COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 17

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 28 octobre 2003
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Luc Ferry, Ministre de la Jeunesse, de l'Éducation nationale et de la Recherche et de M.  Xavier Darcos, ministre délégué à l'Enseignement scolaire, sur la stratégie de réforme du ministère

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La Commission des finances a procédé à l'audition de MM.  Luc Ferry, ministre de la Jeunesse, de l'Éducation nationale et de la recherche et Xavier Darcos, ministre délégué à l'Enseignement scolaire sur la stratégie ministérielle de réforme de leurs ministères.

M. Luc Ferry, ministre de la Jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, a constaté que, si les Français connaissent le système éducatif dans sa dimension nationale et locale, en revanche, ils connaissent mal les niveaux intermédiaires d'encadrement et les services déconcentrés, qui en constituent pourtant des rouages essentiels. La problématique du rendement de notre système éducatif est tout à fait légitime pour peu qu'elle évite deux écueils : d'une part, l'approcher uniquement sous l'angle du marché : ni les parents, ni les élèves ne sont des « clients » et le rendement doit donc s'apprécier hors de la logique du marché ; d'autre part, le refus de rendre des comptes sous prétexte que l'éducation serait un droit. Il faut donc insister sur la nécessité de rendre compte des moyens budgétaires très importants que la Nation consacre à l'éducation de ses enfants et réfléchir à l'usage des deniers publics.

Sur les dix dernières années, des progrès ont été faits : il y a vingt ans, 5.000 personnes en administration centrale géraient 1 million d'emplois dans les services extérieurs. Aujourd'hui, 3.500 personnes en gèrent 1,3 million.

La perspective principale qui motive ce ministère est de poursuivre la décentralisation et la déconcentration. Malgré les décisions prises au printemps dernier, le projet de loi de décentralisation maintient le transfert des personnels TOSS, soit 95.000 personnes. En outre, concernant les établissements secondaires et universitaires, l'objectif reste un développement de leur autonomie. Ainsi, le recrutement des assistants d'éducation est-il prévu au niveau local.

S'agissant de réformes de gestion, trois chantiers particuliers peuvent être cités à titre d'exemple :

- il faut d'abord améliorer le rendement du système de remplacement qui est aujourd'hui très insuffisant. Les titulaires sur zone (TZR) ne sont utilisés qu'à 46 %, ceci s'expliquant en grande partie par le trop grand nombre de zones au sein de chaque académie. Des réformes sont en cours et dans l'académie de Nice, par exemple, le nombre de zones de remplacement va être divisé par 3, de 12 à 4 ;

- par ailleurs, au moment de la rentrée, il y a des besoins d'enseignants non couverts à certains endroits. Le recrutement d'un contractuel à l'année pour répondre à un tel besoin et le maintien simultanée d'une réserve de TZR implique le paiement d'un contractuel et d'un titulaire, soit deux emplois à taux plein pendant toute l'année. Cette année, il a été décidé de recourir en priorité aux TZR afin de limiter le recours aux contractuels, ce qui devrait permettre, à terme, d'économiser l'équivalent de 4.000 postes.

Enfin, la rentrée 2003 a été particulièrement calme et techniquement « parfaite » . Cela a été possible grâce à une innovation inédite dans le ministère : un travail important, entamé dès décembre 2002, a été effectué sur le stock d'enseignants et non sur le seul flux de postes.

S'agissant de réformes plus profondes du système éducatif français, il serait délicat au moment où il a été décidé d'ouvrir un grand débat national, de préempter ce débat en annonçant dès aujourd'hui de vastes réformes.

Concernant les réformes structurelles du ministère, trois grands chantiers sont actuellement ouverts.

La mise en place de la loi organique à titre expérimental dans deux académies, Rennes et Bordeaux, est en cours. Elle doit permettre une plus grande souplesse de gestion et la possibilité de travailler par redéploiements.

Au niveau central, dès 2004, la fonction internationale sera profondément repensée et redynamisée. Aujourd'hui le paysage institutionnel est extrêmement confus et éclaté. Il existe une direction des relations internationales et de la coopération, où travaille une centaine de personnes, un établissement public national, le CIEP, d'une taille similaire, des agences comme ÉduFrance, des bureaux internationaux dans certaines directions du ministère et des correspondants académiques, les DARIC. Un Conseil national d'accueil des étudiants vient d'être créé. Une rationalisation de tout cet ensemble est donc indispensable.

S'agissant des services déconcentrés, il faut assurer la mise en cohérence des structures territoriales sur la base de trois piliers : un pilotage académique intégré, un échelon départemental de proximité sur l'ensemble des niveaux d'enseignement, une mutualisation des actes de gestion, chaque fois que cela s'avère possible. Ainsi, une réforme de l'organisation des examens et des concours est également prévue. L'ensemble de ces réorganisations et améliorations doit permettre de réaliser une économie de 1.100 emplois administratifs, comme le prévoit le projet de loi de finances pour 2004.

D'autres champs d'économie sont possibles dans l'éducation. Certains passent par la redéfinition des services par développement de la bivalence, l'annualisation des services et la rationalisation des offres de formation, notamment pour les petits diplômes. Ces chantiers doivent être débattus, en particulier avec les syndicats.

M. Xavier Darcos, Ministre délégué à l'enseignement scolaire, a rappelé que toute stratégie de réforme du ministère passe par une administration déconcentrée, avec les relations entre le rectorat, les inspecteurs d'académie et les autres cadres pédagogiques. Les réformes qu'il est possible de réaliser rapidement passent par un regroupement des personnels du ministère affectés à l'international, et au-delà, de façon interministérielle, avec la coopération culturelle ou l'enseignement du français à l'étranger. La lourdeur de la gestion du personnel peut être combattue par une meilleure organisation des options et la bivalence, ce qui implique des réformes complexes, et le ministère s'interroge sur le fait de savoir s'il ne vaut pas mieux attendre que le grand débat sur l'éducation n'amène naturellement à poser ces questions de façon concrète.

Les stratégies de réformes, comme la globalisation des services des enseignants ne peuvent être distinguées des stratégies pédagogiques, comme par exemple le temps passé devant les élèves ou la nature des enseignements. Un débat national permettra d'aborder ces problèmes essentiels, qui posent des questions pédagogiques.

M. Jean-Yves Chamard, Rapporteur spécial des crédits de la Jeunesse et de l'enseignement scolaire, a rappelé que le ministère de l'éducation nationale n'avait pas été réformé depuis ... Jules Ferry. De nombreux intervenants ne sont pas conscients des coûts. Or l'enseignement secondaire français coûte 30 % plus cher qu'en moyenne dans les pays de l'OCDE. Il s'agit d'une véritable gabegie dont on connaît les causes, à savoir l'absence de contrôle et la multiplication des options et des réformes. Dans ces conditions, il convient de ne pas voter de crédits supplémentaires, si le Gouvernement s'avisait d'en proposer. Le contrôle de gestion est inexistant, l'enseignement scolaire coûtant 55,5 milliards d'euros, soit un montant supérieur au produit de l'impôt sur le revenu. La déconcentration annoncée est jugée inopérante par la Cour des comptes. Il est nécessaire que soient fournis au Parlement des documents datés et chiffrés relatifs à :

- la réorganisation des inspecteurs d'académie et des recteurs adjoints, avec comptes-rendus périodiques de l'état d'avancement ;

- la réforme de l'administration centrale, avec la liste des procédures déconcentrées ;

- la gestion des remplaçants avec le calendrier prévisionnel de réalisation de l'objectif chiffré de 4.000 emplois de moins, la réponse au questionnaire budgétaire étant défaillante sur ce point ;

- la rationalisation et la possible unification des concours, qui coûtent collectivement plus d'un milliard d'euros, avec indication du coût individuel de chaque concours et du coût de chaque recrutement ;

- la gestion des emplois dans chaque académie, avec un audit sur la réalité des effectifs ;

- le ratio entre le nombre d'enseignants du primaire et le nombre de classes, et son évolution.

La bivalence présente des avantages certains, car elle permet une transition douce entre le primaire et le secondaire et une réduction du nombre des enseignants ne disposant pas d'un emploi du temps à taux plein. L'annualisation du temps de travail permettra de trouver une solution au problème des remplacements. Il faudra s'interroger sur les incidences pour les élèves d'emplois du temps supérieurs à 30 heures hebdomadaires. D'autres réformes sont possibles, s'agissant des classes à faibles effectifs, de l'autonomie des établissements ou encore de la déconcentration des recrutements et des affectations. Sur tous ces sujets, un audit devrait être réalisé dans l'année.

Le Président Pierre Méhaignerie a rappelé que les quatre membres de la mission d'application de la loi organique se rendraient prochainement dans l'académie de Rennes.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a approuvé les déclarations de M.  Jean-Yves Chamard et a regretté que le débat national comporte plus d'éléments sur l'administration que sur les enseignants. Le contrat triennal de progrès prévoit une réduction de 100 emplois par an, ce qui correspond à un remplacement pour deux départs à la retraite. Il a interrogé les ministres sur la signification des objectifs affichés dans les lycées et collèges, notamment sur les moyens globalisés, l'implication des professeurs et l'ouverture sur l'extérieur, les projets de contractualisation des relations avec les académies, la globalisation des moyens et sur la question de la bivalence des enseignants.

M. Philippe Auberger a indiqué que le grand débat national doit permettre un état des lieux précis, mais ne doit pas préjuger des solutions qui seront finalement retenues dans la loi de programme. Il faut résoudre la question des classes de faibles effectifs, par exemple en STI, littérature ou langue allemande. Quel montant d'économies pourrait-on faire si l'on y remédiait ?

S'agissant des nombreux enseignants qui n'enseignent pas, on peut faire le constat de l'étoffement des organigrammes, notamment au niveau des inspections d'académie. La création de « recteurs adjoints » ne risque-t-elle pas d'aboutir à étoffer encore davantage les états-majors ? La même question se pose s'agissant des inspecteurs du primaire, qui s'occupent de moins en moins de pédagogie. Ne faut-il pas réduire le volume du Bulletin officiel de l'Éducation nationale, dont l'épaisseur aboutit probablement à la mobilisation de nombreux emplois et à une moindre lisibilité ?

Le Président Pierre Méhaignerie a fait montre de son triple souci de maintenir la qualité de l'enseignement, responsabiliser les acteurs et maîtriser la dépense publique. Le problème de la sous-utilisation du parc d'équipements scolaires pose la question du nombre des équipements et du coût des normes, dans l'enseignement public comme dans l'enseignement privé, qui varie parfois de un à deux. Quelles facilitations sont offertes en matière de reconversion des professeurs malheureux, qui, à leur tour, rendent malheureux leurs élèves ? Au moment des pics d'absence, n'est-il pas possible de mettre en place un système de remplacement plus efficace, en sollicitant notamment les professeurs nouvellement retraités, même si ce sujet est délicat ?

M.  Daniel Garrigue a soulevé la question des modes internes d'évaluation, qui se pose également dans un ministère comme celui de la Recherche. L'administration manque cruellement d'analyses et d'évaluations externes. Il faut mener de véritables audits, en recourant à des intervenants extérieurs, voire étrangers. Un tiers des élèves issus de la filière scientifique quitte cette filière à la fin du secondaire : la filière répond-elle véritablement à une mission de formation scientifique ?

M.  Michel Bouvard a souhaité que le découpage du budget en missions et en programmes permette d'identifier explicitement la formation continue et les filières professionnalisantes. Une collaboration plus étroite avec le ministère du Travail est possible et doit permettre de dégager des actions communes. Il faut, en outre, unifier les normes entre le ministère de l'Éducation nationale et celui des Sports.

M.  Jean-Louis Dumont s'est dit attentif à l'ambition rénovatrice au bénéfice d'une mission aussi vitale que l'Éducation nationale, à condition qu'aucune « pré-décision » ne soit prise avant le débat national. Qu'ils soient publics ou privés, les établissements font face aux mêmes difficultés et aux mêmes problématiques. La redynamisation de l'ensemble des ressources humaines des établissements d'enseignement pose la question de l'activité des chefs d'établissements, qui ne disposent d'aucune marge d'autonomie et sont pris dans un carcan de décisions administratives successives, empêchant une adaptation des pratiques au type de population accueillie. Si l'alternance des recteurs suit le rythme des changements politiques, quel en est l'impact véritable sur la dynamisation du système éducatif et la gestion des ressources humaines ? Les recteurs se manifestent le plus souvent, sur le terrain, par leur morgue et leur mépris. Il faut réussir une redynamisation de ce corps essentiel à notre pays.

Usant de la faculté que l'article 38 du Règlement de l'Assemblée nationale confère aux députés d'assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, M. Jean-Marie Binetruy s'est interrogé sur les efforts en matière d'annualisation du temps de travail, dans le cadre d'une recherche d'économies et d'une optimisation des ressources humaines. Lorsque les élèves pratiquent des stages en entreprises, il n'est pas rare de voir des enseignants dans les filières professionnalisantes être sans élèves, même si les professeurs sont censés rendre visite aux élèves en stage. Les tentatives de pondération des horaires ont toujours été abandonnées face aux réactions qu'elles ont suscitées dans ces filières. Il est temps de revenir sur cette question importante, afin d'optimiser le temps de travail des enseignants.

M. Luc Ferry, ministre de la Jeunesse, de l'Éducation nationale et de la Recherche, a apporté les éléments de réponses suivants :

- la question de la méthode est essentielle, au vu du sentiment d'exaspération né de l'échec des très nombreuses tentatives de réforme des décennies précédentes. Il faut obtenir un meilleur rendement des dépenses de personnel, qui représentent 95  % du budget de l'Éducation nationale. L'exemple - courageux, mais malheureux - de M.  Claude Allègre montre qu'à chaque fois qu'on a essayé de s'attaquer à la question de la réforme du ministère, des effets pervers sont apparus, conduisant à un échec brutal et à des plans pluriannuels de rattrapage, coûtant finalement plus cher que si les réformes avaient été conduites plus posément. Le véritable levier, c'est l'autonomie des établissements, qui peut leur permettre de disposer d'un budget global, d'une fongibilité des lignes de crédits et aussi d'une marge d'autonomie sur les programmes de 10 à 15  %. Il n'est pas possible d'imaginer passer une telle réforme en force ;

- la suppression de 300 postes, sur trois ans, correspond à la presque totalité des départs en retraite au sein de l'administration centrale ;

- l'enseignement professionnel initial est inséparable de l'enseignement technique, ce qui implique de bâtir un seul programme, au sens de la loi organique relative aux lois de finances ;

- les calendriers de la réforme peuvent évidemment être précisés. La réforme de la fonction internationale du ministère aboutira à un schéma nouveau qui sera présenté d'ici trois mois. Le schéma de la réorganisation des services académiques est aujourd'hui arrêté et le débat avec les recteurs débutera en novembre ;

- en ce qui concerne la gestion des remplacements, l'objectif est de parvenir à un taux de 51  % en juin 2004 et de 55  % en juin 2005, alors que le taux actuel de remplacement est de 46  %. La mise en place de la bivalence des professeurs au collège serait une très bonne chose. Il est clair que de nombreux professeurs d'allemand, qui sont, en général, des personnes très cultivées, pourraient assurer d'autres enseignements, par exemple, un cours d'histoire de classe de sixième. S'il ne faut pas imaginer des réformes irréalistes, les marges d'amélioration et de redynamisation du système sont cependant nombreuses.

M. Xavier Darcos, ministre de l'enseignement scolaire, a apporté les précisions suivantes :

- parvenir à une autonomie des établissements scolaires est, effectivement, la principale clé de la réforme : confier le recrutement des assistants d'éducation aux chefs d'établissement a constitué un réel progrès ; la globalisation des crédits accroîtra leur marge de manœuvre et rapprochera le mode de décision dans les établissements d'enseignement public de celui qui est mis en œuvre dans les établissements privés ;

- les options qui consistent par exemple en l'étude d'une langue rare, doivent être rationalisées car elles concernent peu d'élèves mais représentent un coût de recrutement très élevé ;

- en ce qui concerne le rôle des conseillers pédagogiques du premier degré, il faut reconnaître que la polyvalence du maître est beaucoup plus difficile à obtenir actuellement qu'au XIXème siècle, car il doit aujourd'hui enseigner l'informatique, une langue étrangère, les arts, l'éducation physique... Pour l'aider, les conseillers pédagogiques sont nécessaires, mais ils pourraient exercer leur rôle au niveau d'un réseau constitué de plusieurs écoles afin que soient réalisées des économies d'échelle ;

- il est vrai que 30 heures de cours ou plus par semaine constituent le maximum pour les élèves ; la généralisation des équipements informatiques devrait favoriser un travail plus autonome nécessitant un accompagnement différent des cours classiques ; comme l'autonomie progresse avec l'âge, le temps scolaire pourrait diminuer ;

- les équipements scolaires sont peu utilisés alors que, dans le cadre d'une école ouverte vers l'extérieur, ils pourraient être mis à la disposition des communes ou des structures intercommunales, à la manière d'une maison de la culture ; un chef d'établissement pourrait signer des contrats avec les collectivités locales afin de permettre le déroulement, dans ses locaux, de formations continues après la fin des cours ou l'utilisation de son matériel informatique, en échange d'une contrepartie financière ;

- un groupe de travail sur les fins de carrière réfléchit actuellement à des solutions de reconversion de certains professeurs;

- l'évaluation du système scolaire par des observateurs extérieurs existe en Angleterre mais constituerait une véritable révolution culturelle au sein de l'Éducation nationale ; toutefois, elle paraît nécessaire, au moins à titre complémentaire ;

- deux tiers des lycéens en section scientifique quittent cette filière lorsqu'ils entrent dans l'enseignement supérieur car les sections scientifiques sont considérées comme de meilleure qualité dans le secondaire, du fait de leur sélectivité ;

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