Audition publique du jeudi 2 mars 2000

sur

" l’importance des synchrotrons pour la recherche et les projets dans ce domaine en France et en Europe "

Ouverture

Jean-Yves LE DEAUT

Premier Vice Président de l’OPECST

Depuis un peu plus de dix ans, l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques organise régulièrement des auditions publiques contradictoires, ouvertes à l’ensemble des parlementaires, à toutes les personnes concernées et à la presse. La première de ces auditions fut organisée au sujet de l’exploitation éventuelle des ressources minérales de l’Antarctique avec le Commandant Cousteau. Ces auditions constituent une nouveauté dans le processus du travail parlementaire : des thèmes complexes sont ainsi discutés dans un lieu neutre pour assurer une meilleure information des responsables politiques et pour tenter de sortir le débat public de controverses réductrices conduisant souvent à caricaturer les positions des uns et des autres. Les décisions ne sont pas prises dans cette salle ni au cours de ces auditions, mais la confrontation sereine et constructive des opinions apporte aux décideurs une information aussi complète que possible et parfois même des solutions. Ces controverses productives doivent permettre aux parlementaires de s’assurer que les décisions sont prises de façon démocratique sans être appropriées ni monopolisées par quelqu’un. On nous a assez souvent reproché de ne pas suffisamment exercer notre pouvoir de contrôle pour que je puisse me permettre de souligner ces exemples positifs d’intervention du Parlement dans les grands choix scientifiques et technologiques qui conditionnent l’avenir de notre société.

Notre sujet d’aujourd’hui est à la fois très important et très controversé. Il ne constitue toutefois que le premier volet de l’étude qui a été confié à l’Office par le bureau de l’Assemblée à l’unanimité et à la suite d’une demande du groupe communiste. Cette étude dont le premier tome portera exclusivement sur le synchrotron sera étendue dans un deuxième temps à l’ensemble du problème des grands équipements scientifiques. Si nous pouvons à juste titre nous enorgueillir des résultats obtenus grâce à nos grands équipements scientifiques, notamment le LURE de Saclay ou l’ESRF de Grenoble, nous ne pouvons pas non plus nous cacher que le contexte scientifique mais aussi économique et politique a changé et que nous devons réfléchir aux moyens de conserver notre place dans le concert des grandes puissances scientifiques. Le coût croissant de certains équipements place les responsables politiques dans une situation de choix difficile. Le souhaitable n’est pas toujours réalisable et nous devons nous interroger sur l’utilité scientifique mais aussi économique de certains investissements lourds et les comparer avec des projets plus modestes dont l’apport scientifique pourrait parfois se révéler positif.

Les modalités de la coopération internationale sont également en jeu. Nous ne pouvons plus tout faire tout seul et cette coopération internationale ou européenne connaît des réussites indéniables mais elle n’est pas en soi un gage de succès assuré. Il faut dans chaque projet savoir ce qui peut être fait en commun, avec qui, et fixer précisément les règles de fonctionnement pour éviter toute déconvenue ultérieure. Que ce soit pour les analyses coût-avantage ou pour les modalités de la coopération internationale, la réflexion puis la prise de décision doivent se faire dans la clarté la plus totale. L’autorité politique doit parfois faire des choix cruels souvent difficilement acceptés par les intéressés mais la légitimité scientifique ne suffit pas à elle seule à décider de l’engagement de la dépense publique. A l’inverse les autorités politiques se tromperaient lourdement si leurs choix se faisaient sans tenir compte des impératifs scientifiques.

Conformément à la vocation de l’Office parlementaire, la principale question à traiter aujourd’hui est celle de l’enjeu scientifique représenté par le rayonnement synchrotron dans notre pays. Un synchrotron est-il un instrument comparable aux très grands équipements au service d’une discipline particulière ? Est-il au contraire un instrument au service d’un grand nombre de laboratoires, répartis sur tout le territoire et touchant toutes les disciplines ? Quels sont les besoins des différentes communautés scientifiques en rayonnement synchrotron ? La France doit-elle investir en priorité au niveau de ces grands instruments scientifiques, dans un nouveau synchrotron sur le sol national ou peut-elle trouver un avantage à prendre des participations dans différentes machines européennes ?

Espérons que cette première demi-journée consacrée aux choix en matière de grands équipements scientifiques contribuera à apaiser les récentes tensions à ce sujet et à instaurer un débat aussi rationnel que constructif. Nos deux rapporteurs sont Christian CUVILLIEZ, Député de Seine-Maritime dont le groupe a été à l’origine de cette saisine et M. René TREGOUËT, Sénateur du Rhône : ce " mariage " d’un député et d’un sénateur, et de sensibilités politiques différentes, est à nos yeux une garantie d’objectivité de la discussion.

Christian CUVILLIEZ

A la demande du groupe communiste, le bureau de l’Assemblée Nationale a saisi l’Office Parlementaire le 17 novembre 1999 pour qu’il réalise une étude sur les conditions techniques d’implantation du projet de synchrotron, SOLEIL. L’Office a pour sa part souhaité élargir cette étude au rôle des très grands équipements dans la recherche publique et privée en France et en Europe.

Le projet de synchrotron SOLEIL, destiné à remplacer l’actuel accélérateur de particules pour le rayonnement synchrotron du LURE, le Laboratoire d’Utilisation de Rayonnement Electromagnétique, à Orsay, est lancé en 1991 et finalisé en novembre 1996. La mise à disposition de la communauté scientifique des nouvelles possibilités offertes par les synchrotrons de la troisième génération est une question fondamentale, tant pour les utilisateurs potentiels de tels équipements que pour l’ensemble de la politique de la recherche. En effet, les progrès techniques continuent d’améliorer les performances des synchrotrons et de multiplier leurs domaines d’application.

Nous avons donc demandé la saisine de l’Office Parlementaire afin que les nouveaux besoins en rayonnement synchrotron soient évalués et que soit conduite de façon indépendante avec l’ensemble des chercheurs et les grands organismes concernés une réflexion sur les conditions techniques et financières optimales à réunir pour un projet dans ce domaine, SOLEIL ou un autre projet.

L’Office a pour sa part modifié et élargi le champ du rapport aux critères à établir pour garantir la compatibilité budgétaire des très grands équipements avec l’indispensable soutien des laboratoires de recherche pour leurs équipements courants et leur fonctionnement propre. Ces deux postes de dépenses doivent être considérés dans leur complémentarité plutôt que dans leur antagonisme.

Notre étude de faisabilité présentée le 15 décembre et adoptée à l’unanimité par l’Office Parlementaire, proposait d’entrée une démarche objective, recensait toutes les questions nécessaires et proposait plusieurs possibilités d’élargissement du champ de l’étude. Seul le premier point relatif au nouveau synchrotron pourra être traité dans le délai imparti pour le 15 mars.

Un groupe de travail a été constitué de dix éminents scientifiques, représentant différentes composantes de la science dans notre pays, universités, grands organismes, recherche industrielle, et témoignant d’opinions de départ contrastées sur l’utilité des très grands équipements et en particulier sur les synchrotrons. Je voudrais à cette occasion les remercier publiquement et au nom de l’Office et de la représentation nationale, pour leur contribution essentielle et leur engagement personnel à nos côtés.

Notre méthode d’investigation a été de rassembler les points de vue sans aucune exclusive : toutes les parties prenantes au dossier ont été auditionnées, chaque mercredi depuis la mi-décembre. La question s’est avérée d’ampleur nationale et pas seulement liée à la défense, fort légitime, d’une communauté scientifique spécifique. Au total, nous avons reçu pour des entretiens approfondis plus de trente-cinq experts.

L’idée s’est également imposée de visiter les synchrotrons présents sur le sol français : le LURE d’Orsay et l’ESRF de Grenoble. En Europe nous avons visité le synchrotron SRS à Daresbury, à Didcot près d’Oxford le Rutherford Appleton Laboratory et à Hambourg les synchrotrons PETRA II et DORIS III.

Toutes les étapes de nos travaux ont fait l’objet des plus larges informations possibles, les comptes rendus de nos visites et de nos auditions étant établis au fur et à mesure, et diffusés sans délai au sein de notre groupe de travail.

Grâce à nos invités, nous sommes aujourd’hui à même de synthétiser les approches possibles de l’importance des synchrotrons pour la recherche et les différents projets dans ce domaine en France et Europe. La question du synchrotron est au cœur de la recherche de notre temps et conditionne l’avenir de disciplines scientifiques essentielles pour le développement technique, industriel et humain de notre pays.

René TRÉGOUËT

Lorsque que l’Office m’a chargé avec M. CUVILLIEZ à la fin de l’année 1999 de cette mission, j’avais conscience de son importance. Mais au fur et à mesure de l’audition de trente-cinq personnalités et de la visite des divers sites, j’ai également pris conscience de l’ampleur de la tâche à accomplir. Nous avons aujourd'hui besoin de vous écouter dans le cadre de cette audition publique pour présenter dans quelques jours les conclusions les plus objectives et reconnues, devant notre Office d’abord, puis publiquement. M. CUVILLIEZ et moi-même sommes conscients de la difficulté de la tâche et la décision prise par le Ministre aura très certainement des conséquences sur la recherche française pour une longue durée.

Roger BALIAN

Membre de l’Académie des sciences

Vice-Président de la Société française de physique

Il me semble que certains équilibres délicats doivent être respectés en matière de politique des très grands équipements. Le premier concerne le caractère national ou international de ces appareils. Le caractère international de la recherche suppose, pour qu’elle progresse, un équilibre entre la concurrence et la coopération. Des collaborations internationales étroites sont d’autant plus utiles que les moyens en jeu sont plus gros : elles s’imposent même lorsqu’il s’agit de construire ou d’exploiter des accélérateurs de particules, des satellites pour la géophysique et l’astrophysique, etc.

Il existe cependant une particularité concernant deux autres types d’appareils classés " très grands équipements " : la production des rayons X par les synchrotrons et la production de neutrons par des réacteurs. Ces appareils intéressent de multiples domaines de la science (physique, chimie, biologie, recherche industrielle) et ses utilisateurs se comptent par centaines, souvent dispersés dans de petits et nombreux laboratoires. Les expériences menées sont très brèves et les utilisateurs qui vont et viennent ne peuvent pas être aussi familiers avec l’instrument que par exemple, les physiciens des particules avec leurs accélérateurs. Une structure d’accueil leur est donc indispensable et la solution d’un laboratoire national centré sur un appareil semble la meilleure solution.

A ce niveau, la situation actuelle en France est très bonne : le rôle de ce laboratoire national est en effet tenu pour les neutrons par le laboratoire Léon Brillouin autour du réacteur de Saclay, et pour les rayonnements synchrotron par le LURE installé autour de l’anneau d’Orsay. Ces deux laboratoires accueillent, conseillent les utilisateurs, contribuent ou tentent de contribuer à structurer leur communauté très dispersée. En outre, ils initient des coopérations entre utilisateurs, les forment à de nouvelles techniques d’instrumentation, perfectionnent les appareillages annexes et suscitent l’intérêt d’utilisateurs potentiels. Toutes ces missions conditionnent la qualité de la recherche dans notre pays et ne sont pas du ressort d’un grand équipement international.

La France a la chance de disposer à Grenoble de deux sources internationales, tant pour les neutrons (ILL) que pour le rayonnement synchrotron (ESRF). Mais ces organismes, en raison de leur caractère international, ne peuvent pas assurer les fonctions d’animation et de formation scientifique de notre communauté de chercheurs. Afin de tirer le meilleur parti des sources internationales, ces chercheurs sont souvent amenés à monter des expériences sur les sources nationales.

En outre, la sélection des projets y est beaucoup plus souple que dans des laboratoires internationaux et le lancement de projets aventureux, dont les faibles chances d’aboutir sont compensées par un enjeu scientifique fort, y est plus soutenu. Par ailleurs, un laboratoire national est essentiel pour la recherche industrielle : pour des raisons de confidentialité et de sélection des propositions, l’accès des industriels à des sources nationales est plus facile qu’à des sources internationales. L’exemple italien illustre bien l’importance d’un instrument attaché à un laboratoire national. L’Italie, dont les recherches en neutronique étaient de premier plan, s’est effondrée dans ce domaine, suite à la fermeture pour des raisons de politique générale du réacteur national de Rome. La France doit éviter ce genre de situation pour le rayonnement synchrotron au moment de la fermeture de LURE.

La préservation d’un laboratoire national doit aller de pair avec une coopération accrue, notamment avec nos voisins européens. Les sources de neutrons de Saclay et de rayonnement synchrotron d’Orsay sont déjà largement ouvertes aux chercheurs de tous les pays, ainsi que l’accélérateur de Caen. De plus, pour la construction de nouvelles sources de rayonnement synchrotron, même majoritairement nationales, l’harmonisation des projets est indispensable pour les rendre complémentaires. Les échanges entre voisins doivent permettre de faire des économies, et les compétences doivent être mises en commun. De ce point de vue, la France est bien placée dans des négociations pour le rayonnement synchrotron, car des équipes performantes de constructeurs se sont montées lors de l’étude du projet SOLEIL.

On oppose souvent la petite science et la grosse science. Mais il est essentiel de ne sacrifier ni l’une ni l’autre. De plus, pour les nombreux utilisateurs du rayonnement synchrotron et de neutrons, ces sources jouent le rôle, non pas de très grands équipements mais plutôt celui d’équipements de base partagés. Ils constituent en réalité plutôt un soutien aux laboratoires qu’un très grand équipement. Il est bien préférable scientifiquement et économiquement d’aller travailler sur un synchrotron plutôt que d’utiliser localement un appareil à rayons X classé comme léger. Il convient aussi de noter que l’industrie a besoin de données précises et leur obtention nécessite souvent l’utilisation de grands appareils.

Le rayonnement synchrotron, la résonance magnétique nucléaire et les neutrons sont utilisés de façon concourante : ils fournissent des renseignements complémentaires. Le point d’équilibre entre ces techniques a tendance à se déplacer actuellement en faveur du rayonnement synchrotron, ce qui à mon sens n’est pas un effet de mode. A ce sujet, l’avis des utilisateurs en France et dans le monde est primordial.

Les effets de mode sont également dangereux concernant l’équilibre qui doit exister entre les disciplines. L’importance de telle ou telle recherche doit évoluer au cours du temps mais il faut se garder de laisser mourir des disciplines, ne serait-ce qu’en vue d’applications non prévisibles ou de la transmission du savoir. Les arbitrages entre grands équipements doivent s’appuyer sur un débat scientifique prospectif, impliquant toutes les disciplines et mené par une instance adéquate.

En tant que citoyen, il convient de mesurer à sa juste valeur l’apport d’un grand équipement à la vie économique locale et surtout, avant de choisir l’implantation, d’optimiser la totalité des coûts de construction et d’utilisation compte tenu du très grand nombre et de la dispersion géographique des utilisateurs du rayonnement synchrotron.

Georges CHARPAK

Membre de l’Académie des sciences, Prix Nobel

Dans un débat comme celui d’aujourd'hui, l’aspect scientifique est parasité par beaucoup d’autres considérations. Les gens qui aiment leur métier ont très souvent une attitude passionnelle et beaucoup de leurs opinions sont contradictoires. Comme physicien, il faut pourtant tenter de cerner la vérité, de façon non sentimentale, et dans le débat présent, je peux vous assurer que la confusion est grande.

En matière de radiations de synchrotron, sources de lumière capitales pour le développement scientifique, l’Europe a un évident retard à combler par rapport aux Américains et aux Japonais. La discussion porte plutôt sur la manière d’aborder le problème du retard : faut-il une approche européenne ou pays par pays ? Et dans le prolongement de cette question se pose celle de la construction de machines adéquates aux besoins : faut-il construire deux synchrotrons de 2,4 GeV, adaptées aux besoins de la France et de l’Angleterre en matière de sources de rayons X pour la biologie ? Certains pensent que c’est la solution. Même si parfois il y a un besoin de rayons X mous, la possibilité est offerte de dégrader une machine et de couvrir les besoins d’une communauté autre que la communauté des biologistes. Mais d’autres réponses me sont parvenues notamment à la commission : un membre italien éminent utilisant cette radiation synchrotron considère plus adéquate la construction d’une machine de 2,5 GeV et d’une autre de 1,5 GeV qu’il optimiserait. C’est d’ailleurs la position du Ministère à laquelle je fus tout d’abord hostile, pensant que cette machine ne valait rien, alors qu’elle paraît optimum : elle permet d’avoir dans le domaine des ultraviolets et des X mous des sources meilleures, non parasitées par des harmoniques d’énergie élevée. Et voilà qu’aujourd'hui, mon collègue allemand prétend que ce raisonnement ne tient pas debout : on peut avoir une énergie plus grande et l’on sait désormais filtrer ces parasites !

En bref, une étude me semble indispensable pour déterminer laquelle de ces argumentations est la plus proche de la vérité et permet d’arriver à une conclusion.

La même contradiction règne à propos des différences de prix de ces installations. La lettre d’un physicien d’Orsay travaillant dans le domaine des X mous m’apprend qu’un effort considérable est fourni pour faire le " black out " sur leur position. Selon lui, l’intérêt est réel de posséder une machine de troisième génération de plus faible énergie (1,5 GeV) capable de combler le trou existant dans le domaine des rayons X et X mous et peu coûteuse. A l’inverse, d’autres collègues prétendent que l’on gagnera simplement dans le rapport des énergies (1,5 à 2,5 GeV). Au centre de rayonnement synchrotron à Lund, une telle machine de 1,5 GeV a été réalisée à faible coût, et un troisième anneau Max III est en cours de réalisation à un coût encore moindre, grâce à de nouvelles techniques de fabrication : son énergie de 700 à 800 MeV fera de lui l’anneau le plus brillant du monde dans l’ultraviolet et les X mous.

Les biologistes prétendent en outre que ce domaine d’application n’est pas aussi important que celui de la biologie : à l’avenir, les deux tiers des sources seront occupés par des biologistes. Ils prétendent que les nouveaux domaines de recherche en expansion, les nanotechnologies, les matériaux avancés et la chimie, demandent une source très intense de lumière dans les X mous et les UV et que les matériaux du XXIème siècle seront étudiés grâce au rayonnement de synchrotron. Bref pour un physicien qui n’est pas spécialisé dans l’utilisation de la radiation synchrotron, cette situation est très inconfortable.

A cela s’ajoute le point de vue européen du ministère : faire une machine couvrant les besoins des biologistes, installée en Angleterre et en outre co-produite avec les Anglais : nous ne sommes pas des mendiants à qui l’on octroie quelques lignes ! Il y a également à ce sujet toute une discussion : les Anglais peuvent être des partenaires difficiles, avares, soucieux de leurs intérêts avant tout, mais il arrive tout de même qu’ils participent à l’Europe et pour l’avenir de l’Europe, il est souhaitable de les y attirer.

Je vous confie donc une certaine confusion, dont je me fais l’écho. Il reste encore de nombreux points sur lesquels je ne pense pas possible d’avoir actuellement de conviction ferme, tant le débat est contradictoire.

Une chose est claire toutefois : il faut un laboratoire national. Les biologistes et les physiciens doivent pouvoir se réunir dans un endroit idéal comme peut l’être à mes yeux un laboratoire de radiations de synchrotron. La question est de savoir à quelle condition un laboratoire national est possible : 1,5 GeV ou 2,5 GeV ? Un des apports principaux d’un laboratoire de ce genre est probablement de pouvoir offrir un lieu privilégié dans lequel on étudie l’instrumentation sophistiquée nécessaire, éventuellement pour faire des expériences auprès de sources de lumières pouvant être éloignées, mais où la préparation des expériences nécessite l’élaboration de technologies qui ne sont pas à la portée de petits groupes isolés.

Vincent COURTILLOT

Directeur de la Recherche, Ministère de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie

Dés sa mise en place, le gouvernement s’est attaqué à la définition de grandes priorités : priorité à l’emploi des jeunes et notamment des jeunes docteurs ; priorité en fonction de la recherche non programmée par le biais du soutien de base aux équipes reconnues par les organismes de recherche ; priorité à l’innovation qui s’est traduite par la loi votée par le Parlement au début de l’été 1999.

Ces trois choix prioritaires ont conduit, à l’intérieur d’un budget également voté, à des redistributions de crédit incontestables dans lesquelles les très grands équipements, en tant que tels, n’ont pas été retenus comme priorité. Cependant, il n’a été question ni de les fermer ni de ne pas tenir compte de la nécessité d’une gamme de moyens d’échelle différente pour les laboratoires.

Les utilisateurs du rayonnement synchrotron ont établi des groupes à partir de 1992, date des premiers signes de vieillesse de la source nationale de LURE, et un projet, remonté directement de la base, a vu le jour : le projet SOLEIL. Notre analyse n’a jamais remis en cause le principe de ce projet : le rayonnement synchrotron est une méthode absolument fondamentale, précieuse et puissante qu’il faut mettre à la disposition de notre communauté de scientifiques. A aucun moment n’a été remise en cause la qualité technique du projet.

Les problèmes rencontrés étaient liés à essentiellement à l’aspect international. Le gouvernement a fait savoir que, dès 1997, tous les futurs très grands équipements français de quelque discipline que ce soit devaient avoir été envisagés et conçus dans un cadre européen. Faire l’Europe de la science n’est pas seulement faire des économies, mais aussi répartir sur l’Europe les centres de recherche. Il faut que nos chercheurs puissent non seulement échanger et voyager mais travaillent également ensemble. Nous avons très clairement à l’esprit la constitution d’équipes de recherche conjointes sur des sites géographiques dans lesquelles travaillent ensemble des nationaux de pays différents. Nous avons d’ailleurs été paradoxalement plus vite hors de l’Europe qu’en Europe : des laboratoires binationaux ont été ouverts l’année dernière en Inde et en Chine dans lesquels travaillent de façon permanente des chercheurs français.

Au travers du projet SOLEIL, il s’est avéré que la communauté des utilisateurs n’avait pas réellement fait une analyse comparative des besoins, non seulement dans ce champ du rayonnement synchrotron mais aussi dans le champ des faisceaux de neutrons, des lasers, de la résonance magnétique nucléaire et d’autres techniques. La plupart des grandes découvertes dans lesquelles le rayonnement synchrotron s’est illustré sont des découvertes s’appuyant sur l’utilisation de plusieurs techniques. Notre responsabilité a été de balayer l’ensemble des techniques demandant des financements publics, d’en établir un classement conforme aux utilisations faites par les scientifiques et d’en comprendre les utilisations complémentaires. En effet, à notre niveau de décision, nous connaissons les contraintes finies de l’enveloppe budgétaire et nous sommes donc contraints à des problématiques d’ensemble. La logique d’un lobby, qui défend légitimement une technique particulière mais dans une hypothèse de possibilités financières illimitées, ne peut être la nôtre. Il nous fallait donc cette analyse comparative des diverses techniques et de leurs besoins de financement.

Enfin, s’est posé le problème d’inscrire le projet de rayonnement synchrotron dans le cadre d’une priorité particulière de ce gouvernement en matière de recherche, une priorité à la biologie et aux sciences de la vie. L’absence d’implication des industriels nous est également apparue comme préjudiciable au projet.

La réponse du gouvernement a été la suivante : nous ne sommes pas sûrs qu’il soit judicieux pour une somme considérable d’engager immédiatement l’avenir pour plusieurs années, bloquant toute autre possibilité. Nous n’avons pas souhaité mettre tous les œufs dans le même panier.

Nous nous sommes posé la question du niveau des besoins de la communauté française et les analyses divergentes à notre disposition actuelle ne nous permettent pas d’arbitrer. Je suis un peu choqué que très souvent, les demandes des communautés d’utilisateurs, et en particulier celle du rayonnement synchrotron, soient a priori présentées comme forcément nécessaire, car venant de la base. La question à laquelle nous tentons d’apporter une réponse justifiée est : quel est le nombre de lignes d’énergie nécessaires pour que notre communauté puisse continuer à fonctionner ?

La prédiction à l’échelle de 5 ans ou 10 ans de l’évolution des technologies est risquée : prédire que nous avons atteint les limites, ne serait-ce que les limites techniques de réalisation et de coûts de ce type de techniques est un peu prématuré. Il reste incertain que des progrès soient encore réalisables dans ce domaine ou que n’apparaîtront pas d’autres besoins de techniques différentes, parfois même légères, permettant d’atteindre les mêmes buts.

Nous avons décidé dans un premier temps d’accepter l’offre britannique formulée par le ministre Sainsbury au ministre Allègre à partir du dernier trimestre 1998 de construire une machine ensemble. Cette offre a fait l’objet de discussions tripartites, le troisième partenaire étant la Fondation Wellcome Trust, sur laquelle la commission et le groupe se sont abondamment renseignés. En août 1999, notre ministre a ainsi été conduit à annoncer l’accord de principe sur la construction d’une machine, profitant de tout l’acquis des avant-projets SOLEIL et de l’étude du projet britannique DIAMOND. Pour la négociation, nous avons formé un groupe de travail en consultant le CNRS et le CEA. Notre groupe de négociation formé de six personnes (deux du CNRS, deux du CEA, deux de la direction de la recherche) et présidé par le Haut commissaire à l’énergie atomique, poursuit actuellement ses travaux et la négociation est en cours. Parmi les mandats donnés au groupe figure une somme maximale et un nombre minimum de lignes de caractéristiques données qui représentent ce que nous voulons, pour un coût donné, mettre à la disposition de notre communauté. Dans l’état actuel de mes connaissances et en prenant comme unité de compte l’avant-projet SOLEIL s’il avait été construit dans sa totalité, nous nous orientons vers la moitié des capacités de SOLEIL et nous serons totalement partie prenante à tous les niveaux.

Nous avons ensuite décidé d’étudier d’autres possibilités avec trois autres pays engagés dans des projets de rayonnement synchrotron : l’Italie, l’Allemagne, et la Confédération Helvétique. Les négociations se poursuivent encore : pour l’Italie aucune ligne ne semble disponible actuellement ; les Allemands font des offres mais elles sont relativement onéreuses ; en revanche les négociations avec la Suisse sont plus prometteuses.

L’insuffisante analyse européenne du problème nous a conduit à créer un groupe de travail européen consacré, non seulement aux méthodes d’analyses fines de la matière, mais à d’autres types de très grands équipements. Depuis six mois et dans de nombreux pays, des réunions se sont tenues sur le sujet, réunions qui marquent une avancée et une rupture par rapport à la politique européenne traditionnelle.

Dans le document du nouveau commissaire européen à la recherche, M. Busquin, sont annoncées des évolutions significatives du travail de la recherche à l’échelle européenne : notamment l’utilité de faire fonctionner les groupes de travail à géométrie variable. M. Busquin m’a confirmé oralement son vif intérêt pour ces groupes de travail.

Nous avons donc constitué avec nos équivalents britannique, allemand, italien, espagnol et même portugais dans un cas particulier, un groupe des directeurs de la recherche et de la technologie. Au cours de sa dernière réunion à Londres, il y a 15 jours, ce groupe a décidé de constituer des groupes de travail à cinq ou six pays avec dans chaque groupe deux ou trois scientifiques, pour analyser trois types de très grands équipements : les méthodes d’analyse fine de la matière, la flotte et les moyens de l’astronomie et l’astrophysique. Pour le premier de ces sujets qui nous intéresse particulièrement, le groupe se réunira une fois par mois pendant les trois mois qui viennent et remettra des conclusions préliminaires au mois de juin à Rome lors de la troisième réunion des directeurs de la recherche et de la technologie des pays concernés, de manière à introduire l’état de cette réflexion dans la réflexion européenne. Les conclusions et les propositions définitives de ce groupe de travail seront remises d’ici un an.

Les recommandations ultimes émaneront de ce groupe européen de travail. Toute cette approche est validée par l’Europe et le secrétaire général de l’European Science Foundation assiste à chacune des réunions du groupe ainsi qu’un représentant de l’Union européenne. Les conclusions de ce groupe ne s’imposeront à aucun pays : chacun sera libre de choisir l’attitude à suivre mais les propositions auront été faites dans le cadre d’une réflexion européenne a priori et non a posteriori : la réflexion aura porté sur une comparaison entre les méthodes et débouchera sur un bilan d’ensemble des sommes envisagées, des appareils plausibles, et d’un classement des priorités.

Pierre-Gilles de GENNES,

Directeur général de l’ESPCI

Prix Nobel

J’ai connu autrefois une période d’explosion scientifique dans ce qu’on appelle maintenant la physique des solides. Elle s’est accompagnée d’une instrumentation lourde qui était les réacteurs à hauts flux et les synchrotrons dans une deuxième étape. Ces machines ont joué un rôle de découverte, notamment d’une forme de magnétisme : l’antiferromagnétisme n’a pu être démontré que par les études sur les premiers réacteurs de l’après-guerre. Elles ont joué également un rôle culturel considérable pour la France et pour l’Allemagne en particulier, qui partaient alors d’une situation extrêmement modeste. Autour d’un réacteur, puis d’un synchrotron, on a pu faire venir des jeunes chercheurs formés dans des villes un peu sous-développées de la France ou de l’Allemagne, et les amener dans un centre où entendre parler de toutes les techniques nouvelles et tous les nouveaux concepts.

La situation actuelle est très différente. La communauté de chercheurs autour des grands appareils est considérable et le rôle culturel a, heureusement, énormément décru : nos jeunes peuvent désormais être formés au fond du Brandebourg ou du Sud-Ouest de façon tout à fait actuelle. Les concepts de base, cette culture générale, font désormais partie de leurs études. Tout notre système s’est complètement renversé. Quant aux découvertes réalisées grâce aux synchrotrons, je suis frappé de voir qu’elles ne sont jamais mentionnées. La production de ces machines est utile, de soutien, permettant d’affiner certaines données, de mieux connaître certaines choses, de déterminer la structure de protéines biologiques. Mais aucune réelle découverte n’a émergé des grosses machines depuis ces quinze dernières années : à ce niveau, le bilan est quasiment nul. Il me semble essentiel de rappeler ce fait trop souvent escamoté lors des discussions.

La biologie, pas au sens de la structure des protéines, mais celle qui permet de comprendre le mécanisme du développement ou celui des maladies est en pleine révolution. Chaque mois des découvertes sont réalisées dans ce domaine, chaque mois de nouvelles publications en bouleversent les perspectives et le contenu. La biologie structurale est une discipline d’intendance utile. L’univers des vivants est un peu comme un palais des mille et une nuits avec des salles admirables, toutes fermées par des portes qui ont des clés. Parvenir à la compréhension du fonctionnement de chaque clé justifie l’étude des protéines. Ce n’est pas sans intérêt mais ne commande aucunement notre vision des salles et du palais.

De ce point de vue, la biologie est bien autre chose que ce que font les grosses machines. Elle éclate notamment du point de vue de la société dans le fait que nous aurons à terme les moyens de fabriquer artificiellement tous nos organes, que la délivrance des médicaments va être complètement bouleversée, que nous pourrons traiter les diabétiques différemment, que le domaine des microstructures et des nanostructures prend beaucoup d’importance. Il existe par exemple un dispositif, grand comme le cadran d’une montre, qui, placé dans une pièce, est capable de capter les bactéries présentes dans l’air, de les ouvrir par des méthodes électriques astucieuses, de prélever leur ADN, de le comparer à des ADN de référence et d’établir peu de temps après le contenu en bactéries de la pièce. Voilà du point de vue de l’environnement, de la santé et de l’amélioration de nos conditions de vie, des évolutions majeures. Le président Clinton vient ainsi d’investir des sommes considérables dans la recherche sur les nanostructures.

Il existe également une application étonnante pour le pilotage d’un avion supersonique en aile delta : il s’agit d’un dispositif qui modifie la surface de l’aile sur une toute petite ligne à l’échelle du micromètre. Les tourbillons autour de cet avion peuvent être modifiés de telle façon qu’on le fait tourner sans aucune dérive mobile.

Les révolutions en cours ne sont pas celles qui sont sous-tendues par les grands appareils existants. Douze ans m’ont été nécessaires pour parvenir à la création de la biologie à l’Ecole supérieure de physique et chimie industrielles de Paris : les structures évoluent très difficilement. Mais vous, Parlementaires, vous êtes parmi les rares élus qui ont l’occasion de les faire évoluer même s’il existe cette tentation toujours présente dans les administrations et les institutions de construire de gros objets qui donnent une image plus durable.

En 1999, dans des DEA de neurophysiologie, c'est-à-dire dans un domaine qui explose actuellement, seul le premier lauréat du DEA aura une bourse. Le besoin de financer la recherche en neurophysiologie au travers de l’octroi de bourses n’est pas satisfait. Il est bien plus souhaitable d’investir dans ces DEA, dans la création d’une génération de biologistes, à la fois pour leur science et pour nos futurs besoins industriels.

" Dans le domaine physique, les lois ont été établies au XXème siècle, le XXIème siècle a pour charge d’inventer " disait un ami qui a obtenu autrefois le prix Nobel. Il faut être conscient de cette évolution.

Les problèmes de notre temps demandent une reconstruction sous forme de petites équipes de recherche, avec des esprits individuels et sous forme de petites compagnies industrielles qui sont des start-up. Les grandes compagnies industrielles ont assuré pendant un demi-siècle une considérable avance scientifique et technique. Depuis une quinzaine d’années, elles ne le peuvent plus : les actionnaires ont pris le pouvoir, détestent et rejettent l’idée d’une recherche à dix ans. Les révolutions ne peuvent plus passer par les grandes compagnies ; elles se feront par des petites. Ce mouvement a bien démarré aux Etats-Unis mais mal en France. Une des priorités urgentes est d’arriver à créer et à développer des start-up en Europe dans les dix années à venir, sans quoi nous tomberons dans le tiers-monde scientifique puis dans le tiers-monde économique : gardons les synchrotrons existants, mais ne leur donnons pas de priorités pour le futur.

Roger Fourme

Chef de la section biologie du LURE

L’enjeu du débat est le développement scientifique et technologique de la France et de l’Europe dans les années à venir. Les choix qui vont être faits engagent l’avenir sur le moyen et le long terme et bien au-delà des péripéties du moment. 600 équipes françaises et étrangères, qui utilisent les instruments français comme une mutuelle de la science sont concernées ainsi que 400 personnes de LURE. Beaucoup de problèmes scientifiques et techniques sont soulevés mais derrière tout cela, toute une communauté de chercheurs qui pensent et travaillent ensemble est concernée. Un choix rationnel serait de conforter un domaine où la France est au premier plan et où la coopération européenne est absolument exemplaire entre les pays les plus scientifiquement avancés. A l’inverse, un choix inadapté serait un fardeau durable avec des risques de dispersion et d’affaiblissement.

Beaucoup d’avis personnels ont été donnés sur le synchrotron, alors que des milliers de personnes ont discuté le problème, et de façon véhémente et houleuse. La convergence a été longue à obtenir mais un projet a pu voir le jour : aucun projet n’a été autant évalué par les groupes d’experts !

Les caractéristiques de cette machine sont façonnées par les besoins scientifiques d’une part, par les lois de la physique et la présente technologie des anneaux de stockage à électrons d’autre part. Cette technologie a d’ailleurs beaucoup évolué et semble toucher, concernant les machines de troisième génération, les limites de la physique et les problèmes de diffraction. Au cœur de cette installation, on trouve un anneau de stockage, machine d’énergie intermédiaire, dont l’énergie nominale est de 2,5 GeV, grimpe sans problème à 2,75 GeV et reste stable à 1,5 GeV pour travailler en particulier avec un laser à électrons libres dans un domaine où la France a beaucoup apporté. Cette fourchette particulière d’énergie est la seule qui peut satisfaire à la fois les utilisateurs de rayons X, couvrant les deux tiers des applications. On ne peut pas faire de rayons X de très grande brillance avec des machines dont l’énergie est inférieure à 2,4 GeV (au-delà, des onduleurs sont nécessaires mais perturbent de façon inadmissible le comportement et la durée de vie des faisceaux d’électrons).

En outre, les Français aiment bien étudier les structures mais aussi le comportement des structures en fonction du temps : ces mesures temporelles utilisent le fait que l’on a besoin de pulses de lumière courts tout en gardant des pulses brillants et des pulses de très grande durée de vie.

En bref, le compromis intelligent, SOLEIL, se situe à 2,5 GeV. Avec le temps, ses choix ont été validés, du fait de l’évolution de la technique des onduleurs sous vide : ce qui était acrobatique au départ est devenu une perspective parfaitement réaliste. Dans notre optique, une seule machine remplacerait les deux vieilles machines d’Orsay, ce qui représente, études à l’appui, un emploi particulièrement économe des deniers publics.

SOLEIL est un outil pour de nombreuses disciplines et sans les outils nécessaires à la pensée, on ne peut pas bien penser ! Il existe une quarantaine de ces outils dans le monde, c'est-à-dire des pays qui regroupent des centaines de millions d’habitants et un très grand nombre de chercheurs. L’Allemagne, peu encline à gaspiller son argent, et dont la productivité scientifique n’est que légèrement supérieure à la nôtre, possède sept anneaux de stockage. Le Japon en possède quatorze. La France et l’Angleterre parmi les grands pays scientifiques ont une politique foncièrement anormale. Contrairement aux autres pays, elles n’ont pas d’installations de troisième génération.

Les disciplines interface, comme la biologie structurale, sont essentielles à mes yeux, mais difficiles à faire admettre. Les Etats-Unis se mettent à construire des instituts spéciaux pour favoriser la pluridisciplinarité. On découvre que l’on réfléchit mieux dans la diversité plutôt que dans sa petite équipe. Dans le domaine de la recherche, la cristallographie représente une méthode essentielle pour la biologie structurale. Cette méthode explose actuellement, notamment aux Etats-Unis où les soutiens sont considérables, ce qui mérite réflexion. Dans le domaine de la cristallographie des protéines, le rayonnement synchrotron et toutes les techniques associées ont complètement bouleversé les conditions expérimentales de notre discipline : le problème des phases, par exemple, familier des physiciens, est désormais résolu d’une façon élégante tout simplement du fait que le rayonnement synchrotron fournit toutes les longueurs d’onde nécessaires pour faire résonner sélectivement l’atome de son choix. C’est un gain de temps considérable. Le rayonnement synchrotron est peut-être à l’origine du fait que la France se situe dans ce domaine en quatrième position dans le monde. L’accès quotidien des chercheurs au rayonnement synchrotron y est certainement pour beaucoup. D’ailleurs les chercheurs sont unanimes pour dire que l’on ne peut pas se passer de synchrotron, car l’outil est totalement banalisé : le foisonnement de publications dans Science ou Nature en est un des nombreux signes évidents.

En outre notre communauté ne veut pas aller en Angleterre, comme elle l’avait déjà écrit à M. Jospin et M. Courtillot en juillet : " nous tenons à réaffirmer notre volonté d’une décision positive et rapide sur le projet SOLEIL tel qu’il a été élaboré par la communauté scientifique mis en forme par le groupe d’avant-projet et évalué positivement à de multiples reprises ".

Le mode de coopération européen au rayonnement synchrotron est un maillage de centres nationaux entre lesquels les équipes circulent grâce à un financement européen spécifique. C’est la pérennité du nœud français qui est en jeu : il n’existe actuellement qu’un seul centre national. Il y a donc une grande urgence à prendre une décision. Nous sommes terriblement en retard par rapport aux autres pays qui ont déjà fait ces choix.

Les coopérations avec l’Allemagne, l’Angleterre, et avec tous les grands de la science européenne se portent bien. L’échange se fait en particulier au travers des postdocs français qui partent travailler dans tous ces laboratoires. Tous les étudiants de mon propre DEA partent en Suisse faire des postdocs, en Europe, et certains aux Etats-Unis et au Japon. Le gisement de coopération à développer concerne des pays comme l’Espagne, l’Europe du centre, la Russie : ces derniers pays ont en effet des moyens intellectuels considérables mais pas d’instruments. Un centre de rayonnement synchrotron permettrait de les accueillir.

Soulignons aussi le rôle essentiel des centres de rayonnement synchrotron dans la formation, notamment au travers des stages de 2ème et de 3ème cycle et des 400 thèses en cours à chaque instant.

En outre, le débat sur le rayonnement synchrotron comporte une dimension citoyenne. La réalisation d’un synchrotron de 3ème génération ne peut être que l’aboutissement d’un processus d’élaboration et d’évaluation particulièrement soigné et public et prenant en compte les besoins réels et à long terme des domaines concernés. L’élaboration démocratique de la décision est la clé de sa réussite. Le rôle d’un gouvernement est de veiller à la convergence du processus et à prendre les décisions adéquates. La démarche instaurée par le Parlement pour l’instruction du dossier SOLEIL reçoit à ce titre un large assentiment. Dans le rapport de l’Office, les membres du Parlement et du gouvernement trouveront les éléments ou les compléments d’information qui leur permettront de prendre position et d’agir en toute connaissance de cause.

Enfin, je voudrais souligner qu’il est réconfortant de constater que la presse et les médias ont largement informé le public, en particulier depuis six mois.

Jacques FRIEDEL

Président honoraire de l’Académie des sciences

Fondateur du Conseil des grands instruments scientifiques

Trois malentendus compliquent inutilement la discussion sur le rayonnement synchrotron.

Il revient évidemment au ministre de fixer l’équilibre entre les très grands équipements et les crédits pour les laboratoires, sachant qu’actuellement le ratio retenu en France est classique des pays développés. Pour nous, la question est ailleurs. Les sommes prévues par le gouvernement pour DIAMOND sont du même ordre que celles qui étaient prévues pour SOLEIL, la différence essentielle venant de fait qu’une région française aurait dû donner un certain argent qui sera en fait donné par le Wellcome Trust. Dans les deux cas, les préoccupations sont parfaitement légitimes mais plus économiques que proprement scientifiques.

Il a été dit que DIAMOND était européen et SOLEIL français, alors que DIAMOND est tripartite, avec trois directeurs scientifiques, trois budgets, trois programmes scientifiques indépendants. Nous connaissons bien ce type de laboratoire et j’ai moi-même contribué à la création d’un laboratoire dans les hauts champs magnétiques à Grenoble : ce n’est pas la meilleure façon de développer les collaborations scientifiques. Le laboratoire ESRF est exemplaire de ce point de vue-là : il a les meilleures chances d’entretenir et de situer les collaborations européennes mais j’ai le sentiment que les laboratoires européens, dans ce domaine du rayonnement synchrotron, ont pris cette tâche de collaboration internationale de façon très sérieuse avant que l’ESRF ne soit construite d’ailleurs. J’ai moi-même organisé la première réunion sur les très grands équipements en Europe avant l’ESRF pour discuter en particulier de l’ESRF et je peux témoigner de la volonté, dès ce moment-là, des laboratoires nationaux de collaborer.

Dire que DIAMOND va satisfaire une grande partie des besoins français et qu’avec une source ultraviolette on complétera à moindres frais les besoins français est un malentendu. Les biologistes français sont très réticents à l’idée de se rendre systématiquement en Angleterre : le rapport américain le plus récent sur le rayonnement synchrotron relève très spécifiquement qu’une grande partie des recherches biologiques doivent se faire dans un voisinage immédiat de la source de rayonnement, pour des raisons d’échantillons. Les cristaux qu’il faut utiliser pour les structures biologiques sont très difficiles à fabriquer : il faut les vérifier au fur et à mesure de leur croissance dans l’instrument lui-même. Il en est de même pour les autres mesures biologiques. Pour l’ensemble des besoins, la solution DIAMOND ne peut satisfaire que la moitié des besoins français. Par ailleurs, je ne suis pas convaincu par la solution d’une source dans l’ultraviolet. Les premières discussions au Plan portant sur le futur de LURE, en 1979 nous avaient amenés à cette même idée d’une source ultraviolette. Cela semblait raisonnable à l’époque car l’essentiel des recherches était en ultraviolet. La situation a complètement changé : en 1997, 15% des besoins américains couvrent les ultraviolets malgré la présence de deux sources ultraviolette compétitives.

Deux questions restent en suspens.

Les centres nationaux doivent fournir leur part à l’évolution d’une technique en constante évolution ces dernières années. La technique des synchrotrons s’est beaucoup améliorée, tant du point de vue de l’énergie que de la finition de la cohérence des flux, des possibilités d’utilisation dans de nouveaux secteurs comme le magnétisme ou la microscopie rayons X. La présence de laboratoires nationaux au contact de grands centres de recherche nationaux est la garantie que ces centres puissent développer à l’aide de ces nouvelles techniques des problèmes scientifiques d’intérêt.

Les laboratoires nationaux sont non seulement utiles aux nations concernées mais également comme clé d’entrée aux laboratoires européens qui se contentent le plus souvent de faire les dernières expériences, les plus difficiles dans des programmes déjà largement décortiqués au niveau national.

Contrairement à ce qui a été dit, les biologistes français ont moins à apprendre du rayonnement synchrotron que les biologistes anglais : c’est à LURE que les Anglais ont appris à se servir du rayonnement synchrotron. Il n’y a pas de retard qualitatif de la France en matière de biologie. Pour le reste des recherches les plus actuelles, il existe également d’excellentes équipes françaises.

Au total, dans ce domaine précis du rayonnement synchrotron, un laboratoire national, du genre SOLEIL, axé sur les rayons X, me semble une nécessité pour éviter de perdre un certain acquis. Sans SOLEIL, la plupart des équipes françaises risquent de fermer boutique ou d’aller ailleurs. Sans SOLEIL également, le passage de flambeau entre la génération des chercheurs qui partent actuellement à la retraite et les jeunes chercheurs en formation risque d’échouer dans le domaine du rayonnement synchrotron.

Docteur Richard GIEGÉ

Président de la société française de biochimie et de biologie moléculaire

Je veux m’exprimer ici au nom de la Société française de biochimie et de biologie moléculaire et remercier l’Office de nous donner cette trop rare occasion d’expression. Notre société est très ancienne : elle fut fondée en 1914 et regroupe près de 2 000 membres venant du monde de la recherche publique et des industries, de la pharmacie et des biotechnologies, une des premières sociétés savantes françaises. Un conseil de notre société s’est tenu la semaine dernière où fut très longuement débattu le problème du synchrotron. Je voudrais vous en rapporter l’argumentation principale. Il est par ailleurs notable que de grandes personnalités du monde de la recherche aient participé à ce débat. Parmi nos membres figurent également toute la biologie et la biologie moléculaire française dont Henri Buque, Pierre Chambon, etc. Bref, notre société regroupe un ensemble très large de points de vue de la biologie et de la biochimie.

Auparavant déjà, nous avions beaucoup discuté par rapport à la biologie structurale dans les publications de notre société. Notre société a eu l’honneur d’organiser l’année dernière le Congrès de la FEPS qui regroupait toutes les disciplines de la biologie et de la biochimie, et la biologie structurale en était un des aspects les plus importants. Un grand nombre de biologistes sont des fournisseurs de molécules dont l’obtention n’est pas facile et demande des compétences très pointues. En outre beaucoup de biologistes travaillent sur des problèmes de biologie intégrée et sont intéressés par la connaissance des molécules sur lesquelles ils travaillent. Il faut à un ingénieur qui essaie de fabriquer une voiture automobile une connaissance sans faille des rouages du moteur et des pièces de la voiture. De même, un biologiste du futur doit connaître le matériel sur lequel il travaille, la structure des macromolécules et des assemblages macromoléculaires. La biologie structurale est donc très importante et avec elle le rayonnement synchrotron qui en est l’outil principal. Les spécialistes du synchrotron ont d’ailleurs permis bon nombre de découvertes, en particulier, le record mondial d’une structure cristallographique d’un virus enregistré à LURE par des Américains avec une équipe de Strasbourg. Des méthodes de détermination rapide des structures ont également été découvertes à LURE, exploitées, aujourd'hui encore. Le rayonnement synchrotron permet donc une collecte beaucoup plus rapide, aisée, précise des données permettant l’accès aux structures cristallographiques.

La cristallographie fut longtemps une technique délicate mais la tendance s’inverse actuellement et se démocratise. De plus en plus de laboratoires font de la cristallographie : ils disposent des molécules, peuvent enregistrer des données au synchrotron et trouver un entourage qui les renseigne. Des structures ont pu être résolues par des chercheurs ne venant pas de laboratoires strictement cristallographe.

Les structures difficiles à résoudre constituent un autre aspect de la biologie structurale. Il reste encore beaucoup de machines moléculaires à résoudre, comme la structure du ribosome. Beaucoup reste à faire également pour la compréhension des génomes. Egalement dans le domaine des protéines membranaires, des compétences extrêmement pointues sont requises ainsi que des moyens puissants pour l’enregistrement et le traitement des données. Nous avons en France toutes ces compétences : encore faut-il les mettre à exécution. Par ailleurs, le nombre des structures à résoudre est croissant, notamment par rapport au projet de génomique structurale. Aux Etats-Unis et au Japon, ces projets sont déjà extrêmement avancés et des sommes considérables d’argent sont débloquées pour ces projets qui sont tous tributaires de rayonnement synchrotron.

La pharmacie et les biotechnologies vont avoir un besoin croissant de connaissances structurales sur des protéines natives mais aussi modifiées ou encore sur des complexes entre des protéines avec des inhibiteurs ou des activateurs.

L’accès aux structures à Haute et très Haute Résolution est une demande également croissante du fait de la mise en place des techniques de synchrotron et de cristallogenèse.

La biologie structurale a besoin de cristaux et d’un accès rapide et aisé des expérimentateurs aux synchrotrons : une symbiose doit exister entre l’expérimentateur venant avec son cristal et celui qui réalise les enregistrements.

Il faut également des possibilités dans les laboratoires de recherche de réaliser des expériences et des tests et de lancer des programmes ambitieux dont les résultats ne sont pas garantis : avoir du temps de machine sur de très grandes machines internationales est difficile à ce niveau-ci puisqu’il faut défendre un projet dont la faisabilité est déjà garantie. Cette notion d’inventivité et de créativité scientifique dans le domaine est essentielle s’il y a des possibilités nationales. D’où la nécessité d’installer le synchrotron près de centres où existent des masses critiques et d’en permettre un accès souple. Aux Etats-Unis d’ailleurs se développent des synchrotrons régionaux pour permettre une telle disponibilité opératoire.

Le synchrotron est un lieu de rencontre interdisciplinaire entre la physique, la chimie et la biologie. En France, cette possibilité d’interpénétration n’est pas complètement développée. Que de jeunes biologistes puissent côtoyer des physiciens et des chimistes est essentiel à l’innovation et à la formation des spécialistes. Il est clair que les biologistes souhaitent être intégrés dans les programmes et qu’en plus de la machine, des mesures d’accompagnement sont nécessaires pour des laboratoires et du personnel affecté à la production de ces macromolécules biologiques.

Certaines erreurs préjudiciables à long terme à la science française doivent être évitées. Il y a trente ans en France, la biologie structurale a été considérée comme une discipline trop difficile et déjà trop avancée en Angleterre où elle a pris naissance dans les années 30 pour pouvoir combler le retard. Grâce à l’initiative de jeunes chercheurs partis se former à l’étranger et à celle de quelques patrons clairvoyants, la biologie structurale a pu prendre son essor en France. Si nous ne suivons pas une tendance générale et partagée dans tous les grands pays en la matière il est à craindre que tout cet effort soit perdu et que nous ne soyons plus compétitifs dans le domaine.

Nous, biochimistes, ne sommes pas contre des collaborations avec l’étranger et qu’une discipline doit être mise en concurrence avec les autres : les grands problèmes biologiques doivent être abordés par toute une panoplie de techniques. Mais en l’état actuel de la technologie, la cristallographie des rayons X avec les rayonnements synchrotron est l’unique technique permettant l’accès aux très grandes structures de macromolécules et d’assemblage macromoléculaire.

Guy OURISSON

Président de l’Académie des sciences

En tant que chimiste organicien, je trouve très difficile d’avoir une opinion tranchée dans ce débat. Quelques remarques me semblent néanmoins importantes.

Comment imaginer que la biologie du développement ne soit pas à base structurale ? Il est évident qu’il vaut mieux avoir des idées géniales dans des domaines où il n’y a personne. Mais il me semble largement établi qu’il y a un problème important dans l’établissement des structures précises et qu’il reste dans ce domaine beaucoup à faire et à découvrir.

Par ailleurs, la confusion ne serait peut-être pas aussi grande aujourd'hui si le comité des très grands équipements dont le premier président a été Jacques FRIEDEL avait continué d’exister. La démarche actuelle, même si elle est louable, arrive trop tard à mon sens.

Il me semble choquant d’affirmer avec force comme l’a fait M. Fourme que la communauté des chercheurs ne veut pas aller en Angleterre. Je crois comprendre le fond du problème mais je n’adhère pas à cette façon de le présenter. Insister sur la nécessité du voisinage immédiat ne me paraît pas complètement justifié. Un minimum d’infrastructure sur place est évidemment nécessaire mais je ne vois pas pourquoi on pourrait penser que cette infrastructure serait moins amicale et moins conviviale en Angleterre qu’à Grenoble. A ce titre, nous n’avons pas assez entendu de développements sur la nature des synchrotrons régionaux dont on parle aux Etats-Unis.

Il a été dit que la seule vraie méthode pour faire des grosses protéines c’est le synchrotron. Il faudrait maintenant se rendre au Japon pour faire de grosses structures. Vrai ou Faux ? Mais grosse ou petite il faut les cristalliser. Or, peu de gens en France font de la cristallogenèse. Si l’on veut faire des structures cristallines, j’entends dire qu’il nous faut faire des progrès très sérieux dans le domaine, ce qui ne nécessite pas de gros équipements.

Une étude intéressante est en cours sur le sujet et notamment sur les moyens de franchir les barrières actuelles à l’aide des supraconducteurs, de l’optique magnétique et qui suppose de bio synthétiser les protéines en les enrichissant en azote 15 et en C13. Une percée de ce côté serait très intéressante.

Les solutions européennes ne me semblent pas avoir été envisagées dans l’étude SOLEIL. Etant donné l’importance du projet et la qualité des contacts européens, étant donné le succès de Grenoble par ailleurs, il m’a semblé curieux de pouvoir considérer que le projet pouvait avoir lieu là et pas ailleurs. J’ai moi-même pris position pour l’installation du projet SOLEIL à LURE ou dans Paris-Sud plutôt qu’en Corse ou à Limoges. Une implantation de cette nature n’a pas un rôle de structuration régionale. Il s’agit d’un instrument scientifique avant tout, devant se situer à proximité d’environ la moitié des utilisateurs.

Yves PETROFF

Directeur général de l’ESRF (European Synchrotron Radiation Facility)

Je pense que la décision du ministre est une grosse bêtise et qu’on va le payer assez cher dans les années à venir. Quand on gagne un facteur 1 milliard ou 10 milliards avec un système optique, ça ouvre forcément de nouveaux domaines.

Au cours d’un comité scientifique aux Etats-Unis où j’étais présent il y a trois semaines, et qui rassemblaient des chimistes, des physiciens et des biologistes, nous ont été présentés des résultats particulièrement enthousiasmants. L’un de ces résultats intéresse beaucoup les nanotechnologies : avec des microscopes à photoémission, on peut parvenir à des résolutions de l’ordre de 200 angströms et en jouant sur la polarisation de la lumière, à voir les domaines antiferromagnétiques dans des films minces. D’ici deux ans, on parviendra à 10 ou 20 angströms. Ces résultats marquent une révolution du point de vue des applications et l’implication d’IBM n’est pas un hasard.

Il existe actuellement une ligne de lumière équipée pour les structures biologiques. Six sont prévues pour dans deux ans, neuf pour dans trois ans et les meilleures équipes y travaillent, dont les prix Nobel. Ramener cela à l’étude d’une simple structure me paraît complètement dépassé aujourd'hui. Les chercheurs qui ont présenté la structure du ribosome avec une résolution de 5,5 angströms ne s’intéressent pas à la structure biologique mais à la fonction. Ils veulent parvenir à une résolution de 3 angströms pour distinguer les détails des différents composants. C’est de cette manière qu’il faut appréhender la biologie structurale et la France prend le chemin inverse.

Je suis choqué de la façon dont les décisions se prennent en France.

Aux Etats-Unis, suite au rapport Birgeneau qui critiquait le centre de Berkeley, les Américains ont réagi violemment par des licenciements. Une dizaine de scientifiques, dont la moitié n’ont rien à voir avec le rayonnement synchrotron, a examiné leur travail : un rapport en est sorti, avec des recommandations, présentées à un sous-comité de la DOE devant vingt scientifiques couvrant tous les domaines. Ils l’ont accepté après discussion et vont se charger de sa mise en place. A mon sens, ce processus de prise de décision traduit un fonctionnement normal dans un pays normal.

En France, le ministre a annoncé il y a deux ans qu’il prendrait sa décision après le rapport demandé à M. Clavin : comment une seule personne peut-elle être compétente en biologie, en chimie, en physique, en sciences des matériaux, et en physique appliquée ? En outre, ce rapport n’est pas public : aucun pays au monde n’a ce genre de pratiques. Enfin, ce rapport, que M. Courtillot m’a demandé de lire en juillet, est bâclé et presque complètement faux : il m’aurait fallu deux jours pour le faire et non pas un an comme ce fut le cas. En outre, il reprend des chiffres révélés faux et sans le signaler. Dans le domaine de l’ultraviolet, la demande n’est pas en baisse comme il le prétend dans son rapport en reprenant des éléments du rapport Birgeneau dont l’analyse était fondée sur une observation particulière mais non représentative de la réalité dans ce domaine. Un rapport aujourd'hui disponible montre que le nombre de publications dans les meilleures revues aux Etats-Unis est équivalent dans le domaine UV et dans le domaine des rayons X.

Le choix d’une machine de 1,5 GeV n’est pas dicté par la science qu’on peut y faire, mais par les possibilités technologiques. La France s’engage sur de nombreuses années au travers d’un projet coûteux. Ce qui me semble inadmissible, c’est l’absence de documents où se trouvent exposés le coût en investissement, le coût en salaire, le coût en ligne de lumière, le coût en maintenance et le coût en développement plus tard. Un tel flou artistique n’est pas acceptable lorsqu’on engage ainsi l’avenir scientifique d’une communauté.

En matière de physique des faisceaux, j’ai appris que pour obtenir des machines stables, avec des durées de vie correctes, il fallait monter l’énergie. Si l’on construit une machine à 1,5 GeV en prenant l’émittance de l’ESRF, sa durée de vie sera de 3 minutes et aucune manipulation ne sera possible. On est donc amené à gonfler le faisceau en vertical, ce qui fait un couplage de 3%, dix fois supérieur. La preuve en est que les quatre machines construites à 1,5 GeV ont été immédiatement poussées au maximum de leur énergie. La durée de vie n’est pas satisfaisante et le moindre mouvement d’onduleur est en 1/E2, E étant l’énergie : c’est donc une perturbation importante. L’exploitation de la lumière circulairement polarisée est donc impossible, à moins d’injecter en permanence, ce qui est très onéreux et le résultat n’est même pas démontré. Pour toutes ses raisons, la solution à 1,5 GeV me paraît complètement irréaliste.

Contrairement à M. De Gennes, je trouve que le rayonnement synchrotron a permis de belles découvertes, en matière de structures du nucléosome et du ribosome, de nanomagnétisme, de haute pression sur l’hydrogène et la glace, et d’imagerie des rayons X. En outre le domaine du rayonnement synchrotron a permis à l’ESRF de sortir quatre couvertures de Nature et de Science en deux ans, ce que peu de laboratoires français ont pu faire. Ne plus faire de rayonnement synchrotron reviendrait à supprimer 95% de la physique en France.

Jochen SCHNEIDER

Directeur du laboratoire allemand de rayonnement synchrotron Hasylab

Comme étudiant dans les années 70, j’ai beaucoup profité de l’ouverture internationale caractéristique des instituts installés autour des grosses machines. Je travaille actuellement dans un institut national où plus de 60% des scientifiques sont d’origine étrangère. Le rôle culturel des grandes machines me paraît toujours très enrichissant. Il est évidemment possible de casser la masse critique dans le domaine du rayonnement synchrotron pour être compétitif comme vous semblez le projeter en France. En Allemagne, nous regrettons beaucoup cette orientation et nous ne la comprenons pas.

Plus spécifiquement, il me semble que M. Petroff a bien fait comprendre les contraintes strictement physiques et non politiques des machines qu’il est question de construire. Certaines qualités du faisceau électronique sont requises dans ces anneaux de stockage. L’anneau est la base du dispositif, puis viennent les spécifications avec les onduleurs, le faisceau, l’instrumentation et les équipes. L’idée de construire un anneau à 1,5 GeV me semble donc irraisonnable.

Sur la question européenne de l’installation, il me semble que l’exemple de l’ESRF est un succès : il a fallu non seulement rassembler l’argent mais aussi et surtout toute l’expérience européenne dans ce domaine. Le résultat est que ce centre est devenu une référence en la matière.

Le problème actuel est plutôt de déterminer les conditions optimales d’une telle machine, notamment la capacité de réagir rapidement aux évolutions. Il est connu que la réactivité est plus grande dans les unités petites.

Par ailleurs, un centre national ne signifie pas l’absence de collègues étrangers comme c’est le cas à Hambourg.

Il me semble enfin que la vision du gouvernement français relative à l’organisation européenne du monde de la recherche implique un fonctionnement trop lourd. A l’image de cette réunion d’aujourd'hui, il existe déjà des espaces souples et légers d’échanges et de travail en commun. Je ne pense pas que cette construction qui vient du haut va faciliter les choses.

QESTIONS et DÉBATS

Pierre LAFITTE

En tant que Sénateur des Alpes-Maritimes, je mène actuellement une réflexion pour le compte de l’Office en matière de recherche coopérative en Europe. Il faudrait à mon sens réorienter l’action de l’Europe en matière de recherche scientifique sur deux points :

une augmentation massive des crédits consacrés à la mobilité des chercheurs, du nombre des bourses, de leur facilité de mise en place et de leur volume ;

un appui important des structures nationales et bilatérales au fonctionnement des grands équipements. Il serait également normal que l’Europe participe au financement du fonctionnement de tous les grands équipements existants, ce qu’elle peut légalement faire, mais ne fait pas actuellement.

D’autre part, les petites équipes de jeunes ne sont pas assez aidées en France. Dans une situation de paupérisation, l’augmentation des frais de personnel du CNRS y contribue, par exemple. Il existe à Sophia-Antipolis des petites équipes pleines d’idées dans des domaines variés mais sans moyens pour les développer. Dans les récentes décisions du gouvernement actuel, le souci de soutenir ces jeunes équipes a certainement joué et je m’en réjouis. Ce choix est d’autant plus important qu’en France, comme d’ailleurs dans la plupart des pays européens, le support de l’opinion publique à la science faiblit fortement. Il nous faut démontrer de plus en plus que la science sert à la création d’emplois et de richesse et que le temps passé à rechercher des applications concrètes diminue toujours plus. Le développement des start-up est un moyen de contribuer à cette démonstration générale : la communauté financière internationale s’y intéresse d’ailleurs de plus en plus mais la partie initiale de prise en compte de l’innovation reste insuffisante.

Jacques FRIEDEL

En France, près de 2 000 chercheurs ont utilisé le rayonnement synchrotron à Orsay ou à l’ESRF l’année dernière : seul 150 d’entre eux étaient des permanents dans les laboratoires mentionnés. En revanche, la plupart des autres chercheurs étaient dans de petites équipes, de 2 à 4 personnes, et réparties sur l’ensemble du territoire. Lorsque je présidais la commission de physique jugeant des promotions des enseignants chercheurs en physique, peu après le démarrage de LURE, il était frappant de constater le nombre considérable de petites équipes de jeunes chercheurs dynamisées par la création de cette installation et qui avait fait l’effort de prendre contact avec LURE.

Créer une installation analogue à SOLEIL ne peut qu’engendrer un engouement similaire, d’autant plus essentiel que dans les dix prochaines années, de nombreux chercheurs vont partir à la retraite, appelant à être relevés par une jeune génération de chercheurs. L’encouragement d’une source nationale de ce genre, permettant des ouvertures multiples et nombreuses, est un facteur important, au moins au niveau fondamental pour la bonne santé de notre pays. Je crois également à moyen terme à la retombée d’applications.

Pour avoir mené une étude sur la recherche en physique dans les écoles polytechniques helvétiques, j’ai eu à juger autrefois d’un projet de création d’une source nationale de rayonnement synchrotron dans ce pays. A cette époque, on discutait du lancement de l’ESRF et de ses futurs participants : les Suisses se sont impliqués dans ce projet en renonçant provisoirement à leur projet national. Pourquoi aujourd'hui la France n’adopterait-elle pas dans la problématique actuelle une même stratégie ?

Vincent COURTILLOT

Les propos concernant la volonté des chercheurs français de ne pas se déplacer en Angleterre sont particulièrement choquants. Je suis content de ne pas être le seul dans cette assemblée à porter ce jugement.

Pour information, plusieurs conversations avec le commissaire européen à la recherche, M. Busquin, ont confirmé une totale communauté de vues dans la définition des futures priorités de la France : la mobilité des chercheurs ; la subsidiarité, c'est-à-dire une meilleure coordination des programmes et des organismes de recherche plutôt qu’une compétition ; un engagement profond dans les très grands équipements et les grandes infrastructures, notamment au niveau de leur conception, de leur construction, de leur financement et de leur mode d’opération.

Nous comptons d’ailleurs demander la réorientation complète du sixième PCRD, et même avant, de certains crédits du cinquième, en mettant à profit la présidence française. L’intérêt porté par le commissaire européen à la construction de cette machine franco-britannique pourrait d’ailleurs déboucher sur l’octroi de subventions européennes.

La proposition concernant une machine à 1,5 GeV est actuellement à l’étude, comme beaucoup d’autres propositions. Si son inutilité s’avérait, elle serait abandonnée. Les avis entendus par le gouvernement sont différents et son attitude sur ce point est absolument ouverte. Si la construction intelligente d’une machine de plus faible énergie pour un coût également plus faible s’avérait possible, elle serait retenue.

Contrairement à ce que nous laisse croire M. GIEGÉ, figurent dans la longue liste des membres cités dans son intervention, des personnalités nationales de la biologie dont la position par rapport au projet de rayonnement synchrotron n’est pas du tout celle de la Société française de biochimie et de biologie moléculaire : Pierre Chambon, Michel Lazdunski et Dino Moras soutiennent totalement notre position.

L’idée que le rayonnement synchrotron ne peut plus être classé dans la catégorie des très grands équipements, et pour certains, qu’il s’agit même d’un moyen de base de très nombreux laboratoires, est à retenir. Nous avons décidé en effet de renforcer le soutien de base des équipes. Le simple budget des unités associées du CNRS correspond à des moyens de fonctionnement et de soutien de base de l’ordre de trois milliards de francs par an. En corrigeant le poids de certaines disciplines qui n’ont pas recours au rayonnement synchrotron, en particulier toutes les sciences humaines et sociales, deux milliards de francs par an sont consacrés au soutien de base des laboratoires. Si l’on a besoin d’un investissement de l’ordre d’un milliard de francs sur cinq ans, cela représente deux cents millions de francs par an, soit 10% du soutien des laboratoires actuels. Si ce besoin fondamental est reconnu comme tel dans leur soutien de base, il est souhaitable que depuis la base, sans programmation depuis le haut, ces laboratoires se mettent d’accord pour financer ce type d’opération sur leurs propres deniers.

La biologie doit consacrer en l’an 2000, 800 millions de francs à partir des crédits de la direction de la recherche, de la direction de la technologie et de la DG du ministère des finances. Une grande partie (600 millions) sont sur le seul programme de génomique. Il est évidemment possible, si l’ensemble des biologistes le souhaite, de soutirer une partie de ces crédits exceptionnels pour les consacrer à ce type de programme.

Enfin, nous nous sommes évidemment préoccupés de l’avenir du laboratoire de LURE d’une part et du développement de l’ensemble du plateau d’autre part. A travers les contrats de plan Etat-Région en cours de signature, des engagements et des soutiens de moyens des régions et de l'Etat sont prévus : près de 18,5 milliards de francs sur 7 ans pour la seule part Etat et autant pour la part collectivités territoriales. Une part importante des crédits du contrat de plan Etat-Région de l’Ile de France est consacrée au développement d’Orsay et les problèmes industriels, d’emploi, et de recherche et de développement du plateau ne nous sont pas restés étrangers.

M. GIEGÉ

Pierre Chambon, Michel Lazdunski et Dino Moras font effectivement partie de la Société. Dans notre conseil étaient présentes de nombreuses personnes éminentes qui m’ont donné mandat à l’unanimité pour l’argumentation que j’ai développée. En outre, ce matin encore Dino Moras soutenait notre point de vue.

Roger FOURME

Les membres de la biologie structurale française, je le maintiens, et ses chefs d’équipe, ont estimé que l’option DIAMOND avec la France était une solution à courte vue et inappropriée à leurs besoins. Ils sont en revanche partisans du projet SOLEIL et leur mission est davantage d’être dans leurs laboratoires, dans leur communauté, auprès des biologistes français, pour travailler de concert avec eux. Nous ne sommes par pour autant opposés aux coopérations européennes qui sont le lot quotidien de nos laboratoires.

Si le CNRS n’a plus suffisamment de crédits récurrents par rapport à ses crédits de personnel, si par ailleurs nous sommes contraints de choisir entre les instruments lourds et les instruments légers, entre la physique de base et les petites équipes, cela signifie qu’un problème politique bien plus large est en jeu : le budget consacré à la recherche aujourd'hui en France est très insuffisant et ne suit plus l’évolution du Produit National Brut. La recherche est-elle aujourd'hui une priorité nationale ? Voilà la question de fond.

Yves PETROFF

A bien vous entendre, M. Courtillot, les biologistes iront en Angleterre et les autres sur une machine de 1,5 GeV. Autrement dit, tout ce qui relève du rayon X ne présente plus d’intérêt, ni en science des matériaux, ni en physique, ni en chimie, etc. Cela me paraît ahurissant.

René TREGOUET

M. Courtillot, comment le gouvernement imagine-t-il le fonctionnement du futur équipement " anglo-welco-français " ? Nous avons compris cette après-midi combien les chercheurs avaient fait l’Europe bien avant les politiques. On trouve en effet dans tous les instituts nationaux des chercheurs étrangers. Ne pensez-vous pas que le projet franco-anglais ne risque de faire reculer la coopération entre les chercheurs au niveau européen ? Les Espagnols pourront-ils disposer de lignes de lumière aussi facilement qu’ils le peuvent actuellement au LURE ?

Les sources nationales sont précieuses car elles sont un lieu de germination des projets ; la décision y est souple, facile, et la réactivité grande. Comment pensez-vous que fonctionnera de façon pratique un outil tripartite ? Des aménagements dans les sources de lumière pourront-ils être obtenus aussi facilement que dans une source nationale ? Telles sont les questions qu’il me semble nécessaire de ne pas oublier.

Vincent COURTILLOT

Bien entendu, nous nous efforçons de tenir compte des expériences passées, comme cela a pu être évoqué par certains d’entre vous. J’espère que les projets en cours seront une réussite mais je ne peux pas le garantir. En effet, si nous partageons vos préoccupations, il serait ridicule que je garantisse avec certitude que nous aboutirons nécessairement à un succès. D’ailleurs, cette réserve s’applique aussi bien à une machine nationale qu’à une machine internationale. Après avoir apporté cette réponse générale qui, je le reconnais, n’est pas satisfaisante, je souhaite préciser certains points.

Premièrement, s’agissant du fonctionnement de DIAMOND, une négociation est en cours : le gouvernement français a constitué un groupe principal de travail avec ses homologues du gouvernement britannique, de l’OST et du Wellcome Trust. Ce groupe de travail, qui comprend six membres, met actuellement en place trois sous-groupes : un sous-groupe machine, un sous-groupe scientifique et un sous-groupe juridique et financier. La mission de ces sous-groupes est de travailler sur la forme de l’expérience DIAMOND.

Nous ne souhaitons pas mettre en place une organisation découpée où siègeraient des directeurs scientifiques, des patrons, etc. Notre objectif est que la partie centrale (anneau) soit gérée en copropriété, la part de la France se situant dans une fourchette de 33 % à 50 %. L’utilisation des lignes sera garantie à chacun des partenaires. Quant à l’attribution des lignes, elle fera l’objet d’une distribution qui n’est pas encore définie. En tout état de cause, les lignes resteront la pleine propriété de chaque propriétaire et il appartiendra à un Conseil scientifique de les attribuer selon des procédures souples qui devraient être identiques aux procédures nationales. Si nous partageons l’exigence de souplesse, il ne faut pas oublier que l’expérience reste à construire. N’oublions pas que chacun des grands équipements a certainement sa propre histoire en matière de construction.

Deuxièmement, je ne pourrais m’exprimer au nom de notre partenaire espagnol dans la mesure où je ne le représente pas. Sachez cependant que l’Espagne est impliquée dans ce projet depuis son lancement et qu’elle est représentée par M. Aldana et par deux de ses adjoints. Or M. Aldana manifeste de manière continue son intérêt pour la procédure que nous suivons.

Certains estiment que les Directeurs de la recherche français, espagnols et britanniques représentent mal leurs chercheurs. Mais il ne faudrait pas oublier que, dans nos démocraties, le gouvernement a une responsabilité en matière de recherche et que son action est jugée à l’occasion des échéances électorales et, le cas échéant, des changements de gouvernement.

Troisièmement, s’agissant des sources nationales, je m’appuierai sur l’exemple de la source nationale de neutrons que j’ai cité hier lors de la réunion de la commission restreinte. En collaboration avec la Directrice de la Technologie, je travaille depuis l’an passé sur le fonctionnement de cette source qui est un outil très intéressant. A ce propos, je rappelle qu’un intervenant a établi à juste titre un parallèle entre la source internationale (principalement franco-allemande) située à Grenoble (ILL) et la source nationale située en région parisienne (LLB). Lorsque la communauté des chercheurs a exprimé un besoin de sources de neutrons, elle a plaidé fortement en faveur de la création d’une source européenne ou internationale, d’une part, et d’une source nationale, d’autre part.

En l’état actuel, les crédits alloués à la source nationale ne représentent que la moitié des sommes nécessaires à son fonctionnement. Le CEA et le CNRS sont donc en train de se battre pour obtenir des crédits supplémentaires. L’année dernière, lorsque nous avons été alertés de cette situation, nous avons proposé un certain nombre de solutions à ces centres de recherches, dont l’ouverture d’une partie de la machine à nos partenaires portugais et espagnol. Après avoir étudié le projet, le Portugal s’est déclaré, compte tenu de ses priorités, dans l’incapacité d’y allouer des crédits suffisants. En revanche, l’Espagne a manifesté son intérêt pour ce projet. Toutefois, nous ne sommes pas certains de pouvoir générer des crédits supplémentaires pour la source nationale, ce qui montre que la programmation budgétaire n’a pas été optimale. Or vous comprendrez bien que l’on ne peut laisser dériver la ligne budgétaire allouée aux " très grands équipements ", une expression définie il y a dix ans par M. Curien. La ligne budgétaire allouée aux très grands équipements a atteint 4,6 milliards de francs en 1999. Si des crédits supplémentaires devront être trouvés, il n’est pas pour autant envisageable de laisser dériver de manière continue cette ligne.

Dans ces conditions, nous pouvons être séduits par le projet d’une machine de petite taille sensiblement moins coûteuse. Une telle machine permettrait néanmoins de réaliser des expériences intéressantes (passage d’1,5 à 1,75 ou 1,95 GeV). En outre, elle pourrait jouer un rôle dans la formation, la préparation et la pré-manipulation. C’est pourquoi nous sommes évidemment prêts à étudier un tel projet s’il nous était présenté par le groupe européen. Celui-ci devra nous présenter l’ensemble du spectre à l’échelle des cinq pays concernés et des quatre types de méthodes d’analyse fine de la matière. Nous faisons donc preuve d’une grande ouverture quant au projet d’une petite machine. Toutefois, le groupe européen, qui est nourri par les réflexions des scientifiques, nous montrera peut-être qu’un tel projet n’est pas raisonnable.

Yves PETROFF

Vincent Courtillot a souligné que les contacts avec les pays étrangers étaient restés très limités jusqu’à présent. Or j’aimerais rappeler qu’il y a quinze ou vingt ans, j’avais pris contact avec le Directeur de la Recherche espagnol. Nous avions alors reçu une subvention européenne pour les gros instruments, dont la moitié a été utilisée pour monter une ligne espagnole. Depuis, l’Espagne dispose de deux lignes.

Vincent COURTILLOT

Je suis au fait des contacts entre la France et l’Espagne. Toutefois, je rappelle que l’Espagne est à ma connaissance le seul pays étranger à avoir déclaré son intérêt pour le projet SOLEIL. Reste maintenant à déterminer la part qu’il serait en mesure d’apporter à l’ensemble du dispositif. Sachez par ailleurs que j’ai appris de mes homologues britanniques et suisses qu’ils avaient proposé à la France de participer à leurs manipulations avant 1997. Or cette proposition s’était heurtée à un refus de la part de la communauté française, ce qui m’a surpris.

Yves PETROFF

Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par " communauté française " ?

Vincent COURTILLOT

John Taylor, le Directeur du Research Council au Royaume-Uni, m’a indiqué qu’il avait essuyé un refus de la part de la communauté française.

Yves PETROFF

La communauté française n’a jamais été consultée.

Vincent COURTILLOT

John Taylor m’a confirmé que la communauté française avait exprimé un avis négatif il y a plus de quatre ans. Personnellement, je n’ai pas de raison de mettre en doute le témoignage de mes homologues suisses et britanniques.

Jochen SCHNEIDER

Vous souhaitez que la coopération franco-britannique mise en place dans le cadre de DIAMOND constitue un exemple. Toutefois, la participation britannique à ILL au cours des vingt ou trente dernières années me semble assez cauchemardesque.

A deux reprises, Vincent Courtillot a souligné qu’il attendait que le groupe d’experts européen, où siègent trois personnes de chaque pays, décide s’il fallait travailler avec une machine à 1,5 GeV ou à 2,5 GeV. Or il me semble que les personnes qui connaissent bien ce type de machines ont déjà la réponse : ils préconisent une machine à 2,5 GeV. Par conséquent, je ne comprends pas votre attitude face à cette question.

Vincent COURTILLOT

En qualité de Directeur de la Recherche, je ne suis pas habilité à répondre aux questions qui relèvent de la politique étrangère. Par conséquent, je baserai mes réponses sur des faits vérifiés. S’agissant du comportement des Britanniques dans l’ILL, je ne ferai aucun commentaire. En revanche, sachez que le gouvernement allemand m’a averti, il y a un an, de son intention de se retirer à terme de cette structure. Notez en outre que c’est la première fois que je donne cette information publiquement.

Je n’ai jamais dit que nous demanderions au groupe d’experts de se prononcer sur le choix d’une machine de 1,5 ou 2,5 GeV. En revanche, j’aimerais que les trois experts nommés pour chacun des cinq pays européens, soit 15 experts au total, réfléchissent avec souplesse à cette question. En effet, l’expérience prouve que les solutions non bureaucratiques l’emportent. Aussi faut-il privilégier les petits groupes, les groupes transitoires et les durées rapides. Notre objet n’est donc pas de constituer avec ce groupe d’experts une commission pérenne dont le fonctionnement ne serait pas assuré. En revanche, nous demandons à ce groupe de se placer dans une perspective européenne pour nous faire part de sa vision. Cela ne signifie pas pour autant que la solution sera unanime pour tous les pays. Nous demandons également au groupe d’experts de présenter l’ensemble des méthodes envisageables et d’en extraire les éléments qui seront les plus utiles à l’échelle européenne dans les cinq, dix ou quinze années à venir.

J’ai employé le terme de lobby sans aucune connotation péjorative. En effet, j’estime qu’il est normal qu’un groupe qui représente une communauté particulière et un type d’instrument particulier exprime son désir devant les autorités responsables du financement. Le souci de ces autorités est de ne pas avoir à faire face à de nouvelles demandes provenant de différents horizons dans les années à venir. Et elles souhaitent que les choix technologiques s’effectuent dans le cadre d’un budget bien déterminé. Or l’approche multitechnique et multipays que je préconise n’a pour l’instant encore jamais été mise en œuvre.

René TREGOUËT

En qualité de rapporteur, je ne voudrais pas que l’ambition européenne recule cet après-midi.

Depuis plusieurs semaines, nous apprécions la collaboration du Professeur Jochen Schneider qui nous fait part de sa compétence dans le domaine du synchrotron. D’ailleurs, il s’est déplacé plusieurs fois de Hambourg pour nous présenter sa vision. Si je comprends l’irritation de Vincent Courtillot sur certains points, je ne pense pas qu’il soit judicieux d’évoquer ici un problème allemand. Par conséquent, je tiens à souligner mon respect pour Jochen Schneider qui est un membre éminent de notre groupe de travail. J’ajoute que la coopération internationale ne pourra que se renforcer dans l’entente et que des tensions inutiles ne feront que lui nuire. Aussi devons-nous apprécier l’ensemble de nos collaborations européennes.

Vincent COURTILLOT

M. Trégouët, je partage totalement votre sentiment et je m’inquiète donc de l’interprétation que l’on a pu donner à mes propos. Premièrement, je n’ai à aucun moment voulu remettre en question la compétence de Jochen Schneider. En revanche, j’aimerais rappeler qu’un Directeur de la Recherche, qui doit prendre des décisions financières, ne peut pas faire autrement que de constater la position officielle transmise par ses homologues dans d’autres pays. C’est pourquoi je vous ai informé de l’intention du gouvernement allemand de se retirer de l’ILL dans la mesure où il s’agit d’une décision problématique pour le gouvernement français. A mon sens, un tel retrait traduirait un recul d’une coopération européenne que nous souhaiterions voir continuer, d’autant plus que nous la jugeons excellente. J’ajoute que je n’ai fait aucun amalgame entre la position du gouvernement allemand et celle de Jochen Schneider. En outre, j’ai conscience que ce dernier a fait part aujourd’hui d’un témoignage personnel alors que je représente la position du gouvernement français.

Christian CUVILLIEZ

Lors de nos visites des sites de Daresbury, Rutherford et Hambourg, nous avons constaté que les Allemands étaient plus sensibles à la coopération que les Britanniques, contrairement aux propos tenus par Vincent Courtillot. En particulier, Andrew Taylor, Directeur d’ISIS, ne nous a pas caché que les Britanniques avaient l’intention de travailler sur un projet de machine qui ne laissait pas de place à une coopération européenne, du point de vue de la préparation. Il a ajouté que la mise au point d’un nouveau concept de machine, qui ne serait ni DIAMOND ni SOLEIL, prendrait 18 mois. Et il faudrait attendre encore cinq ans pour que les premières lignes de lumière atteignent leur vitesse de croisière. Dans ces conditions, ne doit-on pas constater un échec par rapport à un projet qui semblait mûr ? Faut-il en outre envisager un deuxième synchrotron pour une échéance ultérieure ? Si je suis conscient que la progression des performances techniques avec le temps est réelle, il me semble que le lancement d’un nouveau concept de machines se traduirait par un retard lourd de conséquences sur les performances et sur les coûts.

René TRÉGOUËT

D’après nos observations, les synchrotrons sont devenus des machines très normalisées et de nombreux pays en possèdent un. L’Allemagne en possède plusieurs et la Suisse est en train d’en construire un nouveau. Toutefois, j’estime que certains sujets, comme les lasers à électrons libres, méritent une véritable coopération internationale. Jochen Schneider et son équipe ont d’ailleurs franchi une étape très intéressante sur ce sujet et il serait utile qu’ils nous tiennent informés de leurs avancées. En particulier, je souhaiterais que Jochen Schneider nous expose sa vision de la coopération internationale et qu’il nous fasse part de sa récente expérimentation sur les lasers à électrons libres.

Christian CUVILLIEZ

Il serait également intéressant que nous soyons informés du projet TESLA.

Jochen SCHNEIDER

Au cours des 30 ou 40 dernières années, nous avons bénéficié de progrès fantastiques dans le rayonnement synchrotron émis par les anneaux de stockage. Depuis la décision de lancer cette machine, l’ESRF a multiplié la puissance du rayonnement par plus de 300. Aujourd’hui, les Français poursuivent une autre ligne de recherche avec les lasers à électrons libres qui utilisent l’anneau de stockage et dont les performances sont surprenantes. En outre, ces lasers pourront ouvrir d’autres axes de recherche, comme cela a été le cas pour les synchrotrons de première, deuxième et troisième générations.

Pour lancer notre projet de laser à électrons libres (TESLA), nous avons choisi une voie différente des Français. Notre objectif est de parvenir à un laser à rayons X de 1 Å en collaboration avec une trentaine d’institutions provenant de sept ou huit pays (Europe, Etats-Unis et Chine). Si nous savons que ce type de laser fonctionne, nous sommes conscients que de nombreuses recherches restent à conduire pour garantir le même niveau de fiabilité que celui que nous obtenons avec les anneaux de stockage. A cet égard, je souligne que le synchrotron de Grenoble présente une fiabilité excellente.

Notre projet de laser à électron libre est très lié aux recherches entreprises en France dans ce domaine. Si ce projet ne fait que commencer, il montre à la communauté scientifique que les anneaux de stockage ne constituent pas une étape ultime. Toutefois, au cours des 15 ou 20 prochaines années, ces anneaux constitueront notre outil de travail. Les chercheurs français sont pour l’instant les seuls chercheurs européens qui réalisent des manipulations avec des lasers à électrons libres, une étape dont nous sommes encore assez loin. Il nous faut partager nos connaissances pour favoriser la recherche et continuer à progresser. Notre collaboration sur le laser à électrons libre n’a pas pour l’instant fait l’objet de discussions à l’échelle gouvernementale. La première semaine d’avril 2000, se tiendra à Paris une réunion annuelle sur la collaboration dans le cadre du projet TESLA. A ce propos, je voudrais souligner que la contribution de la France sur le plan des accélérateurs à particule joue un rôle essentiel. En outre, elle est indispensable pour que nous puissions réussir notre projet de laser à rayons X de 1 Å.

Vincent COURTILLOT

Nous sommes tout à fait favorables à la mise en œuvre d’une nouvelle méthode et d’un travail de développement instrumental. Reste toutefois à déterminer précisément la nature du projet, le budget qui lui sera alloué et les priorités auxquelles il correspond. En effet, un nouveau projet doit faire l’objet d’une demande réfléchie et arbitrée dans la mesure où le budget est limité. Or, en tant que responsable de laboratoire, l’on n’a pas toujours conscience de cette dimension et de la nécessité d’opérer des choix.

Dans une récente interview au Figaro, le Ministre de la Recherche, a fait allusion au lancement d’une étude sur une RMN d’1 GHz. S’il nous paraît essentiel de lancer une telle étude, j’ignore encore si cela sera possible. En tout état de cause, le gouvernement est très inquiet de constater que la France n’a pas procédé à un certain nombre d’améliorations en matière d’équipement, que ce soit dans le champ de la physique ou dans un autre cadre. A cet égard, le Ministre de la Recherche a souligné que la vente de la CGR et son retrait du domaine des grands équipements médicaux constituait une catastrophe. Aussi avons-nous décidé d’allouer des moyens significatifs à une action technologie et médecine dirigée par le Pr. Demongeot. Au travers de cette action, qui se déploiera selon quatre axes, nous souhaitons proposer l’utilisation de machines permettant de renforcer les actions de recherche, de poursuivre les études fondamentales et de développer des technologies nouvelles.

Aujourd’hui, Christian Cuvilliez et René Trégouët me mettent dans une situation difficile : ils ont rassemblé des grands scientifiques, des directeurs de grands laboratoires comme Jochen Schneider ou Yves Petroff, ont consulté des membres de la communauté scientifique et ont invité un seul participant étranger, en l’occurrence allemand, et un seul responsable gouvernemental, le Directeur de la Recherche français. Or j’aurais aimé qu’un tiers des experts qui siègent à cette réunion soit d’origine étrangère. En outre, si les discussions entre scientifiques sont passionnantes, cette réunion ne fait pas suffisamment la place à ceux qui sont amenés à prendre des décisions pour les pays européens dont nous avons parlé à cette réunion. Sachant que je suis ici le seul représentant d’un gouvernement, il ne m’appartient pas de prendre position au nom des gouvernements avec lesquels je suis en relation. Sachez toutefois que mes homologues britanniques et allemands s’interrogent sur l’enveloppe allouée aux très grands équipements dans leur pays. En France, le budget des grands équipements atteint 8,5 % du BCRD, en excluant les grands équipements de la biologie et de l’informatique. Ce pourcentage s’élève respectivement à 7,5 % et 9,5 % au Royaume-Uni et en Allemagne. Sachant que la marge d’incertitude sur ces chiffres est importante, ces trois pays allouent un budget sensiblement identique aux grands équipements. Toutefois, les Britanniques et les Allemands se demandent actuellement si le moment n’est pas venu de diminuer ce budget. En outre, le Secrétaire d’Etat à la Recherche allemand a lancé une vaste consultation des chercheurs sur une période de deux ans et ne sera donc pas en mesure de prendre des décisions sur l’ensemble des grands équipements avant la fin 2001. Cela est problématique dans la mesure où les Français et Britanniques seraient prêts à aller plus vite.

Compte tenu de la nature des débats, j’estime qu’il serait judicieux de convier mes homologues allemands, britanniques, espagnols et italiens.

Yves PETROFF

Actuellement, le CNRS consacre environ 140 à 150 millions de francs par an au rayonnement synchrotron sur un budget de 7,5 milliards de francs.

Gilles COHEN-TANNOUDJI

Le groupe de travail européen, qui ne comportera que des spécialistes, n’a pas encore remis de propositions. Le scénario de synchrotrons nationaux, bénéficiant éventuellement d’un financement européen, y compris pour la construction, et faisant appel à une coopération améliorée sur la base de la réciprocité, ne me semble pas encore exclu. Compte tenu du stade de développement de la technique du synchrotron, le fait d’opter pour des machines nationales permettrait d’éviter des difficultés bureaucratiques.

Vincent COURTILLOT

Un tel scénario n’est effectivement pas exclu.

Jean GALLOT

Les avis divergent sur le fonctionnement du groupe d’experts européens. Toutefois, cette manière de travailler a l’avantage de présenter sous un jour différent le thème du rayonnement synchrotron et de le placer dans le cadre d’un débat élargi dans la mesure où groupe d’experts a interrogé 39 spécialistes. Lorsque les avis divergent sur une question technique, le groupe d’experts est tenté d’interroger l’ensemble de la communauté scientifique pour qu’elle lui communique une réponse pertinente. Et il s’interroge sur des problèmes que je qualifierai de " problèmes grand public " et notamment sur les avantages et les inconvénients des solutions qui seront retenus. A ce propos, sachez que nous avons regretté de ne pas avoir accès à des renseignements sur le projet DIAMOND aussi riches que ceux auxquels nous avons eu accès sur le projet SOLEIL qui est au stade de l’APD.

Etant donné que nous disposons en France de compétences et d’expérience de renommées mondiales, quels choix devons nous faire pour que ce patrimoine se renforce ? Pour illustrer cette question, je soulignerai que près de 17 % du budget alloué au synchrotron d’Hambourg sont consacrés à la prospective méthodologique à dix ans.

A mon sens, le fait que l’Europe doive financer certains grands instruments ne résout pas le problème de la localisation qui a des conséquences en termes d’aménagement du territoire à l’échelle européenne. A ce propos, je me rappelle qu’un biologiste issu d’une multinationale expliquait que son groupe implantait ses centres de recherches en fonction de l’implantation des grands centres de recherche nationaux et internationaux. Quant aux start-up technologiques, elles souhaitent également bénéficier d’une interaction avec les organismes de recherche.

S’agissant de la question budgétaire, je pense qu’il faut s’interroger sur le montant du budget qui permettrait à la fois de financer des petites équipes et des grands équipements. Enfin, je pense qu’il faut s’interroger sur la fiscalité des entreprises, en s’appuyant notamment sur l’exemple du Wellcome Trust britannique.

Vincent COURTILLOT

L’utilité du travail de la Commission me paraît évidente et je pense notamment que les annexes apporteront une contribution importante au débat. J’attends du rapport de la Commission des informations essentielles et je me permettrais, le cas échéant, de demander à certains de ses membres de préciser leur vision.

En mettant en place cette commission, le gouvernement français a pris une décision de politique scientifique européenne. Il a notamment montré à la communauté européenne qu’il s’interrogeait sur une Europe de la science et qu’il avait la volonté de renforcer la coopération.

J’accepte tout à fait les arguments en faveur d’instruments nationaux et je reconnais que la question de l’après DIAMOND reste tout à fait ouverte.

Il appartient au Ministre de la Recherche de préciser les intentions du gouvernement, les choix effectués au cours des trois dernières années et la politique qui sera présentée au Parlement dans le cadre de la loi de Finances 2001. A mon sens, une politique de recherche doit s’établir à l’intérieur d’un budget bien défini, ce qui peut conduire à remettre en cause des choix antérieurs. Or je pense que ce souci est beaucoup plus fort au sein de l’équipe actuelle du Ministère de la Recherche qu’il ne l’a été dans d’autres équipes, et ce sans aucune arrière pensée politique. Malgré les exigences budgétaires, la France a prouvé sa capacité à maintenir sur de longues périodes des projets. Et elle a aussi montré qu’elle avait de grandes difficultés à fermer certains projets. Lorsque nous ne savons pas faire fonctionner un organisme de recherche, nous en ouvrons un nouveau. C’est d’ailleurs pourquoi l’on compte 22 organismes de recherche dans notre pays alors que 10 suffiraient. Lorsque nous créons un nouvel organisme de recherche, il faudrait par conséquent avoir le courage de fermer celui qui ne remplissait pas correctement ses fonctions.

En tout état de cause, notre gouvernement aura eu le courage de montrer que 5 % à 10 % du budget méritaient d’être redistribués, ce qui est effectivement beaucoup plus courageux que de décider d’une augmentation de 1 % à 2 % du budget total. Après avoir procédé à cette restructuration, le Ministre de la Recherche indiquera certainement qu’il convient pour la France de redonner une priorité à la recherche. En observant l’hétérogénéité des contrats de plan Etat/région, nous constatons que certaines régions n’ont pas accordé, à tort, une priorité à la recherche. Nos concitoyens pourront bien sûr juger cette attitude.

La recherche et l’information scientifique et technique seront au cœur de la communication de notre ministère et des revendications de notre Ministre dans le cadre de la loi de Finances 2001.

Bien sûr, je serais très heureux que nous puissions disposer d’un Wellcome Trust en France. Toutefois, le directeur de cette institution m’a indiqué qu’il est prêt à investir en dehors du Royaume-Uni et notamment en France. En outre, mes homologues britanniques, et notamment John Taylor, m’ont affirmé qu’ils auraient accepté qu’un partenariat franco-britannique soit basé en France et non au Royaume-Uni. Toutefois, compte tenu de la participation du Wellcome Trust, il était difficile de ne pas laisser au gouvernement britannique le choix de la localisation. Nous avons choisi de rester discrets sur nos préférences en matière de localisation dans la mesure où notre ministre a souligné qu’il appartenait au gouvernement britannique de choisir entre les deux sites principaux envisagés. Les articles de Nature et de Science ont souligné que le Wellcome Trust avait pour des raisons scientifiques des critères très précis en matière de localisation : le milieu doit être pluridisciplinaire, avec des chercheurs de haut niveau, afin de garantir que la machine et les équipes se trouveront dans un environnement intellectuel exceptionnel. Or il semble au Wellcome Trust que l’un des deux sites est plus conforme à ces critères. Le Directeur de cette institution m’a indiqué que la qualité de l’organisation scientifique en France pourrait le conduire à envisager dans le futur un partenariat sur sol français, si le gouvernement britannique voit les choses de cette manière. Par conséquent, on ne peut exclure qu’une fondation internationale décide de collaborer avec notre pays sur une machine qui serait localisée en France.

Yves PETROFF

Le site du RAL qui a retenu la préférence du Wellcome Trust est loin d’être idéal dans la mesure où il se situe à 40 ou 50 kilomètres d’Oxford et non à proximité des laboratoires. A cet égard, je rappelle que nous avons refusé d’implanter l’ESRF à Crolles pour rester à proximité immédiate des universités et de la communauté scientifique.

Dans cette réunion, Vincent Courtillot a surtout souligné que le budget de recherche était limité. Personnellement, j’estime que les grands instruments coûtent cher au contribuable, ce qui implique des exigences en termes de rentabilité. C’est pourquoi je plaide pour une construction industrielle de ces instruments. Lorsque la commission s’est déplacée à Grenoble, j’ai souligné que le fait de lancer deux projets identiques permettrait de réaliser des économies importantes. Dans ce souci d’industrialisation, l’ESRF commande 15 onduleurs à la fois que nous utilisons sur une période de trois ans.

Vincent COURTILLOT

A mon sens, nous abordons des questions presque trop détaillées. A priori, la solution proposée par Yves Petroff me paraît intéressante même si plusieurs raisons me conduisent à penser qu’elle est irréaliste. Premièrement, sachant que nous sommes sur le point d’aboutir avec nos partenaires britanniques, il me paraît difficile de revenir sur ce que nous sommes en train de négocier depuis un an, et ce dans l’objectif de travailler sur un schéma de deux machines, un projet pour lequel le gouvernement français n’a pas prévu de budget. Si la réalisation de deux machines identiques permettrait d’économiser 20 % à 30 % sur le coût de chaque machine, le coût total d’un tel projet est très supérieur à celui que le gouvernement français entend y consacrer. En outre, alors que nous sommes en cours de négociation, il paraît difficile d’expliquer aux Britanniques qu’il faut revenir sur la taille, le système, le fonctionnement, l’énergie et qu’il faut réaliser une seconde machine, ce qui impliquerait de mettre en place une nouvelle négociation européenne. Un tel revirement nous ferait prendre un retard très important alors que nous sommes à quelques mois de conclure un partenariat. En revanche, nous pourrons envisager une telle solution pour les projets à venir.

Roger BALIAN

Vincent Courtillot et un certain nombre d’autre intervenants ont déploré à juste titre l’absence de comparaison des besoins auxquels répondent les différents grands instruments. Cette comparaison s’effectuait jusqu’en 1996 au sein de la Commission des très grands équipements, dont le rôle devrait, d’après ce que j’ai compris, être assumé désormais par le nouvel organisme européen.

Un certain nombre de règles de fonctionnement de la Commission des très grands équipements devraient à mon sens être préservées. Premièrement, les membres de cette commission ne siégeaient pas en tant que représentants d’un organisme mais en tant que personnes à part entière. Deuxièmement, ils étaient très peu nombreux. Troisièmement, ils avaient pris l’habitude d’auditionner un certain nombre d’experts et de techniciens. Le fonctionnement de cette commission était donc très souple et n’avait rien d’un lobby. Je pense par conséquent qu’il faudrait que l’organisme européen qui le remplacera s’en inspire.

Vincent COURTILLOT

Le gouvernement précédent a décidé d’interrompre le fonctionnement de la Commission des très grands équipements en 1996 et nous n’avons pas, dans un premier temps, jugé utile de la recréer telle quelle. En effet, nous estimons que le fonctionnement de cette commission était loin d’être totalement idéal. Conformément aux nouvelles priorités énoncées par le Premier Ministre dans une série de Conseils interministériels, la biologie et les NTIC ont été placées respectivement au premier et au second rang des priorités. Cependant, il faut reconnaître, que depuis la seconde guerre mondiale, les grands instruments, et notamment le rayonnement synchrotron, ont, pour des raisons parfaitement explicables, été organisés et dominés par des physiciens. En outre, à rares exceptions près, les postes de Ministre de la Recherche, de Président et de Directeur Général du CNRS ont été occupés depuis 1945 par des physiciens. Or, au Ministère de la Recherche, nous constatons que la Commission des très grands équipements avait tendance à ne pas tenir suffisamment compte des préoccupations de la biologie et des NTIC qui sont aujourd’hui nos axes prioritaires. Cela dit, nous sommes conscients que le rayonnement synchrotron couvre une grande partie des champs de la recherche en physique, en chimie, en biologie et dans les sciences de l’univers.

Après nous être interrogés sur le fonctionnement de la Commission des très grands équipements, nous avons estimé qu’il serait préférable de mettre en place un système plutôt qu’une commission. Et si nous ferons appel au groupe d’experts européens, il nous paraît toutefois important de disposer d’une véritable structure à l’échelle nationale.

Nous avons créé quatre comités de coordination depuis 18 mois qui sont respectivement chargés des sciences du vivant, des sciences de la planète et de l’environnement, des matériaux et des sciences et technologies de l’information et de la communication. Mais il faudrait sans doute en créer un cinquième pour prendre en compte le sujet que nous abordons aujourd’hui. Chacun des quatre comités de coordination est composé de deux collèges de taille équivalente : d’une part, le directeur général des organismes concernés ou leur plus haut représentant dans le secteur concerné et, d’autre part, des chercheurs. C’est à ces comités que je m’adresserai pour mener la réflexion en matière de très grands équipements pour les secteurs. Toutefois, tous les secteurs, et notamment celui de la physique, ne sont pas couverts. Pour l’instant, la réflexion sur les grands équipements en physique est par conséquent conduite en collaboration entre les responsables du CEA et du CNRS. Mais on pourrait toutefois envisager de structurer cette réflexion en s’appuyant notamment sur les commissions d’évaluation des organismes de recherche et les universités. L’organisation de la réflexion sur les grands équipements n’est donc pas encore finalisée et les suggestions sur cette question sont les bienvenues. En revanche, il n’est pas envisagé de recréer telle quelle la Commission des très grands équipements.

Roger BALIAN

Tel n’était pas d’ailleurs le sens de ma demande. Toutefois, je voudrais souligner que les biais en faveur de la physique n’étaient pas dus au fonctionnement de la Commission des très grands équipements. Premièrement, des biologistes siégeaient à cette commission. Deuxièmement, la moitié du budget géré par cette commission était consacrée à l’espace. Troisièmement, chaque question était soumise à des spécialistes de deux sujets différents, une caractéristique qu’il serait bon de conserver. A mon sens, les biais en faveur de la physique s’expliquent plutôt par la diversité limitée des projets soumis à cette commission.

Jean GALLOT

Dans une intervention précédente, j’ai indiqué que la décision de travailler avec une machine à 1,5 GeV ou à 2,5 GeV avait été renvoyée aux scientifiques. J’ajoute qu’un groupe de scientifiques évalue les arguments annoncés et la qualité de la démonstration.

René TREGOUËT

Lors de nos visites en France, au Royaume-Uni et en Allemagne, nous avons constaté que les synchrotrons sont devenus des outils privilégiés de fécondation croisée entre les disciplines de la physique, de la chimie et de la biologie. A Hambourg, le laboratoire de rayonnement synchrotron est à proximité immédiate des centres universitaires où 1 123 étudiants font des travaux sur ce sujet. Nous avons constaté en outre que ce laboratoire jouait un rôle très important pour la communauté scientifique universitaire d’Hambourg. Pour créer un tel bouillonnement créatif dans le du projet présenté par Vincent Courtillot sur le plateau de Gif/Orsay/Saclay, et qui porte notamment sur l’optoélectronique, les nanotechnologies et la génomique, il sera nécessaire d’y installer un synchrotron.

Vincent COURTILLOT

Les machines nationales sont comparées aux machines dites régionales, qui fonctionnent à l’échelle de l’Europe ou des Etats-Unis. Or nous aimerions que nos communautés scientifiques européennes nous indiquent quelle machine sera la plus utile dans les années suivantes et qu’elles établissent des priorités afin que nous puissions faire des choix. Ainsi, nous pourrons décider de mettre l’accent sur une manipulation particulière en France si l’on sait que l’Allemagne a fait un choix différent. Bien sûr, cette politique devra s’accompagner d’un échange franco-allemand entre chercheurs et étudiants. La priorité devra-t-elle porter sur le rayonnement synchrotron, sur les neutrons, sur les lasers à électrons libres, sur la RMN à haut champ dont le coût augmente proportionnellement au carré de la fréquence ? Personnellement, je maintiens que l’organisation antérieure n’a pas été capable de nous donner des réponses à de telles questions.

S’agissant du projet sur le plateau de Gif/Orsay/Saclay, nous avons demandé à l’Ecole Polytechnique, au CEA, au CNRS, à l’université Paris Sud, à Supélec et aux écoles d’optique de collaborer sur un projet de véritable campus sous la houlette de Jean-Jacques Duby. Nous avons fait des progrès considérables sur ce projet grâce aux responsables de ces établissements et à la mission de Jean-Jacques Duby qui ont déterminé ensemble trois priorités nouvelles : un effort massif en direction de l’optique, de l’optoélectronique, des nanotechnologies ; un projet de génomique structurale en coordination avec le génopôle d’Evry ; un renforcement des moyens alloués à la micro-informatique et à l’informatique, notamment avec le déménagement de l’INRIA, qui est isolé en Ile-de-France sur le campus de Rocquencourt alors que ce n’est pas le cas pour ses implantations en province. Le préfet et le président du Conseil régional travaillent sur les dotations correspondantes de l’Etat et de la Région sur le projet d’implantation de l’INRIA à Orsay. Il s’agit là d’un investissement significatif de la région Ile-de-France même si nous regrettons que cette région s’engage moins que d’autres en matière de recherche. J’ajoute qu’un projet tel que SOLEIL aurait été géré dans le cadre du contrat de plan Etat/région, en plus ou à la place d’autres projets. Enfin, il me semble qu’il est tout à fait légitime de s’interroger sur les retombées en termes de création d’entreprises et d’emplois de cette nouvelle vallée de l’optique, de la génomique structurale et de la micro-informatique.

Roger FOURME

Le Wellcome Trust, qui joue un rôle essentiel dans le financement de la recherche au Royaume-Uni, avait demandé que la structure qui porte le projet DIAMOND soit basée à proximité immédiate de Cambridge. Cela n’a pas été possible dans la mesure où la population a refusé cette implantation pour des raisons essentiellement environnementales. Malheureusement, la distance entre les laboratoires de biologie d’Oxford et le laboratoire du RAL (Rutherford Appleton Laboratory) est telle que les effets de proximité avec le monde de la recherche sont perdus. Néanmoins notre débat a permis de souligner que les travaux de biologie moderne, et en particulier la génomique, s’effectueront nécessairement à proximité d’un centre de rayonnement synchrotron.

Personnellement, j’estime que le projet sur le plateau de Gif/Orsay/Saclay devrait inclure un centre de rayonnement synchrotron. Cela montrerait que notre gouvernement entend donner la priorité à la biologie et qu’il se donne tous les moyens pour étudier les macromolécules biologiques. Une telle organisation aurait un large écho dans la communauté internationale et pourrait permettre de réaménager la collaboration avec nos homologues britanniques. Les chercheurs en biologie scripturale estiment, quant à eux, que la concentration des moyens de rayonnement synchrotron au Royaume-Uni ne constitue pas une bonne solution.

Guy OURISSON

J’aimerais que l’on prenne acte de mon désaccord avec Vincent Courtillot. S’il est exact que les physiciens ont eu des positions dominantes, aussi bien à la DGRST qu’au CNRS, je pense que ceux-ci n’ont pas vécu que pour la physique. En tant que non-physicien, je voudrais souligner pour la deuxième fois que nous n’avons pas eu de raison de nous plaindre des physiciens.

Vincent COURTILLOT

Je me suis contenté de faire une analyse sociologique de la gouvernance de la science française de 1945 à 1990 et mes propos ne visaient donc personne dans cette instance.

S’agissant tout d’abord de la remarque de Roger FOURME, il faut savoir que l’attitude des collectivités territoriales n’a pas été seule responsable de la décision de ne pas implanter de synchrotron à Cambridge. En effet, des enjeux politiques et des contraintes géologiques ont également joué un rôle.

Ensuite, les biologistes et en particulier les spécialistes de la génomique avec lesquels nous travaillons étroitement depuis deux ans, n’ont jamais affirmé que la construction d’une génopôle à Evry sans rayonnement synchrotron à proximité n’avait pas de sens. A ce propos, je souligne que cette génopôle constitue la première étape d’un programme dont la seconde étape comprend la mise en place d’un réseau de génopôle dans toute la France, les quatre premiers étant situés à Lille, Strasbourg, Toulouse et Montpellier.

A l’avenir, nous pourrions être amenés à proposer à la communauté européenne l’implantation d’un rayonnement synchrotron dans un génopôle en France, mais pas nécessairement dans celui d’Evry. Le génopôle de Lille présente l’avantage de se trouver à proximité de la Belgique, de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne. Quant au génopôle de Strasbourg, il présente l’avantage de se situer à proximité de l’Allemagne et de la Suisse. En outre, il ne faut pas oublier que l’on avait envisagé d’implanter l’ESRF à Strasbourg et que cette ville n’a pas oublié cette déconvenue.

Christian CUVILLIEZ

La semaine prochaine, notre commission rédigera dans les délais prévus le travail qui lui a été demandé. Je vous remercie d’avoir participé à cette audition publique.