PPR. Les nombreuses missions confiées notamment à M. Yves Dauge et au président Galley montrent que l'Etat s'est mobilisé sur ce problème, sous l'actuelle majorité comme sous l'ancienne.

Ce qui justifie la création d'une nouvelle commission d'enquête, c'est l'ampleur du phénomène depuis quelques mois, et tout d'abord l'abondance des pluies. En Bretagne, on estime qu'il est tombé, entre octobre 2000 et mars 2001, l'équivalent d'une année de précipitations, ce qui ne s'était pas produit depuis l'hiver 1960-1961. La même constatation pourrait être faite dans d'autres régions françaises : en Franche-Comté, les précipitations du mois de mars ont atteint trois fois la normale. Au cycle classique -pluies abondantes, saturation des sols, fort ruissellement, concentration rapide des eaux dans les vallées- s'ajoute cette année une reconstitution exceptionnelle des nappes phréatiques, qui installe l'inondation dans la durée. C'est le plus dur à supporter pour les populations. Si la Somme est le cas le plus emblématique, le problème se pose ailleurs. Dans le Calvados, le périphérique sud de Caen, fermé le 23 mars, n'a été rouvert qu'hier, et seulement en partie. Dans certaines communes du département les maisons sont toujours inondées.

La répétition des inondations, leur gravité, leur durée, justifient la création d'une commission d'enquête. Celle-ci devra d'abord s'interroger sur les causes du phénomène, ce qui offrira peut-être l'occasion de faire le point sur notre connaissance du climat. La montée des inondations est-elle liée au réchauffement planétaire, aux émissions excessives de gaz à effet de serre ? Quelle est la part des facteurs anthropiques dans cette succession de catastrophes ? L'action de l'homme est souvent un facteur aggravant. C'est le cas de l'urbanisation mal maîtrisée à proximité des cours d'eau. Dans ma commune, fréquemment inondée, l'occupation remonte aux Gallo-Romains : on ne saurait en rendre responsable les services de l'Etat.. (Sourires) On peut aussi évoquer la transformation des pratiques agricoles, les effets néfastes des remembrements, de l'arrachage des haies, du drainage des sols et des prairies. La mise en place des quotas laitiers, dans le bocage normand notamment, a profondément modifié les pratiques agricoles, sans pourtant que cette région ait connu beaucoup de remembrements.

La commission d'enquête devra également examiner l'efficacité des outils dont nous disposons pour prévenir, remédier, et indemniser.

Ainsi le système d'indemnisation des catastrophes naturelles prévu par la loi du 13 juillet 1982 semble aujourd'hui atteindre ses limites. Depuis début 2001, 2 575 dossiers de communes ont été examinés par la commission interministérielle chargée de la déclaration de l'état de catastrophe naturelle. Les dossiers concernant les inondations et les coulées de boue, premier poste de dépenses du régime, ont augmenté de près de 50 % en 2000. Pour la première fois, l'Etat a dû apporter, l'an dernier, une dotation de 2,9 milliards de francs à la caisse centrale de réassurance, en raison des multiples inondations de 1999. La hausse des franchises à partir du 1er janvier 2001 ne suffira probablement pas à rétablir l'équilibre financier du système.

De plus, la modulation des franchises en fonction de l'existence d'un plan de prévention des risques privilégie la sanction au détriment de la prévention. Rien n'est fait pour inciter les compagnies d'assurance à promouvoir chez leurs clients des solutions de remise en état moins vulnérables.

La commission d'enquête devra également se pencher sur le coût économique des inondations pour les entreprises, les commerçants, les agriculteurs, les collectivités locales. A titre d'exemple, les inondations de 1995 à Cannes ont fait perdre 80 000 voyages au syndicat des transports de l'agglomération. Les méthodologies nouvelles élaborées par le CEMAGREF permettent de mieux estimer les coûts et donc de légitimer les travaux de lutte contre les inondations.

La commission devra aussi s'interroger sur les moyens d'améliorer la prévention. Des progrès ont été faits dans les systèmes d'alerte : radars météo et capteurs donnent des indications précises sur les débits -encore faut-il que les informations soient transmises rapidement aux maires et ce n'est pas toujours le cas.

Les documents cartographiques et les outils de prévention ont été simplifiés et améliorés par la loi de 1995, mais il reste encore beaucoup à faire.

La diminution des risques passe aussi par des travaux hydrauliques pour protéger les secteurs habités : mais ceux-ci doivent s'inscrire dans une politique des bassins versants, comme l'a souligné le préfet d'Ille-et-Vilaine, M. Guéant, à l'occasion de la réunion de la mission interministérielle sur les inondations qui s'est tenue mardi à Rennes. Pour éviter la formation du ruissellement, la multiplication des micro-ouvrages et la couverture hivernale des sols devraient être encouragées. La redéfinition de la politique agricole commune, la modulation des aides doivent favoriser les bonnes pratiques agri-environnementales. Il faut notamment préserver ou restaurer les zones humides mises à mal par la culture hégémonique du maïs irrigué. La notion de développement durable doit nourrir toutes les politiques d'Etat. En février 1999, le Premier ministre avait confié à Yves Dauge, député-maire de Chinon, une mission sur la mise en place d'un cadre de débat et de concertation dans le domaine des inondations. En effet, les leçons de l'expérience, la mémoire des sinistres passés sont un élément essentiel pour une bonne prévention.

Mais il faudra aller plus loin dans les préconisations : le président de la commission interministérielle sur les inondations en Bretagne, M. Philippe Huet, a même évoqué le déplacement d'entreprises situées dans les zones à risques.

Cette commission d'enquête devra faire des propositions pour adapter et renforcer la panoplie d'outils en matière d'alerte, de prévention et d'indemnisation des catastrophes naturelles. Comme mes collègues du groupe socialiste, je crois nécessaire de la créer (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Jacques Masdeu-Arus - Si l'eau est synonyme de vie, elle peut aussi être à l'origine de grands malheurs.

Cela fait plusieurs mois, voire plusieurs années, que notre pays est touché par des inondations exceptionnelles qui n'ont épargné presque aucune région. Nous savons le drame que vivent les habitants de la Somme, où des dizaines de communes ont été submergées par le gonflement de la nappe phréatique. Cet exemple suffit à démontrer les répercussions dramatiques des inondations sur la population, mais aussi sur le tissu économique et les infrastructures.

Les inondations constituent dans notre pays un risque déterminant : une surface de 22 000 km2 , comprenant 7 600 communes et 2 millions de riverains, est reconnue particulièrement inondable. Au total, le risque menace 5 à 7 % du territoire national et 10 % de la population.

C'est par exemple, le cas de Poissy, où la récente crue de la Seine a inondé plusieurs secteurs de la ville dont l'île des Migneaux. Bien qu'habitués à de tels phénomènes, ses habitants n'avaient jamais assisté à une montée des eaux aussi brutale, aussi importante et aussi longue. Je suis très préoccupé par le fréquence croissante des crues de la Seine, notamment dans les Yvelines.

Le CEMAGREF estime que les inondations provoquent 75 % des dégâts produits par l'ensemble des catastrophes naturelles. D'autres études les évaluent à 3 milliards de francs par an.

Face à ce constat, une intervention du législateur s'avère nécessaire. C'est pourquoi, je salue la discussion, dans le cadre de la niche du groupe RPR, d'une proposition de résolution visant à créer une commission d'enquête. La recherche des causes aggravantes des inondations est, en effet, une nécessité.

Actuellement, nombre de commentateurs mettent les inondations sur le compte de la pluviométrie exceptionnelle des derniers mois en France. De là à conclure que nous subissons, au niveau mondial, un changement climatique, il n'y a qu'un pas que beaucoup n'hésitent pas à franchir. Mais les scientifiques sont moins catégoriques.

N'oublions pas que d'autres facteurs, liés à l'urbanisme ou à l'environnement, multiplient le risque d'inondation, entre autres la disparition progressive des zones humides qui permettent de stocker d'importantes quantités d'eau pendant les crues, protégeant ainsi les zones en aval. Il est donc nécessaire de maintenir les zones humides et de les protéger afin de ne pas être contraint de les reconstituer artificiellement.

Le fait que l'entretien des rivières soit de plus en plus mal assuré est aussi à prendre en compte. Les curages ne sont plus effectués régulièrement alors qu'ils permettraient de rétablir le cours d'eau dans sa largeur et sa profondeur naturelles. Des efforts doivent également être accomplis pour entretenir les digues, les quais et les berges, ces dernières s'affaissant en raison de la circulation fluviale.

Les équipements de lutte contre les inondations doivent aussi être entretenus de manière régulière et adaptés aux évolutions climatiques. En Ile-de-France, des lacs réservoirs permettent un abaissement des niveaux de la Seine et de la Marne de 40 à 55 centimètres. Mais actuellement leurs capacités de rétention ne suffisent plus à compenser les hectares qui ont été imperméabilisés par l'urbanisation. De nouveaux aménagements sont indispensables.

Il est également nécessaire que la gestion des eaux soit mieux prise en compte dans l'aménagement des villes. Les constructions se sont multipliées sur des zones traditionnellement inondables et l'urbanisation croissante multiplie les surfaces imperméabilisées, incapables d'absorber l'eau. L'utilisation de chaussées-réservoirs, la création de parkings moins étendus mais sur plusieurs niveaux, la réalisation de petits bassins de retenue d'eau peuvent contribuer à la solution de ce problème.

Par ailleurs, une réflexion sur les nombreux dispositifs existants s'impose. On constate trop souvent un éclatement des responsabilités, voire le non-respect de certaines réglementations. Ainsi, s'il appartient aux PPR d'éviter une urbanisation excessive des zones inondables, certains espaces ont néanmoins fait l'objet de constructions pour lesquelles des digues ont ensuite dû être érigées.

Les modifications intervenus dans l'agriculture doivent aussi être prises en considération. L'emploi d'engins agricoles de plus en plus lourds provoque un tassement des terres, qui deviennent moins perméables, et l'emprise croissante des grandes cultures, comme le maïs, laisse les sols nus en hiver, facilitant le ruissellement. Cette situation est due au remembrement, facteur essentiel des inondations qui se produisent sur de vastes bassins versants.

Nous sommes tous conscients que les inondations sont à l'origine de drames humains qui entraînent pour les collectivités des dépenses considérables, ainsi que des dommages parfois irréparables à notre environnement. Les graves inondations de la Somme ont fait ainsi apparaître des risques d'épidémies et ont soulevé le problème de la gestion de l'eau potable.

Je crois donc nécessaire, même vital, de soutenir cette proposition de résolution. Cette initiative législative sera un outil indispensable pour identifier les causes, établir les responsabilités, évaluer les coûts et se doter des mécanismes de prévention appropriés. C'est ainsi que l'on parviendra à limiter les coûts liés à la gestion des inondations (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Jean Launay - L'eau ne se soucie pas des frontières administratives ; dès lors sa gestion relève d'un aménagement global du territoire. Au-delà des drames locaux que nous connaissons actuellement, il faut donc remettre en cause une approche trop sectorielle des inondations, réfléchir à l'échelle du bassin versant, sur le long terme, dans une perspective d'aménagement de l'espace.

Pour mettre en _uvre une stratégie globale de réduction du risque d'inondation, il faut conjuguer la connaissance, l'information, l'alerte, l'aménagement mais aussi la gestion de crise et tirer les leçons de l'expérience.

Où en sommes-nous dans ces différents domaines ?

S'agissant de la connaissance et de l'information, on constate l'absence d'une véritable culture du risque.

La cartographie des zones inondables est réalisée par le département à l'initiative de l'Etat en application de la circulaire du 24 janvier 1994. Mais le cadre départemental est trop fragmenté. L'outil déterminant d'aménagement du territoire serait un document unique et cohérent de l'amont à l'aval. Il servirait de base à l'élaboration de plans de prévention des risques et de POS mieux adaptés.

Par ailleurs, l'absence de diffusion systématique des résultats acquis dans les collectivités, et surtout de débat fait qu'actuellement le risque d'inondation n'est pas pris en compte de façon pertinente dans la plupart des procédures d'urbanisme. Les PRR restent rares, et souvent « subis » par des élus insuffisamment informés, qui y voient une limite aux possibilités de développement de leur commune. Seul un travail collectif à l'échelle du bassin versant améliorera la situation.

L'alerte doit être lancée le plus tôt possible pour faciliter l'évacuation et réduire les dégâts. Cette alerte, ou plus exactement l'annonce du risque, relève de la compétence de l'Etat. Mais en général les départements, le plus souvent réunis au sein d'établissements territoriaux de bassin, prennent en charge le dispositif d'annonce de crues. Reste la question des responsabilités en cas d'erreur de prévision liée aux matériels de mesure. Il faut donc clarifier les compétences, surtout pour les structures mixtes.

S'agissant de la prévention des crues, les collectivités peuvent se grouper pour effectuer des travaux sur les cours d'eau, et la loi sur l'eau de 1992 ainsi que certains SDAGE ont accru les possibilités d'intervention. Cependant les collectivités hésitent à s'engager car leurs responsabilités et celles de l'Etat ou des associations d'entretien ne sont pas clairement définies. Or elles concernent des domaines variés, de la construction des digues à la gestion des populations de ragondins dont les terriers fragilisent les ouvrages. D'autre part, l'absence de recettes spécifiques limite les moyens disponibles.

Dans les vallées non protégées par des digues, les scientifiques prônent de plus en plus l'entretien des cours d'eau et la valorisation des plaines inondables pour réduire l'énergie des crues. Mais les initiatives restent trop rares. Il faudrait par exemple restaurer les chenaux de crue et rouvrir des chenaux secondaires comme les bras morts colmatés. Malheureusement, la réglementation trop contraignante l'empêche souvent. Il faudrait aussi, en ville, traiter les embâcles qui s'accumulent sur les ponts et entretenir les îlots qui se couvrent de végétation et freinent l'écoulement des eaux. Mais souvent, l'Etat ne le fait plus régulièrement et les financements sont très insuffisants.

S'agissant enfin de la réparation des dégâts, les collectivités territoriales sont bien sûr très concernées par la remise en état des infrastructures. Mais l'expérience montre la nécessité d'engager une réflexion très anticipée entre l'Etat, les collectivités et les assureurs pour améliorer la situation. Préparer la gestion de la crue et de la période qui suit conditionne le redémarrage.

En résumé, même si les responsabilités ne sont pas clairement définies, l'Etat a pour mandat d'assurer l'alerte, ce qu'il fait globalement dans de bonnes conditions. Mais pour gérer les inondations, il faut se mobiliser sur des actions d'aménagement du territoire.

Les collectivités s'y impliquent, notamment dans les établissements publics territoriaux de bassin.

Dans l'avenir, il faudra pratiquer une gestion mieux intégrée des bassins versants et des plaines alluviales, qu'il s'agisse d'études de travaux, en intégrant dans une même démarche l'écologie du cours d'eau et la gestion des débits. Il faudra aussi mieux assurer la liaison entre services de l'Etat, régions, départements et maires des communes riveraines. Il faudra enfin mieux diffuser les connaissances et faire débattre de la gestion des fleuves.

L'expert évalue le risque, mais c'est le politique qui le gère. Traiter de façon globale de la gestion des fleuves est donc nécessaire pour assumer au mieux notre mandat (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Alain Ferry - Je salue d'abord le courage de nos concitoyens picards, victimes d'une terrible catastrophe, et celui des sauveteurs.

Le bilan est lourd : plus de 3 000 habitations noyées, plus de 1 000 personnes évacuées. Tous doivent se mobiliser pour remettre en état, reconstruire. Pour les familles, le choc psychologique est terrible.

Des associations, la Croix Rouge, des entreprises, des collectivités, des particuliers ont déjà pris de nombreuses initiatives. Je citerai celle de mon collaborateur, Frédéric Rousse, qui a sollicité l'aide de tous les assistants parlementaires. L'Assemblée a mis gracieusement à leur disposition une boite postale.

La solidarité est donc exemplaire. Désormais, on se demande : à qui la faute, comment faire pour que cela ne se reproduise plus ?

Les inondations sont dans notre pays le risque naturel majeur, qui menace plus de dix millions de personnes. Mais d'autres catastrophes nous ont frappés, au point d'entrer peu à peu dans notre quotidien. Ainsi la politique de l'environnement que nous conduirons demain ne devra être ni futile ni électoraliste, mais adaptée à l'ampleur des besoins. C'est aussi l'inefficacité des pouvoirs publics et la carence des politiques de prévention qui a suscité l'exaspération des populations.

Il faut agir rapidement, et je soutiens sans réserve la création de la commission d'enquête.

Dans les plus brefs délais, elle devra faire le point sur la situation climatique et pluviométrique de la France et de l'Europe. Elle devra aussi considérer les risques liés au réchauffement de la planète. La réflexion doit également porter sur l'adéquation du dispositif mis en place pour gérer les situations d'urgence, et ce à la lumière des conclusions du rapport de la Cour des comptes de 1999, qui a consacré une partie de ses analyses à la prévention des inondations. Elle y relève notamment l'obsolescence du cadre juridique de base et le caractère déresponsabilisant du régime d'indemnisation des victimes.

Des propositions devront être faites afin de mieux coordonner les actions de l'Etat et celles des collectivités locales. Il conviendra aussi d'accentuer la solidarité intercommunale sur l'ensemble des bassins versants de doter la gestion du risque « inondation » d'instruments juridiques adéquats, et de remettre de l'ordre entre les différents niveaux de responsabilités, Etat, services techniques, élus, propriétaires riverains... Il nous faudra dresser le bilan des dégâts et chiffrer le coût des inondations. Je demande aussi que le financement des politiques de prévention soit revu à la hausse de façon à être plus en rapport avec le montant des dégâts.

Il conviendra enfin de poser clairement le problème de l'urbanisation des zones inondables souvent mal maîtrisée. En dépit de la décentralisation, l'Etat est en mesure d'exercer un contrôle. Or celui-ci n'est pas toujours aussi strict qu'il devrait, comme l'a souligné le rapport de la Cour des comptes. De véritables plans de prévention des risques devront être mis en place dans les communes qui n'en sont pas encore dotées.

Au-delà, il importera de faire le point sur les responsabilités en matière de gestion des eaux, de maîtrise de l'urbanisation, d'aménagement du territoire et d'évolution des pratiques agricoles. Autant de pistes de réflexion que la commission d'enquête devra explorer afin de déboucher sur des propositions concrètes et cohérentes de prévention. Dans cette perspective, je voterai pour sa création (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Jean-Pierre Soisson - Les élus de la Somme, M. de Robien, M. Fleury, M. Gremetz, ont dressé le lourd bilan des inondations dans ce département, mais d'autres élus sont également intervenus tant il est vrai que les inondations constituent un problème national et un risque naturel majeur. Pour ma part, je m'intéresse au sujet depuis longtemps car l'Yonne déborde régulièrement, inondant les bas quartiers d'Auxerre. Je m'y intéresse aussi en tant que magistrat de la Cour des comptes, laquelle a maintes fois attiré l'attention des pouvoirs publics sur le phénomène, en particulier dans son rapport public de 1999, où elle souligne le manque de coordination des moyens et l'insuffisance des dispositifs juridiques.

Mon sentiment profond est qu'il n'y a pas de fatalité de la crise mais que nos politiques de prévention sont insuffisantes. Or si nous ne faisons rien, Paris et la région parisienne seront à nouveau inondées. La gestion au jour le jour des barrages de Champagne ne suffira pas. Et ce que je dis là vaut pour d'autres cours d'eau et d'autres régions. Comme M. Launay, j'appelle donc de mes v_ux une politique nouvelle de gestion de l'eau.

L'Assemblée nationale est pleinement dans son rôle en créant une commission d'enquête sur le sujet. Sur la base de ses conclusions et de l'état des lieux qui sera dressé, le Gouvernement pourra nous proposer des textes plus ambitieux, étant entendu que l'effet de serre va accentuer le phénomène et que les grandes crues sont, j'en suis convaincu, devant nous. C'est pourquoi je souhaite que l'Assemblée, dans sa diversité politique et géographique, puisse à partir de la catastrophe de la Somme se saisir plus largement du problème et proposer des solutions (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

La discussion générale est close.

M. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'économie solidaire - Mme Dominique Voynet aurait aimé être avec nous ce matin, mais elle préside, à l'OCDE, la session ministérielle « environnement et finances » sur le Développement durable, prévue de longue date, et m'a donc chargé de la représenter.

Je remercie tous les intervenants de la qualité de leurs propos qui ont permis de poser les vrais problèmes. Toutefois, en vertu du principe de séparation des pouvoirs législatif et exécutif, le Gouvernement ne s'exprimera que brièvement sur une proposition à laquelle il adhère et sur laquelle beaucoup de choses viennent d'être dites.

Mes pensées vont d'abord à nos concitoyens en détresse. Devant de telles situations, qui ont successivement touché plusieurs régions françaises en raison d'une pluviométrie tout à fait exceptionnelle, croyez bien que l'Etat ne ménage pas ses efforts, à la fois en mobilisant ses personnels sur le terrain, et en prenant rapidement les décisions nécessaires pour l'indemnisation des victimes et la réparation des dommages.

Les pouvoirs publics mènent également des actions de prévention. Depuis 1994, le Gouvernement a donné la priorité, dans le plan décennal de prévention des risques naturels, à la limitation d'implantations nouvelles en zone inondable. Le but est d'échapper à la spirale de l'aggravation des dommages provoqués par les grands travaux d'endiguements qui réduisent l'effet régulateur des champs naturels d'inondation et qui, en cas d'événements extrêmes, ne protègent pas les installations nouvelles censées être à l'abri.

Les moyens prévus dans ce plan s'étant révélés insuffisants, les pouvoirs publics ont pris, de 1997 à 2001, de nombreuses mesures : les moyens destinés à l'identification des zones inondables et à l'élaboration de plans de prévention des risques sont passés de 30 millions de francs en 1997 à 110 millions de francs en 2001 ; ceux consacrés à l'annonce des crues de 38 millions de francs en 1997 à 53 millions de francs en 2001 ; enfin les travaux de restauration des cours d'eau et de protection des lieux habités ont vu également leurs moyens s'accroître et ont été inscrits dans les contrats de plan conclu entre l'Etat et les régions pour les années 2000 à 2006.

Au-delà de ces actions, la question de la pertinence d'aménagements plus importants sur les cours d'eau pour réduire l'importance des inondations est régulièrement posée. Seules une expertise et une gestion à l'échelle des bassins versants peuvent permettre de définir des stratégies adaptées portant à la fois sur la gestion des sols agricoles, la maîtrise des eaux de pluies dans les zones imperméabilisées, la reconstitution des zones naturelles d'expansion des crues et d'éventuels aménagements plus lourds. Le cadre des schémas d'aménagement et de gestion des eaux semble le plus approprié pour conduire ces analyses.

Le projet de loi sur l'eau, qui sera prochainement adopté en conseil des ministres, comporte des dispositions visant à faciliter l'élaboration de ces SAGE ainsi que des mesures destinées à renforcer la capacité d'intervention des collectivités territoriales et des agences de l'eau. Il autorise en particulier les collectivités territoriales à instituer à leur profit, sur des zones non construites naturellement inondables, des servitudes indemnisables propres à permettre une rétention temporaire des eaux excédentaires en période de crue. Il permettra enfin aux agences de l'eau d'intervenir pour prévenir les inondations. Sur les grands fleuves domaniaux, dont la gestion relève de l'Etat, des plans de grande envergure, conciliant prévention des inondations et restauration écologique sont mis en _uvre : je pense en particulier à la Loire et au Rhin.

Comme vous le voyez, l'action du Gouvernement en matière de prévention des inondations a été récemment renforcée et le projet de loi sur l'eau permettra encore d'en accroître l'efficacité.

Il y a quatre ans, j'ai rendu un rapport sur les créations d'emplois possibles dans le domaine de l'environnement. L'eau en constituait bien sûr l'un des chapitres les plus importants.

La gestion par bassin versant est l'une des questions à poser, de même que celle des écoulements, de l'entretien des berges, des fossés, des haies, des marais, des prairies humides... Combien de fois a-t-on vu le maïs se substituer au carex, au jonc, à la saponaire et à la cardamine ? Les zones labourables à celles de rétention naturelle ? On voit bien qu'il y a un ensemble de mesures de précaution à prendre.

Il faut aussi interpeller les assurances. J'avais moi-même rencontré à l'époque M. Kessler, qui m'avait dit que si l'Etat s'engageait davantage, les assurances répondraient présent. De fait, il est de l'intérêt de tous les partenaires d'investir plus de matière grise et de moyens dans la prévention. Il y a là des pistes de réflexion.

Enfin, il faut poser la question de la rétention de l'eau dans les zones urbanisées. La surface de nos villes s'est trouvée imperméabilisée à plus de 70 % depuis trente ans : l'eau ne pénètre plus les sols et vient gonfler les réseaux. Or certaines villes d'Europe ont su établir des plans de végétalisation et de rétention de l'eau, qui permettent de retenir plus de 50 % de l'eau apportée par les précipitations. Nous devons nous inspirer de ces exemples.

M. Jean-Pierre Soisson - Vous avez tout à fait raison.

M. le Secrétaire d'Etat - Un réseau dont la capacité d'absorption est de 1,3 milliard de mètres cubes ne peut pas en absorber 4 milliards...

Bien sûr, il faut gérer les situations de crise ; je ferai passer les messages qui ont été exprimés à ce sujet. Mais il faut aller au bout de la réflexion sur l'agro-environnement, sur la répartition des aides et sur la prise en compte des efforts que peuvent consentir des communes ou des professionnels au nom de l'intérêt général.

Par ailleurs, les sociétés coopératives d'intérêt collectif faciliteraient les partenariats locaux. Enfin, j'ai confié à M. Viveret une mission sur les indicateurs de richesses, qui permettraient de savoir à quel moment il devient financièrement plus intéressant pour la collectivité d'investir dans la prévention que de réparer les dégâts. Le rapport emploi-environnement estimait à 20 000 le nombre d'emplois potentiels dans ce domaine, notamment au bénéfice de personnes qui ont des difficultés d'insertion.

Je me réjouis que sur un sujet aussi grave, l'Assemblée ait su dépasser ses clivages. Je ne doute pas qu'elle saura formuler des propositions utiles. La Ministre de l'environnement et le Gouvernement tout entier sont tout à fait favorables à cette initiative et seront à l'écoute des conclusions de vos travaux (Applaudissements sur tous les bancs).

M. le Président - J'appelle maintenant, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du Règlement, l'article unique de la proposition de résolution dans le texte de la commission.

Je suis saisi par le groupe communiste d'une demande de scrutin public.

Avant de mettre aux voix l'article unique, j'indique à l'Assemblée que, conformément aux conclusions de la commission, le titre de la proposition de résolution est ainsi rédigé : « Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les causes des inondations répétitives ou exceptionnelles et sur les conséquences des intempéries afin d'établir les responsabilités, d'évaluer les coûts ainsi que la pertinence des outils de prévention, d'alerte et d'indemnisation ».

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EXPLICATION DE VOTE

M. Maxime Gremetz - Au nom des habitants de la Somme, je veux remercier nos collègues et tous les élus qui, dans toute la France, leur ont exprimé de manière concrète leur solidarité.

A l'unanimité des 24 suffrages exprimés sur 24 votants, l'article unique est adopté.

M. le Président - Afin de permettre la constitution de la commission d'enquête dont l'Assemblée vient de décider la création, MM. les présidents des groupes voudront bien faire connaître, conformément à l'article 25 du Règlement, avant le mardi 22 mai 2001, à 17 heures, le nom des candidats qu'ils proposent.

La nomination prendra effet dès la publication de ces candidatures au Journal officiel.

Prochaine séance cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à 11 heures 40.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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