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COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 29

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 21 mars 2006
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Ivailo Kalfin, Ministre des Affaires étrangères de la République de Bulgarie

  

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Audition de M. Ivailo Kalfin, Ministre des Affaires étrangères de la République de Bulgarie

Le Président Edouard Balladur a tout d'abord fait part de son souhait de voir respectées les dates prévues pour l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l'Union européenne afin de ne décevoir ni les peuples bulgare et roumain ni les peuples européens. Dans l'attente du rapport de la Commission européenne en la matière et dans l'espoir que celle-ci émette un avis favorable, il a demandé à M. Ivailo Kalfin de bien vouloir indiquer à la Commission des Affaires étrangères si, aujourd'hui, la Bulgarie remplissait les conditions nécessaires à son adhésion.

Après avoir remercié la Commission des Affaires étrangères de le recevoir, M. Ivailo Kalfin, Ministre des Affaires étrangères de la République de Bulgarie a rappelé que les relations entre nos deux pays étaient à la fois anciennes et fortes.

S'agissant de l'état de préparation de la Bulgarie à l'entrée dans l'Union européenne, il a tout d'abord précisé que la réponse à cette question n'était pas très facile à formuler mais qu'elle était plutôt positive. La Bulgarie est entrée dans la période la plus importante et la plus intense des préparatifs d'adhésion. L'adhésion est la priorité absolue des autorités bulgares mais également du peuple. Beaucoup reste à faire pour tenir les engagements pris dans le traité d'adhésion. Dans son dernier rapport datant d'octobre 2005, la Commission européenne a établi la liste de ce qui avait été fait et de ce qui restait à faire et marqué d'une couleur rouge les chapitres de négociation pour lesquels beaucoup de travail reste à accomplir, en l'occurrence ces chapitres sont au nombre de cinq, et d'une couleur verte les chapitres où tout a été fait. Si ces cinq chapitres sont très importants, la Bulgarie continue néanmoins de travailler sur tous les autres, maintenant un dialogue permanent avec la Commission européenne.

A cet égard, M. Ivailo Kalfin a proposé de concentrer son propos sur les chapitres qui posent problème. Le plus difficile est celui de la justice et des affaires intérieures (JAI). La Bulgarie a ainsi constaté que beaucoup de nouvelles lois devaient être adoptées mais également que le système judiciaire en vigueur manquait d'efficacité. Tous ces changements qui doivent être opérés en vue de l'adhésion à l'Union européenne auront en même temps des résultats positifs en interne. Les réformes indispensables pour l'entrée dans l'Union européenne sont également bonnes pour le pays. La réforme judiciaire a commencé en juillet 2005 avec l'objectif de créer un système judiciaire indépendant et plus transparent. Les procédures seront allégées, les responsabilités clairement définies. Les procureurs seront désormais chargés d'une affaire du début à la fin. Une aide importante a été apportée par des experts français dans le cadre de la réforme de la Justice. De la même manière, la réforme de la police devrait bénéficier de l'aide d'un conseiller du ministère de l'Intérieur français. Au total, une soixantaine de lois ou décisions liées à l'intégration européenne ont été élaborées et adoptées par l'Assemblée nationale. Le nouveau code de procédure pénale entrera en vigueur en avril 2006.

A ce sujet, M. Ivailo Kalfin a indiqué que les dernières élections législatives avaient eu lieu en juin 2005 et que, pour la première fois, une grande coalition gouvernementale allant des partis de gauche au centre libéral avait été constituée qui avait permis l'adoption de cette nouvelle législation. Ce fut donc une expérience très positive pour la Bulgarie.

En matière de lutte contre la criminalité et la corruption, la coopération avec la police française et les polices d'autres pays a donné d'excellents résultats, s'agissant notamment des trafics d'êtres humains et de drogue.

Du point de vue de la Commission européenne, la réforme du système judiciaire et la lutte contre la criminalité et la corruption demeurent les deux points les plus importants. La Bulgarie ne sera pas tout à fait prête d'ici la publication du rapport de la Commission européenne, mais elle concentre tous ses efforts sur ce qui reste à accomplir en la matière.

Concernant le chapitre agricole, les modifications sont en cours. Les points clés sont la législation vétérinaire, l'agence des paiements, celle-ci sera prête en mai, et la sécurité alimentaire.

S'agissant de la libre circulation des services, de nombreux points sont déjà réglés comme l'assurance automobile et la propriété intellectuelle.

M. Ivailo Kalfin a ensuite précisé qu'il attendait du rapport de la Commission européenne prévu pour mai 2006 qu'il reconnaisse les progrès accomplis depuis octobre 2005 et confirme les chapitres auxquels la Bulgarie doit se consacrer jusqu'à la date d'adhésion. Un rapport de monitoring est prévu pour le mois de novembre 2006. Il a, par ailleurs, indiqué que faire jouer la clause de report d'un an de la date d'adhésion ne contribuerait nullement à stimuler les efforts déjà déployés. Il s'est dit convaincu que le pays serait sous pression jusqu'au dernier moment. Le président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso, a d'ailleurs indiqué qu'il ne donnerait aucun argument aux États membres pour affirmer que la Commission aurait fait des concessions à la Bulgarie ou à la Roumanie ou pour invoquer la clause de sauvegarde. La Commission européenne est très stricte et la Bulgarie est très attentive à éviter ce genre de situation, les six prochains mois seront consacrés à se concentrer davantage sur le respect des engagements.

S'il est très concerné par l'adhésion de son pays, le Ministre des Affaires étrangères s'est dit également concerné par la phase postérieure. Il est important que la Bulgarie entre dans l'Union européenne en apportant une valeur ajoutée. Elle ne veut pas simplement d'un marché libre mais souhaite bâtir un projet politique commun pour les citoyens européens. Une des valeurs ajoutées qu'elle pourrait apporter concerne son rôle dans les Balkans occidentaux. Sur ce point, il a indiqué que ses positions étaient très proches de celles du Ministre français des Affaires étrangères, M. Philippe Douste-Blazy. Par ailleurs, la Bulgarie étant entourée des Balkans et de la Mer noire, elle souhaite la sécurité en Europe et désire participer aux différentes initiatives en matière de PESD-PESC.

La Bulgarie souhaite également l'établissement d'une politique commune européenne dans le domaine de l'énergie, et notamment s'agissant des alternatives aux ressources énergétiques traditionnelles. La proposition française pour une revue annuelle de la stratégie énergétique européenne a été soutenue par la Bulgarie au dernier Conseil. Les positions sur ce sujet sont très proches. A titre d'exemple, le Ministre des Affaires étrangères a indiqué que la Bulgarie fournissait 70 % des besoins en électricité des Balkans mais qu'elle était totalement dépendante du gaz russe.

Concernant la politique agricole commune là aussi, il existe de nombreux points communs avec la position française sur les changements et réformes à accomplir.

Le Président Edouard Balladur a déclaré qu'il souhaitait que la France ratifie le traité d'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie dans les délais requis pour que cette adhésion soit effective au 1er janvier 2007 et que la Commission des Affaires étrangères souhaitait que la procédure ne souffre d'aucun retard. Il a ensuite interrogé le Ministre des Affaires étrangères sur les points suivants. L'adhésion de la Bulgarie aura pour conséquence de placer ce pays sur l'une des frontières extérieures de l'Union : quelle en sera l'impact sur la politique de défense de la Bulgarie, alors même que celle-ci appartient à l'OTAN et à l'association des pays de la Mer noire qui comporte la Russie et la Turquie ? La Bulgarie exerce une influence utile dans les Balkans : comment voit-elle l'intégration des pays de l'ex-Yougoslavie au sein de l'Union européenne ? L'arrivée de nouveaux États membres ne risque-t-elle pas de déstabiliser davantage les institutions européennes ? Quelles modifications de ces institutions faudrait-il accomplir ? La Bulgarie doit-elle démanteler des centrales nucléaires ? Où en est le dossier des infirmières bulgares condamnées à mort en Libye et qui sont en attente d'un nouveau jugement ?

Le Ministre des Affaires étrangères de la République de Bulgarie a répondu que la Bulgarie et la Roumanie souhaitaient organiser la sécurité dans la Mer noire dans le contexte de l'Union européenne et de l'OTAN ; l'association des pays de la Mer noire, dont l'Ukraine et la Georgie ne font pas partie, n'a pas vocation à se substituer à ces instances. Le règlement de la question du Kosovo est essentiel pour la stabilité des Balkans : la solution arrêtée par la communauté internationale ne doit pas déboucher sur la constitution d'un État mono-ethnique, ni sur une remise en cause des frontières existantes, qui seraient de nature à créer de nouvelles tensions dans l'ensemble de la région. Les autorités du Kosovo doivent faire preuve de responsabilité et ne doivent pas se borner à exiger la souveraineté. La Serbie traverse pour sa part une période difficile avec le référendum sur le statut du Monténégro et le difficile règlement de la question kosovare. L'élargissement de l'Union aux pays de l'ex-Yougoslavie devra avoir lieu à long terme : il faut d'abord trouver une solution politique, condition préalable au développement économique de ces pays.

La Bulgarie a une centrale nucléaire comportant six unités : deux sont d'ores et déjà fermées, deux autres seront fermées avant la fin de l'année conformément aux stipulations du traité d'adhésion, les deux autres sont conformes aux normes en vigueur. Cette centrale produit 40 % de l'énergie électrique de la Bulgarie et contribue à l'exportation d'énergie vers les pays riverains. Deux constructions de nouvelles centrales sont envisagées : Framatome est intéressée par ces projets.

Si les relations politiques entre la France et la Bulgarie sont très bonnes, les entreprises françaises demeurent peu présentes en Bulgarie, ce qui est regrettable.

Les infirmières bulgares accusées d'avoir infecté des enfants libyens par le virus du SIDA sont emprisonnées depuis sept ans ; la Cour suprême libyenne a cassé le jugement les condamnant à mort et elles doivent être rejugées en avril prochain ; le nouveau procès devrait durer deux à trois mois ; l'action de la France et de l'Union européenne dans ce dossier a été décisive, que ce soit en termes d'expertise ou de pressions politiques sur la Libye ; il convient également d'apporter une assistance médicale aux enfants qui ont été contaminés.

Après avoir indiqué qu'il apportait son soutien au nom de la Délégation pour l'Union européenne à l'entrée de la Roumanie dans l'Union européenne, M. Jacques Myard a dit partager le sentiment du Ministre des Affaires étrangères selon lequel, même si des difficultés persistaient, retarder l'adhésion d'un an ne changerait rien car pour être complètement à niveau la Bulgarie aurait sans doute besoin de plusieurs années supplémentaires. Puis il a demandé quelle était la position de la Bulgarie sur l'avenir du Kosovo compte tenu de la situation dans les Balkans, les Anglo-Saxons étant plutôt favorables à l'indépendance. S'agissant des relations avec les États-unis, la Bulgarie considère-t-elle que l'OTAN doit être un instrument politique et d'action, comme le souhaite ce pays ?

M. Ivailo Kalfin s'est dit convaincu qu'une année de plus ne changerait rien. La Bulgarie est dans la dernière phase et sa mobilisation est très forte. Il a également estimé que la clause de sauvegarde ne conduirait qu'à renforcer le camp des anti-Européens. Sur le Kosovo, sans convenir d'un quelconque statut final, il est important de ne pas créer un exemple où la souveraineté serait accordée à une minorité parce qu'elle est une minorité. Ceci serait dangereux pour les Balkans et pour le monde. Instaurer une division entre Albanais et Serbes reviendrait à définir des entités sur une base ethnique. Le principe importe plus que la solution finale qui sera trouvée. Les relations de la Bulgarie avec les États-unis sont très bonnes. La Bulgarie est un des pays qui envisage la transformation de l'OTAN en un instrument politique. Ce sera d'ailleurs l'un des thèmes du prochain sommet de l'Alliance prévu pour fin 2006 à Riga.

A cet égard, le Président Edouard Balladur a demandé à M. Ivailo Kalfin de bien vouloir préciser quelles actions devaient relever de l'OTAN en tant qu'instrument politique et quelle extension de compétences cela supposait-il.

M. Ivailo Kalfin a répondu qu'il y avait dans le monde des problèmes dont l'envergure dépassait le cadre purement militaire et que la reconstruction post-conflit était l'une des problématiques auxquelles il fallait s'attaquer.

Le Président Edouard Balladur a souligné qu'en la matière il n'était pas nécessaire de faire appel à l'OTAN en lui conférant des responsabilités politiques, rappelant que, depuis une quarantaine d'années, la France n'avait jamais été favorable à un élargissement des missions de l'OTAN au-delà du cadre de l'alliance militaire. Il n'est point nécessaire de constituer une sorte d'Union européenne à l'échelle euro-américaine. Puis il a remercié le Ministre des Affaires étrangères de s'être exprimé en français, précisant que les membres de la Commission des Affaires étrangères y avaient été très sensibles. Il l'a également remercié pour l'intérêt de son exposé. Les Français étant soucieux de favoriser l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie dans les délais les plus brefs possibles, il a émis l'espoir que la France pourrait entamer rapidement le processus autorisant la ratification du traité d'adhésion et que la Commission européenne émettrait un avis favorable à celle-ci.

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