N° 3641

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

L'impact éventuel de la consommation des drogues
sur la santé mentale de leurs consommateurs

Deuxième partie - chapitres II et III,
Conclusion,
Recommandations,
Examen du rapport par l'Office

CHAPITRE II : LES INSUFFISANCES DE LA CONNAISSANCE 111

Section I : Les études à conduire sur la nature des drogues 112

Section II : Les études à mener sur l'action des drogues 114

A) Les paramètres de la dépendance 114

B) Le caractère irréversible des troubles 115

C) Les dangers pour la jeunesse 116

D) Les interactions avec l'alcool 118

E) La génétique 118

F) Le risque (ou l'absence de risque) de passage du cannabis à des drogues plus dure 119

G) La recherche en neuropsychiatrie doit être développée 120

CHAPITRE III : STRATÉGIE POUR UNE DYNAMISATION DE LA RECHERCHE 121

Section I : Un constat de carence de la recherche scientifique 121

A) L'analyse de la Cour des Comptes 121

B) L'analyse du Rapporteur 125

Section II : Les dispositions du plan triennal relatives à la recherche 127

Section III : Stratégie pour dynamiser la recherche 133

A) La nécessité de susciter des vocations de chercheurs 133

B) La levée d'obstacles juridiques 133

C) La mise en place d'une agence de moyens 134

1) L'exemple américain 134

2) La proposition du Rapporteur 135

CONCLUSION 137

RECOMMANDATIONS 139

EXAMEN DU RAPPORT PAR L'OFFICE 141

 

 

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Suite du rapport
 : annexes

 

 

Chapitre II :
Les insuffisances de la connaissance

L'information, l'élaboration d'une culture commune implique la mise à jour d'informations valides, base d'une pédagogie active reposant sur des connaissances scientifiques.

Une des grandes difficultés de l'étude qui m'est demandée réside dans le fait que les travaux sur les modifications à long terme du cerveau suite à la prise de drogue n'ont pas aujourd'hui débouché sur des conclusions scientifiques indiscutables1.

L'amélioration des connaissances scientifiques constitue à mes yeux la priorité afin de bâtir sur des bases solides un consensus dans la lutte contre la toxicomanie.

Un pas important a été franchi avec l'expertise collective de l'INSERM. Elle a par son caractère scientifique rigoureux conduit ceux qui plaidaient pour la dépénalisation du cannabis, en fonction d'une prétendue innocuité de ce produit pour la santé, à mettre un bémol à leur discours dès lors qu'il apparaît que ce dernier n'est pas scientifiquement recevable.

L'amélioration des connaissances scientifiques est indispensable pour élaborer une stratégie efficace contre la drogue car, j'ai pu mesurer en rédigeant ce rapport l'étendue de nos incertitudes et en même temps les formidables espoirs de progrès de la connaissance qu'autorisent les avancées de la biologie, de l'imagerie médicale et de la génétique.

Section I :
Les études à conduire sur la nature des drogues

Je suis très inquiet devant le développement des drogues de synthèse car, les trafiquants les plus dangereux sont ceux qui analysent les données du « Vidal » et à partir des médicaments les plus simples fabriquent des substances parfois inattendues.

Il est désormais possible, et sans doute nécessaire et urgent, de se préoccuper davantage de l'irruption de nouvelles drogues de synthèse et par conséquent de mettre au point un système d'exploration et de comparaison, propre à donner les premières indications sur leur dangerosité au sens large. Les autorités doivent pouvoir réagir rapidement ; aussi paraît-il indispensable et urgent de doter notre pays d'un outil performant pour comprendre la nature des nouveaux produits.

Les spécialistes consultés par votre Rapporteur évaluent le budget d'équipement d'une telle structure à une somme modique, autour de 0,5 million d'euros, car il serait possible d'utiliser des équipements déjà existants et accessibles

Comme je l'ai souligné dans le chapitre VI de la première partie, l'industrie pharmaceutique doit s'impliquer dans cette action en aidant les pouvoirs publics à anticiper.

Au-delà de l'identification des nouveaux produits il est indispensable d'avoir une vision large de ces questions car, il faut noter l'importance des problèmes d'oxydation et de polyconsommation qui sont peu étudiés.

Chaque produit nouveau devrait être étalonné et comparé avec d'autres drogues du même type et je me rallierais volontiers à l'analyse du professeur Roques lorsqu'il suggère la démarche suivante :

« C'est dans cet esprit que nous proposons la mise en place d'une organisation dont le statut est à définir (institut, laboratoire, unité pluri-organismes ...) mais dont les missions seraient :

a) de recueillir et analyser les produits nouveaux et si possible définir leur formule chimique ;

b) de transmettre ces composés à un laboratoire d'étude des mécanismes physicochimiques et biologiques conduisant à la transformation des drogues psychostimulantes inactives en drogues actives ;

c) d'analyser la dangerosité centrale (atteinte des neurones) des produits actifs selon des angles complémentaires (neuroanatomique, pharmacologique, génomique.

« L'ensemble de ces données constituerait une carte d'identité du nouveau produit X permettant ainsi de fournir, à partir de bases scientifiques solides, des arguments pour une politique d'information et de réduction des risques. Notons qu'une telle organisation pourrait également se préoccuper des associations de drogues, et ce au travers de modifications des caractéristiques de la carte d'identité de chaque produit pris individuellement (changement de la neurotoxicité, dans les réponses en pharmacologie comportementale, dans l'expression des gènes, ...) ».

Il ne faut toutefois pas oublier que nous ne sommes pas confrontés uniquement à l'arrivée de nouvelles drogues, des produits plus traditionnels comme l'héroïne continuent à faire des ravages et il est clair que la recherche fondamentale, sur cette dernière essentiellement, doit être approfondie en particulier à travers l'étude moléculaire des opiacés.

De même il est fondamental d'étudier les produits associés : il est admis que lorsqu'il s'agit de psycho-stimulants dérivés des amphétamines, ce n'est pas le produit initial qui est actif (voir neurotoxique) mais un ou plusieurs de ses metabolites issus de l'addition de substances endogènes telles que la cystéine ou le glutathion.

Ces ajouts pourraient se lier de manière plus ou moins irréversible aux différents systèmes de recapture, stockage et libération de la dopamine et/ou la sérotonine bien que ceci reste à démontrer formellement2. Il y a là un terrain de recherches très important également. La situation est la même pour la cocaïne où il semble que la neurotoxicité du produit passe par une action toxique sur le foie qui ensuite agirait sur le cerveau et non directement sur ce dernier. Là aussi il est nécessaire d'approfondir nos recherches.

Section II :
Les études à mener sur l'action des drogues

Au terme de ce rapport, il me semble que les quelques axes qui suivent devraient faire l'objet d'actions prioritaires de recherches.

A) Les paramètres de la dépendance

Aujourd'hui l'action des drogues sur le cerveau intervient en fonction de plusieurs paramètres :

- La nature de la drogue, il est évident que l'intensité de l'action du cannabis et celle de l'héroïne ne sont pas identiques.

- La quantité et la répétition des prises de drogues mais, il existe une très grande variabilité individuelle qui conduit certains individus à se heurter à des problèmes de santé graves dès une première prise et avec des quantités limitées.

Ces phénomènes de dépendance sont largement commun à ceux de la nicotine c'est pourquoi il me semble que l'industrie du tabac devrait être mise à contribution pour aider la recherche à préparer des antidotes aux toxiques qu'elle diffuse en contribuant à un fond de concours dont le produit serait affecté à la recherche scientifique sur la dépendance.

Il me paraît intéressant à ce niveau de rappeler les conclusions du Rapport du Professeur Roques :

« Développer les études génétiques, la recherche en neuroendocrinologie, en biologie moléculaire, biochimie et en neuroimagerie afin de comprendre les mécanismes de prédisposition, les facteurs de vulnérabilité, les modes d'action, les mécanismes de la dépendance à long terme et la dangerosité en général.

Evaluer la dangerosité à long terme de l'ecstasy ses dérivés apparentés.

En cas de développement d'un médicament actif sur le système nerveux central, faire une étude préalable de son éventuelle utilisation toxicomanogène.

Recommandations générales

- Surveiller plus étroitement le développement des substances à risque d'abus et des nouvelles drogues et centraliser cette information.

- Mettre en place des études cliniques des drogues.

- Initier des programmes d'enseignement spécialisés sur la toxicomanie.

- Étendre les traitements de substitution.

- Améliorer le système de recueil de données statistiques concernant les toxicomanies. »

B) Le caractère irréversible des troubles

Un axe fondamental de recherche doit porter sur le caractère réversible ou non des troubles induits par les drogues.

L'importance des troubles de la mémoire et de la vigilance générés par certaines drogues est forte mais les chercheurs s'interrogent sur leur caractère irréversible.

Cela a été en particulier confirmé par mes interlocuteurs américains qui sont en train de conduire des recherches spécifiques sur les troubles de type maladie d'Alzheimer et Parkinson mais qui pour le moment n'ont pas abouti à des conclusions évidentes.

L'ecstasy atteint les mêmes neurones et le même système de dopamine que la maladie de Parkinson, il est donc souhaitable d'approfondir les recherches dans ce domaine, comme le font les Etats-Unis.

Les chercheurs américains poursuivent d'autant plus leurs recherches qu'ils se sont rendu compte que la marijuana entraîne des altérations permanentes. En effet, l'imagerie médicale a permis de mettre en évidence des transformations à long terme du cerveau mais, il est encore prématuré de conclure à l'apparition de maladies neurodégénératrices sous l'impact de la marijuana.

C) Les dangers pour la jeunesse

Durant tous mes entretiens mes interlocuteurs américains comme français n'ont eu de cesse de souligner la forte augmentation de la dangerosité des drogues lorsqu'elles sont consommées avant vingt-cinq ans et force est de reconnaître que nous manquons d'éléments sur ce problème majeur : l'accroissement de la dangerosité des drogues lorsqu'elles sont consommées par les adolescents.

En dehors des études fondamentales dans des domaines comme la biologie, des études épidémiologiques de grande ampleur doivent être engagées très rapidement sur les troubles scolaires liés aux drogues.

En effet en l'absence d'études des effets du cannabis sur les adolescents votre Rapporteur a vu certaines personnalités nier des phénomènes qui lui paraissent évident or, il est indispensable de susciter un consensus sur l'analyse des drogues sur la base d'études objectives pour que nous puissions aborder cette question, non avec des sentiments ou des intuitions mais des faits.

Le tableau qui suit, issu des statistiques de la direction générale de la police nationale, offre un panorama de l'âge des usagers de drogue. Il illustre mieux que de longues analyses la proportion massive de jeunes gens parmi les consommateurs de drogue et, par voie de conséquence l'acuité de ce problème.

Evolution et répartition par produit, par âge, par sexe et

par nationalité des décès par surdose (1995 à 2000)

graphique

Source : Direction générale de la Police nationale

D) Les interactions avec l'alcool

Comme nous l'avons examiné dans les chapitres précédents l'alcool peut décupler l'effet des drogues et l'étude sur les interactions entre l'alcool et la drogue est une nécessité.

E) La génétique

Les chercheurs ont réussi à bloquer des récepteurs, des enzymes, des systèmes de recapture ou à empêcher la production d'un neuromédiateur pour en analyser les fonctions. Les progrès de la génétique ont permis d'identifier certains des gènes codant les différents éléments mis en jeu dans les phénomènes d'addiction. Ainsi est-il possible d'inactiver un gène, provisoirement ou définitivement. Des souris génétiquement modifiées ont donc été créées afin d'étudier ce que devient un animal auquel il manque un récepteur, une enzyme ou un neuromédiateur. Les conclusions que nous pouvons tirer de ces expériences sont très précieuses pour la compréhension des mécanismes, mais il faut être prudent dans leur interprétation.

Il est fondamental d'approfondir ces recherches pour pouvoir déterminer l'importance du profil génétique et en particulier s'il existe des gènes communs aux troubles compulsifs.

Pour le moment ni les européens ni les américains n'ont identifié les gènes à l'origine de la dépendance et cette question est probablement très complexe car elle implique probablement l'intervention de nombreux gènes.

L'une des avancées qu'offrirait la génétique à terme serait la possibilité d'identifier les sujets à risque. Si un tel diagnostic était possible il pourrait constituer une aide précieuse pour prévenir les phénomènes de dépendance.

F) Le risque (ou l'absence de risque) de passage du cannabis à des drogues plus dure

La prise de produits stupéfiants ne facilite-t-elle pas la prise ultérieure de produits psychostimulants plus forts ? Il s'agit d'objet permanent de polémiques sur lequel il serait indispensable de conduire des études épidémiologiques et scientifiques.

L'étude présentée devant l'Académie Nationale de Médecine le 19 février 2002 par le Professeur Jean Costentin souligne que : « Les relations avec les systèmes opioïdergiques sont particulièrement importantes à considérer pour expliquer le fait que la grande majorité des toxicomanes à l'héroïne ont été préalablement des utilisateurs du cannabis.

Le blocage des récepteurs CB1 inhibe le comportement de préférence de place conditionné par la morphine.

Tanda et coll. ont constaté que le THC et l'héroïne exercent des effets similaires sur la transmission dopaminergique mésolimbique, via la mise en jeu de récepteurs opioïdes de type mu (μ1). Ceci fait dire aux auteurs que si leurs résultats ne constituent pas la preuve directe d'une relation de causalité entre la consommation de cannabis et celle d'héroïne, ils sont néanmoins en accord avec cette possibilité.

Les souris dépourvues de récepteurs CB1 ne s'auto-administrent plus de morphine. En revanche, elles continuent de s'auto-administrer de la cocaïne, comme on l'a dit, ainsi que de l'amphétamine et de la nicotine.

Chez ces mêmes souris CB1-/- , la morphine n'induit plus de libération de dopamine dans le noyau accumbens ; ses effets analgésiques persistent, une tolérance à ceux-ci peut toujours se développer à la faveur d'administrations répétées, mais l'auto-administration de morphine est très notablement diminuée. L'intensité du syndrome d'abstinence à la morphine, précipité par la naloxone, est significativement diminuée sur 7 des 9 expressions explorées. Cette importante étude souligne que l'administration au long cours d'un antagoniste CB1-/- , mimant en cela ce qui est observé chez les souris privées de ce récepteur, pourrait être un moyen de prévention d'une dépendance aux opiacés...

Manifestant encore les relations qui existent entre les systèmes cannabinoïdergiques et les systèmes endorphinergiques, Navarro et coll. ont constaté que chez le rat rendu dépendant à la morphine l'antagoniste CB1, le SR 141 716, induisait un syndrome de sevrage. De plus, chez le rat rendu dépendant aux cannabinoïdes par des administrations répétées d'un agoniste CB1, (le HU210), l'antogoniste préférentiel des récepteurs opioïdes, de type mu, la naloxone, induit un syndrome qui ressemble à celui du sevrage morphinique.

Chez les souris CB1-/-, on n'observe pas la sensibilisation aux effets excito-locomoteurs de la morphine, qui se développe à la faveur d'administrations répétées chez les souris normales, CB1-/-. Ce phénomène de sensibilisation, c'est-à-dire d'accroissement progressif de la réponse locomotrice en réponse à une même dose de drogue, est l'opposé d'une tolérance. Il s'observe avec divers agents toxicomanogènes. Gorriti et coll. ont constaté que l'administration chronique de THC induisait une sensibilisation aux effets psychomoteurs de l'amphétamine chez le rat.

Dans le même esprit, il a été montré que l'administration semi-chronique d'un agoniste CB1 de synthèse, (le WIN 55212-2), modifiait considérablement les effets de l'héroïne. Alors que celle-ci suscitait, chez les rats témoins, une catalepsie (équivalent du syndrome extrapyramidal humain), elle induisait au contraire chez les animaux prétraités par le WIN une hyperactivité locomotrice et des stéréotypies.

L'intrication des systèmes cannabinoïdergiques et endorphinergiques, révélée par ces expériences récentes, sans encore accéder au niveau de la certitude, donne une base mécanistique au constat que la plupart des héroïnomanes ont préalablement abusé du cannabis. Selon une métaphore empruntée à la teinturerie, le cannabis mordancerait la fibre sur laquelle l'héroïne se fixerait avec une plus grande facilité. Le THC préparerait le toxicomane à percevoir d'emblée, et sur un mode accentué, le « plaisir » qu'il éprouve lors des premiers usages d'héroïne, conduisant à leur répétition, avec l'extrême détérioration qui en résulte ».

G) La recherche en neuropsychiatrie doit être développée

Depuis de nombreuses années la recherche en psychiatrie est un domaine peu médiatisé, qui n'a pas fait l'objet d'une attention suffisante de la part des pouvoirs publics. A côté des études que je viens d'évoquer il est évident qu'il faut développer les études psychiatriques, surtout dans le domaine de la neuro-psychiatrie où les nouvelles techniques d'imagerie médicale offrent des perspectives d'avancées spectaculaires.

Les équipements récents comme le tomographe à émission de positrons, le tomographe à émission de simples photons ou les techniques telles que la résonance magnétique nucléaire fonctionnelle permettent de visualiser avant, pendant et après la consommation d'une substance psychoactive, les régions cérébrales où se produisent les effets de celle-ci et leur intensité. Il est également possible de relier en temps réel les sensations ressenties par le patient et les images obtenues.

Ces possibilités nouvelles de recherche ouvrent un champ d'investigation qui n'a pas encore été pleinement exploité.

Chapitre III :
Stratégie pour une dynamisation de la recherche

Au cours de son travail votre Rapporteur n'a pu que constater les lacunes de la recherche scientifique consacrées aux drogues et à la toxicomanie. Il est très étonnant que sur un problème majeur de santé publique aussi peu d'investissements aient été réalisés aussi, à partir du constat dressé par la Cour des comptes en 1998 me suis-je efforcé d'élaborer une stratégie de dynamisation de la recherche, complémentaire de celle arrêtée en 1999 par les pouvoirs publics.

Section I :
Un constat de carence de la recherche scientifique

A) L'analyse de la Cour des Comptes

Dans un rapport particulier de 1998 la Cour constate que :

« Les connaissances tant épidémiologiques que scientifiques en matière de toxicomanie demeurent à l'évidence insuffisantes pour fonder l'action publique sur des bases rationnelles ».

Elle souligne surtout que l'état ne joue pas actuellement son rôle en matière de recherche. L'Etat n'a montré pour les établir ni détermination ni persévérance. Le ministère chargé de la recherche n'a guère porté d'attention à ce domaine.

L'affichage des programmes gouvernementaux successifs relatifs au développement des différents domaines de la recherche ne doit pas faire illusion. La procédure des appels d'offre ne masque pas le fait que l'administration n'a pas joué son rôle en la matière.

Le plan gouvernemental du 9 mai 1990 prévoyait à son tour diverses mesures visant à renforcer les activités de recherche et d'évaluation :

- création d'un observatoire des drogues et des toxicomanies ;

- introduction du paramètre de la protection sociale dans les enquêtes statistiques sanitaires mis en _uvre par l'enquête du SESI à compter de 1993 ;

- lancement d'appels d'offres pour développer les recherches prospectives et évaluatives dans les sciences biomédicales et les sciences humaines et sociales ;

- recherches sociales sur l'application de la loi de 1970, l'injonction thérapeutique ;

- mise en place d'un comité d'évaluation des politiques d'action contre la drogue ;

- incitation aux chercheurs pour concevoir des moyens techniques efficaces d'investigation et de détection destinés à la recherche de drogues.

Le programme d'action du 14 septembre 1995 reconnaissait la nécessité d'un "effort significatif" en ce domaine, comportait une rubrique consacrée à "l'augmentation des moyens et à la coordination de la recherche". Il indiquait que le budget consacré à la recherche serait progressivement augmenté, que des appels d'offres permettraient d'orienter les efforts des chercheurs vers la découverte de nouvelles thérapeutiques, de facteurs de risques, de messages préventifs adaptés, etc... Il envisageait, de surcroît, l'édition des travaux dans une collection spécifique et leur diffusion par la documentation française et des revues spécialisées.

Plusieurs de ces mesures ont été mises en _uvre avec retard (mise en place de l'observatoire français des drogues et des toxicomanies), ou se sont conclues par un échec (suspension en juin 1993 des travaux d'évaluation des politiques contre la drogue et la toxicomanie). La reprise périodique des mêmes objectifs confirme que les intentions ne sont que rarement suivies de réalisation concrète.

Au-delà de ce constat de carence des politiques la Cour souligne les insuffisances du ministère de la recherche.

Il est difficile de répertorier l'ensemble des chercheurs qui travaillent dans le champ de la toxicomanie car ils appartiennent souvent à des équipes pluridisciplinaires réparties entre plusieurs établissements publics scientifiques et technologiques, essentiellement l'INSERM et deux départements du CNRS, celui des Sciences de l'Homme et de la Société et celui des Sciences de la Vie.

A titre d'exemple, au CNRS, un groupement de recherche intitulé "psychotropes, politique et société" a été constitué, depuis 1993-1994, à l'initiative des chercheurs, pour développer la recherche en sciences sociales sur les psychotropes. Financé pour l'essentiel sur crédits interministériels, il rassemble neuf laboratoires, centres d'études ou instituts de recherche. A l'INSERM, une intercommission "comportements en matière de consommation", notamment en matière de substances psychoactives, créée en 1993, présente des caractéristiques de pluridisciplinarité s'étendant de la neurobiologie aux sciences humaines.

Les chercheurs spécialisés sont répartis entre plusieurs établissements publics scientifiques et technologiques, essentiellement l'INSERM et deux départements du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) : celui des sciences de l'homme et de la société et celui des sciences de la vie.

Face à cette dispersion, le ministère de la recherche, au sein duquel trois départements différents - biologie, médecine, santé, sciences humaines et sociales, sciences politiques, économiques et de gestion - sont concernés, n'a pas joué de rôle d'impulsion.

Le tableau ci-après publié par la Cour des Comptes est extrêmement instructif des carences de notre système de recherche :

APPELS D'OFFRES "RECHERCHE"

ANNEE

THEME ET PROCEDURE

OBJECTIF

RESULTAT

ENVELOPPE

financière

(millions de francs)

1991

Appel d'offres : apports des sciences humaines et sociales à la compréhension des drogues et des substances psychoactives.

Structurer les recherches rares et éclatées entre de nombreuses disciplines.

13 projets retenus sur 90 reçus

2,0

1992

Appel d'offres : bases neurobiologiques et psychologiques de la pharmacodépendance.

Mobiliser les chercheurs des deux disciplines. Comprendre les mécanismes de dépendance.

9 projets retenus sur 31 reçus

1,9

1993

Appel d'offres : toxicomanies.

Poursuite des travaux de 1992 dans le domaine de la pharmacodépendance avec accent sur la formation de jeunes chercheurs.

8 thèses

0,8

1994

Appel d'offres : neuro-sciences - sciences humaines et sociales - santé publique sur le thème des drogues illicites.

Mobiliser les équipes de neurosciences, les épidémiologistes et les équipes de sciences sociales, neurobiologie, recherche clinique, étude des pratiques et analyse de la mise en _uvre des politiques publiques.

30 projets retenus sur 78 reçus

6,0

1995

Propositions thématiques : bases neuro et psychobiologiques. Evaluation et recherches cliniques, pharmacologiques et en sciences humaines et sociales sur les produits de substitution.

Poursuite de l'action sur la dépendance :
- soutien à l'action d'évaluation des produits de substitution ;
- recherches sur les nouvelles formes de dépendance :

Crédits reportés en 1996

2,43

1996

Reprise du programme 1995

 

12 projets retenus

4,6

Comme le souligne la Cour : il ressort du tableau ci-dessus qu'un grand nombre de travaux ont été retenus. Mais il est difficile de les inscrire dans un plan d'ensemble cohérent.

On peut regretter que n'ait pas été mise en place, au sein de la mission scientifique et technique du ministère de la recherche, une instance chargée d'établir la programmation des recherches en toxicomanie, d'en centraliser les résultats et d'en organiser la diffusion.

Il est très inquiétant de relever pour la Cour :  « L'inorganisation de la recherche en toxicomanie subsiste aujourd'hui... Au total, l'Etat n'a pas défini les axes prioritaires de la recherche en toxicomanie ni mis en place l'organisation appropriée. Pour remédier aux carences constatées, un effort important paraît s'imposer tant dans le domaine de la recherche fondamentale que dans celui des études d'épidémiologie. Cet effort ne peut être exercé qu'au sein des organismes de recherche qui pourraient opportunément se doter à cette fin de programmes à moyen ou long terme, validés par leurs autorités scientifiques, et exécutés par les unités concernées.

Le développement de la recherche en toxicomanie, par nature pluridisciplinaire, constitue un préalable trop longtemps négligé à une action publique efficace.

B) L'analyse du Rapporteur

Votre Rapporteur partage bien évidemment les conclusions de la Cour mais au cours de ces travaux il lui est apparu qu'il fallait intégrer des aspects de la question sur lesquels la cour s'est peu penchée en particulier le problème des vocations.

Avant d'aborder la question des structures il faut parler des hommes car aujourd'hui force est de constater qu'il est peu gratifiant pour un hospitalo-universitaire de s'investir dans le domaine des drogues, du moins sur le plan de la carrière universitaire. Par ailleurs sur le plan thérapeutique ce secteur est difficile et demande un énorme investissement personnel pour les médecins et parfois une bonne dose de courage, au sens physique du terme.

L'éclatement des structures est également une des causes de cette déshérence. La cour des comptes souligne parfaitement ce problème.

Plus inquiétant est le fait que l'éclatement des structures ne permet pas à la recherche de répondre aux défis posés par l'arrivée de nouvelles drogues.

Or, il faut surveiller de très près l'entrée dans les modes de consommation de nouveaux produits de synthèse, essentiellement issus pour l'instant de la classe des amphétamines.3

De telles transformations sont à la portée de chimistes manipulés par des trafiquants et il est indispensable de mettre en place une structure travaillant en liaison étroite avec les organismes européens e pour gérer ces problèmes.

Aussi ai-je essayé de dégager dans la section III les moyens de concrétiser les pistes que je viens d'évoquer.

Section II :
Les dispositions du plan triennal relatives à la recherche

Le Gouvernement a publié un plan triennal de lutte contre la drogue et de prévention de la dépendance qui essaye d'apporter des réponses aux observations de la Cour des Comptes. Il me paraît utile de publier dans les pages qui suivent un extrait de ce plan qui aux yeux de votre Rapporteur mériterait d'être complété par les mesures proposées à la section III.

« Connaître, savoir et comprendre

Pour mener des politiques publiques, il est indispensable de comprendre et mesurer le phénomène que l'on veut traiter. Il faut donc pouvoir disposer des connaissances les plus précises possibles sur les produits, leurs effets sanitaires et sociaux, l'évolution des modes, des niveaux et des contextes de consommation, les facteurs prédictifs, l'évolution du trafic, l'efficacité des actions menées sur l'offre, la pertinence des traitements et des prises en charge.

Ce besoin de connaissances n'est aujourd'hui que très partiellement satisfait, pour des raisons qui touchent aussi bien à la faiblesse de la recherche et des instruments de mesure, qu'à leur cloisonnement et à leur dispersion. Les perspectives d'élargissement du champ d'intervention de la MILDT à l'ensemble des substances psychoactives n'ont fait qu'amplifier ces besoins, en insistant sur la nécessité d'une approche globale des conduites à risques et des comportements de dépendance. En outre, les programmes de recherche publique concernant l'alcool et le tabac devraient être plus largement développés en regard des enjeux.

Enfin, le temps de la recherche n'est pas celui de l'action publique. Aussi est-il nécessaire de disposer d'outils de connaissance qui permettent d'observer, en temps réel, l'évolution des modes et des contextes de consommation, afin d'adapter régulièrement les politiques publiques.

Structurer et développer la recherche

La faiblesse du dispositif de recherche a été soulignée par tous les rapports depuis celui de Mme Trautmann, en 1990. La multiplicité des sources de financement et des commanditaires (ministères, établissements publics, organismes de recherche publics et privés) a conduit à une dispersion des recherches et constitué un obstacle à la cohérence et à la comparabilité des données. Pour les mêmes raisons, certaines études et recherches sont insuffisamment connues et diffusées.

Les questions touchant à la drogue concernent de multiples disciplines, aussi bien dans le domaine des sciences de la vie que dans celui des sciences humaines. Or, s'il existe des équipes structurées, notamment dans le domaine des neurosciences, certains champs disciplinaires ne sont pas ou peu mobilisés (économie, histoire, droit, sociologie, recherches cliniques...). L'absence de confrontation de ces différentes disciplines constitue un obstacle à la compréhension globale du phénomène, pourtant indispensable à la pertinence et à l'efficacité des politiques publiques.

Les recherches concernant les produits psychoactifs licites, comme le tabac ou l'alcool, sont inégalement développées et sont financées, pour l'essentiel, par les industriels du secteur concerné.

Cette situation ne peut seulement se résoudre par l'élaboration de nouveaux appels d'offres, même financièrement bien dotés, mais par un travail résolu de structuration d'un milieu de recherche pluridisciplinaire, qui favorise le recrutement de jeunes chercheurs. Le lancement de nouveaux programmes de recherche doit également être précédé d'un état des lieux des connaissances dans les différentes disciplines concernées, ce qui nécessitera, dans certains domaines, la réalisation d'expertises collectives.

Il est indispensable de définir une stratégie claire de recherche qui s'inscrive dans la durée, ainsi qu'une organisation qui permette aux décideurs de disposer des connaissances nécessaires à l'élaboration des politiques publiques.

Instance de coordination interministérielle, la MILDT doit se doter des moyens d'assumer cette fonction dans le secteur de la recherche, en étroite liaison avec le ministère de la Recherche, les établissements publics scientifiques et techniques (EPST), les organismes de recherche propres aux différents ministères, les universités, les différents laboratoires et partenaires privés. Elle doit :

- contribuer sur le long terme à la structuration des recherches et des milieux de recherche en s'appuyant sur la réalisation d'états des lieux par discipline et/ou par produit, à la mobilisation de jeunes chercheurs et de nouvelles équipes, ainsi qu'à leur pérennisation ;

- construire les méthodologies d'évaluation devant accompagner la mise en place de tout nouveau dispositif ;

- devenir un lieu de référence permettant de rendre compte de l'état des connaissances auprès des pouvoirs publics, de la communauté scientifique et du grand public.

La MILDT devra s'appuyer sur l'OFDT et son collège scientifique, dont les compétences seront élargies à la recherche.

Structurer la recherche

De nouveaux modes d'action doivent être définis :

· Effectuer un état des lieux des connaissances par discipline et/ou produit constitue un premier temps indispensable à toute volonté de structuration de la recherche et des milieux de recherche. Cet état des lieux nécessite la mise au point d'un répertoire actualisé et thématique des différentes équipes de recherche ou de chercheurs isolés travaillant sur les domaines concernés. La conduite d'expertises collectives permettra également d'établir un état objectif des connaissances, notamment sur des sujets pour lesquels il n'existe pas encore de consensus scientifique.

Afin de disposer d'éléments de connaissance indiscutables, un programme de recherches sur l'alcool devra également être mené. Il portera notamment sur le rapport bénéfice-risque d'une consommation modérée, ainsi que sur les moyens de prévenir une consommation excessive. Les professionnels du secteur des boissons alcoolisées seront associés à l'élaboration de ce programme.

· Analyser les différents secteurs de la recherche :

- Dans le domaine de la recherche neurobiologique, l'accent doit ainsi être mis sur une meilleure connaissance des mécanismes de la dépendance afin d'envisager des nouvelles stratégies thérapeutiques. Le passage de l'usage d'un produit à l'usage nocif et à la dépendance est lié à différents facteurs qu'il convient de mettre en évidence. De même, ces connaissances permettront d'identifier les facteurs intervenant dans l'arrêt de la dépendance. Les implications dans le domaine du médicament et des biotechnologies seront également recherchées.

- Dans le domaine de la recherche clinique, il est important de structurer des équipes susceptibles de dresser un état des lieux, de décrire les processus de soins actuels mais aussi de dégager de nouvelles stratégies sanitaires.

Des essais cliniques devront notamment porter sur l'élargissement de la palette des médicaments utilisables pour la substitution, notamment sur les médicaments codéines et la substitution par voie injectable (cf. infra «La substitution»).

- Dans le domaine des sciences humaines et sociales :

¬ en sociologie et anthropologie doivent être développés l'évaluation des politiques publiques mais aussi l'évaluation comparative des politiques des différents pays, la recherche sur les relations entre les usages de substances psychoactives, la violence et la délinquance, et l'impact des politiques de prévention, domaines encore peu étudiés ;

¬ en économie, il conviendra de réaliser des études sur l'évaluation des coûts liés aux usages des différentes substances psychoactives (et non pas de l'usage d'un seul produit comme cela est fait le plus couramment) ;

¬ en psychologie, domaine où très peu d'équipes se sont investies, des recherches devront également être développées.

- Dans le domaine de l'agriculture, les données provenant du ministère de l'Agriculture concernant les produits viticoles et le tabac seront également prises en compte.

- Les consommations successives ou concomitantes de produits aussi bien licites qu'illicites nécessitent une meilleure compréhension tant sous l'angle pharmacologique que comportemental. Peu de travaux de recherche publique existent sur le tabac, l'alcool et les produits dopants, ce qui nécessite un effort particulier sur ces questions. Des programmes de recherche devront notamment porter sur les rapports entre alcool et criminalité ainsi qu'alcool et accidents du travail.

Des études cliniques seront en particulier menées pour explorer la faisabilité et l'efficacité de stratégies de diminution de la consommation de tabac au regard de la relation dose-effets (cf. infra « La prise en charge des personnes dépendantes du tabac »).

- La nouvelle législation sur la sécurité routière prévoit de rechercher systématiquement les produits illicites chez les conducteurs impliqués dans un accident mortel de la circulation. Il apparaît nécessaire de mener des travaux de recherche sur les rapports entre la prise de médicaments psychoactifs et la conduite de véhicules.

Développer la recherche

Pour mener à bien ces actions, il est nécessaire de rechercher et de pérenniser de nouvelles équipes. Une série d'actions devra être développée afin de mobiliser les jeunes chercheurs et établir une reconnaissance des spécialités liées aux substances psychoactives. Pour soutenir les équipes et les laboratoires susceptibles de s'engager sur plusieurs années, il faut, en accord avec le ministère de la Recherche :

- dresser un état des lieux des différents diplômes d'études approfondies (DEA) pouvant avoir des relations avec le champ des substances psychoactives, de sorte que cette thématique puisse être en partie reprise dans la programmation des enseignements ;

- créer des postes fléchés, des allocations de recherche, des bourses de thèses et des bourses post-doctorales.

Une programmation pluriannuelle sera élaborée en étroite liaison avec le conseil scientifique de l'OFDT. Ce dernier aura pour missions de dresser un état des lieux, d'identifier les besoins de connaissance et, enfin, de proposer les réorganisations nécessaires au dispositif de recherche ».

Avant de poursuivre ma propre analyse je voudrais souligner que le constat dressé par le Gouvernement à travers ces lignes illustre le fait que depuis plusieurs dizaines d' années le secteur de la recherche scientifique en toxicomanie a été abandonnée à une approche qui a trop souvent oublié le médical. Ceci explique que nous nous trouvions désarmé aujourd'hui devant les défis que nous devons relever. Le tableau qui suit est à cet égard significatif ; il décrit les dépenses publiques effectuées dans le domaine de la toxicomanie et permet de constater la faible part des crédits de recherche dans cet ensemble : 44,11 millions sur un total de 4 855,08 millions de francs.

Dépenses des Administrations publiques imputables à la drogue

(budget propre et crédits interministériels)

graphique

Source : Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies

Section III :
Stratégie pour dynamiser la recherche

A) La nécessité de susciter des vocations de chercheurs

Aucune stratégie de dynamisation de la recherche ne pourra intervenir si nous ne disposons pas des hommes pour la mettre en _uvre. Ce préalable indispensable implique la mise en _uvre de plusieurs moyens :

- Le premier qui est à la base de tous les autres repose sur l'enseignement. Malgré le caractère massif des problèmes de santé publique posés par les drogues ces matières sont peu enseignées à l'université et les médecins, en particulier les généralistes peu formés pour y faire face.

Il convient donc d'opérer des redéploiements au sein des chaires universitaires, et lorsque cela n'est pas possible de procéder à quelques créations limitées de postes, pour intensifier les enseignements.

Or tout professeur d'Université est également un chercheur il dispose d'une équipe autour de lui et la création de chaires est un moyen privilégié de dynamiser la recherche.

Une telle action très limitée en coût budgétaire est de nature à dégager des perspectives au sein de l'Université, comme a pu l'être le sida en son temps et à partir de là nous pourrons peut-être créer ce vivier de chercheurs qui est aujourd'hui trop restreint en nombre.

B) La levée d'obstacles juridiques

Les autopsies médico-scientifiques ont fortement diminué à la suite de la nécessité pratique d'obtenir l'accord écrit de la famille.

Une réflexion doit être engagée pour dégager des voies permettant de respecter la volonté des défunts et de leur famille tout en permettant de développer la recherche scientifique.

La difficulté d'accès à des procédures judiciaires pour des équipes de recherche est réelle. Il est probablement nécessaire d'intégrer la possibilité d'accès à des instructions en cours pour les chercheurs afin de pouvoir développer certaines études, en particulier sur les accidents de la route.

Bien entendu il n'est pas pour autant question de remettre en cause le secret de l'instruction qui devra s'appliquer strictement. Cette question est particulièrement importante pour comprendre le rôle des drogues dans les accidents de la route.

C) La mise en place d'une agence de moyens

J'ai pu constater aux Etats-Unis l'intérêt du Congrès et des autorités fédérales pour la recherche en matière de toxicomanie, le financement fédéral consacré à ces actions s'élèvant à neuf cent millions de dollars.

1) L'exemple américain

J'ai au cours de ma mission aux USA pu comparer les structures américaines avec les nôtres. Le NIDA, National Institute on Drug Abuse (Institut national sur l'abus de la drogue) est une composante du National Institute of Health (institut National de la Santé, qui est aux Etats-Unis l'équivalent de l'INSERM), il dépend lui-même du ministère fédéral de la santé.

Le NIDA soutient, avec un budget m'a-t-il été indiqué de 900 millions de dollars, plus de 85% de la recherche mondiale dans le domaine des effets de la drogue sur la santé.

Je crois que ce chiffre se passe de commentaires sur la faiblesse de l'effort européen et français dans ce domaine. L'intérêt du monde politique à l'égard de la lutte contre la drogue ne faiblit pas mais, les hommes politiques américains savent qu'en renforçant le budget du NIDA ils encouragent la recherche médicale sur la drogue alors qu'en France il n'existe pas de structures de recherche médicale véritablement dédiée à ce problème.

Le NIDA peut développer une politique cohérente de recherches dans l'ensemble des domaines qui touchent à la toxicomanie et en formulant la proposition de création d'une agence de moyens je me suis clairement inspiré de l'exemple américain.

Aux Etats-Unis la coordination ne se fait pas avec des mots mais également avec des moyens budgétaires considérables la France mais également l'Europe doivent s'inspirer de cet exemple pour mettre en place de véritables structures de recherches.

Au-delà des moyens consacrés à la recherche, le NIDA développe l'action de vulgarisation des connaissances scientifiques engagées par la MILDT en France. Dans la mesure où l'un des problèmes essentiel posé par l'action des pouvoirs publics est dans le domaine de la prévention celui de la crédibilité des messages votre Rapporteur se demande dans quelle mesure l'action de vulgarisation des connaissances scientifiques ne devrait pas s'effectuer sous le label d'un institut de recherche plutôt que sous l'égide du Gouvernement.

Les documents produits par la MILDT sont honnêtes et d'une grande qualité scientifique. Votre Rapporteur en prodiguant cette remarque ne fait aucune critique sur le fond mais se place du point de vue de la réception par le public.

Comme nous pouvons le constater à la lecture de ces quelques lignes nous pourrions utilement nous inspirer des Etats-Unis.

Le budget 2003 présenté au Parlement inclut une action de 19,2 milliards de dollars consacrés au plan anti-drogue (cf. annexe National Drug Control Strategie).

2) La proposition du Rapporteur

L'agence dont je demande la mise en place n'est pas un organisme bureaucratique mais une agence de moyens qui à l'instar de l'agence nationale pour le SIDA centraliserait les moyens de la recherche scientifique

Le premier intérêt de la mise en place d'une agence de moyens réside dans sa réactivité et comme nous venons de voir l'apparition de nouvelles drogues implique de relever sans cesse un défi.

D'autre part tous les écrits officiels, par exemple le plan triénal de lutte contre la drogue (1999-2001) constatent que : » La faiblesse du dispositif de recherche a été soulignée par tous les rapports depuis... 1990. La multiplicité des sources de financement et des commanditaires a conduit à une dispersion des recherches et constitué un obstacle à la cohérence et à la comparabilité des données. Pour les mêmes raisons, certaines études et recherches sont insuffisamment connues et diffusées »

Mais le Gouvernement n'en tire qu'une conclusion partielle en parlant de structuration de la recherche sans s'en donner les moyens institutionnels.

Dans mon esprit l'agence nationale de recherche sur les drogues centraliserait tous les crédits publics consacrés à ce secteur et à partir de là pourrait donner une plus grande cohérence de la recherche en évitant le saupoudrage des crédits.

Votre Rapporteur n'a pas trouvé la pierre philosophale avec cette proposition mais il ne croît pas à l'efficacité des suggestions qu'il pourrait faire s'il n'existe pas un outil pour les mettre en _uvre.

Cet organisme sera le bras séculier des pouvoirs publics qui devront l'inciter à privilégier les recherches et l'approche la plus médicale possible car force est de constater que les approches sociologiques, psychanalytiques et autres si elles ont contribué à alimenter un discours du politiquement correct n'ont guère débouché sur des solutions opérationnelles, votre Rapporteur est convaincu qu'une démarche résolument scientifique sera plus efficace.

Conclusion

Au terme de ce travail conduit dans un bref délai quelques conclusions se dégagent.

La première est que la dimension scientifique des questions relatives à la toxicomanie est fondamentale mais récente : il est frappant de constater que deux récepteurs spécifiques au cannabis dans le cerveau ont été identifié seulement en 1990 (le CB1) et en 1993 (le CB3).

La récente expertise collective de l'INSERM sur le cannabis est venu préciser l'ampleur de l'étendue des incertitudes scientifiques qui peuvent exister dans ce domaine.

Aussi la première conclusion qui s'impose est la nécessité d'engager, de préférence au niveau européen, un effort considérable de recherche pour que le discours sur la toxicomanie quitte les préjugés pour s'asseoir sur des considérations scientifiques solides.

Ma deuxième conclusion est qu'il ne faut pas mélanger les problèmes dès que nous abordons la question des drogues, il existe trois débats :

- Un débat scientifique sur l'effet des drogues sur le cerveau (objet de ce rapport),

- Un débat philosophique sur l'étendue de la liberté individuelle,

- Un débat de santé publique et de droit sur l'étendue de la prohibition des drogues.

Chacune de ces perspectives obéit à des logiques différentes. Par exemple lorsque le débat sur la dépénalisation du cannabis est abordé en prétextant de son innocuité le débat est biaisé, ceux qui le propose doivent assumer leurs convictions philosophiques mais pas se réfugier derrière des arguments sur le caractère « anodin » de cette substance qui à mes yeux ne correspondent pas à une démarche scientifique.

D'où l'intérêt de sortir d'un débat passionnel en optant pour une démarche pragmatique qui impose toutefois la définition d'une politique dans ce domaine. Votre rapporteur ne peut qu'appeler de ces v_ux la tenue d'un débat parlementaire qui permettra d'adresser aux acteurs de terrain les signaux qu'attendent ces derniers et de mettre un terme à des prises de position contradictoires des pouvoirs publics enregistrées ces derniers mois.

Il est aux yeux de votre Rapporteur nécessaire que ces derniers aient sur les questions de toxicomanie un discours unitaire et cohérent centré sur le principe de précaution et, plus particulièrement la protection de la jeunesse.

Recommandations

1) L'Office parlementaire recommande que soit organisée, dans le nécessaire respect de l'instruction, la possibilité pour les chercheurs d'accéder aux données relatives à la drogue pouvant figurer dans les procédures judiciaires.

2) L'Office Parlementaire recommande la création d'un établissement public de recherche centralisant et impulsant les études sur la toxicomanie. La création d'une taxe de 0,5 euro par paquet de cigarettes affectée au financement de cet établissement le doterait de moyens d'envergure.

3) L'Office Parlementaire recommande qu'un effort budgétaire significatif soit engagé dans le domaine des études relatives à la toxicomanie et que des priorités claires soient définies dans les axes de recherche.

4) L'Office Parlementaire estime que le subutex doit s'insérer dans un projet médical de sortie de la toxicomanie et il invite le Gouvernement à repenser les modalités de distribution de ce produit.

5) Les structures d'analyse des nouvelles drogues qui apparaissent sur le marché doivent être mises en place.

6) Une étude de grande ampleur sur les troubles scolaires liés à la consommation de drogue doit être engagée.

Examen du rapport par l'Office

L'Office Parlementaire a procédé le mercredi 20 février 2002 à l'examen du Rapport de M Christian Cabal, Député sur : « l'impact éventuel de la consommation des drogues sur la santé mentale de leurs consommateurs »

Le Rapporteur a souligné que malgré les difficultés de méthodologie l'apport de la biologie, avec l'étude des mécanismes de récompense du cerveau, ou les possibilités offertes par les nouveaux appareils d'imagerie médicale ouvrent des perspectives remarquables. Aussi existe-t-il aux yeux de Christian Cabal aujourd'hui une approche de la toxicomanie plus axée sur les sciences exactes qui a renouvelé une démarche longtemps marquée par la psychanalyse. Mais, beaucoup reste à faire dans ce domaine, par exemple les travaux sur les modifications à long terme des drogues sur le cerveau sont encore très loin d'avoir été menés à leur terme sur des sujets pourtant essentiels tel que l'atteinte des neurones des consommateurs et sur les modifications à long terme générées par la dépendance.

M Christian Cabal a souligné qu'il existait un consensus scientifique sur la description des mécanismes de récompense du cerveau Car tous les produits qui peuvent déclencher une dépendance chez l'homme ont en commun une propriété : ils augmentent la quantité de dopamine disponible dans une zone du cerveau, plus communément appelée le circuit de récompense.

Cette molécule, la dopamine qui est un neurotransmetteur du système nerveux central synthétisé principalement par les neurones de la région mésencéphalique., joue un rôle essentiel dans l'action des drogues car elle est le support des circuits neuronaux du plaisir.

Des études sur les rongeurs ont pu établir que la prise de produit psycho-actifs se traduit par une augmentation de la dopamine contenue dans le cerveau.

Un point important résulte du fait que l'effet du cannabis, contrairement à la plupart des drogues, ne présente pas une activité psychotrope toujours identique. Suivant la dose absorbée, la forme de consommation, l'expérience que le consommateur a du cannabis, la structure de sa personnalité, son état d'esprit du moment, et le contexte dans lequel la consommation s'insère, des effets parfois opposés peuvent se produire simultanément ou successivement.

Il est frappant de constater que nous ne savons pas grand chose des effets du cannabis pris à fortes doses sur la santé mentale à long terme : les neurobiologistes ne savent pas en effet si les troubles de dissociation sont révélés par le cannabis ou si ce dernier en est la cause à la différence de l'héroïne et de la cocaïne qui ont des effets biens connus.

L'honnêteté commande donc de souligner qu'il n'existe pas aujourd'hui de réponse claire sur le rôle du cannabis.

Des travaux scientifiques récents semblent toutefois établir l'existence d'une dépendance physique au cannabis.

La question de la dangerosité routière du cannabis est posée. L'inaptitude à la conduite automobile ou à l'exercice d'une activité à risque durant cette période ne fait guère de doute aux yeux de votre Rapporteur

La dépendance à la cocaïne est très rapide car il s'agit d'une des drogues les plus addictives. On estime que 10% des personnes ayant une consommation récréatives deviendront des consommateurs abusifs ou dépendants.

Beaucoup de gens jeunes, soumis à une forte pression professionnelle en consomment car ils doivent être performants en permanence. Ils prennent ce produit comme dopant et connaissent un passage à vide en cas d'arrêt. Il existe des milieux où cette consommation est fréquente. Or, le contrôle de sa propre consommation est beaucoup plus difficile pour la cocaïne que pour l'alcool.

La polyconsommation est systématique chez les cocaïnomanes ce qui complique sérieusement le diagnostic car, la difficulté d'isoler les effets de ce seul produit est réelle pour les scientifiques.

Mais, la destruction à long terme des cellules neuronales par la cocaïne est prouvée sur le singe.

Si les bouffées délirantes sont relativement fréquentes, de rares psychoses sont prouvées sans pour autant être toujours irréversible le véritable danger de ces produits réside dans des dépressions parfois très importantes qui suivent la prise de ce produit et le risque de suicide qu'il peut impliquer.

L'ecstasy qui a été synthétisée pour la première fois en 1912 dans le cadre d'une recherche de produits coupe-faim s'apparente à la fois aux psychostimulants et aux hallucinogènes du type LSD.

Des chercheurs auditionnés par votre Rapporteur lui ont indiqué que l'ecstasy peut entraîner une mort subite mais pose un problème surtout avec la dépression de la semaine suivante, les jeunes sont sensibles à cet aspect car, ils l'ont vu et sont sensibles à l'association avec les médicaments qui implique des « voyages » qu'ils ne contrôlent pas, de ce fait ils n'ont plus la même image de l'ecstasy.

Ces propriétés font de la MDMA un produit toxique indépendamment de tout abus. Les experts concluent à la nécessité d'une information rigoureuse sur cette toxicité

De fait, si le débat scientifique sur les effets à long terme de l'ecstasy n'est pas réglé, en particulier sur le développement de maladie de type Alzheimer car la consommation de masse est trop récente, cette drogue est objectivement un poison susceptible de nuire gravement à la santé mentale et il existe un véritable consensus scientifique sur ce point.

En outre l'ecstasy, n'est pas utilisée toute seule, et ces mélanges entraînent fréquemment des altérations intellectuelles qui perdurent : l'ecstasy présente un danger intellectuel à travers l'état de panique la dépression et un vécu persécutif qui dure longtemps après la prise et renvoi à la vulnérabilité intellectuelle.

Abordant ses recommandations le rapporteur a souligné qu'en dehors des études fondamentales dans des domaines comme la biologie, des études épidémiologiques de grande ampleur doivent être engagées très rapidement sur les troubles scolaires liés aux drogues.

Aucune stratégie de dynamisation de la recherche ne pourra intervenir si nous ne disposons pas des hommes pour la mettre en _uvre. Ce préalable indispensable implique la mise en _uvre de plusieurs moyens :

Le premier qui est à la base de tous les autres repose sur l'enseignement. Malgré le caractère massif des problèmes de santé publique posés par les drogues ces matières sont peu enseignées à l'université et les médecins, en particulier les généralistes peu formés pour y faire face.

Il convient donc d'opérer des redéploiements au sein des chaires universitaires, et lorsque cela n'est pas possible quelques créations limitées de postes, pour intensifier les enseignements.

Les autopsies médico-scientifiques ont fortement diminué à la suite de la nécessité pratique d'obtenir l'accord écrit de la famille. Une réflexion doit être engagée pour dégager des voies permettant de respecter la volonté des défunts et de leur famille et de développer la recherche scientifique.

L'agence nationale de recherche sur les drogues dont il demande la mise en place ne serait pas un organisme bureaucratique mais une agence de moyens qui à l'instar de l'agence nationale pour le SIDA centraliserait les moyens de la recherche scientifique

Après l'exposé du Rapporteur M Jean-Yves Le Déaut, Député, Président est intervenu pour souligner l'intérêt de ce travail et M Daniel Raoul, Sénateur, a demandé au Rapporteur de lui préciser les processus biologiques internes au cerveau.

Puis l'Office Parlementaire a autorisé à l'unanimité des membres présents, la publication du rapport et approuvé les recommandations du Rapporteur.

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N° 3641.- Rapport de M. Christian Cabal sur l'impact éventuel de la consommation des drogues sur la santé mentale de leurs consommateurs (Office d'évalation des choix scientifiques).

1 par exemple sur les atteintes des neurones des consommateurs abusifs

2 Par exemple lorsque nous nous trouvons devant un décontracturant potentialisé par un autre produit.

3 Cette situation pourrait du reste s'étendre au développement de molécules plus complexes, détournées par exemple de leur destination thérapeutique initiale et ce par une légère modification de leur formule chimique.