PAR M. GÉRARD LÉONARD,

Député.

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1ère Partie du rapport

INTRODUCTION

I. - UN ENGAGEMENT PROGRAMMÉ : LE RENFORCEMENT DES MOYENS DE LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE

2ème partie du rapport

II. - UNE ORIENTATION PRIORITAIRE : LE RETOUR DE L'INVESTIGATION 5

A. LES NOUVELLES PRIORITÉS DE LA POLITIQUE DE SÉCURITÉ 5

B. LA POLICE DE PROXIMITÉ ET L'ACTION JUDICIAIRE 7

1. L'affaiblissement des services d'investigation 8

2. La hausse de la délinquance 12

3. La baisse du taux d'élucidation 17

C. LES ENJEUX DE LA RÉFORME 19

1. Les moyens 19

2. L'organisation des services 21

3. Les cloisonnements 22

4. Les outils juridiques 25

5. La police technique et scientifique 26

3ère Partie du rapport

AUDITION DE M. NICOLAS SARKOZY, MINISTRE DE L'INTÉRIEUR,
DE LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE ET DES LIBERTÉS LOCALES

ANNEXE : données statistiques relatives aux effectifs de police et à la situation de la délinquance dans les circonscriptions de sécurité publique

DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS PAR LE RAPPORTEUR

PERSONNES ET ORGANISATIONS ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR

II. - UNE ORIENTATION PRIORITAIRE : LE RETOUR DE L'INVESTIGATION

La loi du 29 août 2002 a défini les nouvelles priorités de la politique du Gouvernement en matière de sécurité. La nécessité de parvenir à un meilleur équilibre entre police de proximité et action judiciaire est une orientation majeure.

Premier acte majeur du nouveau Gouvernement, la reformulation des orientations de l'Etat en matière de sécurité a consacré l'échec de la politique conduite sous la précédente législature et les bouleversements induits par le regroupement des forces de police et de gendarmerie. On rappellera brièvement, ci-après, le contenu de ces nouvelles priorités.

· Une nouvelle architecture institutionnelle de la sécurité intérieure est bâtie.

-  Au niveau national : le Conseil de sécurité intérieure, présidé par le chef de l'Etat et composé des ministres concernés, définit les orientations générales de la politique de sécurité (), qui sont précisées et mises en _uvre par le ministre en charge de ces questions.

-  Au niveau départemental : le préfet assure la coordination de l'ensemble du dispositif de sécurité intérieure ; les conférences départementales de sécurité, instances opérationnelles co-présidées par le préfet et le procureur de la République et qui associent des représentants des différents services de l'Etat, définissent les actions à engager ; les conseils départementaux de prévention, présidés par le préfet et comprenant des élus locaux, des magistrats, des représentants de l'Etat et des personnalités qualifiées, font des propositions en matière de prévention, d'aide aux victimes et de travaux d'intérêt général.

-  Au niveau local : les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, présidés par le maire ou le président d'un EPCI et composés du préfet, du procureur de la République, d'élus locaux, de représentants de l'Etat et des organismes concernés par les questions de sécurité, constituent l'instance de concertation sur les attentes de la population et les priorités en matière de lutte contre l'insécurité. Réunifiant les conseils communaux de prévention de la délinquance (CCPD) et les comités de suivi des contrats locaux de sécurité (CLS), dont la superposition était à juste titre critiquée, ils assurent l'animation et le suivi des CLS, qui s'est avéré particulièrement insuffisant. Les maires, ou les présidents des organes intercommunaux, seront désormais informés en temps réel de l'état de la délinquance.

Le cadre législatif de ce nouveau dispositif a été précisé par le décret n° 2002-999 du 17 juillet 2002.

· Une plus grande complémentarité et des synergies sur le plan opérationnel sont recherchées entre les forces de sécurité.

-  Les forces de police et de gendarmerie sont placées sous commandement opérationnel unique (décret n° 2002-889 du 15 mai 2002), leurs moyens devant faire l'objet d'une mise en commun progressive (fonctions logistiques, formation, recherche et information).

-  Des groupes d'intervention régionaux (GIR) sont mis en place dans chaque région, ou dans chaque département en Ile-de-France, pour lutter contre l'économie souterraine et les différentes formes de délinquance organisée qui l'accompagnent (). Ces instances pluridisciplinaires, qui associent des représentants non seulement de la police et de la gendarmerie mais également des services fiscaux, des douanes, de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, du travail et de l'emploi, agissent sur la base d'objectifs précis fixés par le préfet et le procureur de la République.

-  Les offices centraux de police judiciaire, services à vocation interministérielle et à compétence nationale au sein desquels des gendarmes travaillent déjà aux côtés des policiers, seront renforcés.

-  Les redécoupages des zones de police et de gendarmerie seront poursuivis « afin d'organiser, de façon effective, rationnelle et satisfaisante pour la population, la sécurité et la paix publiques sur l'intégralité du territoire national ».

· Une nouvelle doctrine d'emploi des forces mobiles (compagnies républicaines de sécurité et escadrons de gendarmerie mobile) est annoncée, la sécurisation devant prendre le pas sur la fidélisation : « La plus grande partie des forces mobiles sera employée en appui des missions de la direction centrale de la sécurité publique et de la gendarmerie départementale, dans leurs régions d'implantation ». La portée effective de cette réforme sera prochainement précisée : elle doit permettre de renforcer les effectifs sur le terrain, en particulier sur certains créneaux horaires, sans attendre l'affectation opérationnelle des policiers et des gendarmes dont le recrutement est rendu possible par la présente loi de finances.

· L'emploi des policiers et des gendarmes sera recentré sur des fonctions strictement liées à la sécurité, afin de ne plus mobiliser des effectifs de voie publique pour des tâches administratives ou techniques. Une réflexion est engagée à propos des charges induites par les extractions et transfèrements de détenus, ainsi que par la surveillance de ceux qui sont hospitalisés : des propositions seront formulées au début de l'année prochaine.

· Une réserve civile sera instituée dans la police sur le modèle de celle qui a été mise en place dans les forces armées par la loi n° 99-894 du 22 octobre 1999, dans le contexte de la professionnalisation des armées. Constituée d'une réserve opérationnelle (volontaires et anciens militaires) et d'une réserve dite citoyenne (autres réservistes), elle doit permettre d'appeler des fonctionnaires actifs durant les cinq années suivant leur départ à la retraite, lorsque les circonstances ou des évènements exceptionnels le nécessitent.

· De nouveaux moyens juridiques permettront de lutter plus efficacement contre certaines formes de criminalité et de délinquance.

En premier lieu, la parution de textes d'application, jamais publiés, de certaines dispositions de la loi d'orientation et de programmation du 21 janvier 1995, est relancée : parmi eux figure le décret prévu par l'article 11 sur les études de sécurité préalables à la réalisation de projets d'aménagement, d'équipements collectifs et de programmes de construction. De fait, le rapporteur a constaté, en se rendant à Trappes, à Chanteloup-les-Vignes et à Mantes-la-Jolie, à quel point la non prise en compte des impératifs de sécurité dans les configurations urbanistiques pouvait être préjudiciable à l'action de la police : la présence de nombreux lieux fermés (caves, parkings, coursives), propices aux échanges discrets et aux regroupements, et l'accès exclusivement piéton de certaines portions de l'espace public (dalles, passages ou promenades), favorisent la fuite des délinquants lors de ses interventions.

Surtout, des dispositions nouvelles sont annoncées pour conforter l'action des forces de police et de gendarmerie et prévenir certaines atteintes aux personnes et aux biens : ces mesures structureront le projet de loi sur la sécurité intérieure que le conseil des ministres examinera le 23 octobre prochain, et qui sera débattu au Sénat avant la fin de cette année puis à l'Assemblée nationale au début de 2003.

· Le principe d'une politique de gestion par objectifs et d'évaluation des performances des services de police et de gendarmerie est affirmé : « Les responsables locaux de la police et de la gendarmerie rendront compte de ces résultats, chacun pour ce qui les concerne, et il en sera tenu compte dans leur progression de carrière ». Par ailleurs, le Gouvernement déposera chaque année sur le bureau des assemblées parlementaires un rapport sur l'exécution de la loi du 29 août 2002.

Cela étant, une orientation sous-tend la loi du 29 juillet 2002 dans son ensemble : la recherche d'un meilleur équilibre entre police de proximité et action judiciaire. Fortement affaiblies sous la précédente législature, les capacités d'investigation de la police et de la gendarmerie doivent aujourd'hui être restaurées.

L'affaiblissement, sous la onzième législature, de l'action judiciaire des forces de sécurité s'est directement répercuté sur le niveau de la délinquance et le taux d'élucidation des crimes et des délits.

Depuis cinq ans, la priorité en matière de sécurité a été de développer une police de proximité.

Sur le plan conceptuel, cette orientation n'est pas contestable. Il ne s'agissait guère, au demeurant, que d'approfondir l'îlotage traditionnel, en reconnaissant au policier de proximité une compétence plus large et une polyvalence de principe sur son secteur. On rappellera, d'ailleurs, que la police de proximité a été théorisée par la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité : « Il importe que la police retrouve toute sa place dans la cité. Renouant avec la tradition républicaine, elle doit redevenir une police de proximité, présente sur la voie publique, plus qu'une police d'ordre. Elle doit se faire reconnaître par son aptitude à se mobiliser au service de tous et à s'adapter de façon immédiate à toutes les situations » (extrait du premier rapport annexé approuvé par l'article 2).

En pratique, la mise en place de la police de proximité a échoué.

La présence policière devait être renforcée, plus active sur le terrain et proche des habitants, capable d'anticiper et de prévenir les troubles à l'ordre public : elle est trop passive, peu productive et excessivement diurne.

Le traitement judiciaire des petits actes de délinquance devait être assuré par les policiers de proximité. Or, ce transfert de charges ne s'est pas accompagné de moyens suffisants (formation, équipements, encadrement). Surtout la résolution « au coup par coup » des petits délits ne pouvait remplacer les enquêtes en profondeur.

Enfin, dans un contexte de fort renouvellement des effectifs lié à une pyramide des âges déséquilibrée, la mise en place de la police de proximité supposait de procéder à des recrutements massifs. Pourtant, bien qu'elle ait bénéficié de l'essentiel des effectifs et des moyens obtenus durant cette période, les renforts n'ont pas suffi ; par ailleurs, les forces ont été dispersées dans un très grand nombre de sites immobiliers, et leur capacité d'action amoindrie par la réduction du temps de travail et les réformes de la procédure pénale.

Dans le même temps, pour pallier ce manque chronique d'effectifs, les services spécialisés ont été mis à contribution : non seulement ils n'ont pas bénéficié des nouveaux recrutements mais, dans certains cas, leurs équipes ont été affaiblies.

-  Les effectifs de la direction de la sécurité publique ont augmenté de 12,47 % depuis 1998, ce qui reflète les besoins induits par la mise en place de la police de proximité : la hausse a été particulièrement marquée en 2001 durant la troisième vague de généralisation. Mais, au sein des circonscriptions, le rapporteur a constaté que les équipes des services d'investigation et de recherches (SIR) ou, à une échelle plus réduite, des unités d'investigation et de recherches (UIR), n'ont pas été renforcées. Les unités spécialisées en matière d'ordre public (compagnies départementales d'intervention, brigades anti-criminalité, etc.) ont également souffert de la montée en puissance de la police de proximité. Les sûretés départementales, créées en 1996 (décret n° 96-48 du 22 janvier 1996) pour lutter contre les violences urbaines, la délinquance de voie publique, la toxicomanie, le trafic local de drogue et l'immigration irrégulière, n'ont pas été développées en raison de la situation globale des effectifs ().

-  Concomitamment, les effectifs des services relevant de la direction centrale de la police judiciaire, plus particulièrement chargés des investigations complexes dans le domaine de la criminalité organisée ou spécialisée sur l'ensemble du territoire, ont diminué. Le nombre global de personnels administratifs et techniques, renforcé au sein de la sécurité publique, a fortement baissé dans la PJ, malgré les besoins induits par : la mise en place du fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) ; la création de services nouveaux (deux offices centraux notamment) ; les nouvelles procédures instituées par le décret n° 2001-583 du 5 juillet 2001 pour le système de traitement des infractions constatées (STIC).

Cette évolution à la baisse est sensible dans l'ensemble des services spécialisés, à l'exception des compagnies républicaines de sécurité (CRS), qui ont bénéficié de renforts supplémentaires en fin de législature, et de la police aux frontières (PAF). S'agissant de la PAF, on relève, toutefois, que la hausse des effectifs n'a concerné que le corps de maîtrise et d'application et les ADS ; le nombre de ses personnels administratifs a également baissé par rapport à 1997. Au demeurant, l'augmentation des flux migratoires et des charges consécutivement induites (procédures d'éloignement), ainsi que les contributions demandées à la PAF pour la mise en _uvre de la police de proximité, font que cette administration n'est plus toujours à même d'exercer correctement ses missions essentielles, notamment en matière de contrôle aux frontières extérieures.

-  Au sein de la préfecture de police de Paris l'évolution est plus frappante encore : les effectifs de la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ), compétente dans la capitale et les trois départements périphériques (92, 93 et 94), ont reculé de plus de 18 % en cinq ans ! Les services spécialisés (brigade criminelle, brigade de protection des mineurs, brigades chargées de la répression du proxénétisme ou du banditisme) ont été mis à contribution.

Sans doute la réforme des services actifs de la préfecture de police, entrée en vigueur le 1er avril 1999, a-t-elle eu pour effet de transférer un certain nombre de missions judiciaires à la direction de la police urbaine de proximité (développement des services d'accueil, de recherche et d'investigation judiciaires, ou SARIJ, au sein de chaque commissariat central) et de recentrer la PJ sur les missions d'investigation les plus complexes. De fait, la centralisation des unités auprès de la DRPJ nuisait parfois aux prises de plaintes courantes et au traitement de la petite et moyenne délinquance : la réforme n'est donc pas en cause.

Toutefois, l'engagement de maintenir un nombre minimum de fonctionnaires actifs pour préserver les capacités opérationnelles de la DRPJ, formalisé lors de l'élaboration de la réforme, n'a pas été respecté : le déficit serait actuellement de l'ordre de 285 officiers de police, gradés et gardiens, sans compter les jours de récupération dus et l'impact de la réduction du temps de travail, sur un effectif total de 1 787. Dans son rapport d'activité pour l'année 2001, la DRPJ indique que : « Les services ne peuvent, dans ces conditions, remplir correctement les missions qui leur incombent ». Il est d'ailleurs significatif de constater que le taux d'élucidation des crimes et des délits commis dans la capitale - 16,3 % - demeure très inférieur à la moyenne nationale, qui est de 22,27 % en zone police et de 24,92 % tous services confondus.

Dans l'ensemble des services d'investigation, on observe que le repyramidage des corps a été appliqué de façon mécanique et, sans doute, trop systématique : le nombre d'officiers a très sensiblement reculé au profit des agents du corps de maîtrise et d'application. Il en a résulté, au moins momentanément, une modification qualitative du traitement judiciaire et un affaiblissement des capacités d'investigation. La nature et la technicité des missions et du mode de fonctionnement de la police judiciaire supposaient peut-être de conserver un taux d'encadrement plus élevé.

L'impact de la police de proximité a sans doute été moindre sur les capacités d'investigation de la gendarmerie, historiquement territorialisée. Certes, le caractère parcellaire des informations communiquées au rapporteur par le ministère de la Défense ne lui permet pas d'apprécier de façon fine les évolutions intervenues entre 1997 et 2002. Cela étant, il apparaît que, sur la période considérée, les effectifs des brigades et des sections de recherches ont été augmentés ; en revanche, ceux des brigades départementales de renseignements judiciaires et, à l'échelon national, de l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale et du service technique de recherches judiciaires et de documentation, n'ont pas progressé.

SITUATION DES EFFECTIFS RÉELS DES PERSONNELS DE LA POLICE NATIONALE
PAR DIRECTION

 
 

Conception
et direction

Commandement
et encadrement

Maîtrise
et application

Total
personnels actifs

Personnels
administratifs

Policiers
auxiliaires
A.D.S.

Total
général

Évolution

1/1/1998

1/8/2002

1/1/1998

1/8/2002

1/1/1998

1/8/2002

1/1/1998

1/8/2002

1/1/1998

1/8/2002

1/1/1998

1/8/2002

1/1/1998

1/8/2002

en
nombre

en %

Sécurité publique

769

650

6 660

5 926

53 554

56 279

60 983

62 855

5 265

5 419

4 559

11 362

70 807

79 636

+ 8 829

+ 12,47

Renseignements généraux

205

189

1 658

1 352

489

728

2 352

2 269

775

750

6

15

3 133

3 034

- 99

- 3,16

- 33 -

Police aux frontières

78

69

765

657

4875

5095

5 718

5 821

333

328

483

831

6 534

6 980

+ 446

+ 6,83

C.R.S.

39

30

457

422

12648

12609

13 144

13 061

1 307

1 404

278

522

14 729

14 987

+ 258

+ 1,75

Police judiciaire

221

204

2 180

1 852

484

819

2 885

2 875

1 368

1 331

21

13

4 274

4 219

- 55

- 1,29

Surveillance du territoire

97

84

787

641

289

422

1 173

1 147

290

268

21

13

1 484

1 428

- 56

- 3,77

Administration (DAPN)

16

17

40

53

120

92

176

162

1 409

1 506

29

5

1 614

1 673

+ 59

+ 3,66

Formation (DFPN)

64

70

370

346

1 297

1420

1 731

1 836

1 009

1 098

56

144

2 796

3 078

+ 282

+ 10,09

Divers

196

235

648

633

1 848

1 651

2 692

2 519

407

409

57

61

3 156

2 989

- 167

- 5,29

Préfecture de police

260

222

3 039

2 519

14 610

14 812

17 909

17 553

668

627

1 018

605

19 595

18 785

- 810

- 4,13

S'agissant des moyens matériels, la déconcentration des crédits de fonctionnement, en particulier en ce qui concerne la direction centrale de la sécurité publique, ne permet pas toujours d'identifier la ventilation des budgets et des coûts entre les différents services et/ou missions. Toutefois, il est acquis que l'effort financier global engagé au titre de la police de proximité a été de l'ordre de 113 millions d'euros pour les trois vagues de la généralisation. Une partie importante de ces crédits a été consacrée à l'immobilier, plus de 900 structures nouvelles ayant été créées qui, à leur tour, ont suscité des besoins nouveaux : on peut se demander, à ce stade, si des solutions alternatives n'auraient pas été parfois moins coûteuses et tout aussi efficaces, notamment par une exploitation plus systématique des possibilités offertes par les nouveaux moyens de communication. Les demandes formulées, durant cette période, par les services spécialisés n'ont pas été considérées comme prioritaires. En 2002, le budget global du chapitre 34-41 (titre III) attribué à la direction centrale de la police judiciaire a diminué de plus de 3 %.

Certes, une présence policière quotidienne est indispensable : elle rassure les habitants et restaure un dialogue citoyen entre des populations trop longtemps délaissées et les pouvoirs publics. Mais, faute de moyens suffisants, la police de proximité a donc été mise en _uvre au détriment des missions d'investigation, alors même que le fondement du métier de policier est de rechercher et d'identifier les auteurs des crimes et délits et de les remettre à la justice. Autrement dit, comme le rapporteur l'a souligné lors du débat afférent à la loi du 29 août 2002 : « On a déshabillé Pierre l'enquêteur pour habiller Paul l'îlotier » (). Trop exclusivement orientée sur les actions de présence et de prévention, la police a été affaiblie dans le domaine des enquêtes judiciaires en profondeur et, partant, du démantèlement des réseaux et des filières.

Cette évolution s'est directement répercutée sur le niveau de la délinquance, dont l'élévation a coïncidé avec une baisse du taux d'élucidation.

La hausse de la criminalité globale est une tendance lourde. Depuis 1950, le nombre de crimes et délits a été multiplié par 6,5 et le taux de criminalité, qui intègre l'augmentation de la population, par 4,5. Entre 1981 et 2001, la délinquance a augmenté de plus de 40 %. Cette évolution reflète le caractère de plus en plus conflictuel, vulnérable et complexe de notre société.

Toutefois, sur la période récente, la situation s'est encore dégradée. Alors que la criminalité n'avait augmenté que de 2,30 % entre 1992 et 1994, et qu'elle avait reculé de 4,69 % entre 1995 et 1997, la hausse a été de plus de 16 % depuis 1998. Au cours de la seule année 2001, l'augmentation a été de 7,69 % (+ 6,23 % pour la police, + 11,89 % pour la gendarmerie), soit 289 943 faits supplémentaires : le nombre des infractions constatées par la police et la gendarmerie a alors dépassé le seuil des quatre millions, soit le niveau le plus élevé de la décennie.

CRIMINALITÉ GLOBALE

Années

Nombre de crimes et délits

Évolution (en %)

1992

3 830 996

+ 2,32

1993

3 881 894

+ 1,33

1994

3 919 008

+ 0,96

1995

3 665 320

- 6,47

1996

3 559 617

- 2,88

1997

3 493 442

- 1,86

1998

3 565 525

+ 2,06

1999

3 567 864

+ 0,07

2000

3 771 849

+ 5,72

2001

4 061 792

+ 7,69

1992 - 2001

+ 230 796 faits

+ 6,02

Au premier semestre de l'année en cours la délinquance a encore augmenté de 3,41 % : 2 088 575 crimes et délits ont été recensés, ce qui représente 68 969 faits de plus qu'au premier semestre 2001.

L'analyse de la criminalité par type d'infraction fait ressortir, notamment, la très forte progression des atteintes volontaires contre les personnes.

· En dix ans, le nombre de crimes et délits commis contre les personnes a augmenté, en effet, de 91,39 %, soit 133 515 faits supplémentaires. En 2001, la hausse a été de 9,86 % (25 096 faits supplémentaires par rapport à 2000) en raison, notamment, de l'augmentation des coups et blessures volontaires (+ 10 084 faits) ainsi que des menaces et chantages (+ 6 699 faits).

CRIMES ET DÉLITS CONTRE LES PERSONNES

Années

Nombre de crimes et délits
contre les personnes

Évolution (en %)

1992

146 095

+ 3,09

1993

152 764

+ 4,56

1994

175 374

+ 14,80

1995

191 180

+ 9,01

1996

198 155

+ 3,65

1997

214 975

+ 8,49

1998

220 948

+ 2,78

1999

233 194

+ 5,54

2000

254 514

+ 9,14

2001

279 610

+ 9,86

1992 - 2001

+ 133 515 faits

+ 91,39

Au premier semestre 2002 la tendance est resté orientée à la hausse : + 10,08 %, soit 13 781 faits supplémentaires. Les atteintes aux m_urs ont augmenté de 9,90 %, les coups et blessures volontaires de 9,91 %, les menaces et chantages de 13,69 %, les atteintes à la dignité et à la personnalité de 14,01 %, les tentatives d'homicides de 15,82 % et les homicides eux-mêmes de 23,59 %.

Ainsi, le caractère de plus en plus violent des actes de délinquance est la tendance forte de la période récente : la classique délinquance d'appropriation cède le pas devant les coups et blessures volontaires, les menaces, le chantage, les atteintes aux m_urs, les viols, etc.

· La deuxième augmentation de la décennie, par ordre décroissant, a concerné la catégorie des « autres infractions », qui comprend les infractions à la législation sur les stupéfiants : + 36,22 %. Chaque année, à l'exception de 1995, sont intervenues des hausses comprises entre 0,44 % et 13,31 %.

En 2001, la progression de cette catégorie a été de 7,60 % : + 3,47 % pour les délits à la police des étrangers, + 10,54 % pour les délits divers et + 10,91 % pour les destructions et dégradations de biens. Les infractions à la législation sur les stupéfiants ont diminué (- 11,68 %), mais cette évolution ne doit pas masquer une réalité : les trafics de cannabis, d'héroïne ou de cocaïne sont devenus un trait caractéristique des banlieues en difficulté. De plus en plus organisés en réseaux familiaux, ethniques ou autour de foyers de délinquance, les trafiquants locaux bénéficient, dans les cités ou les quartiers sensibles, de la passivité voire, selon les services de police, de la protection d'une partie de la population. De plus, le trafic de stupéfiants touche aujourd'hui également les zones rurales les plus reculées.

AUTRES INFRACTIONS (DONT STUPÉFIANTS)

Années

Nombre des autres infractions
(dont stupéfiants)

Évolution (en %)

1992

656 040

+ 13,31

1993

679 467

+ 3,37

1994

730 381

+ 7,49

1995

716 392

- 1,92

1996

719 552

+ 0,44

1997

738 655

+ 2,65

1998

765 758

+ 3,67

1999

786 408

+ 2,70

2000

830 475

+ 5,60

2001

893 628

+ 7,60

1992 - 2001

+ 237 588 faits

+ 36,22

Au premier semestre 2002, les « autres infractions » ont augmenté de 7,41 %. L'ensemble des composantes de la catégorie est orienté à la hausse : les délits divers (+ 6,05 %), parmi lesquels la fabrication de faux documents d'identité ou administratifs (+ 10,88 %), les infractions à la législation sur les stupéfiants (+ 6,56 %), dont les faits de revente sans usage (+ 12,29 %), les destructions et dégradations de biens (+ 7,23 %) et les délits à la police des étrangers (+ 16,61 %).

· Les vols (y compris le recel), qui représentent 62,10 % de l'ensemble des crimes et délits, ont diminué de 3,56 % au cours des dix dernières années, soit 93 098 faits de moins entre 1992 et 2002. En revanche, ils ont progressé de 8,04 % en 2001. Les augmentations les plus fortes ont concerné les vols à la roulotte ou avec violences sur la voie publique ainsi que les cambriolages.

VOLS (Y COMPRIS RECEL)

Années

Nombre de vols
(y compris recels)

Évolution (en %)

1992

2 615 444

+ 6,45

1993

2 640 417

+ 0,95

1994

2 573 074

- 2,55

1995

2 400 644

- 6,70

1996

2 331 000

- 2,90

1997

2 244 301

- 3,72

1998

2 291 404

+ 2,10

1999

2 252 528

- 1,70

2000

2 334 696

+ 3,65

2001

2 522 346

+ 8,04

1992 - 2001

- 93 098 faits

- 3,56

Au premier semestre 2002, les vols ont encore augmenté de 2,76 % : cette tendance a essentiellement touché les vols simples contre les particuliers (+ 3,40 %), les vols avec violences sur la voie publique (+ 6,47 %) et les cambriolages (+ 8,15 %). A l'inverse, les vols liés à l'automobile et aux deux roues ont légèrement reculé (- 0,21 %), ainsi que les vols à main armée (- 0,66 %).

· Les infractions économiques et financières ont diminué de 11,42 % depuis dix ans (soit - 47 209 faits). Toutefois, cette évolution est due en large partie à la dépénalisation des émissions de chèques sans provision en 1992. De plus, le nombre de faits est reparti à la hausse en 1999 et, surtout, en 2000. L'augmentation a été plus modeste l'année dernière : + 3,99 %. On observe, en effet, un net ralentissement des escroqueries, faux et contrefaçons. La délinquance économique et financière proprement dite, c'est-à-dire les infractions à la législation sur les sociétés, a diminué (- 8,92 %), ainsi que les infractions à la législation sur les chèques (- 7,98 %).

INFRACTIONS ÉCONOMIQUES ET FINANCIÈRES

Années

Nombre d'infractions
économiques et financières

Évolution (en %)

1992

413 417

- 27,03

1993

409 246

- 1,01

1994

440 179

+ 7,56

1995

357 104

- 18,87

1996

310 910

- 12,94

1997

295 511

- 4,95

1998

287 415

- 2,74

1999

295 734

+ 2,89

2000

352 164

+ 19,08

2001

366 208

+ 3,99

1992 - 2001

- 47 209 faits

- 11,42 %

Sur les six premiers mois de l'année en cours, les infractions économiques et financières ont nettement reculé (- 6,60 %). La baisse est particulièrement sensible en ce qui concerne les escroqueries et abus de confiance (- 16,47 %), catégorie dans laquelle sont classées les utilisations frauduleuses de cartes bancaires sur Internet, et les falsifications et usages de cartes de crédits (- 2,30 %). Les contrefaçons et fraudes industrielles et commerciales sont restées stables (- 0,75 %), ainsi que la fabrication de fausse monnaie (- 0,32 %) et les faux en écriture privées de commerce et de banque (- 0,20 %). En revanche, les falsifications et usages de chèques volés sont en progression (+ 5,16 %), ainsi que les contrefaçons littéraires et artistiques (+ 51,75 %). La délinquance économique et financière proprement dite a baissé de 9,41 % et les infractions à la législation sur les chèques de 9,10 %.

· La « délinquance de voie publique », quant à elle, a diminué depuis dix ans (- 1,93 %). En revanche, en 2001, avec 2 337 374 faits constatés, elle a augmenté de 9,30 %, ce qui représente 198 881 faits supplémentaires par rapport à 2000. Il s'agit d'un agrégat important car il regroupe des infractions auxquelles la population est particulièrement sensible : cambriolages, vols d'automobiles et d'accessoires, vols à la roulotte, destructions et dégradations de biens (sauf les incendies et attentats), vols avec violences ou à main armée, soit plus de 57 % du total des crimes et délits.

DÉLINQUANCE DE VOIE PUBLIQUE

Années

Nombre de délits de voie publique

Évolution (en %)

1992

2 383 000

+ 9,06

1993

2 430 234

+ 1,97

1994

2 363 205

- 2,76

1995

2 213 305

- 6,34

1996

2 189 473

- 1,35

1997

2 108 047

- 3,50

1998

2 148 381

+ 1,96

1999

2 093 000

- 2,58

2000

2 138 493

+ 2,17

2001

2 337 374

+ 9,30

1992 - 2001

- 45.626 faits

- 1,93

Au premier semestre 2002, avec 1 203 804 faits constatés, la délinquance de voie publique a encore progressé de 3,55 % (soit + 41 244 faits par rapport au premier semestre 2001).

La période récente se caractérise également par une forte progression de la délinquance des mineurs : au cours des dix dernières années, le nombre de mineurs mis en cause à l'occasion de crimes ou délits a augmenté de 79,05 %. Leur part dans le total des personnes mises en cause, qui était inférieure à 10 % en 1972, s'est sensiblement accrue : 13,88 % en 1992 et 21,18 % en 2001. On rappellera que les 13-18 ans représentent moins de 8 % de la population totale nationale.

Par catégories d'infractions, l'accroissement du nombre des mineurs mis en cause a été de 27,49 % pour les vols (y compris recels), 188,75 % pour les « autres infractions » (dont les stupéfiants), 196,76 % pour les infractions économiques et financières et, surtout, 218,33 % pour les crimes et délits contre les personnes.

En 2001, les mineurs représentaient 60,68 % des personnes interpellées pour vol de deux roues à moteur, 8,23 % des mis en cause en matière de trafic de stupéfiants sans usage et 5,31 % des coupables d'homicides. S'agissant de la seule délinquance de voie publique, la part des mineurs dans le total des personnes interpellées est désormais de 36,13 %.

MINEURS MIS EN CAUSE

Années

Criminalité
globale

Vols

(y compris
recels)

Infractions
économiques
et financières

Crimes et délits contre
les personnes

Autres
infractions (dont stupéfiants)

 

Nombre(1)

en %(2)

Nombre

en %

Nombre

en %

Nombre

en %

Nombre

en %

1992

98 864

13,88

68 911

24,02

1 759

1,91

8 552

8,21

19 642

8,56

1993

92 912

13,46

64 283

23,31

1 697

1,96

8 972

8,36

17 960

8,13

1994

109 338

14,10

72 403

24,63

2 138

2,17

11 207

8,94

23 590

9,15

1995

126 233

15,91

78 946

27,64

2 285

2,38

14 088

9,99

30 914

11,42

1996

143 824

17,87

85 901

29,96

2 664

2,84

17 479

11,78

37 780

13,69

1997

154 437

19,37

87 352

32,12

3 211

3,76

19 774

12,72

44 100

15,50

1998

171 787

21,77

91 379

34,11

3 371

4,49

22 675

14,64

54 362

18,67

1999

170 387

21,33

85 141

33,33

3 528

4,79

24 227

15,24

57 491

18,50

2000

175 256

21,00

84 810

33,43

4 606

6,23

26 724

15,85

59 116

17,47

2001

177 017

21,18

87 856

33,83

5 220

7,07

27 224

15,40

56 717

17,42

1992 - 2001

+ 78 153

 

+ 18 945

 

+ 3 461

 

+ 18 672

 

+ 37 075

 

(1) Nombre de mineurs mis en cause pour la criminalité globale et ses composantes.
(2) 
Part des mineurs dans le total des personnes mises en cause.

Au premier semestre 2002, 93 489 mineurs ont été mis en cause (+ 1,52 %), ce qui représente 21,42 % du total des personnes interpellées (62,02 % pour les vols de deux roues à moteur et 8,16 % pour le trafic de stupéfiants).

En dix ans, le taux d'élucidation de la criminalité globale, tous services de police et de gendarmerie confondus, a baissé de huit points, passant de 32,91 % en 1992 à 24,92 % en 2001 (26,75 % en 2000). Cette évolution est très préoccupante ; elle diffère, de plus, selon les services, les lieux et les infractions.

On relève, tout d'abord, que le taux d'élucidation de la police nationale est très inférieur à celui de la gendarmerie : 22,27 %, contre 32,15 %. Cet écart de dix points s'explique en partie par les caractéristiques de la délinquance en milieu urbain : le nombre de faits traditionnellement peu élucidés y est plus important que dans les zones rurales et périurbaines. Certes, ces différences s'estompent progressivement avec la diffusion de la délinquance sur l'ensemble du territoire mais, concomitamment, le taux d'élucidation de la gendarmerie tend également à s'abaisser.

Entre les circonscriptions de police elles-mêmes, des écarts importants existent : certaines ont un taux d'élucidation inférieur ou proche de 15 % (Villefranche sur mer, Aix en Provence, Istres, Marignane, Salon de Provence, Vitrolles, Pezenas, Voiron, La Baule, Nantes, Le Touquet, Leman, Paris, Mitry Mory, Saint Tropez, Orange, Sens et Sarcelles) ; d'autres ont un taux d'élucidation supérieur à 45 % (Tournon, Romilly sur Seine, Decazeville, Vire, Saint Jean d'Angely, Tulle, Ussel, Coutances, Toul, Flers de l'Orne, Issoire, Tarare et Thouars). Les résultats complets pour l'ensemble des circonscriptions figurent en annexe du présent rapport.

Surtout, le taux d'élucidation est très différent selon les infractions. Il est élevé pour les viols (71,66 %) et les homicides (75,43 %). En revanche, il n'est que de 12,22 % pour les vols avec violences sans arme à feu. Les taux les plus bas concernent les aspects les plus fréquents de la petite délinquance, qui sont portés à la connaissance de la police ou de la gendarmerie par des victimes qui n'en connaissent pas les auteurs : vols à la roulotte et vols d'accessoires (4,75 %), vols d'automobiles (6,51 %) et cambriolages d'habitations principales (7,49 %).

TAUX D'ÉLUCIDATION

(en %)

Années

Vols

(y compris
recels)

Infractions
économiques
et financières

Crimes et délits contre
les personnes

Autres
infractions (dont stupéfiants)

Criminalité
globale

1992

14,27

109,00

77,52

49,32

32,91

1993

13,97

108,81

76,46

47,00

32,21

1994

15,30

108,99

77,42

48,94

34,87

1995

14,64

101,01

77,46

46,16

32,49

1996

14,10

93,53

76,83

42,24

30,22

1997

13,06

86,53

75,57

43,09

29,47

1998

12,52

85,23

73,57

42,75

28,66

1999

11,63

74,86

70,58

42,99

27,63

2000

11,25

59,64

69,13

43,38

26,75

2001

10,47

56,40

66,62

39,76

24,92

Au premier semestre 2002, 24,62 % des 2 088 575 faits constatés ont été élucidés. Ce taux est de 71,96 % pour les homicides, 71,93 % pour les viols, 68,83 % pour les coups et blessures volontaires, 26,52 % pour les vols à main armée, 7,4 % pour les cambriolages et 2,78 % seulement pour les vols à la tire. 7,96 % des faits de délinquance de voie publique ont été élucidés.

Hausse de la délinquance et du nombre de mineurs mis en cause, baisse du taux d'élucidation : la concomitance de ces phénomènes est particulièrement inquiétante. A cela s'ajoute la véritable impunité dont les délinquants bénéficient de facto, en matière de délits : il ne s'agit d'ailleurs pas d'une spécificité française, une statistique récente ayant montré que, à l'échelle européenne, sur cent délits, cinq seulement sont jugés, trois sont condamnés, deux peines sont exécutées. La notion de sanction perd alors tout son sens et lorsque, dans le même temps, le système de transmission des valeurs - famille, école - ne fonctionne plus, il va de soi que c'est la démocratie elle-même qui est menacée.

Cette évolution n'est cependant pas inexorable. Au demeurant, depuis le mois de mai, les résultats sont encourageants : la criminalité constatée par les services de police et de gendarmerie est restée quasiment stable (+ 0,32 % par rapport à la même période de l'année 2001). Elle a même baissé de 4 % en zone de police, mais, à l'inverse, a sensiblement augmenté en zone de gendarmerie (+ 11,94 %), malgré une nette décélération depuis le mois de juin. Pour que ces résultats soient confortés, il convient de restaurer les capacités d'investigation de la police et de la gendarmerie.

Dans le cadre de ses travaux préparatoires à l'examen du projet de loi de finances pour 2003, le rapporteur a consacré plusieurs déplacements à cette question de l'investigation : il s'est rendu, successivement, à Lille et à Roubaix, à Marseille et à Vitrolles, dans les Yvelines, à Ecully, à Thionville, Metz, Nancy et Paris. Sur le terrain, il a constaté le bien-fondé des orientations définies par la loi du 29 août 2002. Il a également identifié un certain nombre de difficultés, qui devront être solutionnées ou dépassées pour que les réformes aboutissent : le cloisonnement entre les services n'est pas la moindre.

Le renforcement des services d'investigation de la police et de la gendarmerie suppose, en premier lieu, une forte augmentation des moyens humains et matériels mis à leur disposition.

L'insuffisance des effectifs a été dénoncée dans tous les services d'investigations et de recherches de la sécurité publique visités par le rapporteur : ils sont, au mieux, constants depuis plusieurs années, malgré l'élargissement et la complexité croissante des missions, l'alourdissement des procédures et la réduction du temps de travail.

Certains services régionaux de police judiciaire ont conservé des moyens importants : c'est le cas de celui de Marseille, par exemple, premier SRPJ de France en effectif et en volume d'affaires traitées (). Le plus souvent, néanmoins, la situation est très tendue. A Paris, les services de la police judiciaire ont été littéralement décimés, comme on l'a vu, au profit de la police de proximité.

Dans ce contexte, il est essentiel de renforcer les effectifs des services d'investigation, au sein de la sécurité publique et de la police judiciaire. On rappellera, à ce stade, que la loi de programmation du 29 août 2002 prévoit de créer 1 000 emplois dans la police et 400 dans la gendarmerie pour conforter ces missions. Il s'agit d'un minimum.

Les services spécialisés, et notamment la direction de la police judiciaire, se plaignent, par ailleurs, de difficultés propres.

Ainsi, la règle qui impose, depuis 1995, dans l'esprit de la loi d'orientation et de programmation du 21 janvier de la même année, aux « sortants d'école », et notamment aux commissaires, de passer deux années en sécurité publique avant de pouvoir être affectés dans un service spécialisé, aurait entraîné une chute des vocations et un tarissement des recrutements : au terme de ces deux années, les postes offerts par la police judiciaire manqueraient singulièrement d'attrait en termes de niveau de responsabilité. Le rapporteur juge nécessaire, cependant, de maintenir cette exigence préalable d'une expérience généraliste et de terrain. Il appartient à la DCPJ de tirer les conséquences de cette réforme, de revoir son organisation et ses modes de fonctionnement afin d'offrir des perspectives aux jeunes commissaires, ce qui n'a pas été suffisamment le cas jusqu'à présent. Cela étant, le nombre élevé des départs naturels prévisibles parmi les commissaires au cours des prochaines années, et donc celui des recrutements, pourrait justifier, ne serait-ce qu'afin de conserver une pyramide des âges équilibrée dans l'ensemble des corps, une certaine souplesse dans l'application de la règle ().

Par ailleurs, le repyramidage des corps aurait été trop rapide pour des services appelés à traiter des affaires particulièrement complexes, qui ont besoin d'un niveau d'encadrement supérieur. On peut s'interroger, en effet, sur le caractère systématique et uniforme du remplacement des officiers par des agents du corps de maîtrise et d'application dans certains services spécialisés.

S'agissant des moyens matériels, la question du manque de véhicules et du vieillissement du parc domine toutes les autres. Les outils informatiques, les caméras, les radios et les balises emportées sont également trop rares ou insuffisamment renouvelés.

C'est donc à bon escient que la loi du 29 août 2002 a planifié un important programme pluriannuel de modernisation des structures de la police judiciaire et de la police technique et scientifique, dont le coût total est de 13,54 millions d'euros. D'ores et déjà, pour 2003, une mesure nouvelle de 5,42 millions d'euros a été inscrite sur le chapitre 34-41 pour engager les orientations présentées ci-après.

-  La mise à niveau du matériel des laboratoires de police scientifique, afin d'améliorer la qualité des expertises et développer leur capacité en matière de détection d'explosifs et de traitement du signal.

De fait, ces expertises extrêmement techniques peuvent contribuer de façon décisive à l'élucidation de certaines affaires, sous réserve que des ressources suffisantes soient mobilisées. Or, le rapporteur a constaté, à Ecully, le professionnalisme, l'inventivité, mais aussi le manque de moyens des agents de la « section des traces technologiques », héritière du laboratoire d'analyse et de traitement du signal, qui intervient en matière d'exploitation d'enregistrements audio, de cartes à puce et de téléphones portables, d'images et de supports informatiques.

-  Le renforcement des brigades et offices centraux.

Prévu par la loi d'orientation du 29 août 2002, ce renforcement sera particulièrement opportun dans les domaines de la cybercriminalité, de la recherche des personnes disparues, du trafic d'armes, d'explosifs et de matières sensibles, ainsi que de la fraude aux moyens de paiement ().

-  L'adaptation du système de traitement des infractions constatées (STIC).

On rappellera que la finalité du STIC est d'organiser le recueil et l'exploitation des informations contenues dans les procédures judiciaires aux fins de recherches criminelles, de statistiques et de gestion de la documentation. Aux termes du décret du 5 juillet 2001, le STIC doit être mis à jour et expurgé à la suite des non-lieux, amnisties et relaxes, et tenir compte au plus près des condamnations. Cette tenue nécessite un renfort de 55 agents administratifs et la mise à disposition de nouveaux matériels, mobiliers et moyens informatiques.

Il reste que certaines insuffisances matérielles devraient pouvoir être surmontées au niveau des gestionnaires locaux : à plusieurs reprises, le rapporteur a été confronté à des demandes insatisfaites qui, manifestement, traduisaient un manque de dialogue et de dynamisme à l'échelon territorial. Il n'est pas normal que la brigade des mineurs d'un service d'investigations et de recherches n'ait pas d'accès, en 2002, à Internet.

L'examen du fonctionnement concret des services d'investigation dans notre pays révèle une grande diversité.

· Au sein de la DDSP du Nord, la sûreté départementale est considérée comme une priorité. Malgré le manque de personnels dont souffrent les services de sécurité publique de ce département (), ses effectifs ont été préservés. Elle apporte un appui indispensable, en personnel et en matériel, aux circonscriptions de sécurité publique du département et, de façon croissante, agit de sa propre initiative dans son domaine de compétence. Elle est parvenue à s'insérer dans son environnement, en particulier par rapport aux services d'investigations et de recherches (SIR) dont elle a pour mission de renforcer l'action judiciaire, et obtient des résultats. Le fait d'être dirigée par des hommes motivés et pragmatiques y est sans doute pour beaucoup.

· A Marseille, le SIR est beaucoup plus développé - 449 fonctionnaires, dont 31 adjoints de sécurité - alors que la sûreté départementale est réduite à la portion congrue : 28 agents seulement, soit sept de moins que dans le Nord.

· Partout, néanmoins, le besoin de spécialisation s'est fait sentir. Ainsi, à Vitrolles, a été mise en place une petite unité d'investigations et de recherches (UIR), qui reproduit, de façon simplifiée, la structure d'un service d'investigations et de recherches.

Bien sûr, ces différences d'approche, que l'on retrouve dans les Yvelines, en Lorraine et, probablement, sur l'ensemble du territoire, peuvent s'expliquer par la diversité des réalités locales. Il va de soi qu'une sûreté départementale qui coexiste avec un service d'investigations et de recherches important est appelée à se consacrer davantage à un rôle d'animation et de coordination ; à l'inverse, en région parisienne par exemple, l'autonomie des sûretés départementales est nécessairement plus grande.

Dès lors, cette diversité doit être préservée : il est préférable de conserver une certaine souplesse dans l'organisation plutôt que de chercher à imposer un modèle unique. Pour autant, on peut penser que l'expérience des sûretés départementales n'a pas été suffisamment développée : il n'existe aujourd'hui que 14 sûretés départementales ; leur extension a été contrecarrée par la priorité donnée à la police de proximité. Là où elles ont été implantées, la logique n'a pas été poussée à son terme : elles ont été le plus souvent ajoutées sur l'organigramme existant, juxtaposées sur les services d'investigations et de recherches. Des évolutions sont nécessaires.

L'activité policière souffre encore de cloisonnements excessifs.

· Le cloisonnement le plus difficile à solutionner est celui qui sépare les Etats, y compris à l'intérieur de l'Union européenne : un instrument comme EUROPOL, par exemple, est, à l'évidence, sous-exploité. Pourtant, l'échange de renseignements est impératif dans des domaines tels que la lutte contre le terrorisme, le crime organisé, le blanchiment, l'immigration irrégulière et les filières criminelles qui exploitent les clandestins.

De ce point de vue, la loi du 29 août 2002 est porteuse d'une volonté politique à la fois forte et nouvelle. En particulier, la France s'est engagée à participer activement, en Europe, aux accords de coopération transfrontalière créant les centres de coopération policière et douanière (CCPD) ().

Le rapporteur a constaté l'importance de cette orientation en visitant, récemment, le nouveau CCPD de Tournai (). Dans le Nord, la facilité des relations avec la Belgique et les Pays-Bas favorise d'importants trafics, notamment en matière de stupéfiants et de vols de voitures ; la proximité de l'Angleterre canalise également une délinquance de passage dans le domaine des stupéfiants et de l'alcool. Dans une telle configuration, la collaboration transfrontalière (recueil et échange de l'information, coordination de l'action des services, voire articulation des actions entreprises) est un enjeu décisif.

Le ministre de l'intérieur français s'est déjà efforcé de bâtir des positions communes avec ses homologues de l'Union européenne. De fait, nombreux sont les acteurs qui se plaignent encore, sur le terrain, de l'insuffisance des entraides policières et judiciaires et des dysfonctionnements liés à la mise en _uvre des accords de Schengen. Cette question, qui peut appeler des réponses diverses en termes de mutualisation des moyens (voir le projet de création d'une police aux frontières européenne) et/ou de coopérations régionales ou bilatérales renforcées, est d'autant plus essentielle à la veille de l'élargissement de l'Union européenne vers l'Est du continent. A court terme, l'instauration du « mandat d'arrêt européen » devrait favoriser la coopération judiciaire.

· Des cloisonnements, susceptibles de nuire à l'efficacité des enquêtes, existent également à l'intérieur des services nationaux de la sécurité intérieure.

Historique et connue, la frontière qui sépare la police de la gendarmerie n'appelle guère de commentaires : elle est contreproductive et totalement dépassée. Le placement des deux forces sous commandement unique est une réforme majeure. Il convient aujourd'hui de l'approfondir.

Entre la sécurité publique et la police judiciaire, des cloisonnements perdurent. Le partage des tâches est souvent défini par des protocoles aussi volumineux que détaillés : ces documents formalisent une répartition des rôles indispensable mais, en l'absence de réévaluation périodique, ils rigidifient également des situations acquises et deviennent de véritables enjeux de pouvoir, et de ranc_urs. Ainsi, la PJ détient parfois une compétence de principe en matière de vols à main armée : dès lors, la moindre intervention de la sécurité publique pour une affaire de ce type peut entraîner des conflits entre les services, même si l'évolution de la délinquance fait que ces actions sont de plus en plus souvent des actes isolés et de petite envergure. Le protocole en vigueur à Marseille a été élaboré en 1987 : depuis cette date, il n'a été révisé qu'une seule fois.

Le rapporteur a constaté le manque de « passerelles » entre certains services des renseignements généraux et les autres services actifs : les informations des RG ne sont pas assez exploitées au niveau territorial. La situation semble différente à la préfecture de police de Paris, où ils paraissent bien intégrés dans le dispositif d'investigation. Il est nécessaire de procéder à une remise à plat des modes de fonctionnement des renseignements généraux et à un recentrage de leurs missions.

De manière générale, les services de police rechignent à exploiter des renseignements qu'ils n'ont pas recueillis eux-mêmes, à poursuivre des affaires qu'ils n'ont pas initiées ou à confier à d'autres le soin d'achever des investigations.

Dans ce contexte, la création des groupes d'intervention régionaux (GIR) par la circulaire du 22 mai 2002 doit être saluée : cette approche pluridisciplinaire, qui permet d'engager des actions durables et en profondeur, est une véritable novation en matière de lutte contre la délinquance, même si des expériences dans ce sens avaient déjà été engagées dans certains départements comme les Yvelines (). Le rapporteur, qui s'est entretenu à plusieurs reprises avec des membres des unités d'organisation et de commandement (UOC) (), en particulier à Lille et à Metz, a constaté, sur le terrain, la forte motivation des personnels engagés dans cette expérience. Les services de sécurité publique semblent avoir également relevé le défi, y compris en désignant parmi les « personnels ressources » () des agents dynamiques et expérimentés.

Il apparaît cependant essentiel de veiller au respect des principes d'action fixés par la circulaire du 22 mai 2002. Les objectifs assignés aux GIR devront rester précis et ciblés. Par ailleurs, leur rattachement aux services régionaux de police judiciaire ou aux sections de recherche de la gendarmerie, essentiellement pour des raisons de compétence judiciaire, ne doit pas faire d'eux les instruments exclusifs d'une direction ou une force supplétive susceptible d'intervenir en appui des autres services. On rappellera que, selon les termes de la circulaire précitée : « Le GIR intervient dans chaque département à l'initiative conjointe et sur la base d'un diagnostic commun du préfet et du procureur de la république. (...) Il est mis à la disposition temporaire soit du directeur départemental de la sécurité publique, soit du commandant de groupement de la gendarmerie départementale. Il peut également à la demande de l'autorité judiciaire ou des chefs de service concernés être utilisé par le SRPJ ou la section de recherche de gendarmerie. En matière d'enquêtes judiciaires, les fonctionnaires et militaires regroupés dans les GIR agissent sur les objectifs définis sous la direction de l'autorité judiciaire ».

Pour surmonter ces cloisonnements, les préfets auront donc un rôle déterminant à exercer : la loi d'orientation du 29 août 2002 prévoit, d'ailleurs, de renforcer leurs prérogatives en matière de coordination des services. On peut penser, également, qu'une plus grande mobilité des personnels d'encadrement serait de nature à introduire davantage de fluidité dans le dispositif.

· Bien sûr, il n'était pas possible de clore ce chapitre sur les cloisonnements sans évoquer la nécessité d'une collaboration accrue entre la police et la justice : il convient, en effet, d'avoir une vision intégrée de ces deux institutions qui se reprochent, trop souvent, de bâcler les procédures ou de libérer les délinquants. Lorsque la chaîne pénale fonctionne de façon satisfaisante, les résultats sont souvent intéressants. Dans le département du Nord, la bonne articulation de la police et de la justice se reflète directement dans les statistiques : en 2002, malgré les réformes de la procédure pénale et à l'inverse de l'évolution nationale, le nombre de gardes à vue a augmenté dans ce département de plus de 11 %, et celui des écroués de près de 33 %.

Les services d'investigation ont particulièrement souffert des réformes de procédure pénale intervenues au cours des dernières années : les mesures décidées en ce qui concerne la garde à vue et le contenu des procès-verbaux, notamment, ont généré des contraintes procédurales supplémentaires ; les visites de terrain permettent de mesurer l'incompréhension ressentie par les policiers à l'égard des décisions prises par le législateur. De toute évidence, des réformes profondes s'imposent, non seulement pour rétablir la confiance entre les forces de sécurité et la représentation nationale mais, plus largement, pour restaurer l'efficacité des enquêtes.

Au-delà, le rapporteur a constaté l'intérêt porté à certaines orientations annoncées dans le cadre de la loi du 29 août 2002.

-  L'augmentation du nombre des officiers de police judiciaire et la revalorisation de cette compétence, notamment dans le corps de maîtrise et d'application.

Comme on l'a vu, cette annonce trouve déjà un prolongement dans le projet de loi de finances pour 2003, la qualification d'OPJ 16 étant attribuée à 2000 gardiens de la paix supplémentaires et l'indemnité liée à cette qualification revalorisée.

-  L'amélioration et la simplification du cadre des investigations judiciaires, en particulier à travers l'affirmation du principe d'une compétence départementale minimale et, le cas échéant, zonale ou nationale, pour les officiers de police judiciaire.

L'élargissement des compétences des OPJ doit permettre de surmonter certaines difficultés rencontrées dans le cadre des GIR. Il est également important que les OPJ mis temporairement à disposition d'un service autre que celui dans lequel ils sont affectés puissent avoir la même compétence territoriale que celle des OPJ du service d'accueil.

-  Le regroupement des dix-neuf services régionaux de police judiciaire existants autour de neuf directions interrégionales.

Cette réforme doit également permettre d'élargir la compétence territoriale des enquêteurs, de répondre aux défis de la coopération transfrontalière et d'accroître le potentiel opérationnel au moyen d'une mutualisation des effectifs et des équipements.

-  Le développement de l'utilisation, de l'alimentation et du rapprochement des grands fichiers de police.

Dans ce cadre, le renforcement de l'efficacité du fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) est particulièrement important (voir infra).

-  L'extension des règles afférentes aux contrôles d'identité ou aux fouilles de véhicules.

Les règles de procédure actuellement en vigueur, élargies en matière de lutte contre le terrorisme dans le cadre de la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, sont jugées trop restrictives.

Cette liste n'est pas exhaustive, d'autant que la création de nouveaux délits a également été annoncée. Le débat aura lieu prochainement au Parlement mais, incontestablement, sur le terrain, le message a été reçu : le droit va enfin prendre en compte les avis et, surtout, les besoins, de ceux qui sont chargés de le faire respecter.

Cela étant, il est aussi nécessaire que les réformes d'ores et déjà approuvées par le Parlement soient effectivement mises en _uvre. Ainsi, la mise en place de la procédure permettant à certains témoins et/ou victimes de porter plainte sans que leur identité ne soit révélée s'apparente à un véritable cafouillage administratif. Prévue par la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne et étendue par la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, elle doit faire l'objet d'un décret d'application qui n'a toujours pas été publié. Selon les départements, ce décret est considéré ou non comme un préalable à son entrée en vigueur. Elle est parfois utilisée, mais la plus grande incertitude juridique pèse alors sur les procédures.

Notre pays dispose d'installations et d'équipes modernes et performantes en matière de police technique et scientifique : la visite du laboratoire de Lille, animé par une cinquantaine de personnes aux formations et compétences extrêmement variées et doté d'un matériel de haute technologie, ou des installations centrales installées à Écully, est édifiante. Cependant, tous les laboratoires ne sont pas aussi performants (les résultats obtenus à Marseille et Paris sont plus controversés) et, de manière générale, les potentialités des outils disponibles sont sous-exploitées.

· On rappellera, tout d'abord, que l'article 58 de la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne a engagé une réforme importante de la police technique et scientifique dans notre pays : il prévoit de créer un établissement public administratif regroupant les laboratoires de Lille, Lyon, Marseille, Paris et Toulouse, ainsi que le laboratoire de toxicologie de la préfecture de police et le service central des laboratoires. La réalisation de cette réforme est très attendue par les personnels qui en escomptent une autonomie accrue, une souplesse de gestion et une rationalisation de leurs activités. Mais elle est suspendue à la parution d'un décret en Conseil d'État qui, lui non plus, n'a toujours pas été publié.

· Le fichier automatisé des empreintes digitales (FAED), officiellement créé par le décret n° 87-249 du 8 avril 1987 et opérationnel depuis 1992, est un outil très performant. Il s'agit, par ailleurs, de la première application commune à la police et à la gendarmerie. Toutefois, son efficacité pourrait être considérablement renforcée par une extension aux empreintes palmaires, réclamée de longue date et enfin annoncée par la loi de programmation du 29 août 2002. Une telle réforme contribuerait à l'amélioration de l'élucidation des petits et moyens délits.

· Le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), créé par la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs, souffre de plusieurs maux.

Sur le plan matériel, les dispositions du décret n° 2000-413 du 18 mai 2000, qui prévoient que seuls des fonctionnaires de la sous-direction de la police technique et scientifique du ministère de l'intérieur peuvent assurer son alimentation, ont été interprétées de façon très restrictive : les profils génétiques communiqués par les autres experts, qu'ils appartiennent à des laboratoires privés ou à des laboratoires publics relevant du ministère de l'intérieur, doivent être transmis sur support papier. Cette difficulté, qui entraîne des pertes de temps au départ et à l'arrivée, ainsi que des risques d'erreurs du fait de la multiplication des opérations de saisie, devrait pouvoir être résolue rapidement. Or, elle perdure depuis l'origine du fichier.

Surtout, le cadre législatif qui réglemente le fonctionnement du FNAEG est totalement inadapté.

-  La liste des infractions pour lesquelles une personne condamnée peut être soumise à un prélèvement, qui ne visait initialement que les crimes sexuels, est encore trop restrictive, bien qu'elle ait été étendue par l'article 56 de la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne aux atteintes les plus graves contre les personnes ou les biens.

-  Le fait de ne pouvoir prélever que les empreintes des personnes définitivement condamnées est un frein majeur : le FNAEG ne centralise aujourd'hui qu'environ 1 600 empreintes (et une centaine de traces).

-  Un suspect qui refuse de se soumettre à un prélèvement à des fins de rapprochement avec les données incluses au fichier n'est passible d'aucune sanction. Un problème du même ordre se pose d'ailleurs avec le FAED.

Bien que le FNAEG ait déjà permis de réaliser des rapprochements entre le profil génétique d'individus suspects ou condamnés avec des traces relevées sur les lieux de viols, ses potentialités ne sont pas suffisamment exploitées en raison des contraintes précitées.
Ces questions seront débattues prochainement par le Parlement. De nouveaux moyens juridiques pourront alors être élaborés, qui conforteront le renforcement des moyens matériels de la police technique et scientifique programmé par la loi du 29 août 2002 et amorcé par le projet de loi de finances pour 2003.

N°261 - II.- Avis de M. Gérard Léonard sur le projet de loi de finances pour 2003 - (intérieur et libertés locales - sécurité intérieure)

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() Décret n° 2002-890 du 15 mai 2002 relatif au Conseil de sécurité intérieure.

() Les GIR ont été institués par une circulaire du 22 mai 2002 (C 02 00129 C).

() Il n'existe toujours que 14 sûretés départementales, pour les sept départements de la banlieue parisienne, la Haute Corse et la Corse du Sud, les Alpes-Maritimes, les Bouches du Rhône, le Rhône, le Nord et la Réunion. Elles regroupaient 879 fonctionnaires au 31 décembre 2001.

() Assemblée nationale, 2e séance du 16 juillet 2002, J.O. page 2010.

() Le SRPJ de Marseille abrite également une brigade de recherche et d'intervention, antenne de l'office central pour la répression du banditisme (OCRB) spécialisée dans les surveillances et les filatures. Les autres antennes de l'OCRB sont implantées à Nice, Lyon et Bayonne.

() On observera, au demeurant, que la règle n'a jamais été appliquée de façon totalement rigoureuse : chaque année, bien que de façon limitée, deux ou trois commissaires ont été affectés dans les services spécialisés à l'issue de leur formation. En 2002, quatre d'entre eux ont été affectés à la PJ (et un aux renseignements généraux), mais ce nombre est en partie lié aux besoins induits par la création des GIR.

() Structures interministérielles de coordination et d'enquête à compétence nationale, les offices centraux interviennent actuellement en matière de banditisme, de proxénétisme, de trafic de biens culturels, de trafic de stupéfiants, de faux monnayage, de blanchiment d'argent, de trafic d'armes et de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication.

() La DDSP du Nord est la plus importante en terme de population (1 965 751 habitants) et en nombre de circonscriptions (21). Elle couvre des zones classées comme très sensibles. Or, elle ne compte que un fonctionnaire pour 466 habitants, alors que ses caractéristiques justifieraient un ratio de un fonctionnaire pour 411 habitants.

() les centres de coopération policière et douanière (CCPD) sont des instruments prévus par la convention d'application de l'accord de Schengen instaurant la libre circulation des personnes aux frontières communes. Implantés sur des fondements bilatéraux dans les zones frontalières, ils sont destinés à lutter contre l'immigration irrégulière, la délinquance transfrontalière, les trafics illicites, les faux documents et les menaces à l'ordre public. Leurs attributions sont donc beaucoup plus vastes que celles des commissariats communs, notamment en ce qui concerne les missions de police judiciaire : de fait, les CCPD regroupent l'ensemble des services répressifs, et non pas uniquement ceux en charge des contrôles aux frontières et de la lutte contre l'immigration irrégulière. Sont représentés, pour la France, la police nationale (sécurité publique, police judiciaire et police aux frontières), la gendarmerie nationale et les douanes.

() La France a conclu, à ce jour, six accords particuliers en vue de la création de CCPD : avec l'Italie (un CCPD à Vintimille, un second devant être ouvert à Modane en remplacement du commissariat commun existant), l'Allemagne (Kehl), la Suisse (Genève), l'Espagne (transformation prévue des quatre commissariats communs existants en autant de CCPD), la Belgique (Tournai) et le Luxembourg (le CCPD sera prochainement ouvert à Luxembourg).

() Un premier bilan, réalisé le 22 juillet dernier, a établi qu'à cette date, les GIR avaient participé à 18 affaires qui ont permis d'interpeller 119 personnes. Des saisies de stupéfiants, d'armes et d'explosifs ont été opérées.

() Les unités d'organisation et de commandement, qui sont chargées de préparer et d'organiser les opérations d'intervention et d'assistance, sont dirigées soit par des commissaires de police ayant comme adjoint un militaire de la gendarmerie, soit par des officiers de gendarmerie ayant comme adjoint un fonctionnaire de police. Elles comptent, en moyenne, six à dix personnes, et 268 sur l'ensemble du territoire.

() Les « fonctionnaires ressources », qui sont mobilisables en fonction des affaires et des besoins, sont au nombre de 1 400 sur l'ensemble du territoire (entre 30 et 100 membres par GIR).