COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 43

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 6 mai 2004
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Roland Blum, Vice-Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Joaquim Chissano, Président de la République du Mozambique,
     Président de l'Union africaine



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Audition de M. Joaquim Chissano, Président de la République du Mozambique, Président de l'Union africaine

Le Président Roland Blum a salué la présence devant la Commission de M. Joaquim Chissano, Président de la République du Mozambique et de l'Union africaine. Il a indiqué que le Mozambique avait réussi à partir de 1992 à mener à bien un processus de paix et qu'il accomplissait des performances économiques soulignées par le FMI, notamment une réduction de la pauvreté de 15 % en six ans.

Il a également souhaité avoir l'avis du Président Chissano sur la mise en œuvre du NEPAD et sur les nombreux conflits que connaît le continent africain.

M. Joaquim Chissano, Président de la République du Mozambique, Président de l'Union africaine, a tout d'abord souligné le grand intérêt pour l'Afrique qui existe en France, notamment de la part des parlementaires.

Il a ensuite confirmé que la paix au Mozambique, qui dure depuis douze ans, s'était consolidée, même si la presse de son pays évoque parfois des menaces, ce qui est d'ailleurs révélateur de l'existence de débats et d'une véritable liberté d'expression. La démocratisation du pays se poursuit en effet, des élections municipales ont eu lieu l'an dernier et des élections présidentielles auront lieu cette année. Certes, l'organisation de ces élections n'est pas encore parfaite et nécessite encore une supervision internationale, ce qui fait toujours craindre un risque d'ingérence. Il a indiqué que le Mozambique ne pouvait pas encore se passer de cet appui extérieur, à la différence de l'Afrique du Sud qui a réussi à organiser, seule, des élections. Il a cependant précisé que l'aide de la France dans ce domaine était totalement désintéressée.

Plus globalement, l'apprentissage de la démocratie est un processus complexe. Compte tenu de l'analphabétisme, de la pauvreté, des différences ethniques et linguistiques, on peut dire que la démocratisation du Mozambique avance rapidement.

S'agissant des problèmes de l'Afrique en général, le Président Joaquim Chissano a rappelé que les membres de l'Union africaine avaient décidé de ne plus reconnaître les gouvernements issus de coups d'Etat. Par ailleurs, dans le cadre du NEPAD, a été mis en place un mécanisme d'évaluation par les pairs afin d'inciter chacun à la bonne gouvernance en se corrigeant et s'aidant réciproquement.

En ce qui concerne la situation économique du Mozambique, la baisse de 15 % du taux de pauvreté absolue est effectivement un grand succès, d'autant qu'elle est intervenue plus rapidement que prévu : on espérait atteindre un taux de 60 % de pauvreté en 2007, et ce taux est déjà descendu à 54 % en 2003. Les résultats sont également encourageants dans la lutte contre l'analphabétisme. Ainsi, le processus de développement du pays est fondé sur la priorité donnée à la lutte contre la pauvreté absolue, qui ne doit d'ailleurs pas être opposée à un mode de développement fondé sur les infrastructures, qui ont aussi leur place dans le combat contre la pauvreté : les petits paysans ou commerçants ont par exemple besoin de ponts ou de routes pour développer leur activité et donc sortir de la misère.

Parallèlement, le Président a évoqué la campagne d'investissements pour réaliser de grands projets rendus possibles par la situation interne favorable au Mozambique. Ces investissements, qui s'élèvent à 1 milliard de dollars, ont permis la construction d'une fonderie d'aluminium ultramoderne à Maputo, l'installation d'un gazoduc de 800 km entre le Mozambique et l'Afrique du Sud, ainsi que de centres de production et de distribution d'électricité par lignes de haute tension entre le Nord et le Sud du pays. Le Mozambique projette également de fournir de l'énergie à l'ensemble de ses voisins.

S'agissant du NEPAD, il a considéré que cette initiative fonctionnait en Afrique australe, car les infrastructures étaient déjà en place, on y avait discuté de l'aménagement des fleuves et des questions d'énergie. La réunion de Syrte sur l'eau et l'agriculture montre que le NEPAD fonctionne, mais la rapidité de ses réalisations dépendra de la mobilisation des partenaires non africains. Si l'Afrique reste isolée, ce sera plus long, même si elle a décidé de s'approprier cette initiative de développement économique africain.

Revenant sur la situation du Mozambique, M. Joaquim Chissano a souligné le niveau de croissance du PNB. Celle-ci a été de 7,1 % en 2003 et devrait être de 8 % au moins en 2004. La vie quotidienne est en train de changer. Le niveau de vie de la population s'améliore. L'accès à l'eau potable, aux écoles et aux hôpitaux est devenu plus facile. Il a insisté sur le fait que la croissance n'était pas uniquement fondée sur les grands projets mais aussi sur l'agriculture, la pêche, le tourisme et la construction.

Il a jugé que les conflits en Afrique avaient des racines historiques anciennes et qu'il était possible d'en éviter de nouveaux. Ainsi, en Côte d'Ivoire, le conflit ethnique latent a pu être étouffé par la personnalité du Président Houphouët-Boigny, mais il existait antérieurement. Certains conflits anciens sont en cours de règlement : tel est le cas en République démocratique du Congo ou en Somalie, où une constitution fédérale est élaborée. S'agissant du Soudan, l'Union africaine a décidé de dépêcher des observateurs pour trouver des solutions dans la région du Darfour. Les exemples de la Somalie, des Comores et de Madagascar démontrent que l'on peut faire progresser, voire terminer des processus de paix. Actuellement, l'Union africaine dispose de la capacité d'intervenir assez rapidement, ce qui s'accélèrera avec la création, espérée en mai, d'un conseil de sécurité au niveau des chefs d'Etat. Actuellement, ce conseil fonctionne au niveau des ministres. En outre, le Parlement panafricain est en place et l'Union africaine apporte une large contribution au maintien de la paix.

Au nom du groupe d'amitié France-Mozambique, M. André Chassaigne a souhaité la bienvenue au Président Joaquim Chissano, reconnu très largement par les chefs d'Etat et les peuples africains. Si un panel de sages devait être constitué au sein du continent africain, nul doute que le Président Chissano serait le premier désigné, en raison des actions qu'il mène en faveur de la paix et de la sécurité en Afrique, des règles de gouvernance économique exemplaires pour un Etat africain dont il a su doter son pays et du processus démocratique qu'il y a développé.

M. François Guillaume a jugé que la démarche adoptée par le Mozambique et fondée sur le développement de l'agriculture restait tributaire d'un contexte international marqué par la globalisation et la volonté d'une libéralisation systématique. A cet égard, il a demandé au Président Joaquim Chissano s'il estimait que l'Afrique devait faire entendre une voix particulière ou si, au contraire, elle devait rester enfermée dans un groupe qui défend des positions libérales mais où des pays comme le Brésil ont des intérêts différents de ceux de l'Afrique.

Par ailleurs, si la concurrence américaine en matière de production de coton ou de sucre contrariait l'effort de production des pays africains, il a considéré que la position adoptée par ceux-ci sur les productions vivrières était un peu contradictoire dans la mesure où la suppression des aides de l'Union européenne ou des Etats-Unis à l'exportation est demandée alors qu'elle permet en même temps une meilleure couverture des besoins alimentaires de l'Afrique. S'agissant du cacao et du café qui sont sous rémunérés au niveau international, il a souligné que le libre marché n'était pas la solution à ce problème.

M. Jacques Godfrain a fait observer que le Mozambique était également un grand pays côtier de l'Océan indien, dont les intérêts doivent être convergents avec ceux des pays voisins pour le respect des ressources halieutiques. A cet effet, il a souhaité savoir si une politique commune était engagée pour protéger les réserves en poisson de cet océan.

Indiquant que, lors de la récente cérémonie commémorant la fin de l'apartheid, le Président du Zimbabwe avait été applaudi, M. Eric Raoult s'est interrogé sur la signification de ces applaudissements.

M. Joaquim Chissano a répondu qu'il n'était pas hostile à l'idée de participer au panel des sages institué par le NEPAD après avoir quitté ses fonctions actuelles.

L'Afrique ne doit pas rester fermée sur elle-même, mais il faut que le monde s'ouvre également à ses produits. Il ne faut pas opposer la production du sucre ou du coton avec celles des cultures vivrières : les exportations de sucre ou de coton doivent en effet permettre de dégager les ressources nécessaires à l'achat de biens d'équipement et de matériel pour améliorer la productivité des cultures vivrières et pour ne plus dépendre de l'aide alimentaire. L'Europe, les Etats-Unis et le Japon ne dépendent pas exclusivement de leurs exportations agricoles et elles ont, par leur niveau de développement, de nombreuses alternatives pour développer leur croissance économique, à la différence des pays africains. Ceux-ci ont besoin de ressources monétaires pour pouvoir acheter les produits à haute valeur ajoutée. Il n'y a donc pas de contradiction à demander la suppression des barrières tarifaires dans le domaine agricole, car c'est la seule manière pour que la mondialisation se traduise par une réciprocité des bénéfices et qu'elle rompe avec les rapports passés caractérisés par la domination des anciennes métropoles. Faute de satisfaction des besoins essentiels, le développement humain n'a que peu de sens.

La surveillance des côtes du Mozambique constitue un véritable enjeu pour le développement de la pêche. Les ressources halieutiques sont très importantes, mais le Mozambique a besoin d'assistance pour obtenir des navires et pour former des gardes côtes capables de protéger efficacement les investissements réalisés dans le secteur de la pêche.

Le Président du Zimbabwe a été applaudi en Afrique du Sud à l'occasion de la cérémonie commémorant la fin de l'apartheid en raison de ce qu'il représente. Il ne faut pas oublier qu'il a joué un rôle très important pour introduire, au prix de dures luttes, la démocratie dans son pays. Il est vrai qu'il y a aujourd'hui un recul sur le plan politique au Zimbabwe, mais la démocratie ne saurait se limiter au droit de vote et à la liberté d'expression : la participation à la vie nationale de chaque citoyen passe aussi par la satisfaction des besoins de chacun et par sa contribution à la production des richesses. La population sud-africaine est confrontée au problème de la lutte pour l'égalité, ce qui explique pourquoi le Président Mugabe a été à ce point applaudi.

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