COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 34

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 11 février 2004
(Séance de 16 heures)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Nicolas Sarkozy, Ministre de l'Intérieur, de la Sécurité intérieure et des Libertés locales,    sur les actions de coopération internationale en matière de lutte contre le terrorisme et l'immigration    illégale




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Audition de M. Nicolas Sarkozy, Ministre de l'Intérieur, de la Sécurité intérieure et des Libertés locales

Le Président Edouard Balladur a remercié le Ministre de l'Intérieur, de la Sécurité intérieure et des Libertés locales d'avoir accepté l'invitation de la Commission des Affaires étrangères pour évoquer les actions engagées par son ministère au niveau international. Il a indiqué que cette audition porterait, d'une part, sur les actions de coopération internationale engagées pour combattre le terrorisme, en précisant qu'une mission d'information avait été créée par la Commission sur ce sujet, et d'autre part, sur les mesures prises aux niveaux international et européen pour lutter contre l'immigration illégale.

M. Nicolas Sarkozy s'est réjoui d'être auditionné par la Commission des Affaires étrangères sur les actions de coopération internationale en matière de lutte contre le terrorisme et sur l'immigration illégale. Il a souligné que dans ces deux cas, seule une coopération internationale approfondie pouvait être efficace.

S'agissant même du terrorisme intérieur qu'est le terrorisme corse, il a rappelé que pour arrêter Yvan Colonna, assassin présumé du préfet Erignac, il avait fallu que la direction centrale de la police judiciaire multiplie les missions à l'étranger pour « fermer les pistes » possibles. Pour cela, le réseau du Service de coopération technique internationale de police (SCTIP) a été utilisé (97 postes à l'étranger). A propos du terrorisme basque, il a souligné le caractère exemplaire de la coopération entre la France et l'Espagne, pays sur lequel pèse une menace terroriste permanente. En trente ans, 816 espagnols ont été assassinés, il n'y a guère d'exemple de pays soumis à une telle menace continue depuis si longtemps, à part l'Irlande.

La coopération franco-espagnole s'est mise en place progressivement et dans l'histoire de la lutte contre le terrorisme basque le tournant a été pris par M. Charles Pasqua en 1986 qui a donné l'instruction à la police française d'engager de véritables actions répressives contre l'ETA en France. La collaboration entre services français et espagnols en la matière n'a jamais eu aucun équivalent même lorsque l'Europe a été victime de l'ultra gauche terroriste dans les années 80. Les services français avaient alors substantiellement aidé les services italiens à lutter contre les Brigades rouges et les services allemands contre la Fraction armée rouge.

En effet, l'ETA n'est pas seulement le problème de la démocratie espagnole car des Français combattent depuis plusieurs années dans les rangs de l'ETA militaire et ses terroristes sont dispersés dans toute la France et aussi en Europe. C'est pourquoi il a déclaré avoir exigé à son arrivée au ministère de l'Intérieur que la coopération entre les services français (police judiciaire et renseignements généraux) soit totale et permanente et que les échanges d'informations soient les plus fluides possibles entre les services français et espagnols. La coopération entre les deux pays est donc permanente et en temps réel, ce qui ne s'était jamais fait auparavant. Les résultats sont spectaculaires ; en 2003, 56 membres ou partisans de l'ETA ont été arrêtés en France et 36 emprisonnés, 53 véhicules automobiles utilisés par l'organisation ont été saisis et 14 refuges clandestins ont été découverts. L'exploitation des documents découverts en France a permis la réalisation de nombreuses opérations en Espagne, dont l'interpellation de 76 personnes parmi lesquelles 42 ont été écrouées.

Actuellement 127 membres de l'ETA sont incarcérés en France. Depuis le début de l'année 2004 deux membres de l'ETA viennent d'être interpellés près de Cognac dans une fourgonnette volée transportant 32 kilos d'amonal, 6 kilos de poudre, des grenades, 9 détonateurs, 1 mitraillette, 2 lance-grenades, 4 caisses de cartouches et 2 pistolets. Ce travail porte ses fruits puisqu'il a contribué à limiter en 2003 à trois le nombre des attentats terroristes en Espagne soit le chiffre le plus faible depuis 1973.

Evoquant la lutte contre le terrorisme islamiste, le Ministre a souligné que celle-ci passait par une coopération internationale approfondie. Le 11 septembre a été un choc pour la communauté internationale du renseignement qui jusqu'alors n'était pas également mobilisée. Ainsi le premier attentat contre le World Trade Center en 1973 a été résolu sans qu'un travail en profondeur n'ait été entrepris sur la mouvance islamiste. Ce n'est qu'après les deux attentats commis contre des ambassades d'Afrique en 1998 que les Américains se sont mobilisés contre Oussama Ben Laden et ses séides.

Il a rappelé que le renseignement français avait été confronté au terrorisme islamiste dès 1993 lors de l'assassinat de ressortissants français par le GIA en Algérie. Sont alors découvertes des filières afghanes dès 1994, lors de l'attentat de Marrakech. Les attentats que la France a connus en 1995 confirment les aspects internationaux du terrorisme et l'utilisation par la mouvance islamiste radicale, d'une part, de zones ou de pays hostiles et d'autre part, de zones où aucune autorité ne s'exerce. Dès lors, l'effort des services et de la justice française s'est amplifié pour détecter les jeunes qui allaient s'entraîner dans ces régions et qui en revenaient, dont le nombre atteint environ 200 sur un chiffre global de plusieurs dizaines de milliers à travers le monde depuis le début des années 1990.

Il a fait observer que, depuis le printemps 2002, 7 attentats commis dans diverses parties du monde ont entraîné la mort de 23 français et blessé de nombreux autres. La pression constante exercée par l'ensemble des pays occidentaux sur la mouvance salafiste ne saurait être étrangère à cette situation. C'est pourquoi des informations récentes émanant des autorités américaines ont entraîné la mise en place de mesures de sécurité renforcées sur certains vols internationaux de la compagnie Air France, certains d'entre eux étant annulés.

Il a insisté sur la forte pression exercée par les services français contre la mouvance islamiste opérant en France, ce qui a permis de procéder au démantèlement de plusieurs réseaux. Depuis mai 2002, 124 personnes ont été interpellées, dont 50 ont été incarcérées consécutivement à ces enquêtes.

Le Ministre a alors énuméré les principales arrestations intervenues depuis lors : arrestation de Nizar Naouar, auteur de l'attentat contre la synagogue de Djerba en Tunisie, arrestation des membres de la structure de soutien au groupe salafiste pour la prédication et le combat, arrestation des militants appartenant au réseau Meliani, démantèlement à La Courneuve de la filière tchétchène, interpellation à l'aéroport de Roissy de Karim Medhi, arrestation de Christian Ganczarski, interpellation du ressortissant français converti à l'Islam Willy Brigitte.

Il a précisé qu'existait une coopération bilatérale avec les pays voisins, et avec l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, l'Egypte ainsi que les Etats-Unis, pays avec lequel les relations sont quotidiennes. S'agissant de la coopération multilatérale, à l'intérieur du groupe des cinq (G5), les chefs des services antiterroristes confrontent régulièrement leurs informations et leurs analyses et font des bilans précis des investigations en cours afin de déterminer les complicités en Italie, en Espagne, en Grande-Bretagne, en Allemagne et en France. L'enceinte du G5 se veut prospective par un échange d'informations sur les militants ayant séjourné dans des camps de la zone pakistano-afghane, d'Asie du Sud-Est ou en Tchétchénie pour détecter les éléments les plus radicaux susceptibles de revenir et de développer des groupes logistiques, voire de passer à l'action.

Il a déclaré avoir convaincu le Maroc, l'Algérie et la Tunisie d'échanger plus régulièrement et plus directement leurs informations avec l'Espagne, l'Italie et la France. Une réunion des Ministres de ces six pays se tiendra prochainement pour créer une zone de sécurité à l'Ouest de la Méditerranée.

Enfin, le Ministre a précisé le coût de l'action anti-terroriste dont le budget représente près de 6 millions d'euros, 750 agents de la direction générale des renseignements généraux et 153 agents de la direction centrale de la police judiciaire, ainsi que 40 % des agents de la direction de la surveillance du territoire. Il a jugé que seule une réponse collective pouvait permettre d'enrayer le terrorisme. Il a cité à titre d'exemple la sécurisation des vols commerciaux par des « sky marshalls » (GIGN, RAID) au départ de Paris à destination des Etats-Unis et le renforcement de la sécurisation des titres de transport par l'application de la biométrie qu'il a estimée capitale dans la lutte contre le terrorisme. Le Conseil justice affaires intérieures a d'ailleurs adopté en décembre dernier le principe de l'introduction de données biométriques dans les visas Schengen et les titres de séjour européens, données stockées dans une puce.

M. Jacques Myard a posé la question de savoir pourquoi le terrorisme espagnol était un phénomène aussi ancien et indéracinable et a demandé quelles étaient les origines des trafics d'armes sur lesquels il s'appuie.

M. Jean-Paul Bacquet a souhaité que soit évoqué le cas de l'ex-Yougoslavie et plus particulièrement celui du Kosovo.

M. Richard Cazenave a demandé où en était la collaboration avec le Royaume-Uni pour lutter contre le terrorisme islamiste dans la mesure où une certaine liberté semble laissée à certaines mouvances islamistes dans ce pays, ce qui peut être perçu comme une sanctuarisation dangereuse par les autres pays européens.

M. Didier Julia a suggéré que soit analysée la naissance d'un terroriste de la même manière qu'a été analysée par le ministère de l'Intérieur la naissance d'un délinquant. La collaboration entre les différents services de renseignement est-elle suffisamment étroite pour contrôler à leur retour en France les personnes parties à l'étranger suivre des stages de formation aux techniques terroristes ?

En dépit des nombreuses arrestations régulières de terroristes basques et des saisies d'armements, M. Gilbert Gantier a souhaité savoir comment s'expliquait la recrudescence du terrorisme de l'ETA. Par ailleurs, les vols de passeports et autres documents d'identité ne favorisent-ils pas ce phénomène ?

M. Jean-Jacques Guillet a posé la question de savoir s'il fallait considérer le terrorisme international actuel comme une nébuleuse ou si une certaine centralisation était vérifiée.

M. René André a interrogé M. Nicolas Sarkozy sur la question du terrorisme non conventionnel.

M. André Schneider a demandé s'il existait une cartographie des sites les plus menacés.

M. Nicolas Sarkozy a répondu aux intervenants :

- les terroristes financent leurs acquisitions d'armes en utilisant majoritairement des financements d'origine criminelle. Il existe en effet un lien étroit entre terrorisme et grand banditisme, comme on peut le constater tant avec l'ETA qu'avec le terrorisme islamiste. Il est rare que le terrorisme soit financé avec des fonds d'origine légale, il l'est davantage par le produit de la délinquance et des activités criminelles ; les terroristes interpellés ont de surcroît généralement déjà un casier judiciaire ;

- en ce qui concerne l'ex-Yougoslavie, il s'agit d'une des plaques tournantes de l'approvisionnement en armes pour la criminalité en général, pas uniquement le terrorisme. Ces armes sont d'ailleurs parfois de véritables armes de guerre comme on a pu le constater à Roubaix où des malfaiteurs ont utilisé des kalachnikovs contre des policiers. La question des armes issues de l'ex-Yougoslavie exige donc toute notre attention et elle fait l'objet de nombreuses enquêtes ;

- s'agissant de la coopération avec le Royaume-Uni, les relations avec le Ministre de l'Intérieur David Blunkett sont excellentes. Certes, des difficultés existent qui proviennent des différences entre nos systèmes judiciaires et nos traditions. Par exemple, il est difficile de progresser sur la question des données biométriques sur les pièces d'identité avec un pays qui ne possède pas de carte nationale d'identité, même si une réflexion est en cours sur cette question. Mais, la volonté politique est aujourd'hui réelle. Il en va de même avec l'Allemagne, l'arrestation du groupe de Francfort ayant peut-être accéléré cette prise de conscience. Ainsi, les Britanniques ont déjà mené un certain nombre d'actions efficaces contre des réseaux, dont certains projetaient d'utiliser des moyens chimiques tels que l'emploi de la ricine. La France peut également être confrontée à ce type d'actes et le Gouvernement préfère ne pas le cacher, quitte à ce qu'on lui reproche d'annoncer des informations qui ne sont pas avérées par la suite, comme dans l'affaire de la substance trouvée dans une consigne de la gare de Lyon. En matière de terrorisme, il est toujours préférable d'informer la population plutôt que de laisser se répandre une rumeur qui alimente les peurs ;

- lorsque des dirigeants de l'ETA sont arrêtés, il est vrai qu'ils sont rapidement remplacés par d'autres, mais c'est là le principe même d'une organisation clandestine. Cependant, un phénomène nouveau peut être observé, celui d'une concentration croissante du pouvoir au sommet qui peut signifier une difficulté croissante de recrutement en raison des coups portés à l'organisation. Par ailleurs, il est vrai qu'il faut être très vigilant sur les conditions de transport des pièces d'identité, qui sont en train d'être modifiées afin d'éviter les vols de passeports ;

- concernant la structuration du terrorisme islamiste international, il est vraisemblable que la capture de Ben Laden ne résoudrait rien en profondeur. En effet, la structure est très complexe : l'élaboration de véritables fatwa terroristes a lieu de façon centralisée au sommet, mais celles-ci sont ensuite mises en œuvre par des cellules locales qui ne sont pas dans un lien hiérarchique avec ce sommet : ainsi dans l'affaire de Djerba, le terroriste a agi seul avec son oncle, de manière très artisanale, mais l'ordre est venu directement d'Al Qaida via un téléphone satellitaire crypté de façon très sophistiquée. Ce mélange d'archaïsme et de modernité rend d'ailleurs la traque encore plus difficile, celle-ci n'étant possible que grâce à un renseignement d'excellente qualité ;

- le terrorisme non conventionnel d'origine nucléaire, biologique ou chimique est une préoccupation importante. Des exercices (28 en 2003, 40 sont prévus en 2004) sont mis en œuvre dans le cadre des plans biotox et piratox pour se préparer à un éventuel attentat de ce type. Il faut que cette expérience soit généralisée dans toutes les grandes agglomérations, dans la mesure où il faut bien admettre que la France a un certain retard dans ce domaine ;

- s'agissant de la cartographie des lieux les plus exposés, celle-ci est difficile à réaliser car les objectifs potentiels sont très nombreux : on peut citer les intérêts français à l'étranger (ambassades, consulats, mais aussi hôtels, entreprises...) ou les intérêts de certains pays en France (Turquie, Etats-Unis, Royaume-Uni, Russie...). Dans la mesure où il n'est pas possible de protéger de façon certaine les innombrables objectifs potentiels, il est préférable d'utiliser une stratégie de l'action et d'intervenir en amont, avant que l'attentat n'ait lieu. Pour cela, il faut utiliser le renseignement dont on dispose à l'étranger : à cet égard, il faut remarquer que certains pays sont dorénavant très désireux de coopérer avec nous, comme le Pakistan, le Maroc, qui a connu une réelle prise de conscience après les attentats de Casablanca, ou la Russie, qui est incontournable dans la lutte contre le terrorisme tchétchène.

Le Président Edouard Balladur a souhaité recueillir l'appréciation du Ministre de l'Intérieur sur la coopération multilatérale instaurée par Europol.

M. François Rochebloine a fait part de ses craintes que soit exportée vers la France une nouvelle forme de terrorisme telle qu'elle se manifeste depuis quelque temps en Russie.

M. Nicolas Sarkozy a admis que la coopération multilatérale était très compliquée dans le domaine du renseignement : il est difficile de mutualiser des informations entre des pays qui ont des services de renseignement très étoffés (3 500 personnes travaillent aux renseignements généraux, 1 600 à la DST) et d'autres qui ont des moyens très limités. La coopération bilatérale est beaucoup plus facile pour les services de renseignement car, à 25 pays, se posent des problèmes de confidentialité et de réciprocité. De plus, dans le cadre multilatéral, il est plus difficile d'être concret et de sortir de la proclamation de grands principes. En revanche, il est possible de dupliquer les coopérations bilatérales dans des structures informelles comme le G5 (France, Allemagne, Grande-Bretagne, Espagne et Italie).

Sur les nouvelles formes de terrorisme, il n'y a pas de doute que tous les pays sont concernés et que la France se montre extrêmement vigilante. En matière de terrorisme, il n'y a plus aucun tabou et personne n'est à l'abri d'attentats perpétrés par des kamikazes, comme par exemple celui que projetait Richard Reid dans le vol Paris/Miami.

Abordant ensuite un deuxième sujet sur l'immigration clandestine, le Ministre a rappelé que l'Europe était toujours l'un des premiers espaces de prospérité au monde, et que cette image était relayée par les médias dans tous les coins de la planète, renforçant ainsi la tentation d'émigrer. Il s'est dit convaincu qu'en matière d'immigration clandestine ou illégale, rien ne peut se faire sans la coopération avec les pays sources, avec lesquels la France se doit de conclure des accords pragmatiques et équitables. A l'exemple de la Chine, le Ministre s'est interrogé sur le décalage entre le nombre de visas délivrés aux ressortissants chinois et le nombre de laissez-passer consulaires délivrés pour les retours forcés : ainsi en 2002, la Chine a délivré 140 laissez-passer consulaires alors que la France a délivré 110 000 visas.

En ce qui concerne la construction communautaire, M. Nicolas Sarkozy a souligné l'importance de la constitution du groupe des cinq, réunissant régulièrement les ministres de l'Intérieur des pays précités. Il a souligné qu'il ne s'agit pas de négliger d'autres Etats, mais de tenir compte du fait que ces cinq pays représentent 80 % de la population communautaire et sont les principaux Etats exposés aux enjeux de l'immigration.

Pour la France, il a distingué 3 catégories d'immigrés : les non admis, saisis sans ou avec des faux papiers avant leur arrivée sur le territoire national, les réadmis, c'est-à-dire les personnes saisies sur le territoire et remises aux pays frontalier de la France, et la catégorie des éloignements, c'est-à-dire les expulsions « classiques », généralement par avion. Rien qu'en 2002 la France a reconduit environ 34 000 personnes, mais l'objectif reste le doublement de ce chiffre.

La principale source d'immigration clandestine est, contrairement à ce que l'on pourrait croire, la venue légale en France, pour la plupart avec des visas de tourisme délivrés par les consulats de France. C'est pourquoi en application de la loi sur la maîtrise de l'immigration, les consulats doivent être équipés pour prendre des empreintes digitales des titulaires de visas.

M. François Rochebloine a fait état des difficultés que rencontraient les Algériens pour obtenir des visas pour se rendre en France et il a demandé quelles améliorations étaient envisagées en la matière.

M. Richard Cazenave a considéré que les consulats n'avaient pas toujours les moyens de faire face pour traiter les demandes de visas et qu'il leur serait difficile de prendre de manière systématique les empreintes digitales des demandeurs. Il faut faciliter l'obtention de visas pour ceux qui ont un bon motif de venir et, à cet égard, la mise en place de filières VIP dans certains consulats constitue une expérience intéressante. En tout état de cause, pour être efficace, la prise des empreintes digitales devra se faire dans l'ensemble de l'espace Schengen.

M. Nicolas Sarkozy a tout d'abord indiqué que pour 2003 le nombre de personnes éloignées s'était élevé à 11 692, le nombre de personnes réadmises à 11 324 et le nombre de personnes non admises à 11 946, soit un total de 34 962 personnes. S'agissant de l'Algérie, 250 000 visas ont été accordés sur 800 000 demandes, la France n'a donc aucune leçon de générosité à recevoir sur ce point. Lorsque l'on sait que 150 demandes de visa sont déposées chaque jour à Bamako, il est légitime de s'interroger pour savoir si les demandeurs ont les moyens de venir dans notre pays. Notre système d'attribution de visas est malheureusement à la fois très efficace pour empêcher les étudiants, les hommes d'affaires ou les personnes ayant des liens familiaux de venir en France dans un but bien précis, et très perméable pour l'immigration clandestine. Il nous faut renverser la situation. Nous devrions accueillir un plus grand nombre d'étudiants. De même, il ne faut pas décourager le développement du tourisme chinois, sans pour autant faciliter l'immigration clandestine.

La coopération au sein de l'espace Schengen est difficile en raison de la règle de l'unanimité qui est paralysante. Il est ainsi regrettable que certains pays de la zone Schengen n'apposent pas systématiquement de tampon d'entrée sur les passeports des ressortissants des pays tiers. Ne faudra-t-il pas dans ces conditions considérer que l'absence de tampon vaut dépassement du délai de trois mois ? La coopération au sein du groupe des cinq (France, Allemagne, Royaume-Uni, Espagne et Italie) fonctionne heureusement fort bien. Il s'agit par ce biais de répondre à l'exaspération des opinions publiques européennes face à l'immigration clandestine.

Le Président Edouard Balladur a demandé s'il était avéré, comme certains le disent, que la France était le pays d'Europe connaissant la plus faible immigration clandestine. Il a également demandé quelle était l'opinion du Ministre au sujet des formules expérimentées par l'Allemagne ou la Grande-Bretagne en classant certains pays comme voisins sûrs, pays d'origine sûrs ou pays de transit sûrs.

M. Nicolas Sarkozy a répondu que la France n'était malheureusement pas le pays d'Europe connaissant la plus faible immigration clandestine. Si les autorités allemandes ont effectué un travail remarquable pour contrôler les entrées à l'aéroport de Francfort, la situation n'est pas aussi satisfaisante à Roissy, même si le nombre de personnes maintenues en zone d'attente est passé de 500 à moins de 100 personnes par jour depuis 22 mois. L'Espagne ou la Grande-Bretagne ont, elles aussi, considérablement renforcé leur dispositif de contrôle et d'expulsion, ce qui produit un effet dissuasif qui explique cette évolution à la baisse.

La France a introduit dans sa législation la notion de pays sûr pour accélérer et simplifier l'examen des demandes d'asile. Ces demandes constituent en effet souvent un moyen de rester sur le territoire dans le but d'obtenir ensuite une régularisation à l'issue d'une période de dix ans, comme le prévoyait la loi RESEDA. De nombreuses prostituées utilisent ce statut et certains réseaux déposent pour elles des dossiers d'asile dans plusieurs pays. Il est par ailleurs pour le moins paradoxal de considérer que la Roumanie satisfait aux critères politiques et démocratiques pour intégrer l'Union européenne et de considérer comme recevables les demandes d'asile de ressortissants de ce pays qui vivent en France dans des campements illégaux.

Sur ces questions, la Commission européenne dispose de plusieurs mandats, mais force est de constater qu'elle n'avance pas beaucoup en la matière, ce qui est d'autant plus fâcheux qu'il n'est plus possible pour la France de conduire d'action bilatérale dans ces domaines. En revanche, la coopération au sein du groupe des cinq est fructueuse, puisque chacun des partenaires fait bénéficier les autres des accords qu'il a pu négocier. La France a ainsi été associée à la négociation de l'accord de réadmission conclu par le Royaume-Uni avec l'Inde et elle devrait également pouvoir bénéficier des clauses particulièrement avantageuses obtenues par l'Italie auprès de la Tunisie. Inversement, la France a signé un accord avec la Colombie dont ses partenaires européens pourront se prévaloir pour conclure un accord bilatéral avec ce pays. Il y a donc à la fois une coopération bilatérale et une coopération multilatérale en la matière.

M. Jean Roatta s'est félicité des nouvelles dispositions législatives en matière d'accueil des étrangers en indiquant que le nombre de demandes de certificats d'hébergement avait considérablement baissé depuis que les services préfectoraux opéraient des vérifications. Il s'est ému des nouvelles formes d'immigration en citant l'exemple du développement de l'implantation chinoise à Marseille et il a demandé au Ministre si celui-ci avait des solutions pour réguler ce phénomène.

M. Patrick Balkany a considéré que l'action dans les aéroports et aux frontières était sans conteste efficace, mais il a déploré qu'elle ne le soit pas à l'intérieur du pays, du fait du manque de contrôle des personnes entrant avec un visa de tourisme et restant sur le territoire ou en raison de l'impossibilité dans laquelle se trouvent les maires de refuser de célébrer des mariages blancs. Il serait en outre souhaitable de mettre en place un système de quotas par pays et par profession, comme cela existe au Canada.

M. Loïc Bouvard a demandé quels étaient les moyens mis en œuvre pour lutter contre les trafics en tout genre ayant lieu depuis les Balkans. Que peut-on faire pour lutter contre les bandes d'enfants venant de Roumanie et qui volent, suscitant l'exaspération de nos concitoyens ?

M. Jean-Michel Ferrand a dit préférer le terme de « Tzigane » à celui de « Roumain ».

M. Nicolas Sarkozy a répondu aux intervenants :

- le problème de l'immigration clandestine est encore aggravé par la multiplication des vols réguliers avec la Chine, par exemple il existe désormais trois vols par semaine entre Paris et Canton. Les autorités chinoises sont pourtant bien conscientes du problème et acceptent déjà de recevoir un nombre important de policiers français en Chine, pour que nous comprenions bien les problèmes. Il existe ainsi douze endroits où l'on fabrique des papiers en Chine ;

- en ce qui concerne l'expulsion des clandestins sur le territoire français, au mois de janvier 2004, 1 190 étrangers en situation irrégulière ont été éloignés, soit une augmentation de 36 % par rapport à janvier 2003 ;

- le problème de l'éloignement des enfants doit être traité avec une grande prudence, car il ne s'agit pas d'expulsions classiques. Il est certain que des mineurs ne peuvent être renvoyés sans leurs parents et sans qu'aient été fixées au préalable les conditions d'accueil dans les pays d'origine. C'est pourquoi une étroite collaboration avec des ONG a été mise en place, pour s'assurer de l'accueil des ces enfants après leur expulsion ;

- concernant le mariage des étrangers en situation irrégulière, le Conseil constitutionnel a validé le principe d'un entretien obligatoire des futurs époux avec l'officier de l'état civil avant le mariage, l'obligation pour les procureurs de la République de motiver leurs décisions lorsqu'ils ordonnent la célébration du mariage malgré l'existence d'indices d'un mariage de complaisance et l'allongement de un à deux mois du délai d'enquête ;

- la question des visas avec l'Algérie est un vrai problème, et cette question sera abordée à nouveau avec les autorités algériennes après l'élection présidentielle en avril 2004 ;

- enfin, il est important de combattre le problème de l'immigration clandestine en amont. Une lutte efficace est impossible sans la collaboration avec les pays sources. La coopération internationale, quotidienne et permanente est la condition du succès contre le terrorisme et l'immigration clandestine.

Le Président Edouard Balladur a remercié le Ministre pour la clarté et la précision de ses interventions.

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