COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 55

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 10 septembre 2003
(Séance de 15 heures)

12/03/95

Présidence de M. Jean-Michel Dubernard, président.

SOMMAIRE

 

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Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, sur le projet de loi relatif à la politique de santé publique - n° 877.

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, sur le projet de loi relatif à la politique de santé publique.

Après avoir remercié le ministre de venir présenter à la commission un projet de loi majeur et très attendu, le président Jean-Michel Dubernard est revenu sur le contexte dans lequel s'inscrit cet examen. Les effets sanitaires dévastateurs de la canicule et leur prise en charge par le système de santé font l'objet d'une mission d'information constituée au sein de la commission et présidée par M. Denis Jacquat. Cette mission rendra son rapport dans deux semaines et proposera des recommandations qui pourraient être introduites par voie d'amendements au présent projet de loi et au projet de loi de financement de la sécurité sociale. Les questions soulevées par la canicule ne seront pas évoquées aujourd'hui puisque le ministre sera entendu dès demain par la mission d'information, audition également ouverte à la presse. Au reste, le projet de loi comporte de nombreuses dispositions qui permettront d'ores et déjà de contribuer à éviter que ne se reproduisent de tels dysfonctionnements, en renforçant l'efficacité et la qualité de notre système de santé, trop longtemps caractérisé par la complexité, la prévalence du curatif sur le préventif, voire l'éclatement des responsabilités.

Trois principes ont en effet présidé à l'élaboration de ce projet : la volonté de fixer de manière claire et efficiente les procédures permettant à l'Etat de déterminer une politique de santé publique ; la détermination de la politique de santé publique pour les cinq prochaines années ; le souhait de mieux prendre en compte la prévention dans l'organisation de notre système de santé. En outre, à l'occasion de la transposition de la directive 2001/20 relative aux essais cliniques de médicaments, le projet de loi procède également à une réforme d'ensemble du régime des recherches biomédicales, qui était demeuré quasiment inchangé depuis la loi « Huriet-Sérusclat » du 20 décembre 1988.

Au cours de ses travaux, la commission a entendu de nombreuses personnalités - qu'il s'agisse des représentants des médecins, des associations ou encore des agences sanitaires - et ce dans un large esprit d'ouverture. Ces auditions permettent d'envisager des améliorations sensibles du projet de loi concernant la nécessaire clarification des rôles de chacun au niveau régional, avec d'un côté les financeurs-décideurs au sein du groupement régional de santé publique (GRSP) et de l'autre les opérateurs de santé publique, ainsi que le maintien et l'adaptation des conférences nationale et régionales de santé.

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, est revenu en premier lieu sur le contexte particulier dans lequel s'inscrit le projet de loi relatif à la politique de santé publique. Au mois d'août dernier, la France a été frappé par un phénomène d'une ampleur et d'une durée inégalées dans l'histoire de la météorologie des pays à climat tempéré. Les conséquences sanitaires en ont été majeures, notamment pour les personnes âgées de nos grands centres urbains. Ce drame humain soulève bien des questions légitimes. Une commission d'experts indépendants a remis ses conclusions préliminaires affinant dès à présent constat et analyse. Une mission d'information vient d'être constituée par l'Assemblée nationale qui entendra les ministres concernés ; il lui appartiendra de faire le point sur les événements du mois d'août, sur lesquels il n'y a pas lieu de revenir maintenant, sinon pour indiquer que les dispositions du projet de loi doivent contribuer à éviter que de tels drames se reproduisent.

En effet, si l'ensemble des conséquences de cette canicule pouvaient difficilement être anticipées, il n'en reste pas moins que notre système de santé publique souffre de faiblesses structurelles profondes. Les événements dramatiques d'août ont brutalement mis en lumière, en quelques jours, la plupart de ces faiblesses. Une profonde réforme du système de santé publique doit être conduite non seulement pour que nous soyons capables de faire face à la prochaine vague de chaleur, mais aussi pour permettre à notre pays d'offrir la meilleure protection sanitaire possible en toutes circonstances, même les plus difficiles.

Le système de santé souffre de trois faiblesses majeures : un profond déséquilibre entre le soin et la prévention, une responsabilité de l'État insuffisamment affirmée et définie dans le domaine de la santé publique et une extraordinaire dispersion des acteurs et des efforts, responsable de nos mauvais résultats en termes de mortalité prématurée, celle qui survient avant l'âge de 60 ans.

En 1998, notre pays s'est doté d'un premier ensemble complet d'outils destinés à garantir la sécurité sanitaire de notre environnement, de notre alimentation et des produits de santé, tels les médicaments, et à organiser un réseau de veille sanitaire ; la création, à cette époque, des agences sanitaires correspondait à une première étape sur la voie d'une meilleure approche du devoir de santé publique et le Parlement a, à ce moment déjà, joué un rôle prééminent. Le projet de loi relatif à la santé publique va plus loin en affirmant la responsabilité de l'État en matière de santé publique. Ce faisant, le gouvernement rompt avec la politique longtemps prisée en France, faite d'annonces de plans successifs sans cohérence, pour lutter contre telle ou telle maladie, en fonction des pressions exercées par différents protagonistes, et il s'attaque à un défaut structurel de notre système de santé - défaut relevé par les ministres successifs mais pourtant jamais corrigé. Il s'agit donc d'une deuxième étape, plus structurante et plus aboutie que la première, qui porte en elle-même sa force et sa cohérence.

Il y avait en la matière fort à faire. La santé publique, en effet, n'a jamais été consacrée en tant que telle comme une responsabilité de l'État et un domaine prioritaire d'action des pouvoirs publics. En l'absence de politique d'ensemble, l'organisation actuelle est ainsi le résultat de réformes successives qui manquaient d'une vision globale et dont la prévention n'était pas l'objet principal. L'idée même de santé publique est longtemps restée incomprise. Elle a trop souvent été vécue comme une intrusion de l'État dans l'intimité des personnes, voire dans le champ de compétence des professionnels de santé. La légitimité pour l'État d'intervenir dans les affaires de santé a toujours été débattue.

Mais pourtant chaque fois que leur santé ou celle de leurs proches est menacée, c'est bien vers l'État que les Français et les Françaises se tournent pour exiger que la santé soit efficacement protégée. L'actualité est suffisamment éloquente : seul l'État peut organiser efficacement la lutte contre les épidémies comme le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), les méningites, la grippe ou l'hépatite B. Ces exemples illustrent ce qu'est la politique de santé publique : non pas l'intrusion de l'État dans l'intimité de chacun, mais la nécessité de comprendre et de résoudre les problèmes de santé à l'échelle de la population. Car sans ce regard collectif, le système de santé est myope. Il ne peut pas se préparer correctement aux évolutions futures. Les efforts que nous déployons pour soigner les malades ne trouvent pas leur équivalent lorsqu'il s'agit de chercher à prévenir, éduquer, dépister.

En bref, l'approche individuelle des maladies, pour essentielle qu'elle soit, ne suffit pas. Nous devons disposer d'un regard et d'une analyse sur les groupes d'individus, sur les populations si nous voulons que le système de santé soit juste, efficace et performant. Si, en médecine, la personne est le centre de tout, qui pourrait croire qu'un système de santé n'est que la somme des actes pratiqués au niveau individuel ? Ce serait oublier le rôle de l'environnement - pensons à l'eau potable, à la qualité de l'air ; ce serait oublier le rôle des comportements, le rôle des prises de risque plus ou moins volontairement consenties. Cet oubli, cette défiance à l'égard d'une approche collective de la santé par l'État expliquent les déséquilibres majeurs qui caractérisent notre système de santé et, notamment, le fait que l'essentiel des moyens consacrés à la santé dans notre pays vont au secteur curatif. Sur 150 milliards de dépenses de santé, seulement 3,6 milliards, soit 2,3%, sont consacrés à la prévention ! Deux constats jettent une lumière malheureusement éloquente sur les conséquences de cette négligence dans laquelle a été tenue la santé publique.

Premièrement, la mortalité prématurée reste en France à un niveau anormalement élevé alors que les causes en sont connues et que l'on sait qu'elle est évitable. Ces résultats sont choquants, d'autant qu'ils contrastent avec la performance de nos professionnels et de nos établissements de santé. L'État peut agir et les Français attendent qu'il le fasse : agir sur l'environnement, les comportements ou les phénomènes de violence, et réduire ainsi la triste spécificité française en termes de morbidité précoce.

La guerre sans merci que nous avons déclarée au tabac, principale cause de cancer et de mortalité évitable a d'ores et déjà des résultats spectaculaires sur les ventes de cigarettes, qui ont chuté de 8% depuis le début de l'année. Cette offensive contre le tabac nous l'avons commencée en augmentant de façon importante les taxes dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003. Nous l'avons poursuivie ensemble avec la loi de juillet dernier visant à restreindre la consommation de tabac chez les jeunes et nous continuons cet effort par ce projet de loi. Autre exemple non moins important : la politique de réduction des risques chez les usagers de drogues qui a fait chuter la prévalence des infections à VIH chez les toxicomanes. Enfin, chacun comprend aussi qu'il faut agir contre la consommation de drogues, qui constitue un comportement à risque majeur.

Deuxièmement, il existe des disparités territoriales avec d'importants écarts d'espérance de vie d'une région à l'autre. Parmi les exemples qui heurtent l'équité, lorsque l'actuel gouvernement a pris ses fonctions, seul un tiers des départements offrait des programmes de dépistage des cancers du sein chez les femmes. La généralisation de ce dépistage avait pourtant été souhaitée et annoncée par les précédents ministres en charge de la santé. Ces inégalités, dont les causes sont multiples, interpellent aussi l'État dans son rôle de garant de la santé de la population et de la solidarité nationale.

Bien légitimement, l'attente à l'égard des pouvoirs publics ne fait donc que croître et, par contraste, leur capacité de réponse apparaît insuffisante. Tout d'abord, la répartition des responsabilités en matière de santé publique n'est pas suffisamment précise. Ensuite, la politique de santé publique ne procède pas à partir d'une programmation précise autour d'objectifs définis après un large dialogue. Enfin, la coordination de l'ensemble des partenaires qui concourent aux actions de santé publique est insuffisante. En particulier, l'articulation entre les activités de soins et les activités de santé publique doit être améliorée. Ces faiblesses sont anciennes et avaient déjà été relevées dans le rapport sur la santé et l'environnement présenté par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques en 1996. Ce projet de loi a l'ambition de les corriger.

L'objet premier du projet de loi est ainsi de clarifier cette ambiguïté sur le rôle de l'Etat en matière de santé publique. L'Etat n'a pas le monopole de l'action dans ce domaine. Mais il lui revient d'organiser, sous son autorité, un partenariat associant les différents acteurs publics et privés qui sont nombreux à concourir à l'amélioration de la santé.

Pour que chaque acteur puisse situer son rôle et comprendre le sens de son action, ce partenariat doit s'inscrire dans un cadre de référence explicite. C'est au travers d'une série d'objectifs permettant de juger si l'action va dans le bon sens que ce partenariat doit s'organiser. La mise sous objectifs du système de santé publique sur un horizon de cinq ans est le deuxième axe directeur de ce projet. Jusqu'à présent, lorsqu'on parlait d'objectifs, on faisait référence aux dépenses d'assurance-maladie. Cette logique est non seulement inflationniste par nature, elle est encore appauvrissante. Car la vraie question est de savoir si les ressources consacrées au système de santé ont le meilleur impact possible sur l'état de santé de la population. C'est cette correspondance entre les moyens et les résultats que ce projet de loi veut organiser.

C'est pourquoi il comporte un rapport annexé, qui propose une centaine d'objectifs correspondant aux principaux défis sanitaires. Il s'agit de promouvoir des comportements favorables à la santé, de réduire les conduites à risques, d'organiser la prise en charge des maladies chroniques et de maîtriser le risque infectieux. Lorsque cela a été possible, c'est-à-dire lorsque les systèmes d'information en matière de santé le permettaient, ces objectifs ont été quantifiés. Ils constitueront un tableau de bord pour améliorer le pilotage de notre système, pour mieux analyser ses forces et ses faiblesses et pour évaluer sa performance. Qu'on ne s'y trompe pas : ces objectifs n'ont pas vocation à être exhaustifs. Ce sont des marqueurs, des indicateurs qui doivent permettre périodiquement de faire le point sur les évolutions de la situation sanitaire du pays.

Le troisième grand objectif du projet de loi est d'organiser l'action sur le terrain car c'est là que se gagnera la bataille de la santé. Mais il revient à l'Etat d'organiser, d'impulser et de coordonner l'action sur le terrain. Aujourd'hui, sauf exception locale qu'il faut saluer, cette coordination des efforts pour la réalisation d'objectifs communs est à peu près inexistante.

En une décennie, le code de la santé publique a triplé de volume et commissions et procédures se sont multipliées à l'envi. Cela n'a pas empêché la catastrophe sanitaire de cet été. La politique de santé publique doit donc servir à organiser l'action sur le terrain, pour rapprocher les professionnels du soin, les professionnels de l'action sociale, les soins de ville et les soins hospitaliers. Rapprocher en effet : la nécessité pressentie dans l'élaboration de cette loi s'est cruellement confirmée cet été.

Devant ces lacunes, il est tentant d'annoncer que les dépenses de santé publique doivent être augmentées. C'est vrai que de nombreux besoins restent insatisfaits. Mais il faut avant tout, mieux utiliser l'argent public, éviter le gaspillage d'énergie et de moyens ; il faut créer les conditions d'une véritable synergie entre les différents acteurs alors qu'aujourd'hui la dispersion des moyens est extrême. A côté des deux grands acteurs que sont l'Etat, ses services, ses agences et l'assurance-maladie avec ses caisses, coexistent une myriade de structures : observatoires régionaux de la santé, comités départementaux d'éducation pour la santé, multiples associations spécialisées, espaces santé jeunes, centres d'éducation à la santé et à la citoyenneté en milieu scolaire, observatoires de la santé au travail, ... Entre l'Etat, l'assurance-maladie, les collectivités locales, - régions, départements, communes ou groupements de communes - les associations ou les entreprises, la répartition des responsabilités est confuse. Ce projet de loi propose un mécanisme pour associer tous ceux qui souhaitent concourir à la politique de santé publique au niveau régional. Il faut de la cohérence, sans exclure personne. On a bien au contraire besoin de tout le monde, chacun à sa place, avec ses missions.

Mettre en œuvre des objectifs simples et forts - agir en amont sur les déterminants des maladies, prévenir plutôt que guérir - nécessite une traduction administrative et institutionnelle aussi simple et efficace que possible, même si elle peut être rébarbative, certains disent technocratique. La version initiale du projet proposait, pour simplifier un paysage institutionnel beaucoup trop complexe, de substituer aux actuelles structures de concertation un mécanisme périodique de débat sur la santé. Mais à l'occasion des différentes concertations menées durant l'été, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer le maintien dans la loi d'une instance permanente de débat permettant aux associations, aux professionnels, aux sociétés savantes de faire entendre leur voix. Cette revendication est également celle de nombreux députés de la commission et notamment du rapporteur. Elle est apparue juste et utile. Il faudra donc déterminer le meilleur moyen d'amender le projet actuel sur ce point.

La région apparaît comme le meilleur niveau pour mettre en œuvre la politique de santé publique. C'est à cette échelle, d'une part, que les objectifs nationaux doivent être déclinés en tenant compte des spécificités locales et, d'autre part, que tous les acteurs de la santé publique peuvent et doivent travailler ensemble. Il est important de bien comprendre qu'une des principales entraves à la performance de notre système de santé publique tient à l'extrême dispersion des acteurs de terrain. En même temps, la multiplicité de ces acteurs, leur diversité est une richesse. Comment concilier ces deux aspects ? Plutôt que de créer un mécanisme compliqué, il est proposé un mécanisme souple d'association au sein d'un groupement d'intérêt public (GIP), instance opérationnelle chargée de la mise en œuvre du plan régional de santé publique. Tout en respectant la personnalité et l'identité de chacun des acteurs, ce GIP doit permettre de mutualiser les financements au niveau régional. Il garantira la coordination des actions sur la base de priorités établies par son conseil d'administration, dans lequel siégeront, outre l'Etat, l'assurance-maladie, les collectivités locales qui le souhaiteront et l'Agence régionale d'hospitalisation (ARH).

La quatrième orientation de ce projet de loi est la création d'une grande école de santé publique. Car c'est bien un objectif de santé publique majeur que d'assurer la meilleure formation possible des professionnels de la santé aux problèmes de la prévention, dans toutes ses facettes. Actuellement l'Ecole nationale de la santé publique (ENSP) forme les agents de l'Etat œuvrant dans le domaine sanitaire et social, dont les personnels de direction et d'encadrement des hôpitaux. De leur côté, les facultés de médecine ne forment que les médecins tandis que l'ENSP ne délivre pas de diplômes reconnus au plan universitaire. Il nous faut une London School comment l'ont les Anglais, un Harvard en santé comme l'ont les Américains. Le Gouvernement souhaite donc créer un grand établissement d'enseignement supérieur permettant d'animer un réseau national de formation en santé publique, de mettre en commun les expériences et les compétences et de hisser notre système de formation au meilleur niveau. La France manque quantitativement de compétences dans les différents métiers de la santé publique ; il faut se donner les moyens de les acquérir et de professionnaliser le champ de la santé publique. Il s'agit de choses aussi diverses et nécessaires que de former des techniciens du bruit ou de la qualité des eaux et d'offrir aux professionnels de la santé une formation continue en matière de sécurité sanitaire, au sein d'un établissement disposant d'une visibilité internationale et nous hissant au niveau de nos partenaires les plus performants, Anglais, Américains et Belges notamment. La création de cette école devrait ainsi profiter à l'ensemble des professionnels aujourd'hui formés à l'ENSP.

Il est enfin proposé une révision importante des dispositions relatives aux recherches biomédicales, issues de la loi du 20 décembre 1988 dite loi Huriet-Sérusclat.

Ce projet ambitieux s'insère dans une démarche internationale visant à porter le message du caractère primordial de la santé publique. La France est à l'initiative d'une directive prohibant la publicité transfrontalière du tabac ainsi que des recommandations renforçant les contrôles pour lutter contre l'épidémie naissante du SRAS. Afin de doter l'Europe d'une capacité opérationnelle pour répondre efficacement aux enjeux des grandes épidémies et maladies transmissibles, un centre européen de contrôle des maladies transmissibles, sur le modèle du centre d'Atlanta, est sur le point de voir le jour. Il pourrait être opérationnel début 2006. Enfin, une vaste convention de coopération avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sur les principaux sujets de santé publique est sur le point d'aboutir.

Le projet de loi comporte quatre titres. Le titre I clarifie les responsabilités et simplifie les instances impliquées dans la politique de santé publique.

Au plan national, il est prévu un mécanisme de consultation national destiné à éclairer le gouvernement lors du choix des objectifs et plans nationaux de santé publique, un organisme d'expertise technique unique - le Haut Conseil de santé publique - qui reprend les missions du Conseil supérieur d'hygiène publique de France et celles du Haut comité de la santé publique et une instance de coordination interministérielle et de gestion politique, le Comité national de la santé publique. Ce faisant, le paysage institutionnel actuel est considérablement simplifié

Au niveau régional, il est prévu une instance de concertation et de coordination comprenant, outre l'Etat, l'assurance-maladie et les collectivités locales, les différents acteurs de terrain, une instance opérationnelle - le groupement régional de santé publique - qui associe les différents financeurs des actions de santé publique et est chargée de mettre en œuvre ce plan régional de santé publique en choisissant les opérations qu'elle finance ou cofinance. Pour des raisons de cohérence et d'organisation territoriale, cette instance doit être dirigée par la direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS) et, concernant la présidence de son conseil d'administration, il faut déterminer quelle est la solution la meilleure pour l'Etat et ses partenaires, conseil régional et assurance-maladie. Le conseil régional pourra développer des actions particulières complémentaires de la politique portée par l'Etat.

Le titre II est relatif aux outils d'intervention de l'Etat. Il précise les missions de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé. Il prévoit l'organisation régionale en matière de santé publique. Il établit de nouvelles dispositions relatives à la politique vaccinale. Il précise les mesures à mettre en œuvre en cas de menaces sanitaires graves. Il renforce les contrôles sur la production et l'utilisation de micro-organismes et de leurs toxines. Il permet de renforcer les systèmes d'information sanitaire, en ménageant un équilibre entre la nécessité d'avoir accès à des données importantes pour la protection de la santé et celle de protéger la vie privée.

Il est évidemment indispensable d'apporter des réponses aux questions soulevées pendant l'été. Pour tirer les leçons des difficultés qu'il y a eu à évaluer l'impact de la canicule sur la mortalité, plusieurs amendements seront proposés, notamment sur la transmission électronique des certificats de décès et l'alerte sanitaire.

Le titre III comporte les dispositions relatives aux plans de santé publique nationaux. Il prévoit une démarche de programmation stratégique liant les objectifs aux moyens sur le modèle du chantier présidentiel sur le cancer. Quatre autres domaines sont ainsi visés : la santé environnementale incluant la santé au travail, la violence et les comportements à risques, les maladies rares, la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques. Les événements de l'été conduisent à proposer également un plan de protection de la santé des personnes plus vulnérables.

L'Institut national du cancer va être créé conformément aux engagements annoncés le 24 mars dernier par le Président de la République. Il sera, en quelque sorte, la « tour de contrôle » du dispositif de lutte contre le cancer, la maison commune des patients et des soignants.

Dans le domaine de l'environnement, comme l'a demandé le Président de la République, un plan national en santé-environnement sera élaboré qui comportera un volet relatif aux situations météorologiques extrêmes. Compte tenu de la complexité de ces problèmes, une commission d'experts va être chargée d'élaborer des premières propositions. Il faut aussi mentionner la surveillance épidémiologique en milieu de travail et les dispositions relatives à la préservation de la qualité de l'eau potable et minérale. Enfin, le texte de loi prévoit de renforcer les mesures de lutte contre le saturnisme et l'amiante.

Le titre IV concerne la recherche et la formation en santé. Il crée, en premier lieu, l'Ecole des hautes études en santé publique. En deuxième lieu, il actualise le dispositif d'encadrement des recherches biomédicales. Cette révision s'impose par la nécessité de transposer en droit interne la directive 2001/20/CE relative aux essais cliniques de médicaments, mais aussi par le besoin, exprimé précisément par tous les acteurs de la recherche en santé, auxquels ont fait écho divers travaux parlementaires, d'adapter le dispositif existant. La directive nous conduit sur le terrain des principes et des droits fondamentaux de la personne ; le gouvernement a donc souhaité définir, au-delà du médicament, des règles et un cadre commun à toutes les recherches biomédicales plutôt que d'instaurer différents régimes de protection. Le projet de loi remplace l'actuel régime déclaratif par un régime d'autorisation et supprime la distinction entre recherche sans bénéfice individuel direct et recherche avec bénéfice individuel direct, souvent difficile à manier et trompeuse pour les personnes qui se prête à la recherche, au profit de l'appréciation plus fine d'un bilan bénéfice-risque.

En dernier lieu, ce projet de loi simplifie le dispositif de formation médicale continue. La formation continue des médecins - comme celle de tous les autres professionnels de santé - est une des conditions du succès de la politique de qualité des soins qu'il faut enraciner au cœur de notre système de santé. Elle ne saurait être limitée au perfectionnement des connaissances, mais doit viser l'amélioration de la qualité des soins. En réalité, les médecins perçoivent très bien la nécessité où ils sont de se former pour continuer à délivrer les soins de meilleure qualité et ils souscrivent de manière responsable à cette obligation. Une démarche incitative et conventionnelle est plus efficace qu'une démarche répressive.

Ce projet de loi a fait l'objet d'un vaste ensemble de consultations régionales l'automne dernier. Le rapport annexé a fait l'objet d'une consultation dans les milieux académiques et les associations ont pu s'exprimer au travers du site Internet du ministère de la santé. Plus de 140 experts y ont participé. Les réformes proposées constituent à la fois une réponse à nos faiblesses structurelles en santé publique et expriment la volonté de tirer sans attendre les premières leçons du drame de la canicule de cet été. La santé est dans notre société une valeur et un bien suprêmes. Ce projet de loi en est la traduction concrète et le débat parlementaire sera un moment fort pour signifier l'engagement de la Nation pour la protection et l'amélioration de la santé.

Après avoir remercié le ministre pour la qualité de son intervention qui a permis de clarifier un certain nombre de points donnant lieu à débat, notamment concernant l'Institut national du cancer (INC), le président Jean-Michel Dubernard, rapporteur, a posé les question suivantes :

- N'est-t-il pas nécessaire d'associer davantage les usagers à l'organisation du système de santé publique, notamment dans le cadre des conférences régionales de santé qu'il semble indispensable de maintenir ?

- Quel est le rôle des régions dans la mise en œuvre de la politique de santé publique prévue par le projet de loi ?

- Ne conviendrait-il pas de hiérarchiser les objectifs de santé publique ? De préciser de quelle façon sera financée leur réalisation ? Quelle est l'articulation entre ce projet de loi, le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances ?

- Concernant l'Ecole des hautes études en santé publique, ne faudrait-il pas distinguer les formations en santé publique des formations au management hospitalier en créant deux filières distinctes l'une de l'autre ? Est-il nécessaire de réunir enseignement et recherche dans une structure unique?

- Enfin, quels seront « les mécanismes d'incitation et de valorisation professionnelle » mis en oeuvre en contrepartie de la suppression des sanctions disciplinaires en cas de manquement à l'obligation de formation médicale continue ? Et pour quelles raisons supprimer le Fonds national de la formation médicale continue ?

M. Denis Jacquat a demandé dans quelle mesure il conviendrait d'intégrer au projet de loi une procédure permettant de recueillir plus rapidement les informations concernant l'état de santé de la population, et notamment les décès, de façon à mieux prévenir les risques sanitaires liés à des événements précis tels que la canicule.

M. Jean-Marie Le Guen a déclaré qu'étant donné le contexte dans lequel ce texte va être discuté, il convient que chacun assume son rôle avec gravité. Malgré les progrès indéniables réalisés depuis quinze ans, notamment avec la création des agences sanitaires, le système de santé publique est en retard. Il est donc nécessaire d'agir avec humilité, mais aussi avec détermination. Il a ensuite posé les questions suivantes :

- Au début de la législature a été annoncé le dépôt d'un projet de loi de programmation doté d'un financement idoine. Pourquoi présenter aujourd'hui une loi générale sans financement ?

- L'esprit de la loi est celui d'un Etat non pas seulement « impulseur », mais acteur et omniprésent. Or, n'est-il pas dommage de n'avoir pas profité de cette réforme pour modifier celui-ci en profondeur, notamment en donnant un rôle accru aux associations de malades dans le processus de décision ? Plusieurs acteurs majeurs du système, parmi lesquels la CNAMTS et de nombreuses agences régionales de l'hospitalisation, ont très mal ressenti cette volonté de placer le préfet de région au cœur du dispositif.

- Les annexes attachées au projet de loi sont peu satisfaisantes. Les objectifs assignés à la politique de santé publique sont trop nombreux - cent - et pas assez argumentés.

- Le projet de loi résulte d'une vision épidémiologiste laquelle constitue une approche certes intéressante mais réductrice. Ne serait-il pas opportun d'y adjoindre une approche populationnelle de façon à ne pas seulement cibler les pathologies mais également les populations à risques ?

- N'y a-t-il pas matière à confusion dans la définition du rôle de l'Etat à l'intérieur du système de santé publique ?

Bien que le texte contienne des aspects positifs, notamment en ce qui concerne la médecine du travail, M. Jean-Marie Le Guen a indiqué qu'il ferait l'objet du dépôt de nombreux amendements de la part du groupe socialiste tout en saluant l'excellent travail préparatoire conduit par le rapporteur.

M. Jean-Luc Préel a rappelé que le système de santé français a su faire ses preuves dans le domaine curatif mais demeure en retard du point de vue de la prévention. Le texte permet de combler ce retard en coordonnant les efforts des multiples acteurs de santé publique. Il a ensuite posé les questions suivantes :

- Afficher cent priorités est une démarche ambitieuse mais qui donne une impression de catalogue. N'aurait-il pas été préférable de ne retenir que quatre ou cinq grandes priorités ?

- N'est-il pas risqué d'afficher des objectifs chiffrés dans la mesure où les résultats ne pourront être connus que dans cinq ans ?

- Le groupe UDF est opposé à la remise en cause du rôle des conseils régionaux dans le système de santé publique. Plutôt que de mettre en avant le rôle du préfet, le gouvernement n'aurait-il pas intérêt à privilégier le rôle des associations en instituant des instances régionales de santé élues et dotées de véritables pouvoirs surmontées d'un conseil national organisé sur le même modèle ? De la même manière pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas décidé d'étendre les compétences des ARH à la médecine ambulatoire et à la prévention en créant ainsi de véritables agences régionales de la santé ?

- La distinction entre prévention, éducation et soin ne paraît pas judicieuse.

- Enfin, la mise en place de l'Institut national du cancer constitue un progrès attendu. Cependant, son mode de financement, qui sollicite la générosité publique, ne risque-t-il pas de le placer en concurrence avec des associations telles que l'Association pour la recherche contre le cancer (ARC) ou la Ligue contre le cancer et donc de priver ces dernières des ressources nécessaires au développement de leurs propres activités de lutte contre la maladie ?

M. Maxime Gremetz a fait part de l'accord de son groupe avec le diagnostic et les orientations retenues par le projet relatif à la santé publique. De fait, il y a lieu de saluer le dépôt d'un projet portant sur la santé publique, le débat dans ce domaine se limitant, au Parlement, à la loi de financement de la sécurité sociale. Nonobstant son accord sur un certain nombre de points, le groupe communiste ne manquera pas de déposer des amendements nombreux et de qualité. La méconnaissance de l'état sanitaire de la France n'est plus acceptable. Ainsi, il ne saurait y avoir de grande politique de santé publique sans politique de prévention. A cet égard, le recul de la médecine scolaire et de la médecine du travail ne peut qu'inquiéter. Afin de prévenir plutôt que guérir, il convient de sérier les objectifs prioritaires ; le catalogue des cent objectifs a le défaut de tout mettre sur le même plan. Sur le plan de l'organisation, une simplification institutionnelle s'impose ainsi qu'une définition des responsabilités et de l'identification de ceux qui les assument. Pour ce qui est du financement, le chiffre de 3,5 milliards consacrés à la prévention sur 150 milliards consacrés à la santé illustre la situation actuelle. Il faut des moyens et des responsables mais aussi une approche globale. Ainsi il est à regretter qu'aucune entreprise française ne fabrique de climatiseurs, lesquels sont principalement importés des Etats-Unis.

En réponse aux intervenants, le ministre a apporté les précisions suivantes : 

- En ce qui concerne la place des usagers, il faut noter que, au moment de l'élaboration du projet de loi, les associations représentatives n'avaient pas encore été consultées. En revanche, le Haut conseil de l'assurance-maladie associera celles-ci à ses travaux. De fait, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades s'est révélée difficile à mettre en œuvre à travers, notamment, les procédures d'agrément par l'Etat des associations d'usagers.

- Les conférences régionales et nationale de santé doivent être à l'évidence conservées. Elles auront la possibilité de s'associer à la définition du programme régional de santé.

- En réponse au souci exprimé par divers intervenants de hiérarchiser les objectifs de santé publique, il convient de garder à l'esprit que les cent domaines visés par le projet de loi ne sont pas exhaustifs. Il s'agit d'indicateurs, qui sont autant de voyants sur un tableau de bord général, permettant d'informer sur la qualité du système de santé publique, et qui n'excluent pas le ciblage de populations à risques.

- Dans le domaine du financement, la mise sous objectifs du système de santé constitue une avancée considérable. Toute entreprise a des objectifs. Certes, la démarche sanitaire ne saurait s'apparenter au commerce. Il n'en demeure pas moins que, pour la première, fois les objectifs seront reliés aux résultats.

- Pour ce qui concerne le Fonds national de prévention, d'éducation et d'information sanitaires (FNPEIS), il s'agit d'un retour de l'Etat dans la définition des actions à mener ; ce retour s'accompagne d'un investissement de 120 à 150 millions d'euros.

- Au sujet de l'Ecole des hautes études en santé publique, la nécessité de former à la santé publique est impérieuse. Le manque de compétences dans le domaine est criant ; à quelques exceptions près, ce sont les derniers à l'internat de médecine qui « subissent » le choix de la santé publique : il faut faire de la santé publique un choix d'excellence. Rien n'empêchera les grandes écoles de développer des filières, en revanche ce qui importe c'est la mise en réseau de celles-ci.

- En matière d'incitations à la formation médicale, plusieurs pistes sont envisageables : l'accès à certaines responsabilités universitaires, à la représentation professionnelle au sein des Unions régionales de médecins libéraux (URML) par exemple ou encore la modulation des primes d'assurance.

- Les dispositions relatives au fonds national de la formation médicale continue répondent à un souci de simplification. Sa création par la loi du 4 mars 2002 reposait sur la mise en place d'un établissement public administratif qui impliquait la constitution d'un conseil d'administration, la nomination d'un directeur, d'un contrôleur financier et l'octroi de moyens en personnel. Le tout représentait un coût de plusieurs millions d'euros. Le choix est fait par le présent projet de loi de renoncer à cette mécanique coûteuse et de consacrer quatre millions d'euros aux structures locales chargées de la formation médicale continue.

- S'agissant de la canicule, comme l'a justement indiqué M. Jean-Marie Le Guen, il faut faire preuve d'humilité et de détermination. Aujourd'hui, les certificats de décès sont établis en mairie et envoyés, dans des délais variables, par lots aux DDASS qui les examinent sous l'angle médical et qui les transmettent ensuite, là encore dans des délais variables, à l'INSERM. Cette situation est insupportable. Un amendement permettra de simplifier la remontée des informations et de parvenir à terme à l'objectif d'une remontée en temps réel à l'Institut national de veille sanitaire. C'est grâce à un tel dispositif que les Etats-Unis ont pu déceler la légionellose, à partir de dix cas très localisés.

- Le gouvernement n'a pas fait le choix d'une loi de programmation. Le présent texte définit cent objectifs, autour de cinq thèmes particuliers, dont la réalisation reposera sur des financements d'origines diverses. En conséquence, ceux-ci feront l'objet d'un débat annuel tant dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale que du projet de loi de finances. De plus, l'ensemble des objectifs devra être passé au crible au moins une fois tous les cinq ans afin d'en analyser les forces et les faiblesses.

- L'Etat n'est en rien « omniacteur » dans la politique de santé. Ses fonctions sont claires. Il est tout d'abord le garant de l'égalité d'accès aux soins, à la prévention et à la meilleure qualité de soins. Il est également responsable de la politique nationale reprise au niveau régional. Les associations conserveront dans ce cadre tout leur rôle. Elles sont le meilleur des relais pourvu qu'il y ait un chef d'orchestre. Néanmoins, leur inquiétude est compréhensible : elles savent aujourd'hui quelle est leur place tandis qu'elles redoutent quelque éventuelle future tutelle. Il faut les rassurer sur ce point : chacun a sa place mais chacun doit également avoir sa feuille de route.

- Il ne faut pas croire que le projet de loi relatif à la politique de santé publique et le projet de loi de financement de la sécurité sociale sont séparés. Prévention et soin vont de pair comme en attestent par exemple les actions en matière de cancer du sein : les campagnes préventives de dépistage débouchent sur le soin des tumeurs repérées.

- S'agissant du rôle du préfet, il est bien celui qui décide en cas de crise et il doit de ce fait être au cœur du dispositif de santé publique, mais il n'est pas le seul à jouer un rôle.

- Il est effectivement indispensable de développer la médecine scolaire et la médecine au travail, comme l'a souligné M. Maxime Gremetz.

M. Claude Evin est intervenu sur la question de l'organisation du système de santé publique. Si l'on peut partager pour l'essentiel le diagnostic fondant le projet de loi, la réponse qu'il apporte de façon concrète est confuse et critiquable. Que propose-t-on pour remédier à la dispersion des acteurs, à l'insuffisante coordination ? La création d'un nouveau « machin ». Le GIP proposé semble particulièrement lourd et, présidé par le préfet, devra cohabiter avec l'ARH, autre GIP. Si la volonté est de remédier au le cloisonnement, il faut tout confier au même organisme. On peut discuter sur le format des agences régionales de santé mais il faut, incontestablement, rassembler en leur sein prévention et soins. Comment peut-on concevoir par exemple que les professionnels de santé doivent négocier avec des structures différentes, alors que leur activité relèvent tantôt de l'une, tantôt de l'autre approche, d'autant qu'ils doivent par ailleurs négocier avec les CRAM sur l'assurance-maladie ? En réalité, ce projet de loi n'est pas un bon texte. Il ne fait qu'introduire une complication supplémentaire.

M. Bernard Accoyer s'est réjoui de la présentation d'un texte qui constitue enfin un support pour une authentique politique de santé, trop souvent remplacée par l'omniprésence de la politique d'assurance-maladie. Il s'agit là d'une avancée vers la structuration d'une véritable politique de santé publique et les critiques qui peuvent lui être faites doivent être nuancées en gardant ce point présent à l'esprit.

Quelques éléments concrets du texte appellent des observations :

- On ne peut traiter le problème de la santé mentale en le reléguant dans un ou deux objectifs. Le retard pris par la France dans la prévention, l'accueil, la prise en charge et les soins dispensés aux malades mentaux est flagrant alors que les psychotiques représentent 4%  de la population. On ne peut en outre qu'être troublé par l'absence de réglementation de l'exercice de la profession de psychothérapeute. La situation de la France, en outre premier pays consommateur au monde de médicaments psychotropes, appelle des mesures de manière urgente.

- La France se distingue également en matière de drogue puisque sa jeunesse est la première consommatrice de cannabis du monde et qu'on connaît désormais les effets sur la santé, notamment mentale, de l'usage de cette drogue. Un texte définissant la politique de santé publique doit traiter ce problème sanitaire.

- S'agissant de la jeunesse, il convient également d'agir sur les pratiques à la mode : il n'est pas question d'interdire les modifications corporelles non réglementées, comme le tatouage ou le piercing, mais au minimum d'informer les intéressés sur leurs conséquences prévisibles ou non.

- Concernant la formation, le texte se cantonne à la formation médicale continue. Il faudrait élargir la réflexion aux professions paramédicales et mêmes aux auxiliaires de vie, notamment par le biais de la validation des acquis de l'expérience.

- En ce qui concerne les urgences, il faut incontestablement jeter les bases de nouvelles structures pour mieux répondre aux besoins de la population.

M. Pierre-Louis Fagniez a évoqué le titre IV du projet de loi modifiant la loi Huriet-Sérusclat afin de transposer la directive communautaire portant sur les recherches biomédicales. Cette loi de 1988 a eu un rôle très utile, notamment pédagogique, avec la notion de bénéfice individuel direct. Il faut toutefois aujourd'hui se demander quelles améliorations y apporter compte tenu du fait que les expérimentations ne sont plus uniquement des essais médicamenteux innovants sur des volontaires sains, souvent des étudiants en médecine, payés et soumis à de graves risques sanitaires, mais des recherches chirurgicales ou réanimatoires permettant d'obtenir des données opératoires ou épidémiologiques. Il faut définir une nouvelle règle applicable pour toutes les recherches et pas uniquement pour les médicaments innovants. Les sociétés savantes consultées se sont déclarées très satisfaites du toilettage de la loi Huriet réalisé par le projet de loi et de la création de la notion d'évaluation du bénéfice et du risque de la recherche. Il faut toutefois reconnaître qu'il y a plusieurs types de recherche, pouvant relever de procédures différentes. Ainsi les évaluations permettant de choisir les meilleures stratégies chirurgicales ou réanimatoires pourraient-elles relever d'une procédure allégée. Dans le même but de simplification des procédures, on peut se demander si le Comité consultatif sur le traitement de l'information en matière de recherche dans le domaine de la santé (CCTIRS), lequel relève de la tutelle conjointe des ministres de la santé et de la recherche, doit être conservé en l'état ou rattaché au nouveau dispositif créé par le projet de loi.

Après avoir relevé que ce projet de loi est très attendu et exhaustif, M. Jacques Domergue s'est demandé comment sera organisée la coordination entre la définition des objectifs de santé publique au niveau régional et l'attribution de moyens toujours effectuée au niveau départemental. La valorisation du rôle des DRASS pose également question compte tenu de la perspective de la création d'agences régionales de santé. Pour les mêmes raisons de risque de manque de lisibilité, il ne faut peut être pas mettre trop d'objectifs dans un même texte mais plutôt identifier et hiérarchiser quelques priorités annuelles.

En réponse aux intervenants, le ministre a apporté les informations suivantes :

- La création des groupements régionaux de santé publique constitue le moyen le plus simple de réunir différentes entités sans porter atteinte à leur identité. Les agences régionales de l'hospitalisation participeront au dispositif puisqu'elles appartiendront aux groupements. Il faut certes aller vers des agences régionales de la santé mais il est préférable de procéder par étapes car on ne peut pas faire les choses brutalement ni préjuger de la future organisation du système de santé avant l'aboutissement des concertations en cours au sujet de la réforme de l'assurance maladie.

- S'agissant de la santé mentale, un plan d'action concret sera mis en œuvre, hors le cadre du présent projet de loi car il s'agit d'un sujet très spécifique. Ce plan s'articulera sur quatre objectifs : préciser les contours et les acteurs du secteur, encourager les actions de prévention, notamment à destination des plus jeunes, encadrer les pratiques de psychothérapie et définir des principes d'évaluation et de formation continue.

- Concernant les modifications corporelles non réglementées, il serait possible de définir, dès cette loi de santé publique, une obligation d'information, pour faire suite par exemple aux recommandations concernant le tatouage et le piercing élaborées par le ministère.

- Il est tout à fait souhaitable de valoriser la validation des acquis dans le cadre de la formation des personnels paramédicaux.

- Un plan d'organisation des urgences est en cours de préparation au ministère, dans le cadre d'un groupe de travail piloté par le directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins. Ce plan permettra notamment de mieux relier les urgences hospitalières à l'amont (accueil, héliport) et à l'aval (lits de suite).

- La France peut se féliciter d'avoir adopté, quarante ans après Nuremberg, une loi de protection des personnes avec la loi Huriet. Cette loi connaît quelques limites avec le développement des recherches à caractère cognitif, par exemple sur des personnes ne pouvant pas exprimer leur consentement. Il faut donc effectivement adapter les procédures comme le suggère M. Pierre-Louis Fagniez.

M. Dominique Paillé a fait les trois remarques suivantes :

- On peut craindre une volonté rampante d'étatisation du système lorsqu'on constate le rôle de l'Etat consacré par le projet de loi alors que la crise sanitaire de l'été a plutôt montré les risques de la centralisation et la nécessité d'une plus grande responsabilisation au niveau local.

- La région constitue certainement le niveau optimal pour traiter les questions sanitaires, notamment en termes de prévention, mais on peut s'interroger sur l'intérêt de superposer une nouvelle structure ne faisant pas disparaître celles déjà existantes car il y a un risque que ce qui se superpose se stratifie.

- Déterminer cent priorités dans la loi aboutit à n'en déterminer aucune et il serait plutôt souhaitable de restreindre son ambition pour mettre en œuvre efficacement les moyens permettant d'atteindre quelques objectifs prioritaires, comme la prévention en matière de santé mentale par exemple.

Après avoir rappelé que l'ensemble des personnes auditionnées par le rapporteur ont estimé que la définition de la politique de santé publique relève de l'Etat mais qu'un problème de coordination demeurait au niveau régional, M. Bertho Audifax a proposé d'organiser la formation médicale continue autour de pôles hospitaliers régionaux. Réunir l'ensemble des médecins libéraux et hospitaliers ainsi que les autres personnels paramédicaux, dans un lieu unique de formation et avec une évaluation, permettrait en effet de remédier au clivage public-privé qui continue de caractériser notre système de santé. Par ailleurs, le problème du cannabis, qui est particulièrement préoccupant à la Réunion, pourrait justifier le dépôt d'un amendement au projet de loi, comme l'a proposé M. Bernard Accoyer.

M. Jean-Marc Roubaud a indiqué qu'il n'était pas entièrement convaincu du bien-fondé de la création de groupements régionaux de santé publique (GRSP). Il serait dès lors souhaitable d'envisager la constitution d'une mission d'information parlementaire afin d'étudier les possibilités de réorganisation des structures existantes. Le rôle du préfet est, quoi qu'il en soit, crucial au moment de crises sanitaires graves, comme l'ont montré les évènements tragiques qui ont eu lieu dans le Gard.

En réponse aux intervenants, le ministre a donné les précisions suivantes :

- L'Etat doit réaffirmer son rôle de garant de la santé publique et avoir un coordonnateur efficace en région pour décliner au niveau régional le programme national de santé publique. Pour autant, il ne s'agit pas de se substituer aux différents opérateurs, mais de mieux distinguer les responsabilités de direction et de coordination, d'une part, et de mise en œuvre, d'autre part.

- S'il ne paraît pas possible de créer dès aujourd'hui des agences régionales de santé (ARS), le projet de loi permet néanmoins de réunir, au sein du GRSP, les agences régionales de l'hospitalisation (ARH), les unions régionales des caisses d'assurance-maladie (URCAM) ainsi que les unions régionales des médecins libéraux (URML). A terme, si ces différents acteurs parviennent à travailler ensemble, le GRSP pourrait donc préfigurer la mise en place des ARS dans le cadre de la modernisation de l'assurance-maladie, car c'est bien ce vers quoi il faut tendre.

- La hiérarchisation entre les objectifs de santé publique existe d'ores et déjà puisque le projet de loi identifie cinq thèmes prioritaires : la lutte contre le cancer, les risques liés à l'environnement, les maladies chroniques, les comportements à risque et conduites additives, les maladies rares.

- Parce que l'Etat n'a pas vocation à être le seul opérateur dans ce domaine, même s'il doit assumer ses responsabilités, il est par ailleurs nécessaire de bien préciser les responsabilités de chacun au niveau régional.

- La proposition visant à instituer des pôles régionaux hospitaliers se heurte à plusieurs difficultés : les médecins libéraux souhaitent décider de l'organisation de leur formation continue et ce dispositif nécessite par ailleurs d'être validé au niveau conventionnel. Il serait souhaitable que les professionnels de santé aient un cheminement de carrière progressif, fondé sur leur participation à la formation et à l'évaluation des pratiques professionnelles.

- S'agissant du cannabis, le Premier ministre a affirmé son intention d'engager la révision de la loi du 31 décembre 1970 dans les prochains mois. Des propositions devraient lui être présentées sur ce sujet à l'automne par le président de la mission interministérielle de lutte contre les toxicomanies (MILT).

M. Jean-Marie Le Guen a souhaité savoir si des amendements au projet de loi seraient présentés par le gouvernement sur ce point.

Le ministre a répondu que ce ne serait pas le cas. En revanche, le gouvernement déposera des amendements tendant à répondre aux problèmes soulevés par la crise sanitaire de cet été.

Mme Catherine Génisson a souhaité que, à l'inverse du débat sur l'interdiction de la vente de tabac aux mineurs de moins de seize ans, la question du cannabis fasse l'objet d'un débat global et approfondi dans le cadre de la révision de la loi du 31 décembre 1970 et ne soit pas traité incidemment lors de l'examen du présent projet de loi.

Soulignant la nécessité absolue de remédier à la dispersion des moyens et de mettre en place un système de coordination qui soit efficace en situation de crise, le ministre a conclu en indiquant que le diagnostic, éclatant aujourd'hui, avait déjà été dressé lors de l'élaboration du projet de loi et que le gouvernement est disposé à envisager sans a priori toutes les améliorations qui pourraient être apportées à ce texte par le Parlement.

Le président Jean-Michel Dubernard a estimé que les différentes interventions, d'où qu'elles viennent, ne montraient pas de divergences profondes, preuve que des idées consensuelles peuvent émerger en matière de santé publique et pourraient faire l'objet de propositions communes.


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