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LE RÔLE DES TRÈS GRANDS ÉQUIPEMENTS DANS LA RECHERCHE
PUBLIQUE OU PRIVÉE, EN FRANCE ET EN EUROPE

PREMIÈRE PARTIE - LA MONTÉE DES BESOINS EN GRANDS ÉQUIPEMENTS DANS TOUTES LES DISCIPLINES SCIENTIFIQUES (suite)

IV - Fusion 51
1. Les équipements lourds de la fusion 52
2. Les TGE de la fusion dans la nomenclature actuelle
53
3. Les besoins prévisibles
55

V - Le Laser MegaJoule 58
1. Le Laser MegaJoule pour l'étude de la fusion avec confinement inertiel 58
2. Le Laser MegaJoule, un équipement potentiellement fédérateur pour les recherches sur les lasers de puissance
59

VI - Synchrotrons 62
1. Les besoins en rayonnement synchrotron 63
2. Les dépenses actuelles dans le domaine du rayonnement synchrotron
65
3. Les besoins prévisibles
67

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du rapport

Suite du rapport


 

IV - Fusion

La recherche sur la fusion est une activité qui se trouve confrontée à un paradoxe, celui d'avoir une finalité explicitement industrielle de production d'électricité alors que la démonstration scientifique de la faisabilité de la fusion contrôlée reste à faire. On pourrait d'ailleurs ajouter une troisième difficulté que rencontrent les recherches sur la fusion, à savoir l'ampleur des moyens requis pour les installations de recherche.

L'horizon de la fusion contrôlée est la production d'électricité. C'est l'objectif des chercheurs qui s'intéressent à ce domaine. C'est la justification des investissements considérables dont il a bénéficié.

Sans cette perspective, il ne fait pas de doute que la recherche aurait été abandonnée, tant sont grandes les difficultés qu'elle rencontre. Selon l'expression de M. Roger BALIAN, " la recherche sur la fusion contrôlée constitue un projet scientifique mais de motivation non scientifique, qui n'appartient pas en tout état de cause au domaine de la science fondamentale ".

Au vrai, cette recherche a incontestablement souffert d'annonces prématurées sur l'horizon de ses débouchés. On constate d'ailleurs une propension toujours actuelle dans les présentations faites par certains chercheurs, à comparer d'ores et déjà le coût du kWh produit par la fusion à celui du kWh nucléaire, alors que l'on ne peut envisager aucune perspective de réacteur industriel avant au minimum 30 à 40 ans.

Il faut toutefois souligner les retombées des recherches sur la fusion dans le domaine scientifique pour la physique des plasmas ou la magnétohydrodynamique et dans le domaine technologique, avec les applications industrielles des plasmas, du cryomagnétisme et des avancées dans le domaine des matériaux et de l'instrumentation.

Si le chemin est long avant ce terme, c'est qu'il reste à apporter la démonstration scientifique de la fusion contrôlée. Les tokamaks en fonctionnement actuellement progressent dans leurs performances. Mais ce sera l'objectif d'ITER-FEAT, machine conçue dans le cadre d'une collaboration internationale, que d'effectuer cette démonstration en atteignant un rapport puissance issue de la fusion sur puissance supplémentaire fournie au combustible au moins égal à 10. Mais, même en cas de succès, ITER-FEAT n'ouvrira pas la voie, à lui seul, à un réacteur électrogène. Des développements complémentaires seront nécessaires, en particulier dans le domaine des matériaux à faible activation et des couvertures tritigènes, avant une étape d'intégration technologique finale.

Il s'agit là d'un projet dont le coût est tel qu'il est mondial depuis son origine. La France possède de réelles chances d'accueillir, pour le compte de l'Union européenne, ce projet dans l'hexagone, si toutefois les conditions d'un effort de financement particulier peuvent être réunies.

1. Les équipements lourds de la fusion

Les efforts de la France dans les recherches sur la fusion contrôlée prennent appui sur une machine nationale, TORE SUPRA, et sur une participation française à la machine européenne JET.

Le tokamak TORE SUPRA, installé à Cadarache est issu du regroupement des moyens relatifs aux machines TFR (tokamak) de Fontenay-aux-Roses, Petula (tokamak) et Wega (stellarator) de Grenoble, installations qui ont été arrêtées au milieu des années 1980.

La construction de TORE SUPRA a duré 7 ans, le premier plasma ayant été obtenu en 1988. Le volume du plasma de TORE SUPRA est de 20 m3, à comparer au volume de l'ordre de 1 m3 des machines de la génération précédente et au 100 m3 du JET.

TORE SUPRA a obtenu des plasmas sur des durées de 2 minutes et permet des démonstrations complémentaires à celles du JET. Celui-ci est plus performant du fait de son grand volume mais est limité en durée d'impulsion à 5 secondes pour les plasmas les plus performants.

Par rapport à l'ensemble des machines servant dans le monde à l'étude de la fusion, TORE SUPRA est le seul grand tokamak à mettre en _uvre la technologie des aimants supraconducteurs.

Dans la répartition de facto des sujets de recherche relatifs à la fusion, TORE SUPRA s'est spécialisé dans l'étude des temps longs et détient le record de l'énergie extraite. La modernisation en cours, qui s'achèvera en 2008, a pour objectif l'accès à la physique et à la technologie des décharges performantes et de longue durée, c'est-à-dire de 1000 secondes environ. En tout état de cause, on peut considérer que vers 2008, le programme TORE SUPRA sera arrivé à maturité.

TORE SUPRA a exercé un effet d'entraînement dans le domaine du magnétisme et de la cryogénie.

C'est pour cette installation qu'ont été développés des aimants supraconducteurs et une installation cryogénique inédite, technologies qui ont ensuite été utilisées au CERN pour construire le LHC. Les techniques cryomagnétiques développées par le CEA pour la fusion et la physique des particules ont trouvé de nombreuses applications dans le domaine médical et d'autres domaines de recherche.

Les travaux conduits avec TORE SUPRA sont complétés par les recherches effectuées sur le tokamak européen JET implanté en Grande-Bretagne.

La décision de construction du JET (Joint European Torus) fut prise en 1978 par le Conseil des ministres de la CEE, sa construction intervenant de 1978 à 1983, date à laquelle le premier plasma a été obtenu.

Le JET est le plus grand tokamak du monde. Il détient le record mondial d'énergie de fusion, soit 22 MJ pendant près de 4 secondes. Il détient également le record mondial de puissance de fusion, à 16 MW, avec un rapport puissance issue de la fusion sur puissance additionnelle fournie au combustible égal à 0,64.

Seul instrument à pouvoir fonctionner avec un mélange deutérium-tritium, le JET joue un rôle clé dans la préparation de l'étape expérimentale suivante, présentée sous le nom d'ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor).

Le JET présentant encore un fort potentiel, son utilisation a été prolongée jusqu'à la fin 2002 et est envisagée jusqu'à la fin du 6ème PCRD. Un investissement supplémentaire a été proposé dans ce sens, consistant dans l'augmentation de puissance de chauffage du plasma, afin d'affiner les scénarios de fonctionnement d'ITER, de finaliser l'ingénierie de différents dispositifs essentiels de ce dernier et de progresser dans la recherche fondamentale sur la physique des plasmas. L'essentiel de cet investissement devrait être financé par EURATOM.

Le JET est utilisé depuis le 1er janvier 2000 dans le cadre d'un nouvel accord, l'European Fusion Development Agreement (EFDA), dont le but est de mettre en place un cadre coopératif fort, de focaliser et de réorganiser les recherches afin de préparer ITER. Outre le JET, l'EFDA couvre les recherches en technologies de la fusion et la participation européenne à ITER. L'EFDA pourrait éventuellement évoluer vers une agence européenne, en particulier si ITER était décidé.

2. Les TGE de la fusion dans la nomenclature actuelle

Les dépenses annuelles relatives à TORE SUPRA sont stables depuis 1995, à moins de 150 millions de francs par an, selon les chiffres du ministère de la recherche. En 1999, le personnel attaché à TORE SUPRA représentait 356 personnes, dont 282 appartenant au CEA, 24 présents dans le cadre d'EURATOM et 16 doctorants.

Tableau 7 : Evolution des dépenses relatives à TORE SUPRA1

millions de francs

dépenses

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

TORE SUPRA

(TGE scientifique)

personnel

92

70

82

57

67

81

81

82

83

86

86

exploitation

96

97

52

51

51

38

45

40

42

39

41

construction

 

 

 

 

 

23

24

22

17

17

17

total

188

167

134

108

118

142

150

144

142

142

144

La participation française au JET représente quant à elle un montant de 11 millions de francs par an, correspondant à une quote-part des frais d'exploitation.

Le faible coût de la participation française au JET s'explique par l'intervention des crédits communautaires pour le financement de la machine.

En effet, le programme européen de recherche sur la fusion fait l'objet d'une action clé  du 5ème PCRD, qui est mise en oeuvre dans le cadre des activités EURATOM. Deux des principaux axes de cette action clé sont d'une part la pleine exploitation du JET et d'autre part la consolidation des bases scientifiques d'ITER.

De fait, le budget du JET pour l'année 2000 est de 67,5 millions d'euros. EURATOM le finance à hauteur de 73 %. Un Fond conjoint réunissant l'UKAEA et les " Associations ", c'est-à-dire les organismes nationaux de recherche contractuellement associés à EURATOM, finance 21 % du total. Le reste, c'est-à-dire 6 %, correspond à des activités conduites dans les laboratoires nationaux et financées par ceux-ci. La participation directe du CEA au Fond conjoint représente 1,4 million d'euros.

Tableau 8 : Evolution des dépenses relatives au JET2

millions de francs

dépenses

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

JET

(TGE scientifique)

personnel

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

exploitation

21

22

17

17

17

10

10

10

10

11

11

construction

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

total

21

22

17

17

17

10

10

10

10

11

11

Compte tenu des évolutions précédentes, il n'est pas étonnant de constater que les dépenses des TGE de la fusion sont étales depuis 1995.

Figure 7 : Evolution des dépenses annuelles relatives aux TGE de la fusion

Par ailleurs, les dépenses des TGE de la fusion représentent en 2000 3,4 % de l'ensemble des dépenses des TGE scientifiques et techniques.

Figure 8 : Evolution des dépenses relatives aux TGE de la fusion par rapport aux dépenses totales des TGE scientifiques et techniques

3. Les besoins prévisibles

Le tokamak français et le tokamak européen actuellement en fonctionnement ne semblent pas nécessiter à moyen terme des dépenses susceptibles de faire croître sensiblement leurs budgets. La modernisation en cours de TORE SUPRA sera achevée en 2008 dans les limites budgétaires actuelles. La prolongation du JET au delà de 2002 ne devrait pas représenter une charge supplémentaire considérable pour les pays membres, dans la mesure où EURATOM assume la plus grande part du financement.

En réalité, la grande question est celle du projet ITER-FEAT, conçu dans le cadre d'une coopération internationale.

La coopération en matière de recherche sur la fusion a pris une dimension mondiale depuis la fin des années 1980 à la suite d'un sommet du G7.

Avec un horizon à plusieurs dizaines d'années pour l'obtention de résultats industrialisables, l'absence de concurrence et de retombées immédiates en matière de fourniture d'énergie, un accord international a pu être signé entre les Etats-Unis, le Japon, l'Europe et la Russie, les recherches en cours au plan national se poursuivant toutefois en parallèle.

Le programme ITER subséquent a connu une première étape au terme de laquelle le projet a été jugé surdimensionné et coûteux. Le coût de la machine préconisée intitulée ITER-FDR atteignait en effet 6 milliards de dollars. Le projet a connu ensuite une phase difficile, notamment en raison du retrait des Etats-Unis.

Le projet actuel intitulé ITER-FEAT résulte d'une simplification du projet initial. Son coût est ramené à 3,5 milliards de dollars, soit environ 25 milliards de francs.

Les dépenses de recherche sur la fusion dans le monde sont d'un montant considérable. EURATOM consacre environ 200 millions d'euros par an, auxquels il faut ajouter les 250 millions d'euros annuels dépensés par les pays membres, soit un total de 450 millions d'euros dépensés en Europe. Les sommes consacrées annuellement à ces mêmes recherches atteignent un montant comparable au Japon et environ 250 millions de dollars aux Etats-Unis. Le total des dépenses atteint donc environ 1,1 milliard d'euros par an.

La construction d'ITER-FEAT dont le devis actuel est de 3,5 milliards d'euros, semble possible aux partisans du projet, dans la mesure où elle s'étalera sur 10 ans et où elle s'accompagnera d'une fermeture progressive de la plupart des installations actuelles.

Selon la répartition des dépenses arrêtée actuellement, un partenaire du projet ITER, par exemple l'Union européenne, accueillant la machine sur son sol devrait prendre à sa charge 25 % du coût d'ITER-FEAT, en plus de sa contribution aux 75 % restant qui sont à partager équitablement entre l'ensemble des partenaires.

Dans le cas où l'Europe, dans le cadre d'EURATOM serait candidate pour accueillir le projet, la charge financière pour le pays hôte ne constituerait qu'une partie de ces 25 %, le complément étant financé par le budget communautaire EURATOM. La part précise du pays hôte reste donc à négocier.

C'est dans ce cadre que le CEA propose à l'Union européenne la candidature du site de Cadarache pour accueillir la machine ITER-FEAT. Les atouts de la France sont ses compétences dans le domaine de la fusion, les qualités du site de Cadarache, ainsi que l'absence d'autre candidat en Europe.

Sur un plan financier, la dépense pour la France serait sans nul doute importante même si la part d'EURATOM reste à négocier. Mais les commandes à l'industrie nationale et les revenus provenant de l'exploitation viendraient compenser la charge initiale, avec un décalage de trésorerie dont il faut tenir compte.

Sur le seul plan financier, l'exemple du CERN montre que la France a pu obtenir des retombées considérables de son rôle moteur dans un grand projet international, aux plans scientifiques, technologiques et économiques.

Reste à savoir si l'exemple du CERN est transposable à la fusion et si une participation de toutes les grandes zones économiques mondiales pourra être réunie, conformément aux objectifs initiaux du projet.

V - Le Laser MegaJoule

Le Laser MegaJoule est un très grand investissement technologique, en cours de construction, destiné au programme de simulation lié à la Défense nationale.

En tant que tel, le Laser MegaJoule n'est pas un très grand équipement répertorié pour le moment dans la nomenclature des TGE de la direction de la recherche du ministère de la recherche.

S'il s'agit d'un outil qui participe au maintien de la capacité de dissuasion après la suppression des essais nucléaires, son utilisation pour la recherche civile est toutefois envisagée.

Le principe d'une utilisation du laser MegaJoule pour des recherches civiles relatives à la fusion contrôlée par confinement inertiel ainsi que les conditions de mise en place d'un tel programme sont actuellement explorés.

C'est dans cette perspective que le cas du Laser MegaJoule est traité dans la suite.

1. Le Laser MegaJoule pour l'étude de la fusion avec confinement inertiel

Le Laser MegaJoule, dont la construction a commencé au CESTA-CEA près de Bordeaux, devrait être opérationnel en 2008 et atteindre ses performances nominales en 2010.

Grâce à ses 240 faisceaux, le Laser MegaJoule pourra déposer une énergie de 1,8 MJ en quelques milliardièmes de seconde sur une cible centimétrique, recréant ainsi à une échelle réduite les conditions de pression et de température de la fusion thermonucléaire. La puissance de l'ensemble des faisceaux pourra atteindre 600 000 Gigawatts.

Le Laser MegaJoule représente l'un des trois maillons développés pour suppléer les enseignements des essais nucléaires.

Le premier autre maillon est l'appareil de radiographie éclair géant AIRIX, installé à Moronvilliers (Marne) qui sert à radiographier avec un flash de rayons X d'une durée de quelques milliardièmes de secondes, l'explosion de matériaux lourds non nucléaires servant d'amorce aux armes nucléaires.

Le deuxième maillon est l'ensemble constitué par un supercalculateur en cours d'installation au centre du CEA-DAM d'Ile-de-France de Bruyères-le-Châtel et par les logiciels de simulation numérique des armes nucléaires. Le coût total du programme de simulation s'élève à 15 milliards de francs, dont 10 milliards de francs pour les investissements matériels et 5 milliards de francs pour le développement. Un millier de chercheurs et ingénieurs de la DAM du CEA y travaillent3.

La construction et l'utilisation du laser MegaJoule répondent ainsi au premier chef à des objectifs militaires liés à la simulation des armes nucléaires.

Mais il est prévu dans ce cadre qu'une partie des 600 tirs annuels soient utilisés pour l'étude de la fusion par confinement inertiel.

Il s'agit là d'un domaine d'étude complémentaire de celui de la fusion contrôlée avec confinement magnétique, où l'on utilise des tokamaks (voir plus haut).

Un dispositif tel que le Laser MegaJoule peut en effet permettre de, créer pour un volume de matière très faible, de l'ordre du centimètre cube, les conditions de la fusion.

En effet, l'absorption du rayonnement laser par une cible de deutérium et de tritium conduira à des températures de plusieurs millions de degrés et des pressions de plusieurs millions de bars, d'où la compression brutale des matériaux fusibles et le déclenchement de la fusion nucléaire, le temps de réaction étant limité par le temps de dégradation de la cible, lui-même fonction de l'inertie de la matière. Le gain attendu entre l'énergie fournie, soit 2 MJ, et l'énergie de fusion, est d'un facteur 10, le tout pour des quantités de matière très réduites.

La fusion par confinement inertiel ne fait à l'heure actuelle l'objet d'aucun programme financé de recherche civile, sauf aux Etats-Unis, ce qui a pour conséquence un retard important de cette voie de recherche par rapport à la fusion par confinement magnétique, la seule explorée dans bien des cas et en particulier au CEA.

2. Le Laser MegaJoule, un équipement potentiellement fédérateur pour les recherches sur les lasers de puissance

Au delà des études sur la fusion proprement dite, une installation comme le Laser MegaJoule pourrait constituer un outil d'une grande utilité pour d'autres types de recherches.

En premier lieu, le Laser MegaJoule présente un intérêt considérable pour la physique fondamentale, au regard de questions comme la dynamique des implosions et les équations d'état, l'étude des interactions rayonnement-matière.

Pour d'autres disciplines comme l'astrophysique, un tel dispositif permet la simulation d'événements violents comme l'explosion de supernovae. Les conditions technologiques de mise en _uvre d'un tel équipement étant très complexes, les recherches correspondantes sont d'un intérêt majeur pour d'autres projets comme par exemple le projet VIRGO de détection des ondes gravitationnelles (voir plus haut).

De fait les équipes de recherche intéressées par l'utilisation du Laser MegaJoule sont très nombreuses, situées principalement à l'Ecole Polytechnique, à Orsay, au CEA ainsi qu'en Europe.

Au reste, il existe en France une communauté de plus en plus importante de chercheurs s'intéressant à la technologie et aux applications générales des lasers de puissance. Cette communauté est encore peu structurée mais elle est en croissance rapide, comme en témoigne l'exploitation de l'installation LULLI, qui est quatre fois plus demandée qu'elle ne peut offrir d'accès.

Un débat existe sur les débouchés des travaux actuels sur les lasers de puissance qui ouvrent des perspectives inattendues. Un autre débat s'est engagé sur les perspectives des lasers à rayons X et leur intérêt comparé à d'autres techniques.

Pour certains experts, les lasers à électrons libres, qui représentent la prochaine génération de synchrotrons, devraient garder la prééminence par rapport aux lasers à rayons X, tant en longueurs d'ondes qu'en puissance de crête intégrée en flux par stéradian.

Au surplus, une nouvelle voie existe par ailleurs pour les lasers à rayons X et les sources X incohérentes qui reposent sur la technologie du bombardement de cibles métalliques par des lasers ultra brefs.

En outre les développements actuels des lasers ultra brefs permettent d'envisager la mise au point de sources gamma pulsées.

Au demeurant, comme le montre le montage de sources lasers sur les lignes de lumière des synchrotrons, ces technologies sont bien davantage complémentaires que concurrentes.

Ainsi donc, le domaine des lasers de puissance " fourmille d'innovations " et se révèle très attractif pour les étudiants et les jeunes chercheurs.

Si le ministère de la Défense souhaite que les installations du Laser MegaJoule soient utiles à la recherche civile, ce qui est un atout pour un grand nombre de chercheurs intéressés par les lasers de puissance, il reste que l'organisation pratique pour l'accès aux expériences et la délimitation du périmètre classé " secret défense " s'avèrent complexes à mettre au point et souvent dissuasives pour des scientifiques de la recherche fondamentale et pour la coopération internationale.

VI - Synchrotrons

Le cas du synchrotron a été traité en détail dans le premier tome du présent rapport4.

Afin de replacer cet outil d'analyse fine de la matière dans le contexte général des très grands équipements, les principaux points de l'analyse développée par vos Rapporteurs dans le rapport de l'Office publié le 17 mars sont rappelés dans la suite.

Les synchrotrons produisent des ondes électromagnétiques de toutes longueurs d'onde, utilisées par un nombre considérable de méthodes d'analyse de la matière.

Ces machines sont constituées d'une part d'un anneau de stockage d'une circonférence de cent à plusieurs centaines de mètres, dans lequel les électrons tournent 350 000 fois par seconde à une vitesse proche de celle de la lumière, et, d'autre part, de lignes de lumière et de postes expérimentaux périphériques qui utilisent la lumière émise par les électrons lors de passage dans des aimants de courbure ou des " chicanes " magnétiques (" wigglers " et onduleurs) placées sur leur trajectoire, lumière dénommée rayonnement synchrotron.

Les synchrotrons, qui sont utilisés chacun par plusieurs milliers de chercheurs, constituent une avancée technologique majeure puisque le rayonnement des synchrotrons de 3ème génération est mille milliards de fois plus brillant que les rayons émis par des équipements de laboratoire comme les tubes à rayons X.

Alors que l'on se trouve déjà à la 3ème génération de machines, l'évolution technique des synchrotrons est loin d'être achevée, des progrès considérables étant attendus sur les onduleurs, l'optique des lignes de lumière, et l'instrumentation, et notamment les détecteurs. En outre, de nouvelles perspectives existent en termes de machines dérivées des actuels synchrotrons mais complémentaires, les lasers à électrons libres.

1. Les besoins en rayonnement synchrotron

Un synchrotron est un très grand instrument banalisé, partagé, accessible, formateur et pluridisciplinaire.

Un synchrotron, même de 3ème génération, apparaît aujourd'hui comme une machine banalisée, au service d'une vaste communauté de chercheurs appartenant à des laboratoires multiples, répartis sur tout le territoire et venant même de l'étranger pour près du quart du total en moyenne.

Les chercheurs visiteurs de toutes disciplines, qui se relaient sur les postes expérimentaux des synchrotrons, bénéficient d'une assistance rapprochée de la part des concepteurs et des chercheurs résidents. Par ailleurs, les synchrotrons jouent un rôle important dans la formation des jeunes chercheurs.

Un synchrotron, en définitive, fournit des services de haut niveau technologique à un ensemble de communautés scientifiques relevant de différentes disciplines.

La demande de temps d'accès aux lignes de lumière des synchrotrons est en forte croissance dans tous les pays du monde, en particulier en France.

Ainsi, en 1999, la demande exprimée en (heures x instruments) adressée au LURE a représenté 155 % du temps alloué, un pourcentage à peu près stabilisé cinq ans après la mise en service des équipements (voir figure suivante).

Figure 9 : Ecart entre la demande exprimée en (heures x instruments) et l'allocation effective au LURE5

On constate également que la demande d'accès à l'ESRF ne peut pas être satisfaite. L'écart entre la demande de temps d'accès et les durées effectivement allouées s'est élevé à 205 % pour la part française de l'ESRF6, cinq ans après la mise en service de l'appareil (voir figure suivante).

Figure 10 : Ecart entre la demande exprimée en heures x instruments et l'allocation effective à l'ESRF (part française)

La même insuffisance se constate pour l'ESRF considéré dans son ensemble (voir figure suivante). En 1999, la demande de (jours x instruments) a atteint 210 % de l'allocation effective.

Figure 11 : Ecart entre la demande exprimée en (jours x instruments) et l'allocation effective à l'ESRF considéré dans son ensemble

La décision de M. Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, ministre de la recherche annoncée le 11 septembre 2000, d'autoriser la construction du synchrotron de 3ème génération SOLEIL sur le plateau de Saclay, a donc pour but premier de répondre aux besoins de chercheurs d'accéder à cet outil d'analyse essentiel que constitue le rayonnement synchrotron.

2. Les dépenses actuelles dans le domaine du rayonnement synchrotron

Les synchrotrons sont considérés par le ministère de la recherche comme faisant partie de la catégorie des très grands équipements et les dépenses correspondantes sont répertoriées comme telles.

L'ensemble des dépenses de personnel, d'exploitation et de construction-modernisation du LURE se sont élevées à 136 millions de francs en 1999, un niveau quasiment stable depuis 1995 (voir tableau ci-dessous).

Tableau 9 : Evolution des dépenses annuelles relatives au LURE7

millions de francs

dépenses

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

LURE

(TGE scientifique)

personnel

65

61

65

72

73

93

91

93

93

93

104

exploitation

44

44

45

44

45

47

46

44

43

43

42

construction

 

 

 

 

 

 

6

 

 

 

 

total

109

105

110

116

118

140

143

137

136

136

146

La contribution française à l'ESRF atteint un montant du même ordre de grandeur, soit 125 millions de francs en 1999. La part des dépenses de construction a décru depuis 1990 et s'est annulée en 1998. Les dépenses d'exploitation ont pris le relais, tandis que les dépenses de personnels ont atteint un maximum de 1994 à 1996 correspondant à la mise au point de l'appareil.

Tableau 10 : Evolution des dépenses annuelles relatives à l'ESRF8

millions de francs

dépenses

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

ESRF

(TGE scientifique)

personnel

22

32

40

48

52

52

56

30

26

28

28

exploitation

 

 

 

 

18

40

49

82

85

97

98

construction

120

134

126

108

74

38

24

25

12

 

 

total

142

166

166

156

144

130

129

137

123

125

126

S'agissant de SOLEIL, des frais ont été comptabilisés lors de la phase active d'étude, de 1997 à 1999, aucune dépense n'ayant été prévue en 2000.

Tableau 11 : Evolution des dépenses annuelles relatives à SOLEIL9

millions de francs

dépenses

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

Soleil

(TGE scientifique)

personnel

 

 

 

 

 

 

 

5

7

1

 

exploitation

 

 

 

 

 

 

 

6

7

 

 

construction

 

 

 

 

 

 

 

 

7

 

 

total

0

0

0

0

0

0

0

11

21

1

0

Si l'on examine l'évolution au cours du temps des dépenses relatives au rayonnement synchrotron, on constate une remarquable constance au cours du temps. Il faudrait se féliciter de cette stabilité si, pendant la même période, la demande d'accès aux faisceaux n'avait pas explosé.

Figure 12 : Evolution des dépenses annuelles relative au rayonnement synchrotron

Du fait de la croissance des dépenses des autres types de très grands équipements, la stabilité des dépenses relatives aux synchrotrons se traduit par une diminution de leur part relative, qui ne représentait plus que 5,7 % du total en 1999.

Figure 13 : Evolution des dépenses relatives aux TGE Synchrotrons par rapport aux dépenses totales des TGE scientifiques et techniques

3. Les besoins prévisibles

Le premier tome du présent rapport concluait à la nécessité de construire sans attendre un synchrotron national polyvalent, pluridisciplinaire et évolutif, indispensable pour la communauté scientifique française

La décision du ministre de la recherche, dans le cadre d'un partenariat de l'Etat avec la région Ile-de-France et le département de l'Essonne, va donc dans le bon sens.

Vos Rapporteurs se sont félicités que le rapport de l'Office ait joué un rôle important dans l'information du ministre au moment où il prenait ses fonctions.

Après que la décision a été prise conformément aux recommandations de l'Office de doter la recherche française de l'outil pluridisciplinaire dont elle a un urgent besoin, il convient que la construction de SOLEIL commence sans aucun retard.

Les besoins de la communauté scientifique sont à satisfaire le plus vite possible. Les difficultés d'accès au LURE et à l'ESRF occasionnent en effet des retards préjudiciables à la compétitivité de la recherche française, dans toutes les disciplines.

Les prévisions établies par M. Yves FARGE, d'un doublement en moyenne des capacités d'accueil de projets, montrent l'urgence du problème.

Tableau 12 : Estimation des capacités annuelles souhaitables en France à 20 ans10

nombre de projets

capacité

annuelle

actuelle

estimation de la capacité souhaitable

à 20 ans (1999)

facteur

multiplicatif

Sciences de la vie

80

240

3

Sciences de l'univers

40

80

2

Recherche appliquée (dont micro-fabrication)

320

640

2

Chimie

160

240

1,5

Physique

200

240

1,2

Total

800

1440

1,8

A terme, il s'agit bien de doter la France de capacités nationales d'accueil sur synchrotron de 3ème génération qui représentent près des deux tiers des capacités actuelles sur des machines de 1ère et de 2ème génération.

Tableau 13 : Prévisions de capacités souhaitables en France à 20 ans selon la génération des synchrotrons considérés11

nombre de projets

Capacité

annuelle

actuelle

Capacité annuelle

souhaitable

à 20 ans

facteur

multiplicatif

Expérimentations sur synchrotron de 1ère génération

480

320

0,7

Expérimentations sur synchrotron de 2ème génération

120

670

5,6

Expérimentations sur synchrotron de 3ème génération

0

770

-

L'urgence concerne toutes les disciplines mais est particulièrement forte dans le domaine des sciences du vivant.

Une course de vitesse est engagée pour l'élucidation des structures des protéines. Il s'agit là d'un enjeu capital des sciences du vivant. A cet égard, le rayonnement synchrotron constitue un outil irremplaçable, comme l'indique la figure ci-après.

Figure 14 : L'importance croissante du rayonnement synchrotron pour l'élucidation des structures macromoléculaires12

La résolution des structures des protéines qui pouvait s'effectuer avec des instruments de laboratoires, bascule, dans tous les pays, vers les synchrotrons, ainsi qu'en témoigne le graphique suivant réalisé par le laboratoire de l'EMBL (European Molecular Biology Laboratory) implanté sur le site des synchrotrons du Hasylab de Hambourg.

Un succès récent et marquant obtenu à l'ESRF est l'élucidation de la structure du prion de levure13.

Figure 15 : Comparaison du total mondial de publications de biologie structurale résultant de travaux conduits sur des synchrotrons ou sur des sources propriétaires14

Il convient en conséquence de mettre en place, sans tarder davantage, la structure chargée d'engager concrètement la réalisation de SOLEIL et de lui donner les moyens de conduire sa mission à marche forcée.

Par ailleurs, il faut également signaler que la recherche sur la génération suivante de synchrotrons commence avec la réflexion et les premiers travaux exploratoires sur les lasers à électrons libres commandés par des accélérateurs linéaires.

Ces machines, dont la faisabilité semble acquise, devraient d'une part permettre d'obtenir un nouveau saut qualitatif pour la brillance et la cohérence des faisceaux de rayons X, et d'autre part, grâce à la réduction de la durée des impulsions à quelques femtosecondes, ouvrir la voie à des applications nouvelles des rayons X, comme la femtochimie.

Un mémoire en faveur d'une initiative européenne dans ce domaine15 a récemment été discuté à la table ronde européenne sur le rayonnement synchrotron et adopté par le groupe européen de réflexion sur les méthodes d'analyse fine de la matière.

Si les perspectives de réalisation d'une machine dédiée semblent encore relativement lointaines, il convient toutefois de garder à l'esprit qu'il existe des perspectives de développement pour le rayonnement synchrotron.

1 Source : direction de la recherche, ministère de la recherche, juin 2000

2 Source : direction de la recherche, ministère de la recherche, juin 2000

3 Source : dépêche AFP 28 septembre 2000, réf : FRS1204 3 GIA 0622 FRA / AFP-TK95.

4 Christian CUVILLIEZ et René TRÉGOUËT, Les conditions d'implantation d'un nouveau synchrotron, Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, Assemblée nationale n° 2248, Sénat n° 273, Paris, 17 mars 2000.

5 Source : CNRS - audition de Mme BRECHIGNAC, directeur général, 2 février 2000.

6 Part française augmentée des accès aux lignes dites CRG réservées aux Collaborative Research Group.

7 Source : direction de la recherche, ministère de la recherche, juin 2000

8 Source : direction de la recherche, ministère de la recherche, juin 2000

9 Source : direction de la recherche, ministère de la recherche, juin 2000

10 Source : Y. FARGE, CNRS, 1999.

11 Source : Y. FARGE, CNRS, 1999.

12 Source : Review of the needs for European synchrotron and related beam-lines of biological and biomedical research, Fondation européenne de la science (ESF), novembre 1998.

13 AFP, 4 décembre 2000.

14 Source : HASYLAB - DESY Hambourg, février 2000.

15 Jochen R. SCHNEIDER, European Initiative for the Construction and Usage of Linac Driven Free Electron Laser (FEL), DESY, Hambourg, novembre 2000.