COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 25

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 15 janvier 2003
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

pages

- Audition de M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN

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- Information relative à la commission

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Audition de M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN.

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu M. Jean-Marie Poimboeuf, directeur de DCN.

M. Jean-Marie Poimboeuf a indiqué que le calendrier de changement de statut de la société est désormais défini. Un premier scénario valorisant les apports à la nouvelle société en se fondant sur des comptes estimatifs de DCN pour 2002 et permettant un changement de statut en janvier 2003 a été écarté, car il nécessitait un réajustement a posteriori après la sortie des comptes, qui aurait dû être gagé par une garantie législative. Un deuxième scénario fondé sur les comptes définitifs de DCN, plus simple à mettre en œuvre, a été préféré, même s'il repousse le changement de statut au mois de mai, lorsque seront connus les comptes définitifs relatifs à l'exercice 2002.

Ce scénario a été retenu de manière conjointe par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et par celui de la défense. Trois conditions sont nécessaires pour sa bonne réalisation :

- les comptes définitifs pour l'année 2002 devront être connus dès la fin du mois de mars afin de pouvoir les réviser en avril. La réduction des délais réalisée depuis l'année 2000 en matière de comptabilité permet d'être confiant sur ce point ;

- les décisions relatives à la capitalisation de la société devront être prises par le Gouvernement d'ici la mi-février, afin que le montant soit inscrit dans le traité d'apport. DCN estime le niveau de capitalisation nécessaire au tiers de son chiffre d'affaires, c'est-à-dire à environ 540 millions d'euros. La décision définitive sera prise conjointement par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et par celui de la défense ;

- une étude devra être achevée d'ici fin janvier afin de déterminer si de nouveaux textes législatifs sont nécessaires au changement de statut, notamment en ce qui concerne la garantie du passif de la société dans le domaine environnemental.

Les mois à venir seront utilisés pour parfaire la préparation au changement de statut, en particulier en matière de management. Certains cadres, comme le directeur des ressources humaines, ont déjà été recrutés à l'extérieur de la société. D'autres experts doivent rejoindre celle-ci, tels que le directeur du contrôle de gestion et le directeur juridique, qui apporteront des compétences qui n'existaient pas jusqu'à présent au sein de DCN. Les outils de pilotage seront renforcés et la définition des objectifs fixés à la nouvelle société sera achevée.

L'objectif du changement de statut est d'améliorer les performances de DCN et de lui permettre de nouer des alliances. Des dispositions transitoires sont à l'étude afin de permettre à la société d'être plus réactive en matière d'achat, notamment de pouvoir passer certains marchés sans attendre le changement effectif de statut prévu au mois de mai. De la même manière, en matière de ressources humaines, les recrutements nécessaires seront engagés le plus tôt possible, afin que le décalage de quatre mois dans la mise en place de la nouvelle société ne soit pas pénalisant. Une centaine de postes prioritaires a déjà été identifiée.

Le plus important est que le calendrier soit aujourd'hui bien défini ; c'est un élément majeur pour la réussite de la transformation de la société.

M. Jean-Yves Le Drian a rappelé que l'article 36 de la loi de finances rectificative pour 2001 ayant abouti au changement de statut de DCN faisait obligation au Gouvernement de transmettre aux commissions des finances et de la défense des deux assemblées un rapport sur son exécution, avant le 31 décembre 2002, ainsi que pour les années suivantes. Or, un tel rapport n'a pas été transmis à ce jour. Cet article résultait d'un amendement unanime de la commission et répondait au souci de garantir l'information du Parlement. Il serait souhaitable de rappeler au Gouvernement les obligations que lui impose la loi.

Alors que la mise en œuvre de la réforme a déjà été longtemps retardée, il est regrettable que quatre à cinq mois supplémentaires soient perdus, ce qui suscite des interrogations et des inquiétudes, voire des découragements parmi les salariés. Un changement de statut en janvier 2003 aurait certes été juridiquement plus difficile, mais il aurait été politiquement souhaitable. Au moins peut-on espérer que le calendrier annoncé sera respecté.

Plusieurs questions restent en suspens :

- l'évolution du paysage industriel européen dans la construction navale au cours des derniers mois et la stratégie de DCN dans ce nouveau contexte ;

- les réflexions sur l'avenir des relations entre DCN et la société Armaris ;

- les difficultés techniques en matière de personnel, notamment les questions de représentativité ; DCN est-elle en situation de commencer à recruter ?

- le contrat d'entreprise, sujet très important qui alimente les inquiétudes du personnel.

M. Jean-Marie Poimboeuf a indiqué que les principales évolutions dans l'industrie de la construction navale ont eu lieu avant l'automne, notamment l'offensive des Etats-Unis dans ce secteur. La société allemande HDW, principal constructeur et exportateur mondial de sous-marins à propulsion classique, a été rachetée par la banque américaine One Equity Partner. Aujourd'hui encore, on ne sait pas s'il s'agit d'une simple opération financière ou d'une action pour le compte d'un industriel américain. Cette opération fait suite à l'alliance conclue par General Dynamics avec la société espagnole Izar dans le domaine des bâtiments de surface, qui lui a permis de remporter le marché des frégates norvégiennes en proposant des bâtiments équipés de matériels américains. Le groupe américain a aussi des projets de rapprochement avec Izar dans le domaine des sous-marins. L'implantation d'industries américaines en Europe représente une concurrence directe pour DCN ; contrer ces offensives suppose la réalisation rapide de la transformation de son statut juridique pour lui permettre de nouer les alliances indispensables. Les perspectives de coopération avec le Royaume-Uni concernant la construction de porte-avions constituent un autre dossier important.

Les relations entre DCN et Thales progressent. La société Armaris, créée à parité entre les deux entreprises pour la maîtrise d'œuvre d'ensemble et la commercialisation de projets à l'exportation, est aujourd'hui opérationnelle. Des contrats autrefois obtenus et mis en œuvre par DCN International lui ont été transférés. Elle poursuit des activités de prospection en Europe, au Moyen-Orient et en Extrême-Orient, et travaille sur le projet de frégates multimissions commun à la France et à l'Italie.

Les personnels, dans tous les établissements et quel que soit leur statut, restent inquiets de l'évolution de DCN. Cette inquiétude est légitime, car la transformation de DCN en société constitue une évolution profonde, qui touche un établissement dont l'histoire remonte à plusieurs siècles. Une analyse conduite sur les valeurs au sein de la société montre un attachement du personnel très fort à DCN et à ses métiers, liés à la mer et à la défense nationale.

Pour répondre à ces inquiétudes, la direction a pris plusieurs initiatives. Dans chaque établissement, une cellule d'information, constituée de personnels spécialement formés, a été mise en place pour répondre de façon individuelle aux interrogations des salariés. Plus de 1 500 personnes ont déjà été reçues par ces structures. Un service a été mis en place sur l'intranet de DCN dans ce même objectif. Deux comités ont été constitués pour organiser le dialogue avec les partenaires sociaux : d'une part, le comité de concertation sociale, destiné à les informer sur toutes les questions générales, notamment le projet d'évolution de la société et de son statut, le fonctionnement de l'entreprise et ses perspectives économiques ; d'autre part, le comité de négociation sociale, destiné à traiter des dossiers relatifs à l'accord d'entreprise (institutions représentatives, droit syndical, rémunérations, prévoyance et retraite, organisation du temps de travail). Après quelques réunions, les partenaires sociaux ont suspendu leur participation à ces comités, jugeant que leur information était insuffisante, en particulier sur le contrat d'entreprise. Pour progresser sur la représentativité des personnels dans la future entreprise, la ministre de la défense a adressé à la direction de DCN, à la demande de celle-ci, une lettre exposant sa volonté de répondre positivement aux revendications des partenaires sociaux dans ce domaine. Cette lettre a été confirmée par un courrier de son directeur de cabinet aux partenaires sociaux.

Les travaux sur le contrat d'entreprise se poursuivent au sein des services concernés de l'Etat. Une première version du contrat d'entreprise devrait pouvoir être présentée aux partenaires sociaux fin janvier.

M. Jérôme Rivière s'est inquiété des conditions de la constitution du capital de la nouvelle société. Alors que le rapport annexé au projet de loi de programmation militaire exclut du périmètre de celle-ci le financement de la recapitalisation d'entreprises publiques, il semble qu'au sein de l'administration, des oppositions à tout appel de fonds qui ne proviendrait pas des dotations du ministère de la défense se manifestent.

M. Philippe Vitel a estimé que la situation était très tendue à Toulon entre le service de soutien de la flotte (SSF) et DCN. Leurs compétences respectives ne sont pas bien définies. Comment mettre fin à cette situation très pesante pour la vie et l'avenir de Toulon ? Quelles garanties peuvent être apportées au maintien de l'entretien des sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) à Toulon ? Comment peut-on remédier aux problèmes de communication interne à l'origine de l'inquiétude des personnels ?

M. Jean Lemière a interrogé le directeur de DCN sur l'état d'avancement de la répartition des emprises industrielles entre la marine et DCN et sur les mutations en cours à la tête de certains établissements, en demandant si elles sont liées à la nouvelle politique en matière de ressources humaines. Il a également souhaité savoir où en est le projet de vente de sous-marins Scorpène au Portugal.

M. Jean-Marie Poimboeuf a fait part de sa confiance sur la capitalisation de DCN, le besoin exprimé par l'entreprise s'appuyant sur les données solides issues d'études internes et externes. La question du mode de financement ne relève pas de la responsabilité de DCN.

Les rapports entre la marine et DCN sont constructifs et positifs. L'évolution de DCN se fait au profit de la marine, qui disposera à terme d'un outil industriel plus performant, en raison de la levée des lourdes contraintes administratives. La répartition des tâches entre le SSF et DCN est claire. Le SSF est un maître d'ouvrage dont la mission est de contracter auprès d'industriels les prestations dont la marine a besoin pour l'entretien de ses navires. Il ne dispose pas de moyens industriels propres et les ateliers de la flotte sont distincts du SSF. Les craintes du personnel résident davantage dans le mode de contractualisation du SSF et sur la mise en concurrence qui en résultera. Les discussions actuelles portent sur les modalités d'une mise en compétition progressive et organisée des industriels. DCN montrera sa capacité à faire face à cette concurrence. Le mode idéal de contractualisation a besoin d'être encore amélioré pour le maintien en condition opérationnelle (MCO). Les négociations donnent lieu à quelques frictions, mais la volonté d'aboutir est réelle. Le SSF est maître d'ouvrage et DCN est maître d'œuvre. Il existe toutefois un risque que le SSF se transforme en maître d'œuvre en découpant les opérations du MCO en sous-opérations.

En ce qui concerne le MCO des SNA, l'activité restera à Toulon à court et moyen terme. En 2006, il faudra toutefois tenir compte de l'indisponibilité périodique pour entretien et réparation (IPER) du porte-avions nucléaire dans le programme de charge ; elle constituera un pic d'activité considérable, qui devrait durer dix-huit mois et représenter un million d'heures de travail. Aucune décision sur l'après 2006 n'est arrêtée à l'heure actuelle.

Des efforts particuliers sont consentis pour apporter des réponses aux questions que se posent les personnels, beaucoup souhaitant déjà prendre connaissance de leur futur contrat de travail. L'objectif est de présenter à 80  % des personnels, soit 2 800 personnes, les contrats types à la fin du mois de mars.

Le partage des immobilisations est désormais achevé, les autorisations et conventions d'occupation temporaire étant presque prêtes, pour une signature prévue en février.

En matière de management, la mobilité des directeurs de site est en fait moindre qu'auparavant, l'objectif étant désormais de privilégier la performance et de ne pas se laisser enfermer dans des règles administratives de mutation automatique trop rigides. Il n'y a pas de dogmatisme dans la politique de changement des équipes à la tête des établissements. Dans le cadre de la future organisation, les établissements équipementiers et chargés du MCO seront constitués en centres de profit, ce qui conduira à un accroissement des responsabilités des directeurs de sites en matière de commerce, d'achats, de ressources humaines et d'activité industrielle. La reconquête de la confiance de la marine ne pourra venir que du terrain et il est nécessaire de transférer des responsabilités et des moyens au niveau local.

En ce qui concerne le projet de vente de sous-marins Scorpène au Portugal, les négociations se poursuivent ; toutefois, l'aboutissement du dossier ne devrait pas intervenir avant 2004.

M. Jean-Claude Viollet a souhaité avoir des précisions sur les modalités de l'élaboration du futur contrat d'entreprise. Soulignant la nécessité de mettre au point l'accord et le contrat d'entreprise avant le changement de statut, il a également indiqué que les recrutements d'emplois ciblés devaient être faits au plus vite pour répondre aux besoins des établissements et restaurer la confiance des personnels.

M. Michel Voisin a demandé les raisons du retard pris par DCN pour la sortie de ses comptes pour l'année 2000, remis fin 2001 et révisés en 2002, ce qui rend tout contrôle de gestion obsolète.

S'agissant des tensions entre le SSF et DCN, M. Charles Cova a indiqué que le morcellement des contrats opéré par la marine correspondait à la volonté de garder la maîtrise des équipes sur les sous-traitants. Il a également demandé si une échéance avait été fixée pour le transfert de l'activité d'entretien des SNA à Brest. En effet, le transfert de celle-ci impliquerait à Brest l'aménagement du bassin n° 10, qui nécessiterait alors deux à trois années.

Rappelant que le contrat d'entreprise était encore en cours de discussion avec les services concernés, M. Jean-Marie Poimboeuf a indiqué que celui-ci viserait à donner une vision de l'activité de DCN la plus précise possible, notamment en matière de chiffre d'affaires et de positionnement sur les contrats. Les craintes des personnels sur le programme en coopération des frégates multimissions ne sont pas fondées, car les accords d'Armaris seront appliqués strictement : DCN est l'autorité de conception du navire entier au niveau français et Armaris ne peut sous-traiter la plate-forme qu'à DCN. L'accord et le contrat d'entreprise doivent être mis au point avant le changement de statut, ce que permettra le calendrier finalement retenu. Les recrutements importants figurant dans le plan à moyen terme de DCN concerneront plus de 1 000 personnes au cours des trois années à venir, réparties dans tous les sites et toutes les catégories de personnel. Une équipe est d'ores et déjà affectée à ces recrutements, qui se feront le plus tôt possible à travers DCN Développement.

Les comptes de l'année 2000 ont été les premiers à être réalisés dans le cadre du plan comptable général et ils ont nécessité un changement d'outil comptable et l'aide d'un cabinet extérieur. Pour l'année 2001, DCN a achevé ses comptes dans un délai de six mois et les comptes pour 2002 seront sortis en trois mois.

S'agissant du MCO, DCN ne disposait pas jusqu'ici des capacités d'achat et des moyens humains lui permettant d'avoir la maîtrise des équipes intervenant dans le MCO. DCN passe 30 000 actes d'achats dans le cadre du code des marchés publics par an, ce qui est pénalisant pour sa réactivité. Il faut dorénavant imaginer DCN dans son futur statut de société qui lui permettra de réaliser de réels progrès.

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Information relative à la commission

La commission a nommé M. Marc Joulaud rapporteur pour le projet de loi, déposé sur le bureau du Sénat, relatif à la répression de l'activité de mercenaire.

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