COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 5

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 23 juillet 2002
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Guy Teissier, président,

puis de M. Michel Voisin, vice-président

SOMMAIRE

 

pages

- Audition du général Jean-Pierre Kelche, chef d'état-major des armées

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- Informations relatives à la commission

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Audition du général Jean-Pierre Kelche, chef d'état-major des armées.

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu le général Jean-Pierre Kelche, chef d'état-major des armées.

Le général Jean-Pierre Kelche a présenté son rôle et ses fonctions. Conseiller militaire du Gouvernement, le chef d'état-major des armées dispose de trois domaines d'attribution principaux :

- il est l'employeur des forces françaises, que ces dernières agissent dans un cadre national ou international puisque, même dans ce dernier cas, la France conserve le commandement opérationnel de ses forces ;

- il est chargé de préparer l'avenir et, à ce titre, construit la planification et la programmation ; de ce fait, il exerce un certain regard sur la construction du budget des différentes armées ; de plus, la majeure partie des crédits relatifs aux domaines nucléaire et spatial est désormais sous sa responsabilité directe ;

- il gère les relations internationales des armées françaises. Celles-ci se sont beaucoup développées depuis dix ans : la France entretient des relations bilatérales militaires avec 78 pays en dehors de l'OTAN, elle est un acteur majeur de la construction de l'Europe de la défense et doit gérer sa position au sein de l'Alliance atlantique.

Pour le seconder, le chef d'état-major des armées dispose de trois sous-chefs d'état-major, chacun d'eux gérant l'un des trois domaines précités. Il dispose également d'un réseau opérationnel le reliant aux Officiers Généraux de Zone de Défense et à tous les commandants de forces outre-mer, notamment dans les théâtres d'opérations extérieures, et du réseau des 137 missions militaires réparties de par le monde. Enfin, il bénéficie d'une expertise financière en relation avec le secrétariat général de l'administration du ministère.

Cette organisation a fortement évolué ces dernières années, avec notamment l'introduction d'un officier de cohérence opérationnelle par système de force. Par ailleurs, une chaîne unique de planification et de conduite des opérations est en cours de création, par fusion de l'état-major interarmées de planification opérationnelle de Creil et du centre d'opérations interarmées, afin notamment de constituer une structure capable d'intégrer immédiatement des partenaires à une opération dont la France déciderait de prendre la tête.

Le chef d'état-major des armées dispose également de la direction du renseignement militaire, qui relève du ministre et de lui, et qui a atteint un bon niveau opérationnel et gère directement le commandement des forces spéciales qui commande l'action des unités spéciales de chacune des armées.

Le général Jean-Pierre Kelche a ensuite rappelé que les opérations extérieures connaissent un rythme sans précédent depuis dix ans, la fin du monde bipolaire ayant multiplié et rendu plus complexes les crises. La communauté internationale ayant échoué dans son effort de prévention, à l'exception de la Macédoine, les armées doivent gérer une violence latente. Même si ces crises sont marquées par de faibles paramètres militaires, leur gestion nécessite une stratégie globale demandant volonté et endurance.

Malgré la réduction de leur format, les forces françaises se sont trouvées largement engagées à l'extérieur des frontières nationales, mais ont eu également à assurer des interventions intérieures : tempêtes, inondations, arrivée de l'euro, alertes aériennes, Vigipirate, Vigimer... Actuellement, 16 000 militaires sont engagés hors du territoire national, dont 8 000 dans les Balkans, un peu moins de 1 500 dans les opérations liées aux événements d'Afghanistan et 5 300 sur les bases en Afrique. Il s'y ajoute 1 100 soldats engagés dans des opérations sur le territoire national. À ce jour, malgré l'intensité de ces opérations et les difficultés matérielles rencontrées, tous les engagements ont été tenus. Le mérite en revient aux hommes et aux femmes qui se sont particulièrement impliqués. Tout a été fait également pour que le matériel engagé en opérations extérieures reste opérationnel et performant.

En revanche, le poids des opérations a engendré tension et lassitude, notamment dans l'armée de terre. Les répercussions sur la disponibilité des matériels en métropole et les difficultés budgétaires ont aussi entraîné des interrogations sur la crédibilité du modèle d'armée 2015 et sur les moyens que le pouvoir politique accorderait pour y parvenir. L'année dernière, les mouvements de gendarmes sont apparus comme un révélateur des tensions existantes au sein de l'institution militaire. Les soldats des autres armées ont, grâce à l'action du commandement, respecté le statut militaire. Sept mois plus tard, la situation est nettement plus favorable. Le plan de revalorisation de la condition militaire adopté en février 2002 a été bien ressenti, même si certaines mesures seront étalées sur plusieurs années. Le moral des militaires est en hausse.

De leur côté, les chefs d'état-major ont pris à bras-le-corps les questions de disponibilité du matériel qui influent négativement sur le moral des militaires. Des progrès significatifs ont pu être notés fin 2001, même si des difficultés sont récemment réapparues. Le vieillissement des équipements explique au premier chef cette situation et l'exemple des Transall de l'armée de l'air est révélateur puisque, malgré un accroissement des dépenses d'entretien, le taux de leur disponibilité ne cesse de se dégrader. S'y ajoutent les contraintes budgétaires qui ont conduit les chefs d'état-major, année après année, à procéder à des régulations sur les crédits consacrés à l'achat des pièces de rechange, qui ont fini par entraîner des ruptures d'approvisionnements. Enfin, les chefs d'état-major sont de plus en plus soumis à une forte contrainte de sécurité juridique qui leur impose d'interdire l'emploi de certains matériels dès lors qu'un doute est porté sur leur fiabilité technique ; dans ce cas l'impact quantitatif sur le taux de disponibilité est considérable, puisque tous les appareils du type en cause doivent être immobilisés. Malgré les difficultés rencontrées actuellement, la disponibilité des matériels devrait néanmoins s'améliorer dans les années à venir. La faiblesse du taux de disponibilité des hélicoptères de man_uvre est la plus préoccupante.

Le chef d'état-major des armées a ensuite évoqué les théâtres de crises où les armées françaises sont engagées.

Pour ce qui concerne l'Afghanistan, les objectifs initiaux de l'intervention alliée sont en passe d'être atteints puisque les taliban ont été renversés et que le pouvoir du gouvernement de Hamid Karzaï s'étend progressivement sur le pays. Selon les estimations américaines, environ 50 % des capacités d'action du réseau Al Qaida ont été neutralisées, ce qui est un résultat de qualité compte tenu des difficultés que présente ce théâtre d'opérations. La stabilisation du pays reste néanmoins fragile, marquée par les tensions entre les seigneurs de guerre et le gouvernement, des risques d'attentats contre la FIAS (force internationale d'assistance et de sécurité), ainsi que de forts intérêts économiques liés au trafic de drogue. Pour faire face à cette situation, la solution ne réside pas dans une extension du mandat de la FIAS à l'ensemble du territoire, mais plutôt dans la formation et la mise en _uvre d'unités de police et de sécurité dépendant du gouvernement de Kaboul, financées par lui, et capables de rétablir la paix civile. C'est ce à quoi s'emploient un détachement français et un détachement américain qui ont commencé à constituer les deux premiers bataillons d'une armée nationale ; le premier bataillon fourni par les Français sera opérationnel vers le 15 août et le second à l'automne.

Dans les Balkans, les forces internationales d'interposition et de stabilisation se trouvent désormais engagées dans un processus de sortie de crise. En Bosnie-Herzégovine, les 16 000 soldats déployés sont sous-employés ; la force de stabilisation (SFOR) sera restructurée à l'automne avec la création d'un commandement européen tournant à Mostar et le remplacement de la division multinationale sud-est par une brigade à dominante franco-espagnole. Au Kosovo, l'allègement du dispositif sera plus difficile, du fait d'une situation plus tendue et de la difficulté à fusionner les secteurs de responsabilité en 2003. Enfin, en Macédoine, la politique de prévention est poursuivie et devrait réussir, ce qui constituera un succès à mettre au crédit de l'Union européenne pour la prévention des crises en Europe.

En Afrique, les armées françaises continuent à mettre en oeuvre le concept de rétablissement des capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP) ; ainsi, elles assurent, à partir de Libreville, le soutien d'un bataillon sénégalais positionné en République démocratique du Congo.

En dernier lieu, en ce qui concerne la menace terroriste sur le sol national, la vigilance des armées est adaptée à l'appréciation de l'état des risques.

Le général Jean-Pierre Kelche a alors évoqué les mesures de préparation de l'avenir, et donc le prochain projet de loi de programmation militaire, en faisant valoir cependant que les arbitrages définitifs n'avaient pas encore été rendus. Le Président de la République a demandé que le projet présenté en conseil des ministres le 31 juillet 2001 soit redéfini de manière à mieux répondre aux exigences du modèle d'armée 2015, rendre crédibles les ambitions françaises au sein de l'Europe de la défense et faire face à la menace terroriste et à la prolifération. Les montants financiers envisagés traduisent les ambitions dans ces domaines.

Priorité est donnée au renforcement des capacités stratégiques nationales en matière de renseignement, de commandement et de modernisation des équipements. Une analyse très précise des conditions de lancement d'un second porte-avions a été menée, avec pour contrainte de ne pas obérer la maintenance des autres équipements et donc leur cohérence opérationnelle, ce qui implique un niveau suffisant de ressources budgétaires. Le redressement du maintien en condition opérationnelle des matériels constitue une toute première priorité.

Si la professionnalisation des armées est réalisée à 97 %, il conviendra de maintenir un effort réel en faveur du titre III, afin de fidéliser les recrutements et d'éviter un taux de renouvellement des contrats des engagés volontaires trop bas. Les prévisions de l'armée de terre française concernant les premiers renouvellements de contrats se situent à un niveau honorable, mais elles dépendent de facteurs psychologiques parfois conjoncturels. Pour rentabiliser les investissements consentis en matière de formation des effectifs, l'armée de terre souhaite pouvoir reconduire 70 % des premiers contrats de ses engagés volontaires et elle est en voie d'y parvenir.

Le principe du fond de consolidation est désormais acquis, même si le montant des crédits devant l'alimenter reste à déterminer. De même, le volume des crédits de fonctionnement a été redressé : au lieu d'un milliard de francs il y a quelques années, les insuffisances annuelles représentent désormais seulement de l'ordre de 200 millions de francs, le projet de loi de finances pour 2003 devant combler les derniers manques. Cet effort devra être maintenu à l'avenir, afin de disposer réellement d'une armée professionnelle et moderne, capable d'emporter l'adhésion et la fierté de ses personnels.

Le général Jean-Pierre Kelche a enfin abordé l'Europe de la défense. Le conseil européen de Laeken a permis de poser le caractère opérationnel d'une force européenne, il reste encore à trouver un terrain d'application concrète. Un rôle de l'Union européenne en Macédoine est subordonné à l'accord de l'OTAN ; la Bosnie pourrait fournir un premier théâtre d'expérimentation, mais il ne faudrait pas que cette initiative permette le départ des troupes américaines. Le travail continue au sein des groupes de projet et il a permis d'ores et déjà d'identifier en commun les lacunes en matière de capacités. L'objectif est de déterminer à l'automne les réponses à apporter à celles-ci, puis de lancer les projets industriels nécessaires, ce processus restant toutefois largement dépendant des dynamiques respectives de nos partenaires. Le deuxième sujet de satisfaction réside dans le fait que l'état-major européen est désormais pleinement opérationnel.

Un débat a suivi l'exposé du général Jean-Pierre Kelche.

Le président Guy Teissier, rappelant l'hypothèque que fait peser sur les capacités de projection la faible disponibilité des matériels, notamment pour les hélicoptères de combat et les Transall, a souhaité connaître l'état d'avancement du programme A400M, les échéances électorales allemandes semblant occasionner un retard dans sa mise en _uvre.

Le général Jean-Pierre Kelche a reconnu qu'il existait effectivement un problème en matière de capacités de projection, notamment pour la période 2004-2010. L'achat de quelques appareils CASA 235 supplémentaires permettra d'y remédier, mais seulement de façon marginale. Toutefois, il convient de prendre en compte le fait qu'en matière de projection stratégique, les ressources disponibles ne manquent pas, qu'il s'agisse de coopération avec des Etats membres de l'Union européenne, ou avec les Etats-Unis, même si cela coûte cher, ou de recours au marché, notamment avec la location d'Antonov ukrainiens. Ainsi, même s'il est plus satisfaisant de disposer d'une capacité propre de projection, les insuffisances constatées actuellement ne sont pas rédhibitoires.

L'A400M devrait favoriser la mise en place d'une communauté d'emploi et de maintenance permettant de disposer d'une disponibilité plus grande au meilleur coût. Si le retrait du Portugal du programme n'est pas préoccupant, eu égard au petit nombre d'appareils commandés, il est certain qu'une décision allemande sur les 73 appareils ne peut pas être sérieusement envisagée avant les élections.

M. Gilbert Meyer a rappelé que l'entretien des matériels constituait un enjeu majeur de la prochaine loi de programmation militaire et qu'un rapport d'information sur le sujet était en préparation. Il a posé les questions suivantes :

- Le taux de disponibilité actuel des matériels des armées correspond-t-il aux objectifs assignés et peut-on craindre qu'une rupture des capacités ait déjà eu lieu ?

- La projection de forces sur le théâtre d'opérations afghan a-t-elle été assurée par la « cannibalisation » des matériels des unités restées en France ?

- Quelles sont les raisons profondes du problème de l'entretien du matériel et quel serait le montant des crédits nécessaires pour assurer celui-ci dans de bonnes conditions ?

Le général Jean-Pierre Kelche a souligné que la situation n'était pas la même selon les armées. En ce qui concerne l'armée de terre, elle est particulièrement préoccupante pour les Puma et les Cougar dont le taux de disponibilité est inférieur de 15 à 20 % au taux considéré comme normal. Le taux de disponibilité des chars est quant à lui remonté à 64 %, la normale se situant aux alentours de 75 %. Pour l'armée de l'air, outre les Transall, le principal souci concerne les Mirage 2000, dont le taux de disponibilité se situe 10 points en dessous de l'objectif assigné. Parmi les crédits ouverts dans le collectif budgétaire, 80 millions d'euros sont destinés à l'achat de pièces de rechange pour ces appareils. Pour la marine, le problème est plus complexe et touche, par-delà les questions financières, au fonctionnement même de l'outil d'entretien de la flotte.

Il n'a pas été observé de phénomène de « cannibalisation » ; il est néanmoins exact que les théâtres d'opérations extérieures sont prioritaires pour l'affectation des pièces de rechange, ce qui peut avoir un impact sur la disponibilité des matériels demeurés en métropole.

M. Axel Poniatowski, rappelant que le Président de la République avait souligné lors de son intervention du 14 juillet que la France s'était laissée distancer en matière de capacités militaires par la Grande-Bretagne, a souhaité savoir quels étaient les domaines où l'écart s'était le plus creusé. Il a ensuite évoqué les enjeux financiers et techniques du choix de la motorisation du deuxième porte-avions.

Le général Jean-Pierre Kelche a répondu que la Grande-Bretagne consacrait depuis de nombreuses années un effort nettement supérieur à la France en matière de défense, surtout en ce qui concerne la recherche-développement et l'équipement. Les écarts peuvent atteindre 20 à 25 %, même s'il convient d'opérer les comparaisons avec prudence dans la mesure où les périmètres ne sont pas strictement identiques. Au Royaume-Uni, de nombreuses fonctions ont été externalisées, les salaires sont supérieurs et le budget de fonctionnement par homme est cinq fois plus élevé que celui des armées françaises. L'écart le plus important concerne la marine et il devrait s'accroître avec la commande de deux porte-avions.

Le choix du mode de propulsion du deuxième porte-avions ainsi que le degré de coopération avec les Britanniques sur l'ensemble de ce programme peuvent conduire à d'énormes variations de coûts et de calendrier. La propulsion nucléaire est plus chère à l'achat et à l'entretien que la propulsion à gaz, mais elle présente d'autres avantages. Les deux modes de propulsion permettent en tout état de cause de fournir la puissance nécessaire pour l'emport et la mise en _uvre de nos avions embarqués. Le choix est donc difficile.

M. Alain Moyne-Bressand a demandé au général Jean-Pierre Kelche si son rôle international incluait un rôle d'appui et de promotion des matériels militaires construits par des groupes industriels militaires français. Il a ensuite évoqué la possibilité de construire un deuxième porte-avions sous l'égide de l'Union européenne. Il a enfin déploré la faiblesse du taux d'encadrement au sein de la gendarmerie, qui est inférieur de moitié à celui des trois autres armées.

Le général Jean-Pierre Kelche a répondu que, si ses activités internationales représentent 45 % de son temps, en aucun cas il n'est un agent commercial de l'industrie militaire française. Néanmoins, au cours d'un dialogue avec ses homologues, son discours stratégique et tactique peut tenir compte de certains enjeux.

En ce qui concerne le second porte-avions, une construction au sein de l'Union européenne n'est pas envisageable, car un consensus serait très difficile à obtenir, de même qu'un financement dès lors que l'équipage serait français. Du reste, la construction d'un porte-avions franco-britannique à usage alterné, un temps évoquée, a été abandonnée. La construction d'un second porte-avions ne sera lancée que si la loi de programmation militaire pour la période 2003-2008, ainsi que la suivante, prévoient les ressources nécessaires pour un tel programme.

Rappelant qu'il n'avait pas autorité sur la gendarmerie, il a estimé que les besoins d'encadrement de cette arme diffèrent de ceux des trois autres armées, la répartition et le taux d'encadrement n'obéissant pas aux mêmes critères. Si la présence sur le terrain des gendarmes est de plus en plus réclamée, une telle évolution ne nécessite pas forcément un encadrement plus important.

M. Antoine Carré a demandé comment évoluent les crédits consacrés à la dissuasion nucléaire.

Le général Jean-Pierre Kelche a indiqué que ce domaine avait été correctement doté par le projet de loi de programmation militaire 2003-2008 déposé par le gouvernement précédent, que les montants prévus ne devraient pas connaître d'évolution significative, autre que d'ajustement, et que les choix ne devraient pas être remis en cause.

Soulignant l'importance nouvelle de l'expertise juridique en matière militaire, M. Jérôme Rivière a demandé s'il existait une expertise juridique au sein de l'état-major et si la nécessité de prendre en compte des exigences juridiques pouvait entraver l'accomplissement de certaines missions. Il a évoqué l'externalisation de certaines fonctions au sein de l'armée, en citant l'exemple de la Grande-Bretagne, qui a eu recours à des sociétés privées pour la construction de camps. Il a demandé quel en serait le coût, et si cela était envisagé par la loi de programmation militaire à venir.

Le général Jean-Pierre Kelche a répondu que la société attache de plus en plus d'importance à ce qu'un risque soit mesuré et consenti, et non subi. Dans ces conditions, lorsqu'un risque est signalé, le commandement ne passe plus outre, comme il a peut-être pu le faire autrefois. Les armées doivent composer avec cette nouvelle exigence de la société. Pour traiter ces questions, le ministère de la défense dispose d'une direction des affaires juridiques. L'état-major des armées y a recours. Pour les mêmes raisons, chaque commandant d'opération est doté d'un adjoint chargé de traiter les questions juridiques.

Dans une armée professionnelle, l'externalisation doit être développée autant que possible. La seule limite reste le maintien de la capacité opérationnelle des armées et de leur disponibilité sur les théâtres d'opération. Les armées britanniques sont sans doute allées trop loin dans le recours à l'externalisation. Mais la restauration, par exemple, et même le gardiennage des quartiers doivent pouvoir être externalisés. La question est alors de négocier les marchés de façon profitable. Les premières tentatives n'ont pas toujours été concluantes et, dans certains domaines, les approches ont dû être modifiées.

M. Joël Hart a demandé quelles sont les conséquences de la domination américaine dans le domaine du repérage spatial, à travers le système GPS (global positioning system), sur l'indépendance de décision des pays européens et notamment de la France.

Le général Jean-Pierre Kelche a fait remarquer que le développement par les Européens du système Galiléo apparaissait comme la réponse à ces préoccupations. Brouiller le GPS est aujourd'hui en pratique impossible, l'ensemble du fonctionnement de l'aviation civile étant basé sur ce système.

Relevant que la mise en _uvre de la loi de programmation militaire 1997-2002 avait entraîné nombre de regroupements de moyens et de dissolutions d'unités, M. Philippe Folliot a posé la question de la prise en compte des questions d'aménagement du territoire dans la programmation 2003-2008.

Le chef d'état-major des armées a répondu que, au contraire de la programmation précédente, la programmation 2003-2008 était construite sur un schéma stabilisé d'implantation des bases et unités ; seules, de rares décisions d'aménagement à la marge sont prévisibles. Elles impliqueront des mesures de compensation.

M. Christian Ménard, évoquant les difficultés de recrutement du service de santé des armées, a demandé quelles en étaient les conséquences sur les théâtres de crises.

Le général Jean-Pierre Kelche a indiqué que le nécessaire était fait pour que les théâtres de crises soient correctement pourvus en personnel médical. En revanche, des problèmes peuvent exister dans les garnisons, entraînant le recours à des médecins civils. Les hôpitaux militaires manquent non seulement de médecins, mais aussi de militaires infirmiers et techniciens des hôpitaux des armées (MITHA). Dans la mesure où les médecins militaires sont prioritairement projetés en opérations extérieures, l'activité des hôpitaux militaires se réduit et, comme leur budget est basé sur leur activité, le service de santé des armées entre dans une spirale dangereuse. L'objectif est de recruter davantage de médecins ; des recrutements nombreux sont prévus par le projet de loi de programmation militaire. Plus immédiatement, un effort est actuellement consenti pour recruter des thésards, mais leur nombre est encore trop faible.

M. Gilbert Le Bris a interrogé le chef d'état-major des armées sur la pérennité du lien armée-nation, alors que la professionnalisation est quasiment terminée, se demandant si ce qu'il a appelé la « proximité sentimentale » entre la nation et son armée passait par d'autres canaux, tels que l'externalisation ou la réserve.

Relevant avec plaisir l'expression « proximité sentimentale », le général Jean-Pierre Kelche a indiqué qu'il n'avait aucune inquiétude sur la pérennité du lien entre la nation et son armée : 85 % des Français ont une opinion favorable ou très favorable sur les armées, ce qui est le meilleur taux depuis très longtemps. La nature des crises dans lesquelles les armées sont engagées, notamment celle du Kosovo, le sentiment qu'elles sont compétentes et dévouées ainsi sans doute que la fin du service national, sont à l'origine de cette popularité qui doit être entretenue.

Par ailleurs, le caractère local du recrutement, et donc de la reconversion, constitue un atout essentiel à la pérennité du lien entre la nation et ses armées. Les armées sont très attachées à son enracinement ; des partenariats sont recherchés, grâce notamment aux réseaux régionaux de l'IHEDN. Aujourd'hui, le taux de reclassement dans les six mois, quel que soit le grade, est ainsi très élevé, l'appui des armées aux personnels qui les quittent et qu'elles apprécient constituant pour ceux-ci un atout. Or, la reconversion va concerner chaque année 25 000 militaires, qui seront les meilleurs agents du lien armée-nation, mais aussi les meilleurs agents potentiels de recrutement s'ils quittent l'armée satisfaits de leur carrière militaire.

M. Michel Voisin, président, a demandé quel était l'impact de la dégradation du taux de disponibilité des matériels sur le niveau d'entraînement des forces. Il a également souhaité savoir quelle était désormais la chaîne de commandement de la gendarmerie sur les théâtres d'opérations extérieures. Après avoir observé que les crédits consacrés au plan réserves 2000 étaient en augmentation ces dernières années, il a demandé si le niveau des effectifs des réserves correspond à l'objectif fixé par la loi d'octobre 1999.

Le général Jean-Pierre Kelche a répondu que le taux de disponibilité des matériels, bien qu'il soit médiocre, ne pesait pas sur le niveau d'entraînement des effectifs, le volume d'équipements restant suffisant pour permettre aux personnels de participer aux exercices nécessaires à leur qualification opérationnelle. Si le taux d'entraînement des personnels a pu être insuffisant dans le passé, cette situation résulte principalement d'un déficit en crédits de fonctionnement et des opérations de restructuration elles-mêmes.

La gendarmerie a accompli un travail exemplaire sur tous les théâtres d'opérations extérieures où elle est engagée. Par ses actions de renseignement, de présence et de maintien de l'ordre dans des conditions difficiles, elle a désamorcé un certain nombre de situations délicates, notamment à Mitrovica.

Enfin, la constitution d'une réserve opérationnelle reste une véritable préoccupation. Les crédits prévus à cet effet n'ont pas tous été utilisés. Il y a une vraie difficulté avec les effectifs, non pas d'officiers et de sous-officiers, mais plutôt des militaires du rang dont seulement 12,5 % des besoins sont actuellement couverts. La ministre de la défense a chargé les états-majors des armées de consacrer en priorité leurs efforts au recrutement de réservistes du rang. Des mesures devraient être prochainement prises à cette fin.

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Informations relatives à la commission

La commission a procédé à la nomination de rapporteurs d'information. Ont été nommés :

- M. Gilbert Meyer, sur l'entretien des matériels des armées ;

- M. Jérôme Rivière, sur la formation des cadres dans les écoles militaires ;

- M. Christian Ménard, sur le service de santé des armées.

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