COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 7

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 29 octobre 2002
(Séance de 11 heures 30)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Ioannis Kassoulides, Ministre des Affaires étrangères de la République de Chypre


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Audition de M. Ioannis Kassoulides, Ministre des Affaires étrangères de la République de Chypre

Le Président Edouard Balladur a accueilli M. Ioannis Kassoulides, Ministre des Affaires étrangères de la République de Chypre.

Soulignant que celui-ci avait toujours témoigné son fidèle attachement à la France et le remerciant de s'exprimer en français devant la Commission, le Président a rappelé qu'il y a deux ans, la Commission avait reçu M. Glafcos Cléridès, Président de la République de Chypre, et que M. Kassoulides était intervenu au cours de cette réunion.

A cette époque déjà, les négociations d'adhésion de Chypre à l'Union européenne progressaient de façon satisfaisante et aujourd'hui Chypre figure en tête des pays candidats à l'élargissement avec un PIB par habitant représentant 80 % du PIB moyen des pays membres de l'Union européenne.

L'économie de l'île connaît un taux de chômage de 3,5% que l'on peut lui envier, ainsi qu'un taux de croissance du même ordre ; le Gouvernement chypriote s'est en outre fixé l'objectif de supprimer le déficit budgétaire en 2004.

C'est sur le plan politique que se situent les problèmes, nés de la partition de l'île en 1974.

L'Union européenne a toujours dit son souhait de voir Chypre unifiée entrer dans l'Europe élargie. Néanmoins lors du Conseil européen d'Helsinki du 10 décembre 1999, les Quinze ont considéré que la conclusion d'un règlement politique ne constituerait pas une condition préalable à l'adhésion et que, pour arrêter sa décision, le Conseil tiendrait compte de tous les éléments pertinents.

Dans son rapport publié début octobre sur chacun des pays candidats, la Commission a conclu que Chypre remplissait les critères politiques et économiques fixés en 1993 à Copenhague et que Chypre sera en mesure d'assumer les obligations découlant de l'adhésion selon le calendrier prévu.

Le Président Edouard Balladur a demandé au Ministre s'il existait selon lui une chance de parvenir, avant la mi-décembre, à un règlement politique de la question chypriote et à quelles conditions le Gouvernement chypriote pourrait accepter un plan de règlement présenté par le Secrétaire général des Nations unies. Ayant rencontré M. Kofi Annan la semaine dernière à New York, le Président a précisé que le Secrétaire général n'avait pas, à ce moment, décidé s'il déposerait ou non ce plan de règlement.

M. Ioannis Kassoulides a confirmé la présentation par le Président Edouard Balladur de la situation de Chypre au regard de son intégration dans l'Union européenne. Deux chapitres de négociation restent à conclure : le chapitre agricole et celui des dispositions financières, ce dernier devant trouver une solution prochainement à la suite de l'accord intervenu entre les Quinze au Conseil européen de Bruxelles des 24 et 25 octobre 2002. Aussi, le Ministre s'est-il dit très optimiste sur la clôture de ces deux derniers chapitres en novembre.

La question principale qui demeure est celle de savoir si l'on pourra parvenir, d'ici le Conseil européen de Copenhague, à un règlement politique, basé sur un compromis, de ce qu'on appelle la question chypriote. Si cela était le cas, tous les Chypriotes profiteraient des conséquences favorables de l'adhésion. Il a estimé que le Secrétaire général des Nations unies serait plus enclin à déposer un plan d'ensemble de règlement de la question chypriote si les forces européennes l'emportaient aux élections législatives qui auront lieu en Turquie le 3 novembre prochain ; il est en effet important que le plan ne soit déposé que s'il existe une chance réelle de voir la Turquie jouer un rôle constructif et de parvenir à un règlement.

Des pourparlers intensifs se déroulent à Chypre entre les représentants des deux communautés depuis janvier, mais la partie chypriote turque n'a pas jusqu'à présent démontré une volonté politique suffisante de faire progresser la solution de réunification. Les réformes adoptées par le parlement turc au mois d'août constituent un élément important d'un processus de rapprochement entre la Turquie et l'Union européenne. Le souhait de la Turquie est de pouvoir intégrer l'Union européenne ; d'un autre côté, le souhait des Chypriotes est de faire cesser la division de leur pays. Ces deux aspirations pourront-elles être réalisées avant ou après le 12 décembre ? Chypre est prête à aboutir à un règlement avant le Conseil européen, mais elle est également prête à poursuivre les pourparlers après cette date. Il reste cependant un différend important, dans la mesure où Rauf Denktash, le dirigeant de la partie turque de l'île, propose la constitution de deux Etats souverains et indépendants liés par un mode d'association assez faible : l'acceptation d'une telle solution aboutirait à légaliser la division et à l'absence d'une entité représentant tous les Chypriotes à Bruxelles. Chypre espère l'évolution de cette position ; mais si le choix qui se présente pour Chypre est celui d'une division sans adhésion à l'Union européenne ou d'une division avec adhésion à l'Union européenne, cette dernière solution sera évidemment retenue.

Ayant connu le conflit civil et la division, Chypre aspire à prendre des responsabilités au sein de la communauté internationale, en particulier face au terrorisme et en cas de crise, en apportant sa contribution aux efforts de paix. La médiation chypriote pour faire cesser le siège de l'église de la Nativité à Bethléem, il y a quelques mois, est un exemple de cette aspiration.

M. Pascal Terrasse a annoncé qu'il venait de prendre la présidence du groupe d'amitié France-Chypre et rappelé que sous la précédente législature il avait présidé le groupe d'amitié France-Corée du Sud, qui est également un pays divisé. C'est pourquoi il a souligné combien M. Ioannis Kassoulides avait eu raison d'insister sur l'unité de Chypre, l'élargissement de l'Union européenne ne pouvant être envisagé avec un pays partagé.

Chypre étant située dans une région, le bassin méditerranéen, soumise aux aléas des peuples en difficultés, il a souhaité savoir si, à l'instar d'autres pays du Sud de l'Europe, elle subissait l'afflux de réfugiés provenant du Moyen-Orient et, dans l'affirmative, comment elle traitait cette question.

M. Ioannis Kassoulides a félicité M. Pascal Terrasse pour sa récente nomination, convenant que son expérience précédente le mettait en position de mieux comprendre la situation d'un pays divisé.

M. Ioannis Kassoulides a répondu que la question de l'immigration préoccupe l'opinion publique chypriote tout autant que le gouvernement et le parlement. Chypre doit faire face à des trafics d'êtres humains et d'immigration illégale. Il arrive effectivement que des bateaux accostent à Chypre, où les passeurs abandonnent les réfugiés en leur disant qu'ils se trouvent en Italie ou en Grèce. Toutes proportions gardées, les effets de l'arrivée de 70 réfugiés à Chypre sont équivalents à ceux que connaît l'Italie lorsqu'elle voit débarquer 1 000 personnes d'un bateau. Chypre a pris des mesures pour protéger ses côtes et signé des accords de coopération avec de nombreux pays. Ainsi des accords de réadmission existent avec la Syrie et le Liban. Avec l'Italie ont été signés un accord de réadmission et un accord de coopération pour la surveillance côtière. Un accord est en cours avec la Grande-Bretagne qui dispose de deux bases dans cette région et d'installations pour faciliter la surveillance. Chypre essaie de faire face à cette immigration et se sent responsable, en application de l'acquis communautaire, du contrôle des frontières de l'Union européenne à l'Est de la Méditerranée. C'est pourquoi elle a proposé dans le cadre du processus de Barcelone que tous les Etats participants concluent des accords de réadmission.

M. François Loncle a demandé comment politiquement et d'un point de vue pratique l'adhésion de Chypre à l'Union européenne s'effectuerait si, dans une hypothèse pessimiste, la question qui l'oppose à la Turquie n'était pas réglée. Quel serait par exemple le statut des habitants de l'île si celle-ci restait divisée ? Comment serait appréhendé son fonctionnement ?

M. Bruno Bourg-Broc a souhaité connaître l'avis de M. Ioannis Kassoulides sur l'utilisation d'une seule langue de travail dans l'Europe élargie.

M. Ioannis Kassoulides a expliqué la solution envisagée par la Commission européenne en cas de non résolution de la partition de Chypre avant son adhésion à l'Union européenne : dans ce cas, c'est l'ensemble de la République de Chypre, comme personne légale reconnue internationalement, qui entrerait dans l'Union, mais l'acquis communautaire ne s'appliquerait que dans la zone effectivement contrôlée par la République de Chypre. Par ailleurs, une annexe au traité d'adhésion prévoirait les modalités d'application de l'acquis communautaire au reste de l'île en cas de réunification. Il s'agit de transposer le modèle de la solution appliquée à l'Allemagne de l'Est en 1990, mais, contrairement à ce qui s'était fait, en l'organisant à l'avance.

Sur la question de la langue française, l'institut Eurobaromètre a montré que parmi les douze candidats à l'adhésion, la Roumanie était le seul où le français était fortement parlé ; Chypre arrive en deuxième position, mais avec seulement 6 % de francophones. En ce qui concerne les langues officielles, l'adhésion de Chypre n'en augmentera pas le nombre, puisque le grec est déjà langue officielle de l'Union. Eventuellement se posera la question de la langue turque : il y a des arguments positifs et négatifs à l'adopter parmi les langues officielles, mais il est vrai que cela montrerait à la Turquie que l'adhésion de Chypre à l'Union européenne peut avoir une influence favorable sur sa propre candidature.

M. Philippe Briand a soulevé la question des milliers de disparus chypriotes à la suite des conflits de 1974. Sait-on ce qu'ils sont devenus ? Quels sont les moyens mis en œuvre par le gouvernement pour enquêter ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres a tout d'abord demandé à M. Ioannis Kassoulides sa conception du périmètre de l'Europe élargie. Puis il a souhaité savoir s'il avait le sentiment que le fait de ne pas donner de date à l'ouverture des négociations pour l'adhésion de la Turquie constituait un facteur risquant d'avoir pour conséquence le maintien de la partition de l'île.

M. Jean-Jacques Guillet a noté qu'en cas d'accord avec la partie turque, le problème se posera de la réoccupation de villes ou villages abandonnés en 1974 et a souhaité savoir comment la question allait être évoquée et discutée par le gouvernement.

La partie turque n'étant reconnue que par la Turquie, il a posé la question de savoir pourquoi l'Union européenne ne pouvait pas peser suffisamment pour que la Turquie, dont on sait qu'elle fait vivre politiquement et économique la partie turque de l'île, abandonne cette position.

Enfin, il a souhaité obtenir des précisions sur l'atout que pouvait représenter Chypre dans le poids nécessaire de l'Union européenne au Proche-Orient et dans le règlement de la crise dans cette région.

Evoquant le douloureux problème des disparus chypriotes, M. Ioannis Kassoulides a indiqué que les Turcs affirment que ceux-ci sont tous morts pendant les affrontements de 1974. Dans la mesure où il s'agit d'une question humanitaire et non politique, Chypre souhaite alors savoir où les corps ont été ensevelis afin de pouvoir les rendre aux familles et les enterrer dignement. Pourtant, la partie turque refuse cette proposition simple, ce qui alimente les rumeurs selon lesquelles certaines personnes sont encore emprisonnées.

En ce qui concerne le périmètre de l'Union européenne, Chypre considère que plus il y aura de pays se comportant en pays européens, mieux ce sera, car cela traduira la reconnaissance par les Etats du principe de règlement pacifique des conflits. Néanmoins, c'est à l'Union européenne de décider jusqu'où elle veut aller et c'est à elle qu'il appartient de dire si elle accepte ou non d'ouvrir de nouvelles négociations d'adhésion. Or, la Turquie ne remplit pas actuellement les critères définis en 1993 à Copenhague et elle est consciente qu'il lui sera difficile d'obtenir une date pour entamer les négociations. Mais les efforts qu'elle a consentis méritent d'être soulignés et encouragés.

Pour Chypre, la question territoriale est très importante : si la Turquie, qui occupe actuellement 37 % de l'île, n'en contrôlait plus que 25 %, cela permettrait déjà à 55 ou 60 % des personnes déplacées de rentrer chez elles. En effet, comme l'a reconnu la Cour européenne des droits de l'Homme à deux reprises, la Turquie doit être considérée comme responsable de ce qui se passe dans la partie du pays qu'elle occupe.

S'agissant du Moyen-Orient, Chypre dispose d'un atout important, car elle entretient de bonnes relations avec les pays arabes et Israël sans être impliquée dans le conflit. Au moment de l'affaire de l'église de la Nativité, l'île a servi de médiateur et il s'y est tenu des rencontres parfois secrètes entre les divers protagonistes sur les problèmes du Moyen-Orient. Grâce à ses circuits financiers, Chypre offre des possibilités d'échanges culturels et économiques notamment pour les entreprises européennes qui souhaitent investir dans la région du Proche-Orient et au-delà. Elle servira de base à l'UNOVIC pour l'envoi des inspecteurs en Irak.

Le Président Edouard Balladur a souhaité poser trois questions.

S'agissant de la réunification de Chypre, faut-il comprendre que la condition primordiale est d'aboutir à la constitution d'un seul Etat et non deux Etats indépendants liés dans une association moins forte que l'Union européenne elle-même.

Constatant que l'économie de Chypre était fondée sur le tourisme et le secteur financier, il a demandé si on envisageait de la développer dans d'autres domaines et si les objectifs de lutte contre le blanchiment avaient été atteints.

Chypre se trouvant aux frontières de l'Union européenne, elle sera directement confrontée au problème du contrôle de l'immigration et des mouvements de populations. Est-elle préparée à assumer ce contrôle qui posera des problèmes difficiles ?

M. Ioannis Kassoulides a reconnu que la question de l'existence d'un seul Etat et non de deux Etats souverains indépendants comme le préconise la partie turque est de toute première importance. En effet, la Turquie a toujours mené une politique de partition de l'île avec deux Etats souverains indépendants, ce qui n'est pas acceptable, car on ouvre ainsi la voie au divorce et à la partition légale et complète de l'île. Cette question a empêché l'aboutissement des négociations. Aussi les propositions du Secrétaire général des Nations unies à ce sujet sont-elles très attendues.

Il a convenu que Chypre s'était vu reprocher dans le passé la perméabilité de son secteur financier au blanchiment d'argent. Mais actuellement ce n'est plus le cas. Il s'est déclaré confiant car des rapports concordants du FMI, du GAFI et d'autres institutions spécialisées ont reconnu les efforts accomplis par l'île. Par ailleurs Chypre s'efforce de diversifier son économie grâce au développement d'une industrie de haute technologie, notamment dans le domaine de l'information.

Selon lui les problèmes d'immigration sont très sensibles. Chypre a pris des mesures draconiennes pour y faire face et obtenu de bons résultats grâce aux accords de réadmission qui fonctionnent très bien.

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