COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 25

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 4 février 2003
(Séance de 16 heures 15)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président.

SOMMAIRE

 

pages

- Audition, ouverte à la presse, de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, et de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, sur la réforme des retraites

2

- Informations relatives à la commission

17

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, et M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, sur la réforme des retraites.

Le président Jean-Michel Dubernard a estimé que le Premier ministre a donné devant le Conseil économique et social le « coup d'envoi » de la réforme des retraites. Le chef du gouvernement a rappelé l'urgence de la situation, avec l'arrivée à la retraite de la génération du baby-boom, l'allongement de l'espérance de vie et la baisse prévisible du nombre d'actifs à compter de 2005. Sur la base de ce diagnostic, il a esquissé sa méthode de travail et les trois axes retenus : « fermeté sur les principes », « ouverture sur les modalités » de la réforme et « détermination sur le calendrier ». La période qui s'ouvre s'achèvera avec l'adoption d'un texte de loi avant cet été.

Evoquant la « tournée européenne » à laquelle le ministre des affaires sociales l'a convié, le président Jean-Michel Dubernard a indiqué avoir été frappé par le fait qu'en Finlande, en Suède ou en Allemagne tous les partenaires sociaux, bien sûr, mais aussi tous les représentants de la précédente majorité sont associés aux réformes engagées par les nouveaux gouvernements. Le plus souvent, la réforme a été faite, par-delà les oppositions partisanes, dans un esprit de consensus. Cela vaut pour nos voisins qui ont une tradition ancienne de dialogue social, comme en Europe du Nord, mais aussi pour ceux dont l'histoire sociale a été plus conflictuelle, comme l'Italie ou l'Espagne. Il faut, en France, engager cette réforme dans le même esprit. En tout cas, comme l'a dit le Premier ministre, il faut « aller aussi loin que possible ensemble » pour dégager des lignes de force communes qui ne seront pas remises en cause sous les prochaines législatures.

Les élus de la majorité comme de l'opposition ont fait part de leur souhait d'être rapidement associés au débat sur cette réforme difficile. C'est pourquoi, il a paru souhaitable de convier les ministres en charge de la réforme à venir s'exprimer devant la commission dès le lendemain des annonces faites par le Premier ministre devant la Conseil économique et social.

La commission des affaires sociales entend assumer pleinement son rôle dans la réforme à venir. Le Parlement se doit, en amont du dépôt d'un projet de loi, d'animer une réflexion et de faire des propositions. C'est dans cet esprit que la commission devrait organiser prochainement, avec la commission des affaires sociales du Sénat, une rencontre avec des parlementaires espagnols et suédois pour évoquer la réforme conduite dans leur pays en concertation avec la majorité et l'opposition.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, a indiqué que le temps de rapports et des reports est révolu sur cette question déterminante pour l'avenir du pacte social.

Il faut maintenant agir avec détermination et prendre ses responsabilités, car tout délai supplémentaire ne ferait que saper davantage ce pilier de l'équilibre social et exposerait au risque d'un affrontement entre générations et à des injustices inacceptables. De même, il faut engager le sauvetage du système par répartition car ce sont les salariés les plus modestes qui souffriraient le plus de son naufrage. Comme l'a dit le Premier ministre : « les Français les plus aisés trouveront toujours les moyens de surmonter les difficultés par leur épargne ».

Sous l'autorité du Président de la République, le gouvernement a désormais engagé la réforme. Le Premier ministre a choisi le Conseil économique et social, assemblée qui rassemble l'ensemble des forces économiques et sociales, pour prononcer un discours sur le constat, la méthode et les grands principes qui guideront l'action du gouvernement.

Le constat sur les retraites commence à être connu et même peut-être partagé par un nombre croissant de nos concitoyens. C'est à partir de ce constat que pourra se bâtir un consensus national sur 1'avenir des retraites. Les syndicats, pour la première fois, se sont réunis autour de principes communs. Plusieurs éléments ressortent de cette prise de position et des récentes manifestations.

D'abord, le mot réforme n'est plus tabou, c'est dire que le constat sur l'urgence et l'action est intégré. C'est le statu quo qui aggraverait aujourd'hui l'inquiétude des Français, alors qu'ils attendent une action déterminée et concertée. Ensuite, l'enjeu de la réforme est clair : il s'agit de sauver le régime par répartition. C'est précisément l'objectif central du gouvernement. Le Premier ministre l'a précisé devant le Conseil économique et social : il ne sera proposé ni de tout chambouler, ni de privatiser. Il convient de s'inscrire dans le respect des principes fondateurs de la sécurité sociale. Enfin, la demande d'un dialogue nourri avec les partenaires sociaux a été entendue. Les ministres écouteront attentivement et, sur certains points, ils négocieront. Il faudra aller aussi loin qu'il est possible dans le rapprochement des différentes propositions.

Un projet de loi devrait être présenté au Parlement avant la fin du premier semestre 2003. Cela laisse le temps à la concertation et à la négociation, sans trop laisser le temps au temps. Il y a donc un calendrier et il sera tenu.

La situation financière sur l'avenir des retraites est connue. Tous régimes confondus, le besoin de financement est de 50 milliards d'euros en 2020, dont 28 pour les régimes de la fonction publique et 15 pour le régime général. Il est de 100 à 120 milliards d'euros en 2040. Le rapport du Conseil d'orientation des retraites l'a montré : si aucune réforme n'est engagée d'ici 2040, soit le montant des retraites est - par rapport au revenu d'activité - quasiment divisé par deux, soit le taux de cotisation est augmenté de 60 %. Il faut sortir la France de cette alternative inacceptable.

On peut toujours objecter que 2040, c'est loin. Mais l'avenir démographique est une certitude : tous les futurs retraités de 2040 sont déjà nés.

On peut toujours objecter qu'il suffit d'affecter d'autres ressources que des cotisations à la branche vieillesse. Mais, ces prélèvements nouveaux ne pèseraient pas moins sur les actifs et sur la compétitivité de notre économie. La réalité, c'est que pour couvrir le déficit prévu des régimes de retraites, il faudrait soit doubler l'impôt sur le revenu d'ici 2020, soit doubler la TVA d'ici 2040. Certains préconisent cette voie. Elle peut être débattue sur le plan intellectuel. Mais elle apparaît comme incompatible avec une politique économique assurant la compétitivité et le développement de l'emploi. Elle ferait peser sur les Français un niveau de prélèvements obligatoires à la fois déraisonnable et inconciliable avec les engagements européens de la France.

On peut toujours objecter que la croissance et le plein emploi viendront au secours du système. Mais, le Conseil d'orientation des retraites l'a montré, une plus grande croissance économique présenterait un impact très modéré pour alléger la charge, même s'il est indéniable que la situation du marché de l'emploi dans les années à venir aura pour conséquence d'accélérer ou de retarder l'imminence des déséquilibres.

Cependant, au delà des chiffres de base sur lesquels tout le monde est d'accord, la réforme ne saurait être limitée à des nécessités financières ou des logiques comptables. La réforme des retraites est véritablement un enjeu de société. A travers elle se pose tout un faisceau de questions qui traversent notre modèle social transformé par le choc démographique.

Comment répondre au vieillissement accéléré de la population active à compter de 2006 lorsque les départs à la retraite atteindront 800 000 personnes contre 550 000 aujourd'hui ? Cela pose la question de la politique de la natalité et de la politique familiale en général mais oblige aussi à s'interroger sur la manière dont la société compte appréhender une situation où une personne sur trois aura plus de soixante ans en 2040, contre une sur cinq actuellement.

Il faut voir dans cette formidable évolution non pas nécessairement un handicap et une crispation, mais un défi positif à relever pourvu qu'on y réfléchisse et qu'on agisse ensemble. Cela obligera à revoir la politique familiale, à réajuster notre regard sur le rôle des seniors, en particulier dans le monde du travail, à revoir la formation des hommes et des femmes tout au long de la vie, sans doute même à porter un autre regard sur une politique d'immigration choisie, maîtrisée et assumée.

Le gouvernement n'a pas la prétention d'embrasser en une seule réforme l'ensemble de ces sujets. Il faut garder à l'esprit que la réforme des retraites constitue un pivot autour duquel toutes ces questions gravitent et s'influencent les unes les autres pour façonner l'avenir du pacte républicain.

Il faut se garder d'avoir une approche trop « franco-française » du problème des retraites. Les défis posés par le vieillissement de la population, l'allongement de la durée de la vie, le travail des salariés expérimentés sont des questions que se posent tous les pays européens.

C'est pourquoi un déplacement dans quatre pays européens a été effectué en compagnie de représentants d'organisations syndicales et des présidents des commissions des affaires sociales des deux assemblées. Il est très instructif d'aller ensemble voir sur place comment les partenaires européens s'y prennent. Pour faire ressortir aux Français que le problème n'est pas seulement hexagonal mais aussi pour constater que partout l'enjeu dépasse les clivages politiques et que les réponses apportées n'obéissent pas à des partis pris idéologiques. C'est bien pour cela que certains de ces pays ont réussi à réformer dans le consensus. L'Allemagne, la Suède et la Finlande sont des pays à forte tradition sociale. Cela montre que l'on peut conjuguer le maintien d'une bonne protection sociale et une réforme des retraites : c'est même la réforme qui est le garant du maintien d'une bonne protection sociale, puisqu'elle permet d'en assurer la pérennité.

Chaque pays a son histoire sociale et ses traditions. Il n'y a pas de modèle à copier, ni de réforme clefs en main à importer. Il y a, en revanche, de bonnes idées qui méritent d'être examinées : le système d'information des assurés retenu dans la réforme suédoise, le plan visant à relever le travail des salariés expérimentés en Finlande, le dispositif permettant aux salariés espagnols de plus de soixante-cinq ans de travailler partiellement.

Ces dispositifs en faveur des salariés âgés montrent combien notre vision malthusienne du marché du travail est dépassée. Même si le taux de chômage espagnol a considérablement reculé, il reste plus élevé qu'en France. Pourtant, les organisations syndicales ne contestent pas l'effort en faveur du travail des salariés âgés sous prétexte qu'il faut laisser la place aux jeunes.

Force également est de constater qu'il n'y a pas d'opposition systématique des partenaires sociaux et des forces politiques aux mécanismes d'épargne retraite, qui peuvent être individuels ou collectifs, obligatoires ou facultatifs.

Dans ces pays, les réformes présentent toutes un caractère continu et progressif. Continu, parce qu'elles font l'objet d'évaluations et d'adaptations à échéance régulière. Progressif, parce qu'il n'y a pas de « grand soir » ou de « big bang » des retraites.

La méthode adoptée par le gouvernement est d'abord fondée sur un dialogue direct avec les Français et leurs représentants.

Dans cet esprit, l'ensemble des formations représentées au Parlement ont été reçues pour un tour d'horizon complet par les ministres chargés des affaires sociales et de la fonction publique et le seront à nouveau au printemps, lorsque le contenu de la réforme sera précisé. On peut espérer que des propositions constructives en ressortiront et, au moins, que chacun s'efforcera d'éviter les critiques en forme d'échappatoire.

Le dialogue avec les partenaires sociaux sera naturellement privilégié. En février, seront discutés les principes fondamentaux de la réforme. En mars, comme l'a indiqué le Premier ministre, le dialogue sera formalisé et approfondi autour des décisions à prendre.

Plusieurs groupes de travail seront constitués : un « groupe confédéral » au niveau des confédérations assurera la synthèse, le ministère de la fonction publique conduira des consultations sur les sujets concernant la fonction publique avec les syndicats de fonctionnaires et d'autres groupes plus spécialisés seront constitués en fonction des besoins que la discussion fera apparaître. La liste reste ouverte à ce stade.

Dans le cadre de ce dialogue avec les partenaires sociaux, le gouvernement fera part ensuite de ses premières propositions courant mars, en laissant suffisamment de temps pour que le projet de loi puisse être discuté avant la fin du premier semestre 2003. En parallèle, des débats seront organisés dans chaque Conseil économique et social régional pour engager et nourrir le dialogue local. Le gouvernement engagera également une campagne nationale d'information directe des Français sur les grands enjeux de l'avenir des retraites.

Le gouvernement souhaite négocier avec les partenaires sociaux. Il entend s'en donner les moyens, ce qui suppose de donner une durée suffisante au débat et au dialogue. Mais il est clair que si ce dialogue n'aboutissait pas, la réforme ne s'arrêterait pas en chemin. C'est la responsabilité du gouvernement et du Parlement devant le pays. Ce sont les représentants de la Nation qui trancheront.

La méthode est ensuite fondée sur un choix : celui de la réforme progressive et continue.

L'horizon de la réforme est fixé à 2020. C'est une échéance raisonnable mais ambitieuse. Raisonnable parce qu'elle fait l'objet d'un consensus parmi les experts et les partenaires sociaux. Ambitieuse parce qu'il s'agit de lancer une étape significative d'un processus de réforme. Il n'y a pas de « grand soir » des retraites qui réglerait le problème à jamais.

Le projet qui sera présenté au Parlement comportera des mesures importantes pour l'équilibre des régimes à l'horizon 2020, mais il enclenchera également un processus d'adaptation et de révision en continu. L'idée de réforme des retraites en France doit être pacifiée et assumée par le corps social au delà des aléas de la vie politique nationale.

Cette méthode est mise au service de trois grands objectifs confirmés par le Premier ministre devant le Conseil économique et social.

- Le premier objectif, c'est la sécurité : la réforme doit garantir le financement de nos régimes de retraite. La sécurité, c'est assurer l'équilibre financier du système par répartition, pour que chacun puisse bénéficier d'une pension aussi satisfaisante que possible.

Il existe trois paramètres principaux : le taux de cotisation, la durée de cotisation et le montant des prestations. Aucun paramètre ne permettra à lui seul de résoudre le problème. L'effort doit être équilibré entre ces paramètres. Bien sûr de nombreux autres éléments interviendront, mais l'essentiel est là.

Un équilibre futur des régimes de retraite ne peut être durablement bâti sur une baisse continue du montant des pensions ou sur la seule augmentation des cotisations. La question que pose 1'allongement de 1'espérance de vie sur le partage entre le travail et la retraite ne peut plus être ignorée. Aujourd'hui, le temps de travail est environ le double du temps de retraite. Toute augmentation de l'espérance de vie bénéficie entièrement à la retraite. Un partage de cette augmentation de l'espérance de vie entre temps de travail et temps de retraite peut contribuer à la maîtrise de l'équilibre général.

Une augmentation de la durée effective d'activité doit être envisagée, indépendamment du débat sur la durée de cotisation. Le monde du travail doit évoluer en donnant une place accrue aux salariés expérimentés. Il n'est plus acceptable et parfaitement contre-productif qu'ils soient poussés vers des départs anticipés.

Le Premier ministre a demandé que soit organisée rapidement avec les partenaires sociaux une conférence consacrée à l'assurance emploi, pour définir des propositions concrètes afin de favoriser l'emploi par un véritable droit à la formation tout au long de la vie. C'est un véritable pacte pour l'emploi des plus de cinquante ans qu'il faut en particulier définir, et c'est d'abord aux partenaires sociaux de s'y engager. Ce pacte doit être l'un des éléments forts qui permettra à la France de réaliser l'objectif prioritaire d'augmentation du taux d'activité des seniors, c'est-à-dire de faire progresser l'âge moyen de cessation d'activité qui est aujourd'hui nettement inférieur à soixante ans.

Réaliser l'objectif de sécurité des retraites passe également par une transparence réelle où chacun serait en mesure de suivre à la fois le bon déroulement et, le cas échéant, les ajustements apportés dans le cadre de la réforme en continu. Dans cet esprit de suivi auquel devraient être associés les partenaires sociaux, deux outils semblent devoir être privilégiés.

Premièrement, le droit à l'information de chacun sur sa retraite doit être concrétisé. En Suède, chaque salarié dispose d'un bilan annuel de ses droits. Il faut inventer un dispositif adapté à nos pratiques qui à la fois sécurisera les Français et leur donnera le pouvoir de choisir, en fonction de données objectives et personnelles, le moment et les conditions de leur départ à la retraite.

Deuxièmement, il faut mettre en place un mécanisme institutionnel original assurant le suivi de la réforme en continu. Pour écarter les inquiétudes, le pilotage des régimes de retraite doit être partagé par tous les Français. Il s'agit d'alimenter et d'éclairer les décisions d'ajustement qui pourraient à l'avenir s'avérer nécessaires dans le cadre de rendez-vous, par exemple tous les cinq ans. Deux questions devront tout particulièrement faire l'objet de ces rendez-vous : celle du suivi de l'évolution des taux de remplacement et celle du partage des gains d'espérance de vie entre temps de retraite et temps de travail.

La sécurité, c'est enfin assurer, pour le long terme, la constitution du Fonds de réserve pour les retraites. Le Fonds de réserve est un investissement pour l'avenir. Il permettra d'assurer une partie du financement des retraites entre 2020 et 2040. Ce n'est pas un remède miracle, mais il contribuera à conforter l'ensemble du système à condition qu'il soit abondé. Aujourd'hui, le rythme d'abondement est insuffisant pour atteindre les 152 milliards d'euros initialement prévus. Il faut préciser l'objectif et surtout définir les moyens d'y parvenir.

- Le deuxième grand objectif de la réforme est l'équité entre les Français face à la retraite.

L'équité, c'est d'abord l'équité entre les régimes. Aujourd'hui, la notion de durée d'assurance et le niveau des taux de cotisations salariales diffèrent. Cette situation s'explique en raison de la conception originelle de la retraite dans les régimes de la fonction publique. Bien d'autres situations sont héritées de l'histoire des régimes, avec des justifications qui leur sont propres et que l'on doit réévaluer. La notion d'équité ne peut conduire à une uniformisation automatique et irréfléchie. C'est pour cette raison que le gouvernement entend respecter les logiques et les calendriers de négociation propres à chaque régime, en particulier pour les régimes spéciaux d'entreprise. Ces régimes s'inscrivent dans des logiques d'entreprise. C'est donc dans le cadre de véritables projets d'entreprises qu'ils devront évoluer.

La prise en compte des spécificités de la fonction publique ne doit pas faire obstacle aux exigences de l'équité qui veulent que la situation de personnes placées dans des situations comparables soit harmonisée. L'intention du gouvernement est d'enclencher une convergence progressive des situations entre le public et le privé dans le souci de l'intérêt général. La question de la durée de cotisation sera donc bien posée. Cette convergence doit partir de la définition d'un « socle commun », en matière de retraite. C'est la définition de ce socle avec les partenaires sociaux qui permettra à la réforme de refonder la solidarité nationale autour des retraites.

L'équité, c'est également se pencher sur les mécanismes de compensation démographique entre les régimes. L'épisode de l'automne dernier, avec la réaction des partenaires sociaux membres du conseil d'administration de la CNAV, en a montré la nécessité. La complexité de ces mécanismes est telle qu'ils ne sont plus compris. La solidarité entre les régimes doit donc être réaffirmée, mais sur la base de garanties de transparence et d'objectivité.

L'équité, c'est garantir l'égalité entre les hommes et les femmes en ce qui concerne les avantages familiaux. Certains de ces avantages, pour les fonctionnaires, ont été remis en cause par la jurisprudence communautaire au nom de l'égalité entre les hommes et les femmes. De manière générale, ils reposent sur des fondements dont une nouvelle évaluation est opportune. Le gouvernement ouvrira cette discussion en liaison notamment avec le mouvement familial.

L'équité entre les générations, c'est assurer aux retraités actuels qu'ils ne seront pas touchés par la réforme. Le gouvernement leur donnera une garantie solennelle sur le maintien de leur pouvoir d'achat par un engagement de la Nation dans la loi.

Mais l'équité entre les générations, c'est également limiter dans la mesure du possible la progression des cotisations. Compte tenu du haut niveau qu'ont atteint les prélèvements obligatoires en France, il apparaît exclu de se contenter de laisser dériver le système, en agissant sur le seul taux de cotisations. Une telle option serait économiquement irresponsable et socialement insoutenable. La solidarité entre les générations doit aussi prendre en considération les droits des actifs futurs.

L'équité entre les Français, c'est enfin l'esprit de justice sociale qui doit animer la réforme. C'est se soucier du sort des plus modestes, ceux qui ont été faiblement rémunérés durant leur vie active. C'est se préoccuper des conjoints survivants, notamment ceux - et le plus souvent celles - qui ne disposent que d'une pension de réversion pour vivre. C'est être attentif à ceux qui ont travaillé dans plusieurs régimes, afin que les modes de calcul ne pénalisent pas leur parcours professionnel.

Sur tous ces points, ainsi que sur la question complexe et évolutive de la pénibilité, la réforme doit pouvoir procéder à des avancées mais avec réalisme et sans surenchère.

- Le troisième objectif de la réforme, c'est une plus grande liberté de chacun dans le choix de sa retraite.

La liberté, c'est améliorer le niveau des pensions de ceux qui souhaitent travailler plus longtemps, mais aussi permettre à ceux qui souhaitent partir plus tôt de le faire dans certaines limites : leur retraite devra alors en tenir compte.

La liberté, c'est mettre fin à cette rupture trop brutale entre activité et retraite. Travail à temps partiel, retraite progressive, cumul emploi retraite : ces mécanismes ont tout leur intérêt et méritent attention. Il est suicidaire d'opposer l'activité des salariés âgés et l'entrée des jeunes dans le monde du travail. La France est dans ce domaine le parfait contre-exemple : elle cumule un des taux d'activité des seniors les plus faibles d'Europe, notamment à cause des départs anticipés et des préretraites, avec un des taux de chômage des jeunes les plus élevés. C'est bien la preuve qu'un senior qui s'en va n'ouvre pas mécaniquement une place à un jeune qui arrive.

La liberté, cela peut signifier également la possibilité de rachat d'annuités par des cotisations volontaires, dans des conditions à définir.

La liberté, c'est également ouvrir un accès facultatif à une épargne retraite et donner le droit de compléter, par un mécanisme d'épargne retraite, la pension du régime par répartition. Cette épargne retraite devrait être disponible, soit à titre individuel, soit à titre collectif, dans le cadre des entreprises ou des branches.

Le débat doit avoir lieu sur ce « troisième étage », même s'il est entendu que les régimes généraux fondés sur la capitalisation sont étrangers à l'histoire sociale du pays. Les Français doivent pouvoir par ce biais améliorer le taux de remplacement à partir duquel s'établira leur niveau de vie après la fin de leur carrière professionnelle. Tous leurs voisins ont ouvert ce débat. Même si l'on choisissait de ne pas le faire, les Français auraient de toute manière recours aux mécanismes existants pour compléter leur retraite. Mais ce seraient les plus aisés et les mieux informés qui y réussiraient le mieux. Offrir à tous les Français une faculté d'épargne retraite volontaire, clairement organisée par la loi en complément des régimes par répartition, est une mesure de justice sociale face à la retraite.

Mais cela ne saurait constituer la solution miracle au problème des retraites. Ce ne peut être qu'un complément accessoire que l'on doit rendre juste, efficace et accessible à tous.

La liberté, c'est enfin réfléchir à la situation de ceux qui ont un grand nombre d'annuité avant soixante ans, parce qu'ils ont commencé à travailler très tôt, et à ceux qui ont exercé des métiers pénibles. Ce débat est ouvert. Une mesure générale, faisant reposer l'équilibre des régimes sur la seule notion de durée d'assurance, serait malheureusement beaucoup trop coûteuse. Une réponse doit cependant être trouvée par un vrai dialogue avec les partenaires sociaux.

Dans ce domaine, tout n'est pas écrit d'avance, comme sur tout le dossier des retraites d'ailleurs. Point par point, il faut travailler sans préjugé, sans esprit partisan, mais avec une détermination qui conduira le gouvernement devant le Parlement avant la fin du premier semestre 2003. Nous avons le devoir d'aboutir à une étape décisive dans la sauvegarde des régimes de retraite par répartition. Cette réforme devra être conduite avec tous les Français : C'est un enjeu collectif car c'est le pacte social qui est en cause mais c'est aussi un défi personnel. Chaque Français doit maintenant se poser une question simple : serai-je capable de dépasser mes intérêts catégoriels ou partisans, professionnels ou politiques ? C'est en regardant leurs enfants dans les yeux que les Français pourront se rassembler.

En complément de la présentation faite par le ministre des affaires sociales des conditions dans lesquelles le Premier ministre souhaite que s'engage la réforme des retraites, M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, a précisé qu'il s'apprête, dans le cadre d'une approche globale, à recevoir avec le ministre des affaires sociales les organisations syndicales puis à rencontrer les syndicats de la fonction publique.

Ayant à cœur de respecter le pacte républicain, dont fait partie le régime de retraites par répartition, cette réforme a également vocation à défendre le service public et les régimes de retraite de la fonction publique. L'inaction engendrerait en réalité des injustices inacceptables.

D'un point de vue économique, il faut savoir que le coût du système actuel des retraites représentera un point de croissance dans les dix à quinze prochaines années et, s'agissant de la fonction publique, à l'horizon de 2010 le coût des traitements de la fonction publique représentera 60 milliards d'euros tandis que l'Etat servira un montant de soixante milliards d'euros de pensions contre 30 milliards aujourd'hui. A l'horizon de 2040, le montant des pensions servies par l'Etat devrait s'élever à 80 milliards d'euros contre 60 milliards pour les traitements. Une telle évolution qui fragiliserait considérablement nos mécanismes de solidarité engagerait en outre notre responsabilité vis-à-vis de nos enfants. C'est pourquoi, ainsi que l'énonçait M. Jacques Delors, pour que la France soit solidaire, elle doit être riche sur le plan économique.

Après l'exposé des ministres, M. Denis Jacquat a tout d'abord souligné qu'il ne saurait y avoir une bonne politique des retraites sans effets sur l'emploi. Il a ensuite posé les questions suivantes :

- La réforme des retraites ne risque-t-elle pas de se heurter à la réalité des problèmes économiques ?

- Quelles dispositions seront arrêtées en faveur des salariés de moins de soixante ans ayant acquis quarante annuités de cotisations et désirant cesser plus tôt leur activité ? Comment, en outre, la pénibilité du travail sera-t-elle prise en compte ?

- S'agissant du secteur privé, une règle pérenne de revalorisation du point de pension, souhaitée depuis plusieurs années, sera-t-elle instaurée ?

- Quelles ressources sont envisagées pour abonder de manière durable le Fonds de réserve des retraites ?

- De quelle manière un niveau de revenu convenable sera-t-il garanti aux pensionnés les plus modestes ?

- Concernant la compensation et la surcompensation entre les régimes, la remise à plat nécessaire sera-t-elle effectuée ?

- De quelle manière la situation spécifique des veuves, et par conséquent des pensions de réversion, sera-t-elle prise en compte ?

- S'agissant des personnes handicapées, quels dispositifs sont envisagés, d'une part, pour les propres retraites de ces personnes et, d'autre part, pour celles des tierces personnes qui les aident, le cas échéant à titre bénévole ?

M. Pascal Terrasse a indiqué que le ministre des affaires sociales, après l'intervention du Premier ministre devant le Conseil économique et social, a mis sur la table l'ensemble des questions relatives à la réforme des retraites et que le menu est à présent connu. En revanche, la représentation nationale attend toujours les plats.

Il a ensuite formulé les observations suivantes :

- Sans mettre en cause le Conseil d'orientation des retraites créé par le gouvernement Jospin, force est de constater que son diagnostic n'est pas partagé par tous les partenaires sociaux.

- Si la présentation du projet de réforme contient quelques éléments d'information, elle comporte néanmoins des lacunes et des contradictions : s'agissant de la méthode, on peut s'interroger sur le souhait effectif d'engager une négociation, au demeurant indispensable, même s'il appartient à la représentation nationale en dernier lieu de légiférer. En ce qui concerne les délais évoqués, on ne peut que souligner une contradiction entre l'intention de « donner du temps au temps » et l'engagement au pas de charge d'une réforme qui devra être achevée avant l'été. A cet égard, il serait particulièrement inopportun de devoir légiférer sur un tel sujet au cœur de l'été.

- Sur le fond, il existe une contradiction entre la volonté de maintenir le principe de la retraite par répartition et l'intention de réfléchir à la création de fonds d'épargne individuelle. On peut toutefois se demander si dans un pays comme la France, dans lequel le taux d'épargne des ménages représente 15 % du PIB, il ne serait pas souhaitable de renforcer les différents outils d'épargne existants plutôt que d'en créer de nouveaux.

- D'un point de vue politique, on ne peut que souligner les limites du courage d'un gouvernement disposé à engager sa responsabilité devant le Parlement sur la question des retraites alors même qu'il dispose d'une très large majorité. Par ailleurs, les propos du ministre des affaires sociales présentent une contradiction avec ceux du Premier ministre s'agissant du problème de l'emploi des salariés de plus de cinquante-cinq ans : ainsi que l'a souligné le ministre des affaires sociales, le problème se pose en réalité dès cinquante ans. La réforme des retraites doit être effectuée en liaison avec une politique globale de l'emploi compte tenu de l'acuité du problème du chômage dans un pays qui compte deux millions et demi de chômeurs. En outre, la réforme annoncée présente une lacune quant à la place des retraités dans la société, qui sont pourtant des acteurs à part entière de la vie économique et sociale. Il convient à cet égard de mettre en œuvre des liens intergénérationnels.

- Le niveau de vie de nombre de retraités, qu'il s'agisse des bénéficiaires du minimum vieillesse, de pensions de réversion ou du conjoint survivant, demeure encore insuffisant. Il convient de lutter contre ces formes de précarité. La dégradation du taux de remplacement issu de la réforme engagée par le gouvernement Balladur entraînera, au terme de cette réforme en 2008, une perte de revenus de l'ordre de 12 % et pénalisera de surcroît les retraités les plus modestes.

- S'agissant des régimes de retraite de la fonction publique, il convient de ne pas confondre équité et égalité. En effet, prévoir une durée de cotisations identique serait une solution contraire à la justice sociale. Il faut en réalité tenir compte davantage de la pénibilité et de l'usure, notamment en ce qui concerne le travail de nuit.

M. Jean-Luc Préel a indiqué que le groupe UDF adhère pour l'essentiel tant au constat qu'à la méthode et aux grands principes contenus dans le projet de réforme. Face à l'avènement du papy-boom, il est en effet urgent de réformer le système des retraites, trop de temps ayant déjà été perdu. Toutefois il convient de ne pas se précipiter : dans une récente édition, le journal Ouest-France a en effet montré que les Français, très attachés au régime par répartition, n'ont pas encore pris toute la mesure des conséquences du maintien du système actuel de retraites.

Puis il a formulé les questions suivantes :

- Ne serait-il pas souhaitable de donner son autonomie au régime général en laissant aux partenaires sociaux le soin de discuter de son évolution ?

- Quelles sont les mesures envisagées pour aller vers une réelle équité entre le régime général et les régimes spéciaux du secteur public ? Une caisse propre à ce régime sera-t-elle créée ?

- S'agissant des mécanismes de solidarité, quelles sont les perspectives envisagées pour le Fonds de solidarité vieillesse ?

- Attaché au principe de libre choix, le groupe UDF est favorable à un système de retraite à la carte : serait-il envisageable, dans cette perspective, d'évoluer vers un mécanisme de retraite par points ?

- Quel est le dispositif prévu pour augmenter les taux des pensions de réversion et tenir compte des faibles revenus des conjoints survivants ainsi que des polypensionnés ?

M. Maxime Gremetz a fait les observations suivantes :

- Les membres du Conseil d'orientation des retraites ont fourni un travail très important pendant de nombreux mois. Il est toutefois étonnant que les informations issues de ce conseil et diffusées par le gouvernement se limitent aux aspects relatifs au diagnostic de la situation sur les retraites alors que toute une partie du travail effectué a consisté à élaborer toutes les pistes de réflexion envisageables. Si la nécessité de mettre en œuvre une réforme fait consensus, le contenu de cette réforme fait, quant à lui, l'objet de divergences importantes.

- De nombreuses voix se sont élevées en 1994 pour combattre la réforme mise en œuvre par le gouvernement Balladur, qui s'est notamment traduite par l'augmentation de la durée de cotisations pour les salariés du secteur privée de trente-sept annuités et demie à quarante et par la prise en compte pour le calcul de la pension de retraite non plus des dix meilleures années mais des vingt-cinq meilleures années en termes de rémunération. En outre, le fait d'avoir indexé les retraites sur les prix, alors que depuis quelques années le taux d'inflation est extrêmement bas, a eu un effet néfaste sur le pouvoir d'achat des retraités dont certains se trouvent dans une situation financière déplorable.

- Le discours le plus répandu consiste aujourd'hui à accréditer l'idée selon laquelle il n'y aurait désormais plus d'argent pour payer les retraites. La réalité est toute différente. Il convient de rappeler que les cotisations des employeurs représentaient en 2001 environ 125 milliards de francs. La même année, le montant des intérêts financiers s'est élevé à 189 milliards de francs. La part des salaires dans le revenu national brut qui était de 74,5 % en 1991 n'était plus que de 64,7 % en 2001, tandis que la part du capital a cru de 25,5 % en 1991 à 35,3 % dix ans plus tard. Il semble évident qu'il existe au sein des systèmes capitalistes une marge de manœuvre considérable qui devrait être actionnée afin de financer les retraites de demain. En d'autres termes, il faudrait mettre en place des mécanismes de prélèvement sur les revenus du capital et les revenus financiers de sorte que l'ensemble des richesses soit mis à contribution en matière de retraites.

- Il est absolument impératif, pour traiter de manière complète le problème des retraites, de lutter contre les phénomènes d'éviction du marché du travail des salariés âgés qui sont, à partir de cinquante ans, particulièrement touchés par les plans de licenciement et les restructurations.

- La question de la pénibilité de certains postes mérite également d'être posée. Il paraît juste de permettre aux ouvriers concernés de partir plus tôt à la retraite tant leur vie professionnelle a été difficile et physiquement éprouvante.

- L'objectif à poursuivre devrait être d'assurer à chaque retraité une pension équivalente à 75 % du revenu d'activité, alors que le taux actuel moyen de remplacement s'élève à seulement 56 % du revenu d'activité. De même, les modes de calcul des pensions devraient permettre de prendre en compte les périodes de chômage et de formation.

En réponse à ces interventions, le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité a apporté les éléments d'information suivants :

- Il est curieux que certains s'étonnent aujourd'hui de ne pas connaître le contenu du projet de loi devant être prochainement déposé au parlement. La méthode de l'actuel gouvernement, qui consiste à faire primer la concertation et le dialogue entre les différents partenaires, est si novatrice que beaucoup n'envisagent même pas que les ministres en charge de ce dossier puissent lancer en amont de larges concertations et établir les bases d'une véritable négociation avant d'élaborer un projet de loi en bonne et due forme. Aucun projet de loi déjà ficelé n'existe pour l'instant, précisément pour permettre l'élaboration du meilleur texte possible.

- La question du taux d'activité aujourd'hui très bas des salariés âgés se pose avec une acuité accrue. Cependant, ce difficile problème ne sera pas réglé grâce à des solutions législatives brutales ; il faut modifier progressivement les attitudes et les mentalités dans le monde du travail. Cette question, comme bien d'autres, ne pourra être résolue que grâce au dialogue entre les partenaires sociaux.

- Il faut avoir conscience des enjeux financiers : s'il était du jour au lendemain permis aux salariés âgés de moins de soixante ans et ayant cotisé pendant au moins quarante ans de faire valoir leur droit à la retraite, cela équivaudrait à un coût supplémentaire de 13 milliards d'euros, ce qui signifie qu'il faudrait trouver au total 63 milliards d'euros à l'horizon 2020. En revanche, il faut étudier de près la situation des salariés ayant accompli un travail particulièrement pénible au cours de nombreuses années. Ces salariés pourraient en effet légitimement bénéficier d'un traitement plus favorable en matière de durée de cotisation nécessaire pour faire valoir des droits à la retraite à taux plein.

- Les différentes règles retenues doivent être clairement connues de tous : il ne serait pas supportable que les salariés restent dans l'ignorance des principes s'appliquant à eux en matière de durée de cotisations, de taux de pension ou de dates du départ à la retraite. Des éléments de repères très clairs paraissent plus que jamais nécessaires.

- Le Fonds de réserve des retraites constitue une sorte de fonds de lissage. Il est abondé par les excédents tant qu'il y en a, comme c'est le cas cette année, et pourrait l'être par le produit des privatisations et éventuellement par une recette fiscale à déterminer.

- Il faut réfléchir aux pistes permettant le maintien et l'amélioration du minimum contributif. Aujourd'hui, ce montant minimal ne dépasse pas de beaucoup le montant du seuil de pauvreté ; il est en tout cas inférieur au minimum vieillesse, ce qui n'est pas sans poser de grandes difficultés.

- Une autre question importante et délicate à trancher est celle des conditions du cumul des rémunérations et des pensions de retraite.

- On peut se réjouir de ce que nul ne conteste aujourd'hui les chiffres établis par le Conseil d'orientation des retraites. Le fait que le travail effectué par cet organisme soit considéré comme valable par tous, même si certaines prévisions peuvent paraître trop optimistes, est de bon augure. Un consensus pourra donc être bâti à partir des mêmes constats, ce qui constitue un élément très positif dans le débat.

- Si le calendrier proposé pour mettre en œuvre la réforme des retraites est aussi serré dans le temps, c'est que le traitement de ce dossier a été trop longtemps différé.

- L'épargne individuelle, dont M. Maxime Gremetz rejette l'idée, existe déjà. Mais le système actuel est injuste puisqu'il ne profite qu'aux personnes les mieux informées et disposant de revenus élevés. L'épargne retraite ne doit donc pas être remise en cause, étant entendu qu'elle ne saurait remplacer une partie de la retraite, mais ses règles doivent être clarifiées.

- La réforme Balladur adoptée en 1993 était nécessaire. Ceux qui, aujourd'hui, la critiquent ont disposé de cinq ans pour la remettre en cause. Ils ne l'ont pas fait, ce qui prouve son bien-fondé. Les dispositions qui vont être adoptées à l'issue de la période de concertation devront également faire l'objet d'un consensus car elles engagent le pays à long terme. Il ne saurait être question de les modifier à nouveau dans quelques années au risque sinon de désorganiser totalement le système des retraites.

- Laisser les partenaires sociaux gérer de manière autonome le régime de base des retraites n'est pas souhaitable. Si la mise en place d'une organisation paritaire et autonome pourrait effectivement permettre d'enclencher, sans crispation, les nouvelles étapes de la réforme des retraites, le contrôle de l'Etat est cependant nécessaire dans la mesure où le régime de base est au centre du pacte social et de la solidarité nationale.

- Le Fonds de solidarité vieillesse doit être maintenu même s'il doit subir de nécessaires adaptations.

- La publication du décret sur les polypensionnés sera retardée afin que le cas de ces personnes soit intégré dans le débat général qui s'ouvre.

- Plus généralement, on ne peut pas fuir la réalité des faits : il n'y a pas de « trésor caché », ainsi que l'a dit un syndicaliste à la suite du discours du Premier ministre au Conseil économique et social.

Après avoir salué la qualité du travail effectué par le Conseil d'orientation des retraites et le consensus dont il fait l'objet, le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, a fait les remarques suivantes :

- Un débat a été ouvert au sein de la fonction publique concernant le retour à l'activité des personnes âgées de plus de cinquante ans. Il a trouvé sa première traduction dans les faits avec la suppression du congé de cessation d'activité.

- En ce qui concerne l'égalité du droit à la retraite entre les hommes et les femmes, trois problème se posent : celui du conjoint survivant, celui du conjoint ayant une personne handicapée à charge, celui des personnes, hommes ou femmes, ayant des enfants à charge. Une réflexion sur ces trois points a été engagée.

- Le niveau élevé du taux d'épargne des Français témoigne de leur inquiétude pour leur retraite.

- L'analyse de M. Maxime Gremetz est contradictoire : comment sécuriser le financement des retraites en taxant plus lourdement les revenus du capital lesquels sont, par nature, extrêmement volatiles et instables ? En outre, plus on renchérit le coût du travail, plus les entreprises sont amenés à transférer leurs investissements vers le capital. Les propositions énoncées par M. Maxime Gremetz sont donc, à terme, antisociales.

- La réforme des retraites est urgente. En 2016, la moitié des fonctionnaires actuellement en activité seront à la retraite et la catégorie des plus de soixante ans aura cru de plus de dix millions. La réforme s'impose.

M. Yves Bur a jugé satisfaisante la feuille de route tracée par le Premier ministre. L'actuel gouvernement, contrairement au précédent, a saisi à bras le corps le dossier de la réforme des retraites. L'un des enjeux majeurs de cette réforme est la nécessité de permettre un meilleur taux d'emploi des plus de cinquante-cinq ans. Puis il a posé les questions suivantes :

- Des pistes de réflexion sont-elles déjà envisagées ?

- Les citoyens auront-ils la possibilité de cotiser et d'ouvrir ainsi des droits à la retraite une fois leurs quarante annuités de cotisation écoulées ?

- Pourront-ils cumuler leurs revenus du travail et leurs pensions ?

- Quels mécanismes incitatifs seront proposés aux entreprises afin de les convaincre de maintenir à leurs emplois les personnes âgées de plus de cinquante-cinq ans ?

M. Georges Colombier a déclaré qu'il était anormal que les personnes ayant commencé à travailler très jeunes continuent, leurs quarante annuités acquises, à cotiser sans que cela augmente le niveau de leur pension de retraite. D'autre part, du fait des évolutions technologiques, la notion de pénibilité du travail revêt de nouvelles formes qui doivent être mieux prises en considération.

Mme Christine Boutin a indiqué que la réforme des retraites met en cause la pérennité de l'un des piliers fondamentaux du pacte républicain, tel qu'il a été défini au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et pose la question de savoir comment nous voulons vivre ensemble. Elle a ensuite fait les observations suivantes :

- Le système des retraites comporte plusieurs dizaines de régimes différents. Afin de l'harmoniser et de le simplifier, est-il envisageable de fondre ces régimes en un seul, tout en tenant compte de divers facteurs, comme la pénibilité de certaines activités professionnelles ? Une telle clarification apparaît en effet nécessaire pour que chaque citoyen puisse, à tout instant de sa vie professionnelle, savoir à quelle pension il aura droit une fois à la retraite.

- La dimension démographique, et notamment celle du renouvellement des générations, constitue une des données importantes du système des retraites. Quelles sont les orientations envisagées par le gouvernement en matière de politique de la famille ?

Mme Martine Billard a posé les questions suivantes :

- Le financement du système des retraites est aujourd'hui quasiment exclusivement supporté par les salariés. Le gouvernement envisage-t-il de continuer à exonérer de charges sociales le patronat et dans ce cadre prévoit-il  de distinguer les entreprises nécessitant une main-d'œuvre nombreuse et les autres ?

- La taxation de l'épargne salariale est-elle en projet ?

- Afin d'améliorer le taux d'activité des personnes de plus de cinquante ans, le gouvernement est-il prêt à adopter des mesures coercitives contre les entreprises recourrant de façon massive aux départs anticipés à la retraite ?

- Quelles sont les propositions du gouvernement en matière d'épargne retraite afin que celle-ci ne bénéficie pas uniquement aux personnes les plus aisées ?

M. Georges Tron s'est interrogé sur l'existence possible d'un lien entre la plus faible attractivité des carrières de la fonction publique et la pression moindre exercée sur son régime de retraite.

Après s'être inquiété du caractère durable ou non de l'attachement de la majorité au régime par répartition, M. Alain Néri a demandé si le débat sur les retraites donnera lieu à une véritable négociation ou à une simple concertation. Il a ensuite fait les observations suivantes :

- Il est nécessaire de prendre en compte la pluralité des régimes de retraite dans la carrière de nombreux cotisants.

- Il est légitime que les personnes qui ont cotisé durant quarante ans mais n'ont pas atteint l'âge de soixante ans puissent avancer leur départ à la retraite car elles ont commencé à travailler très jeunes et souvent dans des emplois pénibles. Le précédent gouvernement s'est efforcé de trouver une solution à ce problème en créant l'allocation équivalent retraite mais n'a pu s'engager plus avant en raison des réticences du MEDEF à financer les retraites complémentaires.

- Afin de répondre aux besoins des salariés qui ne sont pas en mesure d'atteindre le nombre d'annuités requis, il apparaît souhaitable de prendre en compte les cotisations durant les périodes de formation et de chômage.

- La garantie d'un niveau de retraite suffisant pour les personnes les plus modestes appelle la mise en place de taux différenciés.

- Il convient de se pencher sur le niveau de cotisation des employeurs.

Mme Chantal Bourragué a souhaité que soient davantage prises en compte les périodes d'arrêt liées à l'éducation des enfants car l'évolution démographique est au cœur du débat sur la réforme des retraites.

En réponse aux intervenants, le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité a apporté les éléments d'information suivants :

- Il est possible d'améliorer la place des salariés de plus de cinquante ans au sein de l'entreprise en ouvrant le champ de la négociation collective à l'aménagement de leurs conditions de travail ainsi qu'au droit à la formation en deuxième partie de carrière.

- Le gouvernement a commencé à réduire les aides aux entreprises en cas de départ anticipé à la retraite afin de ne pas inciter celles-ci à y avoir trop souvent recours. Plus généralement, il est nécessaire de changer le regard que porte la société sur les salariés âgés, ce qui est un préalable au débat qui s'ouvre sur l'allongement de la durée de cotisation.

- Il est souhaitable que la négociation porte aussi sur la question de la pénibilité du travail même si sa grande complexité la rend particulièrement délicate, au point qu'aucun de nos voisins européens n'a réussi à l'intégrer dans sa réforme des retraites.

- Il n'apparaît pas possible, compte tenu notamment de notre histoire sociale, d'aboutir à un régime unique de retraite mais il est nécessaire d'évoluer vers une harmonisation progressive à partir d'un socle de principes communs.

- Des mesures en faveur de la famille seront proposées par M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille, dans le cadre de la conférence de la famille.

- Les allègements de cotisation décidés par l'actuel gouvernement donnent lieu à compensation en faveur des régimes sociaux, ce qui n'a pas toujours été le cas.

- Il est nécessaire de garantir les salariés contre les départs imposés.

- L'immobilisme constitue la pire solution pour les régimes de retraite car il génère une inquiétude sur l'avenir se traduisant chez les agents économiques par le recours à des solutions néfastes pour l'emploi et la consommation.

- Il est évident que les partenaires sociaux ne peuvent pas à eux seuls assumer la réforme des retraites dont l'impact s'étend à la société dans son ensemble.

- Une politique familiale dynamique est nécessaire, notamment par le biais d'avantages retraite, tant il est vrai qu'une augmentation minime de 0,3 % de la fécondité par femme permettrait de régler 10 % des difficultés en matière de retraite.

Le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire a apporté les précisions suivantes :

- Il n'est pas nécessaire de créer une caisse de retraite spécifique pour les fonctionnaires de l'Etat, comme cela existe pour les fonctionnaires territoriaux, car la nouvelle loi organique relative aux lois de finances garantit une lisibilité des flux financiers correspondants.

- Le départ massif de fonctionnaires à la retraite dans les prochaines années ( 1 million de fonctionnaires d'ici 2016 ) n'aura pas que des conséquences sur l'équilibre financier et démographique des retraites de la fonction publique. Il aura aussi des lourdes implications économiques avec la perte de compétences induite par le départ de nombreux agents expérimentés qu'il ne sera pas nécessairement possible de compenser par des recrutements sur le marché du travail.

- La réflexion doit se poursuivre quant aux conséquences à tirer de l'arrêt Geismar relatif à la bonification du montant de la pension pour les femmes fonctionnaires ayant élevé au moins trois enfants, alors que les hommes fonctionnaires ne peuvent en bénéficier. On peut en effet se demander si, au-delà de la récompense accordée aux mères de famille par une validation de droits à pension, il ne faudrait pas accorder davantage d'aides directes au moment où les femmes élèvent leurs enfants pour leur permettre de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle.

Le président Jean-Michel Dubernard a indiqué avoir relevé, au cours du débat, soixante points pouvant donner lieu à un débat de fond dans la perspective de la mise en œuvre d'une réforme des retraites acceptable par tous. Il est aujourd'hui de la responsabilité du Parlement et du gouvernement de définir une ligne politique stable pour les années à venir, afin que les retraites des Français soient garanties quelles que soient les majorités successives.

*

Informations relatives à la commission

La commission a désigné :

M. Emmanuel Hamelin, rapporteur sur le projet de loi adopté par le Sénat relatif à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs - n° 248.

M. Lionnel Luca, rapporteur sur le projet de loi portant ratification de l'ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 relative à la partie législative du code de l'éducation - n° 570.

________


© Assemblée nationale