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COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 48

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 20 juin 2006
(Séance de 17 heures 15)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Présentation des travaux du groupe de suivi des négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne - M. Hervé de Charette, Président du groupe de suivi

  

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Présentation des travaux du groupe de suivi des négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne

M. Hervé de Charette, Président du groupe de suivi, a rappelé que les membres de ce groupe, créé à l'initiative du Président Edouard Balladur étaient MM. Jean-Louis Bianco, Roland Blum, Mme Geneviève Colot, MM. Guy Lengagne, Christian Philip, Paul Quilès et Rudy Salles.

Il a estimé que cette initiative était tout à fait originale puisqu'il est question qu'un petit groupe de députés puisse suivre, étape par étape, des négociations que mènent avec la Turquie le gouvernement français et ceux des autres Etats membres de l'Union européenne. C'est une manière sans doute sans précédent, semble-t-il, d'associer le parlement à l'action diplomatique du pouvoir exécutif.

Il a indiqué que le gouvernement et l'administration collaboraient de manière très satisfaisante avec le groupe de suivi. Celui-ci a des contacts réguliers avec la représentation permanente de la France à Bruxelles ainsi qu'avec le ministère des affaires étrangères et les membres du groupe sont tenus au courant des évolutions des négociations, que ce soit au sein du groupe « élargissement » constitués à Bruxelles ou du COREPER.

Le groupe de suivi tient environ une réunion chaque mois dans laquelle il aborde le négociation et ensuite un sujet précis. Il a ainsi travaillé sur la méthode même de négociation utilisée par l'Union européenne et les Etats membres. Le groupe a entendu un universitaire, M. Samim Akgönül, qui a présenté un exposé très intéressant sur la situation des minorités en Turquie. Il a également examiné les questions économiques avec les représentants de Tusiad, l'équivalent du MEDEF en Turquie.

Il était prévu que les membres du groupe entendent l'ambassadeur de Turquie, M. Osman Korütürk, mais la discussion relative à la proposition de loi tendant à réprimer la négation du génocide arménien de 1915 a contraint à annuler cette réunion, l'ambassadeur ayant été rappelé pour consultation dans son pays à la date prévue.

M. Hervé de Charette a ensuite évoqué le programme de travail du groupe pour la session d'automne. Celui-ci continuera à suivre les négociations et portera aussi son attention sur la question chypriote qui va se poser de manière aiguë, sur les droits de l'homme, sur les problèmes économiques et enfin sur la question de la capacité d'absorption qui est mise en avant par la France dans les négociations avec la Turquie.

Puis, M. Hervé de Charette a présenté la méthode de négociation employée par les Etats membres à l'égard de la Turquie. Les négociations sont, en principe, menées par chacun des Etats membres de l'Union avec la Turquie. C'est donc une multiplicité de négociations qui devrait avoir lieu. Mais en fait l'essentiel se passe dans le groupe « élargissement » du Conseil de l'union et au sein du COREPER. La Commission joue évidemment un rôle très actif qui n'est pas dénué d'ambiguïté.

Au préalable, on doit observer qu'on ne peut pas parler ici de véritables négociations dans la mesure où la Turquie n'a pas à négocier l'acquis communautaire, qui lui est imposé, mais à l'intégrer. Il s'agit là plutôt d'un processus de contrôle de la bonne intégration de cet acquis par la Turquie. La perspective est simple : soit la Turquie réussit à intégrer l'acquis ; soit elle n'y parvient pas.

Les négociations se dérouleront formellement dans le cadre d'une Conférence intergouvernementale (CIG) qui inclut tous les Etats membres de l'Union européenne.

En 2006 a commencé la période de « criblage ». La Commission explique, chapitre par chapitre, ce qu'est l'acquis communautaire, la Turquie ayant, pour sa part, à justifier de sa situation actuelle au regard de cet acquis. La Commission propose ensuite l'ouverture des négociations, également chapitre par chapitre, ce que le Conseil accepte à l'unanimité. La Commission propose aussi des « critères de référence » qui permettront d'apprécier in fine si la Turquie remplit ou pas les conditions d'adhésion à l'Union. Ces « critères de références » sont également adoptés par le Conseil à l'unanimité. La Commission propose également des « positions communes de négociation » pour chaque chapitre relevant des compétences communautaires. Ces positions sont arrêtées par le Conseil et seront régies par le principe de l'unanimité.

Les négociations pourront être suspendues en cas de violation grave et persistante des principes de liberté, de la démocratie, du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que de l'Etat de droit. Cette décision sera, en revanche, prise à la majorité qualifiée sur recommandation de la Commission. Le processus de négociation aboutirait à un projet de traité d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne que tous les Etats membres de l'Union auraient à ratifier. En cas d'échec, on sait que l'Union européenne a prévu que la Turquie devra être ancrée aux structures européennes par « le lien le plus fort possible », autre que l'adhésion.

L'ouverture des différents chapitres dans le cadre de la négociation d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne ne se fait pas sans heurts entre un groupe d'Etats, plus ou moins composite, mené par la France et qui compte, selon les sujets, la Grèce, Chypre ou l'Allemagne, assez prudente d'ailleurs, et la Commission européenne soutenue dans ses démarches notamment par le Royaume-Uni.

La France défend une position fondée sur la fermeté et la clarté dans les négociations. Face à cela, la Commission européenne semble avoir une attitude plus ambivalente.

Le gouvernement français souhaite que les critères politiques soient pris en compte pour tous les chapitres concernés. Ainsi la France a formulé cette exigence pour l'ouverture du chapitre 26 « Éducation et culture » de sorte que, au titre de ce chapitre, soit examiné, par exemple, le sort réservé aux minorités dans le domaine de l'éducation ou la place des femmes. La Commission européenne, soutenue par certains membres comme le Royaume-Uni ou la Finlande, souhaite cantonner, quant à elle, l'examen des critères politiques au seul chapitre portant sur les droits fondamentaux (chapitre 23 « Pouvoir judiciaire et droits fondamentaux »). Une solution de compromis a été trouvée récemment permettant d'ouvrir rapidement le chapitre « Éducation » tout en laissant en suspens la question de l'invocation des critères politiques.

La France a prôné une telle position également pour le critère de Copenhague imposant l'existence d'une « économie de marché viable ». La Commission européenne estime que la question de la viabilité de l'économie turque ne doit être appréciée que lors de l'examen du chapitre « Politique économique et monétaire » ou du chapitre « Union douanière ». La France considère, au contraire, que tous les chapitres concernés doivent être examinés au regard de ce critère essentiel, par exemple pour le chapitre 8 « Concurrence », ce qui paraît effectivement justifié.

La France a également demandé que les critères retenus pour l'ouverture et la clôture des chapitres soient les plus précis et les plus objectifs possibles et que la Commission remette aussi un rapport tous les trois ou quatre mois au groupe « élargissement ». De même, notre pays a souhaité que les Etats membres puissent disposer de toutes les informations nécessaires avant de prendre la décision d'ouvrir un chapitre. C'est le cas, par exemple, concernant les aides d'Etat : la Turquie a, pour l'heure, fourni des informations incomplètes à la Commission sur ce sujet essentiel en matière de concurrence.

Enfin, lors du débat portant sur le chapitre 8 « Concurrence », la question a également été posée de la nécessité pour le pays candidat de respecter les engagements qu'il a souscrits vis-à-vis de l'Union européenne avant l'ouverture des chapitres de négociations. Il s'agit ainsi pour la Turquie de respecter pleinement les engagements pris par elle dans le cadre de l'accord de 1995 sur l'Union douanière. Il apparaît que la Turquie n'a pas encore satisfait un certain nombre de ses obligations notamment pour ce qui est de l'adoption d'une législation en matière d'aides d'Etat.

M. Hervé de Charette a constaté que la position de la Commission européenne n'était pas exempte d'une certaine ambivalence. La Commission a insisté dans son document sur la stratégie d'élargissement en 2004 sur la nécessité d'une conditionnalité plus stricte que par le passé. De même, lors d'une visite en Turquie effectuée en mai 2006, M. Olli Rehn, Commissaire chargé de l'élargissement, a prévenu les autorités de ce pays qu'il « y avait urgence » et qu'il « était maintenant temps pour la Turquie de retrouver l'élan des réformes et d'améliorer l'Etat de droit, les droits de l'homme et les libertés fondamentales ». Il a fait état également du risque de « répercussions négatives dans le processus de négociations » sans donner le détail de telles répercussions.

Pour autant, il semble que la Commission ne mette pas nécessairement en oeuvre une telle exigence. Ainsi, à titre d'exemple, le Gouvernement français a observé que, s'agissant des limitations des pouvoirs de l'autorité turque chargée de la concurrence, alors que la Commission jugeait la situation grave fin 2005, elle passe totalement sous silence cette question dans son rapport de criblage sur le chapitre « Concurrence ».

La France a ainsi adopté une attitude consistant à évoquer les problèmes le plus en amont possible. De la sorte les Etats membres ne se retrouveront plus « au pied du mur » au cours des négociations.

Les délégations des vingt-cinq Etats membres se sont réunies le 12 juin 2006 pour convenir de l'ouverture du premier chapitre, celui consacré à la science et la recherche. Il sera ouvert et clos aussitôt car l'acquis à transposer est très limité. Chypre s'est montrée très hostile à cette démarche et a souhaité que la Turquie éclaircisse sa position concernant l'application du protocole dit « d'Ankara » qui étend l'union douanière entre l'Union européenne et la Turquie aux dix nouveaux membres de l'Union dont Chypre. La Turquie refuse toujours d'accueillir des avions ou des bateaux ayant transité par les aéroports ou les ports chypriotes ce qui n'est absolument pas acceptable. L'ouverture du chapitre « Science et recherche » a failli échouer. Finalement les 25 Etats membres se sont accordés sur cette ouverture moyennant une mise en garde faite à la Turquie : « un échec de la Turquie à appliquer pleinement toutes ses obligations affecterait le progrès général des négociations », ont affirmé les Etats membres de l'Union. Cette question de l'application du protocole d'Ankara ressurgira sous présidence finlandaise à l'automne. Il faudra, sur ce point, mettre en garde la Turquie sur les conséquences de son refus de reconnaître la République de Chypre.

En conclusion, M. Hervé de Charette a estimé que les négociations avec la Turquie pouvaient constituer un banc d'essai pour améliorer les conditions de collaboration entre l'exécutif et le parlement en matière européenne. La position française très favorable à l'ouverture des négociations avec la Turquie à la fin 2005 est aujourd'hui marquée par une grande rigueur. Ce n'est pas incohérent, mais il existe un risque que nous nous trouvions finalement dans une position délicate à la fois vis-à-vis de l'opinion française mais aussi de la Turquie.

Estimant que les travaux du groupe de suivi et l'information qu'il apporterait à nos concitoyens pouvaient contribuer à mieux faire comprendre les enjeux et à surmonter ces obstacles, il a proposé que le groupe puisse revenir devant la Commission des Affaires étrangères à la fin de l'année 2006 pour faire un nouveau bilan de ces négociations ; elles auront peut-être un peu plus avancé, la Commission européenne rendant un rapport à l'automne sur ce sujet. Il a enfin souhaité que la Commission des Affaires étrangères puisse saisir le Gouvernement afin de lui faire connaître sa position sur le déroulement de ces négociations.

Le Président Edouard Balladur a tout d'abord remercié le Président du groupe de suivi pour le travail considérable effectué et lui a demandé s'il avait le sentiment que le Gouvernement et son administration coopéraient pleinement avec le groupe. Il a jugé que si la Commission des Affaires étrangères réussissait à suivre pas à pas cette discussion, cela représenterait un progrès dans les relations entre les pouvoirs législatif et exécutif. Par ailleurs, il a fait part de son accord pour qu'un nouveau compte rendu soit fait devant la Commission d'ici la fin de l'année. Enfin, revenant sur le fait que la Turquie ne reconnaissait pas la République de Chypre, il a émis le souhait qu'avant l'ouverture du prochain chapitre des négociations d'adhésion, cette condition préalable soit remplie. Il a proposé qu'une lettre soit adressée au Ministre des Affaires étrangères pour l'informer de ce souhait, les membres de la Commission ayant exprimé leur accord avec cette initiative.

M. Jean-Claude Lefort a tout d'abord fait remarquer qu'il n'y avait pas de représentant du Groupe des député-e-s Communistes et Républicains dans le groupe de suivi. Par ailleurs, il a souligné que la reconnaissance par la Turquie de l'un des vingt-cinq Etats membres de l'Union européenne était un préalable, pas une condition. Nous ne sommes pas ici dans les chapitres de négociations, dans les 80 000 pages de l'acquis communautaire. Il ne s'agit pas d'une question turco-chypriote mais d'un problème entre l'Union européenne et la Turquie. Il s'est dit personnellement favorable à l'adhésion de la Turquie mais très ferme sur cette question. Enfin, il a souscrit à la proposition d'adresser une lettre au Ministre des Affaires étrangères. Il faut cesser de considérer que le pouvoir de contrôle du Gouvernement par l'Assemblée nationale s'arrête là où commencent les affaires étrangères.

Déclarant partager l'opinion de M. Jean-Claude Lefort sur ce sujet, M. Roland Blum s'est demandé comment, juridiquement, l'Union européenne pouvait engager des négociations d'adhésion avec un pays qui ne reconnaît pas l'un de ses membres. C'est là une situation proprement aberrante.

Le Président Edouard Balladur a souligné qu'il n'était pas acceptable que la République de Chypre, membre de l'Union à part entière, ne soit pas reconnue par un candidat à l'adhésion. Il faut enfin observer que la Grèce ne s'est pas opposée, non plus, à l'ouverture du premier chapitre de négociations.

En réponse aux questions des différents intervenants, M. Hervé de Charette, Président du groupe de suivi, a apporté les précisions suivantes :

- Le Gouvernement et l'administration répondent de manière très satisfaisante aux sollicitations du groupe de suivi.

- On constate effectivement que, conformément à l'habitude, le système de l'Union européenne repose sur une rhétorique parfois sévère à l'égard des candidats mais qui, concrètement, ne se traduit pas en actes. C'est pourquoi il importe que les parlementaires français fassent savoir au Gouvernement qu'ils considèrent la question chypriote comme fondamentale. Lors des discussions sur l'ouverture du prochain chapitre de négociations, il ne faudra pas céder sur ce préalable que doit être la reconnaissance de la République de Chypre par la Turquie.

- Il faut aussi être conscient que la République de Chypre poursuit une politique somme toute modérée. Elle a tout intérêt à ce que la Turquie rejoigne l'Union européenne, la solution durable du problème chypriote passant, sans nul doute, par une telle intégration.

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