COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 65

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 17 septembre 2003
(Séance de 17 heures 15)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président
puis de M. Renaud Donnedieu de Vabres, Vice-Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. François Loos, Ministre délégué au Commerce extérieur, sur la Conférence de Cancun


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Audition de M. François Loos, Ministre délégué au Commerce extérieur

Le Président Edouard Balladur a remercié M. François Loos d'avoir bien voulu se rendre devant la Commission pour rendre compte de la conférence ministérielle de l'OMC qui vient de s'achever à Cancun. M. Balladur a aussi fait la proposition d'un débat sur l'OMC et ses réformes en présence du commissaire Pascal Lamy et du Ministre François Loos.

M. François Loos, Ministre délégué au Commerce extérieur, a tout d'abord indiqué que la négociation avait fait apparaître quatre groupes principaux de pays lors de cette conférence de Cancun, ce qui reflétait bien une organisation multipolaire du monde. Il a distingué :

- le groupe dit du G 21, conduit par le Brésil, l'Inde, la Chine et de nombreux pays d'Amérique du Sud, qui avaient pris comme position commune de supprimer toutes les subventions agricoles dans les pays développés ;

- les pays du Sud, composés principalement des pays ACP, qui ont défendu leurs préférences et se sont exprimés pour que ces droits ne soient pas érodés ;

- certains pays du Nord, principalement l'Union européenne, qui veulent conserver la maîtrise de la gestion et du volume de leur production agricole ;

- un dernier groupe de pays développés dans lequel se trouvent les Etats-Unis ou l'Australie, qui ne réglementent pas leur production et accordent des aides agricoles.

C'est sur cette toile de fond que le débat de l'OMC s'est déroulé, et a démontré toutes les difficultés à trouver des solutions.

Le Ministre a indiqué qu'un accord n'a pu être trouvé à Cancun, le texte proposé par l'OMC étant resté déséquilibré et n'ayant pas permis de dégager un consensus. Il est très regrettable que les sujets visant à mieux maîtriser la mondialisation n'aient pu avancer lors des négociations.

La Conférence de Cancun, alors que le volet agricole se présentait comme particulièrement sensible, a achoppé sur les quatre sujets dits de Singapour (la proposition d'engager des discussions en vue d'accords multilatéraux sur l'investissement, la concurrence, la transparence des marchés publics et la facilitation des échanges avait été lancée lors de la conférence ministérielle de Singapour en 1997 avant d'être reprise dans la déclaration adoptée à Doha en 2001).

Les pays en voie de développement avaient fait part de leur refus d'engager des négociations dans ces domaines. Le représentant de l'Union européenne, Pascal Lamy a suggéré de limiter l'engagement des négociations à deux thèmes. Cette proposition a été refusée non seulement par les pays d'Afrique mais également par le Japon et la Corée.

Devant le caractère irréconciliable de ces positions, le Président de la Conférence Luis Ernesto Derbez, a décidé de mettre fin aux négociations sans que l'on ait pu passer à la discussion du volet agricole.

En matière agricole, les concessions demandées à l'Union européenne allaient très au-delà du mandat européen. S'agissant des soutiens internes, les réductions demandées allaient au-delà de l'accord de Luxembourg. La suppression progressive des subventions à l'exportation ne faisait pas l'objet des contreparties que nous attendions de la part de nos partenaires en termes de réduction des droits de douane qu'ils appliquent à nos exportations de produits industriels.

A Cancun, des avancées significatives étaient attendues à la fois dans le domaine du coton, vitale pour de nombreux pays africains, et des préférences commerciales accordées aux pays les plus pauvres. Les Européens étaient prêts à prendre des engagements importants en faveur de ces pays : ils proposaient en effet une suppression des soutiens à l'exportation vers ces pays et des ouvertures commerciales réservées à leurs exportations. En outre, l'Europe a annoncé au cours de la conférence son soutien à la demande des pays africains visant à stabiliser les cours mondiaux du coton à un niveau rémunérateur pour leurs producteurs. En raison principalement de l'opposition des Etats-Unis à prendre des engagements de réduction de leurs subventions à l'exportation de coton, il n'a pas été possible de satisfaire les pays africains. Fort heureusement, l'accord sur les médicaments, adopté avant Cancun, n'est pas remis en cause et va s'appliquer.

Quelles sont les conclusions à tirer de cet échec ? La Conférence de Cancun a échoué en raison des positions maximalistes de plusieurs pays en développement. Mais le front que ces pays ont présenté est fragile car leurs intérêts divergent.

Par ailleurs, davantage de pays avaient un intérêt à un échec qu'à un succès. On peut s'interroger sur l'avenir du multilatéralisme et sur l'efficacité de l'OMC si cette organisation se transforme en forum de 148 pays où l'approche idéologique est privilégiée par rapport aux discussions concrètes. Les contentieux dans le domaine agricole risquent en outre de se multiplier avec l'expiration de la clause de paix le 31 décembre prochain et l'impossibilité de la prolonger faute d'accord.

Même si le projet de déclaration était inacceptable en l'état, l'agriculture n'est pas la seule raison de l'échec. Le texte était déséquilibré et l'Europe n'obtenait pas de contreparties significatives : les nouveaux sujets de gouvernance mondiale sont rejetés par le Sud et les efforts des pays émergents dans leur ouverture à nos produits industriels -véritable enjeu économique pour nos entreprises- restent très insuffisants.

La grande cohésion dont ont fait preuve les membres de l'Union est un point positif. La France n'a jamais été isolée, ni au sein de l'Union ni au sein de l'Organisation.

La conséquence de cet échec est que l'on peut craindre un retard des négociations multilatérales, eu égard à la situation politique américaine et au changement de Commission européenne en 2004. La conclusion à la date initialement prévue du 31 décembre 2004 apparaît compromise.

Pendant ce temps, il conviendra d'être attentif au développement des relations bilatérales de l'Union européenne avec les pays tiers : être vigilants quant aux accords que les Etats-Unis projettent de conclure sur le plan bilatéral, et approfondir notre dialogue avec les pays appartenant aux zones de solidarité de l'Union européenne et les autres. L'Union est, par exemple, engagée dans la négociation d'un accord bilatéral avec le Mercosur.

L'échec des négociations a pour conséquence qu'il faudra poursuivre les discussions sur la réduction des soutiens internes aux productions agricoles intéressant les pays en développement, et en premier lieu le coton. Les ambitions de la France en ce domaine sont donc pour le moment déçues, et son initiative visant à la réduction des soutiens à l'exportation, quasiment acceptée par les pays du sud, se trouve, comme lors du Sommet du G8 à Evian, stoppée par les Etats-Unis.

Le travail d'analyse important effectué avec les ONG, Médecins du Monde, le CCFD, Attac, OXFAM, Agir Ici, Greenpeace, Coordination Sud ... devra continuer, et le dialogue sur les conditions de la mondialisation se poursuivre.

En ce qui concerne la libéralisation du commerce des produits industriels et des services, peu de propositions avaient été préparées et elles n'étaient pas satisfaisantes ; il faudra profiter de la prochaine réunion de Genève pour présenter d'autres propositions, en particulier dans le domaine des services où beaucoup de progrès pourraient être faits.

Un débat sur l'OMC doit s'ouvrir : il concernera autant l'organisation elle-même, dans son rôle et ses objectifs, que l'organisation de la négociation en son sein. Il faut élaborer des procédures pour amener 148 pays, dont peu sont liés par des organisations et des disciplines régionales, à s'entendre.

Enfin, la France doit faire beaucoup d'efforts pour se donner les moyens d'une véritable communication, au niveau international, sur sa politique, y compris par une « CNN à la Française ». Nos positions et ambitions sont souvent déformées dans la présentation qui en est faite par les médias anglo-saxons.

Le Président Edouard Balladur a fait observer que la défaite du multilatéralisme et le retour au bilatéralisme fragiliserait encore davantage les plus faibles et conforterait les plus forts.  Il est donc de notre responsabilité de faire en sorte que le multilatéralisme, sous une forme plus adaptée, redevienne un cadre de négociation protecteur pour les pays les plus pauvres.

M. François Loncle a fait observer que la presse analysait l'échec de la Conférence de Cancun comme constituant la victoire du Sud contre le Nord. La réalité est cependant plus complexe, et il a demandé au Ministre comment ont réagi ces pays du Sud que les journalistes présentent comme victorieux.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a interrogé le Ministre sur le comportement et la position des 25 pays de l'Union européenne au cours de cette Conférence.

M. François Guillaume a déclaré qu'il fallait réfléchir à des propositions réalistes qui permettraient sérieusement aux pays les plus pauvres de développer leur production agricole actuellement laminée par la concurrence des grandes agricultures subventionnées par les pays les plus développés.

Il a suggéré de créer s'agissant des grandes productions nourricières des marchés communs protégés par un cordon douanier. Les droits de douanes ainsi perçus financeraient des aides aux investissements qui profiteraient à l'économie de ces pays. Cette procédure a été utilisée lors de la construction de l'Europe ; sans elle, il n'aurait pas été possible de constituer l'Europe. Il serait bon par ailleurs d'organiser au niveau international des marchés produits par produits en s'inspirant de ce qui existe par exemple avec l'association des producteurs de café. Sur ces bases, la France ne devrait-elle pas proposer quelque chose ? Il s'est enfin inquiété de savoir ce que signifiait la présence à Cancun de 7 000 personnes invitées au titre de la société civile alors qu'il revient aux politiques de prendre des décisions. Il a conclu en insistant sur la première des priorités qui est celle de nourrir les hommes.

M. François Loos a décrit les différentes réactions exprimées par les pays du Sud sur l'échec des négociations : les réactions de dépit ont été les plus nombreuses dans la mesure où les espoirs d'ouverture des marchés du Nord à leurs produits n'ont donc pas pu aboutir. Les Africains par exemple pensaient qu'une solution pourrait être trouvée au problème du coton, l'échec des négociations devrait au contraire conduire des milliers de personnes à quitter le secteur agricole. De même, le Brésil espérait augmenter la part de ses exportations agroalimentaires vers les États-Unis, qui ne s'élève actuellement qu'à 10 %. Au-delà de ces réactions de déception, les pays du G21/G22 emmenés par l'Inde, le Brésil et la Chine ont indiqué qu'ils entendaient continuer à travailler ensemble dans la promotion d'une posture quasi idéologique du libre-échange.

En ce qui concerne la coordination entre les Européens à Cancun, M. François Loos s'est réjoui de sa solidité tout au long des négociations, tant entre les 25 délégations qu'avec les commissaires Lamy et Fischler. La réforme de la PAC, adoptée en juin dernier, est pour beaucoup dans ce succès. Tout le monde était ainsi d'accord dans l'analyse de la proposition de déclaration ministérielle, et même si l'ordre de priorité entre les points de désaccord n'était pas le même pour tous les pays. La position européenne est restée très cohérente : la France par exemple n'a pas été isolée dans le dossier des restitutions à l'exportation. Quant au mandat de négociation, il a été fidèlement suivi.

M. François Loos a estimé qu'il était envisageable d'imaginer le développement de la régionalisation du monde par blocs commerciaux, sur le modèle de l'Union européenne. Mais concrètement, c'est un exemple difficile à suivre, même si c'est un objectif affiché de certaines organisations, comme le NEPAD. En effet, les pays membres de ces groupes ont du mal à s'imposer des disciplines, au-delà de la constitution de simples zones de libre-échange. L'Union européenne a ainsi incité les pays d'Asie depuis 1995 à se rapprocher, mais les progrès sont extrêmement lents : l'ASEAN ne devrait devenir une zone de libre-échange qu'à l'horizon 2012. Pour fonctionner, une zone commerciale doit également disposer de politiques structurelles pour corriger les déséquilibres engendrés par le libre-échange, comme c'est le cas de l'Union européenne avec la PAC, les fonds structurels...

Quant au rôle des ONG, M. François Loos a rappelé qu'elles ne devaient certainement pas remplacer les élus du peuple qui sont les seuls représentants des citoyens et qui en dernier ressort doivent trancher. Mais face à la complexité des problèmes, les réseaux d'information et de diffusion ainsi que les analyses fournies par les ONG sont très intéressantes dans la mesure où ces organisations disposent de connaissances du terrain et d'analyses globales des problèmes, comme le développement du SIDA en Afrique par exemple, que l'on ne retrouve pas ailleurs.

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