COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 4

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 11 octobre 2005
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Rapport de la mission d'information sur les relations entre l'Europe et les Etats-Unis

- Proposition de résolution n° 2338 sur la mise en œuvre de l'action-cadre « Mettre à jour et simplifier l'acquis communautaire » (n° E2583) - M. Bruno Bourg-Broc, rapporteur

  

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Rapport de la mission d'information sur les relations entre l'Europe et les Etats-Unis

Le Président Edouard Balladur a précisé que la mission d'information qu'il avait présidée sur les relations entre l'Europe et les Etats-Unis avait été créée en décembre 2004 et était désormais en mesure de présenter ses conclusions qui contiennent plusieurs propositions concrètes. Avant de laisser la parole à M. Axel Poniatowski, rapporteur de la mission d'information, il en a rappelé la composition : MM. Philippe Cochet, Jacques Godfrain, Jean-Jacques Guillet, François Loncle, Paul Quilès et Rudy Salles.

M. Axel Poniatowski a rappelé que le rapport de la mission d'information sur les relations entre l'Europe et les Etats-Unis était le fruit des travaux que la mission avait menés depuis le mois de décembre dernier, qui l'avait conduite à entendre une vingtaine de personnalités qualifiées et à se rendre en Belgique, à l'OTAN, et à Berlin.

Il a indiqué qu'au titre des constats, le rapport s'attachait tout d'abord à montrer que les relations transatlantiques étaient à un tournant de leur histoire. Depuis la chute du mur de Berlin, la question est en effet posée : qu'est-ce que la relation transatlantique sans la menace soviétique ? Pendant la guerre froide en effet, les Etats-Unis et l'Europe avaient besoin l'un de l'autre, l'Europe étant la ligne de front principale contre l'ennemi commun.

Or, depuis 1990, on assiste à une dévalorisation stratégique de l'Europe aux yeux des Etats-Unis et, en parallèle, à la réorientation des préoccupations américaines : aujourd'hui, les menaces, pour les Etats-Unis, ce sont la prolifération des armes de destruction massive, le terrorisme islamiste et, demain, peut-être, la montée en puissance de la Chine. Les grands alliés de la guerre froide sont donc à la recherche d'un projet commun. Pour l'heure cependant, ce sont les ambiguïtés et les contradictions qui dominent. Ambiguïtés américaines à l'égard d'une construction européenne soutenue jadis sans réserve et sur laquelle les Américains sont aujourd'hui beaucoup plus ambivalents ; contradictions européennes sur le statut que doivent avoir les relations transatlantiques dans l'Europe péniblement en construction. Toutes ces contradictions et ambiguïtés se cristallisent dans l'Alliance atlantique, dont chacun des acteurs a une vision propre - souvent confuse d'ailleurs : outil utile mais militairement marginal pour les Etats-Unis, outil militaire nécessaire mais lieu de débat politique contesté pour l'Allemagne, moyen irremplaçable de maintenir le lien entre l'Europe et les Etats-Unis pour le Royaume-Uni, outil de défense collective pour les pays d'Europe centrale et orientale, vecteur de renforcement de la politique européenne de sécurité et de défense pour la France.

Au total donc, le constat qui s'impose est clair : les relations transatlantiques ne seront jamais plus ce qu'elles étaient pendant la guerre froide et il serait vain de chercher à recréer la communauté transatlantique telle qu'elle existait à l'époque.

Le Rapporteur a souligné que, pour autant, nul ne pouvait nier que la communauté de valeurs et d'intérêts transatlantique restait sans égal.

Certes, les Etats-Unis ont un corpus de valeurs spécifique, la différence avec l'Europe portant essentiellement sur l'importance des notions de souveraineté et de protection des intérêts nationaux. Ces valeurs ont toujours existé mais elles ont resurgi sous l'effet de deux phénomènes : l'évolution démographique des Etats-Unis, qui les éloigne de fait de l'Europe, avec une augmentation constante des minorités d'origine non européenne (qui seront majoritaires en 2050) ; le 11 septembre 2001, révélateur qui a permis notamment, sur le plan politique, l'affirmation et la coalition de courants politiques très différents, mais ayant un discours commun sur ces valeurs.

Cependant, ce qui rapproche l'Europe et les Etats-Unis est supérieur à ce qui les divise, à commencer par leur vision commune des valeurs fondamentales. L'Europe et l'Amérique du Nord partagent un mode de vie fondé, au plan politique, sur la démocratie libérale, en matière juridique, sur la supériorité absolue des droits fondamentaux de l'individu, et au plan économique, sur l'économie de marché. Ce qui les rapproche, ce sont également leurs intérêts communs : intérêts économiques d'abord, l'Europe et les Etats-Unis étant l'un pour l'autre les marchés les plus intégrés et les plus profitables. Les échanges euro-américains représentent 12 millions d'emplois de part et d'autre de l'Atlantique. La France n'est pas la moins intéressée par cette dimension de la relation euro-américaine puisque ses échanges avec les Etats-Unis représentent plus d'un million d'emplois dans les deux pays. Au-delà même de ces intérêts, le partenariat transatlantique reste essentiel à la stabilité et à la sécurité internationales : lorsque Européens et Américains agissent de concert, le succès est au rendez-vous (Haïti, Syrie-Liban, crise asiatique en 1998) ; leurs divisions, en revanche leur portent un préjudice global, comme l'a souligné l'exemple de l'Irak.

M. Axel Poniatowski a estimé qu'au vu de ces constats, il apparaissait que la question à se poser n'était pas celle de la pérennité du lien transatlantique mais celle de sa restructuration et de son adaptation : comment l'Union européenne et les Etats-Unis doivent-ils organiser leurs relations pour gérer leurs différends sans les dramatiser et valoriser efficacement leurs approches communes ?

Il a indiqué qu'en réponse à cette interrogation, la mission faisait sept propositions.

Deux d'entre elles concernent les relations franco-américaines et visent à les « dépassionner », les rendre plus prévisibles et plus linéaires :

- la proposition n° 1 vise à l'instauration d'une fondation française pour les relations transatlantiques.

Ni l'anti-américanisme ni le « French-bashing », pour reprendre le terme américain traduisant un mot qui n'existe pas en français, ne sont nouveaux mais leur vigueur a été sans précédent lors de la crise bilatérale de 2003 entre la France et les Etats-Unis ; or la France ne dispose pas de relais suffisant aux Etats-Unis, notamment pas d'une communauté française identifiée comme telle, pour défendre et diffuser ses positions et ses messages. C'est pourquoi la mission propose de créer une fondation pour les relations transatlantiques, dont les objectifs seraient au nombre de trois : faire venir, pour quelques semaines, en France des leaders d'opinion et des responsables américains ; défendre et promouvoir l'image de la France aux Etats-Unis, y compris par des campagnes de communication ; promouvoir enfin la création de davantage de centres d'études françaises dans les universités américaines, c'est-à-dire une action de « diplomatie intellectuelle ».

- la proposition n° 2 se propose de rénover les symboles de la relation franco-américaine.

Les intérêts franco-américains sont trop importants pour être fragilisés par des crises passionnelles : les relations entre la France et les Etats-Unis doivent donc gagner en efficacité. Tel est l'objet de la proposition d'une rencontre annuelle bilatérale au plus haut niveau, qui se tiendrait alternativement en France et aux Etats-Unis. Elle aurait un double objectif : dans les domaines politique et économique, elle aurait pour but de faire le point sur nos coopérations et leurs succès, permettant ainsi de passer en revue les points d'accord ; elle porterait également sur les sujets de divergence éventuels ; sur les grands sujets de société, elle lancerait et promouvrait des actions concrètes de coopération entre la France et les Etats-Unis, dans des domaines à forte visibilité (recherche médicale, nucléaire civil et énergies nouvelles; sécurité civile et prévention des catastrophes naturelles, travail commun sur les changements climatiques).

Les cinq autres propositions de la mission sont de niveau européen. Leur objectif est double : un dialogue intensifié et une coopération plus efficace.

- La proposition n° 3 a pour objet la nomination d'un coordinateur européen aux relations transatlantiques.

Les Allemands ont, dans leur système institutionnel, un coordinateur aux relations transatlantiques, ce qui donne une visibilité et une efficacité plus grandes à leur relation avec les Etats-Unis. Inspiré de cet exemple, le coordinateur européen aurait pour tâche d'animer le dialogue intra-européen sur les relations transatlantiques, afin de dégager des vues communes, ou au moins d'aplanir les différends. Pour partir d'un point d'ancrage concret, il pourrait proposer aux États membres un dialogue portant : en matière économique et financière, sur la question d'une représentation mieux harmonisée de l'Union dans les institutions de Bretton Woods ; dans le domaine de la défense et de la sécurité, sur la question essentielle de l'effort budgétaire des États membres de l'Union européenne en matière de défense, qui fait d'ailleurs l'objet d'une proposition détaillée.

- La proposition n° 4 porte sur la création d'un secrétariat bilatéral commun et permanent Union européenne - Etats-Unis pour les relations transatlantiques.

La fonction générale de ce secrétariat, animé par le coordinateur européen, serait de servir d'interface entre les institutions européennes, communautaires ou intergouvernementales, et nos interlocuteurs américains ; ce rôle d'interface se déclinerait en quatre missions : préparation des sommets Union européenne - Etats-Unis, des réunions des institutions financières multilatérales et suivi des négociations transatlantiques dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce ;- élaboration de propositions pour approfondir l'intégration économique ;organisation de réunions de réflexion prospective sur les scénarios de crise éventuelles à venir dans le monde (par exemple, qu'en serait-il des conséquences de l'acquisition de la bombe nucléaire par plusieurs États instables ?) ; rôle d'alerte afin d'identifier le plus en amont possible les sujets porteurs de crises potentielles entre l'Europe et les Etats-Unis.

Les trois dernières propositions de la mission concernent spécifiquement la sphère militaire et stratégique et reposent sur le principe du partage du fardeau contre le partage des décisions.

- Le partage du fardeau, c'est évidemment la question des dépenses de défense. Tel est l'objet de la proposition n° 5, qui vise à l'élaboration d'un plan pluriannuel de coordination et de progression des dépenses de défense de l'Union.

Il existe deux groupes de pays européens dans l'OTAN : quatre qui dépensent au moins 1,8 % de leur PIB pour la défense (dans l'ordre croissant, Suède, France, Royaume-Uni, Grèce) et les autres, qui sont autour de 1 %. Ces deux groupes de pays dépensent pour leur défense moins de la moitié des dépenses des Etats-Unis. En outre, la structure des budgets des membres européens de l'OTAN est beaucoup trop axée sur les dépenses de personnel (60 à 70 % contre 35 % pour les Etats-Unis), au détriment des matériels (moins de 10 % contre 30 % pour les Etats-Unis). Enfin, les dépenses européennes d'équipement ne sont pas coordonnées et perdent en efficacité. D'où des capacités de projection très inférieures à celles de Etats-Unis.

Dans ces conditions, la mission propose un plan de coordination des dépenses de défense, en vue d'une meilleure efficacité des dépenses en Europe ; il se doublerait d'un plan de progression de ces dépenses, pour les pays qui consacrent moins de 1,8 % de leur PIB à la défense.

En contrepartie de cet effort budgétaire, les principaux acteurs européens dans le domaine de la défense doivent pouvoir peser davantage dans l'OTAN. Tel est l'objet de la proposition n° 6, qui vise à la constitution d'un « quad » de type nouveau, composé de six membres européens (France, Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Espagne, Pologne). Son objectif est de rééquilibrer le poids des Européens et des Etats-Unis dans l'Alliance. Cela implique un gros travail de concertation préalable entre Européens, qui manque aujourd'hui. Il sera certes très difficile à mener mais il est, à terme, nécessaire. Cette nouvelle répartition des responsabilités politiques dans l'Alliance doit avoir pour conséquence une nouvelle répartition des responsabilités militaires : la mission se prononce pour un rééquilibrage des commandements dans l'Alliance, par l'attribution de davantage de commandements aux membres du « quad ».

Enfin, la proposition n° 7 vise à répondre au constat qui a frappé tous les membres de la mission, sur la confusion actuelle sur la définition du rôle de l'Alliance. L'Alliance atlantique n'est en effet pas sortie indemne du refus américain de mettre en œuvre l'article V (la clause d'assistance mutuelle) en 2001, qui forme pourtant historiquement la raison d'être de l'Alliance. Dans cette perspective, une remise à plat du concept stratégique de l'OTAN s'impose, autour de trois principes :

. la réaffirmation de la mission de défense collective de l'Alliance, sa mission première ;

. la clarification des conditions d'intervention de l'Alliance ; le principe doit être celui d'interventions limitées aux cas de mise en œuvre de la clause d'assistance mutuelle ou mises en œuvre sur la base d'un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies. Dans le cas d'un « Kosovo bis » en Europe, c'est-à-dire face au cas d'une intervention qui ne pourrait se faire sous mandat ONU faute de l'unanimité des membres du conseil de sécurité, mais qui aurait pour objectif de mettre fin à une violation massive des droits de l'homme dans un pays, ne faudrait-il pas souhaiter un dispositif adapté, tant il serait impensable de rester inactif ?

. Dernier principe d'un concept stratégique rénové, la définition d'une doctrine fixant dans quelles circonstances et à quelles conditions l'OTAN intervient dans le « hors-zone », c'est-à-dire en dehors de la zone euro-américaine. L'OTAN est déjà présente en Afghanistan ou en Irak, mais sans que cette évolution des missions de l'Alliance ait fait l'objet d'un quelconque débat. C'est à ce débat, qui doit déboucher sur une doctrine claire, que la mission appelle.

Jugeant ces propositions très pragmatiques, M. Axel Poniatowski a résumé l'objectif du nouveau contrat transatlantique qu'elles dessinaient : substituer au contrat transatlantique de la guerre froide, fondé sur l'échange « sécurité contre solidarité sans faille », un nouveau contrat visant à resserrer, en les organisant mieux, les liens entre l'Europe et les Etats-Unis, c'est-à-dire un contrat adapté aux réalités stratégiques et économiques du XXIe siècle.

Avant que ne s'engage la discussion, le Président Edouard Balladur a rappelé que la Commission avait à autoriser la publication du rapport de la mission d'information et que les éventuelles appréciations personnelles des membres de la Commission figureraient dans le compte rendu qui sera annexé au rapport de la mission.

M. Hervé de Charette a tout d'abord indiqué tout l'intérêt que présentaient pour lui les propositions de la mission d'information, précises, concrètes, et, pour plusieurs d'entre elles, originales. Il est intéressant de noter que ces propositions reposent sur l'idée essentielle que les relations entre l'Europe et les Etats-Unis doivent être marquées par une coopération stable et durable. La proposition consistant à créer un secrétariat commun entre l'Europe et les Etats-Unis - l'une des plus remarquables de toutes celles avancées par le Rapporteur - mériterait d'être précisée quant à la composition de cet organe, son siège ainsi que ses missions concrètes.

En ce qui concerne les questions de défense, la septième proposition - la formulation d'un nouveau concept stratégique clarifiant la mission de l'OTAN - est la plus fondamentale. Un nouveau concept stratégique pour l'Alliance est en effet aujourd'hui nécessaire. Néanmoins, on peut s'interroger sur notre capacité à convaincre les Etats-Unis d'accepter un tel changement. Il n'est qu'à participer aux réunions du Conseil de l'Alliance, où la suprématie des Etats-Unis est flagrante, pour se convaincre que ce pays refusera toute évolution en ce domaine. A ce propos, et à titre d'illustration, on peut rappeler qu'au tout début de son septennat, le Président Jacques Chirac, avait tenté d'obtenir une modification de l'organisation des commandements au sein de l'OTAN. Les Etats-Unis, avec qui notre pays avait alors pourtant une relation très cordiale, lui ont fermement opposé une fin de non-recevoir.

Tout en s'interrogeant sur nos capacités à les mettre en œuvre, M. Hervé de Charette a conclu en se déclarant également très intéressé par la proposition d'un plan pluriannuel de coordination et de progression des dépenses de défense de l'Union européenne ainsi que par celle relative à la constitution d'un « quad » élargi à six membres et au rééquilibrage des commandements dans l'OTAN.

Le Président Edouard Balladur a souligné que le rapport de la mission d'information laissait clairement apparaître que, plus l'Europe existerait au plan international, plus les chances d'un rééquilibrage de la relation transatlantique se feraient jour. Il a ajouté que la mission était consacrée aux relations entre l'Europe et les Etats-Unis, mais que les rapports entre ce pays et la France étaient évidemment abordés, puisque cette dernière n'est pas l'allié le plus docile de notre partenaire américain.

M. Paul Quilès a salué la qualité du travail de la mission, en considérant qu'il était nécessaire, car depuis la définition du concept stratégique de l'OTAN en 1999, peu d'analyses globales avaient été produites sur ce sujet. Quand les questions ne sont pas posées dans toute leur ampleur, nul ne peut s'étonner que des réponses seulement partielles leur soient apportées. Le rapport de la mission d'information a l'insigne mérite d'aborder la problématique de manière complète en montrant les limites de la situation actuelle. Le déroulement des travaux de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN est de ce point de vue tout à fait édifiant, car il permet de mesurer à quel point une inégalité profonde demeure entre les partenaires. La question est bien de savoir à quoi sert l'OTAN. Cette organisation est-elle un outil au profit de l'Europe ou des Etats-Unis ? Est-ce une organisation politique ou militaire ? On constate que, sur ces questions, des conceptions plurielles existent, y compris aux Etats-Unis.

Après que le Président Edouard Balladur eut considéré que la véritable question était de savoir à qui servait l'OTAN, M. Paul Quilès a estimé qu'il serait difficile d'y apporter une réponse, en particulier si l'Europe devait se construire sous influence américaine, comme on a pu le voir lors de l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie. Ce n'est sans doute pas là la meilleure façon d'envisager une clarification des relations transatlantiques. Les propositions avancées par la mission d'information sont aussi une bonne méthode pour montrer que le Parlement est actif sur ces questions. Il serait utile d'observer les réactions que le Gouvernement, et plus particulièrement le Ministre des Affaires étrangères, auront vis-à-vis des conclusions de ce rapport.

Le Président Edouard Balladur a indiqué que l'Assemblée parlementaire de l'OTAN tiendrait sa prochaine session à Paris au printemps 2006, ce qui donnerait aux parlementaires l'occasion d'observer directement la tonalité des relations entre les partenaires de l'organisation.

M. André Schneider a salué la noblesse des ambitions du rapport tout en partageant le scepticisme de M. de Charette quant à la possibilité de mise en œuvre de certaines des propositions. A l'occasion d'une réunion de l'Assemblée parlementaire de l'Union de l'Europe occidentale (UEO), il a eu l'occasion de mesurer l'arrogance, voire le mépris, que les militaires américains témoignent aux responsables politiques européens. Toujours dans le cadre de l'UEO, il a constaté que l'une des principales motivations de la République tchèque pour adhérer à l'Union européenne était sa volonté de se rapprocher de l'OTAN et de se placer ainsi plus étroitement sous la protection américaine.

Après avoir félicité le Rapporteur pour la précision de ses propositions, M. Jean-Louis Bianco a souhaité revenir sur certaines d'entre elles. Il a insisté sur le développement de la « diplomatie intellectuelle » car il est très important de stimuler la coopération entre universités françaises et américaines pour favoriser la naissance d'une nouvelle génération de spécialistes américains de la France. Les rencontres annuelles que le rapport propose de favoriser entre les chefs d'Etat pourraient aussi concerner les commissions parlementaires. Les relations entre les seuls pouvoirs exécutifs ne sauraient suffire à faire tomber les préjugés.

La création de nouveaux organes européens proposée par le Rapporteur risque de nuire à la lisibilité, déjà très relative, des organes communautaires et nationaux en charge des relations internationales, même si l'idée de placer le secrétariat euro-américain auprès du Président du Conseil est pertinente.

Depuis 1999, la réflexion stratégique sur le rôle de l'OTAN face aux menaces et vis-à-vis des autres institutions n'a guère évolué. L'OTAN a souvent l'image d'un vecteur des droits de l'homme, ce qui pourtant ne relève pas de manière évidente de ses missions. Il a estimé que la première étape indispensable devait consister à harmoniser la vision que les Européens ont de la relation transatlantique.

M. Jacques Myard s'est montré dubitatif sur les conclusions du rapport. Le différend n'oppose pas les Etats-Unis et l'Europe dans son ensemble, mais les Etats-Unis et la France. Les autres pays européens sont en effet alignés sur les positions américaines. On ne peut pas espérer donner une identité à l'Europe face aux Etats-Unis dans le cadre d'un « quad » élargi à six membres au sein duquel les positions françaises seraient forcément minoritaires. A l'occasion du dernier sommet de l'OTAN, le Ministre des Affaires étrangères français a été très surpris d'être le seul à émettre des doutes sur la pertinence de l'utilisation de l'OTAN comme un moyen de coopération en Afrique. Pour rééquilibrer les relations entre l'Europe et les Etats-Unis, l'OTAN est un mauvais instrument, car les Etats-Unis ne renonceront jamais à leur mainmise sur cette organisation, et le « quad à six » proposé ne permettra pas de progresser. Le seul moyen est d'affirmer plus fermement les positions françaises.

M. Jacques Myard a ajouté que les rapports entre les Etats-Unis et l'Europe n'étaient pas aussi inégalitaires qu'on pouvait le penser. Car le concept d'hyperpuissance connaît aujourd'hui d'évidentes limites, tous les problèmes du monde contemporain ne pouvant se résoudre par l'usage des moyens militaires. C'est dans ce contexte que la France peut jouer un rôle déterminant.

M. Loïc Bouvard a approuvé le constat établi par la mission concernant la relation entre la France et les Etats-Unis et la demande qui tendait à permettre une meilleure compréhension de la France outre atlantique et à renforcer les liens entre les deux pays. L'élite américaine constate encore aujourd'hui l'importance de la France dans le monde et les échanges renouvelés franco-américains permettront d'éloigner les mauvais souvenirs liés à la guerre en Irak. Il a demandé qui pourrait être l'interlocuteur responsable des relations France-Etats-Unis que préconise le rapport.

M. Axel Poniatowski a précisé que la désignation d'un coordinateur proposée par la mission visait la relation entre les Etats-Unis et l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne dont il serait souhaitable de coordonner et d'harmoniser les positions.

M. Loïc Bouvard s'est déclaré plus dubitatif sur le second volet du rapport. Depuis les dernières vingt-cinq années, en tant que membre de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, il a constaté que les délégations américaine et britannique n'ont jamais accepté l'idée d'un interlocuteur unique pour l'Europe ni celle d'un « european caucus ». Alors que l'OTAN a toujours été un instrument hégémonique au service des Etats-Unis, l'ancien représentant des Etats-Unis à l'OTAN, M. Nicholas Burns, avait exprimé dans le passé sa crainte que la France n'ait l'ambition de détruire l'organisation en proposant une politique de défense en Europe. Mais, de fait, les Etats membres de l'Union n'ont partagé que trop rarement la position française et l'OTAN reste l'organisation de référence. Inverser la tendance semble difficile.

Le Président Edouard Balladur a précisé que le groupe des quatre Etats (le « quad ») existait déjà. Il a demandé en quoi un élargissement à six, selon M. Bouvard, serait une opération trop complexe à réaliser.

M. Loïc Bouvard a estimé que le poids relatif des Etats dans l'Alliance ne pouvait être rééquilibré dès lors que les Américains entendaient décider seuls et contribuaient pour l'essentiel au budget de l'organisation. Si l'OTAN sert à la défense collective de l'Europe, combien de temps faudrait-il aux Etats européens pour allouer un budget au niveau de celui des Etats-Unis et, de ce fait, renforcer leur poids même dans l'organisation ?

M. Loïc Bouvard a conclu que si les propositions du rapport étaient bonnes, il émettait en revanche quelques doutes sur leur mise en application.

En réponse aux différents intervenants, M. Axel Poniatowski a apporté les éléments suivants :

- La relation institutionnelle établie entre l'Union européenne et les Etats-Unis est complexe et fonctionne mal. Le sommet annuel entre le Président des Etats-Unis et le Président du Conseil européen est sans grand intérêt ; les consultations bi-annuelles entre les administrations et la réunion de groupes de travail s'avèrent assez peu productives. L'objectif de la proposition est d'organiser ces relations au niveau des Etats et de charger un secrétariat euro-américain, placé auprès du Président du Conseil, de l'organisation de ces relations de haut niveau. Par ailleurs, l'autre intérêt majeur de la constitution d'un secrétariat permanent réside dans le fait qu'elle permettrait d'instituer une relation de travail continue, ce qui n'existe pas aujourd'hui dans les relations entre les Etats-Unis et l'Union européenne.

- On ne peut pas affirmer que le poids de la France demeure marginal au sein de l'OTAN. Ainsi, lors de l'opération menée au Kosovo, le rôle de notre pays a été des plus notables. L'une des raisons qui expliquent cependant notre faiblesse est que la France ne participe ni au Comité des plans de défense ni à celui des plans nucléaires, le rapport de la mission d'information ne prenant toutefois pas parti sur ce point.

- La situation des relations transatlantiques n'est pas aussi figée que certains l'estiment. On peut penser que les pays d'Europe centrale et orientale, dont les liens étroits avec les Etats-Unis et l'attachement à l'OTAN s'expliquent par leur histoire, évolueront dans les années à venir. De ce point de vue, on peut aussi imaginer que nous pourrons rallier à nos thèses nos partenaires, y compris le Royaume-Uni qui a beaucoup évolué sur ces questions depuis dix ans, notamment lors du sommet de Saint- Malo en 1998. On constate aussi que l'interopérabilité entre les armées européennes a beaucoup progressé depuis une décennie.

- Lorsque l'on se déplace aux Etats-Unis, on peut observer que les parlementaires français sont reçus de manière très différente au Département d'Etat et au Pentagone. On est cependant frappé par le pragmatisme des Américains. Ils respectent les rapports de force. Ainsi alors même qu'ils ont pu s'opposer farouchement à des projets européens, souvent inspirés par la France, comme Galileo, Ariane ou Airbus, ils reconnaissent aujourd'hui que les Européens ont finalement eu raison de s'engager dans ces entreprises qui ont connu le succès.

- Dans le cadre de la « diplomatie intellectuelle » que le rapport propose d'intensifier, il importe qu'un effort soit mené en direction des universités non plus seulement de la côte Ouest ou Est mais aussi vers le reste du territoire américain.

En conclusion, le Président Edouard Balladur a tenu à rappeler que les relations entre l'Europe et les Etats-Unis souffraient de l'inégalité entre les deux partenaires. On peut se résigner en acceptant le statu quo au nom d'un conservatisme intellectuel. On peut, en revanche, faire des propositions pour permettre de progresser, et ce même si la France est la seule à prendre cette initiative. C'est ici, de manière profonde, la question même de l'action politique qui est posée. Nous avons tout intérêt à ce que la France affirme ses idées et ses principes même si ses partenaires européens ne la suivent pas dans l'immédiat, car les situations et les esprits évoluent.

Concernant le secrétariat qu'il est proposé d'instituer, il convient de souligner qu'il sera placé aux côtés du président du Conseil européen. Sans doute des problèmes de répartition de compétence demeureront entre le Conseil, le représentant de la PESC et le Commissaire chargé des relations extérieures de l'Union européenne ; mais cette difficulté n'est pas nouvelle et ne sera surmonté que le jour où les rapports entre le Conseil et la Commission seront clarifiés.

Le Président Edouard Balladur a conclu en disant que les propositions de la mission avaient le mérite d'ouvrir des pistes de réflexion qui seront évidemment transmises au Gouvernement pour qu'il fasse connaître son point de vue.

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Proposition de résolution sur la mise en œuvre de l'action-cadre « Mettre à jour et simplifier l'acquis communautaire

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Bruno Bourg-Broc, la proposition de résolution n° 2338 présentée par MM. Edouard Balladur, Pascal Clément, Pierre Lequiller, Hervé de Charette, Roland Blum, Michel Destot, Jacques Godfrain, François Loncle et François Rochebloine sur la mise en œuvre de l'action-cadre « Mettre à jour et simplifier l'acquis communautaire » (n° E 2853).

M. Bruno Bourg-Broc, rapporteur, a rappelé que la proposition de résolution dont la Commission était saisie avait été déposée en mai dernier à l'initiative de son Président. Elle a été signée par des parlementaires issus des différents groupes. Ce texte fait suite à l'audition par la Commission des Affaires étrangères de M. Maurice Druon, Secrétaire perpétuel honoraire de l'Académie française, venu présenter en février dernier son Manifeste demandant que la langue française soit la langue de référence pour tous les textes ayant valeur juridique ou normative engageant les membres de l'Union. La proposition de résolution poursuit un double objectif : promouvoir la mise à jour et la simplification du droit communautaire au moyen de la codification du droit communautaire ; régler les problèmes d'interprétation des textes juridiques européens en proposant qu'en cas de difficulté, la version française fasse foi.

Le Rapporteur a indiqué qu'il avait posé une question écrite sur l'usage du français dans les institutions européennes et qu'il n'avait pas obtenu de réponse satisfaisante du Gouvernement sur cette question.

Les institutions européennes ont, depuis de nombreuses années, affiché leur intention d'améliorer la qualité des normes communautaires. Un premier accord sur ce sujet est intervenu en 1994 entre la Commission, le Conseil et le Parlement. Il confie à la Commission le soin de mettre en place une codification des textes existants. Un nouvel accord interinstitutionnel, intitulé « Mieux légiférer », est intervenu en septembre 2003. Depuis, le Conseil a approuvé une liste de priorités en matière de simplification. La Commission les a inscrites dans son programme de travail pour 2005, tandis que le Conseil demeurait saisi de la question dans le cadre de sa formation consacrée à la compétitivité.

Dans la période la plus récente, la question de la simplification et de l'amélioration de la législation est demeurée au centre des préoccupations, que ce soit pour la Présidence britannique, qui en a fait l'une de ses priorités, ou pour la Commission, qui vient d'annoncer le retrait de nombreux projets d'actes communautaires dont elle était à l'origine. La présente proposition de résolution propose des solutions concrètes pour y parvenir.

L'une des premières difficultés rencontrées est d'ordre pratique et tient au nombre des langues officielles de l'Union, au nombre de 20 depuis le dernier élargissement. La Commission a ainsi été conduite à prononcer un moratoire de neuf mois, d'août 2003 à avril 2004, en matière d'adoption et de publication d'actes codifiés. Ces difficultés de traduction ont retardé durablement le programme de codification, d'autant qu'il doit désormais être effectué dans vingt langues.

Une autre difficulté tient aux différences d'approche des Etats membres sur les questions de codification. Ainsi, la Grande Bretagne du fait de ses traditions juridiques cherche-t-elle à substituer au droit écrit des instruments incitatifs non contraignants (soft law). Une telle approche ne constitue à l'évidence pas une réponse appropriée, puisque la construction communautaire se trouve dans une logique de droit écrit et qu'elle a fondé un ordre juridique spécifique directement intégré dans le système interne des différents Etats membres. En outre, de nombreux Etats membres ne disposent pas de véritables codes regroupant pour chaque domaine l'ensemble des textes législatifs, réglementaires et la jurisprudence. Ainsi, les priorités de codification arrêtées par le Conseil en novembre 2004 sur la base des suggestions des Etats membres sont-elles décevantes : soit elles traitent de sujets d'importance, mais se limitent à un seul texte, soit elles portent sur des sujets particulièrement techniques et circonscrits. Dans ces deux cas de figure, la codification opérée constitue un faible progrès en matière de simplification et d'amélioration de la législation.

Enfin, une dernière difficulté provient des conflits de pouvoir entre les institutions communautaires. En effet, le Conseil et le Parlement sont réticents à confier à la Commission la mise en œuvre d'une codification de grande ampleur dans la mesure où celle-ci pourrait aboutir à les déposséder de leur pouvoir normatif.

La présente proposition de résolution entend donner une nouvelle impulsion au programme de codification en avançant une solution aux problèmes linguistiques. A cette fin, le texte insiste sur l'intérêt de procéder à une codification par matière, dans le but de simplifier et d'améliorer la législation communautaire. Il serait ainsi souhaitable de disposer de codes comme le code de la citoyenneté européenne, celui du droit de la concurrence, celui de la protection des consommateurs, de l'environnement, de la santé ou encore de l'audiovisuel. Une telle codification serait une première étape avant l'abrogation ou la refonte du droit existant. Elle constituerait une démarche préférable à la mise en œuvre de normes non contraignantes, comme le suggère la Présidence britannique, ou au retrait pur et simple de textes, comme en a récemment décidé la Commission européenne.

Par ailleurs, la proposition de résolution, s'inspirant du Manifeste rédigé par M. Maurice Druon, propose de régler le problème des divergences d'interprétation des textes communautaires liées à des problèmes linguistiques en prévoyant que la version en français fasse foi. Langue d'un pays de droit écrit, à la différence de l'anglais, langue de la common law, le français dispose d'un vocabulaire juridique tout à fait précis et dénué d'ambiguïté. La langue française est d'ailleurs la langue de délibération de la Cour de Justice des Communautés européennes. Il serait souhaitable que la langue française fasse foi à titre subsidiaire, c'est-à-dire en cas de conflit lié à une difficulté d'interprétation d'une disposition normative.

L'adoption rapide de cette proposition de résolution par l'Assemblée est d'autant plus nécessaire que le prochain Conseil « compétitivité » des 28 et 29 novembre 2005 doit adopter des conclusions en la matière. Il serait donc souhaitable qu'à cette occasion le Gouvernement français tienne compte de la position de l'Assemblée sur ce point et qu'il puisse en faire part aux autres Etats membres.

M. Hervé de Charette s'est demandé si la codification du droit communautaire n'avait pas pour résultat de retirer du traité constitutionnel européen la troisième partie, qui est composée pour l'essentiel de textes en vigueur.

M. François Loncle a demandé au Président de la Commission s'il avait fait part de cette proposition de résolution au Gouvernement et si celui-ci entendait y donner suite.

Le Président Edouard Balladur a indiqué que la Ministre déléguée aux Affaires européennes, qui a été informée de cette initiative, devait être entendue par la Commission le mardi 18 octobre 2005 et qu'il conviendrait à cette occasion de l'interroger pour connaître la position du Gouvernement sur cette proposition de résolution.

La Commission est ensuite passée à l'examen de l'article unique de la proposition de résolution.

Elle a adopté un amendement du rapporteur marquant l'attachement de l'Assemblée nationale au caractère écrit et contraignant des normes juridiques.

Elle a adopté un amendement du rapporteur se référant au programme de simplification et d'amélioration du droit communautaire mis en œuvre par l'Union et soulignant l'intérêt de ce programme pour les citoyens, les institutions publiques et les acteurs économiques.

Elle a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur.

Elle a ensuite été saisie d'un amendement du rapporteur supprimant la référence au traité établissant une Constitution pour l'Europe. M. Hervé de Charette a estimé qu'il n'était pas nécessaire de supprimer la référence à ce texte, puisque celui-ci existait toujours juridiquement. M. François Loncle a suggéré d'assortir la référence au traité constitutionnel d'un conditionnel. M. Jean-Jacques Guillet a considéré que le maintien de cette référence dans la proposition de résolution en altèrerait la portée. Le Président Edouard Balladur a estimé que l'on pourrait considérer comme surprenant le fait de se référer au traité constitutionnel, alors même qu'il a été rejeté par référendum par la France et qu'il ne peut entrer en vigueur. La Commission a adopté cet amendement.

La Commission a adopté l'article unique de la proposition de résolution ainsi modifié.

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