COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 48

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 21 juin 2005
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des Affaires étrangères

- Information relative à la Commission

  
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Audition de M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des Affaires étrangères

Accueillant M. Philippe Douste-Blazy, le Président Edouard Balladur l'a félicité pour sa nomination et a rappelé que le Ministre avait été membre de la Commission des Affaires étrangères.

Revenant sur les résultats du Conseil Européen des 16 et 17 juin, dont il a rappelé que chacun s'attendait à ce qu'il fût difficile, M. Philippe Douste-Blazy, Ministre des affaires étrangères, a souligné que la France, sous l'impulsion du Président de la République, avait tout fait pour qu'un accord soit trouvé, à l'instar de la présidence luxembourgeoise qui s'était fortement engagée. Avec l'échec de ce Conseil, le projet européen fait face à une des plus graves crises de son histoire ; aussi le Ministre a-t-il fait observer que la période qui s'ouvrait allait exiger de la France et de tous ses partenaires beaucoup de volonté pour faire face à ce défi et relancer la dynamique de l'Union européenne.

Rappelant que le premier des deux enjeux de ce sommet européen était de décider de la suite du processus de ratification du projet de traité constitutionnel, il a mis en avant l'intérêt et la densité du débat sur les conséquences du « non » aux référendums en France et aux Pays-Bas : en premier lieu, la nécessité d'une ambition européenne forte a été réaffirmée par tous, chacun ayant pris conscience que l'Europe devait répondre davantage aux attentes légitimes des citoyens. Le Ministre des Affaires étrangères a regretté à cet égard que ce point fondamental, très positif, ait été peu souligné par la presse. En second lieu, le choix a été fait d'une réflexion active en vue d'un large débat dans chaque pays sur le projet européen et les moyens de regagner la confiance des citoyens. Indiquant que ce débat devait évidemment avoir lieu en France, M. Philippe Douste-Blazy a précisé que la France allait également commencer dès maintenant à travailler avec ses partenaires en vue de mettre en valeur une Europe plus concrète, plus visible et plus présente dans la vie et les préoccupations des citoyens. A cette fin, le Président de la République a proposé à ses partenaires, qui l'ont accepté, un rendez-vous exceptionnel entre chefs d'État et de gouvernement au premier semestre 2006, afin que soient évalués les débats nationaux et qu'il soit convenu de la suite du processus. Enfin, il a été décidé que le processus de ratification se poursuivrait selon les modalités propres à chacun et à la lumière des derniers événements. Le Ministre des affaires étrangères a rappelé à ce sujet que plusieurs Etats, qui avait programmé des référendums, avaient déjà choisi de les différer, mais que, pour tous, priorité était désormais donnée à la réflexion sur le développement du projet européen, réflexion indispensable dans les circonstances présentes.

S'agissant des perspectives financières, second thème de ce sommet, M. Philippe Douste-Blazy a jugé que le véritable enjeu du nouveau « paquet financier » pour 2007-2013 était le financement de l'élargissement. Rappelant que la France avait plaidé pour un coût raisonnable et équitable et qu'elle avait, au cours des négociations, donné son accord à une augmentation de sa contribution de 1,5 milliard d'euros par an, soit dix milliards d'euros sur l'ensemble de la période, il a expliqué que l'équité impliquait une profonde réforme du chèque britannique, dont la France souhaitait la diminution progressive. Il a fait valoir qu'elle en avait finalement accepté le simple gel, ce qui représentait une dernière tentative de compromis ainsi qu'un effort réel et honnête de tous vers plus d'équité en matière de financement de l'élargissement. En effet, sans la réforme du chèque britannique, le Royaume-Uni serait le seul à ne pas payer pour l'élargissement. Or, la Grande-Bretagne, accompagnée, pour d'autres raisons, par un petit nombre d'Etats, a refusé ce compromis, alors que l'écrasante majorité des membres du Conseil européen était prête à l'accepter. Le Ministre des Affaires étrangères a jugé ce refus regrettable, en soulignant qu'il représentait une immense déception pour les nouveaux Etats membres et pour la plupart des anciens ; il en a également souligné le caractère assez incompréhensible, le compromis final étant à la fois favorable au Royaume-Uni sur le chèque britannique et honnête sur la politique agricole commune (PAC). Il a estimé à ce sujet que les Britanniques, qui accusaient la France de défendre une « politique du passé » faisaient bien davantage usage d'arguments du passé sans tenir compte de l'évolution fondamentale de cette politique depuis plus de dix ans ni de l'intérêt d'une grande politique agricole pour notre continent. Il a rappelé que, comptant pour 70 % du budget communautaire il y a vingt ans, la PAC en représentait aujourd'hui 40 % et aurait pesé, dans le compromis proposé, pour 33 % de ce budget. Plus encore, le compromis prévoyait également une forte progression des dépenses de croissance et de recherche (+ 33 % par rapport à 2006), ainsi qu'un financement intégral des dépenses d'élargissement, auxquels les dix nouveaux Etats membres tiennent évidemment beaucoup. Le tout s'inscrivait dans un budget global plus rigoureux que la proposition initiale de la Commission, soit 871 milliards d'euros sur la période contre 1000 milliards proposés par la Commission.

Le Ministre des Affaires étrangères a ajouté qu'il reviendrait désormais à la future présidence britannique de sortir l'Europe de cette crise financière, dans laquelle les Etats qui avaient refusé tout compromis portaient une très lourde responsabilité. Il s'est cependant félicité du fait que les travaux reprendraient sur la base du très utile cadre de négociation établi par la présidence luxembourgeoise, à laquelle il a rendu un hommage sincère et qui avait échoué au dernier moment du fait de l'intransigeance de quelques-uns, au détriment des nouveaux Etats membres.

Abordant ensuite l'actualité africaine, dont il a souligné la richesse ces dernières semaines, alors que s'était tenue notamment la réunion ministérielle Afrique-France à Paris, M. Philippe Douste-Blazy a souligné que cette réunion avait permis de faire le point entre deux sommets d'Afrique et de France, qu'elle s'était achevée sur l'annonce du thème retenu pour le sommet de décembre, celui de la jeunesse africaine, dont le Ministre des Affaires étrangères a rappelé qu'elle représentait désormais 80 % de la population du continent. Il a ajouté que cette réunion s'inscrivait dans un agenda marqué par d'importantes échéances liées à l'Afrique et au développement : sommet du G 8 au début du mois de juillet, réunion en septembre à New York sur les objectifs du Millénaire, et, enfin, le sommet Afrique-France à Bamako et la réunion de l'Organisation mondiale du commerce à Hong-Kong en décembre prochain. Il a évoqué les principaux points qui avaient été abordés à l'occasion de cette réunion :

- la priorité à accorder à la prévention et à la résolution des conflits, aucun développement durable, ni d'aide au développement n'étant efficaces sans une implication accrue pour la prévention et la résolution des conflits ;

- la volonté des partenaires africains de la France d'exercer la responsabilité politique du règlement des crises et des conflits sur le continent ;

- l'intérêt de conforter le partenariat naturel entre le continent européen et le continent africain ainsi qu'entre l'Union européenne et l'Union africaine ;

- la nécessité de discussions approfondies sur le terrorisme et la criminalité organisée, l'existence d'une menace importante, qui n'est pas nouvelle, supposant la mise en œuvre d'instruments à la fois collectifs et spécifiques ; sur ce thème, la France agit d'ailleurs en liaison étroite avec ses partenaires occidentaux, notamment américains ;

- la nécessité de renforcer l'intégration du continent africain dans le commerce international, en particulier en ce qui concerne les produits agricoles. Le Ministre a souligné à cet égard qu'il n'était pas acceptable en effet qu'en vingt ans, la part de l'Afrique dans le commerce international ait chuté de 10 % à 2 % et rappelé que l'aide, tout en étant indispensable, n'était ni suffisante ni satisfaisante sur le long terme et qu'à ce titre, les décisions visant à annuler les dettes étaient une étape essentielle mais devaient s'accompagner d'un véritable effort pour une insertion effective de l'Afrique dans les circuits mondiaux financiers, commerciaux et économiques.

Abordant ensuite les questions liées au Moyen-Orient, M. Philippe Douste-Blazy a évoqué la tragique actualité libanaise, qui venait de se traduire par l'assassinat de M. Georges Hawi, homme politique libanais, qui rappelait la fragilité du processus politique en cours au Liban. Il a déclaré que la France condamnait cet acte terroriste, comme elle l'avait fait lors des précédents attentats qui avaient malheureusement endeuillé la campagne électorale. Il a jugé que ces élections constituaient néanmoins une étape importante et constaté que l'ensemble du processus électoral, étalé sur quatre dimanches, s'était déroulé selon le calendrier prévu et dans des conditions normales, conformément à l'une des demandes majeures de la population libanaise et de la communauté internationale. Soulignant que la participation avait été plus forte dimanche après dimanche, il a indiqué que les observateurs internationaux devraient accorder un satisfecit aux autorités du pays et ajouté que l'opposition anti-syrienne, réunissant les partisans de MM. Saad Hariri, Walid Joumblatt et des Chrétiens, aurait la majorité absolue dans le futur Parlement et qu'un nouveau gouvernement devrait être rapidement formé.

Que faut-il retenir de ces élections législatives qui n'auraient pas été possibles sans le vote par le Conseil de Sécurité des Nations unies de la résolution 1559 ?

Le Ministre des Affaires étrangères a tout d'abord souligné que les Libanais avaient su répondre, dans le calme et en nombre, à un processus électoral qui était refusé par certains et qui avait été marqué par l'assassinat de M. Samir Kassir, journaliste et intellectuel franco-libanais. Il s'est félicité de ce que la démocratie était inscrite au cœur du peuple libanais, jugeant que nul ne saurait ni l'en extraire ni lui imposer un nouveau modèle conçu depuis l'extérieur.

Il a noté en deuxième lieu que le Liban devait désormais s'assumer seul, sans avoir recours à une présence étrangère pour fixer son destin, lui seul étant compétent pour définir ses besoins et tracer le programme de réformes qui était indispensable à la résorption de sa dette tout en prévoyant un filet de sécurité sociale pour protéger les plus démunis.

En troisième lieu, il a fait observer que le Liban disposait désormais des moyens pour tourner une page de son passé politique : une élection libre, une majorité claire et forte, et une vie politique débarrassée des ingérences étrangères devraient permettre de traiter les vrais problèmes. Il a plaidé pour l'effacement des jeux politiciens et pour l'union des forces vives du pays afin qu'elles puissent procéder aux changements que la population appelle de ses vœux. Ajoutant que celles-ci devaient résister à la tentation de reprendre leur autonomie et leurs calculs, il a estimé que seul un véritable projet commun, articulé, permettrait au Liban d'affronter ses difficultés.

En dernier lieu, après avoir fait valoir qu'une autorité n'était légitime qu'à condition d'être entière et que la souveraineté n'était pas partageable, il a indiqué que le prochain gouvernement libanais aurait à étendre son autorité à toutes ses institutions et à l'ensemble du territoire national et qu'il lui faudrait notamment trouver une solution qui réponde à la demande de la communauté internationale de démanteler les milices encore opérationnelles au Liban, qu'elles soient libanaises ou non libanaises. Si l'on peut comprendre et admettre que cela nécessite du temps, il n'en reste pas moins que, conformément à l'une des demandes de la résolution 1559 adoptée en 2004 par les Nations unies, un processus devra être lancé qui atteste de la volonté de tous de résoudre cette question.

S'agissant du Sud-Liban, il a déploré les derniers incidents dont il avait été le théâtre : la poursuite des violations de la Ligne bleue n'est pas acceptable ; une violation n'en justifie pas une autre ; la Ligne bleue doit être respectée par toutes les parties.

Il a souligné que le Liban, aujourd'hui en mesure de clore une ère de son histoire, devait le faire avec courage, détermination et lucidité.

S'agissant de l'aide de la communauté internationale au Liban, il a indiqué qu'elle devrait s'ajouter aux efforts des Libanais, et non s'y substituer. Ainsi, la communauté internationale, qui a tant fait pour permettre au Liban de recouvrer son indépendance, l'accompagnera dans la reconstruction de ses institutions et dans la restauration de sa souveraineté. C'est d'abord dans les domaines financier et économique qu'elle interviendra, mais elle ne le fera que si les responsables politiques du pays définissent eux-mêmes ce dont le Liban a besoin. Il s'agit de faire valoir et de défendre le principe d'appropriation, une tutelle étrangère ne devant en aucun cas faire suite à une autre tutelle étrangère. Cette condition satisfaite, la communauté internationale ne pourra que se tenir prête à examiner toutes les demandes de coopération et d'assistance que ne manqueront pas de lui adresser les nouvelles autorités du pays issues du processus électoral. Ces demandes devront être marquées du sceau de la raison. Au nom d'un principe de conditionnalité, la communauté internationale n'octroiera pas son aide sans avoir la certitude que les réformes nécessaires seront mises en œuvre. Enfin, les demandes du Liban devront être crédibles, c'est-à-dire répondre à de véritables besoins et être susceptibles de s'appliquer dans un délai raisonnable. Les moyens de la communauté internationale auront vocation à accompagner les réformes voulues par Beyrouth, et non régler des factures. Le Ministre a ajouté qu'une conférence internationale serait le cadre d'expression naturel des demandes libanaises et de l'assistance internationale et souhaité qu'elle se tînt avant la fin de l'année, question que la France devrait aborder au cours de l'été avec ses partenaires libanais.

S'agissant des évolutions politiques à venir, il a rappelé que c'était l'affaire des seuls Libanais. A cet égard, procéder à des nominations politiques significatives, se débarrasser de la corruption, écarter les corrupteurs comme les corrompus, changer une loi électorale tant décriée ne sont que quelques-unes des mesures demandées par le peuple libanais à ses dirigeants. Le Ministre a estimé qu'il n'appartenait pas à la communauté internationale de donner son avis dans une sphère qui relevait de la souveraineté nationale ni de dire si les demandes de ceux qui entendaient revenir à l'esprit de Taëf étaient bonnes ou mauvaises ou s'il convenait de rechercher un nouveau pacte national. En revanche, il a fait valoir que l'ancienneté et la force du lien entre la France et le Liban commandaient de conseiller à toutes les forces politiques libanaises d'œuvrer ensemble pour aborder et traiter les grands dossiers du pays.

Le Ministre des affaires étrangères a ensuite évoqué la conférence ministérielle sur l'Irak qui se tiendrait le 22 juin à Bruxelles, dont il a rappelé qu'elle était le fruit d'une démarche commune euro-américaine. Réunissant quelque 85 pays et organisations internationales, elle va à la fois procéder à un constat des difficultés que traverse actuellement l'Irak, et constituer un appel à la mobilisation, l'unité et la solidarité internationales. Elle est organisée autour de trois piliers : transition politique, reconstruction et Etat de droit.

M. Philippe Douste-Blazy a indiqué que la France concevait cet exercice comme un renouvellement du soutien de la communauté internationale au processus politique de transition défini par la résolution 1546. Ce sera l'occasion de rappeler que les Irakiens, qui s'étaient donné un gouvernement, devaient désormais être placés au centre du jeu, notamment dans le domaine de la reconstruction, et, enfin, une occasion d'adresser aux nouvelles autorités irakiennes des messages politiques importants, notamment sur la question de « l'inclusivité », au moment où les sentiments communautaires s'exacerbaient en Irak. Il a ajouté que le message de la France porterait aussi sur son engagement aux côtés de l'Irak et des Irakiens et qu'il rappellerait à cet égard que la France, à titre national, contribuait déjà au redressement de l'Irak, comme en témoignaient notamment le triplement, en 2005, de son budget de coopération bilatérale avec l'Irak (2,5 millions d'euros), sa décision de contribuer à la formation des forces de sécurité irakiennes (1 500 environ) et l'allègement substantiel de créances publiques qu'elle avait décidé de consentir, dans le cadre du Club de Paris. Il a indiqué qu'il soulignerait également à Bruxelles que la France, dans le cadre européen, contribuait résolument à l'assistance de l'Union pour consolider les institutions irakiennes et promouvoir l'Etat de droit. Elle participerait ainsi à la formation à terme d'environ 200 policiers et magistrats, au titre de premier contributeur de cette assistance.

M. Philippe Douste-Blazy a enfin fait le point sur le premier tour de l'élection présidentielle iranienne, qui s'était déroulé le 17 juin dernier. Il a rappelé que, des sept personnalités autorisées à se porter candidates, l'ancien président Rafsandjani (21 %), suivi de près par le maire de Téhéran, l'ultra-conservateur Mahmoud Ahmadinejad (19,5 %) devraient s'affronter au second tour, selon les résultats officiels annoncés par le ministère de l'intérieur iranien, qui faisait par ailleurs état d'un taux de participation officiel de 62,7 %. Il a expliqué que ces résultats étaient cependant contestés, certains candidats, tel M. Karroubi, conseiller du Guide, évoquant une élection « truquée », quand M. Rafsandjani parlait pour sa part d'une élection « entachée par certains agissements ». Le Ministre a ajouté que plusieurs journaux avaient été fermés pour avoir reproduit ces critiques et que l'organe de contrôle - le Conseil des gardiens - avait ordonné un recomptage des votes à Téhéran, Ispahan, Machhad et Qom. Il a indiqué qu'il reviendrait au Conseil des gardiens d'arrêter la date du second tour, la date du 24 juin semble la plus probable à ce stade.

Après avoir indiqué qu'il considérait que le Traité établissant une Constitution pour l'Europe n'entrerait pas en vigueur, le Président Edouard Balladur s'est interrogé sur les initiatives que l'Union européenne pourrait prendre pour témoigner de sa vitalité et de son existence même. Il a considéré que, dans l'immédiat, la seule démarche positive consisterait à conclure un accord sur les perspectives financières, la réforme institutionnelle étant impossible à court terme. Il a souhaité savoir si le Ministre était confiant sur ce sujet et quel était, par ailleurs, le coût net de l'élargissement de 2004 notamment par rapport au montant du rabais britannique.

Il a également demandé que soit précisée la position de la France concernant la réforme du Conseil de sécurité de l'ONU.

Enfin, il a souhaité que le Ministre fasse connaître les suites qu'il entendait donner aux propositions présentées par la mission d'information portant sur le rôle de l'Union européenne dans la solution du conflit au Proche-Orient, présidée par M. Hervé de Charette et dont le rapporteur était M. Christian Philip.

Observant que deux conceptions de l'Union européenne s'opposaient désormais nettement - l'une libérale incarnée par M. Tony Blair, l'autre plus interventionniste, sociale et politique défendue par le couple franco-allemand - M. Roland Blum s'est interrogé sur les conséquences d'un changement de majorité en Allemagne, évoquant le risque d'un affaiblissement du partenariat traditionnel unissant la France et son voisin d'Outre-Rhin. Alors que l'Union européenne a toujours connu de grandes difficultés pour dégager des positions communes en matière de politique étrangère, quel rôle sera dévolu au Haut-représentant de la Politique étrangère et de sécurité commune dans le contexte de crise actuel ?

M. Hervé de Charette a souhaité que soit précisée la position du Gouvernement sur les élargissements futurs de l'Union européenne, après que le Premier ministre eut évoqué cette question sans la trancher définitivement. Est-il envisageable de respecter les échéances concernant l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l'heure où l'Union connaît une telle crise ? Doit-on poursuivre les négociations avec la Croatie ? Par ailleurs, alors que le Président de la République semblerait avoir fait évoluer sa position sur le sujet, la France entend-elle approuver l'ouverture des négociations avec la Turquie pour son adhésion à l'Union en octobre prochain ? Quelle est, en outre, la position de la France sur l'avenir du processus de ratification du Traité constitutionnel ? Enfin, quel sera le point de vue défendu par notre pays lors de la prochaine réunion du G8 ?

M. Axel Poniatowski s'est interrogé sur les chances de voir la réforme du Conseil de sécurité de l'ONU aboutir alors que les Etats-Unis ont adopté, semble-t-il, une position très restrictive en ne soutenant l'ouverture du Conseil qu'au seul Japon - qui serait alors son allié inconditionnel dans cette enceinte - et que la France défend l'entrée de l'Allemagne, du Japon, de l'Inde et du Brésil comme membres permanents. Un compromis est-il possible ?

Après avoir fait connaître toute l'attention qu'il portait à la politique africaine de la France, et en particulier ses préoccupations sur la situation au Soudan, au Togo et en Côte d'Ivoire, mais aussi au Liban, en Iran et en Irak, M. Serge Janquin a interrogé le Ministre sur le conflit israélo-palestinien. Alors que la dynamique initiée par le retrait de Gaza s'épuise, ce retrait ne pouvant apparaître comme octroyé par Israël mais bien comme une étape du processus de paix négociée dans le cadre de la feuille de route en association avec les Palestiniens, il est essentiel d'aider ces derniers afin que la violence cesse, ce qu'ils souhaitent ardemment. Par ailleurs, la tenue des prochaines élections dans les Territoires aux dates prévues apparaît très incertaine. La politique de coopération régionale de l'Union européenne, dans le cadre du processus de Barcelone de 1995, doit donc se poursuivre et s'intensifier. Il importe également d'exhorter Israël à s'abstenir de toute action - comme la construction du mur de sécurité - qui compromettrait l'émergence d'une solution au conflit. Dans ce contexte, comment la France et l'Union européenne entendent-elles agir en faveur du processus de paix, notamment en se fondant sur l'initiative de Genève ?

M. René André a rappelé que Mme Angela Merkel avait exprimé la volonté de son parti, s'il accédait au pouvoir, de redéfinir le rôle de l'Allemagne en Europe. Celle-ci devrait se poser en intermédiaire entre la France et la Grande-Bretagne. Cette intention et la position de la CDU, au sujet du conflit irakien amènent à s'interroger sur les perspectives de construire l'Europe politique avec une Allemagne dont Mme Angela Merkel serait chancelier.

En ce qui concerne l'élargissement de l'Union européenne, la France pourrait-elle, en octobre prochain, s'opposer à l'ouverture des négociations avec la Turquie ? Dans la situation actuelle, le seul fait pour la France d'accepter cette étape risque d'accroître encore le sentiment d'incompréhension des Français vis-à-vis du Gouvernement.

Après avoir indiqué que le Premier ministre britannique était favorable à la poursuite rapide de l'élargissement de l'Union européenne et que la Commission internationale pour les Balkans qui comprend plusieurs anciens premiers ministres européens avait récemment appelé à l'élargissement aux Etats de l'Ouest des Balkans à l'horizon 2014, il a souhaité connaître la position du Ministre sur ce sujet, alors que des décisions importantes pour l'avenir du Kosovo doivent intervenir à l'automne.

M. Christian Philip a demandé au Ministre pourquoi, au dernier Conseil européen, la Grande-Bretagne s'était opposée à un accord qui semblait proche et favorable à ses intérêts. L'objectif était-il de déclencher une crise ou la présidence britannique a-t-elle l'intention de proposer de nouvelles solutions ?

A propos des derniers attentats au Liban, M. Christian Philip a indiqué que, au cours de l'enterrement de M. Samir Kassir, qui enseignait, comme lui, à l'université Saint Joseph, toutes les personnes présentes se demandaient qui serait la prochaine victime. Le Conseil de Sécurité ne devrait-il pas charger la mission internationale qui enquête sur l'assassinat de Rafic Hariri d'étendre ses investigations aux récents meurtres ? Cela permettrait d'obtenir de nouveaux éléments susceptibles de relancer l'enquête et témoignerait de la fermeté de la communauté internationale.

Alors que le Togo vient de se doter d'un nouveau gouvernement, quelle appréciation le Ministre porte-t-il sur la situation dans ce pays ?

M. François Loncle a demandé au Ministre ce qu'il pensait de la validité du premier tour de l'élection présidentielle iranienne. Les doutes sur la sincérité du scrutin lui semblent-ils fondés ? Les efforts menés depuis des mois par la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne sur la question du nucléaire se poursuivront-ils, quel que soit le Président issu de cette élection ?

Le Premier ministre, à la suite du Président de la République, a déconseillé aux journalistes français de se rendre en Irak, au motif qu'ils y seraient particulièrement visés. Sur quelles informations cette mise en garde repose-t-elle ?

Qu'en est-il de l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie alors que, selon certains médias, la position du Président Chirac sur le sujet aurait évolué ?

M. Jacques Myard a estimé que la crise qui secouait actuellement l'Union européenne n'était en fait ni budgétaire, ni institutionnelle, mais qu'elle traduisait la crise de tout un système, le Traité constitutionnel n'étant que le résultat de « l'intégrisme » qui a toujours présidé à la construction européenne. Il est temps que le pragmatisme l'emporte. Aux Pays-Bas, la victoire du « non » traduit l'inquiétude de la population face à la perte de souveraineté nationale au profit de la technocratie bruxelloise. Maintenant que l'élargissement à dix nouveaux Etats membres est réalisé, l'Union européenne doit « maigrir », se recentrer sur ses politiques essentielles et accroître son efficacité.

Le Ministre a apporté les éléments de réponses suivants :

-  la procédure de ratification du traité constitutionnel n'est pas interrompue, le contraire eut d'ailleurs signifié un manque de respect à l'égard des peuples, mais il appartient à chaque Etat concerné de maintenir ou de différer le calendrier de cette ratification ; à titre personnel, le Ministre a considéré qu'à travers ce débat sur le Traité constitutionnel, se trouve posée la question de fond sur la nature même de l'Union européenne ; s'agit-il d'une zone de libre-échange assortie de politiques communes, ou s'agit-il de construire un projet politique d'une Union européenne intégrée ?

-  concernant l'élargissement, il a précisé que, pour les Quinze, sur la période 2004-2005, le coût net serait de l'ordre de 16 milliards d'euros et que le coût net total, toujours pour les Quinze, était estimé à 160 milliards d'euros pour la période 2004-2013 ;

-  s'agissant du « chèque britannique » le Ministre a déploré que le compromis proposant de geler son montant à 5,5 milliards d'euros - au lieu des 4,7 milliards d'euros initialement proposés par la présidence luxembourgeoise à l'ouverture du Conseil européen - n'ait pu être adopté. Au lieu de cela, on a assisté à la défense par certains Etats, d'intérêts égoïstes, au point que, pour aboutir à un accord, de nouveaux Etats membres sont allés, sans succès, jusqu'à proposer de revoir à la baisse le montant de leurs aides. Finalement, au regard de l'ensemble des contributions des pays européens, le Royaume-Uni est le seul pays qui n'augmente pas le montant de sa contribution avant et après la période 2007-2013 ;

-  s'agissant de la réforme des Nations unies, la France soutient l'élargissement du Conseil de sécurité à six nouveaux membres permanents : l'Allemagne, le Brésil, le Japon, l'Inde et deux pays africains, parmi lesquels sont souvent cités le Nigeria, l'Afrique du Sud ou l'Egypte ; quatre autre pays seraient dotés d'un statut de semi permanents ; la réforme s'annonce cependant difficile, les Etats-Unis et la Chine ayant un point de vue différent des autres membres permanents ;

-  après avoir félicité pour la qualité de ses travaux la mission d'information sur le Proche Orient conduite par M. de Charette, le Ministre s'est réjoui de la reprise des discussions sur le retrait de Gaza ; mais ce retrait israélien ne doit pas être unilatéral ; il s'inscrit dans le cadre de la feuille de route dont il constitue une des étapes ; l'Union continue à agir dans le cadre du quartette et elle fait confiance à l'envoyé spécial à Gaza, M. Wolfensohn ; eu égard à son implication financière dans la région, l'Union a les moyens d'agir et de prendre des initiatives ; la France souhaite convaincre les autres Etats membres de le faire ; Ariel Sharon et Mahmoud Abbas doivent être encouragés pour qu'ils poursuivent dans la voie d'un rapprochement ; il faut faire en sorte que rien d'irrémédiable ne soit commis par les parties contre le processus de paix ; la poursuite de la colonisation en Cisjordanie et le tracé retenu pour la barrière de sécurité sont préoccupants puisqu'ils préjugent l'absence d'une solution et rendent illusoire le règlement final du conflit ;

-  le débat sur l'Europe sociale ou l'Europe libérale est quelque peu théorique ; en revanche, la position britannique au Conseil européen s'explique notamment par la volonté de défaire une certaine idée de l'Europe en ajoutant à la crise politique une crise financière ; cette démarche n'est pas acceptable, car l'Union ne saurait être réduite à une simple zone de libre échange ; les attaques contre la PAC s'expliquent par une volonté de remettre en cause les politiques communes ; accepter leur remise en cause serait renoncer à la mise en place d'une Europe puissance dotée d'un contenu politique ;

-  l'alternance éventuelle en Allemagne n'est pas de nature à remettre en cause la solidité du couple franco-allemand qui dépasse les changements de majorité dans chacun des deux pays, comme en atteste l'histoire ;

-  M. Javier Solana, Haut représentant du Conseil de l'Union européenne, peut tout à fait jouer son rôle en matière de politique étrangère, dès lors que les pays membres sont unis et qu'ils parlent d'une seule voix ; cette unité est nécessaire, pour que l'Europe puisse tenir sa place sur la scène internationale que ce soit face aux Etats-Unis ou à des pays émergents comme l'Inde ou la Chine ;

-  la question des limites de l'Union européenne n'était pas à l'ordre du jour du dernier Conseil européen, qui était consacré à la question des ratifications du traité constitutionnel et aux perspectives financières de l'Union ; cette question était toutefois à l'esprit de tous les participants ; il convient à la fois de respecter les engagements pris à l'égard des pays candidats et de faire preuve d'une plus grande rigueur dans l'examen des critères requis pour l'adhésion ; la Commission doit remettre cet été un rapport sur le respect des critères d'adhésion pour la Bulgarie et la Roumanie et un autre rapport sur le respect des critères par la Turquie à propos des futures négociations d'adhésion ; ces critères sont particulièrement exigeants et il faudra se prononcer en fonction de leur respect ; il n'y a donc pas de raison de changer d'avis par rapport aux engagements passés et aux conditions posées ;

-  affirmer que le Président de la République a changé d'avis sur l'adhésion de la Turquie n'est pas exact ; le Conseil européen a décidé en décembre dernier que l'ouverture des négociations d'adhésion était possible ; la procédure suit son cours ; il convient dans le même temps d'entendre le message exprimé par le non français et néerlandais et il faudra être particulièrement exigeant sur le respect des critères requis ;

-  si l'on considère l'Europe comme une zone de paix et de démocratie, il est légitime de souhaiter qu'elle s'étende le plus loin possible pour des raisons géopolitiques et pour éviter que certains pays ne préfèrent la voie de l'intégrisme ; dans le même temps, l'intégration européenne devra s'adapter face au nombre croissant d'Etats membres, avec le recours croissant à une Europe fonctionnant sur la base de coopérations renforcées ; l'eurogroupe en constitue d'ores et déjà un exemple et l'on peut tout à fait concevoir qu'il soit compétent à l'avenir sur la définition de la politique de change ou sur la mise en place d'une politique économique commune ;

-  le prochain sommet du G 8 sera consacré au développement de l'Afrique et au changement climatique : l'annonce d'une annulation de la dette multilatérale des pays les plus pauvres part d'un bon sentiment et la France a joué un rôle pionnier en la matière ; il ne faut pas pour autant que cet effacement de la dette se substitue aux financements prévus au titre de l'aide publique au développement ;

-  la position française à l'égard du Kosovo obéit à plusieurs principes : pas de partition du territoire du Kosovo, pas de retour à la situation d'avant 1999 et pas d'union avec des pays tiers ; il conviendra d'aboutir d'ici l'automne prochain à une position européenne commune qui devra assurer la protection des minorités et la stabilité régionale ;

-  tout porte à penser que le retrait des forces armées syriennes du Liban n'a pas été accompagné d'un retrait identique des services de renseignement ; il importe que la communauté internationale demeure vigilante et fasse pression sur la Syrie sur ce point ;

-  le nouveau gouvernement du Togo, dirigé par M. Edem Kodjo, a reçu le soutien de l'Union africaine et des chefs d'Etat de la région ; sur place, le calme est revenu : il convient maintenant d'organiser le retour des Togolais réfugiés dans les pays voisins ; à ce titre la France a débloqué une aide humanitaire d'urgence au profit des réfugiés togolais au Bénin ; une mission du Haut Commissariat des Nations unies aux Droits de l'Homme a été envoyée sur place pour établir un bilan des événements ;

-  l'accord avec l'Iran en matière de suspension du cycle d'enrichissement du nucléaire, qui a été obtenu par la diplomatie française, britannique et allemande et qui a été salué par les Etats-Unis constitue un point positif ; il faut cependant demeurer prudent et vérifier, quel que soit le résultat des élections, que ce pays ne procède pas à un enrichissement du combustible nucléaire à des fins militaires ; la crédibilité de la communauté internationale est en jeu elle ne doit pas écarter la possibilité de porter l'affaire devant le Conseil de sécurité en cas de non respect des accords passés ;

-  si les journalistes quittent l'Irak, il y a une menace pour la liberté de la presse et donc pour la démocratie ; dans le même temps, les journalistes français sont plus exposés que les autres du fait de leurs méthodes d'investigation, qui privilégient le contact direct avec la population, les enquêtes sur le terrain et l'absence de dispositifs importants de sécurité ; il convient de mutualiser les moyens sur place pour garantir la sécurité des journalistes ;

-  l'analyse des résultats du référendum sur le traité constitutionnel fait apparaître que la jeunesse française n'a pas adhéré au projet européen qui lui était proposé, alors même qu'elle est, par nature, la frange de la population la plus ouverte au changement ; ce fait témoigne d'une crise profonde qu'il faut prendre en compte très sérieusement et sans tarder. On constate parallèlement une résurgence des égoïsmes nationaux, comme l'a montré le dernier Conseil européen ; la pire des issues à cette crise serait assurément la remise en cause de l'acquis communautaire ;

-  le Ministre des Affaires étrangères a conclu en souhaitant que la Commission des affaires étrangères et son Président apportent leur contribution au vaste débat qui s'ouvre désormais sur l'avenir de l'Europe.

Après avoir remercié le Ministre pour les réponses qu'il avait apportées aux nombreuses questions des membres de la Commission, le Président Edouard Balladur a déclaré que les parlementaires étaient prêts à participer au débat qui s'engage dans des conditions difficiles et appelle à un effort d'imagination.

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Information relative à la Commission

Le mardi 21 juin, Mme Geneviève Colot a été nommée rapporteure sur le projet de loi, déposé sur le Bureau du Sénat, tendant à autoriser la ratification de la convention des Nations unies contre la corruption.

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