COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 54

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 6 juillet 2005
(Séance de 15 heures)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Catherine Colonna, Ministre déléguée aux Affaires européennes

- Accord de siège avec la Communauté du Pacifique (n° 2234) - M. Eric Raoult, Rapporteur

  
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Audition de Mme Catherine Colonna, Ministre déléguée aux Affaires européennes

Le Président Edouard Balladur, estimant qu'il n'était pas utile de revenir sur le passé, a exprimé le souhait que Mme la Ministre intervienne sur les questions suivantes : un accord sur les perspectives budgétaires 2007-2013 peut-il être atteint avant la fin de l'année ? La France est-elle prête à des modifications de la politique agricole commune ? En dehors de la réforme budgétaire quelles sont les autres priorités de la présidence britannique ? Comment peut-on différencier le modèle social français et anglais ? A l'avenir, comment améliorer les équilibres de la zone euro et comment faire évoluer la définition de la politique monétaire ?

Mme Catherine Colonna, Ministre déléguée aux Affaires européennes, a déclaré qu'elle avait pris ses fonctions à un moment difficile de la construction européenne, marqué par le rejet du projet de traité constitutionnel par référendum. Elle a tenu cependant à souligner que la force de l'engagement européen de la France demeurait intacte ainsi que l'ambition européenne du gouvernement.

Lors du Conseil européen des 16 et 17 juin 2005, les Etats membres ont décidé que le processus de ratification du traité constitutionnel devait pouvoir se poursuivre, tout en laissant aux Etats qui le souhaitent la possibilité d'adapter le calendrier de ratification. Les vingt-cinq chefs d'Etat et de gouvernement ont également estimé qu'il était nécessaire d'engager une réflexion de fond sur les institutions européennes. Cette réflexion doit aboutir à une appréciation d'ensemble de la situation au premier semestre 2006, moment auquel il sera convenu de la suite du processus.

Elle a ensuite indiqué que le premier axe de l'action gouvernementale se fondait sur la nécessité de l'écoute et du débat. Pour mieux comprendre les messages que les Français ont adressé le 29 mai dernier, pour mieux répondre à leurs attentes, il faut être davantage à leur écoute, les informer des décisions prises et des choix qu'il convient d'opérer. L'ensemble des partis politiques consultés par le Premier ministre le 27 juin dernier a d'ailleurs souhaité que la réflexion sur l'Europe se poursuive. Quelle Europe voulons-nous bâtir ? Quelles sont ses frontières ? Quel modèle social pour l'Europe ? Comment faire fonctionner l'Europe élargie ? Telles sont les questions auxquelles il convient de répondre collectivement. Les orientations de ce débat devront être définies par le chef de l'Etat et le Premier ministre, mais il faudra y associer la société civile, les partenaires sociaux ainsi que la représentation nationale.

Il est nécessaire d'expliquer et de parler davantage de l'Europe et ne plus se contenter d'aborder cette question lorsqu'une grande échéance électorale ou une consultation référendaire se présente. A cet égard, le rapport remis par M. Michel Herbillon au Premier ministre contient des pistes intéressantes. Avec le débat référendaire, l'Europe est devenue pour les Français beaucoup plus qu'un simple sujet de politique étrangère et il revient au Ministre délégué aux Affaires européennes de faire vivre le débat sur l'Europe dans le pays. Les conseils interministériels mensuels consacrés aux affaires européennes, que le Premier ministre a pris l'engagement d'organiser et dont la Ministre déléguée aux Affaires européennes assurera l'ordre du jour, doivent permettre de mettre en œuvre une veille permanente sur les questions européennes et d'être davantage en initiative sur les négociations bruxelloises. La Ministre déléguée poursuivra les déplacements et les rencontres avec les Français. Il est important de discuter avec les chefs d'entreprises, les agriculteurs, les jeunes, comme elle l'a fait à Strasbourg et en Bretagne, afin de mesurer concrètement ce que nous apporte l'Europe, de voir aussi bien ceux qui, tout en croyant à l'idée européenne, s'interrogent aujourd'hui sur ce projet, que tous ceux qui sont convaincus que notre avenir est dans l'Europe. Chacun à notre place, nous avons la responsabilité de retisser les liens, de reconstruire, de faire mieux comprendre la force du projet européen et les opportunités qu'il offre à chacun dans le monde de demain, en veillant à ce qu'ils correspondent à nos attentes et à nos intérêts.

Il faut également être vigilant sur le processus d'élargissement qui constitue l'une des priorités de la présidence britannique. Il est vrai que l'élargissement aux dix nouveaux Etats membres offre des avantages en termes d'emploi, d'investissement et de débouchés économiques. Il est regrettable que cette idée n'ait pas été suffisamment expliquée. Mais il est également vrai que ce processus suscite des interrogations. Aussi, tout en respectant les engagements pris par l'Union européenne, la France veillera au respect intégral des critères fixés pour l'adhésion des pays candidats. Elle attend en conséquence que la Commission soit objective, sincère et vigilante dans son évaluation des progrès réalisés par chaque pays candidat.

Mme Catherine Colonna a expliqué que le deuxième axe de l'action gouvernementale pour répondre à la crise actuelle de l'Union européenne consistait à encourager la conduite de projets européens concrets et à mener des politiques qui avaient fait leurs preuves. Rappelant que, comme le Premier ministre l'avait indiqué à de nombreuses reprises, la construction de l'Union européenne était un processus permanent, elle a déclaré qu'il fallait montrer que l'Europe continuait d'avancer même sans cadre institutionnel nouveau, qu'elle s'incarnait dans des projets concrets inscrits dans une vision politique et que les politiques européennes étaient là pour répondre aux attentes des citoyens, en particulier en matière sociale et d'emploi. Le gouvernement sera ainsi particulièrement vigilant sur le déroulement des négociations concernant les propositions de directives sur le temps de travail et sur les services, qui soulèvent des questions de principe comme de méthode. S'agissant ainsi de la proposition de directive sur les services, la Ministre déléguée aux Affaires européennes a expliqué que la France continuerait à refuser que la mise en place d'un marché européen des services puisse s'accompagner d'une moindre protection pour les travailleurs comme pour les consommateurs et a ajouté que le droit du travail applicable devait être celui du pays d'accueil. Elle a rappelé que le Parlement européen était saisi de la question, après que le Conseil européen de la fin mars eut demandé une remise à plat de la proposition de directive, et qu'il rendrait son avis à l'automne, la Commission devant ensuite élaborer une nouvelle proposition. Elle a souligné que la France serait vigilante, avant de rappeler que le débat que souhaitait le Premier ministre britannique fin octobre sur l'avenir de l'Union européenne, et notamment de son modèle social, serait une nouvelle occasion d'évoquer les questions sociales au plus haut niveau.

S'agissant des politiques économiques, Mme Catherine Colonna a considéré qu'elles devaient également être l'objet de toute l'attention des autorités françaises. Rappelant que, si l'euro était un succès, qui avait éloigné le spectre des attaques spéculatives et des dévaluations compétitives et assurait un cadre de stabilité, cela ne suffisait pas pour autant. Elle a insisté sur la nécessité d'une meilleure coordination des politiques entre pays membres de la zone euro, afin de mettre la monnaie unique au service de la croissance, et sur l'importance d'un renforcement immédiat, sans attendre l'entrée en vigueur du traité constitutionnel, de l'Eurogroupe, dont le dialogue informel avec la Banque centrale européenne pouvait être renforcé.

Faisant valoir la nécessité d'un travail concret, pas à pas, en vue de faire renaître l'adhésion des Français au projet européen, la Ministre déléguée aux Affaires européennes a mis en avant, dans le domaine de la recherche, l'exemple d'ITER, riche d'enseignements. En effet, ce succès pour la France et pour l'Europe montre ou rappelle que les Européens sont plus forts quand ils sont unis. A cet égard, Mme Catherine Colonna a estimé que, sans un accord préalable entre Européens sur la candidature de Cadarache, la victoire aurait été plus qu'incertaine. Elle a d'ailleurs souligné le rôle décisif de la Commission, qu'elle a salué, de même qu'elle a rendu hommage aux parlementaires qui avaient fait progresser ce dossier.

S'agissant par ailleurs du futur budget européen, essentiel au bon fonctionnement des politiques européennes et de l'Union élargie, elle a rappelé que, comme elle l'avait fait au cours du Conseil européen des 16 et 17 juin derniers, la France aurait une attitude ouverte et constructive sur ce dossier et qu'elle restait disposée à faire des efforts considérables pour contribuer à un bon budget pour l'Europe. Il était en effet de son intérêt d'avoir une Europe en bon état de marche, ce qui ne remettait pas en cause, sur le fond, la fermeté de sa position : la France veut, pour la période 2007-2013, un financement équitable de l'élargissement et des politiques communes - recherche, grands réseaux, politique régionale, politique agricole, jeunesse, sécurité.

Elle a ajouté que la France continuerait ainsi à plaider en faveur d'une suppression progressive du chèque britannique, nécessaire pour dégager les marges indispensables - il représente près de 5 milliards d'euros par an - et qui, aujourd'hui, n'a plus aucune raison d'être. De plus, son maintien en l'état dispenserait  le Royaume-Uni de sa juste contribution à l'élargissement qu'il a souhaité et accepté comme tous ses partenaires et dont il fait l'une de ses priorités.

Elle a enfin précisé que la France serait également très vigilante pour que cette négociation n'aboutisse pas à une remise en cause de l'accord conclu en octobre 2002 sur la PAC jusqu'en 2013, qui, faut-il le rappeler, avait été obtenu à l'unanimité et avait, en outre, entraîné une profonde réforme de la politique agricole. Elle a formé le vœu que la présidence britannique se souvienne des engagements du Royaume-Uni.

Abordant le troisième axe de la politique gouvernementale européenne, Mme Catherine Colonna a estimé essentiel que soit réaffirmée l'ambition d'une Europe politique, l'Europe des projets n'étant pleinement utile que si elle s'inscrit dans une vision d'ensemble. Rappelant que M. Tony Blair avait indiqué, dans son discours devant le Parlement européen, qu'il était très attaché au projet européen et avait expliqué que ce projet ne pouvait se résumer à la mise en place d'un grand marché mais devait au contraire viser la création d'une véritable Europe politique, elle a fait observer que la France ne demandait qu'à le croire et qu'elle le jugerait sur ses actes concrets. Elle a récusé avec force la tentation d'une présentation simpliste, consistant à faire croire que l'Europe se partagerait entre les anciens et les modernes, avec d'un côté, ceux qui veulent aller de l'avant et sont prêts à faire les réformes nécessaires et, de l'autre, ceux qui, frappés en quelque sorte de cécité, se refuseraient à avancer et resteraient cramponnés à des valeurs passées. Elle a rappelé que l'Europe se construisait en évoluant, comme elle l'avait fait depuis les origines, ses politiques s'adaptant sans cesse et son budget se modernisant.

La Ministre déléguée aux Affaires européennes a expliqué que la France, comme d'autres Etats, était attachée à la préservation d'un certain nombre de valeurs qui incarnaient l'esprit européen - la solidarité, la défense d'un modèle social, l'équité - mais qu'elle savait aussi la nécessité impérieuse pour l'Europe d'être, plus que jamais à l'heure de la mondialisation, compétitive et performante sur la scène internationale. La stratégie de Lisbonne revêt dans ce contexte une importance capitale et notre pays devra, à l'automne, présenter son plan national à cet égard. La Ministre déléguée a tenu enfin à rendre hommage à la présidence luxembourgeoise, dont l'attitude avait été exemplaire tant par son sens de la détermination et son esprit de compromis, que par la qualité sans faille de son engagement européen. Le Premier ministre luxembourgeois a placé la barre très haut ; son successeur à la présidence du Conseil européen devra agir dans le même sens.

S'agissant des perspectives financières, Mme Catherine Colonna a expliqué que, sur un plan technique, les négociations restaient ouvertes sur la base du dernier projet de la présidence luxembourgeoise, sur lequel s'était ouvert le Conseil européen du 17 juin dernier. Elle a rappelé que ce projet prévoyait un budget européen de 870 milliards d'euros, soit une hausse de 50 milliards d'euros, qui permettrait à l'Union européenne de faire face à ses obligations, s'agissant aussi bien des politiques communes existantes que des politiques nouvelles, par exemple en matière de recherche et d'innovation (budget proposé en hausse de 33 %) ou du financement de l'élargissement. Elle a également rappelé que la France avait accepté ce compromis, au prix d'efforts budgétaires supplémentaires.

Concernant le débat sur la politique agricole commune (PAC), la Ministre déléguée aux Affaires européennes a constaté que la réforme demandée par les Britanniques venait d'être faite, en 2002, que ses effets n'étaient pas encore achevés, et que, pour cette raison, cette question n'avait pas été au centre du débat lors du dernier Conseil européen. Elle a insisté sur l'ampleur considérable de cette réforme, qui conduit la France à considérer que toute réflexion nouvelle sur une autre réforme est prématurée, et qu'il faudra attendre 2009-2010 pour que soient envisagées de nouvelles modifications en vue de la négociation du paquet financier qui s'ouvrira en 2013. A cette date, il conviendra en outre de réfléchir sur le budget de la PAC dans le cadre d'une négociation d'ensemble sur les recettes et les dépenses du budget européen. Concluant son propos sur ce point, Mme Catherine Colonna a mis en avant le fait que l'accord de 2002 s'était fait sur une base stabilisée, de maîtrise des dépenses, le budget de la PAC prévu pour les 25 Etats membres étant équivalent à celui qui existait pour les quinze.

Concernant les objectifs envisagés par la présidence britannique de l'Union européenne, elle s'est référée aux propos du Premier ministre britannique devant le Parlement européen, soulignant qu'ils affichaient certes une ambition européenne mais qu'il restait encore à identifier quel en serait le contenu concret. A en croire les discussions techniques récentes tenues dans le cadre de la réunion des directeurs des affaires européennes des ministères des Affaires étrangères des 25, il semblerait que la présidence britannique établisse un lien direct entre la révision de l'accord de 2002 sur la PAC, la réforme de la PAC avant 2013 et les négociations sur les perspectives financières, lien qui est très loin de soulever l'unanimité des Etats membres.

S'agissant du débat sur le modèle social européen et de la question de savoir lequel des modèles français et britannique devait l'inspirer, la Ministre déléguée aux Affaires européennes a là encore souligné le caractère flou des intentions britanniques, rappelant que devait se tenir en la matière un Conseil européen extraordinaire à la fin du mois d'octobre prochain. S'il n'est pas question d'imposer le modèle social français, il convient de rappeler que le modèle britannique se caractérise par une flexibilité difficilement exportable dans d'autres pays, une pauvreté relative réelle en dépit d'un taux de chômage apparent très inférieur à la France - le système britannique ne comptabilise pas dans les statistiques les personnes qui ont renoncé à chercher un emploi, soit 2,5 millions de personnes - et par une déficience des services publics en dépit des améliorations récentes.

M. Hervé de Charette a souhaité que le Gouvernement réaffirme son engagement européen et fasse connaître clairement sa position sur l'issue du traité constitutionnel et sur le règlement de la question du « chèque britannique ». L'idée d'un débat national évoqué par la Ministre est intéressante à condition que son organisation ne soit pas, comme par le passé, confiée aux préfets, avec des débats dont l'organisation serait inadaptée aux attentes et aux préoccupations des Français. Le Gouvernement maintient-il aujourd'hui son projet européen d'une Europe politique avec des institutions et un mécanisme de décision propres à tout système démocratique ? Par ailleurs, le Gouvernement devrait traiter la question de l'élargissement et, compte tenu des perspectives d'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, affirmer l'arrêt à l'entrée de nouveaux Etats dans une Europe en crise. Sur la question de la Turquie, le Gouvernement devrait également indiquer sa vision sur ces négociations d'adhésion.

M. Bruno Bourg Broc a demandé quelle sera l'action du Gouvernement pour arrêter l'érosion de l'usage du français dans les institutions européennes ?

Le Président Edouard Balladur a indiqué qu'avait été déposée une proposition de résolution par les Députés membres de la Commission, tant de la majorité que de l'opposition, demandant à ce que, dans le cadre de la codification, le français soit la langue de référence en cas de divergence d'interprétation. Il a demandé à la Ministre si le Gouvernement soutiendrait cette initiative.

Evoquant le rejet par référendum du traité constitutionnel, les débats controversés autour de la croissance liée à l'Euro, le manque de visibilité de l'Europe politique, M. Jacques Myard a conclu à la crise du système européen depuis une dizaine d'années et à la dérive de la construction européenne depuis un demi-siècle, au fur et à mesure des sommets et accords européens. Le débat ne se pose plus aujourd'hui entre la confrontation du modèle libéral et du modèle social mais, lors de la campagne sur le traité constitutionnel, l'alternative s'est posée entre l'intégrisme dogmatique ou la flexibilité du système européen. La globalisation renouvelle et transforme sans cesse le concept d'Europe. Si la nécessité de construire l'Europe est souvent partagée, il faut bien constater que les mariages industriels se font entre Européens et non Européens. Ce fut le cas de Renault avec Nissan ou de Mercedes Benz avec General Motors. La thèse britannique d'une Europe formée d'une union d'Etats est une vision juste et constitue l'objectif qu'il convient de suivre.

M. Axel Poniatowski a demandé quelle était la position du Gouvernement sur le processus de ratification du traité constitutionnel en Europe ? Force est de constater que l'Union européenne est aujourd'hui à la croisée des chemins avec des objectifs et des intérêts divergents. L'Europe ne pouvant plus être un ensemble unique, il conviendrait d'envisager à côté d'un grand marché commun étendu, une union politique composée d'un nombre restreint d'Etats européens, qui exercerait leurs fonctions régaliennes .

M. Bernard Schreiner a exprimé ses inquiétudes à propos de l'action de lobbying menée par la Grande Bretagne contre la ville de Strasbourg qui ne serait pas dotée d'un système de desserte satisfaisant pour l'accessibilité des parlementaires et des fonctionnaires européens. En ce qui concerne le Conseil de l'Europe et spécifiquement la Cour européenne des droits de l'homme, quel soutien financier le Gouvernement français pourrait-il apporter à la Cour dont, faute de moyens, le stock des dossiers en attente avoisine les 80 000 ?

Le Président Edouard Balladur a souhaité connaître la position du gouvernement français sur l'avenir du traité établissant une constitution pour l'Europe. Quelles sont ses chances d'entrer en vigueur selon les autorités françaises ? Tant que l'Europe n'aura pas mis d'ordre dans son organisation et son fonctionnement ne serait-il pas plus raisonnable de surseoir à tout nouvel élargissement après avoir accueilli la Bulgarie et la Roumanie, sous réserve d'ailleurs que ces deux pays respectent les conditions posées par l'Union européenne ? Sachant que la fixation de la parité de l'euro ne peut être du seul ressort de la Banque centrale, n'est-il pas temps de créer les conditions d'un véritable dialogue entre l'Eurogroupe qui représente les gouvernements nationaux et le conseil de la Banque centrale européenne à l'instar de ce qui existe, par exemple, aux Etats-Unis entre le président de la Réserve fédérale et le Secrétaire d'Etat au Trésor ?

Après avoir rappelé qu'il avait proposé il y a plus de quinze ans que l'Europe s'organise autour de différents cercles - l'un de droit commun réunissant tous les membres de l'Union ; des groupes plus restreints d'Etats souhaitant progresser plus rapidement ; un dernier cercle composé des voisins les plus proches de l'Union européenne - le Président Edouard Balladur a interrogé la Ministre déléguée sur l'appréciation qu'elle portait sur une telle architecture européenne.

En réponse aux différents intervenants, Mme Catherine Colonna a apporté les informations suivantes :

- Le processus de ratification du traité constitutionnel européen se poursuit selon un calendrier adapté. Le Conseil européen de Bruxelles a pris, en juin dernier, la décision la plus sage en estimant que tous les Etats membres devaient pouvoir s'exprimer sur ce texte, onze pays ayant déjà ratifié le traité, représentant la moitié de la population de l'Union. Un rendez-vous est fixé au premier semestre 2006 qui permettra de tirer un bilan de la procédure de ratification. En attendant, l'essentiel est de retisser les liens entre les Européens et le projet européen, sachant que des interrogations se font jour dans tous les pays de l'Union et non uniquement en France et aux Pays-Bas et que notre pays ne pourra décider seul, à l'évidence, de l'avenir de l'Europe. Le traité établissant une constitution pour l'Europe doit être, en tout état de cause, ratifié par les vingt-cinq membres de l'Union.

- L'Europe ne s'interrompt pas avec l'échec des référendums en France et aux Pays-Bas. Le Traité de Nice s'applique même s'il apparaît difficile d'assurer de façon durable, avec ce texte, le développement de l'Union.

- Il n'existe pas de face-à-face frontal entre le Royaume-Uni et la France contrairement à ce que certains prétendent. Ainsi la question de la politique agricole commune n'était pas au cœur des débats du dernier Conseil européen et aucun partenaire du Royaume-Uni n'est pour le maintien du rabais britannique en l'état. Lors de ce Conseil, la question débattue fut celle du budget de l'Union et, par conséquent, celle, très concrète, du niveau des contributions de chaque Etat membre. Aujourd'hui, il est important de noter que la politique agricole commune n'est pas l'objet d'un débat au plan européen.

- Si les lignes directrices d'un grand débat sur l'avenir de l'Union européenne doivent être tracées par les plus hautes autorités de notre pays, on peut néanmoins en juger la tenue nécessaire, un tel débat devant mobiliser notamment la société civile et les collectivités locales. L'ambition d'une Europe politique demeure une priorité pour la France. Le traité établissant une constitution pour l'Europe, qui n'a pas disparu, contient des stipulations permettant de progresser en ce sens : par exemple dans le domaine de la défense ou dans les modalités de fonctionnement des institutions au sein d'une Union élargie.

- La suggestion de M. Axel Poniatowski consistant à distinguer le politique et l'économique dans le fonctionnement de l'Europe paraît difficile à mettre en œuvre concrètement tant les deux sphères sont imbriquées. On peut même s'interroger sur la pertinence d'une telle distinction alors que l'ambition européenne est encore celle d'une Union qui soit tout à la fois politique et économique.

- Le traité établissant une constitution pour l'Europe contient des dispositions permettant à certains Etats membres de progresser plus rapidement s'ils le souhaitent dans le cadre de coopérations renforcées. De la sorte, les processus d'élargissement et d'approfondissement peuvent se concilier.

- La place de Strasbourg comme capitale de l'Union n'est plus contestée en principe depuis son inscription dans les traités européens ; la véritable préoccupation est d'ordre pratique. Afin de faciliter l'accès à Strasbourg, la France poursuit son effort pour assurer la connexion, par le train et en particulier le TGV, de la capitale européenne à Paris et aux grandes villes européennes, l'élargissement du pont de Kehl par l'Allemagne y contribuant également. Un appel d'offres a été lancé afin d'élargir la desserte aérienne de Strasbourg à un meilleur coût.

- L'usage du français dans les instances européennes fait l'objet d'une grande attention de la part du Gouvernement même si la situation n'est pas si préoccupante qu'on le craint parfois, la parité entre notre langue et l'anglais étant aujourd'hui maintenue. Des efforts ont été engagés par les autorités françaises pour offrir des formations au français aux ressortissants des nouveaux Etats membres. On constate d'ailleurs que tous les Commissaires européens maîtrisent, à des niveaux variés, le français. Le Gouvernement examinera la possibilité de soutenir la proposition de résolution présentée à l'Assemblée nationale tendant à ce que le français soit la langue de référence en matière de codification européenne, sachant que le principe de l'égalité des langues est constant au sein de l'Union européenne.

- Un dialogue doit s'instaurer entre la Banque centrale européenne et l'Eurogroupe, le traité établissant une constitution pour l'Europe constituant un véritable progrès en la matière ; en tout état de cause, si ce traité n'entre pas en vigueur, il conviendra d'établir un tel dialogue.

Après avoir estimé que le traité établissant une constitution pour l'Europe n'avait aucune chance d'entrer en vigueur, le Président Edouard Balladur a remercié la Ministre déléguée d'avoir accepté de répondre aux questions des membres de la Commission à un moment où l'Union européenne est en phase de transition et que notre pays n'est pas le mieux placé pour faire, dans l'immédiat, des propositions pour l'avenir. Il a appelé de ses vœux l'ouverture d'une réflexion approfondie sur l'Europe que l'on souhaite construire, notamment si l'on poursuit l'élargissement de l'Union.

Accord de siège avec la Communauté du Pacifique

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Eric Raoult, le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de siège entre le Gouvernement de la république française et la Communauté du Pacifique (n° 2334).

M. Eric Raoult, Rapporteur, a observé que l'accord de siège signé entre la France et la Communauté du Pacifique dont le projet de loi n° 2234 entend autoriser l'approbation est un accord classique de siège qui n'appellera pas de remarques particulières, mais qui donne l'occasion de revenir sur le rôle de la Communauté du Pacifique à laquelle la France attache une importance toute particulière. Cette organisation régionale est la plus ancienne dans le Pacifique. Créée en 1947 par la France, le Royaume-Uni, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les Pays-Bas, sous le nom de Commission du Pacifique Sud (CPS) par la convention de Canberra, son objet est technique. L'objectif était alors d'apporter une expertise aux pays et territoires de la région pour mener à bien des projets de développement. La mise en commun des compétences et des moyens financiers est fondamentale dans une zone Pacifique représentant, hors Nouvelle-Zélande et Australie, seulement 8 millions d'habitants, éparpillés sur l'équivalent d'un tiers de la planète soit 180 millions de km2.

Avec le processus de décolonisation et l'ouverture de la CPS aux territoires non indépendants comme les Samoa américaines, la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna ou la Polynésie française, cette organisation compte désormais vingt-six membres. Accueillant des Etats situés au Nord de l'équateur comme les îles Marshall ou Mariannes du Nord, la Commission du Pacifique Sud s'est transformée en 1998 en Communauté du Pacifique, conservant cependant le sigle CPS qui signifie désormais « Communauté du Pacifique Secrétariat ». Ce processus a constitué d'ailleurs l'aboutissement d'une réforme visant à rendre cette organisation plus efficace après une décennie en demi-teinte qui avait vu notamment cette instance devenir, avec le Forum du Pacifique, une tribune contre la présence française en Nouvelle-calédonie et les essais nucléaires en Polynésie.

Le budget de la CPS s'élève à plus de 24 millions d'euros ; l'Australie est le premier contributeur avec plus de 6 millions d'euros suivi par la Nouvelle-Zélande (3 millions d'euros), l'Union européenne (2,9 millions d'euros), la France (2,8 millions d'euros) et les Etats-Unis (1,2 millions d'euros). Il faut cependant rappeler que notre pays a contribué de manière exceptionnelle au budget de la CPS, il y a quelques années, en finançant 85 % du coût de la construction du nouveau siège de l'organisation à Nouméa pour plus de 13 millions d'euros.

A cet égard, on ne peut que souligner l'importance de la CPS dans la politique de présence française au sein de la région. Outre le fait que son siège se situe en Nouvelle-Calédonie, le français y est la langue officielle avec l'anglais. De plus, la CPS constitue pour nos trois territoires que sont la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie et Wallis et Futuna un forum international de tout premier plan.

Il faut noter à cet égard - c'est une curiosité - que c'est le Président du Gouvernement calédonien - à l'époque M. Pierre Frogier - qui a signé en 2003, au nom de la République française, la convention qui est soumise à l'Assemblée nationale aujourd'hui. L'article 38 de la loi organique du 19 mars 1999 sur la Nouvelle-Calédonie le permet explicitement.

L'action de la Communauté du Pacifique se déploie principalement dans deux directions : la préservation des ressources marines et plus secondairement agricoles, d'une part, et, d'autre part, la protection des populations océaniennes contre des fléaux comme le SIDA ou la tuberculose. Cette action fondée sur des projets concrets donne à la Communauté un caractère technique, complémentaire du Forum des îles du Pacifique, organisation de nature plus politique.

L'accord de siège dont la Commission des Affaires étrangères est saisi a été signé le 6 mai 2003. Il modernise la convention de 1953 en y intégrant les stipulations habituellement contenues dans ce type d'accords. Trois raisons ont justifié cette mise à jour de l'accord de siège. Depuis 1999, la Nouvelle-Calédonie s'est vue dotée de nouvelles compétences, en particulier en matière fiscale. Il fallait en tenir compte puisque ce type d'accord prévoit des immunités dans le domaine fiscal pour les représentants des membres de l'organisation et ses agents. En outre, la mutation de l'organisation à la fin des années quatre-vingt-dix et l'emménagement dans de nouveaux locaux ont semblé justifier la signature d'un accord de siège rénové.

Ses dispositions sont classiques. La personnalité juridique est reconnue à la CPS ainsi que l'inviolabilité de ses locaux. Cette organisation et les représentants des membres bénéficient de privilèges et immunités, comme les membres du personnel mais dans une moindre mesure. En revanche, la Partie française n'est pas tenue d'accorder aux résidents français employés par la CPS les privilèges fiscaux reconnus aux autres agents.

De facture classique, cet accord constitue l'une des dernières étapes de la réforme de la Communauté du Pacifique. Il a le grand mérite de pérenniser l'implantation de cette organisation très active sur le territoire français. En conclusion, le Rapporteur a proposé d'adopter le projet de loi n° 2234, autorisant l'approbation de cette convention.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (n° 2334).

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● Communauté du Pacifique

● Politique agricole commune

● Traité constitutionnel

● Union européenne


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