COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 27

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 23 juin 2004
(Séance de 11 heures)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Charles Edelstenne, président-directeur général de Dassault aviation

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Audition de M. Charles Edelstenne, président-directeur général de Dassault aviation

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu M. Charles Edelstenne, président-directeur général de Dassault aviation.

M. Charles Edelstenne a présenté la situation du programme Rafale. Ce programme répond à un concept initial clair, celui d'un avion polyvalent, pour l'armée de l'air et l'aéronavale, capable d'intervenir sur des théâtres d'opérations divers, seul ou en coalition. Les caractéristiques du programme sont toujours d'actualité : une grande puissance de feu, l'interopérabilité, la polyvalence, la souplesse d'emploi, une forte capacité de survie et une capacité d'évolution aisée.

Le programme était doté d'un calendrier initial cohérent : développement lancé en 1988 et premier avion de série prévu en 1998. A cette époque, l'industrie avait accepté de financer 25 % du développement, afin d'avancer de 1998 à 1996 la date de livraison du premier avion de série et d'en faciliter l'exportation. Les contraintes budgétaires et les étalements imposés ont cependant érodé cette cohérence initiale. La constitution du premier escadron destiné à l'armée de l'air a été décalée de huit ans, de 1997 à 2005. Des obsolescences coûteuses, concernant les composants, sont apparues. Le programme a dû faire face à une concurrence renforcée, qui inclut maintenant l'appareil américain F35, ex-JSF (Joint Strike Fighter). De plus, ce programme a souffert d'une remise en cause récurrente de sa crédibilité, de sa stabilité et de sa cohérence. Aujourd'hui, dix Rafale Marine ont été livrés, de septembre 1999 à octobre 2002, ce qui représente un avion tous les quatre mois, suivi d'un arrêt de production de dix-huit mois. Le nombre d'heures de vol réalisé est très faible, 3 600 heures à la fin 2003, alors qu'il est d'usage de considérer que la maturation et la fiabilité d'un avion de combat sont acquises à 100 000 heures de vol. La livraison du premier escadron à l'armée de l'air a été repoussée de 1996 à 2005. Alors que le programme initial prévoyait 137 avions livrés à la fin 2000, il n'y en a eu que cinq. Aujourd'hui, treize avions ont été livrés.

Ce programme peut être cependant qualifié de raisonnable. Les coûts ont été maîtrisés. Pour le développement, l'industrialisation et les rechanges de 294 avions, il aura coûté sur trente ans à la Nation 26 milliards d'euros. Cela représente 11 % du titre V sur la programmation 2003-2008. L'industrie aura financé 25 % du développement, soit 12 milliards d'euros dépensés pour avancer l'exportation de 1998 à 1996. Malgré une hausse de 30 % du coût du développement du fait de l'étalement du programme, l'effort fait par les industriels sur la production des appareils et les prix de série a permis de respecter l'enveloppe initiale. Le programme Rafale est le seul programme au monde à avoir respecté son budget initial.

Aujourd'hui, il faut constater une maturation correcte du porteur : 160 modifications en cours ont été décidées et quelques équipements identifiés ont posé un problème de fiabilité désormais résolu. Ce résultat a été obtenu malgré une mise en œuvre opérationnelle très rapide sans les périodes de validation nécessaires à la résolution des problèmes de maturation. Le premier client, la Marine, n'avait pas reçu d'avions neufs depuis plus de quarante ans. Les essais opérationnels ont été effectués dans des conditions très difficiles, sur un porte-avions parfois éloigné de 12 000 kilomètres du territoire national. Les équipes de la Marine et les industriels ont réussi à résoudre en un temps record les difficultés de jeunesse inhérentes à un tout nouveau programme. Le Rafale va être déclaré opérationnel par la Marine le 25 juin prochain. Il faut noter que le programme américain F22 rencontre sur certains de ses équipements les mêmes difficultés que le Rafale a déjà résolues.

Le bilan industriel et financier des treize premiers avions est positif. L'introduction de nouveaux processus dans la fabrication a accru les gains de productivité par rapport aux anticipations et les négociations de prix avec les fournisseurs devraient permettre de ne pas dépasser l'enveloppe prévue.

Le programme Rafale est ainsi un programme au coût maîtrisé, nettement inférieur à ceux des avions américains, F35 compris, un programme dont le coût de développement est trois fois inférieur à celui de l'Eurofighter et dont l'exportation reste toujours possible.

Avec 26 milliards d'euros de coût budgétaire total pour 294 appareils, le coût unitaire du Rafale est de 89 millions d'euros. Au cours de 1 dollar pour 1 euro, le coût unitaire du F35 (2 443 appareils pour 240 milliards de dollars) est de 98 millions d'euros, pour une série dix fois plus nombreuse. Ce coût, au contraire du Rafale qui est désormais en production, est susceptible d'augmenter. L'estimation du coût « fly away » hors développement et armements, des exemplaires du F35 destinés à l'US Air force est aujourd'hui de 58 millions de dollars par appareil pour une estimation initiale de 37 millions de dollars.

Une comparaison peut aussi être faite avec l'Eurofighter. Dans sa version multirôles, le coût de développement de l'Eurofighter est de 21,6 milliards d'euros, trois fois celui du Rafale. Le coût budgétaire pour l'Allemagne est de 26,2 milliards d'euros pour 180 appareils, soit 146 millions d'euros par appareil ; pour le Royaume-Uni, il est de 33,6 milliards d'euros pour 232 appareils, soit 145 millions d'euros par appareil.

Contrairement aux prévisions initiales, le programme Rafale revient ainsi moins cher au budget de la France que ne lui aurait coûté une participation à l'Eurofighter.

Enfin, le programme Rafale peut offrir d'importantes retombées à l'exportation. Outre l'intérêt politique et diplomatique pour la France, l'exportation des avions de combat et de l'armement associé a un poids économique important en termes d'emplois, de revenus fiscaux et de balance commerciale. Selon les statistiques de la délégation générale pour l'armement (DGA), les avions de combat représentent 49 % des commandes étrangères de matériels militaires à la France de 1992 à 2001 et 28,2 milliards d'euros. L'exportation induit d'autres conséquences positives : la diminution du prix des avions et du soutien par l'allongement des séries et le maintien en activité des chaînes de production et des équipes du programme, le financement par des clients à l'exportation de certains développements de fonctions et de matériels, adoptés ensuite par les armées françaises (on peut citer le pod Damoclès ou les nouveaux calculateurs EMTI), l'augmentation de la capacité d'autofinancement, du fait des marges supplémentaires réalisées, et le maintien des compétences en l'attente du lancement du prochain programme. L'exportation contribue enfin à la compétitivité des industriels en les confrontant à leurs concurrents étrangers.

M. Charles Edelstenne a conclu que la réussite du programme passait par trois éléments. La crédibilité, qui repose sur la notification du standard F3, est le socle technique du programme à l'exportation. La stabilité suppose la notification du prochain contrat, portant sur 59 avions et le traitement des obsolescences, avec un calendrier de livraison devant permettre des cadences minimales de 1,5 appareil par mois. Enfin, la cohérence implique, pour répondre à la concurrence apparue du fait de l'étalement du programme, le lancement de quelques fonctionnalités supplémentaires peu coûteuses, notamment l'antenne active, indispensable pour mettre en œuvre le missile air-air Meteor à partir de 2012.

Après avoir rappelé que la livraison des premiers avions Rafale pour les escadrons de l'armée de l'air aurait dû intervenir en mars dernier, mais qu'elle avait été retardée, le président Guy Teissier a demandé s'il était exact que cette livraison devrait débuter en septembre 2004.

M. Charles Edelstenne a répondu que tel était bien le calendrier prévu.

Se félicitant que l'entreprise ait réussi à surmonter les importants retards ayant affecté le programme Rafale, et rappelant les difficultés importantes rencontrées par le programme Eurofighter, M. Bernard Deflesselles a demandé quel avantage concurrentiel Dassault Aviation pouvait tirer de cet état de fait.

M. Charles Edelstenne a répondu que, sur les marchés à l'exportation, trois données devaient être prises en compte : les performances des matériels et leur prix, qui doivent correspondre aux conditions du marché international, mais aussi l'environnement politique. L'avion Rafale est bien placé s'agissant des deux premiers critères. En revanche, le dernier peut parfois poser des difficultés. Ainsi, en Corée du Sud, la commission chargée d'évaluer les différentes offres avait placé le Rafale en tête, tandis que tous les signaux montraient la préférence de l'armée de l'air coréenne pour cet appareil ; toutefois, cela n'a pas suffi à l'emporter sur l'influence des Etats-Unis, dont 35 000 militaires sont stationnés dans ce pays. Les Pays-Bas ont procédé à une évaluation des différents appareils sur 700 critères : l'avion américain Joint Strike Fighter a obtenu le score de 697 points sur 850 et le Rafale 695 points, soit seulement deux de moins, mais cela a suffi pour que les Pays-Bas retiennent sans hésitation l'appareil américain, qu'ils n'avaient pu évaluer en vol à la différence du Rafale.

De façon générale, la France a longtemps constitué la seule alternative pour les Etats qui souhaitaient s'affranchir de la dépendance envers les équipements militaires fournis par les deux grandes puissances mondiales, les Etats-Unis et l'URSS, puis, à l'issue de la guerre froide, par les seuls Etats-Unis. L'apparition de l'avion Eurofighter aurait pu remettre en question cet avantage concurrentiel français, mais les résultats techniques des compétitions montrent que tel n'est pas le cas.

M. Jean-Michel Boucheron a souhaité savoir si les difficultés rencontrées dans la mise au point du radar du Rafale étaient résolues ou sur le point de l'être. Rappelant ensuite leur caractère prioritaire du point de vue de la recherche et du développement, il a demandé quel était l'état d'avancement des projets de drone UCAV (unmanned combat aerial vehicle) et MALE (moyenne altitude longue endurance).

M. Charles Edelstenne a répondu que la technologie du radar à antenne active était désormais maîtrisée par les industriels français. Subsiste la question du financement de son industrialisation. Les armées françaises considèrent désormais que cette technologie, qui accroît considérablement la portée du radar, constitue une avancée dont elles ont besoin. Parallèlement, Singapour, qui souhaite qu'un tel radar équipe ses appareils, est désireux de la garantie que constituera son installation sur les Rafale français. Cette question devrait être résolue à l'horizon 2012.

S'agissant des drones, la ministre de la défense a annoncé en juin 2003 le lancement du programme de démonstrateur UCAV. Ce programme est ouvert à des coopérations européennes. La Suède et la Grèce ont signé pour une participation à ce programme ; la semaine dernière, M. Philippe Camus a annoncé l'entrée de l'Espagne, par l'intermédiaire d'EADS. La Suisse a aussi manifesté son intérêt. Ce programme a trois objectifs principaux : en premier lieu, il doit permettre d'assurer le maintien au meilleur niveau des compétences en matière d'aviation de combat en Europe, puisque de nouveaux programmes ne devraient pas apparaître dans ce domaine avant environ vingt-cinq ans, eu égard à la durée de vie des programmes actuels, Rafale, Eurofighter, Joint Strike Fighter, voire F22. Par ailleurs, le développement de ce démonstrateur fournira l'occasion de développer des technologies nouvelles pour les futurs programmes opérationnels d'avion de combat, avec ou sans pilote. Enfin, il permettra de constituer des équipes européennes dans la perspective de la conduite du futur programme d'avion de combat européen, car il n'y aura sans doute plus d'avion de combat développé à l'échelon national à l'avenir.

Le ministère de la défense a veillé à ce que la coopération internationale se fonde sur les compétences des industriels des différents pays et sur la volonté de ces derniers de participer financièrement à un tel programme ; cette approche tire les enseignements du programme Eurofighter, pour lequel la répartition des tâches s'est faite en fonction des technologies critiques que chaque pays cherchait à acquérir.

Enfin, le projet d'avion non piloté de reconnaissance EuroMALE, également d'initiative française, est lui aussi ouvert à des partenaires européens.

Un accord industriel a été conclu par Dassault Aviation et EADS sur ces deux programmes. Il organise un partage des tâches en fonction des compétences de chacun. Eu égard à ses compétences en matière d'avions de combat, Dassault Aviation conservera la maîtrise d'œuvre de l'UCAV. Pour mémoire, lorsque la France était encore partie prenante au programme Eurofighter, Dassault Aviation s'en était vu attribuer la maîtrise d'œuvre technique. EADS aura un rôle de partenaire, notamment pour la réalisation des stations au sol de liaisons de données et des structures en matériaux composites de l'aéronef. Pour ce qui concerne l'EuroMALE, dont la maîtrise d'œuvre échoit à EADS, Dassault Aviation assurera la sous-maîtrise d'œuvre du vecteur aérien et de son pilotage.

Après avoir observé que les investissements nécessaires à l'EuroMALE sont différents dans leur ampleur de ceux qui concernent l'UCAV, M. Jérôme Rivière a constaté que le projet sous maîtrise d'œuvre d'EADS avait fait l'objet, en dépit de son nom, d'une présentation à dominante nationale. Il a souhaité savoir si cette situation n'était pas susceptible de soulever des réticences, voire des rejets, de la part des éventuels partenaires européens. Par ailleurs, alors que 60 % des flottes aériennes des pays de l'OTAN sont désormais d'origine soviétique et qu'il paraît difficile de confier purement et simplement à des entreprises russes le maintien en condition opérationnelle de ces appareils, il a demandé quelles possibilités de coopération étaient envisageables pour Dassault Aviation avec les industriels de l'ex-bloc soviétique pour accéder à ce marché potentiel.

M. Charles Edelstenne a répondu que les caractéristiques de la présentation de l'EuroMALE n'étaient pas surprenantes, dans la mesure où il s'agit d'une initiative française ouverte aux pays européens. Ces derniers ont eu des réactions très positives, en se félicitant notamment que la France prenne de nouveau la tête d'un grand programme aéronautique européen. Les succès antérieurs de programmes comme Ariane ou Airbus montrent que la forte implication française dans un projet aéronautique est loin de constituer un handicap.

Pour ce qui concerne les éventualités de rapprochement aéronautique franco-russe, la volonté industrielle et politique est forte, mais les moyens budgétaires manquent en Russie. Si les autorités russes ont réaffirmé leur soutien politique aux projets de coopération actuellement esquissés, les hypothèques budgétaires ne seront sans doute pas levées avant quelques années.

M. Alain Moyne-Bressand a souhaité connaître les perspectives de débouchés à l'exportation des drones. Il a également demandé si le projet d'avion supersonique de transport de voyageurs, un temps envisagé par Dassault Aviation, était toujours d'actualité et si une coopération avec EADS sur un tel programme était possible.

M. Charles Edelstenne a souligné que ces perspectives étaient différenciées. L'EuroMALE est un projet de démonstrateur opérationnel ; la commercialisation d'un appareil pourrait intervenir assez rapidement. Le marché pour ce type d'équipement est évalué, en Europe, à 3 milliards d'euros. En revanche, il est prématuré d'esquisser d'éventuels débouchés pour l'UCAV. Actuellement, seuls les industriels américains ont lancé le développement de ce type d'appareils, mais, alors que l'objectif initial consistait à fabriquer un appareil plus facile à exposer à l'ennemi, le pilote étant retiré du cycle de combat et le matériel étant moins cher, les résultats ont abouti à créer un avion non piloté plus cher que les avions pilotés. Le projet français ambitionne clairement de développer un UCAV pour un coût modéré. Enfin, les perspectives de commercialisation sont liées à la doctrine d'emploi future de cet appareil ; or, le concept d'emploi des états-majors pour ce type d'équipement n'est, à ce stade, pas complètement arrêté.

Le projet d'appareil supersonique civil se heurte à trois contraintes. En premier lieu, il est indispensable de maîtriser les technologies permettant de supprimer le « bang » supersonique, de manière à permettre le survol par cet avion des terres habitées. Ensuite, il convient d'intéresser un motoriste au développement d'un moteur spécifique, qui devra être dérivé de celui des avions de combat, mais de plus longue endurance et capable de voler plusieurs heures d'affilée, l'investissement prévisible étant de plusieurs milliards d'euros. Enfin, il n'y a sans doute la place que pour un seul appareil ; il n'est donc pas envisageable de mener un tel programme en concurrence ; des discussions sont en cours à ce sujet entre Dassault Aviation et ses homologues américains et russes.

Constatant le retard de près de dix ans subi par le programme Rafale, M. Jean Diébold a demandé si l'avionique de l'appareil présenterait le même caractère de modernité que ses concurrents ou si une mise à niveau coûteuse serait nécessaire.

M. Charles Edelstenne a indiqué qu'une mise à niveau avait déjà été réalisée pour le calculateur de bord, récemment remplacé par un calculateur EMTI (ensemble modulaire de traitement de l'information), à la pointe de la technologie. Se posera également à terme la question de la remise à niveau du radar : lors du lancement du programme, la technologie des antennes actives n'était pas complètement maîtrisée, ce qui est maintenant le cas. Cependant, exception faite de certains composants atteints d'obsolescence qui sont en cours de changement, le Rafale présente le meilleur de la technologie actuelle.

M. Yves Fromion a demandé quels étaient les équipements du Rafale ou du drone MALE qui dépendaient de l'industrie américaine.

M. Charles Edelstenne a répondu que, pour des raisons de politique nationale, aucun équipement ne dépendait d'une industrie étrangère. En revanche, nombre de composants informatiques sont achetés aux Etats-Unis. La question n'est pas celle des savoir-faire, mais celle des coûts. Le problème se pose pour l'ensemble des équipements qui incorporent des outils informatiques.

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