COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 8

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 3 novembre 2004
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Examen pour avis des crédits de la Défense pour 2005, M. Paul Quilès, Rapporteur pour avis

- Examen pour avis des crédits du Commerce extérieur pour 2005, M. Jean-Paul Bacquet, rapporteur pour avis



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Examen pour avis du budget de la Défense pour 2005

M. Paul Quilès, Rapporteur pour avis, s'est tout d'abord attaché à présenter le contexte international dans lequel s'inscrivaient les choix budgétaires de la France pour 2005, rappelant qu'une fois encore, il était grevé de très lourdes incertitudes. Il a souhaité, parmi la longue liste des pathologies de la mondialisation incontrôlée qui se développent, centrer son analyse sur la crise actuelle du désarmement et de la non-prolifération. Ce sujet symbolise en effet la fin des illusions de ce qu'on appelait « l'après-guerre froide », les années 1990 ayant vu se multiplier des succès en la matière, qui paraissent aujourd'hui bien lointains. Plus encore, le désarmement et la non-prolifération incarnent, par excellence, la vision des relations internationales multilatérales définie par la Charte des Nations Unies. Il n'est donc guère étonnant qu'à l'heure où le rôle et la légitimité de l'Organisation des Nations unies sont parfois remis en cause par l'hyperpuissance américaine, le désarmement et la non-prolifération soient en crise. Au cœur de cette crise, c'est, en effet, le principe même de la validité des traités multilatéraux qui est remis en cause par les Etats-Unis, qui s'efforcent de leur substituer des régimes informels, fondés sur une adhésion volontaire, et dépourvus de ce qui fait la force des traités multilatéraux en matière de désarmement, à savoir l'existence de systèmes de vérification intrusifs. De même, les Etats-Unis privilégient une approche bilatérale de ces questions, avec ce que cela recouvre d'arbitraire et d'imprévisible : la comparaison entre le traitement des cas irakien et nord-coréen en dit long sur les limites d'une telle approche qui ne fait, au total, que brouiller la lisibilité de la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive. D'un côté, le pays qui a reconnu posséder des armes de destruction massive est épargné par toute sanction tandis que celui dont il est aujourd'hui prouvé qu'il ne possédait pas d'armes de cette nature a été attaqué.

M. Paul Quilès a estimé qu'il revenait aux pays européens, attachés, dans leur très grande majorité, au désarmement et à l'approche par la non-prolifération, c'est-à-dire à l'approche politico-diplomatique fondée sur la primauté du TNP et, plus largement sur la négociation multilatérale, de redonner toute sa visibilité à l'édifice de lutte contre la prolifération et de déployer tous leurs efforts pour en démontrer la pertinence. Il a fait valoir qu'en effet, à long terme, c'était la seule méthode qui permette de lutter efficacement contre la prolifération, à condition d'efforts patients et soutenus. La question du programme nucléaire iranien est, à cet égard, un enjeu majeur pour la crédibilité du régime de non-prolifération nucléaire. Qui plus est, elle est cruciale alors que se prépare la prochaine conférence d'examen du traité de non-prolifération, en mai 2005.

Il a expliqué que cette crise du désarmement, domaine multilatéral par excellence, révélait la crise profonde que traversait aujourd'hui le système de gouvernance internationale. A cet égard, la réforme du Conseil de sécurité de l'ONU représente un enjeu majeur pour la stabilité des relations internationales, réforme dont les enjeux ont été résumés par M. Lakhdar Brahimi, représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en Afghanistan, puis en Irak, lors de son audition par la commission des affaires étrangères : la question qui se pose est celle de la primauté de l'État de droit international, de la possibilité de faire en sorte que la charte des Nations Unies reste le référentiel commun de la communauté internationale. L'exemple irakien montre, par contraste avec le cas de l'Afghanistan, que toute autre approche est sans issue.

Le Rapporteur a jugé que la primauté du multilatéralisme et du droit international serait mieux défendue si l'Europe parvenait à émerger comme un véritable acteur stratégique. Or, si l'Europe de la défense a enregistré des avancées récentes (adoption de la stratégie de sécurité en décembre 2003, mise en place de l'agence européenne de défense), il n'existe toujours pas de dynamique européenne qui trouverait sa traduction en termes de moyens budgétaires ou de capacités de la défense. Plus encore, M. Paul Quilès a estimé que le projet de traité constitutionnel condamnait l'Europe à rester un acteur mineur dans le domaine stratégique. En effet, l'article 41 § 7 mentionne que l'OTAN « reste, pour les Etats qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en œuvre ». Tel n'était pas le texte de la Convention qui évoquait seulement une coopération avec l'OTAN pour les Etats de l'Union ayant choisi une « coopération plus étroite en matière de défense mutuelle ». Le Rapporteur a d'ailleurs jugé révélateur que le livre blanc britannique sur la Constitution, paru en septembre 2004, se félicite de l'influence britannique sur la rédaction de ces dispositions et de la novation introduite. Sans doute la constitution de la défense européenne était-elle, même dans le cadre de la déclaration de Saint-Malo, en 1998, encadrée par la doctrine américaine des trois D - pas de découplage ni de discrimination ou de duplication. Reste qu'inscrire cette disposition dans le texte constitutionnel revenait à pérenniser la dépendance stratégique de l'Europe à l'égard des Etats-Unis et à fixer, a priori, les limites de la défense européenne.

M. Paul Quilès a regretté que la France ne se donne pas non plus les moyens de conforter l'émergence de l'Europe comme acteur stratégique et, par là même, de faire prévaloir ses positions en faveur de la négociation multilatérale et de la prééminence du politique sur le militaire. Rappelant que, dans le projet de loi de finances pour 2005, 32,92 milliards d'euros courants de crédits de paiement étaient inscrits au budget de la défense, dont 15,20 milliards d'euros destinés au financement de l'investissement des armées, ce qui représentait, pour l'ensemble du budget de la défense, une hausse de 1,6 % et, pour les seuls les titres V et VI, de 2 % par rapport à 2004, il a jugé que la seule question pertinente en l'occurrence était non celle du niveau des dépenses militaires, mais celle de leur adaptation aux défis du monde actuel.

De ce point de vue, il a considéré que le projet de budget n'était pas satisfaisant, relevant notamment que l'augmentation constante, et massive, des crédits destinés à la dissuasion nucléaire était symptomatique de l'inertie politico-administrative qui fondait nos choix d'équipement. Rappelant qu'en 2005, 20,7 % des crédits d'équipement étaient destinés au financement de la dissuasion, il a estimé que le moment était venu d'en débattre de manière approfondie. L'intérêt d'un tel débat avait été souligné par le Président de la Commission des affaires étrangères lorsque avait été esquissée cette réflexion dans le rapport pour avis sur les crédits de la défense dans la loi de finances initiale pour 2004 ; de même, le Président de la Commission de la Défense, M. Guy Teissier, s'est engagé dans cette voie. Enfin, dans un très récent numéro de la revue Défense nationale, le Chef d'état major des armées a ouvert le débat en rappelant que la pertinence de notre dissuasion nucléaire « ne saurait être considérée comme démontrée une fois pour toutes. Il est donc légitime et nécessaire d'examiner régulièrement les questions suivantes : notre doctrine est-elle adaptée à la réalité des menaces ? L'effort financier consenti en faveur des forces nucléaires est-il dimensionné au bon niveau ? Ne faut-il pas débattre davantage autour de la dissuasion ? »

Fort de ce soutien, M. Paul Quilès a donc souhaité attirer l'attention sur ce qu'il a appelé le paradoxe de la dissuasion française : alors que, officiellement, la doctrine de dissuasion est dite inchangée, la France se dote de moyens dont on peut se demander s'ils ne conduisent pas de facto à une évolution de notre doctrine. A ce titre, le Rapporteur a relevé cinq points d'incohérence :

- Il serait dangereux, nous dit-on, de baisser la garde alors que le contexte stratégique international est non seulement incertain mais plus encore soumis à des évolutions très rapides. Tout en concédant que la question était iconoclaste, le rapporteur s'est interrogé : fallait-il, dès lors, choisir de se priver définitivement de l'option des essais, ce que n'ont fait ni la Chine ni les Etats-Unis ? S'il a précisé que telle n'était assurément pas sa conviction, il a mis l'accent sur l'absence de cohérence entre le discours alarmiste qu'entend systématiquement celui qui met en avant l'absence de menace majeure à court et moyen, voire long terme, et le choix de cette voie très largement inexplorée, pavée d'obstacles techniques et d'incertitudes scientifiques, qu'est la simulation.

- Par ailleurs, il est dit que, pour peser sur les affaires du monde, la France doit préserver son indépendance nationale, qui passe par l'autonomie stratégique. Mais, si vraiment la question clé est celle de notre autonomie, alors pourquoi les moyens de la simulation, présentée comme essentielle au maintien de l'efficacité de notre armement nucléaire, donc vitale pour la crédibilité de notre dissuasion, dépendent-ils en partie de la collaboration avec les Etats-Unis ?

- En outre, la doctrine française récuse tout emploi de l'arme nucléaire, la conception française de l'arme nucléaire étant exclusivement politique. Le rapporteur s'est alors demandé si la course technologique dans laquelle nous nous lançons à travers les programmes de missiles stratégiques notamment (missiles M51 pour la composante océanique, ASMP-A pour la composante aéroportée) relevait d'une logique de dissuasion et ce que signifiait la recherche d'une précision accrue, c'est-à-dire l'application du principe de limitation des dommages collatéraux, s'agissant des armes nucléaires.

- Qui plus est, si vraiment, comme l'affirme la doctrine, notre dissuasion s'exerce tous azimuts, il est légitime de se demander pourquoi la France développe un nouveau missile pour équiper la force océanique stratégique, le M51, qui se caractérise par une allonge accrue (6 000 kilomètres), dont nul ne niera qu'il a été conçue pour contrer la montée en puissance de la Chine en matière nucléaire.

- Enfin, nous devons nous prémunir, nous dit-on, contre le chantage exercé par des pays proliférants dotés d'armes rudimentaires. S'il n'était pas envisageable, dans le cas de la menace massive qu'exerçait l'URSS, d'envisager une frappe en premier ou de riposter avant d'avoir été atteint, la question est pertinente s'agissant du chantage exercé par un pays proliférant. Le rapporteur s'est donc demandé pourquoi, comme il en avait souligné la nécessité dans son rapport de l'an dernier, l'Europe ne se dotait pas d'un système d'alerte avancé lui permettant de détecter les tirs de missiles balistiques dans leur phase propulsive. Il a jugé que, dans la perspective de la crédibilité renforcée de la dissuasion, l'acquisition de cette capacité devenait urgente, et constaté que, paradoxalement, la France ne s'engageait pas dans cette voie.

Au vu de ces incohérences, il a plaidé en faveur d'un recentrage du budget, et donc des programmes, de la défense sur des domaines permettant aujourd'hui de préserver nos intérêts stratégiques, diplomatiques et politiques ainsi que l'autonomie stratégique de la France, inséparable de celle de l'Europe. De fait, la notion d'intérêts vitaux ne doit pas masquer l'ensemble des intérêts que la France se doit de défendre : à la multiplication des menaces correspond une multiplication des atteintes susceptibles d'être portés à nos intérêts. De même, il convient de ne pas s'en tenir à la notion historique d'autonomie stratégique de la France : or, est aujourd'hui privilégiée, via nos choix budgétaires, l'autonomie stratégique de la France alors que la question d'avenir est celle de l'autonomie stratégique de l'Europe, seul vecteur possible de notre autonomie nationale.

Dans cette optique, il a proposé, d'une part, que soit examinée la possibilité d'une veille technologique s'agissant du programme de missile M51 : dans la mesure où celui-ci est destiné à permettre à la France de faire face à une menace massive, dont les perspectives apparaissent bien lointaines, son développement ne présente aucun caractère d'urgence. Bien au contraire, dans l'hypothèse d'une résurgence de la menace, il risquerait d'être mal adapté au contexte stratégique, ayant été développé et construit trop tôt et « dans le vide ». Pour cette raison, il faut lui substituer une veille technologique qui présenterait la souplesse nécessaire aux évolutions du contexte stratégique, tout en absorbant une proportion bien moindre des crédits destinés à l'équipement des armées.

Parallèlement, il a proposé que soient notablement revalorisés les crédits engagés dans les deux domaines clés que sont la recherche et le spatial militaire. Il a rappelé, s'agissant du premier, que la part de la recherche et technologie dans le budget de la défense s'était, en effet, réduite de 9,7 % en 2000 à 8,3 % en 2004, année qui aura marqué le creux de la vague et que, quand la France dépensait 1,24 milliard d'euros en recherche de défense (2003), les Etats-Unis en dépensaient 10,5. Il a fait valoir qu'était en question l'avenir de l'interopérabilité des moyens européens et américains. S'agissant du second, il a précisé que la France était le principal moteur de l'Europe spatiale, son budget comptant pour près de 75 % du budget spatial militaire européen en 2003. Il a rappelé qu'en 2003, là où l'Europe consacrait 655 millions de dollars au spatial militaire, les Etats-Unis en dépensaient 17,5 milliards, chiffre qui, en 2005, serait porté à 23 milliards de dollars.

En conclusion, considérant que le projet de budget de la défense pour 2005 ne permettait pas à la France de jeter les fondements d'une défense efficace, dans une perspective européenne notamment, il a invité la Commission à donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de la Défense pour 2005.

Le Président Edouard Balladur a tout d'abord rappelé que la simulation avait été mise en œuvre en France lorsqu'il était Premier ministre. Certes, la simulation nécessite une coopération technique avec les Etats-Unis, mais une telle coopération existait déjà concernant les expérimentations classiques antérieures.

Il a ensuite fait part des débats sur la dissuasion et sur le bien-fondé d'une riposte massive en cas d'atteinte à nos intérêts fondamentaux. Dans le contexte géostratégique actuel, on peut s'interroger sur l'opportunité de la doctrine traditionnelle de la dissuasion, compte tenu de la puissance des armes nucléaires d'aujourd'hui. Il faudrait donc lancer une réflexion sur l'utilisation éventuelle d'armes nucléaires tactiques pour des pays de la taille de la France.

M. Roland Blum a salué l'intérêt des analyses du Rapporteur, dont il a cependant précisé qu'il ne les partageait pas. En effet, il est nécessaire de conserver une autonomie stratégique et militaire pour la France car l'Europe politique reste un projet à long terme : ainsi l'effort budgétaire consacré par la France dans un contexte économique difficile se justifie pleinement. Enfin, rappelant que le budget 2005 prévoyait pour la première fois un financement des dépenses des opérations extérieures en loi de finances initiale, il a considéré que la somme de 100 millions d'euros prévue à cet effet serait probablement insuffisante.

M. François Guillaume a convenu que la dissuasion nucléaire telle qu'elle était envisagée au moment de l'entrée de la France dans le club des Etats détenteurs n'avait plus la même force, les adversaires potentiels ayant changé. Il s'est interrogé sur la possibilité de mettre en place un bouclier protégeant la France des missiles balistiques, solution qui présenterait l'intérêt d'éviter à cette dernière une riposte de toute façon peu crédible aux vues des destructions considérables qu'elle aurait subies. La mise en place d'un tel bouclier est-elle envisageable pour la France et la coopération européenne est-elle la seule voie possible en la matière ?

Le Rapporteur a apporté les éléments de réponse suivants :

- si la question du nucléaire tactique a, depuis le début de l'âge nucléaire, agité politiques, militaires et experts, elle se pose encore aujourd'hui à travers le débat sur la miniaturisation et l'accroissement de la précision des armes. Après avoir fait observer qu'on voyait difficilement comment empêcher une arme nucléaire de produire des dégâts collatéraux, du fait de l'effet de rayonnement produit par l'explosion de celle-ci, il a jugé que la question du nucléaire tactique ne pouvait, aujourd'hui, se poser que dans le cadre européen. Il y a en effet quelque paradoxe à traiter d'un sujet qui engage les dix à quinze ans à venir dans un cadre strictement national : de fait, nous devons relier le phénomène d'hystérésis très lourd qui existe en matière d'équipement militaire, notamment nucléaire, aux évolutions de la construction européenne, qui se caractérise par les progrès de l'Europe politique, seule option d'avenir pour l'Union européenne. Même tactique, c'est-à-dire frappant un espace circonscrit, le nucléaire est en effet doté d'une telle charge diplomatique et psychologique qu'il paraît inconcevable d'examiner les choix du futur en ce domaine en dehors du cadre européen.

- Les choix français en matière de dissuasion nucléaire doivent également être examinés à l'aune des positions très fortes de la France en matière de désarmement. A cet égard, il est préoccupant de constater qu'existe un débat, au sein des pays participant à la conférence d'examen du traité de non-prolifération nucléaire qui se tiendra en mai 2005, entre les Etats dotés de l'arme nucléaire au sens du TNP et les autres, quant à l'ordre du jour de cette conférence. D'un côté, en effet, les premiers souhaitent l'axer sur la non-prolifération, tandis que les seconds privilégient la question du désarmement nucléaire. La question posée ici est fondamentale : le but des pays appartenant au Club nucléaire est-il de conserver l'arme nucléaire et d'empêcher les autres pays de l'acquérir ou bien est-il de réduire leurs stocks d'armes nucléaires ?

- S'agissant des opérations extérieures, si 100 millions d'euros sont certes inscrits à ce titre dans le projet de loi de finances pour 2005, cette somme est loin de couvrir les besoins, qui étaient, en 2003, de 658 millions d'euros et seront vraisemblablement, en 2004, de 667 millions d'euros. Il est à craindre que le solde ne soit une fois encore prélevé sur le budget de la défense ;

- Si la question de doter l'Europe d'un système d'alerte avancée de détection des missiles balistiques est pertinente, en revanche, il ne serait pas judicieux de construire un bouclier antimissile tel que le conçoivent les Etats-Unis : outre le coût d'un tel projet (les Etats-Unis ont inscrits plus de 9 milliards de dollars dans le budget 2005 à cette fin), le système ne fonctionne pas, sans compter enfin qu'il favorise la course aux armements. Enfin, comme l'avait montré a contrario le traité ABM signé en 1972, récusé par les Etats-Unis en 2002, il remet en cause la dissuasion. En revanche, la France travaille dans le cadre de l'OTAN sur des systèmes de défense antimissile de théâtre en vue de protéger les troupes projetées hors de nos frontières.

En conclusion, le Président Edouard Balladur a fait observer que les armes nucléaires tactiques étaient souvent considérées comme occasionnant des dégâts limités -d'où le rôle d'avertissement ultime qu'on pensait un temps leur faire jouer, par contraste avec les armes stratégiques ; or, M. Quilès a raison, arme tactique ne signifie pas arme de faible puissance.

Contrairement aux conclusions du Rapporteur, la Commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la Défense pour 2005.

Examen pour avis du budget du Commerce extérieur pour 2005

M. Jean-Paul Bacquet a, tout d'abord, dressé le bilan du commerce extérieur français en 2004. Il a ainsi expliqué qu'après la « désastreuse » année 2003 - pour reprendre le terme de l'observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) -, le commerce extérieur français avait retrouvé une croissance confortant son statut d'économie ouverte, dans un contexte de forte croissance du commerce mondial - à la mi-2004, il croissait sur un rythme annualisé de 9 %. En termes sectoriels, les résultats sont conformes à la spécialisation sectorielle de la France, économie spécialisée dans les industries consommatrices de capital. L'analyse fine de ce secteur montre toutefois la persistance de la faiblesse relative de la France dans les produits de haute technologie : sa part de marché dans ce secteur, dans la zone OCDE, n'est que de 6,5 %, contre 10 % au Royaume-Uni, 11,5 % pour l'Allemagne et 25 % pour les Etats-Unis.

Il a ensuite noté que le projet de budget du commerce extérieur accompagnait l'évolution du commerce extérieur. En 2005, l'effort budgétaire total consacré par l'État en faveur du commerce extérieur représentera ainsi 423,44 millions d'euros en crédits de paiement, soit une diminution de 6,19 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2004. Il a précisé que les crédits inscrits au budget du seul ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, qui représentaient la majeure partie des crédits du commerce extérieur, s'accroissaient pour leur part de 2,06 %. Faisant valoir que, en matière de commerce extérieur, la question essentielle résidait moins dans les chiffres du budget que dans la lisibilité et dans la pertinence du ciblage de l'action publique, il a salué le volontarisme de la politique menée depuis plusieurs années par les ministres successifs du commerce extérieur. En effet, le projet de budget pour 2005 poursuit la refonte globale de l'outil français de soutien et de développement du commerce extérieur, engagée pour partie bien avant l'année 2002, comme dans le cas de la DREE, par exemple.

Remodelage de la carte du réseau international, réformes de l'organisation régionale, avec la décentralisation, prévue par le loi du 13 août 2004 relative aux responsabilités locales, des crédits et personnels des directions régionales du commerce extérieur, mise en place du nouvel établissement public d'Ubifrance : le rapporteur a expliqué que les réformes touchent aussi bien les structures que les méthodes. Il a cependant fait observer que ces réformes ne pourraient être évaluées avec précision que lorsque les premiers retours d'expérience seraient disponibles. Il a d'ores et déjà souhaité attirer l'attention de la Commission sur deux éléments :

- s'agissant de la décentralisation évoquée, il conviendra d'en évaluer précisément les effets. Va-t-on, en effet, assister à une concurrence interrégionale ? Les régions seront-elles plus à même de cibler les PME afin de développer leur activité exportatrice ? Auront-elles les moyens de recruter du personnel compétent ? Autant de questions cruciales lorsque l'on sait que l'enjeu est de mettre sur le marché export 50 000 PME supplémentaires ;

- s'agissant d'Ubifrance, on peut s'interroger sur la capacité du nouvel établissement public de mener à bien sa mission d'information et de promotion des entreprises françaises, alors qu'il est engagé dans une restructuration profonde, qu'il finance d'ailleurs largement sur ses fonds propres, à hauteur de 11,6 millions d'euros.

Pour justifier son scepticisme, le Rapporteur a estimé qu'il était pour le moins paradoxal de constater que plus de 40 000 jeunes sont inscrits sur le site Internet comme candidats au volontariat international en entreprise (VIE) mais que Ubifrance, en charge des VIE, ne parvenait pas à remplir les objectifs fixés en ce domaine, en l'occurrence doubler le nombre de VIE à l'horizon 2005, pour atteindre le nombre de 4 000 jeunes. Il a conclu qu'était posée la question de l'efficacité du contact d'Ubifrance avec les entreprises.

Le Rapporteur s'est ensuite attaché à déterminer si la reprise du commerce extérieur était durable et, plus encore, si elle était suffisante. Il a rappelé à cet égard que, pour préserver sa part de marché dans le commerce mondial, la France se devait d'exporter, en 2010, à hauteur de 550 milliards d'euros, faute de quoi, elle ne pèserait plus, à cet horizon, que 4,4 % des échanges internationaux, contre 5,1 % à la fin de l'année 2003.

Il a fait observer que trois éléments pourraient remettre en cause le caractère durable de la reprise de nos échanges.

En premier lieu, l'appréciation de l'euro aura coûté, 0,7 point de croissance en 2003 à la zone euro ; du fait d'un effet retard, malgré la stabilisation de la monnaie européenne, les effets de l'appréciation passée entraîneraient encore un déficit de près de un point de croissance pour l'année 2004.

En deuxième lieu, la flambée des cours du pétrole devrait, selon les prévisions économiques, amputer le commerce mondial d'environ 1,5 point. Toute la question est de savoir si elle durable : à ce sujet, on remarquera que, contrairement à l'idée répandue, les déterminants actuels du cours du pétrole sont tout autant structurels que conjoncturels. Notamment, faute d'investissements lourds, les capacités pétrolières américaines ne sont pas aussi importantes qu'elles le devraient.

Enfin, la dernière hypothèque qui, à moyen et long terme, pourrait peser sur la bonne santé du commerce mondial réside dans le blocage des négociations commerciales internationales. Si ces négociations constituent également un enjeu essentiel pour l'avenir de notre commerce extérieur, c'est aussi parce qu'elles conditionnent l'émergence d'une mondialisation maîtrisée qui, à la fois, ne laisse pas les pays les moins avancés sur la touche, tout en intégrant les dimensions sociales et environnementales du développement. Il est donc essentiel, de ce point de vue, de dépasser l'échec de la conférence de Cancun, qui s'est tenue du 10 au 14 septembre 2003, c'est-à-dire de s'atteler à une véritable réforme du commerce mondial. L'accord cadre adopté par les membres de l'OMC le 31 juillet 2004 présage-t-il d'une relance durable de la dynamique des négociations ? Ce qui est certain, c'est que le développement durable du commerce international passe par une approche politique de l'organisation du commerce international, à l'encontre de l'approche technocratique qui prévaut aujourd'hui. A cet égard, l'émergence de ce groupe hétérogène qu'est le groupe de pays en voie de développement qui s'est constitué à Cancun, dit « groupe des 21 », représente une réaction politique face à l'accord technocratique élaboré par M. Zoelic et Lamy, vécu comme un accord politique.

Afin d'évaluer le caractère durable du rebond du commerce extérieur français, le rapporteur a ensuite examiné la structure géographique de nos échanges. Il a fait observer que le commerce extérieur français ne bénéficiait pas pleinement des effets de la croissance mondiale, la France peinant à être présente sur les marchés les plus porteurs. Elle se situe, à cet égard, dans une position défavorable par rapport à l'Allemagne, davantage présente dans les pays d'Europe centrale et orientale et dans les pays émergents, notamment asiatiques. D'où le fait qu'aujourd'hui, l'Allemagne exporte pour 700 milliards d'euros, soit le double de la France. Sans doute la différence de taille entre les deux économies explique-t-elle en partie cet écart mais c'est dans la structure géographique respective des échanges français et allemand que se trouve la clé principale d'explication. La présence française est insuffisante dans les zones de forte expansion économique, les exportations françaises étant ainsi dominées par les pays de l'Union européenne : parmi les dix premiers clients de la France, figurent sept pays membres, représentant à eux seuls plus de la moitié de l'ensemble de nos ventes, soit l'Allemagne, l'Espagne, le Royaume-Uni, l'Italie et le Benelux.

La conséquence qui découle d'un tel constat est simple : la France doit réorienter ses échanges vers l'Asie émergente et les pays d'Europe centrale et orientale, sans toutefois qu'il s'agisse de sacrifier Cotonou, Rabat et Dakar pour Shanghai et Kuala Lumpur. Ces deux préoccupations ne sont pas contradictoires, leur conciliation résidant dans une approche dynamique du problème. Afin de ne pas pénaliser les Etats plus fragiles avec lesquels nous entretenons des relations commerciales, nous devons à la fois réorienter nos échanges et gagner des parts de marché. Seul un développement absolu, et non seulement relatif, de notre commerce extérieur peut permettre de résoudre la contradiction. La politique de ciblage géographique de vingt-cinq pays cibles annoncée par le Ministre délégué au Commerce extérieur répond à cette préoccupation, les pays choisis l'ayant été sur des critères économiques et politiques.

Rappelant que, tous les pays figurant dans cette liste ne pouvaient à l'évidence cependant pas être mis au même niveau de priorité dans l'action publique, M. Jean-Paul Bacquet a évoqué la place spécifique de la Chine : de fait, c'est en Asie, et notamment en Chine que se joue, pour l'essentiel, l'avenir du commerce extérieur français. D'ailleurs, la Chine peut désormais être considérée comme la première puissance commerciale mondiale si l'on juge ses performances à travers la notion de contribution au développement du commerce mondial : au cours des cinq dernières années, elle y aura contribué pour 13 %. Le rapporteur a estimé que la Chine resterait pour longtemps un marché porteur, sous réserve toutefois que l'afflux de main d'œuvre agricole dans les secteurs en croissance ne se traduise pas par une diminution massive des salaires, scénario qui est très sérieusement envisagé par les économistes. Dans ce cas, les tensions politiques internes pourraient avoir de lourdes conséquences sociales.

Par ailleurs, il a estimé que le développement de la présence française sur de nouveaux marchés passait par un accroissement du nombre d'entreprises françaises sur le marché export. En l'occurrence, c'est dans le vivier des PME qu'il faut puiser. Là encore, il existe une faiblesse française par rapport à ses principaux concurrents européens : 4 % des entreprises exportatrices sont des PME contre 18 % en Allemagne. Des mesures sont prises dans le projet de la loi de finances pour inverser cette tendance, tel que le crédit d'impôt pour dépenses de prospection.

Soulignant que le débat sur le développement nécessaire des relations commerciales avec la Chine se doublait généralement d'un second débat, qui formait en quelque sorte le versant pessimiste du premier, le Rapporteur a abordé, dans un dernier temps, la question des délocalisations, dont il a rappelé qu'elle avait fait l'objet d'un débat récent à l'Assemblée nationale.

Il a tout d'abord fait valoir que les délocalisations étaient le plus souvent motivées, non par la recherche du profit, mais par la volonté de conquérir des marchés extérieurs. La délocalisation au sens strict, c'est-à-dire le déménagement de l'usine qui importe ensuite ses biens en France, est vouée à l'échec.

Il a ensuite rappelé que, selon les économistes, tels que ceux du centre d'études prospectives et d'informations internationales, par exemple, l'impact des délocalisations sur l'emploi était limité. Ainsi, en dix ans, les délocalisations auraient coûté à la France 40 000 emplois ; à titre de comparaison, il convient de rappeler que le « turnover » quotidien sur le marché du travail porte sur 10 000 emplois. Dans cette perspective, il a jugé que le problème de l'insuffisante création d'emplois en Europe était interne et ne trouvait pas ses racines dans les économiques émergentes. Il a cependant fait observer que, même si les délocalisations étaient un phénomène très limité, elles posaient un véritable problème politique du fait qu'elles touchaient des portions du territoire très limitées mais déjà fortement ébranlées par la désindustrialisation des années 1970. Il a conclu que la question des délocalisations était moins une question macroéconomique qu'une question d'aménagement du territoire.

Il a donc justifié la nécessité d'une double approche pour lutter contre le phénomène : d'une part, il faut développer les emplois hautement qualifiés, notamment en accentuant notre effort de recherche ; d'autre part, cette approche par le haut doit être complétée d'une approche par le bas, c'est-à-dire par la création d'emplois peu qualifiés sur les territoires sinistrés, sous peine de voir les phénomènes d'exclusion sociale se reproduire de génération en génération.

Faisant état, de son sentiment partagé quant à l'état du commerce extérieur français en 2004, M. Jean-Paul Bacquet a souligné que seule une action de long terme, fortement soutenue politiquement, était de nature à conforter les améliorations conjoncturelles observées. Dans la mesure où, comme ses prédécesseurs, le Ministre du Commerce extérieur s'attelait à cette tâche, il a proposé à la Commission de donner un avis favorable aux crédits du commerce extérieur pour 2005.

Le Président Edouard Balladur a observé que la compétition commerciale engagée avec les pays en voie de développement imposait aux pays occidentaux des avancées constantes en termes de progrès technique, ce qui ne devait pas conduire cependant à l'abandon des secteurs traditionnels.

M. Roland Blum a déclaré partager l'inquiétude du Rapporteur concernant la faiblesse des PME françaises en matière d'exportation, constatant que, dans d'autres pays européens, ces entreprises s'avéraient bien plus dynamiques dans ce domaine. On observe que les aides apportées aux PME par les régions n'ont pas permis, par le passé, d'obtenir des résultats très convaincants. Comment pourrait-on alors améliorer l'action de ces collectivités en faveur du développement des exportations des PME ?

M. Jacques Myard a insisté sur la question de la faible diversification de nos exportations, dénonçant l'excessive concentration de notre politique extérieure et commerciale en direction de l'Europe, et plus particulièrement de l'Allemagne. Or, d'après la COFACE, le premier risque et le premier sinistre qu'il lui faut supporter portent sur l'Allemagne, qui, en raison de sa profonde crise démographique, fait figure « d'homme malade de l'Europe ». Puisqu'il n'est plus aujourd'hui possible de penser notre politique extérieure par le biais du seul prisme allemand, il conviendrait de réorienter notre diplomatie dans d'autres directions. Il faut également souligner le risque d'une explosion politique en Chine en raison du développement d'une économie duale que l'on observe aussi en Inde même si, dans ce pays, un tel phénomène est mieux accepté pour des raisons culturelles. Contrairement aux conclusions du Rapporteur, les délocalisations n'ont pas coûté seulement 40 000 emplois à la France mais bien plutôt 40 % de ses emplois industriels. Parmi l'une des raisons qui expliquent ce phénomène, l'on trouve celle déjà décrite par l'économiste Maurice Allais : la sous-évaluation manifeste des monnaies chinoise et indienne qui crée des conditions de concurrence déloyales pour les pays occidentaux. En outre, si le développement des hautes technologies peut contribuer à préserver la compétitivité de notre économie, pour autant, il demeure insuffisant lorsque l'on constate, par exemple, que la France disposait de 500 entreprises dans le secteur électronique, il y a quelques années, et qu'il n'en demeure plus que 30 aujourd'hui. A cet égard, il est notable de constater que les Etats-Unis ont ordonné, pour des raisons de défense nationale, le rapatriement sur leur territoire de la production des puces électroniques, ce qui démontre le caractère stratégique de telles activités.

Le Président Edouard Balladur a observé que les pertes d'emplois industriels constatées en France et évaluées par M. Myard à 40 % du total de ces emplois, et qui sont du même ordre de grandeur dans tous les pays occidentaux, étaient liées, pour l'essentiel, à la tertiarisation de l'économie.

En réponse aux différents intervenants, le Rapporteur a donné les précisions suivantes :

-  les PME françaises ne représentent que 4 % des entreprises exportatrices, contre 18 % pour les PME allemandes ; ceci s'explique par le fait que les entreprises de moins de dix salariés représentent 93 % des PME françaises contre 64 % des PME allemandes, ce qui facilite la démarche d'exportation de ces dernières ;

-  il est permis de douter que la mise en œuvre du contrat spécifique à l'export, qui est calqué sur le contrat de chantier, puisse avoir lieu dès 2005 comme l'affirme le Gouvernement ;

-  la mesure nouvelle de 10 millions d'euros prévue par le projet de loi de finances pour 2005 en vue de financer le crédit d'impôt lié aux dépenses de prospection à l'export ne serait pas, selon les propos tenus en Commission des Finances par M. Augustin Bonrepaux, à la mesure des enjeux et constituerait de la poudre aux yeux ;

-  la simplification des démarches des entreprises auprès des caisses primaires d'assurance maladie promise pour les salariés travaillant à l'étranger risque de demeurer un vœu pieux compte tenu de l'inertie existant en la matière ;

-  les conseils régionaux sont aujourd'hui placés dans des situations délicates en matière d'attribution des aides aux entreprises ; il leur faut choisir entre le soutien aux canards boiteux ou l'aide aux entreprises les plus performantes, qui bien souvent procèdent à des délocalisations d'emplois ; il y a par ailleurs des surenchères entre les régions, les plus favorisées attirant les créateurs d'entreprise au détriment des autres ;

-  il est essentiel qu'il y ait un accord entre les autorités gouvernementales, les conseils régionaux et les chambres de commerce pour mener une action efficace en faveur des exportations des PME ;

-  l'Allemagne a une tradition en matière de commerce extérieure que la France n'a pas ; elle est ainsi le deuxième pays derrière les États-unis pour l'accueil des étudiants chinois, alors que ceux-ci ne viennent en France qu'en nombre restreint, et principalement pour y faire des études artistiques ;

-  les chiffres communiqués sur la suppression des emplois industriels proviennent du CEPII ; la baisse des coûts de production engendrée par les délocalisations permet d'augmenter les capacités des entreprises en matière de vente à l'export ; il n'en demeure pas moins vrai que l'an dernier, pour la première fois depuis 1945, les créations d'emploi dans le secteur tertiaire n'ont pas compensé les pertes d'emploi dans l'industrie ;

-  la thèse du représentant américain pour le commerce extérieur, M. Robert Zoelic, selon laquelle les États-unis et l'Union européenne auraient intérêt à abandonner leurs activités industrielles et agricoles au profit des pays en voie de développement, est très contestable et ne tient pas compte des réalités socio-économiques.

Le Rapporteur a ensuite proposé à la Commission de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du commerce extérieur pour 2005.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du Commerce extérieur pour 2005.

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● Défense

● Commerce extérieur


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