COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 33

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 26 février 2003
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président,

SOMMAIRE

 

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- Proposition de loi de M. Christian Philip (n° 534) relatives aux privilèges et immunités du CICR - rapport
- Protocole additionnel France - Communauté européenne de l'énergie atomique et AIEA- (n° 272) - rapport

- Compte rendu d'une mission effectuée au Mexique


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Proposition de loi de M. Christian Philip relative aux privilèges et immunités du CICR

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Bruno Bourg-Broc, la proposition de loi de M. Christian Philip relative aux privilèges et immunités du Comité international de la Croix Rouge (CICR) (n° 534).

M. Bruno Bourg-Broc, Rapporteur, a rappelé que depuis le 1er avril 1999, le Comité international de la Croix Rouge (CICR) dispose d'une Délégation en France. Cette Délégation a succédé au Bureau installé depuis 1996, qui était essentiellement chargé de la diffusion du droit humanitaire en France. Grâce à ce Bureau, le Comité a mesuré l'importance de la France et de sa capitale pour ses activités sur le terrain, notamment vers l'Afrique et le Moyen-Orient. Il a souhaité transformer le Bureau en Délégation, ce qui lui confère un rôle opérationnel : organisation de missions sur le terrain, relations avec des ambassadeurs de pays en situation de guerre ou de conflit interne, rencontres d'opposants politiques réfugiés ou de passage en France, échange de vues avec les autorités françaises.

Il a souligné que la Délégation du CICR en France accomplissait un travail de diplomatie humanitaire qui complète utilement celui des ONG et de la Croix-Rouge française traditionnellement tournés vers l'assistance médicale. Son effectif actuel est de cinq personnes : le chef de la Délégation est un ressortissant suisse, les quatre autres membres son des ressortissants français : une conseillère juridique responsable de la diffusion du droit humanitaire, un conseiller chargé de la communication, un conseiller diplomatique et une administratrice chargée du secrétariat. Le nombre des bénéficiaires des immunités et privilèges sera très restreint puisqu'il n'est pas question d'augmenter cet effectif.

Selon le Rapporteur, la proposition de loi vise à accorder à cette Délégation les mêmes privilèges et immunités que ceux prévus par la Convention des Nations unies. L'alignement de la Délégation du CICR en France sur ce statut lui confèrera les mêmes protections que celles dont disposent ses autres délégations dans la quasi-totalité des pays où elles opèrent.

Cette proposition de loi confère à la Délégation la personnalité civile, ce qui lui permet d'assurer la gestion des moyens nécessaires à son fonctionnement, garantit l'inviolabilité de ses locaux, de ses archives et de sa correspondance. En matière fiscale et douanière la Délégation bénéficiera des privilèges habituellement consentis par la France aux organisations internationales dans le cadre de leur usage officiel.

Si traditionnellement il appartient à l'exécutif de conclure des accords de siège avec les organisations internationales intergouvernementales (OIG), le statut particulier du CICR explique que la conclusion d'un tel accord passe par l'adoption d'une proposition de loi réglant cette question, comme ce fut le cas déjà pour l'Association internationale des parlementaires de langue française (AIPLF), devenue assemblée parlementaire de la francophonie.

Le Rapporteur a estimé qu'accorder à la Délégation du CICR en France les privilèges et immunités dont elle bénéficie dans d'autres pays s'inscrivait dans la logique des relations très suivies et très fructueuses de la France avec cette institution qui s'efforce de diffuser le droit humanitaire.

M. Christian Philip a observé que la signature d'un accord de siège avec le gouvernement et le dépôt d'un projet de loi de ratification aurait été juridiquement contestable en raison du statut particulier du CICR, qui le rapproche quelque peu de celui d'une organisation non gouvernementale (ONG).

Il a insisté sur le rôle particulier que joue le CICR sur la scène internationale en tant qu'unique mandataire des Etats dans l'application du droit humanitaire et notamment des Conventions de Genève de 1949 et de leurs deux protocoles additionnels signés et ratifiés par la France. Cela a conduit plus de 76 Etats à conférer les privilèges et immunités aux Délégations du CICR opérant chez eux. La Délégation du CICR en France aurait donc été la seule à ne pas connaître un tel régime. Il a insisté sur le caractère limité des privilèges et immunités qui ne concernent que cinq personnes, la Délégation du CICR n'ayant pas vocation à se développer.

Le Président Edouard Balladur a indiqué que le CICR n'était pas une organisation internationale stricto sensu, que son statut était hybride et que certains Etats y étaient influents.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté sans modification le texte de la proposition de loi (n° 534).

Accord France-Communauté européenne de l'énergie atomique et AIEA

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Richard Cazenave, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du protocole additionnel à l'accord entre la France, la Communauté européenne de l'énergie atomique et l'Agence internationale de l'énergie atomique, relatif à l'application de garanties en France (n° 272).

M. Richard Cazenave, Rapporteur, a tout d'abord rappelé que le régime international de lutte contre la prolifération nucléaire était fondé sur l'existence de règles, inscrites dans le Traité de non prolifération (TNP) signé en 1968, et de mécanismes de contrôles confiés à l'AIEA, organisation internationale créée en 1956. Ces obligations concernent tant les Etats qui disposaient de l'arme nucléaire avant le 1er janvier 1968, qui s'engagent à ne pas favoriser l'exportation de leur maîtrise de la technologie nucléaire militaire, que les autres Etats qui s'engagent à ne pas se lancer dans un programme nucléaire militaire. Par ailleurs, trois Etats qui disposent de l'arme nucléaire - l'Inde et le Pakistan qui ont procédé à des essais, et Israël - ne sont pas parties au TNP.

M. Richard Cazenave a indiqué que la France soutenait aujourd'hui fortement le régime international de lutte contre la prolifération, depuis son adhésion au TNP en 1992. En effet, avec la fin de la guerre froide, l'attitude de la France a totalement changé, au point qu'elle est devenue l'un des acteurs les plus actifs de la non prolifération, comme le prouvent les initiatives prises par notre pays dans ce domaine (désarmement nucléaire unilatéral le plus important en proportion de son arsenal, démantèlement des installations de production de matières fissiles, ratification du traité d'interdiction complète des essais nucléaires, démantèlement des centres d'essais du Pacifique...).

Il a ensuite expliqué le contexte qui a conduit à renforcer les mécanismes internationaux de lutte contre la prolifération, dont l'accord examiné par la Commission est une illustration. Certes, au cours des années 1990, certains pays ont renoncé à leurs armes nucléaires ou à leurs programmes de mise au point de telles armes : il en est ainsi des Etats issus de l'ex-URSS sur le sol desquels des armes nucléaires étaient déployées, en dehors bien entendu de la Russie, et de l'Afrique du Sud, de l'Argentine et du Brésil.

Cependant, en dépit de ces efforts méritoires, la prolifération s'est accentuée. Ainsi, en procédant à un essai nucléaire en 1998, l'Inde et le Pakistan ont officialisé leur maîtrise du nucléaire militaire. D'autres Etats ont également conduit un programme nucléaire : cela a été prouvé dans le cas de l'Irak - et il faudra attendre le résultat des inspections pour savoir si ce programme a été entièrement démantelé - et dans celui de la Corée du Nord. Celle-ci, après avoir accepté de renoncer au nucléaire militaire en 1994, a récemment admis qu'elle avait continué son programme avant de dénoncer sa participation au TNP.

Ces deux crises ont révélé les limites du régime de non prolifération nucléaire. La guerre du Golfe tout d'abord a montré que l'Irak avait mis en place un programme nucléaire militaire pendant la décennie 1980, en marge de son programme civil, régulièrement contrôlé par les inspecteurs de l'AIEA. Le cas de la Corée du Nord est plus nuancé en ce qui concerne l'efficacité des contrôles de l'AIEA. En effet, le programme nucléaire coréen a débuté dans les années 1960, mais la Corée du Nord n'a adhéré qu'en 1985 au TNP, et qu'en 1992 à un accord de garanties avec l'AIEA. Or, les contrôles de l'AIEA, qui n'ont donc commencé qu'en mai 1992, ont rapidement permis de découvrir une distorsion entre les déclarations coréennes et la réalité de son programme nucléaire, même s'ils n'ont pas pu en révéler l'ampleur. Par ailleurs, la crise ouverte de 1994 débouche sur un accord bilatéral avec les Etats-Unis qui marginalise quelque peu l'AIEA. Là encore, il est donc un peu facile d'expliquer la poursuite du programme nucléaire coréen après 1994 par l'inefficacité des contrôles de l'AIEA.

Néanmoins, ces deux crises de prolifération, ainsi que les soupçons portant sur un certain nombre d'autres pays signataires du TNP, ont conduit à s'interroger sur les mécanismes de contrôle de l'AIEA et à chercher à compléter les accords de garanties entre l'AIEA et les Etats parties au TNP par des protocoles additionnels afin d'accroître l'étendue et la précision des contrôles.

M. Richard Cazenave a estimé que les accords conclus dans ce cadre constituaient une évolution profonde du régime de contrôle de la prolifération nucléaire. Jusque-là, l'Agence se contentait de vérifier l'exactitude des déclarations des Etats soumis aux garanties, alors que, dans le nouveau système, l'Agence pourra enquêter directement sur les activités nucléaires des Etats signataires. Malheureusement, ces contrôles étendus ne concerneront qu'un petit nombre de pays, et aucun de ceux sur lesquels existent des soupçons. Ainsi, au 7 février 2003, seuls 74 protocoles avaient été conclus, 28 seulement étant entrés en vigueur. On remarquera que sur cette liste ne figurent pas les Etats nucléaires non signataires du TNP - Inde, Pakistan et Israël - ni l'Irak, ni la Corée du Nord. Plus globalement, dans une zone aussi sensible que le Moyen-Orient, un seul pays a signé un tel protocole, il s'agit de la Jordanie.

M. Richard Cazenave a ensuite présenté le protocole entre la France, l'AIEA et Euratom, signé le 22 septembre 1998, qui permet un contrôle plus strict et plus étendu des installations nucléaires des Etats signataires. La France s'engage ainsi à fournir à l'AIEA dans de nouveaux domaines des informations supplémentaires relatives à la coopération nucléaire en matière civile, à l'exportation ou à l'importation de certains déchets nucléaires et de certains équipements.... La France accorde également un droit d'accès complémentaire à ses installations pour des contrôles de l'AIEA. Ce droit n'est pas systématique - il ne s'agit pas d'inspections -, mais est destiné à vérifier des informations dans certaines conditions et à permettre d'effectuer des prélèvements dans l'environnement. En conclusion, le Rapporteur a signalé l'urgence pour la France de ratifier au plus vite ce protocole.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (n° 272).

Mission au Mexique

M. Roland Blum a indiqué qu'il avait conduit une délégation de la Commission des Affaires étrangères au Mexique entre le 8 et le 14 février 2003. Cette délégation était également composée de MM. François Loncle, vice-président, et Jean-Paul Dupré pour le groupe socialiste, et de MM. François Guillaume et Louis Guédon pour le groupe UMP.

Il a insisté sur la qualité et la chaleur de l'accueil de la part de nos amis mexicains, que se soit à Mexico ou dans les villes de Puebla et Tlaxcala. Le très haut niveau des personnalités rencontrées (Président de la République, Ministres des affaires étrangères et de l'économie...) témoigne des attentes du Mexique à l'égard de l'Europe, et notamment de la France.

Sur le fond, les entretiens ont été dominés par la crise irakienne. En effet, d'une part le Mexique est membre non permanent du Conseil de sécurité, et d'autre part la mission a commencé trois jours après la présentation par Colin Powell devant le Conseil de sécurité des « indices » relatifs à la détention par l'Irak d'armes de destruction massive, et s'est achevé le jour même de la remise par les inspecteurs de leur deuxième rapport. De plus, cette semaine a été marquée par les débats à l'OTAN sur le soutien à la Turquie, et par l'initiative franco-germano-russe sur le renforcement des inspections.

Les rencontres avec les parlementaires tout d'abord ont révélé une très grande convergence de vues avec les positions de la France. En résumé, les députés et sénateurs mexicains ont unanimement salué la position de la France qui correspond pleinement à leur conception des relations internationales marquée par le primat absolu donné au règlement pacifique des différends, qui est au Mexique un principe constitutionnel, par l'importance fondamentale du rôle de l'ONU et du Conseil de sécurité et par les craintes des conséquences d'une intervention unilatérale américaine sur la stabilité du Moyen-Orient et sur le terrorisme.

Côté gouvernemental, le Président Vicente Fox et son Ministre des affaires étrangères, Ernesto Derbez, ont sur la question irakienne une position plus nuancée, plus « gouvernementale ». Ils ont ainsi insisté sur la nécessité pour le régime de Bagdad de respecter beaucoup plus strictement les résolutions du Conseil de sécurité. Par ailleurs, ils donnent une grande importance à l'unanimité du Conseil de sécurité, ce qui les conduit à refuser la division de celui-ci en deux camps et à chercher au contraire à jouer un rôle pour rapprocher les positions divergentes.

M. Roland Blum a ensuite évoqué la situation économique du Mexique, marquée par la proximité des Etats-Unis. En effet, 80 % de ses échanges sont réalisés avec son voisin du Nord, tendance qui s'est encore renforcée avec l'entrée en vigueur de l'ALENA. Cette intégration économique nord-américaine n'est d'ailleurs pas sans poser un certain nombre de problèmes. Ainsi, le démantèlement des barrières douanières est devenu presque complet dans le secteur agricole depuis le 1er janvier 2003, alors que le secteur agricole mexicain est peu performant et ne peut bénéficier de subventions comme celui des Etats-Unis. Dans ce contexte, l'ouverture commerciale entraîne une concurrence très rude pour l'agriculture mexicaine. Par ailleurs, une certaine déception est perceptible quant à la non régularisation par les Etats-Unis d'une partie des quatre millions de clandestins mexicains qui y sont présents, alors que certaines promesses semblaient avoir été faits en ce sens. Depuis le 11 septembre, le Mexique a le sentiment d'être devenu un partenaire moins stratégique pour les Etats-Unis, ce qui explique sa volonté de rééquilibrer ses échanges en approfondissant sa relation avec l'Union européenne.

En ce qui concerne la situation politique, M. Roland Blum a rappelé que le Président Fox, issu du Parti d'action nationale avait mis fin, en 2000, à 70 ans de pouvoir dans partage du Parti révolutionnaire institutionnel. Cependant, le parti présidentiel ne dispose pas d'une majorité au Parlement. En conséquence, de nombreuses réformes urgentes annoncées lors de la campagne présidentielle n'ont pas pu être menées à bien. Il s'agit par exemple de la réforme du système fiscal, de celle de la justice, considérée comme inefficace dans un pays confronté à une très forte criminalité, de la réforme des structures productives, dans l'agriculture par exemple, le régime foncier très particulier (absence de propriété du sol) explique en grande partie la taille très réduite des exploitations et le manque de compétitivité des productions mexicaines, de l'ouverture des services publics (eau, électricité...), de la réforme du secteur énergétique... Confrontés à de grandes inégalités, plus de 40 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté - le Mexique a pourtant besoin de ces réformes.

M. François Guillaume a insisté sur les difficultés de l'agriculture mexicaine, accrues par l'intégration dans l'ALENA. Le fonctionnement de ce dernier reflète bien la différence entre une simple zone de libre-échange et un marché commun, du type Communauté européenne, où l'effacement des droits de douane s'accompagne de véritables politiques structurelles. Dans ce contexte, il faut remarquer que les interlocuteurs mexicains n'ont pas attaqué de façon excessive les aides agricoles européennes car ils savent que les subventions américaines sont encore plus importantes.

Dans le cadre d'une ouverture totale, les productions mexicaines ne pourront pas tenir, compte tenu des structures agricoles du Mexique (taille moyenne très réduite des exploitations, rendement à l'hectare quatre fois moins important que ceux des Etats-Unis...). Une solution consisterait peut-être pour l'agriculture mexicaine à se spécialiser dans l'élevage et la viande, ce qui lui permettrait de profiter du très bas prix des céréales importées des Etats-Unis. Plus globalement, il faut rappeler que les marchés agricoles ne peuvent pas être organisés uniquement par la loi de l'offre et de la demande.

M. François Loncle a précisé que le Premier ministre espagnol, José Maria Aznar, avait rendu visite au Président Fox la semaine dernière avant de rencontrer le Président Bush. La presse mexicaine a peu apprécié cette tentative qu'elle a interprétée comme une pression de la part de l'Espagne. Il a indiqué que même si sa situation géographique rendait sa position difficile, le Mexique continuait de tenter de jouer un rôle de médiateur au Conseil de sécurité. En effet, le Mexique est un grand pays avec lequel notre pays, qui jouit d'une très bonne image, a intérêt à renforcer ses relations.

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