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N° 1864

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 13 octobre 2004.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2005 (n° 1800)

TOME I

AFFAIRES ÉTRANGÈRES

FRANCOPHONIE ET RELATIONS CULTURELLES INTERNATIONALES

Par M. Patrick BLOCHE,

Député.

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Voir le numéro : 1863 (annexe n° 1).

INTRODUCTION 5

I.- LE PROJET DE BUDGET POUR 2005 7

A. UN BUDGET MARQUÉ PAR LA MAÎTRISE DES DÉPENSES PUBLIQUES 7

B. LES CRÉDITS POUR LA FRANCOPHONIE ET L'ACTION CULTURELLE 8

II.- LA CHAÎNE FRANÇAISE DE TÉLÉVISION INTERNATIONALE 13

A. UNE CHAÎNE FRANÇAISE D'INFORMATION INTERNATIONALE POUR QUOI FAIRE ? 13

1. Une diplomatie d'influence 13

2. Une information crédible 14

3. Une expression de la diversité culturelle, une vision humaniste et une contribution au dialogue des civilisations 15

4. Les téléspectateurs potentiels dans un secteur fortement concurrentiel 17

5. La perspective d'une mutualisation des services de l'audiovisuel extérieur français 17

B. UNE CHAÎNE FRANÇAISE INTERNATIONALE POUR QUEL PUBLIC ? 19

1. De multiples ébauches 19

a) L'appel à projet de la direction du développement des médias 20

b) Les préconisations du rapport de M. Philippe Baudillon sur la création d'une chaîne d'information internationale 20

c) La mission d'information commune sur la création d'une télévision française à vocation internationale 21

d) Le rapport de M. Bernard Brochand sur le projet de chaîne française d'information internationale 23

2. L'avis des téléspectateurs potentiels 24

3. Des points de consensus 27

a) Une chaîne d'information et d'animation culturelle 27

b) Une chaîne multilingue 28

c) L'intérêt de partenariats avec les médias locaux 29

TRAVAUX DE LA COMMISSION 31

LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES 33

INTRODUCTION

La France promeut dans toutes les instances internationales la diversité culturelle et le multilinguisme mais se révèle-t-elle capable de traduire cette ambition par des moyens financiers proportionnés à cet objectif prioritaire ?

A cet égard, quelle pourrait être la mesure emblématique de ce budget 2005 ?

Hélas, il est difficile d'y trouver une idée force ou un effort financier conséquent. Le maître mot semble plutôt être la maîtrise des dépenses publiques, le ministère allant jusqu'à se féliciter de ses résultats dans la réduction des frais de structure ! Aucun doute n'est apparemment de mise sur la manière dont ces économies ont été décidées et qui conduit à ce que les crédits n'augmentent que de 1,2 % à périmètre constant, soit moins que l'inflation.

Les traitements des personnels subissent globalement une baisse de 8,2 % et les dépenses de fonctionnement continuent à être réduites. Ces chiffres recouvrent des réalités concrètes comme des centres culturels qui ont de moins en moins de moyens, une disparition constante des professeurs de français expatriés dans nos établissements scolaires à l'étranger.

Ces choix ne sont pas neutres et ces gains de productivité risquent avant tout de se traduire par un recul de la présence française et un déclin de la francophonie.

Pourtant le « désir de France » est toujours vivace et les attentes d'une autre vision des rapports de forces internationaux, tel que l'a montré l'écho rencontré par l'intervention de Dominique de Villepin à l'ONU lors des débats sur l'intervention en Irak, suffisent à conclure que la France doit réagir pour avoir les moyens de sa politique.

Que penser enfin de la stagnation des crédits de l'audiovisuel extérieur alors même que le Chef de l'Etat a appelé de ses vœux la création d'une chaîne française d'information et déplore le manque de relais médiatiques pour la vision française des relations internationales. Pas même quelques milliers d'euros pour étudier la faisabilité de cette chaîne dans le budget pour 2005...

La position officielle tant du ministre de la culture que du ministre des affaires étrangères est de se borner à indiquer que ce sujet d'importance nécessite une concertation approfondie avec les acteurs du dossier !

L'année dernière, le gouvernement s'est cru autorisé à passer par pertes et profits le travail réalisé par la mission parlementaire présidée par M. François Rochebloine et a pensé que les conclusions du rapport Brochand lui permettraient de passer outre à l'opposition unanime manifestée par la mission parlementaire à la création d'une chaîne basée sur un partenariat public-privé déséquilibré.

Pour préparer le lancement de cette chaîne, il a paru intéressant de changer d'approche et de prendre en compte le point de vue des téléspectateurs potentiels. Lors d'un déplacement en Egypte, de multiples interlocuteurs (journalistes égyptiens et occidentaux, intellectuels, opérateurs des médias) ont été consultés et tous ont conclu à l'urgence de créer cette chaîne qui est attendue dans le monde arabe, comme une occasion de recevoir un message différent.

Oui la France a une vision du monde à promouvoir et peut être un artisan utile dans le dialogue des civilisations pour favoriser un monde multipolaire ouvert à la diversité des cultures. Cette chaîne doit être ancrée dans la réalité locale et doit donc s'exprimer dans la langue de la zone déterminée, le français ne touchant le plus souvent qu'une élite cultivée et oubliant la jeunesse.

Une certaine évolution du projet peut ainsi se dessiner. Après être partie de l'idée qu'il fallait créer une chaîne d'information globale dont la diffusion serait mondiale, on pourrait ainsi s'orienter plus utilement vers la création, à partir d'une matrice commune, de chaînes transnationales avec une diffusion sur plusieurs grandes régions du monde pour permettre un véritable ancrage dans chaque paysage audiovisuel local.

Un partenariat public-privé équilibré serait un gage d'indépendance, de professionnalisme et permettrait de conclure plus facilement des partenariats locaux. Il faudra déterminer si les programmes seront plutôt réalisés en France ou coproduits avec des rédactions locales ce qui semblerait mieux adapté pour garantir un réel enracinement.

Le choix du mode de diffusion n'est pas neutre en termes d'audience et de financement. Si le satellite s'impose de prime abord, il paraît intéressant d'engager des discussions avec les autorités locales pour bénéficier éventuellement de canaux plus classiques de télévision analogique terrestre.

La France grâce à ce nouveau média pourra servir pleinement sa vocation internationale qui s'exprime en trois dimensions : européenne, méditerranéenne et francophone. Cette chaîne peut être un formidable outil pour exprimer une vision du monde humaniste et pluraliste permettant à nos partenaires de faire entendre leur voix et la richesse de leurs différences.

L'article 49 de la loi organique du 1er août 2001 fixe une date butoir pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires au plus tard huit jours francs à compter du dépôt du projet de loi de finances, soit le 9 octobre 2004. A cette date, 98 % des réponses étaient parvenues au rapporteur pour avis.

I.- LE PROJET DE BUDGET POUR 2005

A. UN BUDGET MARQUÉ PAR LA MAÎTRISE DES DÉPENSES PUBLIQUES

Le projet de budget du ministère des affaires étrangères s'élève à 4,408 milliards d'euros contre 4,22 milliards d'euros en projet de loi de finances 2004 soit une progression de 4,4 %.

Récapitulation des crédits

Autorisations de programme

Crédits de paiement

Dotations 2004

Demandées pour 2005

Dotations 2004

Mesures acquises

Services votés

Mesures nouvelles

Total pour 2005

2005/2004

Titre III Moyens des services

Personnel

Rémunérations d'activité

///////

///////

586 653 135

+1 249 095

587 902 230

-49 092 432

538 809 798

-8,2

Personnel en retraite

Pensions et allocations

///////

///////

73 800 000

+2 100 000

75 900 000

+1 000 000

76 900 000

Personnel en activité et en retraite. Charges sociales

///////

///////

41 625 062

-1 755 160

39 869 902

-1 839 497

38 030 405

-8,7

Subventions de fonctionnement

///////

///////

370 477 175

-10 622 303

359 854 872

+11 189 558

371 044 430

Dépenses diverses

///////

///////

432 324 388

-7 041 976

425 282 412

-77 741 824

347 540 588

Expérimentations dans le cadre de loi organique du 1er août 2001

///////

///////

"

"

"

+115 354 625

115 354 625

Totaux titre III

///////

///////

1 504 879 760

-16 070 344

1 488 809 416

-1 129 570

1 487 679 846

-1,2

Titre IV Interventions publiques

Interventions politiques et administratives

///////

///////

159 000 000

"

159 000 000

-36 000 000

123 000 000

Action internationale

///////

///////

1 626 165 905

- 2 530 200

1 623 635 705

+139 727 325

1 763 363 030

Action sociale.

Assistance et solidarité

///////

///////

24 701 348

"

24 701 348

-1 348

24 700 000

Totaux titre IV

///////

///////

1 809 867 253

-2 530 200

1 807 337 053

+103 725 977

1 911 063 030

+5,5

Totaux pour les dépenses ordinaires

///////

3 314 747 013

-18 600 544

3 296 146 469

°102 596 407

3 398 742 876

+2,5

Titre V Investissements exécutés par l'Etat

Equipements administratifs et divers

45 000 000

50 000 000

42 000 000

///////

26 148 000

+20 852 000

47 000 000

Expérimentations dans le cadre de la loi organique du 1er août 2001

37 967 000

///////

7 972 000

+37 967 000

45 939 000

Totaux titre V

45 000 000

87 967 000

42 000 000

///////

34 120 000

+58 819 000

92 939 000

Titre VI Subventions d'investissement accordées par l'Etat

Investissements hors de la métropole

344 720 00

278 890 000

867 720 000

///////

781 493 000

+135 415 000

916 908 000

Totaux titre VI

344 720 000

278 890 000

867 720 000

///////

891 493 000

+135 415 000

916 908 °000

Totaux pour les dépenses en capital

389 720 000

366 857 000

909 720 000

///////

781 483 000

+135 415 000

916 908 000

Totaux généraux

389 720 000

366 857 000

4 224 467 913

///////

4 111 759 469

+296 830 407

4 408 589 876

4,3

Ce budget est marqué par l'impératif de maîtrise des dépenses publiques et la progression des crédits en 2005 s'explique en grande partie par le transfert du ministère de l'économie et des finances au ministère des affaires étrangères de la contribution de 150 millions d'euros versée par la France au Fonds mondial de lutte contre le sida.

L'accroissement des crédits, à périmètre constant, représente une progression de 1,2 % soit moins que l'inflation.

Ce sont surtout les dépenses de fonctionnement et tout particulièrement les rémunérations des personnels en activité, qui subissent la plus forte baisse avec un taux de - 8,2 % pour les traitements. La part relative des dépenses de fonctionnement dans le budget diminue, passant de 35,6 % en 2004 à 33,6 % en 2005.

Ces économies drastiques ne pourront être réalisées sans une dégradation du service rendu.

La diminution des effectifs budgétaire sera de 152 emplois avec 100 suppressions nettes, ce qui correspond à un taux de 50 % de non-renouvellement des départs à la retraite.

Le ministère a beau jeu de se féliciter de progrès de productivité remarquables qui se traduisent notamment par une baisse des coûts de structure (titre III et titre IV) qui sont ramenés à 25,42 % contre 26,64 % en 2004 et 32,9 % en 2000 !

En réalité, cette productivité se traduit par une dégradation des conditions de travail pour le personnel, par une réduction de la présence extérieure française et par une déconcentration accrue qui n'est pas toujours encadrée.

Quelques chiffres parlent d'eux-mêmes : le réseau consulaire et diplomatique a été réduit de 8 % en dix ans malgré de nouvelles implantations dans l'ex-Union soviétique et dans l'ex-Yougoslavie, ce qui signifie qu'ailleurs dans le monde la présence française recule inexorablement.

B. LES CRÉDITS POUR LA FRANCOPHONIE ET L'ACTION CULTURELLE

Ce rapport ayant pour thème la francophonie et les relations culturelles, ne traite que d'une partie des crédits du ministère, ceux de la direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID).

Projet de loi de finances (2005)
Récapitulatif des crédits de la direction générale de la coopération internationale
et du développement

(en euros)

graphique

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Source : ministère des affaires étrangères.

L'enveloppe totale des crédits de la DGCID pour l'année 2005 s'élève à 2 198,90 millions d'euros en projet de loi de finances, ancienne nomenclature, soit + 1,9 % par rapport au projet de loi de finances 2004 après abattement forfaitaire de 0,2 % suite aux arbitrages budgétaires du Premier ministre.

Cette direction traite principalement de l'aide publique au développement et du rayonnement linguistique et culturel de la France qui comprend aussi le soutien à la diversité culturelle. L'évolution de ces crédits est contrastée : si l'aide au développement est confortée (crédits de 2 204 millions d'euros contre 2 044 millions d'euros en 2004), les crédits pour la francophonie et l'enseignement du français ne répondent pas aux ambitions affichées par la France.

Quelques indications chiffrées permettent de mesurer l'ampleur de ce décalage.

Au sein de la DGCID, la direction de la coopération culturelle et du français est chargée de la définition et de la promotion des politiques de diffusion du français. Les crédits d'intervention sont constitués par les crédits du chapitre 42-15 affectés aux actions de politique linguistique et les crédits du fonds de solidarité prioritaire consacrés en partie à la diffusion du français (chapitre 68-91). Certains crédits de l'administration centrale concourent aussi à la promotion du français.

Pour 2004 ces crédits sont évalués à 60,8 millions d'euros contre 62,2 en 2003 soit une baisse de 2,3 % et de 8,8 % depuis 2002.

Il convient de souligner que, contrairement aux déclarations du Chef de l'Etat, lors des réunions internationales la promotion du français n'est pas une véritable priorité et les mesures d'ajustement budgétaires touchent aussi ces postes. C'est ainsi que le chapitre 42-15 « Coopération internationale et développement » avait bénéficié initialement de 10 millions d'euros de mesures nouvelles, mais il a été ensuite touché par la mesure d'abattement forfaitaire de 2,5 millions d'euros décidée par le Premier ministre.

Concernant l'enseignement du français, il faut déplorer la baisse des crédits de 2,2 % accordés à l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger. Le gouvernement présente cette mesure d'économie en prétextant avoir fait œuvre de bon gestionnaire et amélioré le service rendu.

C'est ainsi qu'est poursuivi le remplacement du personnel enseignant expatrié par des recrutés locaux. Le réseau accueille aujourd'hui 160 000 élèves dont 70 000 Français. Il serait intéressant de savoir quelles garanties pour maintenir la même qualité d'enseignement et si on peut en juger par les commentaires faits au Caire par des expatriés français, on peut avoir de sérieux doutes. Ces expatriés ont ainsi déploré la politique très malthusienne menée par le lycée français du Caire en raison de contraintes budgétaires. La conséquence en est d'orienter nombre d'enfants égyptiens vers un enseignement anglophone.

A contrario l'aspect positif en matière d'enseignement est l'augmentation des crédits pour les bourses de 1 million d'euros, le nombre de boursiers augmentant de 4,5 % par rapport à l'année précédente.

La situation des alliances françaises paraît également meilleure avec une forte augmentation des subventions d'investissement de 14,4 % (dotation de 3,2 millions d'euros) et une progression des crédits de mise à disposition de personnel (chapitre 42-15) de 3,3 %.

Au total 295 alliances françaises sont aidées par des crédits du ministère sur un total de 1 400 établissements. Les crédits se répartissent ainsi :

- aide au fonctionnement : 9,6 millions ;

- immobilier : 2 millions ;

- fonds médiathèques : 0,5 million.

Au titre des autres économies à déplorer, il faut citer le chapitre relatif aux établissements culturels dont les crédits baisseront de 2 % (chapitre 37-95), cette baisse étant un signe supplémentaire du manque d'ambition de la politique culturelle extérieure de la France.

Le rapporteur pour avis souhaite attirer l'attention du gouvernement sur les moyens accordés à la francophonie qui ne sont pas à la hauteur des ambitions affichées. Comment œuvrer concrètement pour le multilinguisme alors que le français recule dans les instances internationales et dans l'Union européenne ? Le rayonnement du français passe aussi par un réseau éducatif dynamique. Or celui-ci est en perte de vitesse.

C'est l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger (AEFE) qui assume la mission de coordination des établissements mais, en réalité, il n'existe pas de stratégie d'ensemble. Placée sous la tutelle du ministère des affaires étrangères et du ministère de l'éducation nationale, l'agence n'est pas en capacité d'impulser une politique globale

Après un rapport très critique de la Cour des comptes, certains progrès ont été réalisés avec l'adoption, en décembre 2003, d'un « plan d'orientation stratégique ». Ce plan a été adopté par son conseil d'administration et approuvé par le ministère des affaires étrangères. Il définit à l'horizon 2007 les axes prioritaires de l'action de l'agence et vise aussi à harmoniser les conditions d'apprentissage du français dans les établissements du réseau. Mais il semble bien que ce plan concerne plus la rationalisation de la logistique qu'une véritable stratégie pour le rayonnement de la langue française.

Certaines faiblesses relevées par la Cour des comptes n'ont fait l'objet d'aucune mesure. Le réseau arrive tout juste à scolariser les enfants français mais refuse des candidats locaux faute de moyens suffisants. De plus une grande disparité des frais de scolarité persiste ce qui accroît l'effet d'éviction des enfants non français qui ne représentent que 57 % du total des élèves.

Le principal défaut de notre réseau est une mauvaise adéquation avec l'enseignement supérieur francophone. De nombreux bacheliers francophones s'inscrivent dans des universités anglophones faute d'un débouché suffisant pour trouver une filière francophone. Une réflexion urgente doit être menée en ce domaine.

Le rapporteur pour avis demande donc au gouvernement de mettre sur pied un plan de relance de l'enseignement du français pour accroître ses capacités, améliorer la cohérence du réseau et en faire un des piliers du rayonnement de la francophonie.

Pour conclure cette présentation des tendances du budget pour 2005, que penser de la stagnation des crédits pour l'audiovisuel extérieur alors que le Président de la République présentait la création de la future chaîne d'information internationale française comme une « ardente obligation ». Il n'y a même pas quelques crédits dans le projet de loi de finances pour affiner l'étude de faisabilité sans même aller jusqu'à la budgétisation, pourtant envisagée dès 2005, de cette chaîne

La dotation « subventions aux opérateurs de l'action audiovisuelle » du chapitre 42-14 est ainsi reconduite d'une année sur l'autre pour un montant de 165 millions d'euros. Elle doit en outre permettre le financement d'une mesure nouvelle de 1 million d'euros en faveur de la chaîne MEDI 1 SAT par redéploiement à l'intérieur du chapitre. Ce maintien des crédits en euros courants signifie donc leur réduction par rapport à l'année dernière, compte tenu de l'inflation.

II.- LA CHAÎNE FRANÇAISE DE TÉLÉVISION INTERNATIONALE

A. UNE CHAÎNE FRANÇAISE D'INFORMATION INTERNATIONALE POUR QUOI FAIRE ?

1. Une diplomatie d'influence

Le 7 mars 2002 le Président de la République déclarait : « Nous devons avoir l'ambition d'une grande chaîne d'information continue internationale à l'égal de la BBC ou de CNN pour les anglophones. C'est essentiel pour le rayonnement de notre pays ».

Lors de son audition du 30 avril 2003 par la mission d'information parlementaire, Dominique de Villepin, alors ministre des affaires étrangères, expliquait l'enjeu stratégique de cette chaîne en indiquant : « dans les rapports de force internationaux, la bataille des images et de l'information prend une place déterminante c'est ce que l'on appelle la diplomatie d'influence ». La crise irakienne illustre parfaitement comment la télévision interagit sur l'événement. Les caméras de télévision sont entrées au Conseil de sécurité mettant la diplomatie en relation directe avec l'opinion publique mondiale. Pour le ministre, « le renversement de la statue de Saddam Hussein a marqué les opinions mieux que tout communiqué officiel ».

A côté de la puissance militaire ou économique, il est incontestable que l'influence d'une nation se mesure au fait de disposer d'une capacité propre de projection d'images dans le monde. Une offre audiovisuelle diversifiée est aussi une condition nécessaire pour garantir un monde multipolaire.

La France doit être porteuse d'un message de diversité dans un monde menacé par l'uniformisation ou par l'affrontement des cultures.

La présence française repose sur trois piliers :

- la France comme moteur de la construction européenne avec une vocation spécifique en tant que puissance méditerranéenne ;

- la France comme promoteur de la francophonie ;

- la France comme symbole de l'humanisme, héritière de l'esprit des lumières et attachée au dialogue des civilisations et à la diversité culturelle.

L'action audiovisuelle hors de l'hexagone est donc une dimension essentielle de notre politique étrangère.

Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, lors de son audition devant la Commission des affaires étrangères, le 21 juillet 2004, a confirmé le rôle stratégique qu'aurait une chaîne française d'information internationale, sans toutefois s'engager sur le calendrier de sa mise en œuvre : « En ce qui concerne le projet de chaîne d'information internationale, il s'agit d'un véritable enjeu et l'objectif doit être l'une de nos priorités dans nos actions d'influence. Il y a plusieurs propositions, dont celle présentée par TF1 et France Télévisions soutenue par M. Bernard Brochand. Le ministre des affaires étrangères souhaite se donner le temps de la réflexion en prenant en compte le fait qu'il n'y a pas, pour le moment, sur le budget du ministère des affaires étrangères, les moyens pour financer ce projet. Mais, en tout état de cause, la future chaîne devra tenir compte des outils existants tels que RFI, TV5, Euronews ou l'AFP. Par ailleurs, la Commission européenne n'a pour l'heure été saisie que de manière informelle. »

2. Une information crédible

Cette future chaîne de télévision, cela a déjà été écrit, doit se garder d'apparaître comme un outil de communication institutionnelle, comme la voix de la diplomatie française. Cependant il convient aussi d'éviter l'écueil inverse, qui serait de n'avoir aucune ligne éditoriale marquée et de se contenter de reprendre des dépêches d'agences. C'est d'ailleurs une des faiblesses d'Euronews que de donner à voir des images sans les accompagner de commentaires propres à cette chaîne mais qui sont, en fait, des extraits d'autres rédactions.

Cette chaîne française doit être l'occasion de donner une vision française de l'information et de la culture, ce qui signifie qu'elle devra faire des efforts de pédagogie pour expliquer certaines valeurs perçues comme typiquement française, comme par exemple l'attachement à la laïcité ou à la notion de service public.

Une large place doit être faite aux débats d'idées car la vie publique française est perçue comme ayant particulièrement le goût des controverses intellectuelles. Lors de son déplacement en Égypte, le rapporteur pour avis a été frappé par cette attente de débats et a constaté que l'Université du Caire, dans son unité pédagogique de langue française, proposait ainsi une réunion sur la Constitution européenne. Cet exemple est révélateur du souci de participer aux grands débats internationaux dans des pays où l'information est encore en grande part contrôlée par le pouvoir en place.

Cette question de l'indépendance ne va pas de soi dans des pays où il n'existe pas de tradition démocratique n'existe et où le repli identitaire menace. De multiples exemples montrent la difficulté pour la France de diffuser une information pluraliste. De nombreux gouvernements africains se sont ainsi plaints auprès du quai d'Orsay du « manque d'objectivité » de RFI car ils estiment que la puissance publique étant le financeur de cette radio elle est donc en mesure d'infléchir sa ligne éditoriale.

Il serait sans doute souhaitable qu'une autorité administrative indépendante soit le garant de cette liberté éditoriale. Lors de son audition par la mission d'information sur la création d'une télévision française à vocation internationale, créée au sein de la commission des affaires culturelles, M. Philippe Baudillon, chargé en décembre 2002 par le ministre des affaires étrangères d'étudier la création éventuelle d'une chaîne d'information internationale, a proposé la création d'une telle structure qu'il a présentée comme un instrument d'orientation de l'audiovisuel international. Cette autorité coordonnerait les moyens audiovisuels extérieurs qui dépendent aujourd'hui de multiples tutelles et garantirait le pluralisme de l'information diffusée à l'international.

3. Une expression de la diversité culturelle, une vision humaniste et une contribution au dialogue des civilisations

De nombreux professionnels des médias, lorsqu'ils ont été auditionnés par la mission parlementaire, ont souligné la nécessité de se démarquer de l'offre d'information des autres chaînes satellitaires. Il convient donc de réfléchir à ce qui constitue l'originalité française et à la manière optimale de se positionner pour être entendu par des peuples vivant dans un environnement culturel très différent du nôtre.

Pour Hervé Bourges, président de l'Association internationale de la presse francophone et ancien président du CSA, cette chaîne doit affirmer sa différence en valorisant le pluralisme des points de vue. C'est ainsi qu'il déclarait : « Une chaîne d'information française doit être exemplaire sur l'un des thèmes qui fondent les positions actuelles de la diplomatie française : le respect de la diversité culturelle. Ce principe signifie le respect des identités. Et la chaîne internationale française doit mettre en exergue cette attention aux différences, avoir des égards pour la multiplicité des sensibilités de ceux auxquels elle sera destinée ».

S'agissant d'un service offert à des populations ou à des communautés différentes, qui ne partagent pas les valeurs ou les références idéologiques de la plupart des Français, une exacte connaissance de leurs attentes et de leurs réactions est requise. Un média se doit d'être à l'écoute de ceux auxquels il s'adresse.

Pour que notre message soit accepté il est donc nécessaire de travailler en étroite collaboration avec des journalistes originaires de la région. Pour reprendre l'exemple de la laïcité, il n'est pas évident qu'un journaliste français puisse traduire en termes adéquats ce que représente ce concept étranger à des populations marquées par une tradition religieuse.

La question de la langue est complexe car la culture française est étroitement liée à la langue française La chaîne française ne peut néanmoins se contenter de s'exprimer en français si elle veut toucher un large public par exemple dans les pays du Levant ou du Moyen-Orient où l'apprentissage du français est en recul et dans une moindre mesure au Maghreb où les chaînes nationales sont facilement captées, ce qui contribue au maintien d'une bonne compréhension de notre langue.

Cette nécessité du plurilinguisme doit être intégrée à la programmation de la chaîne. C'est une contrainte pour organiser, par exemple, des débats en direct et avec des implications financières. Il convient aussi d'examiner les solutions techniques de doublage ou de sous-titrage en langue étrangère et en français pour faciliter la compréhension de la langue parlée.

Cette chaîne doit aussi affirmer sa spécificité en étant une agence d'images, reprises par d'autres chaînes, ce qui lui permettra d'accroître indirectement son audience indirecte.

Comme le soulignait David Lowen, président-directeur général d'Euronews, lors de son audition par la mission d'information parlementaire, « Aujourd'hui la voix de la France souffre du fait qu'il n'y a pas d'images françaises. Les plus grandes agences sont anglo-saxonnes telles que celles de Reuters ou APTN. Il faut se concentrer sur la production de contenus, la production d'une image française qui puisse être diffusée à travers le monde ».

La recherche de synergies avec les médias existants est importante. Il faut prévoir une étroite collaboration avec l'Agence France Presse (AFP) et RFI pour constituer une banque d'images et d'informations sur lesquelles la chaîne détiendrait des droits.

La grille de programmes doit être l'occasion d'exprimer l'originalité de la vision française de l'actualité. Elle doit permettre de ne pas se limiter à refléter les événements du monde mais de porter un regard critique sur l'actualité en permettant des interlocuteurs venant d'horizons différents.

La chaîne française doit se positionner comme un médiateur entre les cultures, contribuer au dialogue des civilisations par l'échange et l'expression de la diversité. La France peut aussi apporter sa contribution à la recherche de la paix au Moyen Orient non seulement en soutenant le processus de Genève mais aussi en montrant comment s'est réalisée, dans la deuxième moitié du XXe siècle, la réconciliation franco-allemande.

Plusieurs interlocuteurs rencontrés en Egypte par le rapporteur pour avis ont suggéré de faire de cette chaîne une télévision civique pour encourager une transition démocratique. Les étudiants du Caire ont parlé de leur attente de voir traiter des thèmes comme les campagnes électorales, le financement de la vie politique, l'amélioration de la gouvernance...

Même si ces thèmes peuvent paraître austères, ils traduisent le souci de mieux connaître le fonctionnement de nos institutions pour voir comment ces modèles pourraient être adaptés dans des pays en voie de démocratisation.

4. Les téléspectateurs potentiels dans un secteur fortement concurrentiel

En raison de la forte concurrence entre les chaînes, il semble indispensable de chercher à cibler des publics pour les fidéliser à une chaîne française d'information internationale. De multiples initiatives sont en cours pour capter les publics des pays du Sud comme le lancement prochain d'une chaîne sportive et d'une chaîne pour les enfants par Al Jazeera. Euronews cherche malgré un premier échec à créer une édition en langue arabe pour couvrir le Maghreb et le Moyen Orient. Al Jazeera a aussi des projets de diffusion en anglais pour pénétrer le marché du Sud Est asiatique.

Il ne semble pas efficace de vouloir faire une chaîne de portée mondiale en diffusant les mêmes émissions pour des publics aussi différents que ceux de l'Afrique noire, du Moyen-Orient ou de l'Amérique latine et a fortiori de l'Asie du Sud-Est. De même se limiter à une chaîne toute info ne paraît pas non plus opportun pour fidéliser un public.

Il semble donc indispensable de prévoir des partenariats locaux pour mieux cerner les attentes des spectateurs et offrir une palette d'émissions complémentaires. L'intégration dans un bouquet satellitaire pourrait être un plus pour attirer de nouveaux auditeurs.

Un consensus se dégage pour dire que cette chaîne doit tenir compte des centres d'intérêt de la jeunesse qui dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient représente un poids démographique très important et semble la cible privilégiée des médias véhiculant des idées antioccidentales. Les programmes devraient ainsi comprendre de la musique et des retransmissions sportives malgré leurs droits de diffusion élevés.

L'autre cible importante est le public féminin pour lequel des programmes français peuvent représenter une véritable ouverture sur le monde. Ces programmes pourraient aborder des sujets de société et jouer ainsi un rôle émancipateur.

5. La perspective d'une mutualisation des services de l'audiovisuel extérieur français

A plusieurs reprises la Cour des comptes a dénoncé le manque de cohérence de la politique audiovisuelle extérieure qui est éparpillée entre plusieurs tutelles et n'a pas de stratégie claire. Plusieurs contributeurs publics participent à son financement : le ministère des affaires étrangères, les services de la redevance pour RFI, les sociétés nationales de programme financées par des fonds publics. Entre 1990 et 2000, les concours publics ont considérablement augmenté passant de 78,94 millions d'euros à 162,4 millions d'euros constants pour le seul ministère des affaires étrangères. Aucune structure de coordination n'existe à un niveau interministériel.

Même si un effort de coordination doit être impérativement entrepris pour assurer une cohérence d'ensemble à tous ces opérateurs, il n'en demeure pas moins que la future chaîne d'information peut se servir des outils existants en faisant jouer des effets de synergie qui permettront sans doute de réorganiser l'offre audiovisuelle extérieure. Dans un premier temps, il convient de jouer la carte des complémentarités plutôt que de vouloir d'emblée rationaliser en supprimant telle ou telle rédaction, ce qui n'aurait pour effet que de freiner les coopérations possibles.

La future chaîne doit donc nouer différents types de partenariats qui pourront revêtir des formes juridiques différentes selon la nature des collaborations à mettre en œuvre.

S'agissant plus précisément de France Télévisions, le groupe peut apporter dans ce partenariat une expertise reconnue en matière d'information télévisée, celle-ci étant l'un de ses points forts : elle représente 25 % du coût des grilles nationales. France Télévisions peut aussi apporter son soutien technique puisque les rédactions de France 2 et de France 3 sont équipées de serveurs numériques permettant de stocker les images et de les faire circuler très librement entre les rédactions. France Télévisions peut également faire bénéficier la chaîne internationale de sa participation à l'Union européenne de radiodiffusion (UER) qui offre un accès privilégié et gratuit à l'ensemble des images produites par les télévisions partenaires de cette union, ce qui permettrait d'alimenter de façon très fluide et régulière la chaîne d'information. Enfin, France Télévisions est actionnaire principal de TV5 et actionnaire majoritaire de CFI. Elle détient aussi 28 % des parts d'EuroNews. Cette position lui permet de bâtir un certain nombre de synergies avec ces sociétés : on peut notamment imaginer qu'EuroNews et la nouvelle chaîne échangent des images à certains moments de la journée.

CFI a un rôle important à jouer. Sa participation doit s'appuyer sur sa force en tant que banque d'images et de programmes, mais aussi sur la force de son réseau de contacts, notamment en Afrique.

TV5 ne doit pas se sentir menacée par cette future chaîne internationale car elle gardera sa spécificité de porte-voix de la francophonie multilatérale.

Beaucoup reste à faire pour préciser les modalités pratiques de ces partenariats. Pourquoi ne pas soumettre, par le biais de la loi ou de passations d'accords, les diffuseurs privés à l'obligation de fournir aux chaînes internationales les productions d'images et de magazines qui leur sont propres ? Après tout, de par la loi, jusqu'en 1996 TF1 était obligée de livrer à TV5 ses journaux, ses magazines et ses productions. Ce n'est qu'ensuite que, la loi ayant omis de reformuler cette obligation, que TV5 s'est trouvée privée des images de TF1.

Après le lancement de cette chaîne, une recomposition du paysage audiovisuel extérieur s'imposera mais il n'y a pas lieu de redouter cette évolution qui permettra de gagner en cohérence.

Jean Jacques Aillagon, ancien ministre de la culture, déclarait à la mission d'information parlementaire : « Il me semble indispensable, à cette occasion, de repenser, de reconfigurer, de rationaliser l'ensemble du paysage audiovisuel extérieur et national qui est trop complexe, qui compte trop d'opérateurs. Ce qui est important, c'est non pas le nombre de programmes émis, mais la prolifération du nombre des opérateurs. » Il prônait un regroupement des moyens pour créer un pôle radio et un pôle télévision : « Nous avons donc tout à fait intérêt à rationaliser ce paysage. Je pense qu'il serait préférable qu'il n'y ait qu'un seul opérateur en matière de radio, et que RFI, de ce fait, rejoigne Radio France, dont elle serait l'antenne internationale. De même, RFO pourrait rejoindre France Télévisions ».

Concernant TV5 il semblerait plus logique de renforcer les complémentarités avec la future chaîne internationale.

B. UNE CHAÎNE FRANÇAISE INTERNATIONALE POUR QUEL PUBLIC ?

1. De multiples ébauches

Ce projet de chaîne française d'information internationale a suscité de multiples initiatives donnant l'impression d'une course de vitesse désordonnée sans que les fondamentaux de cette chaîne ne soient définis au préalable. Les déclarations du Président de la République ont induit le démarrage de réflexions informelles tant dans les instances gouvernementales que chez les opérateurs audiovisuels. En décembre 2002, estimant que « le fait que les parlementaires prennent toute leur place dans l'élaboration de ce projet sera une garantie pour son succès et pour sa crédibilité », les présidents des commissions des affaires culturelles et des affaires étrangères de l'Assemblée nationale décidaient de créer une mission d'information commune sur les conditions de la mise en place de cette future chaîne de télévision.

Au même moment le ministre des affaires étrangères a décidé de confier à M. Philippe Baudillon, ancien président-directeur général de Canal France International, une mission technique sur l'opportunité de créer cette chaîne et sur les différentes options avec un chiffrage financier précis.

Dans le même temps, à Matignon un groupe informel de travail s'était constitué regroupant des fonctionnaires du ministère des affaires étrangères et de la culture ainsi que des professionnels de la télévision.

Le 26 juin 2003, le Premier ministre confiait à Bernard Brochand, député des Alpes-maritimes, la mission de « faire des propositions de schéma opérationnel de mise en œuvre de la future chaîne d'information internationale en tenant compte des différentes forces mobilisables dans l'audiovisuel français ».

Cette nomination d'un membre de la mission d'information parlementaire allait conduire à une crise ses membres estimant que cette décision pouvait être interprétée comme un déni du travail parlementaire. Le rapport Brochand n'ayant tenu aucun compte de leurs préconisations, ils décidèrent de mettre un terme à leur mission et huit d'entre eux publièrent une tribune dans Libération, en octobre 2003, pour dénoncer cette orientation.

a) L'appel à projet de la direction du développement des médias

En mars 2003, la direction du développement des médias (DDM), service rattaché au Premier ministre lançait un appel à projets. La démarche était présentée ainsi : « L'Etat souhaite susciter le développement d'une chaîne d'information internationale. Émettant prioritairement en langue française, ce service aura vocation à assurer une présence plus importante et plus visible de la France dans la bataille mondiale des images, et à contribuer au pluralisme de l'information internationale en offrant aux téléspectateurs le choix d'un regard différent sur l'actualité. La chaîne d'information internationale devra ainsi contribuer à une stratégie durable d'influence de la France dans le monde ».

La DDM définissait la future chaîne par quelques critères :

- La zone de diffusion. La zone de diffusion visera prioritairement, dans un premier temps, le monde arabe, l'Afrique et l'Europe. Une extension ultérieure à d'autres parties du monde pourra être envisagée.

- Les publics visés et langues de diffusion. La chaîne d'information internationale diffusera prioritairement en langue française. L'opportunité d'une diffusion de versions en anglais, arabe et espagnol devra être envisagée

- Le parti éditorial. Le format de la chaîne sera celui d'une chaîne d'information comprenant le traitement de l'actualité internationale quotidienne, tout en laissant une place importante à des magazines courts relatifs à l'actualité culturelle et économique.

- Les modes de diffusion. Les modes de diffusion pourront combiner la diffusion satellitaire, la diffusion hertzienne, les technologies filaires et les possibilités offertes par l'Internet à haut débit. La technologie numérique devra être pleinement utilisée. Des partenariats pourront être envisagés avec des opérateurs audiovisuels étrangers. Le démarrage effectif de la chaîne doit pouvoir intervenir au cours de l'année 2004.

Quatre projets ont été présentés : le premier associant France Télévisions et RFI ; le deuxième TF1 et LCI ; le troisième Canal + et iTélévision ; le dernier émis par alliance TV.

b) Les préconisations du rapport de M. Philippe Baudillon sur la création d'une chaîne d'information internationale

M. Philippe Baudillon, ancien président-directeur général de Canal France International (CFI), s'est vu confier le 9 décembre 2002 par le ministre des affaires étrangères, M. Dominique de Villepin, une mission technique de trois mois pour étudier la création éventuelle d'une chaîne d'information internationale pour la France. Dans son rapport, il a souligné la responsabilité de la puissance publique pour fixer la stratégie et les objectifs de la future chaîne qui sont une expression de la souveraineté de l'Etat et une dimension de sa diplomatie. Il convient donc qu'un cahier des charges précis soit publié pour permettre ensuite à des professionnels de proposer des montages opérationnels.

La création de cette chaîne doit être l'occasion de redéfinir la politique audiovisuelle extérieure de l'Etat et de rationaliser les structures existantes qui sont redondantes sans qu'aucune autorité n'en assure la cohérence.

La spécificité de ce travail est d'avoir notamment souligné que seule la volonté politique pouvait lancer le projet mais qu'il fallait ensuite se garder de faire intervenir des fonctionnaires pour en définir les implications concrètes car seuls des professionnels sont en mesure de tenir compte des aléas d'un marché audiovisuel très changeant, le partenariat public-privé permettant le meilleur effet multiplicateur tant en termes de compétences que de moyens financiers.

c) La mission d'information commune sur la création d'une télévision française à vocation internationale

Dans son rapport d'étape, la mission d'information parlementaire proposait un certain nombre de préconisations. Elle a interrompu son travail jugeant inutile de le poursuivre alors que le Premier ministre avait mandaté un de ses membres, M. Bernard Brochand, pour lui faire d'autres propositions.

La mission a pris acte de la décision du Premier ministre et a rendu un rapport final très succinct dans lequel elle explique son différent avec le gouvernement et rappelle ses premières propositions qui ont fait l'objet d'un vote unanime de l'ensemble de la mission.

La mission soulignait d'abord que, compte tenu de la faible activité des médias privés à l'étranger et de la puissance des opérateurs publics, il semblait légitime que les pouvoirs publics définissent la stratégie de la future chaîne d'information internationale et précise les principaux aspects de son organisation.

Elle proposait donc que la chaîne soit constituée sous la forme d'un groupement d'intérêt public (GIP), regroupant, au sein d'une entité unique assurant une mission d'intérêt général, des opérateurs publics comme France Télévisions, RFI, RFO, ARTE France, l'AFP, des structures internationales comme TV5 et EuroNews et des entreprises privées, comme TF1 (LCI) ou Canal + (iTELE).

Le statut de la future chaîne d'information à vocation internationale doit lui permettre d'associer les différents acteurs du paysage audiovisuel sans pour autant être rattachée à l'un d'entre eux. Il fallait trouver une solution qui permette d'optimiser l'apport des différents opérateurs qu'ils soient publics ou privés de droit français ou non.

Le rôle de la future chaîne étant de diffuser dans le monde une vision française de l'actualité internationale, sa mission présente incontestablement un caractère d'intérêt général. Les opérateurs qui sont susceptibles d'y contribuer sont par ailleurs majoritairement publics. La formule du groupement d'intérêt public semble en conséquence mieux adaptée au projet que celle du groupement d'intérêt économique.

Le statut de GIP permet de doter la chaîne d'une autonomie suffisante en lui assurant un capital propre tout en lui faisant bénéficier de l'apport des différents opérateurs. La dotation en capital est facultative et les apports des membres peuvent prendre des formes diverses : mise à disposition de personnel fourniture de programmes, de biens ou de services. Pour la gestion du personne, le GIP offre une grande souplesse : il peut recruter du personnel ou avoir du personnel mis à sa disposition qui garde son statut collectif initial. Cette formule juridique permet donc d'allier les garanties que présente le statut de personne morale de droit public avec la souplesse du droit privé.

La mission d'information commune proposait que la chaîne s'appuie sur deux filiales du GIP constituées d'une part par une banque d'images et de programmes, chargée de la collecte de l'information dans le monde entier, et d'autre part par une société éditrice, responsable de l'organisation de l'information et de sa mise à l'antenne.

La société éditrice serait principalement constituée d'une équipe éditoriale qui pourrait être constituée par les équipes actuelles de la rédaction de TV5 (soit 35 personnes). La chaîne doit en effet avoir la capacité, en dernier recours, d'envoyer des journalistes sur le terrain lorsque les correspondants des différents actionnaires ne peuvent pas assurer son alimentation de façon satisfaisante.

La chaîne commencerait à émettre sur la zone Europe - Afrique - Moyen-Orient en français, anglais et arabe et élargirait progressivement sa diffusion en émettant dans d'autres langues.

Pour autant, cette chaîne ne doit pas être conçue comme un instrument au service exclusif de la diplomatie française. Rien ne serait plus critiquable que de créer une ORTF à vocation planétaire, car une telle chaîne, conçue comme la « voix de la France », aurait toutes les chances d'être purement et simplement inaudible.

La future chaîne diffuserait un journal de trente minutes toutes les heures, les trente minutes restantes étant consacrées à des magazines (reportages, documentaires) ou à des émissions de plateau permettant de mettre l'actualité en perspective. Les décrochages en langue étrangère devraient avoir lieu à heure fixe, à raison d'au moins quatre par jour

La distribution de la chaîne serait assurée tout à la fois par les services de distribution d'EuroNews ou de TV5, au titre de leur participation au GIP, et par des prestataires extérieurs, opérateurs de bouquets de programmes français ou distributeurs internationaux de services. Dans un deuxième temps, elle serait accessible sur le territoire français.

Le financement public alloué à la nouvelle chaîne proviendrait principalement de subventions de l'Etat et, à titre complémentaire, de la redevance audiovisuelle sans prélèvement sur les moyens des opérateurs publics existants.

La question de l'origine des financements publics pose bien évidemment celle de la tutelle qui s'exercerait sur cette chaîne. Le recours aux produits de la redevance audiovisuelle ferait entrer le ministère de la culture et de la communication dans le jeu, alors que le financement par le seul budget des affaires étrangères préserverait la prééminence du Quai d'Orsay en matière d'audiovisuel extérieur.

d) Le rapport de M. Bernard Brochand sur le projet de chaîne française d'information internationale

Ce rapport, remis au Premier ministre le 18 décembre 2003, tient pour acquis la nécessité de créer une chaîne internationale et souligne le contexte hyperconcurrentiel du secteur. M. Bernard Brochand ne s'interroge pas vraiment sur l'existence d'un public téléspectateur en attente d'une telle chaîne puisqu'il déclare : « La création de cette chaîne ne répond pas à une demande ou à un besoin mais doit susciter l'adhésion. Le ciblage est un exercice nécessaire qui ne peut être effectué sans référence à la concurrence ».

La cible recherchée devrait donc être similaire à celle de CNN ou BBC World qui s'adressent aux décideurs mondiaux et aux professionnels des médias.

Cette cible suppose donc que l'on s'adresse à elle en anglais et en arabe, le multilinguisme apparaissant comme un élément fondamental de réussite. Le traitement de l'information doit être effectué dans une logique internationale et non avec un prisme domestique mais la ligne éditoriale doit être clairement identifiée comme française.

Il s'agit ensuite de créer un produit attractif avec des productions exclusives afin de fidéliser un auditoire qui sera tenté par d'autres chaînes s'il n'y a pas d'originalité dans ses productions.

Selon M. Bernard Brochand les conditions de lancement seront importantes pour le marketing de la chaîne ; elle doit aussi d'emblée avoir un logo et un nom de marque aisément compréhensible sur toute la planète.

La participation de l'Etat apparaît comme indispensable car aucune chaîne d'information existante n'est rentable et toutes les chaînes comparables ont des concours publics à l'exception de CNN. Pour autant cette chaîne ne doit pas être perçue comme un organe gouvernemental. Pour éviter toute ambiguïté il faut donc associer des partenaires publics et privés.

Certains critères apparaissent comme des gages de réussite :

- une capacité de réactivité par l'existence d'un réseau de correspondants pouvant produire des images exclusives ;

- une présence dès le lancement de la chaîne en Europe, en Afrique et au Proche-Orient ;

- la chaîne doit être présente sur les bouquets satellitaires numériques par le câble et via une connexion internet à haut débit ;

- le multilinguisme ;

- la garantie de l'indépendance de la ligne éditoriale.

Pour ce qui est de la forme juridique à retenir, M. Bernard Brochand propose de créer une société où France Télévisions et TF1 détiendraient 50 % des parts. Il s'agirait de mutualiser l'ensemble des moyens existants comme par exemple les ressources de l'AFP, de RFI,... Il est proposé de créer un club des fondateurs qui parraineraient le projet, les recettes publicitaires devant être faibles au démarrage. Une première estimation du coût établit la phase préparatoire à 40 millions d'euros et une phase opérationnelle avec un budget 70 millions d'euros.

Pour M. Bernard Brochand, cette chaîne doit être l'occasion d'un redéploiement de l'audiovisuel public en rationalisant l'offre publique et en supprimant les rédactions de TV5 et d'Arte chargées de l'information. Une économie de 15 millions d'euros serait possible. Il serait souhaitable de réorganiser l'information francophone en regroupant TV5 et RFO. Enfin cette chaîne ne serait pas diffusée sur le territoire national.

2. L'avis des téléspectateurs potentiels

Alors que le dossier de la chaîne internationale est actuellement bloqué, il est apparu intéressant de changer d'approche et en partant des attentes des téléspectateurs potentiels. C'est pourquoi le rapporteur pour avis s'est rendu en Egypte, pays où le français n'est ni une langue vernaculaire, ni une langue administrative mais où la France jouit d'une image très positive et dans lequel il existe un réseau francophone très vivant en raison de la présence d'une bourgeoisie qui a été scolarisée en français, même si ce bilinguisme est beaucoup moins net dans les jeunes générations. Actuellement 46 000 élèves sont scolarisés en français mais 1,7 million apprend notre langue au titre des langues étrangères.

Une série de rencontres ont donc été organisées grâce à l'aide très efficace de l'ambassade de France au Caire pour tenter d'appréhender quelles étaient les aspirations de la population en matière d'information et d'émissions culturelles.

En Egypte les médias sont contrôlés et la lecture de la presse écrite n'est pas très développée en raison du coût des quotidiens dont le prix oscille entre 0,5 et 1 livre égyptienne le salaire moyen avoisinant les 400 livres. Les radios sont beaucoup plus écoutées pour l'information et la télévision est très présente avec des chaînes nationales hertziennes qui sont regardées pour leurs programmes de divertissement et des connexions satellitaires souvent piratées.

L'estimation du nombre de foyers connectés aux chaînes satellitaire paraît très difficile à mesurer en raison de la multiplicité des décodeurs pirates mais il n'en demeure pas moins que les chaînes satellitaires ont une réelle influence, même si les estimations indiquent que 10 % des foyers auraient accès au satellite.

Un consensus s'est dégagé lors des auditions conduites par le rapporteur pour avis, pour dire que la chaîne française internationale était attendue tout particulièrement dans le domaine de l'information. Même si la chaîne Al Jazeera est regardée et a une influence certaine sur le sentiment antiaméricain grandissant, il n'en demeure pas moins que cette chaîne n'est pas considérée comme une chaîne de référence sa ligne éditoriale étant trop idéologique.

La perception de la France est assez réductrice, notre pays étant assimilé au pays du luxe et du raffinement, avec une dimension nostalgique pour la population plus âgée qui a connu une époque où la culture française était l'unique référence des classes dirigeantes égyptiennes notamment en raison de l'influence des établissements français d'enseignement souvent tenus par des congrégations religieuses.

Tous les interlocuteurs ont insisté sur la nécessité de garantir l'indépendance éditoriale de cette chaîne qui ne doit à aucun moment apparaître comme la voix de la diplomatie française, ce qui a déjà été souligné par les différentes missions conduites en France. La plupart des contacts ont cité comme contre-exemple la chaîne lancée récemment par le Pentagone « Al Hurra » qui est assimilée à une œuvre de propagande alors même qu'elle ne fait pas uniquement de l'information.

Les représentants du monde économique égyptien, dont deux responsables du secteur des télécommunications, ont insisté sur l'importance de l'association de capitaux privés et l'éventualité de ressources publicitaires qui seront autant de signes d'indépendance.

La curiosité pour la France ne signifie pas pour autant que les Égyptiens soient demandeurs d'une retransmission brute d'émissions de la télévision française. Ils estiment important que cette chaîne ait un contenu qui soit adapté au monde arabe et ne soit donc pas formatée pour s'adresser à un public mondial. C'est pourquoi la plupart des personnes auditionnées ont suggéré de faire intervenir des journalistes recrutés localement pour qu'ils puissent être de bons médiateurs culturels vis-à-vis de la population locale.

Le choix de la langue a fait l'objet de longs débats mais il ressort clairement de ces échanges, la nécessité de diffuser essentiellement en langue arabe, accessoirement en anglais et seulement en français pour les programmes éducatifs d'apprentissage de notre langue, pour toucher une large part de téléspectateurs.

Le choix de l'arabe médian devra s'imposer pour permettre une diffusion au Maghreb et au Moyen-Orient. L'arabe médian est une forme d'arabe qui représente le dénominateur commun linguistique du monde arabe même si son utilisation est difficile lors des débats car chaque interlocuteur a tendance à s'exprimer avec des expressions dialectales de sa région d'origine. Mais cette solution paraît bien préférable au recours à l'arabe classique qui n'est compris que par une minorité.

Le contenu des programmes de cette chaîne a suscité des commentaires assez variés. Concernant l'information tous les interlocuteurs ont conseillé de se démarquer clairement de la politique de TV5, jugée trop institutionnelle, diffusant certes des informations trop déconnectées des centres d'intérêt des populations locales. Les étudiants égyptiens du département francophone de sciences politiques ont souligné le manque d'ancrage local de ces informations. De plus TV5 n'est pas considérée comme une chaîne française mais beaucoup plus comme un organe d'expression de la francophonie.

Les différents interlocuteurs se sont dits très intéressés par des débats de société avec un attrait évident pour les controverses polémiques et un goût pour l'ironie. Les étudiants ont même évoqué la possibilité de créer l'équivalent des Guignols de l'info !

Les personnes auditionnées ont dans l'ensemble indiqué qu'elles préféraient une chaîne généraliste avec des émissions culturelles, des émissions pour les jeunes et des programmes de sport.

Mme Hala Sarhan, directrice générale d'une télévision privée (« Rotana ») financée par des capitaux saoudiens a longuement insisté sur l'importance de la cible « jeunes » car cette tranche d'âge 13-30 ans représente 70 % de la population égyptienne. Le sport lui paraît être une dimension très importante dans un pays ou Zinédine Zidane est le Français le plus populaire

Plusieurs pistes de positionnement de la chaîne, pour qu'elle parvienne à se différencier au sein d'un paysage audiovisuel abondant, ont été suggérées.

Comme cela a déjà été noté, les étudiants égyptiens ont souhaité que cette chaîne soit une chaîne qui les initie aux mécanismes de la démocratie. Ils ont par exemple montré leur intérêt pour des émissions sur les campagnes électorales, le financement de la vie politique, etc.

Au Centre d'études politiques d'El Ahram, il a été souligné l'importance du dialogue des civilisations que la chaîne pourrait favoriser. M. Abel Monein Said, directeur de ce centre, a estimé que des informations dépassionnées sur le conflit israélo-arabe seraient très utiles.

M. Oussama El Ghazaly Harb, rédacteur en chef de la revue Politique internationale, a considéré que cette chaîne devait encourager les courants libéraux et modernisateurs de la pensée arabe. Il conviendrait de fait que les Occidentaux reconnaissent leur responsabilité dans la montée de l'intégrisme islamique qui a été encouragé notamment par les Américains contrer l'influence soviétique.

Cette chaîne devrait aussi permettre de faire évoluer le regard porté par les opinions arabes sur les pays européens de même que sa mise en place doit être l'occasion pour les Français de changer leur regard sur les sociétés arabes. Cette chaîne doit être l'occasion de s'ouvrir sur le monde extérieur de découvrir une autre vision du monde avec des concepts nouveaux comme les droits de l'homme ou l'écologie. Ces thèmes ne devraient plus être perçus comme une volonté d'imposer des valeurs occidentales ou une tentative d'acculturation de populations tentées par un repli identitaire.

Le thème de la sexualité même s'il est difficile à aborder paraît sensible qu'il s'agisse de la liberté de disposer de son corps ou de la maîtrise de la fécondité.

Les Egyptiens sont donc convaincus que la France a une voix à faire entendre dans le paysage audiovisuel et qu'il faut qu'elle considère son originalité voire même son étrangeté comme un atout pour se différencier dans l'offre pléthorique audiovisuelle.

L'apport de capitaux privés sera difficile car des tentatives passées de créer une chaîne d'information ont été vouées à l'échec et la rentabilité d'un tel projet est très incertaine. Cependant leur présence sera un gage de professionnalisme, permettra un ancrage local et offrira des garanties d'indépendance.

3. Des points de consensus

Des points de convergence apparaissent clairement de la conduite de nos auditions sans qu'il soit besoin de revenir sur la nécessité de création de cette chaîne qui suscite une forte attente.

a) Une chaîne d'information et d'animation culturelle

L'idée d'une chaîne internationale uniquement consacrée à l'information paraît trop limitée. Elle devrait offrir des productions plus diversifiées pour véhiculer une image de la France, puissance économique, commerciale et technologique, qui pour nombre de nos interlocuteurs est apparue presque plus importante que la seule voix de la France.

L'objectif est de toucher un large public ce qui permettra à cette chaîne d'avoir, par ricochet, un réel impact sur les classes dirigeantes des pays visés.

Cette attente d'une chaîne qui puisse aussi divertir a été constante lors de nos entretiens en Egypte, la culture étant perçue de manière large et comprenant des œuvres de fiction, de la musique et du sport.

Une chaîne globale semble être perçue comme une chaîne incapable d'atteindre des objectifs ambitieux d'audience de par la diffusion de contenus non adaptés aux publics visés et donc peu attractifs.

Pour éviter cet écueil, il semble donc que cette chaîne devrait se décliner en écrans régionaux à partir d'une chaîne matrice qui coordonnerait les rédactions locales. La sensibilité des pays arabes est ainsi spécifique et seule une chaîne adaptée à leur culture et construite en coopération avec des journalistes recrutés localement pourra être performante car largement regardée.

Cette chaîne doit néanmoins être clairement identifiée à la France, plus qu'à l'Union européenne moins visible, et ne pas rechercher un multilatéralisme qui risquerait d'affaiblir sa spécificité. La vision du monde de la France ne doit pas nécessairement passer par l'utilisation trop exclusive de la langue française car l'objectif de cette chaîne va au-delà d'une simple défense de la francophonie. Elle doit permettre d'exprimer un certain humanisme et œuvrer pour la diversité culturelle dans un monde multipolaire.

A la différence des Etats-Unis la France n'a pas de modèle de civilisation à exporter. Elle doit favoriser l'expression des cultures et lutter contre une tendance à l'homogénéisation et à la standardisation que produit la mondialisation.

Sans cet encouragement à la diversité, le monde risque d'être partagé en communautés qui chercheront à se protéger contre la menace d'uniformisation en se repliant sur les aspects les plus archaïques de leur identité avec une défense agressive de leurs particularismes.

Cette chaîne doit être l'occasion de faire comprendre l'originalité de la position de la France qui est à la fois un pays intégré dans l'Union européenne, le moteur de la francophonie et une puissance méditerranéenne.

b) Une chaîne multilingue

Pour toucher le plus grand nombre, il convient que cette chaîne s'exprime dans la langue régionale la plus fréquemment utilisée. Dans un premier temps cette chaîne devrait recourir à l'arabe médian et à l'anglais et envisager ensuite une diffusion dans d'autres langues pour d'autres zones.

Le multilinguisme ne signifie pas la disparition du français qui pourra être utilisé pour certaines émissions mais il conviendra alors de prévoir un sous-titrage pour faciliter la compréhension de la langue parlée. Il va de soi que l'usage du français concernera prioritairement les programmes éducatifs permettant l'apprentissage de notre langue.

Un effort de pédagogie est également nécessaire pour essayer de traduire en certaines de nos valeurs. A plusieurs reprises les interlocuteurs rencontrés au Caire ont ainsi déploré l'absence de travail explicatif de la France lorsqu'a été débattue la loi « sur le voile ». En effet cette initiative n'a pas été perçue comme une loi portant sur tous les signes ou tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics mais comme une mesure antireligieuse.

L'actuel débat engagé dans notre pays sur l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne pourrait faire opportunément l'objet du même effort.

c) L'intérêt de partenariats avec les médias locaux

Il semble plus que jamais souhaitable que cette chaîne soit impulsée par la puissance publique qui, comme l'a souligné M. Philippe Baudillon, doit fixer les objectifs et rédiger un cahier des charges permettant à des professionnels de préparer un projet opérationnel.

La réflexion sur la faisabilité du projet doit être confiée à des professionnels des médias. Seule une étude approfondie pourra permettre de déterminer la formule juridique la mieux adaptée pour créer cette future chaîne mais il semble d'ores et déjà indispensable qu'elle repose sur un partenariat public-privé équilibré, chaque participant devant contribuer par des apports en nature ou financiers à la hauteur de sa responsabilité dans la détermination éditoriale de la chaîne.

Le projet présenté par le rapport Brochand apparaissait comme beaucoup trop déséquilibré, les finances publiques supportant l'essentiel de la charge du budget de la future chaîne alors que la position de TFI était renforcée puisqu'elle ne risquait pas notamment de souffrir de la diffusion nationale de cette chaîne internationale qui aurait pu réduire l'audience de LCI. Les formes de coopération pourront être variées selon que les contributions se traduiront par une forme d'association au capital ou se limiteront à l'apport d'une expertise technique.

Il est particulièrement utile de créer des partenariats locaux pour mettre en place une sorte de chaîne transnationale qui exprime une vision française de l'information mais qui soit aussi profondément en phase avec les réalités locales. L'idée de créer une chaîne globale comme l'est le projet initial d'une « CNN à la française » paraît déjà dépassée en raison de l'aspiration des téléspectateurs à avoir une télévision proche de leurs préoccupations et leur permettant une véritable ouverture sur les grands débats de la planète.

Indiquons ici les propos très éclairants de M. Hussein Amin, directeur du département journalisme à l'Université américaine du Caire, selon lesquels une chaîne globale d'information à diffusion mondiale, du type CNN à la française, « était le standard il y a quatre ans et appartient aujourd'hui au passé » ajoutant que « les rapports remis à ce sujet sont désormais des ouvrages historiques... ».

La question du financement de cette chaîne reste entière. Les contributions publiques seront naturellement importantes et il semble opportun de prévoir que la chaîne puisse être accessible sur le territoire national pour permettre aux communautés issues de l'immigration de retrouver des émissions en arabe et offrir à l'ensemble de nos concitoyens une ouverture à l'information internationale. Cette hypothèse permettrait aussi de justifier qu'une partie de la redevance puisse financer la chaîne.

Les budgets prévisionnels n'ont pu être déterminés avec précision car trop de paramètres ne sont pas connus. Une fourchette de 80 à 200 millions a été avancée.

Le choix des modes de fabrication de cette chaîne est essentiel car il faut intégrer des économies d'échelle tout en évitant de produire des programmes standardisés. Le recrutement de journalistes locaux paraît être une garantie pour éviter des productions sans originalité et peu adaptées à leur public. Cette chaîne devrait s'inspirer du mode de fonctionnement de France 3 qui tout en ayant une matrice commune dispose de rédactions régionales assez autonomes pour coller à l'actualité locale. La mise en place de sociétés locales de production paraît très importante pour enrichir les programmes et donner un ton propre à chaque rédaction.

Il serait aussi important de faire en sorte que la rediffusion sur la chaîne internationale de programmes français fasse l'objet d'une perception de droits d'auteur et de droits voisins qui, après négociation, ne soient pas un obstacle à la reprise d'œuvres françaises de qualité.

Cette chaîne permettrait d'accroître considérablement la visibilité de l'offre culturelle française notamment celle des instituts et des centres culturels dans les domaines du spectacle vivant et des arts plastiques et de décupler l'influence de la culture française qui doit avoir pour socle l'enseignement du français pour les enfants d'expatriés comme pour les enfants locaux non français.

Sans cette complémentarité entre l'enseignement, l'action culturelle et un média audiovisuel, la culture française n'aura qu'une influence segmentée alors qu'avec cette triple dimension l'image de la France aura une large diffusion.

Cette chaîne est une occasion unique pour la France de faire entendre sa voix mais aussi de permettre à toutes les nations d'exprimer la leur car cette chaîne sera comme une formidable caisse de résonance des cultures du monde.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission a examiné pour avis, sur le rapport de M. Patrick Bloche, les crédits de la francophonie et des relations culturelles internationales pour 2005, au cours de sa séance du mercredi 3 novembre 2004.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur pour avis.

M. Marc Bernier a souligné que le sujet abordé par le rapporteur pour avis intéresse l'ensemble des commissaires. Les crédits de la francophonie sont en effet importants pour le rayonnement linguistique de notre pays et l'on peut s'interroger également sur l'intérêt porté à un projet de télévision française d'information internationale non seulement dans les pays arabes mais aussi en Amérique latine et en Asie du sud-est. La chaîne Al Jeezira ne peut être prise comme modèle et CNN inonde déjà les réseaux internationaux. C'est pourquoi cette chaîne française serait un outil important dans le cadre de la diversité culturelle.

M. Alain Néri a déploré l'insuffisance des crédits mis à la disposition de l'enseignement français à l'étranger. Il est nécessaire de renforcer les moyens dont disposent ces établissements qui subissent la concurrence des écoles anglophones. L'augmentation du nombre de bourses en faveur des étudiants étrangers constitue un élément satisfaisant du budget pour 2005.

Le président Jean-Michel Dubernard a salué la démarche du rapporteur pour avis, qui a choisi un angle d'attaque bien défini afin de défendre la francophonie et s'est rendu sur place pour mesurer les attentes. On doit se réjouir de l'augmentation du nombre de bourses en faveur des étudiants étrangers qui peut permettre le retour d'étudiants en provenance notamment d'Amérique latine, en particulier dans le domaine de la médecine, dont l'absence est préjudiciable au développement de la francophonie et de la francophilie.

Tous les facteurs de rayonnement de la France dans les domaines du sport, de la recherche voire de la mode doivent être mobilisés, afin que cette chaîne soit une véritable vitrine de notre pays. Enfin, il serait intéressant de connaître la tonalité des propos du responsable de l'université américaine du Caire sur ce projet audiovisuel.

En réponse aux différents intervenants, M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis, a apporté les précisions suivantes :

- Il est nécessaire de rationaliser l'enseignement du français à l'étranger, qui a d'ailleurs fait l'objet de critiques de la part de la Cour des comptes. Un équilibre doit être recherché entre le nombre de professeurs expatriés et de professeurs locaux.

- La DGCID fait l'objet de nombreuses mesures de régulation budgétaire.

- Les établissements scolaires français à l'étranger assurent toujours l'enseignement destiné aux enfants français expatriés mais de moins en moins celle des enfants étrangers.

- Il n'existe pas de chaîne cohérente de l'enseignement du français à l'étranger en raison du manque d'établissements supérieurs alors qu'il y a tout intérêt à former des décideurs francophiles.

- Il faut se réjouir de l'augmentation de 1 million d'euros des bourses, qui doit permettre à la France de combler son retard accumulé au cours des années 90 en matière d'accueil d'étudiants étrangers.

- La chaîne d'information internationale doit avoir une vocation généraliste comme l'ont indiqué tous les interlocuteurs rencontrés au Caire.

- La question de la langue doit être dépassée car le message est plus important que la langue ; le sous-titrage peut être employé afin de toucher le plus vaste public possible.

- Contrairement aux espaces hispanophones ou lusitanophones, l'espace francophone est organisé.

- Cette chaîne doit être présente au Moyen-Orient ainsi qu'au Maghreb, ce qui est tout à fait possible puisqu'un satellite couvre cette zone. Il est nécessaire de trouver un idiome arabe standard afin de toucher les différentes populations de cette zone.

- Dans la mesure où il est important pour des raisons démographiques évidentes de toucher un public jeune, les programmes doivent comprendre des divertissements ainsi que du sport.

- Il est tout a fait envisageable d'adapter ce projet de chaîne aux différentes zones géographiques, Amérique Latine ou Asie du sud-est, en développant des partenariats locaux et en ayant recours à la diffusion satellitaire et hertzienne.

M. Céleste Lett a rappelé l'importance de la francophonie en Allemagne et a souhaité que l'enseignement de l'allemand se fasse de manière plus précoce pour combler le retard vis-à-vis de nos voisins.

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis, a souligné que l'action de la DGCID n'est pas principalement axée sur l'Union européenne. La rationalisation du réseau consulaire peut permettre de dégager des crédits pour relancer l'action culturelle. Le projet de chaîne française d'information internationale doit apporter un plus par rapport à la chaîne allemande d'information internationale jugée trop culturelle.

Le rapporteur pour avis s'en étant remis à la sagesse de la commission, celle-ci a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la francophonie et des relations culturelles internationales pour 2005.

LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES

Déplacement du 10 au 13 octobre 2004 au Caire (Egypte)

_ Ministère de l'information égyptien - M. Mamdouh El Beltagui, ministre

_ Ambassade de France en Egypte

· M. Jean-Claude Cousseran, ambassadeur de France en Egypte

· M. Hervé Besancenot, chargé d'affaires a.i.

· Mme Anne Mougneres, premier secrétaire

· M. Romaric Roignan, premier secrétaire

· Mme Anne-Hélène Roignan, conseillère commerciale

· M. Peter Loussararian, attaché audiovisuel

· M. Christophe de Beauvais, attaché de coopération scientifique et universitaire

· M. Bernard Hugonnot, attaché culturel

· M. Denis Louche, directeur du Centre français de culture et de coopération (CFCC)

· M. Claude Poulet, directeur-adjoint du CFCC

_ Fondation Ford - Mme Dina El Khawaga, directrice de recherches

_ Centre d'études politiques et stratégiques d'El Ahram - M. Abdel Moneim Said, directeur du centre, et M. Oussama El Ghazaly Harb, rédacteur en chef de la revue Politique internationale

_ Université du Caire - M. Jean Marcou, directeur du programme francophone à la faculté d'économie et des sciences politiques

_ Quotidien Al Masri Al Youm - M. Hicham Qassem, vice-président

_ Université américaine - Dr Hussein Amin, directeur du département journalisme

_ Correspondants des médias au Caire :

· Mme Denise Ammoun, Le Point/La Croix

· M. Alexandre Buccianti, RFI (service français)

· M. Nabil Darwish, RFI/RMC (service arabe)

· Mlle Claude Guibal, Libération/LCI

· M. Marc Innaro, RAI

· M. Antoine Perruchot, Radio France

_ Nile Sat - M. Amin Bassioouni, président, et M. Salah Hamza, directeur général

_ Good News 4 me - M. Emad Adib, président-directeur général

_ Rotana/Groupe Prince Walid - Mme Hala Sarhan, directrice régionale

_ Al Ahram Hebdo - M. Mohammed Salmawi, rédacteur en chef

N° 1864 - tome I - Avis de la commission des affaires culturelles sur le projet de loi de finances pour 2005 : francophonie et relations culturelles internationales (rapporteur : M. Patrick Bloche)


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