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Session ordinaire de 2001-2002 - 9ème jour de séance, 19ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 17 OCTOBRE 2001

PRÉSIDENCE de Mme Nicole CATALA

vice-présidente

Sommaire

      RISQUES INDUSTRIELS MAJEURS 2

      LOI DE FINANCES POUR 2002 (suite) 16

      DISCUSSION GÉNÉRALE (suite) 16

La séance est ouverte à neuf heures.

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RISQUES INDUSTRIELS MAJEURS

L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission de la production et des échanges sur les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les risques industriels majeurs.

Mme la Présidente - J'indique que le rapport de la commission de la production porte sur les sept propositions de résolution de M. André Aschieri, de MM. Philippe Douste-Blazy, Jean-Louis Debré et Jean-François Mattei, de M. Noël Mamère, de M. Alain Bocquet, de M. Jean-Jacques Guillet, de M. Jean-Marc Ayrault et de M. Philippe de Villiers.

M. Maxime Bono, rapporteur de la commission de la production - L'explosion de l'usine Grande paroisse-AZF de Toulouse est la plus grande catastrophe industrielle que notre pays ait connue depuis la rupture du barrage de Malpasset. Vous en connaissez tous le terrible bilan.

Alors que les plaies sont encore vives, la commission de la production tient d'abord à exprimer sa compassion aux victimes de ce drame et à leurs familles et à saluer le dévouement et l'efficacité des sauveteurs ainsi que l'élan de solidarité qui s'est immédiatement manifesté à Toulouse et dans l'ensemble du pays.

Si l'aide aux victimes est aujourd'hui prioritaire - le Premier ministre a d'ailleurs indiqué le 2 octobre que la solidarité nationale jouerait et que l'aide cumulée de l'Etat s'élèverait à 1,5 milliard de francs -, il importe aussi de réunir dès à présent les conditions susceptibles d'éviter la répétition de catastrophes de ce type. Tel est l'objet des sept propositions de résolution qui ont été déposées en vue de créer une commission d'enquête relative aux risques industriels. Elles émanent des députés appartenant à l'ensemble des groupes de l'Assemblée nationale ce qui démontre, s'il en était besoin, toute la nécessité d'une enquête parlementaire. Reste à en définir le champ d'investigation. A cet égard, les propositions de résolution s'avèrent très différentes. Trois d'entre elles tendent à créer une commission d'enquête dont le champ d'investigation inclurait la protection des activités industrielles contre des attaques terroristes. Elargir ainsi le champ paraît difficile à la commission, compte tenu du temps limité imparti aux commissions d'enquête par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, aux termes duquel leur mission prend fin par le dépôt de leur rapport, au plus tard à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de l'adoption de la résolution qui les a créées. Une commission d'enquête ne pourrait raisonnablement étudier à la fois les risques d'accident et les risques d'attaque. Il est donc préférable qu'elle s'en tienne à l'analyse des premiers, d'autant plus que le risque terroriste fait déjà l'objet d'une mission d'information, qui a été créée le 19 septembre et a déjà commencé ses travaux. La commission n'a donc pas jugé souhaitable de retenir la proposition de résolution n° 3287 de M. Jean-Jacques Guillet, qui propose d'étudier la protection des sites industriels dangereux, la préoccupation principale de son auteur étant bien la protection contre les attaques terroristes.

Il en est de même de la proposition de résolution n° 3304 de M. Philippe de Villiers, qui inclut dans le champ des travaux « la responsabilité de l'Etat sur les questions d'ordre public et de sécurité nationale face aux menaces terroristes », et de la proposition de résolution n° 3264 de M. André Aschieri, qui tend à créer une commission d'enquête relative aux risques d'attaques terroristes contre le site de la Hague.

Deux autres propositions de résolution incluent dans le champ de l'enquête l'étude des circonstances ayant conduit à la catastrophe de Toulouse. Il s'agit des propositions de résolution n° 3285 de M. Noël Mamère et n° 3286 de M. Alain Bocquet.

La première propose en outre de « faire le point sur la situation des usines classées à risque majeur » et sur l'application de la directive « Seveso II ». La commission estime que ces thèmes font partie de ceux qu'il convient d'étudier.

La seconde en évoque notamment le renforcement des dispositions relatives à la formation et au statut des personnels des établissements industriels présentant des risques majeurs et à l'hygiène, à la sécurité et aux conditions de travail dans ces sites. Il paraît en effet essentiel de mettre ainsi l'accent sur le rôle des salariés qui sont à la fois les premiers garants de la sûreté des installations les plus exposés au risque.

Si l'intérêt de ces deux propositions est incontestable, la commission ne les a pas retenues, car elles conduiraient à mener une étude très technique. Or, ce n'est pas là le plus important.

En outre, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 dispose, en application du principe de séparation des pouvoirs, qu'« il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ». On peut donc, indépendamment de la question de leur opportunité, émettre des réserves sur la recevabilité de ces deux propositions.

Restent les propositions de résolution n° 3284 de M. Philippe Douste-Blazy, Jean-Louis Debré et Jean-François Mattei qui vise à créer une commission d'enquête « relative à la prévention des risques majeurs technologiques » et précise que celle-ci devra notamment :

« faire le point sur l'application des dispositions législatives en vigueur relatives à l'évaluation et à la prévention des risques sur les 1 250 sites Seveso de France,

« - évaluer les moyens dont dispose l'administration pour inspecter ces installations,

« - étudier les systèmes de prévention des risques liés aux transports de marchandises dangereuses,

« - faire le point sur le contrôle des dépôts d'explosifs » et n° 3289 de M. Jean-Marc Ayrault, qui tend à créer une commission d'enquête « sur la sécurité des personnes et la protection de l'environnement face au risque biologique, technologique et industriel » et précise que la commission s'intéressera particulièrement, « à la prévision, l'évaluation et à la limitation des risques inventoriés » et « aux réformes qu'appelle le déplacement à l'échelle humaine du risque environnemental : en termes de coordination de l'intervention, de protection des populations, d'édification de l'expertise et d'information comme de contrôle démocratique des salariés et des citoyens ». La comparaison de ces deux propositions amène à observer que la proposition de M. Jean-Marc Ayrault inclut dans le champ d'investigation l'analyse des dispositifs de protection des populations et de l'environnement en cas d'accident alors que celle de M. Philippe Douste-Blazy limite les travaux de la commission à la seule prévention du risque, ce qui paraît trop restrictif.

La première présente également l'avantage de mentionner explicitement le développement de l'information et le contrôle démocratique des salariés et des citoyens qui est une nécessité absolue.

Enfin, la proposition de M. Douste-Blazy conduirait à étudier les risques liés aux transports de marchandises dangereuses. Ceux-ci méritent le plus grand intérêt mais relèvent, comme le terrorisme, d'une problématique très différente. Elargir le champ de la commission d'enquête à ces questions paraît donc difficile compte tenu du temps limité dont celle-ci disposera. Rappelons-nous tout le temps qu'a exigé la seule question des transports maritimes après le naufrage de l'Erika.

La commission a donc retenu la proposition de M. Jean-Marc Ayrault, qu'elle a amendée pour inclure l'ensemble des propositions propres à être retenues, ses deux amendements ayant eux-mêmes été sous-amendés par MM. Jean-Yves Le Déaut et Pierre Ducout.

Il vous est donc proposé de créer une commission d'enquête qui devra étudier « la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche », et « la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur ».

L'article unique de la proposition de résolution dispose qu' « il est créé, en application de l'article 140 du Règlement, une commission d'enquête de trente membres sur la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche et sur la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur. Elle étudiera notamment les conditions techniques de dimensionnement des installations.

Cette commission dressera l'inventaire de la réglementation visant à prévenir et à limiter les risques liés aux accidents industriels. Elle en évaluera la pertinence. Elle analysera l'adéquation et l'efficacité des moyens mis en _uvre pour assurer l'application de cette réglementation et pour garantir la protection des salariés, des populations et de l'environnement. Elle s'intéressera particulièrement aux dispositions propres à renforcer le contrôle démocratique des citoyens et le rôle des salariés notamment par l'association des salariés à la prévention des risques et le renforcement de leur formation et à garantir l'information des populations et la diffusion des conduites de sécurité » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Yves Cochet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - Le drame survenu à Toulouse le 21 septembre 2001 est la plus grave catastrophe industrielle qu'ait connu le sol européen depuis cinquante ans. Mes premières pensées vont aujourd'hui aux victimes de l'explosion et à leurs familles. Je rappelle ici mon chaleureux soutien à nos concitoyens qui ont connu ou connaissent aujourd'hui des situations de détresse.

L'Etat n'a, croyez-le bien, pas ménagé ses efforts, qu'il s'agisse de mobilisation de ses personnels sur le terrain ou de la rapidité des décisions prises pour l'indemnisation des victimes et la réparation des dommages. Le Premier ministre a annoncé le 28 septembre un plan d'action dont l'ampleur - 300 millions d'euros - montre l'engagement de l'Etat.

Ce drame a marqué l'esprit de nos concitoyens pour longtemps et, comme pour Feyzin en 1966, il y aura un avant et un après Toulouse. Comment en effet supporter de vivre, souvent sans bien le savoir, à côté de ce qui, en quelques secondes, peut provoquer des dizaines de morts, des milliers de blessés et des milliards de francs de dégâts ? Il devient donc indispensable d'élever le niveau de sécurité technologique et industriel de notre société, de développer une véritable culture de la sécurité. Les activités humaines créent des risques : danger industriel, nucléaire ou biologique, rupture de barrage, transport de matières dangereuses... Les principaux risques encourus sont l'explosion, l'incendie et la dissémination de matières dangereuses et l'éventail des conséquences va des dégâts matériels, heureusement les plus nombreux, à la mort ou aux blessures graves. C'est le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement qui est chargé de la prévention des risques industriels, sur la base des dispositions relatives aux installations classées du code de l'environnement. Celles-ci soumettent les activités industrielles à autorisation préfectorale ou à déclaration selon le degré de danger qu'elles présentent. On compte aujourd'hui 500 000 installations soumises à déclaration et 65 000 à autorisation. Elles sont contrôlées par 869 inspecteurs des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement et 230 inspecteurs des services vétérinaires. Le Premier ministre a annoncé le 28 septembre la création de 100 postes supplémentaires.

Mme Odette Grzegrzulka - Très bien !

M. le Ministre - C'est un premier pas vers notre objectif de doublement.

L'accident de Seveso en Italie le 10 juillet 1976 a entraîné une prise de conscience du risque technologique majeur. Le 24 juin 1982 était adoptée une directive européenne, connue sous le nom « Seveso I », relative au recensement des accidents potentiels et à la prévention des risques. Elle a été transposée en droit français dans la législation sur les installations classées. La nouvelle directive « Seveso II » du 9 décembre 1996 étend et simplifie la première. Elle met l'accent sur les mesures de prévention, notamment de nature organisationnelle. En France, 1 249 établissements sont visés par cette directive, dont 670 étaient déjà concernés par Seveso I.

Les quatre régions les plus concernées sont Rhône-Alpes, le Nord-Pas-de-Calais, la Haute-Normandie et Provence-Alpes-Côte-d'Azur.

Entre autres obligations réglementaires, les exploitants des installations à risque sont tenus de réaliser une étude de danger. Dans certains cas, cette étude est complétée, à la demande du préfet, par une analyse critique réalisée par un organisme tiers tel que l'INERIS ou l'IPSN. La directive Seveso II impose d'examiner les conséquences d'un accident sur les installations voisines. C'est l'effet « domino » qui n'a heureusement pas eu lieu à Toulouse. Les études de danger devaient, à ce titre, être révisées pour le 3 février 2001. Un retard important a été pris par les entreprises et, par un hasard malheureux, j'avais demandé aux préfets réunis par le ministre de l'intérieur la veille de l'accident le 20 septembre, de veiller à ce que ces études soient toutes remises pour la fin de l'année.

Ces études comportent une analyse méthodique des risques et des mesures prises par l'entreprise pour les maîtriser. Elles constituent aussi la base indispensable à l'établissement des plans de secours : le plan d'opération interne, qui organise les secours à l'intérieur de l'établissement et dans son environnement immédiat, et le plan particulier d'intervention, qui s'applique hors des limites de l'établissement.

Ces études de danger permettent également d'organiser l'information des populations et la maîtrise de l'urbanisation autour des sites industriels à risque. Cette dernière question a fait, ces dernières semaines, l'objet de polémiques multiples. Je vous rappelle qu'en 1987 votre assemblée n'a imposé de servitudes d'utilité publiques indemnisables à la charge de l'exploitant qu'autour des établissements nouveaux.

Mme Odette Grzegrzulka - C'est que nous n'avions pas la majorité.

M. le Ministre - M. Richard, aujourd'hui ministre de la défense, avait d'ailleurs déposé des amendements pour étendre ces dispositions. En effet, les mesures relatives à l'urbanisation autour des établissements existants sont, elles, moins contraignantes. Il faudra rouvrir ce débat.

Ainsi, une véritable politique de maîtrise des risques industriels est menée depuis une vingtaine d'années, mais qui n'est pas suffisante. Toulouse nous contraint à revoir les responsabilités de chacun : entreprises bien sûr, mais aussi législatif, exécutif et collectivités territoriales. Le Premier ministre a d'ailleurs souhaité engager une réflexion avec tous les acteurs - élus, industriels, organisations syndicales et scientifiques, associations, services de l'Etat mais aussi médias - sur la cohabitation entre les activités à risque et les autres, notamment, comme c'était le cas à Toulouse, les activités commerciales.

Il a chargé Mme Lienemann, M. Pierret et moi-même d'organiser ce débat et demandé à M. Philippe Essig de coordonner la réflexion. Des débats régionaux se tiendront en novembre, puis une table ronde nationale sera organisée avant la mi-décembre. Un rapport d'ensemble mettra ensuite en évidence les principales préoccupations ainsi que les recommandations qui auront été exprimées.

Je ne doute pas que le Parlement, à l'occasion de sa mission de contrôle, émette des propositions susceptibles d'éclairer le Gouvernement sur les actions complémentaires qui pourraient être menées. Je me réjouis que sur une question aussi grave, l'Assemblée ait pu dépasser ses clivages. Le Gouvernement et moi-même sommes donc tout à fait favorables à votre initiative et serons à l'écoute des conclusions de vos travaux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Paul Dhaille - Comme après le naufrage de l'Erika, comme après les inondations de la Somme, l'Assemblée va donc créer une commission d'enquête. Il ne s'agit pas de déterminer les responsabilités judiciaires, mais de tirer les leçons d'une catastrophe et de proposer des améliorations de la législation. Les députés radicaux de gauche approuvent totalement cette initiative.

Il appartient au législateur d'étudier les raisons qui ont conduit 29 salariés à la mort et des centaines d'autres au traumatisme et au handicap. En effet, les conditions d'un pareil drame sont réunies dans de nombreuses autres régions et il faut tout faire pour éviter qu'il se renouvelle. Le renforcement des pouvoirs des CHS-CT, le rôle des associations, l'actualisation des POI et des PPI sont à cet égard particulièrement importants. La qualification des salariés et leur statut, parfois précaire, la réduction des arrêts-matière, le choix des entreprises sous-traitantes doivent faire l'objet d'une vigilance particulière, d'autant que les activités de secours des entreprises sont de plus en plus souvent externalisées. Je rappelle au passage que la doctrine du confinement appliquée en France ne pouvait pas fonctionner à Toulouse (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe socialiste).

Je voudrais insister sur trois points. En matière de risques technologiques, la position française a souvent hésité entre la sécurité passive, qui délimite des cercles de danger, et la sécurité active, qui mise sur l'évolution des techniques de stockage et de production. Pourtant, à Toulouse comme souvent ailleurs, l'urbanisation a fini par rejoindre des usines à risque anciennement implantées. Le problème est donc d'actualité.

Deuxième point, les députés radicaux de gauche regrettent que la question du transport des matières dangereuses ait été écartée de l'objet de la commission. Il existe pourtant des réponses adaptées, comme les couloirs de pipelines ou le transport ferroviaire en site propre. Il est évident que l'accumulation de wagons-citernes transforme une gare de triage en centre de stockage qu'il faut sécuriser.

Troisième question qui a été posée suite à la catastrophe de Toulouse, celle de la fermeture et du déplacement des usines à risque. Cette proposition pose de nombreux problèmes, notamment celui de la capacité de la France à rester un pays producteur dans le domaine de la chimie et de la biochimie. Cette question fera-t-elle partie de celles examinées par la commission d'enquête ?

Sous réserve de ces observations, les députés radicaux de gauche voteront très volontiers cette proposition de résolution (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe UDF).

M. Christian Estrosi - Mes premières pensées vont, ce matin, vers la population de Toulouse et les familles des victimes. J'assure le maire de Toulouse de notre sympathie et de notre solidarité dans cette épreuve.

La catastrophe de Toulouse prouve l'urgence de trouver des solutions techniques, mais aussi politiques, afin de concilier protection de l'environnement et développement économique.

C'est un vrai débat de fond, avec de nouveaux défis à relever, qui ne concernent d'ailleurs pas que l'industrie. L'agriculture française doit aussi être écologiquement responsable, tout en restant forte et compétitive.

L'explosion de l'usine Grande Paroisse-AZF de Toulouse, le 21 septembre dernier, constitue la plus grande catastrophe industrielle dans notre pays depuis la rupture du barrage de Malpasset en 1959. Elle a provoqué une onde de choc dans toute la France et nous devons en tirer tous les enseignements. Les groupes RPR, UDF et DL de l'Assemblée nationale ont d'ailleurs immédiatement déposé une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête parlementaire sur la prévention des risques majeurs technologiques. Je me félicite que celle-ci soit créée et je souhaite que ses recommandations contribuent à l'élaboration d'un dispositif plus global et plus performant de prévention des risques.

Il s'agit de faire le point sur les directives dites « Seveso I » et « Seveso II », d'analyser l'efficacité des moyens mis en _uvre pour en assurer l'application, de dénoncer les carences éventuelles, afin d'envisager une réglementation encore plus ferme. La commission devra aussi étudier la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche, cartographier les risques, analyser l'efficacité du dispositif de protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur. Enfin, il apparaît capital de renforcer la formation des salariés en matière de prévention des risques.

La catastrophe de Toulouse nous montre combien il est urgent d'améliorer et rendre plus efficace la législation en vigueur.

La directive « Seveso II » oblige les opérateurs d'infrastructures à risque à mettre en place des mesures de prévention, à prévoir un système de sécurité spécifique, des plans d'urgence et à informer la population vivant à proximité. Sans doute faut-il franchir un nouveau pas, par exemple en prévoyant à long terme de séparer les usines dangereuses des zones habitées.

Faut-il déménager les usines à risque ? Je partage la colère légitime du maire de Toulouse. On ne peut reconstruire comme si rien ne s'était passé.

Le problème n'est pas simple à résoudre. Près de la moitié des 1 250 sites classés Seveso sont situés à proximité d'une agglomération. Des permis de construire ont été accordés en dépit des risques, comme dans les zones inondables ou près des aéroports.

La loi de 1987 sur la sécurité civile permet de geler l'urbanisation autour des nouvelles installations Seveso mais une vingtaine de sites seulement sont postérieurs à cette loi. Il faudra donc se pencher sur le cas des usines anciennes, autrefois en pleine campagne et qui, aujourd'hui, se retrouvent dans des zones peuplées. Il est révoltant de constater qu'il faut des morts pour se rendre compte du problème. Les enjeux économiques sont souvent énormes. Pour des raisons financières évidentes, une collectivité locale n'a jamais envoie de voir partir une entreprise.

Mais il ne faut pas réduire le débat à la question de l'urbanisation. Déplacer le danger ne règle pas tout. Le premier responsable de la sécurité est l'entreprise ! La priorité, c'est de réduire le risque à la source (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste). Dans le cas de Toulouse, l'isolement du site n'aurait rien changé aux conséquences de l'explosion pour les travailleurs de l'usine - 22 des 29 morts. Déplacer un site de stockage peut créer d'autres risques car on est alors obligé d'avoir une flotte de camions transportant des produits dangereux.

Mais revenons-en à la réglementation. En France, c'est par la loi du 19 juillet 1976 sur les installations classées que la directive Seveso I a été rendue applicable aux exploitants. L'apport de cette directive est incontestable. Elle a permis une prise en compte plus attentive des accidents potentiels et la mise en place d'un dispositif global de prévention.

La directive du 9 décembre 1996 , dite Seveso II, a abrogé la précédente à compter de février 1999.

Elle traite d'établissements et non plus d'installations, sans distinguer entre les phases d'utilisation des substances dangereuses. Quel qu'en soit l'usage - fabrication, stockage, emploi, transfert, chargement, déchargement -, c'est la présence dans l'établissement d'une substance dangereuse en quantité supérieure aux seuils, qui détermine le classement en installation de type Seveso II.

En droit français, c'est principalement l'arrêté du 10 mai 2000 qui a transcrit cette deuxième directive. L'exploitant d'une installation classée doit procéder notamment au recensement régulier des substances dangereuses et tenir les exploitants d'autres installations classées voisines informés des risques d'accidents majeurs, dès lors que ceux-ci peuvent avoir des conséquences sur lesdites installations. L'exploitant doit également exposer sa politique de prévention dans un document tenu à disposition de l'inspection des installations classées et réaliser des études de dangers décrivant les mesures techniques propres à réduire la probabilité et les effets des accidents majeurs.

La directive Seveso II met donc l'accent sur la politique de prévention à mener par les établissements, en se fondant sur trois principes : aucun accident n'est mineur, la sécurité doit se gérer, elle est l'affaire de tous.

L'arrêté du 10 mai 2000 mentionne sept éléments clés, à savoir l'organisation et le personnel, l'évaluation des risques, la maîtrise des procédés, la gestion des modifications, les situations d'urgence, le retour d'expérience et le contrôle du système de gestion de la sécurité.

Ce sont sans doute les sept grands axes de la réflexion que devra mener notre commission d'enquête, puisque son objet est d'analyser l'adéquation et l'efficacité des moyens mis en _uvre pour assurer l'application de la réglementation et la protection des salariés, des populations et de l'environnement.

Et il faudra bien, aussi, « renforcer le contrôle démocratique » des citoyens, qui sont en droit de savoir s'ils vivent à côté d'une bombe à retardement. Nous partageons tous cette exigence de transparence pour assurer la sécurité de tous les citoyens !

D'ailleurs je souscris pleinement à l'idée novatrice exprimée par le Président de la République le 3 mai dernier à Orléans, à savoir inscrire le principe de prévention dans la loi et en préciser la portée. Les risques potentiels doivent être pris en compte pour adopter des mesures préventives proportionnées, ce qui implique une meilleure transparence des autorités administratives et un dialogue organisé avec les organisations professionnelles. Le groupe RPR votera cette proposition de résolution (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Pierre Cohen - Au nom de Mme Mignon et de Mme Benayoun-Nakache comme au mien, je remercie tous les députés qui nous ont envoyé des témoignages de sympathie et de soutien après cette catastrophe industrielle sans précédent depuis la seconde guerre. Le bilan est lourd, sans être définitif : 29 morts, plus de 2 500 blessés, dont une centaine très gravement, qui resteront handicapés ; 25 000 habitations endommagées, dont 6 000 logements sinistrés, et environ 1 000 personnes à reloger ; environ 1 000 entreprises touchées, 3 000 salariés qui ont perdu leur outil de travail ; une trentaine d'écoles, 20 lycées et collèges atteints, ainsi que l'Université du Mirail qui redémarre difficilement, des laboratoires et l'hôpital Marchand, seul établissement psychiatrique de l'agglomération. L'explosion été ressentie dans un rayon de 4 km et entendue jusqu'à Castres à 75 km. Il faudra bien du temps pour en atténuer, sinon en effacer les conséquences, mais ces images de désolation et de frayeur resteront à jamais dans nos mémoires.

Dans ce chaos, tous les sauveteurs ont _uvré avec un courage et une détermination que je salue, et l'élan de solidarité a été sans précédent.

A cette apocalypse économique, humaine et urbaine, s'ajoute un séisme social. En effet beaucoup d'habitants touchés vivent dans des logements sociaux et connaissaient déjà de grandes difficultés. Je suis très impliqué dans la politique de la ville ; mais l'accident a révélé une situation dont on ne mesurait pas l'ampleur, comme le grand isolement de personnes âgées ou handicapées et l'existence de marchands de sommeil. Il sera sans doute plus difficile de réparer les dégâts sur le plan psychologique que sur le plan économique. J'ajoute que les salariés d'AZF ont payé un tribut d'autant plus lourd que beaucoup d'entre eux résidaient dans les environs de l'usine.

Je tiens également à féliciter les membres du gouvernement, et surtout Lionel Jospin, dont la présence a été très appréciée ; le Président de la République est également venu plusieurs fois. L'efficacité et l'ampleur des mesures annoncées - pour plus de 1,5 milliard- ont surpris même le Maire de Toulouse.

Il nous faut maintenant réagir. La catastrophe a suscité émotion, colère et doutes ; des enquêtes, plaintes, démarches judiciaires ont été engagées qui ont largement alimenté les débats. A ce propos il faudra peut-être réfléchir au rôle des médias dans les semaines qui ont suivi l'accident. Le Parlement ne peut rester en retrait, et je suis satisfait de voir tous les groupes favorables à la création d'une commission d'enquête et à un débat sur les solutions à mettre en _uvre.

Comme le rapporteur, je considère que s'orienter vers une piste terroriste nous écarterait de l'examen des causes réelles de la catastrophe. D'autre part, se préoccuper du seul cas toulousain nous en empêcherait également dans la mesure où des poursuites judiciaires sont engagées. Je me félicite que le rapporteur ait pris en compte la résolution de M. Douste-Blazy et la proposition de résolution que j'ai déposée avec Jean-Marc Ayrault et mes collègues de Haute-Garonne. On pourra ainsi s'interroger de façon générale sur les risques industriels et technologiques, la sécurité des personnes et de l'environnement, les lacunes de la législation actuelle.

A Toulouse, tout n'a pas fonctionné comme prévu. Il faudra faire la part des choses en ce qui concerne les contraintes de sécurité et les dimensions des installations. Il faudra aussi renforcer les moyens de prévention, d'action et de contrôle des salariés, notamment dans les commissions d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail. De même l'Etat devra être mieux en mesure de contrôler les mesures de sécurité. Enfin, l'information devra mieux circuler pour qu'élus et associations puissent exercer un contrôle démocratique. Cependant, en tant que maire d'une commune voisine de la plate-forme chimique, je peux témoigner pour avoir été associé à la préparation du plan de prévention des risques que des progrès ont déjà été accomplis depuis une dizaine d'années en ce sens. Le plus grave reste que le dispositif existant n'est pas en prise avec les faits, et que par exemple il n'a jamais donné lieu à des simulations.

Pour toutes ces raisons, nous voterons la résolution créant une commission d'enquête (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Claude Gatignol - Le drame exceptionnel de Toulouse est la plus grande catastrophe aussi brutale depuis celle du barrage de Malpasset et nous prenons part sincèrement à la douleur des familles et de tous ceux qui en subissent les conséquences. Comme après les attentats aux Etats-Unis, les groupes parlementaires ont tous manifesté le même souci de la sécurité. Sept propositions de loi ont été déposées, deux retenues, le rapporteur a su en faire la synthèse avec talent et la commission a adopté un texte amendé.

La commission d'enquête que nous voulons tous créer devra remplir trois missions : réaliser un inventaire et définir les risques ; évaluer les mesures propres à limiter et anticiper ces risques, sachant que le risque zéro n'existe pas ; tirer les enseignements en ce qui concerne la coordination des interventions, la protection de la population, l'expertise, l'information et le contrôle démocratique par les salariés et les citoyens.

De nombreux textes législatifs et réglementaires traitent déjà de ce sujet : en droit national, ce sont les lois de 1976 et 1987. Sur le plan communautaire les exigences de sécurité visant les risques technologiques et les accidents majeurs impliquant des substances dangereuses ont été définies par la directive Seveso I de 1982, puis Seveso II de 1996. Ces deux directives visent à la fois à prévenir les accidents et à en limiter les conséquences pour l'homme et pour l'environnement. Elles prévoient ainsi un renforcement de l'inspection obligatoire, une gestion du risque dans l'entreprise, des plans d'urgence, une maîtrise de l'urbanisation et une information du public, soit un large éventail de mesures internes à l'entreprise ou plus générales. La directive définit aussi une nouvelle catégorie d'établissements industriels à haut risque ; il y en a 1 250 sur notre territoire, ce qui n'est pas rien.

Pour faire face à ces catastrophes, il est essentiel de s'assurer que les dispositions en vigueur garantissent une sécurité optimale des installations de production et de stockage. Mais rien ne sert d'élaborer des normes de sécurité si elles ne sont pas respectées. Il faut donc vérifier que la sûreté et la sécurité des installations sont effectivement assurées dans les installations relevant de la directive Seveso. Cela renvoie aux moyens dont disposent les DRIRE. A ce propos, je considère qu'on ne peut opposer sûreté et sécurité comme l'a fait le rapporteur en se référant à l'industrie nucléaire. Ces deux notions bien ciblées sont complémentaires : l'application des règles de sécurité conduit à la sûreté, elle-même fondée sur la bonne conception de l'installation. Sur les sites, une place importante est faite aux équipes de sûreté et aux équipes de sécurité, et il existe des ingénieurs spécialisés. Les entreprises entreprennent une démarche qualité pour obtenir un agrément. La sécurité industrielle n'est donc pas réduite à la protection contre les agressions terroristes par exemple.

Du fait du développement industriel et de l'expansion de nos banlieues, des sites industriels se trouvent en pleine zone urbaine. On ne peut pas raisonnablement envisager de les déménager tous, ni interdire leur fonctionnement. Serait-il d'ailleurs moralement acceptable de délocaliser en zone rurale ou à l'étranger des sites à haut risque ?

Notre réflexion sur la localisation des établissements doit prendre en compte les retombées économiques, sociales et environnementales : personne ne souhaite parcourir une trop longue distance pour aller travailler ; qui dit transports dit d'ailleurs pollution.

Il serait dangereux de dénigrer l'ensemble d'un secteur industriel, employeur de plusieurs milliers de personnes dont on ne saurait nier la compétence et le sérieux. Il faut donc faire preuve de vigilance, sans tomber dans l'alarmisme. Adoptons une démarche de vérité, de transparence et de responsabilité.

Une étude précise des conditions de sécurité à respecter sur les sites Seveso est nécessaire. C'est pourquoi le groupe DL a contribué à proposer la création d'une commission d'enquête, qui fait d'ailleurs écho à l'action de l'Union européenne puisqu'une consultation publique a été lancée en avril 2001 en prévision de la révision de Seveso II. Je voterai donc cette proposition de résolution au nom du groupe DL, qui participera aux travaux de la commission d'enquête dans l'esprit que j'ai indiqué. Je souhaite que, malgré la brièveté du délai imparti, ils permettent de lever les inquiétudes tout en reconnaissant l'importance sociale et économique de nos entreprises industrielles (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Claude Billard - Ainsi que l'ont souligné les orateurs qui m'ont précédé, il faut tout faire pour éviter le renouvellement de la tragédie de Toulouse.

L'explosion de 300 tonnes de nitrate d'ammonium a entraîné le décès de 29 personnes, l'hospitalisation de 800 autres. 392 entreprises ont été sérieusement endommagées, 50 ont été anéanties par la déflagration. 7 200 salariés voient ainsi leur emploi provisoirement et durablement menacé, sans compter les 1 000 employés du pôle chimique toulousain. Des centaines de logements ont été dévastés, les équipements collectifs ont subi des dommages considérables. Au total, la fédération française des sociétés d'assurances situe le coût de la catastrophe entre 1,5 et 2,3 milliards d'euros.

Il faut que les dommages soient rapidement et équitablement réparés. Total Fina, propriétaire d'AZF, promet d'indemniser les personnes qui n'étaient pas assurées, mais son engagement est-il à la hauteur de ses responsabilités ? Les assurances rempliront-elles pleinement leur rôle ? La solidarité nationale sera-t-elle suffisante ? L'aide d'urgence de 230 millions d'euros annoncée par le Premier ministre est importante, mais aura-t-elle une suite ? Nous aurions aimé voir la commission d'enquête examiner les conditions d'indemnisation et de réparation.

Cette catastrophe doit nous conduire à repenser le risque industriel et les procédures de sécurité. La revendication du « plus jamais ça » ne se limite pas à la ville rose. Toutes les régions sont peu ou prou concernées. 48 sites Seveso sont recensés en Haute-Normandie, 44 en Rhône-Alpes, 40 en Provence-Alpes-Côte d'Azur, 37 dans le Nord-Pas-de-Calais.

Les dispositions actuelles sont-elles suffisantes ? Les moyens de contrôle sont-ils à la hauteur des besoins ? Comment garantir l'information des salariés, des élus locaux et des populations ? Le Premier ministre a fait des propositions, mais il serait bon que la commission d'enquête fasse un état des lieux.

Certains élus locaux plaident pour la fermeture et le déménagement de sites trop dangereux. Le périmètre Seveso ne doit-il pas être élargi ? Le déplacement des complexes industriels loin des villes n'est cependant pas la solution au problème de dangerosité : faut-il rappeler que la plupart des victimes de la catastrophe de Toulouse étaient employés sur le site ?

La prévention à la source est indispensable. Elle implique formation et droit d'intervention des salariés. Les investissements dans la formation sont notoirement insuffisants, l'objectif de rentabilité l'emporte trop souvent sur celui de l'amélioration de la sécurité et des conditions de travail. L'externalisation de fonctions sensibles et l'embauche de personnels en contrats à durée déterminée ou en intérim constituent des facteurs supplémentaires de risque. Enfin, il semblerait nécessaire de renforcer les prérogatives des CHS-CT, en particulier dans les sites classés Seveso.

Ces interrogations et ces réflexions sont à l'origine de notre demande de création d'une commission d'enquête. Leur prise en compte dans la résolution présentée conduit notre groupe à la voter (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. François Loos - En m'associant à la douleur des victimes de la catastrophe de Toulouse, je voudrais insister sur la nécessité de nous interroger sur la validité des dispositions législatives et réglementaires applicables aux installations industrielles, et en particulier aux 1 250 sites Seveso II. Elle a conduit les groupes UDF, RPR et DL à proposer la création d'une commission d'enquête. J'ai pris bonne note des augmentations d'effectifs annoncées pour la réalisation des contrôles, mais ce n'est encore qu'une étape.

La commission d'enquête doit s'employer à évaluer les responsabilités associées à l'exploitation industrielle. Le texte de la résolution de M. Ayrault était trop large car il semble difficile d'examiner tous les risques.

La commission a donc bien fait de réduire le champ de la commission d'enquête à la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche. Nous souhaitons qu'elle se mette rapidement au travail, afin de proposer des mesures concrètes avant la fin de la législation. Tel est le sens de la résolution modifiée, que nous voterons.

La sûreté exige, d'abord, une bonne connaissance des conditions de production et des risques technologiques. On l'a vu à Toulouse, l'imprévisible arrive, quand bien même les techniciens assurent que tout est prévu. L'emploi de certaines matières premières, les conditions de stockage, les mélanges accidentels doivent être mieux maîtrisés. Connaît-on tous les cas de figure ? Les études de danger sont-elles réalisées dans de bonnes conditions ? Tient-on assez compte des risques d'attentats ? Les priorités de sécurité répondent-elles bien aux risques les plus forts ?

D'un point de vue juridique, tout est dit par l'article 1382 du code civil : « Tout fait de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Le dommage, la faute, la réparation, tout y est.

La loi sur les installations classées et les directives Seveso donnent au préfet le pouvoir d'autoriser des installations, sous certains conditions. Si ces dernières sont respectées, y a-t-il quand même faute ? L'administration peut-elle être en faute si elle ne réglemente pas assez ? Des chefs d'entreprise et des responsables de l'administration ont déjà été condamnés sur ces bases.

Et quand le préfet accepte une installation et que la zone de sécurité Seveso comprend des habitations, comment corriger les choses ? Quels critères a-t-on retenus dans le passé pour certains compromis ? Qui porte la responsabilité en cas d'accident ? Peut-on dire, comme certains maires, qu'il faut déménager des sites ? Lesquels ? Pour les mettre où ? On l'a dit, on ne peut traiter la sécurité par le déménagement. Il faut sécuriser tous les sites, où qu'ils soient.

Quand y a-t-il dommage ? Les assurances couvrent certains risques, mais jusqu'où peuvent-elles aller ? Dans les pays anglo-saxons, tous les risques sont assurables à la Lloyd's, l'Etat fixe les normes, les assurances calculent les risques, les entreprises négocient. Chez nous, les normes sont fixées au cas par cas en fonction des objectifs de qualité des entreprises, voire de leur capacité financière à les respecter. Dans une Europe du marché, il faut à l'évidence que l'on harmonise les conditions pour un même type de production.

C'est en France que le rôle de l'Etat est le plus ambigu et l'on retrouve là toutes les questions qui ont récemment agité l'opinion : principe de précaution, OGM, nucléaire, risque thérapeutique. Bien sûr, la commission d'enquête n'aura pas à s'aventurer sur ces questions, mais les réponses qu'elle apportera sur la responsabilité de l'Etat seront fort intéressantes.

Il lui faudra aussi travailler sur le contrôle démocratique des décisions, sur l'information, sur la formation des personnels, y compris chez les sous-traitants.

J'en viens à la réparation. Total annonce, dans Le Monde, que la société assumera toutes les responsabilités qui lui incombent. C'est bien le moins ! C'est même insuffisant ! Les tribunaux se prononceront. Je rappelle qu'après Seveso, Montedison a disparu, tout comme Union Carbide après Bhopal.

La commission d'enquête devra s'intéresser aussi à l'action des services de secours, aux services d'alerte, aux plans de protection interne, à l'information du voisinage, aux moyens de limiter les dégâts.

Ne vivre que du tourisme et des services ne suffira jamais en France. Il faut pouvoir produire industriellement. L'industrie doit donc être sûre pour les travailleurs, pour l'environnement, pour le voisinage. La sûreté des installations classées doit tout prendre en compte car il y a aussi le terrorisme, les violences urbaines. C'est face à tous les risques qu'il faut examiner notre arsenal législatif et réglementaire. C'est ainsi que cette commission d'enquête peut, au cours des quelques mois qui restent, faire _uvre utile (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL, du groupe du RPR et sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. Noël Mamère - Les Verts se réjouissent que l'Assemblée soit parvenue à un accord afin de créer une commission d'enquête sur l'accident d'AZF ainsi que sur les installations classées à risque majeur et sur l'application de la directive Seveso. Nous faisons notre travail de législateurs en nous interrogeant sur la vulnérabilité de notre société, surtout en ces temps de menace terroriste.

L'orateur précédent a laissé entendre que les Verts voudraient qu'il n'y ait plus en France que des activités de tourisme et de services. Nous savons bien que l'industrie est aussi nécessaire ! Simplement, nous voulons que le principe de précaution soit posé avec bien plus de force.

Cela suppose, d'abord, un renforcement de la démocratie et une véritable consultation des citoyens. Je me suis rendu, vingt-quatre heures après la catastrophe, au nom des Verts dans le quartier de l'Empalot, un des plus touchés. On y a construit des barres, des tours où n'habitent pas des gens comme vous et moi mais des personnes qui travaillent dans cette usine, qui vivent dans des conditions difficiles et qui ont été victimes, physiquement et psychologiquement, de ce drame. Or, elles n'ont bénéficié d'aucun soutien : les équipes de psychologues étaient dans la salle des Illustres, pas auprès d'elles, les gestionnaires de l'OPAC étaient absents, alors que les appartements étaient détruits.

De fait, l'injustice environnementale s'ajoute à l'injustice sociale : ce ne sont pas les enfants des riches qui sont victimes de saturnisme, ce ne sont pas les riches qui vivent près du périphérique ou près des pistes d'atterrissage. Les autorisations d'extension de certaines zones sont dangereuses, aussi, pour la cohésion sociale.

La commission d'enquête devra s'interroger sur le fait que cette catastrophe avait été largement annoncée. Mais le préfet n'avait tenu compte ni des demandes des associations de riverains, ni des mises en garde du CHSCT et des syndicats sur les difficultés pour assurer la sécurité des personnels et de la population environnante. Il faudra se pencher sur les sous-effectifs, sur la formation insuffisante de la main-d'_uvre de l'usine comme des sous-traitants, sur le refus d'organiser des exercices d'alerte de la population.

Pourquoi, malgré les incidents de 1986 et de 1998, les pouvoirs publics ont-ils poursuivi l'urbanisation, distribué les permis de construire, renforcé l'infrastructure routière ? Etait-il judicieux que de telles installations soient situées dans l'axe de l'atterrissage à Toulouse-Blagnac ?

La France compte 1 249 sites dangereux, dont 680 entreprises à haut risque classées Seveso. La commission d'enquête devra se demander aussi pourquoi dans l'étude de danger, la plus haute hypothèse retenue est celle de la chute d'un Cessna. On sait aujourd'hui, hélas, qu'un avion de ligne peut aussi percuter la piscine de la Hague, ce qui libérerait 67 fois plus de césium qu'à Tchernobyl.

Est-il démocratique de laisser aux seuls pouvoirs publics le soin de décider des extensions industrielles ? Il conviendrait aussi de revoir le fonctionnement du corps des inspecteurs des installations classées. Est-il normal qu'ils dépendent du ministère de l'industrie qui est d'abord, comme celui de l'agriculture, le ministère des industriels ?

Mme Odette Grzegrzulka - Très bien !

M. Noël Mamère - Il faut soit créer un corps d'inspecteurs indépendants soit les placer sous la tutelle du ministère de l'environnement (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

Mme Michèle Rivasi - Je voudrais profiter de l'examen de cette proposition de résolution en faveur de la création d'une commission d'enquête pour rendre hommage à toutes les victimes des risques technologiques que j'ai tenté de recenser.

16 avril 1947 : l'explosion d'un bateau d'engrais à Texas-City aux Etats-Unis tue plus de 500 personnes ; 28 juillet 1947 : l'explosion d'un bateau chargé de nitrate d'ammonium fait au moins 22 morts à Brest ; 4 janvier 1966 : une explosion à la raffinerie de Feyzin, dans le couloir lyonnais de la chimie, entraîne la mort de 18 personnes ; 10 juillet 1976 : un nuage toxique de dioxine se propage sur la ville italienne de Seveso, près de Milan, après une explosion dans l'usine d'une filiale du groupe suisse Hoffmann-La Roche, et plus de 200 personnes sont victimes de lésions graves. C'est à la suite de cet accident que s'ébauche la réglementation sur les installations classées. En 1979, 300 personnes sont tuées lors d'une explosion dans une usine chimique à Novossibirsk en URSS ; 19 novembre 1984 : 80 000 barils de gaz explosent à Mexico, provoquant un incendie qui tue 452 personnes. 3 décembre 1948 - de sinistre mémoire - quatre mille morts à Bhopal en Inde, à la suite d'une fuite d'eau dans un réservoir de stockage de l'usine de pesticides d'Union Carbide, qui avait provoqué l'émission d'isocyanate de méthyle ; 21 septembre 2001 : une explosion d'une extrême violence sur le site chimique AZF de Toulouse entraîne la mort de 29 personnes, sans compter, comme l'a rappelé mon collègue Pierre Cohen, les atteintes durables à la santé de milliers de personnes.

Pour expliquer cette dramatique litanie, d'aucuns évoqueront la malchance, la loi des séries, la fatalité ou l'inexistence du « risque zéro », voire dans le cas de Toulouse l'attentat terroriste, hypothèse confortable permettant de dédouaner l'exploitant et de le dégager de toute responsabilité.

Pour éviter que cette liste ne s'allonge encore, nous devons réagir, et le faire sur un plan international. Les nuages, qu'ils soient radioactifs ou porteurs de substances chimiques nocives, ignorent en effet les frontières. A Toulouse comme ailleurs, des risques d'accidents industriels majeurs pourtant connus de tous ont été sous-estimés.

Plusieurs constats s'imposent aujourd'hui.

La sûreté et la prévention des risques ne sont pas naturelles à la France, soit que nous soyons obnubilés par la recherche de la productivité, soit que nous craignions d'alarmer la population. Plus dramatique, les scientifiques eux-mêmes commettent parfois des négligences. L'ex-directrice de l'installation P4 de la fondation Mérieux a ainsi été licenciée il y a peu pour avoir rapporté d'Afrique sans précautions suffisantes des échantillons de sang susceptibles de contenir un virus dangereux. Elle est pourtant une épidémiologiste de réputation mondiale !

Les moyens affectés aux contrôles sont à l'évidence insuffisants. Plusieurs intervenants l'ont souligné, et le ministre de l'environnement vient d'annoncer leur renforcement, avec cent cinquante inspecteurs supplémentaires pour les DRIRE. Il faut cependant que ces dernières adoptent un comportement de proximité qui ne confine pas à la promiscuité. Ceci pose le double problème de la formation de ces fonctionnaires par l'Ecole des mines et de l'insuffisance de leur recours à un organisme d'Etat comme l'INERIS, dont les moyens financiers, voire de contrôle, devraient être renforcés.

Les dispositifs de prévention et d'information des populations sont de toute façon insuffisants, et je ferai des propositions sur ce sujet.

L'urbanisation non maîtrisée n'a fait qu'aggraver la situation, tout comme la politique d'extension des sites à risque qui a eu pour effet de multiplier les unités dangereuses. Encore n'a-t-on pas assisté à Toulouse, comme l'a rappelé le ministre à un « effet domino », ce qui aurait pu se produire s'il y avait eu un problème sur le site de la société nationale des poudres et explosifs.

Seules les administrations et les collectivités territoriales ont leur mot à dire sur les implantations d'usines à risque : jamais les citoyens ne sont associés. Il y a ici des propositions d'essence démocratique à faire.

Je regrette également que ne soient pas intégrés dans notre réflexion les transports dangereux, qui constituent de véritables sites Seveso mobiles sur l'ensemble du territoire.

L'institution de la taxe professionnelle, enfin, a eu des effets pervers en incitant les communes à accueillir des entreprises au mépris des risques induits.

Il nous faut tirer les leçons de cette catastrophe, pour ne plus vivre sous une menace permanente. Ma modeste expérience dans la prévention des risques nucléaires me conduit à vous soumettre quelques pistes. Il faut d'abord faire progresser la législation et la réglementation. On pourrait s'inspirer, pour le secteur de la chimie, des règles de sûreté et de sécurité en vigueur dans l'industrie nucléaire, pour inciter, voire contraindre les industriels à évaluer les risques de leurs activités, notamment par l'établissement d'échelles d'incidents sur un an. Un accident ne se produit en effet jamais sans qu'il y ait eu des signes avant-coureurs.

Devraient également être créés des comités locaux d'alerte et de prévention des risques technologiques, afin de développer une information et une expertise. Il y a en effet deux types d'expertises : celle des inspecteurs des DRIRE et de l'INERIS, qu'il faut conforter, et une nécessaire expertise par des experts indépendants, issus des associations de citoyens. L'administration se révèle en effet trop souvent liée aux industriels. En cas d'extension de site ou d'urbanisation, cela permettrait aux citoyens d'exprimer leur avis, ce qui n'est jamais le cas actuellement.

Enfin, il faut réfléchir à une autorité de sûreté sur les risques technologiques pour étudier les problèmes et les améliorations à apporter à notre sécurité.

Après le choc de l'accident, profitons de l'occasion qui nous est aujourd'hui offerte d'améliorer le contrôle technologique et démocratique de notre sécurité. Je voterai la résolution présentée par le rapporteur (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

La discussion générale est close.

M. le Ministre - S'agissant de la réparation des dommages, plusieurs d'entre vous ont souligné les actions qui ont été rapidement engagées par le Premier ministre : 10 millions de francs apportés par l'Etat, la ville de Toulouse et Total, puis un plan d'aide dit Jospin, plus pérenne, de plus de 300 millions d'euros, ou 1,5 milliard de francs, pour les besoins sanitaires et d'habitation et l'aide aux victimes. Contrairement au cas de l'Erika, pour lequel il était difficile de déterminer les responsabilités, le rôle de l'exploitant est ici clair : les installations appartiennent à Total, qui est civilement responsable.

Beaucoup d'entre vous ont évoqué le problème du confinement et des PPI. La DRIRE a en effet appelé par la radio les habitants à se confiner tant que subsistait un doute sur la toxicité d'un nuage qui aurait contenu du nitrate d'ammonium. Comment, toutefois, aurait-on pu fermer des fenêtres et des portes qui avaient été soufflées par l'explosion ? Je reconnais d'autre part, après avoir consulté les PPI des sites que j'ai visités au Grand-Quevilly ou près de Lyon, que la plupart sont inadaptés. Ainsi, conseiller à la population de se confiner, de ne pas téléphoner à ses enfants et de ne pas aller les chercher à l'école est dramatique sur le plan humain !

Certains parmi vous ont insisté sur la démocratie. Je crois en effet que l'amélioration de la sécurité viendra avec une meilleure adhésion et une meilleure participation des citoyens. Plus nous serons localement vigilants et mieux la sûreté sera assurée. Les associations ont bien entendu un rôle à jouer. Le Premier ministre, quant à lui, a proposé de créer des comités locaux sur les risques technologiques - CLRT - qui rappellent les comités locaux d'information et de suivi qui existent pour les farines animales. Peu d'entre vous ont émis des propositions législatives.

Sans être un fanatique de l'empilement des réglementations, je pense que l'on peut éventuellement en présenter. Nous pourrions par exemple créer des PPRT sur le modèle des PPRI qui visent les risques d'inondation. Mais ce sont surtout les exploitants et les travailleurs eux-mêmes qui devront exercer leur vigilance et il conviendra à cet effet de multiplier les exercices de simulation.

Vous avez par ailleurs insisté sur l'importance des contre-expertises. Le Premier ministre a annoncé que les CLRT seraient dotés de moyens dans ce domaine. Il est en effet essentiel de pouvoir évaluer et contredire les études de danger des industriels. Plusieurs enquêtes sont en cours. Outre l'enquête judiciaire qui déterminera les responsabilités, l'inspection générale du ministère de l'environnement cherche à déterminer les causes physico-chimiques de l'accident et une enquête interne est menée chez Total. Par ailleurs, et c'est une première en France, le Premier ministre a accepté qu'un institut indépendant hollandais, l'équivalent de l'INERIS, soit chargé d'une contre-expertise à Toulouse.

La plupart d'entre vous ont souhaité le renforcement des moyens de l'Etat. Nous bénéficierons de 150 inspecteurs supplémentaires l'an prochain, et doubler au plus vite leur nombre actuel serait souhaitable. Toutefois, ni la présence d'inspecteurs en nombre suffisant, ni des modifications législatives ne suffiront à assurer une sécurité qui est de la responsabilité de tous. Par ailleurs, les inspecteurs qui contrôlent les installations ne sont pas les mêmes que ceux qui sont chargés de la promotion industrielle et du contact avec les entreprises. Ils font certes partie de la même DRIRE, ils partagent des locaux et une culture commune, mais leurs fonctions sont bien dissociées. Ce sont des agents de l'Etat qui remplissent au mieux leurs missions compte tenu des moyens dont ils disposent et il est injuste de les montrer du doigt dans cet accident. Cette organisation des rôles peut être changée, mais ce n'est pas elle qui favorise le risque industriel.

Vous avez également proposé de renforcer le rôle du CHSCT. C'est indispensable, notamment pour renforcer le dialogue avec les exploitants et avec les DRIRE.

Ce sont les travailleurs qui sont les plus exposés au risque. Nous menons un dialogue fructueux avec les syndicats et espérons que les débats qui auront lieu en novembre et décembre entre tous les acteurs permettront d'améliorer la sécurité industrielle en France (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Mme la Présidente - J'appelle maintenant, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du Règlement, l'article unique de la proposition de résolution dans le texte de la commission.

M. Jean-Yves Le Déaut - Cette proposition de résolution pose avec réalisme et ambition les fondations d'un travail utile pour prévenir d'autres catastrophes telles que celle qui a endeuillé l'agglomération toulousaine, vers laquelle vont aujourd'hui nos pensées. Le champ d'étude est adapté et je me félicite que l'Assemblée soit unanime à souhaiter améliorer la sécurité dans les installations industrielles et la protection des personnes et de l'environnement.

Le risque technologique existe, et il a sans doute été sous-évalué malgré une suite d'accidents. Nous devons donc transposer la culture de la sûreté que nous connaissons bien dans le domaine nucléaire à celui du risque technologique. L'instauration d'une échelle des incidents, voire d'une échelle des risques, est à ce propos souhaitable, mais nous devons en discuter hors d'une période de crise.

Limiter nos investigations à l'organisation et au contrôle de la sûreté présente plusieurs avantages. D'abord, le recouvrement avec d'autres travaux, tels que ceux menés par la mission d'information de la commission de la défense, sera limité. Ensuite, c'est le domaine dans lequel les attentes de la population et des salariés sont les plus fortes. Enfin, la commission d'enquête ne dispose que d'un délai assez court avant les prochaines échéances nationales.

Je ne doute pas que de nombreuses propositions intéressantes seront formulées. Il faudra faire le bilan de la directive Seveso II et surtout améliorer les études de danger, en veillant à la qualité de l'expertise et de la contre-expertise. A ce propos, la coordination européenne de l'expertise est une piste intéressante. La commission rassemblera les suggestions de toutes les parties prenantes et analysera les exemples étrangers. Son approche de la surveillance pluraliste des risques sera également intéressante. Alors que le terrorisme biologique est d'actualité, la commission doit porter une attention particulière aux installations qui utilisent bactéries et virus dangereux, comme le laboratoire P4 de Lyon. La contribution de cette commission à la sécurité sera, j'en suis convaincu, très importante et permettra de mettre en _uvre une politique à long terme au lieu de n'agir que par à-coups, après chaque accident. Le groupe socialiste se félicite de l'unanimité qu'elle a soulevée et votera pour sa création (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Mme la Présidente - Avant de mettre aux voix l'article unique, j'indique à l'Assemblée que, conformément aux conclusions de la commission, le titre de la proposition de résolution est ainsi rédigé :

« Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche et sur la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur ».

L'article unique de la proposition de résolution, mis aux voix, est adopté.

Mme la Présidente - Afin de permettre la constitution de la commission d'enquête dont l'Assemblée vient de décider la création, MM. les présidents des groupes voudront bien faire connaître, conformément à l'article 25 du Règlement, avant le vendredi 19 octobre, à 15 heures, le nom des candidats qu'ils proposent.

La nomination prendra effet dès la publication de ces candidatures au Journal officiel.

La séance, suspendue à 11 heures, est reprise à 11 heures 15 sous la présidence de M. Gaillard.

PRÉSIDENCE de M. Claude GAILLARD

vice-président

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LOI DE FINANCES POUR 2002 (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion générale du projet de loi de finances pour 2002.

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DISCUSSION GÉNÉRALE (suite)

M. Georges Tron - Je ferai sur ce budget quelques remarques d'ordre général qui pourraient recueillir l'assentiment sur tous les bancs.

La première, c'est que ce budget est beaucoup plus pertinent pour la période qu'il clôt que pour celle qu'il ouvre.

Notre collègue Gilles Carrez l'a dit hier, pour l'avenir le budget est tellement irréaliste qu'il sera très difficile à mettre en _uvre. Il repose sur une hypothèse de croissance utopique - ce n'est pas seulement l'opposition qui le dit, mais toute la presse et aussi certains sur les bancs de la majorité. Les experts s'accordent à estimer le taux retenu beaucoup trop élevé et d'ailleurs le ministre lui-même et le rapporteur général ont opéré un distinguo entre « les plus optimistes » et « les moins optimistes ». En fait, les moins optimistes sont de plus en plus nombreux : la dernière prévision de l'OCDE s'établit à 2,2 %. Or le budget reste cadré sur les prévisions de croissance les plus optimistes.

En second lieu, les recettes fiscales sont surestimées - de 40, 50, 60 milliards, peu importe au fond : discuter à perte de vue d'un budget inapplicable en l'état ne présente guère d'intérêt.

En revanche, en cette fin de mandature, faisons-nous un petit plaisir : dressons en le bilan. La majorité ne cesse de citer des chiffres de ces dernières années et M. Fabius nous répète depuis quatre ans qu'il faut juger ce qu'il fait à l'aune de ce qu'il a trouvé. Seulement, il place le point de départ là où cela l'arrange. Or ce qui est plus intéressant, c'est de situer l'évolution des comptes publics depuis 1992-1993, lorsque la récession est survenue et que le déficit s'est creusé. Je distingue depuis lors une période d'effort soutenu, de 1993 à 1997, puis une période où l'effort s'est relâché, on s'en aperçoit aujourd'hui.

Les ministres des finances successifs de M. Jospin nous citent les chiffres de 1995 ou 1997, mais bizarrement jamais de ceux de 1993 ; apparemment, cela les gène. Je rappelle donc que de 1988 à 1993 les déficits publics ont été multipliés par quatre en volume, par trois en pourcentage du PIB. On le voit, la récession n'a pas été l'origine de tous les maux. En 1993 le gouvernement Balladur trouve la situation suivante : le déficit de l'Etat est de 340 milliards contre 90 milliards en 1988, celui des régimes sociaux est de 110 milliards, celui de l'UNEDIC de 35 milliards. Au total les déficits publics représentent 6,4 % du PIB. En 1995, le gouvernement Balladur les a ramenés à 4,85 % du PIB, en 1997 ils sont à 3,6 %, soit 270 milliards de déficit pour l'Etat et 25 milliards pour la sécurité sociale. Si, partant de 1993, nous étions revenus aujourd'hui à l'équilibre, la moitié du chemin aurait été faite en 1997. Je le dis car depuis quatre ans, nous avons entendu avec stupéfaction, puis amusement et finalement un peu d'agacement, ressasser des chiffres qui, sans être faux, n'ont pas de sens. Il faut le dire clairement : la dérive des finances publiques a commencé en 1988, par absence de maîtrise des dépenses, et a atteint son apogée en 1993 avec la récession. Depuis, nous faisons ce que nous pouvons pour remonter la pente, mais je viens de montrer l'_uvre accomplie de 1993 à 1997 ; si le gouvernement de M. Jospin avait suivi la même voie, le déficit de l'Etat aurait disparu. Or il nous place en dernière position dans l'Union européenne.

Pourquoi cela ? La question est d'autant plus légitime que depuis cinq ans la croissance a été exceptionnelle. Le Gouvernement y a-t-il contribué, en a-t-il seulement profité ? On peut en débattre et je pense qu'il y a eu un peu des deux. En tout cas, cette croissance a procuré 200 milliards de recettes fiscales supplémentaires, sans même mentionner les 400 milliards d'augmentations d'impôt. De façon beaucoup trop simple, il est vrai, on pourrait dire que ces 200 milliards représentent le déficit d'aujourd'hui.

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances - Le raisonnement est simpliste.

M. Georges Tron - C'est pourquoi je ne le fais pas. Encore qu'en économie, le plus simple est parfois le plus juste, et on dit souvent des choses très compliquées pour masquer la vérité.

Pourquoi donc avons-nous aujourd'hui un déficit qui nous place en dernière position de l'Union européenne ? La réponse est simple : en raison de l'incapacité du Gouvernement à contrôler la dépense publique depuis cinq ans. L'ensemble des observateurs le disent. Seulement on nous répond que nous n'avons qu'un seul discours, la dénonciation des dépenses de l'Etat. Quitte à vous surprendre, Monsieur le rapporteur général, vous ne pourrez pas m'accuser de simplisme, car ce n'est pas ce que je vais vous dire. On peut en réalité s'inscrire dans une autre logique, qui ne figure pas dans le dogme socialiste mais qui est celle de la révision de l'ordonnance de 1959 : mettre en _uvre les outils indispensables à la maîtrise des dépenses de l'Etat.

Ces outils existent. Faute de temps, j'en prends un seul exemple : je ne condamne pas par principe l'embauche de fonctionnaires supplémentaires. L'an dernier, rompant l'engagement pris auprès de Bruxelles de geler l'emploi public, vous avez embauché 15 000 fonctionnaires supplémentaires, et vous en embauchez 16 000 cette année, les charges de la fonction publique dans le budget de l'Etat augmentant de 28 milliards.

Pourtant, il existe des outils, comme l'Observatoire de la fonction publique, que vous-même avez mis en place. Nous sommes d'accord sur le fait qu'un service public de qualité demande du personnel. Mais attendez les conclusions de l'Observatoire pour savoir quels sont les besoins. Vous pratiquez une embauche systématique, car en fait l'embauche publique est aujourd'hui votre seule réponse politique. Comment s'étonner dès lors que ce budget soit marqué par le déficit, l'insincérité, la dissimulation ? Comment s'étonner que, comme il y a huit ans, après une période de croissance exceptionnelle, on retrouve des déficits qui le sont également ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF)

M. Julien Dray - Depuis des années, nous avons défendu l'idée que, la crise étant derrière nous, il fallait faire preuve d'audace budgétaire. Cette idée a tellement gagné de terrain que, dans l'optimisme, nous nous sommes engagés dans le plus grand plan de baisse d'impôts qu'ait connu notre pays.

Mais les certitudes d'hier se sont transformées en doutes insistants sur la croissance. Va-t-elle s'effondrer ? Pour ma part, je continue à penser que nous nous trouvons dans une phase longue de croissance : depuis 1997 elle est au rendez-vous, l'inflation est maîtrisée, l'investissement est soutenu et un million de personnes ont retrouvé un emploi, soit une diminution de près de 4 % du taux de chômage. Ce n'est pas là un phénomène conjoncturel. Les brevets, les nouveaux savoirs, les produits innovants accumulés pendant les années de crise permettent d'assurer un socle solide à la croissance dans la perspective d'un marché de masse.

Mme Nicole Bricq - Très bien !

M. Julien Dray - Mais par nature, un cycle n'est pas linéaire. Nous traversons donc une phase de ralentissement. Adopter de ce fait une attitude précautionneuse ne ferait qu'empirer le mal. Ne répétons pas la formidable erreur d'analyse de la droite de 1995 qui, obsédée par la lutte contre les déficits, avait augmenté de deux points le taux de TVA et tué la croissance naissante. L'annonce du versement anticipé de la prime pour l'emploi montre que le Gouvernement continue à s'inscrire dans une logique volontariste. En faisant ce choix, nous nous garderons de transformer l'or en plomb par dogmatisme ou frilosité. La comparaison des politiques menées en 1995 et 1997 prouve assez qu'on peut tirer parti de la croissance ou au contraire l'étouffer. Mais l'opposition semble incapable de tirer les leçons de l'Histoire. Elle conserve le même dogmatisme, reste obsédée par le déficit et la dette et est bien incapable de nous dire dans quels budgets il faudrait couper pour réduire les dépenses publiques.

A cet égard, la droite française est en décalage total avec ses amis idéologiques. Elle ne semble pas s'être rendu compte qu'il ne fait pas bon être libéral aujourd'hui.

M. Laurent Dominati - Ah bon ? Même les socialistes le sont !

M. Julien Dray - Même les conservateurs américains découvrent les vertus de l'intervention de l'Etat dans l'économie. Aucun esprit sérieux n'oserait soutenir que l'heure est à la restriction budgétaire ; elle est à l'injection de revenus dans l'économie. Chers collègues de l'opposition, comprenez qu'il n'est pas toujours bon de paraître fidèle à sa caricature.

D'ailleurs, m'appliquant ce principe à moi-même, je considère d'un _il un peu moins critique la politique économique des Etats-Unis. Dans cette phase incertaine, ils ont compris qu'il serait bien hasardeux de confier les rênes de leur économie à la main invisible du marché. Aussi ont-ils réactivé leurs politiques monétaire et budgétaire pour faire face à la conjoncture.

Face à cette réaction forte et rapide, l'Europe apparaît bien frileuse. N'en sommes-nous pas encore à ergoter sur les subtilités d'appréciation du pacte de stabilité ? On ne peut coordonner les politiques économiques européennes dans une perspective de restriction. Au contraire, la France pourrait proposer à l'Allemagne une déclaration commune, à soumettre à leurs partenaires, pour engager un plan de relance ambitieux afin de soutenir la consommation et l'investissement.

L'axe central d'un tel plan doit être une politique de grands travaux. Imaginez, par exemple, les répercussions en cascade d'un plan massif d'investissement dans le logement : il assurerait des débouchés durables à des milliers d'entreprises, entamerait encore un peu plus le chômage, injecterait des revenus supplémentaires dans l'économie réelle, soutiendrait la consommation des ménages. Ces grands travaux permettront aussi d'apurer la dette sociale qui a résulté de vingt ans d'offensive libérale.

Il faudra accompagner cette relance budgétaire d'une politique monétaire accommodante. Certains ont pu espérer, au vu de la baisse des taux européens au lendemain du 11 septembre, que l'indépendance de la BCE ne la condamnait pas à l'autisme politique. Mais son audace n'aura été que de courte durée : l'orthodoxie financière est sauve ! Nous aimerions pouvoir en dire autant de la croissance... Nouvelle preuve qu'il devrait revenir aux gouvernements de déterminer les grandes orientations de politique monétaire.

De même, les événements récents ont montré la nécessité d'une régulation politique des flux financiers internationaux. Les paradis fiscaux, aboutissement de la logique de libéralisation financière, sont des lieux de blanchiment d'argent sale. Ils font peser sur les autres pays une pression à la baisse de leur fiscalité et, finalement, de leur niveau de protection sociale. Finissons-en donc avec l'hypocrisie ou la tempérance diplomatique sur cette question !

L'instauration d'une taxe Tobin sur les flux monétaires internationaux, que je défends depuis 1993, aurait plusieurs avantages : renforcement de la justice fiscale, stabilisation économique, nouvelles recettes financières. Je me réjouis qu'une majorité de parlementaires semble s'orienter dans ce sens. Le Parlement s'honorerait de concrétiser ainsi l'une des principales revendications du mouvement contre la mondialisation libérale. Nul doute que ce vote créerait un électrochoc politique. La France jouerait ainsi un rôle moteur pour l'adoption d'une telle taxe à l'échelle du continent.

Ce serait un premier pas vers la nécessaire régulation des flux financiers et un moyen d'affirmer le primat de l'intérêt général.

Mme Catala remplace M. Gaillard au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de Mme Nicole CATALA

vice-présidente

M. Laurent Dominati - Le budget d'un pays doit traduire une ambition politique. Nous serons sans doute tous d'accord pour considérer que la nôtre doit être de rendre la France plus forte, surtout depuis le 11 septembre 2001.

Quelle politique économique peut renforcer les chances de la France ?

Malgré les événements du 11 septembre, nous sommes toujours au début d'un nouveau cycle économique, la chance d'une croissance à long terme nous est offerte par la révolution technologique. La première cause de la croissance est le développement des échanges internationaux : les pays qui ont fait le choix de l'ouverture sur le monde, du libéralisme économique international en recueillent les fruits. Je sais gré au Gouvernement d'avoir fait ce choix, non sans une certaine gêne : le Gouvernement était représenté au sommet de Gênes, mais en même temps le parti socialiste essayait d'être en sympathie avec les manifestants... Les choix de 1983 et d'Amsterdam ont donné l'avantage à une partie de la gauche sur une autre, j'en prends acte, mais l'orateur précédent a illustré le caractère toujours actuel du débat.

Les événements du 11 septembre doivent conduire la France à s'engager franchement dans la mondialisation.

M. Henri Emmanuelli, président de la commission des finances - Merci, docteur !

M. Laurent Dominati - Je n'oserais pas me considérer comme tel face à vous, Monsieur le président !

Voyons maintenant quels sont les handicaps de la France dans la nouvelle donne économique internationale. Outre les hésitations dont je viens de parler, il y a l'absence de marges de man_uvre.

La France a-t-elle bénéficié depuis quatre ans d'un surplus de richesse nationale ? Oui certes, mais par rapport à ses partenaires européens, notre pays a perdu une place en termes de PNB : il est douzième sur quinze en termes de PNB par habitant. Le pouvoir d'achat des Français a augmenté, mais moins vite que la richesse nationale. Nos entreprises ont été bridées par les 35 heures et en termes de compétitivité, nous avons reculé de deux places.

La croissance aurait-elle été utilisée pour réaliser de grandes réformes structurelles ? Dans l'Education nationale ? Dans le secteur de la santé ? Dans le financement des retraites ? Dans la justice ? Dans la police ? Dans la défense nationale ? Non vraiment, on n'a constaté d'effort significatif dans aucun de ces domaines.

Serait-ce, alors, que vous avez diminué la dette de l'Etat ? Non : elle a augmenté de 800 milliards. Les déficits publics seront plus élevés en 2001 qu'en 2000, et supérieurs encore en 2002.

Auriez-vous décidé des baisses d'impôts monumentales ? Non plus, puisque vous détenez le record des prélèvements obligatoires et que nos baisses d'impôts ne font que rendre une petite partie de ce que aviez pris précédemment par des hausses d'impôts. Il faut dire que la dépense publique a augmenté de 54 % en quatre ans...

Ce budget était assez prévisible, dans la mesure où il marque une continuité, mais il est surtout incertain. En matière de croissance, le bas de votre fourchette ne sera vraisemblablement pas même atteint. L'on ne peut que douter de la sincérité de vos chiffres et s'interroger sur votre propre sincérité.

M. Jean-Pierre Brard - C'est un expert qui parle !

M. Laurent Dominati - Je ne pense pas, connaissant votre perspicacité, que vous puissiez croire à ce budget. En cette année électorale, on nous présente un projet de loi de finances qui ne correspond en rien à la réalité.

Y a-t-il une véritable discussion budgétaire ? Je ne le crois pas. L'an passé, nous vous avions dit que le déficit 2001 serait supérieur au déficit 2000. Vous aviez traité nos arguments par le mépris. Aujourd'hui, vous êtes obligés de constater que nous avions raison.

Pendant quatre ans, vous avez mené une politique habile de communication. Vous avez fait croire que, grâce à la croissance, vous pouviez accomplir ce miracle de dépenser plus, de maîtriser la dépense publique et de baisser les impôts. Aujourd'hui l'illusion s'évanouit, et M. Fabius lui-même est contraint de renier les engagements du Premier ministre.

Une autre politique est-elle possible ?

M. le Président de la commission - On attend Madelin !

M. Laurent Dominati - Oui, elle est possible, car elle a été mise en _uvre dans d'autres pays, à majorité de gauche comme de droite. C'est une politique de choix de priorités budgétaires. Quels sont les domaines dans lesquels on peut diminuer les dépenses publiques, me direz-vous ? Il y en a ! Dans votre politique de l'emploi, qui coûte près de 180 milliards par an, que de gâchis ! Je pense en particulier aux 35 heures et au financement des emplois-jeunes.

Non seulement, donc, une autre politique est possible, mais elle est hautement souhaitable (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Pascal Terrasse - Ce budget s'inscrit dans un contexte international particulier. Les attentats du 11 septembre dernier ne sauraient masquer le ralentissement de l'économie américaine constaté ces derniers mois. Et, en France comme en Europe, l'affaiblissement de la croissance internationale et du commerce mondial aura indéniablement des répercussions.

Il est vrai qu'avec une croissance soutenue en 2000 et une consommation des ménages particulièrement forte, notre pays se porte mieux que ses voisins. C'est bien la preuve de la confiance que placent les Français dans les choix politiques du Gouvernement.

De fait, en 2002, notre pays pourra s'appuyer sur les acquis des quatre dernières années : inflation maîtrisée, prix des produits pétroliers stabilisé, coût des énergies électriques en baisse, surtout, relance de la croissance grâce aux mesures en faveur des ménages.

L'augmentation du pouvoir d'achat demeure une absolue nécessité, afin de relancer la consommation et non de soutenir une épargne déjà forte.

La baisse des impôts peut être un outil de croissance, mais elle ne saurait se limiter à cela. L'impôt est avant tout un formidable outil de redistribution. Dans cette période d'incertitude, la puissance politique doit jouer plus que jamais son rôle de régulateur économique. Les Français attendent des réponses publiques fortes en matière de sécurité, de santé, d'éducation, d'emploi.

Alors que l'opposition - on vient encore de l'entendre - souhaite moins de fonctionnaires, moins d'Etat, moins de régulation, ce budget affirme au contraire la forte présence de l'Etat. Il n'y a chez nous aucun double jeu démagogique ; nous ne demandons pas, nous, à Paris, moins d'impôts et moins de charges et, dans nos circonscriptions, plus d'enseignants, plus de policiers. Le maître mot de ce budget est bien la solidarité nationale.

Il faut permettre aux entreprises de mieux investir afin de poursuivre la lutte contre le chômage. Alors qu'il y avait eu 500 000 chômeurs de plus entre 1995 et 1997, depuis 1997 un million de personnes ont retrouvé le chemin du travail.

Les services publics doivent également être soutenus fortement car leur mission et leur présence sont essentielles, surtout dans les secteurs difficiles.

J'aurais souhaité que ce budget nous permette d'envisager des évolutions en ce qui concerne la TVA, notamment dans le secteur de la restauration, où le passage aux 35 heures nécessite des adaptations. La situation actuelle ne le permet bien sûr pas, mais le débat reste ouvert.

Malgré les incertitudes internationales, la situation de notre pays reste bonne. Le cap est donné, le groupe socialiste saura le tenir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pierre Lellouche - A l'évidence, le Gouvernement n'a pas tenu compte dans ce budget des données essentielles de l'économie mondiale.

La première est la crise générale des trois grands pôles de l'économie mondiale. Aux Etats-Unis, cette crise est antérieure au 11 septembre ; au Japon, la récession dure maintenant depuis quatre ans ; en Europe, chacun ressent le ralentissement de la croissance, qui aurait dû vous amener à réviser vos hypothèses.

La deuxième donnée essentielle est la guerre globale engagée contre le terrorisme. Il est trop tôt pour en mesurer toutes les conséquences, mais elles seront, à n'en pas douter, immenses. Certes, le prix de l'énergie est aujourd'hui faible, mais la vulnérabilité des lieux de production rend les prévisions aléatoires.

Je reviens des Etats-Unis où les effets des événements sont immédiatement perceptibles. L'économie est en récession de 2 à 3 % et nombreux sont les secteurs touchés. A New York, la moitié des 350 000 employés de la restauration seront licenciés avant la fin de l'année, si, comme on peut le penser, la consommation ne redémarre pas.

Dans ce contrôle, la politique économique nécessite des ajustements structurels et une grande discipline. Cela aurait dû vous conduire à revoir votre copie, et à réviser à la baisse vos hypothèses de croissance fantaisistes, à réduire de façon drastique le train de vie de l'Etat, à baisser plus fortement les impôts pour redonner de l'air à l'économie, à soutenir fortement les investissements dans certains secteurs comme la défense. Mais, manifestement, la seule donnée que vous ayez prise en compte est le calendrier électoral.

Au lieu des 2,5 % de croissance annoncé, il faut plutôt miser sur une fourchette de moins 0,5 à plus 1 %. Du coût, ce sont 50 à 150 milliards de recettes qui vous feront défaut, alors que les dépenses augmentent de 28 milliards, sans qu'aient été financés ni les 35 heures, ni les emplois-jeunes que vous allez pérenniser, élections obligent, ni la CMU, soit, au total, la bagatelle de 160 à 170 milliards. Ainsi, en juin 2002, quel que soit le vainqueur des élections, il devra faire face à un déficit de 300 à 350 milliards, comme en 1993.

Sur les conséquences de la crise internationale actuelle, le discours de M. Fabius m'a paru presque mensonger. Comment prétendre que le Gouvernement a pris la pleine mesure de cette crise, alors que le budget de la défense n'augmente pas d'un seul centime et que les crédits des armements conventionnels régressent ?

M. Jean-Pierre Brard - Des armes conventionnelles, pour raser la barbe de Ben Laden ! (Protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. Pierre Lellouche - Voilà une interruption bien médiocre...

Dans la loi de programmation militaire, c'est une annuité sur cinq, soit 80 milliards qui fait défaut pour l'équipement de nos armées.

De même, pour la sécurité civile et pour la défense du territoire, malgré l'annonce du plan Biotox, aucun engagement budgétaire précis n'est prévu.

En fait, M. Fabius est l'homme des « dividendes de la paix » qui est à l'origine de l'érosion constante de tous les budgets de la défense. Ainsi, de l'aveu même du chef d'état-major, 7 grands programmes ont dû être annulés et 12 sont en retard. Si l'on ajoute à cela le coût de la professionnalisation, indispensable, nos armées sont aujourd'hui sous-équipées et notre cohérence opérationnelle est menacée. On le voit en mer d'Oman, nous n'avons pas les moyens de notre politique : notre unique porte-avions est cassé, les avions qu'il devrait transporter n'ont pas été achetés. Depuis vingt ans, on a acheté au mieux deux Rafale par an et parfois aucun. Le taux de disponibilité de notre aviation est de 50 %, celui de notre marine, dont les effectifs ont fondu, de 60 %. L'hiver est maintenant venu et la fourmi est dépourvue... Voilà pourtant des années que je réclame un collectif qui permettrait de rattraper quelque peu le retard.

Ce budget n'est pas davantage adapté à la lutte contre le terrorisme en particulier contre le bioterrorisme. Un budget électoraliste, c'est un peu la règle du jeu en temps de paix, mais vous serez rattrapé par les déficits en juin prochain et vous en porterez la responsabilité devant l'Histoire, car en cas d'aggravation de la situation, vous aurez laissé notre pays avec une défense tout à fait insuffisante. J'attends donc de vous des explications extrêmement précises sur les mesures d'urgence que vous entendez prendre pour adapter celle-ci, et une clarté extrême sur les mesures nouvelles. Je serais pour ma part assez favorable à de grandes initiatives comme le lancement d'un grand emprunt national pour la défense, suggestion qui ne me paraît pas devoir être balayée d'un revers de main (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Christian Estrosi - Votre projet de loi de finances associe le virtuel à l'imaginaire. Votre approche de la réalité est tellement irréelle et tronquée que le ministre du budget semble s'être mué en père Noël électoral. Cette approche ludique de la politique pourrait prêter à sourire si elle ne s'inscrivait dans un contexte international et national lourd de menaces. Elle pourrait être sympathique pour les bénéficiaires de vos cadeaux si ceux-ci n'étaient pas appelés à les payer demain au prix fort. Ne nous y trompons pas : le petit papa Noël de ce budget devra reprendre les jolis joujoux qu'il offre à certaines catégories sociales à la veille des élections (Murmures sur les bancs de la commission).

Plus sérieusement, cette approche électoraliste, démagogique et mercantiliste (Protestations sur les bancs du groupe communiste) de la politique est tout bonnement honteuse. Elle s'assimile à un achat de votes. Conformément à la morale cette politique ne sera même pas efficace puisqu'elle ne permet pas de relever les défis lancés à notre pays. Vous refusez de dire la vérité aux Français et de décrire la dégradation de la situation que vous n'avez pas su anticiper. Depuis des mois, et bien avant le 11 septembre, les experts annonçaient un ralentissement considérable. Vous avez nié l'évidence jusqu'à l'aveuglement, préférant gaspiller les fruits de la croissance en mesures coûteuses et inutiles. Les Français auront hélas demain à payer au prix fort cette impéritie budgétaire.

Je voudrais revenir dans ce contexte sur le doublement de la prime pour l'emploi que vous avez annoncé hier pour 2002, avec le versement du premier chèque aux bénéficiaires dès janvier. Cette prime pour l'emploi - ou plutôt pour l'élection - s'est substituée à la diminution de la CSG que vous aviez annoncée concomitamment à la baisse de l'impôt sur le revenu et que le Conseil constitutionnel avait sanctionnée au motif qu'elle rompait l'égalité des Français devant l'impôt. Mais le doublement de la prime pour l'emploi entraîne la même flagrante inégalité. Les Français qui acquittent un impôt sur le revenu dont la pression demeure particulièrement forte ne bénéficieront pas d'un même avantage. Cette différenciation qui s'opère au détriment des classes moyennes est particulièrement choquante. De plus, la PPE ne s'applique qu'aux revenus d'activité. Les retraités sont donc écartés de son bénéfice, ce qui est d'autant plus scandaleux que leur pouvoir d'achat a diminué depuis 1997. Madame la ministre, les retraités ne peuvent être privés de cette prime. Vous n'avez pas le droit d'ignorer une partie aussi importante de la population, et notre nation se doit de respecter sans discrimination ses engagements envers ceux qui ont cotisé toute leur vie.

Quand on fait des cadeaux, il faut les financer sans obérer l'avenir et les répartir équitablement. Votre budget se caractérise au contraire par une dérive incontrôlée et des cadeaux électoralistes qui constituent une hérésie économique autant qu'une injure sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. François Guillaume - D'autres ont relevé avant moi les failles de votre exercice budgétaire et son caractère irréaliste, avec un taux de croissance prévu à 2,5 % - en hausse sur les 2 % observés en 2001, alors qu'on assistait partout, avant même le 11 septembre, à un ralentissement économique.

Cet optimisme de commande est tel qu'on se demande si vous n'avez pas calculé votre taux de croissance de manière qu'il réponde à l'augmentation de vos dépenses et respecte le déficit budgétaire que vous vous êtes fixé, plutôt que l'inverse. Comme si l'incantation pouvait éloigner le spectre de la récession, vous attendez comme s_ur Anne le salut de l'extérieur, de la reprise, alors qu'il est à rechercher d'abord dans l'indispensable rigueur budgétaire qui, il est vrai, ne s'inscrit pas dans la culture de la gauche, plus portée à jouer de la pression fiscale que de la réduction du train de vie de l'Etat.

M. le Président de la commission - Et 1997 !

M. François Guillaume - Vous vous résignez donc à une nouvelle progression du déficit budgétaire, dont le volume est cependant masqué par des recettes exceptionnelles, artifice dénoncé par notre collègue Gilles Carrez.

Qui plus est, les analystes estiment que la croissance plafonnera au mieux en 2002 à 1,5 %, ce qui signifierait un déficit de 300 milliards. On retrouverait alors celui que vous nous aviez laissé en 1993.

Le risque est d'autant plus réel que vos baisses d'impôts ne sont gagées par aucune restriction de dépenses pas plus que ne l'est votre proposition de relance par distribution de pouvoir d'achat, pratique dont les effets sont limités sur l'activité économique mais qui creuse à coup sûr les déséquilibres publics. Ceux-ci viendront nourrir la dette qui atteint déjà 5 500 milliards de francs, soit 60 % du PIB. C'est énorme, la charge de la dette, à près de 250 milliards, représenteront 15 % de la dépense budgétaire.

Néanmoins, vous vous rassurez, au prétexte que ce taux est encore toléré par Bruxelles. Vous faites observer que le ratio d'endettement de nombreuses entreprises dépasse ce taux. Certes, mais leur dette finance des investissements, qui n'est pas le cas de celle de l'Etat qui, couvrant des dépenses de fonctionnement, ne produit rien et appelle un strict remboursement.

Faute d'avoir profité pendant quatre ans de l'embellie économique pour assainir ses finances, la France s'expose à subir la crise à venir sans autre solution que de s'endetter plus encore ou de lever de nouveaux impôts, au risque de provoquer la fuite des capitaux et des compétences.

Les Etats-Unis et tous nos partenaires européens ont à l'inverse saisi l'opportunité d'une bonne conjoncture pour réduire leur déficit budgétaire et accumuler des excédents qu'ils peuvent à présent employer à relancer leur activité économique, selon le principe bien connu des interventions contra-cycliques. Cigale de l'Europe et des pays industrialisés, la France sous gouvernement socialiste cultive l'imprévoyance et s'endette, prenant le risque de pénaliser les prochaines générations au travail. Pourquoi ne pas avoir profité de la flambée boursière de l'an 2000 pour réaliser les actifs encore détenus par l'Etat dans les entreprises publiques et les sociétés nationalisées en 1981 ? L'opportunité était belle d'éponger ainsi 20 % de l'encours de la dette, soit 1 200 milliards. Depuis, le tas d'or a fondu, les participations de l'Etat se sont dévalorisées. Depuis janvier, France Télécom a perdu plus de 60 % de sa valeur, Thomson Multimédia plus de la moitié.

Vos participations ne servent d'ailleurs à rien même quand elles sont majoritaires. Il suffit de se souvenir de la débâcle du Crédit Lyonnais dont le peuple attend encore que les responsables soient punis. La volonté qui perdure, par exemple à France Télécom de maintenir coûte que coûte une position majoritaire, pénalise même l'entreprise qui, pour éviter à l'Etat de tomber sous le seuil des 50 % du capital, se voit obligée d'emprunter pour financer ses acquisitions au lieu de procéder à des échanges d'actions avec les sociétés. France Télécom est ainsi devenue l'entreprise de communication la plus endettée au monde. La dépréciation des actions que s'arrachaient les petits porteurs aujourd'hui piégés en est l'une des conséquences.

Tel est le prix du dogmatisme de la majorité qui vous soutient. Encore que celui de M. Fabius ne m'apparaisse pas très assuré. Il est en tout cas sélectif. Comment pouvez-vous aujourd'hui, sans vous renier, ouvrir le champ à la privatisation du Crédit Agricole par l'artifice d'un article de la loi NRE particulièrement abscons ? J'entends pourtant encore les clameurs de protestation de la gauche lorsqu'en février 1988, j'obtenais de cette assemblée la mutualisation de la banque verte pour lui donner une plus grande liberté d'action tout en préservant le statut coopératif du groupe.

M. Jean-Pierre Brard - Du bidon !

M. François Guillaume - Allez-vous ouvrir le capital de la CNCA aux fonds de pension étrangers, qui auront ainsi accès à la distribution des belles réserves du Crédit Agricole, alors que les sociétaires en fin de carrière professionnelle devront se contenter d'un remboursement de leurs parts sociales au nominal qui auront perdu 10 fois leur pouvoir d'achat ?

M. le Président de la commission - Vous n'êtes pas dans une manif !

M. François Guillaume - Je comprends maintenant le manque de transparence de l'opération en cours. Quand on spolie cinq millions et demi de petits porteurs, paysans, artisans, commerçants, mieux vaut ne pas le dire ! Monsieur Brard, vous qui défendiez hier leurs intérêts, allez-vous être le complice du hold-up ainsi ourdi contre eux ? Dites à M. Fabius, Madame la ministre, que je lui ai proposé de le rencontrer pour l'informer des dangers de cette opération, et que j'attends sa réponse.

Ni votre politique, ni votre budget ne sont acceptables. N'espérez donc pas de nous un vote favorable (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget - Voici une intervention vive et animée, mais je vais d'abord répondre à M. Dominati - même s'il n'est plus là - et à M. Tron.

Je ne manquerai évidemment pas, Monsieur Guillaume, de rapporter vos propos à M. Fabius. En vous écoutant, Messieurs, je suis prise de vertige, tant il semble, à vous en croire, que tous nos chiffres soient faux et les vôtres justes ! Le déficit budgétaire s'établissait pourtant, en 1996 comme en 1993, à 300 milliards, le taux de TVA ayant été augmenté de deux points entre temps ! Je vous renvoie donc au rapport économique, social et financier pour les batailles de chiffres.

Vous avez beaucoup développé l'idée selon laquelle ce gouvernement n'a fait que tirer les fruits d'une croissance qui lui a été octroyée, pour s'empresser de les dilapider. Comme chacun sait, la croissance est innée, elle fait baisser le chômage et augmenter les recettes et comme les gouvernements de gauche ne savent que retourner la tendance et précipiter à nouveau le pays dans la crise, la droite est convoquée pour redresser la situation. Pour que la coupure de 1997 ne jure pas trop dans le tableau, vous la présentez comme le début d'une parenthèse heureuse pendant laquelle un gouvernement débonnaire s'est abstenu de toute réforme - les Français en payant le prix aujourd'hui. Mais, et je ne prendrai que cet exemple, un million et demi d'emplois ont été créés entre 1997 et 2001 et le taux de chômage a été réduit de quatre points. Entre 1987 et 1991 en revanche, alors que la conjoncture internationale était plus favorable, seuls 700 000 emplois ont été créés et le taux de chômage a baissé de deux points...

Autre idée fausse : le Gouvernement n'a mené aucune réforme structurelle. Sans dresser une longue liste, parlons des 35 heures...

M. Georges Tron - Ne vous adressez-vous qu'à la gauche ou à tout le monde ?

M. le Président de la commission - Vos collègues ne sont pas là !

M. Georges Tron - Moi si !

Mme la Secrétaire d'Etat - Les 35 heures méritent bien mieux que les polémiques sur le financement que vous multipliez et je m'en remettrai au suffrage des Français sur ce sujet.

La réforme des prélèvements ne devrait pas non plus nous laisser insensibles. En 1997, un système fiscal profondément déséquilibré taxait excessivement le travail. Le basculement des cotisations maladie sur la CSG, la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle ont été des réformes justes et efficaces (M. Georges Tron proteste).

M. Pascal Terrasse - Madame la présidente, voulez-vous enfin faire taire M. Tron ?

Mme la Présidente - J'ai déjà demandé à nos collègues de respecter l'intervention du ministre. S'ils continuent je serai obligée de suspendre la séance.

Mme la Secrétaire d'Etat - Enfin, il est une réforme qui m'est particulièrement chère, c'est celle des finances publiques. Je pense que vos m'accorderez, Monsieur Tron, qu'elle a suscité le consensus et qu'elle fera beaucoup avancer les choses.

M. Georges Tron - Je l'ai dit.

Mme la Secrétaire d'Etat - Tout cela pour ça ? concluez-vous. Je vous réponds : « tout cela pour les Français » et je pense que ces quatre années n'auront pas été perdues.

M. Dray a abordé la question des paradis fiscaux, question que la France a abordée au sein des instances internationales. C'est elle qui, en 1989 - pour sortir du cadre de la présente législature - a favorisé la création du GAFI, groupe d'action financière internationale sur le blanchiment des capitaux. Depuis, nous avons obtenu de la part de paradis fiscaux l'engagement d'échanges d'informations sur les comptes bancaires. Cette entreprise, que le faible empressement de la nouvelle administration américaine avait ralentie, a trouvé un nouvel élan depuis les attentats du 11 septembre.

M. Dominati n'est pas là, mais je tiens à lui répondre qu'en matière de hiérarchisation des choix budgétaires, nous n'avons pas à rougir d'avoir fait progresser les six budgets prioritaires deux fois plus vite que la moyenne du budget et les autres trois fois moins vite que la moyenne. Il a parlé de gâchis, mais j'ai en mémoire la discussion du budget pour 1996 au cours de laquelle le Gouvernement avait demandé au Parlement de proposer des réductions de dépenses et d'emplois publics. Les réponses si constructives qu'il avait reçues ont ôté définitivement à tout gouvernement l'envie de renouveler cette initiative.

M. Terrasse a opportunément rappelé que c'est à la croissance et à la redistribution que nous avons consacré la baisse des impôts, comme le montre cet instrument novateur qu'est la prime pour l'emploi, au regard du retour à l'emploi, de la redistribution et de la dignité au travail. En ce qui concerne la restauration, les 35 heures et les conditions de travail en général sont des questions délicates et qui ne peuvent être réglées par le seul taux de TVA.

M. Lellouche, qui n'est pas là non plus, nous a donné des leçons, celles de l'analyste qui n'a jamais eu à décider et qui ne servent pas à grand chose quand on veut agir. Je déplore qu'il se repaisse des risques qui pèsent sur la conjoncture internationale et pourraient donc toucher nos concitoyens et regrette qu'il n'ait pas pris note des mesures que le ministre de l'économie a annoncées hier pour consolider la croissance. Mais au fond, ni la prime pour l'emploi, ni les investissements des entreprises ne l'intéressent. Dans le bon vieux discours de droite dont il nous a gratifiés, seule l'évolution des crédits militaires lui importe. Peut-être est-il dangereux d'en faire l'unique sujet de ses préoccupations... Quoi qu'il en soit, il pourra apprécier que jamais budgets n'auront aussi bien suivi une loi de programmation militaire que ceux de ces quatre dernières années, alors même que cette loi de programmation avait été votée sous une autre majorité. M. Lellouche craint que l'hiver venu, la fourmi se trouve fort dépourvue ; il voit donc la majorité plurielle sous les traits d'une jolie cigale. Je le lui confirme : je crains que l'hiver ne dure encore longtemps pour la vilaine fourmi...

Enfin, M. Estrosi a longuement parlé de la prime pour l'emploi. Je lui rappelle que son doublement était dès longtemps prévu pour 2002. Ce qui a été annoncé hier, c'est son augmentation pour 2001. Quant à ces chimères que sont les inégalités qu'elle créerait, il est vrai que 30 % des bénéficiaires de la prime sont imposables. Mais comment être pris au sérieux lorsqu'on promet cette prime de retour à l'emploi... aux retraités ? Je crains qu'il n'y ait là beaucoup de démagogie... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

La suite de la discussion du projet de loi de finances est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 30.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            Jacques BOUFFIER


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