COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 49

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 27 avril 2004
(Séance de 16 h 15)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

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- Examen des propositions de la Mission d'information sur l'application de la loi organique relative aux lois de finances

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La Commission a examiné, en application de l'article 145 du Règlement, un rapport d'étape de la Mission d'information sur la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances, composée de MM. Michel Bouvard, Didier Migaud, Charles de Courson et Jean-Pierre Brard.

M. Michel Bouvard a rappelé que le Gouvernement a rendu publique, le 21 janvier dernier, une maquette présentant le budget de l'État en missions, programmes et actions. Cette maquette a pour objet de déterminer les conditions dans lesquelles le budget sera, à compter de 2006, préparé, voté et exécuté. C'est, pour le Gouvernement comme pour le Parlement, un enjeu de taille. La portée de l'autorisation de dépense donnée par les assemblées et la capacité de celles-ci à contrôler l'utilisation des crédits dépendront de la nouvelle structuration du budget. En outre, le Gouvernement va devoir mettre en place un dispositif de gestion par la performance, en choisissant des objectifs et des indicateurs dont la pertinence découlera de la précision et de la cohérence de la présentation des crédits. Le Premier ministre a décidé de soumettre son projet de nomenclature au Parlement, montrant ainsi sa volonté d'associer les assemblées à la mise en œuvre d'une réforme dont elles ont eu l'initiative. Pour répondre à cette demande, la Mission d'information a rencontré les principaux protagonistes de la réforme, en concertation avec les rapporteurs spéciaux et les autres commissions. Elle est aujourd'hui en mesure de présenter ses propositions, orientées autour de trois principes directeurs.

En premier lieu, elle a cherché à mieux identifier les politiques publiques pour rendre le budget plus lisible. La maquette doit mettre en évidence les différents volets de l'action de l'État, afin que le Parlement, par son vote, puisse clairement autoriser la mise en œuvre d'une politique publique identifiée. Cette exigence de lisibilité suppose que les politiques publiques soient bien mises en évidence, et que la dimension interministérielle de certaines d'entre elles soit prise en compte.

La Mission s'est également attachée à assurer la cohérence des programmes pour renforcer le contrôle parlementaire. La loi organique vise à transformer la gestion publique en promouvant une logique de résultats. Cette ambition passe par un renforcement des capacités de contrôle du Parlement. Les assemblées doivent pouvoir disposer d'une mesure de l'efficacité de l'action de l'État. Elles doivent également être en mesure d'utiliser leur pouvoir de réaffectation de crédits entre programmes, pouvoir que lui confère le droit d'amendement ouvert par l'article 47 de la loi organique. Les programmes doivent donc avoir une portée politique et une lisibilité suffisantes pour être soumis à l'appréciation du Parlement. Ils ne peuvent pas regrouper des actions manifestement éloignées les unes des autres. Ils n'ont pas été conçus pour assurer le confort budgétaire des structures administratives, mais pour améliorer l'efficacité de la gestion publique. La globalisation des crédits n'est justifiée que dans la mesure où elle permet une plus grande efficacité de la dépense publique. La souplesse de gestion doit donc jouer à l'intérieur de dépenses ayant un lien précis entre elles, susceptibles d'être associées à des objectifs convergents et mesurées par des indicateurs communs.

Enfin, la maquette doit respecter un dernier principe : garantir la responsabilisation des acteurs pour améliorer l'efficacité de la gestion publique. En contrepartie de l'autonomie qu'elle lui offre, la loi organique exige de l'administration une responsabilisation accrue. Les ministères devront s'engager sur des résultats et rendre compte de leur gestion, dont l'efficacité sera analysée au travers des objectifs et des indicateurs présentés dans les projets et rapports annuels de performances. La réforme organique échouerait si la maquette ne donnait pas une véritable capacité de pilotage aux responsables des programmes. Le principe de responsabilisation suppose que chaque gestionnaire, pour pouvoir atteindre ses résultats, maîtrise tous les moyens prévus pour mener à bien la politique dont il a la charge. Les responsables de programme doivent donc disposer de l'ensemble des crédits ouverts pour mener leurs actions. Responsabiliser les acteurs implique également de rationaliser la répartition des crédits entre ministères. La maquette doit mettre fin à l'éparpillement de certaines interventions, en supprimant les incohérences héritées de l'instabilité des attributions ministérielles.

M. Michel Bouvard a ensuite présenté les principales modifications qu'il est proposé d'apporter à la structure des missions. Celles-ci formeront la clé de voûte de la nouvelle architecture budgétaire. Elles ont été conçues pour identifier les politiques de l'État, et serviront d'unités de vote : en votant les crédits d'une mission, il s'agira d'autoriser la mise en œuvre d'une politique publique. Elles constitueront également les unités au sein desquelles s'exercera le droit d'amendement que la loi organique ouvre à l'initiative parlementaire. Ce seront en effet des enveloppes à l'intérieur desquelles, en déposant des amendements redéployant les crédits entre les programmes, les parlementaires pourront proposer de modifier l'allocation des moyens. La maquette prévoit 45 missions, dont 9 interministérielles. Il est proposé d'améliorer cette architecture en recourant à 44 missions, dont 13 interministérielles.

En premier lieu, les missions « mono-programme » doivent être supprimées. Le Gouvernement a prévu plusieurs missions constituées d'un seul programme : cette présentation n'est pas conforme à la loi organique, laquelle exclut explicitement qu'une mission soit composée d'un seul programme. Elle aurait en outre pour effet de soustraire une partie du budget au droit d'amendement des parlementaires. Au sein d'une mission « mono-programme », les assemblées ne pourraient en effet exercer leur droit d'amendement qu'en scindant l'unique programme prévu en plusieurs unités, là où, pour les missions « multi-programmes », il leur suffirait de proposer des transferts entre les programmes existants.

Trois missions méritent d'être créées. La première, intitulée « Politique des territoires », engloberait les moyens de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR), les crédits que le ministère de l'équipement consacre à la stratégie et à l'aménagement, ainsi que le programme des interventions territoriales de l'État qui regroupera, pour les politiques locales justifiant une coordination accrue par les préfets, des crédits venant de ministères différents. Cette mission permettrait de regrouper les moyens destinés à la définition de la politique d'aménagement des territoires qui, dans la maquette, ne sont pas identifiés. Elle serait en outre un moyen de rapprocher les services chargés de définir la stratégie de l'aménagement, et de faire émerger un pôle d'expertise placé auprès des préfets. De même, il est proposé de créer une mission « Stratégie économique et pilotage des finances publiques ». Bien qu'elles correspondent à une mission centrale de l'État, les fonctions de pilotage des finances publiques n'apparaissent pas clairement dans la maquette. Un pôle mériterait d'être individualisé dans une mission spécifique, dédiée à la stratégie économique et financière. Cette mission regrouperait la charge de la dette, les moyens des directions « d'état-major » du ministère de l'économie et ceux des services du ministère de la santé chargés du « pilotage » de la sécurité sociale. Enfin, une mission dédiée à l'écologie et la maîtrise des risques permettrait de regrouper des crédits qui figurent, de manière dispersée, dans la maquette. Elle couvrirait la sécurité civile et la météorologie, les interventions du ministère de l'écologie en faveur de la prévention des risques naturels et de la gestion de milieux, et les moyens des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE), dédiés au contrôle des risques industriels. Cette mission renforcerait la coordination des différents ministères concernés. Elle permettrait ainsi de rationaliser l'organisation des structures de l'État, en recentrant les DRIRE sur leurs missions de contrôle.

Il est par ailleurs proposé d'élargir quatre missions. Il conviendrait tout d'abord de rattacher la gendarmerie nationale à la mission « Sécurité ». Le Gouvernement a prévu de créer une mission « Sécurité » limitée à la police, sans inclure les crédits de la gendarmerie. En ne rattachant pas les deux forces de sécurité à la même mission, la maquette perd une grande part de sa lisibilité, et s'écarte des règles de présentation des crédits prévues par la loi organique. La dimension interministérielle de la politique de lutte contre l'insécurité exige que la police et la gendarmerie nationale soient rapprochées dans une même mission. De même, les réseaux de l'État à l'étranger, qu'ils relèvent du ministère des affaires étrangères ou de celui de l'économie et des finances, méritent d'être rattachés à la même mission. Ils participent en effet à la même politique publique. Il est donc proposé de donner à la mission « Action extérieure de l'État » un caractère interministériel, en lui adjoignant, sous la forme d'un programme spécifique, les postes économiques à l'étranger relevant de la direction des relations économiques extérieures. Ce regroupement permettrait de mieux prendre en compte la dimension économique de l'action extérieure, et d'assurer une meilleure coordination entre les deux réseaux. Il est également justifié de rattacher à la mission « Recherche et enseignement supérieur » les établissements de formation et de recherche agricoles. Bien qu'elle soit interministérielle, cette mission ne comprend pas l'enseignement et la recherche agricoles. Il est pourtant peu cohérent de traiter ces dépenses dans un programme spécifique, sans les rattacher à la mission créée pour identifier la politique publique à laquelle elles concourent. Enfin, la dernière proposition pour ce qui concerne les missions, consiste à rapprocher les crédits de la ville et ceux du logement. L'amélioration du cadre de vie en milieu urbain ne peut pas être réduite aux seules actions de l'État en faveur des zones relevant de la politique de la ville. En outre, le rapprochement des budgets de la ville et du logement dans une même mission tirerait les conséquences des nouvelles attributions ministérielles issues du remaniement du 31 mars dernier.

M. Didier Migaud a ensuite présenté les propositions modifiant le découpage des programmes. Les programmes formeront le centre de gravité du nouveau du budget. Unités de spécialité, ils constitueront le cadre d'exécution des crédits et détermineront l'importance de la souplesse de gestion offerte aux ministres pour remplir les objectifs qui leur ont été fixés. Obligatoirement ministériels, ils ont été créés de manière à centrer le budget sur la finalité de la dépense, en rassemblant des actions cohérentes, susceptibles d'être évaluées par des indicateurs pertinents. Aux programmes seront adossés les projets et rapports de performances dans lesquels les ministres devront s'engager sur des objectifs et rendre compte de leurs résultats.

Plusieurs programmes méritent d'être scindés. En prévoyant 141 programmes, le gouvernement a en effet poussé très loin le mouvement de globalisation des crédits. Il offre ainsi aux ministères une liberté de gestion considérable : globalement, le degré de spécialisation serait six fois moins important qu'aujourd'hui, et dix-sept programmes dépasseraient les 5 milliards d'euros. L'exigence de cohérence des programmes n'a pas toujours été respectée. La Mission d'information préconise une architecture en 157 programmes. Cette modification du niveau de spécialité permettrait de supprimer les regroupements de crédits surdimensionnés ou manifestement hétérogènes.

La première décomposition concerne les remboursements et dégrèvements d'impôt. Ceux-ci concourent à des finalités très différentes : soutien aux entreprises selon une logique économique pour les dégrèvements de taxe professionnelle, aide aux ménages dans un but de solidarité pour les dégrèvements de taxe d'habitation, aide au retour à l'emploi pour la prime pour l'emploi, gestion de l'impôt pour les admissions en non valeur ou les remboursements de trop perçu. En faisant figurer les remboursements et dégrèvements dans un seul programme, le Gouvernement n'a pas suffisamment pris en compte la diversité des dépenses en cause. Cette globalisation risque de se faire au détriment de l'évaluation de ces dépenses qui représentent plus de 60 milliards d'euros par an. Il convient donc de créer, en fonction des finalités poursuivies, plusieurs programmes et de les rattacher aux missions identifiant la politique publique concernée. Ainsi, la prime pour l'emploi ou le crédit d'impôt recherche constitueraient des programmes spécifiques, figurant pour le premier dans la mission « Travail », et pour le second dans la mission « Recherche et enseignement supérieur ».

Dans le même esprit, il est proposé d'isoler, au sein des crédits de la défense, le recrutement et la formation des personnels ainsi que l'armement nucléaire. La maquette prévoit de faire figurer les quarante programmes d'armement militaire (soit, au total, 8,7 milliards d'euros) dans la même unité de spécialité. Elle donne au ministère de la défense la fongibilité la plus large possible, et risque de remettre en cause sa capacité à maîtriser les coûts des programmes d'armement et à en suivre les résultats. La Mission d'information préconise donc de distinguer deux programmes, l'un dédié à l'armement nucléaire, l'autre à l'armement conventionnel. De même, en couvrant plus de la moitié des crédits et les deux tiers des effectifs du budget de la défense, le programme « Préparation et emploi des forces » (20 milliards d'euros) ne permettra pas de suivre, contrôler et réorganiser la gestion des activités militaires. Au sein de ce programme, les fonctions de recrutement et de formation des personnels constituent un ensemble d'actions cohérent, distinct des activités militaires proprement dites, et peuvent donc faire l'objet d'un programme séparé.

S'agissant des universités, il est nécessaire de distinguer entre les formations supérieures et la recherche, que le gouvernement a prévu de regrouper dans un même programme. Les activités de recherche et de formation des enseignants chercheurs concourent en effet à des objectifs différents. Elles doivent donc être autorisées, gérées et contrôlées de manière séparée. Le recours à un programme unique risque de freiner l'évolution du statut des enseignants chercheurs. Il pourrait en outre constituer un obstacle au rapprochement entre la recherche universitaire et les organismes de recherche, qui constitue pourtant une des clés de la réforme actuellement en cours.

Le programme « Enseignement scolaire public du second degré » concentre un volume très important de crédits (30 milliards d'euros) et d'emplois (639.000), au risque de priver l'autorisation parlementaire de sa portée. Il est possible de réduire ce programme, sans soulever des difficultés de gestion pour les rectorats, aux seuls enseignements, en isolant les fonctions et services transversaux à l'ensemble du second degré dans un programme « Vie de l'élève ».

De même, la quasi-totalité des interventions du ministère de l'agriculture figure dans un seul programme qui ouvre la fongibilité la plus large possible, sans que cette globalisation soit justifiée par des contraintes de gestion. Un découpage en fonction des deux piliers de la politique agricole commune permettrait de donner à la maquette du budget de l'agriculture une plus grande lisibilité.

De même, le regroupement dans un seul programme de l'intégralité des crédits du logement (5,2 milliards d'euros) offrirait une fongibilité manifestement excessive. Une séparation entre les aides à la pierre et les aides à la personne permettrait de mieux « coller » à la finalité de la dépense.

Enfin, la dernière création de programme concerne la réforme de l'État et les relations entre l'administration et les citoyens. Les crédits rattachés au Premier ministre figurent dans un même programme qui rassemble des organismes aux fonctions hétérogènes. On y trouve, sans grande lisibilité, à la fois le Secrétariat général du Gouvernement, la Commission d'indemnisation des victimes de la Shoah, l'École nationale d'administration ou le Médiateur de la République. Il serait plus cohérent de distinguer, d'une part, les crédits participant à la coordination du travail gouvernemental et à la prospective, et, d'autre part, ceux relevant de la réforme de l'État et des relations avec les citoyens. Cette distinction donnerait au budget du Premier ministre la lisibilité et la portée politique qui lui font défaut.

M. Didier Migaud a rappelé qu'au-delà du découpage des programmes, leurs conditions de pilotage doivent être précisées. Elles dépendront en effet de la pertinence du partage des responsabilités administratives. Comme le montrent les propositions des ministères des finances et de la défense, les conditions de pilotage de certains programmes méritent d'être revues. Il conviendrait, en premier lieu, de réexaminer le partage des responsabilités au sein du ministère des finances. Dans ce ministère, les programmes couvrent plusieurs directions, et il a été décidé de placer le secrétaire général à la tête de trois programmes différents, et de recourir à la notion nouvelle de « budget exécutif de programme » qui, en décomposant les programmes par direction, consacre le retour à une logique purement organisationnelle. Ce choix n'est conforme ni à l'esprit, ni à la lettre de la loi organique : il relègue le responsable de programme à un rôle de coordination et de répartition des moyens, et confie aux directions le pilotage opérationnel des crédits, et notamment l'usage de la fongibilité. Le partage des responsabilités au sein du ministère des finances doit être réexaminé, afin que soient désignés des responsables de programme capables d'exercer pleinement leurs fonctions. S'agissant du ministère de la défense, la prééminence du chef d'état-major des armées doit être renforcée. Il est prévu de le placer à la tête du programme regroupant l'ensemble des moyens de préparation et d'emploi des forces militaires. La structure du programme laisse cependant craindre qu'il n'ait pas les moyens d'assurer le pilotage des crédits. Le programme est en effet divisé, au niveau de ses actions, entre les trois armées, selon une logique organisationnelle qui confie la gestion effective des crédits aux trois chefs d'état-major. La Mission d'information préconise donc de structurer le programme par grandes fonctions, et non plus par armée. Cette présentation serait plus conforme à la loi organique et de nature à asseoir la prééminence du chef d'état-major. De même, s'agissant du programme prévu pour l'armement, le ministère de la défense a recours à un système inédit de co-pilotage, peu conforme au principe de responsabilisation. Deux responsables sont en effet désignés : le chef d'état-major des armées et le délégué général pour l'armement. Cette co-gouvernance, que l'on ne retrouve dans aucun autre ministère, conduit à s'interroger sur la manière dont la responsabilité du programme sera assurée et laisse craindre un pilotage par les chefs d'état-major. Là encore, le partage des responsabilités au sein du ministère de la défense doit être réexaminé.

Des modifications méritent d'être apportées à la répartition des crédits entre les ministères. Des moyens ayant la même finalité ont été répartis, de manière peu cohérente, entre plusieurs programmes, voire plusieurs missions. Il serait tout d'abord utile de rationaliser la répartition des crédits entre ministères, en supprimant certaines incohérences. Notamment, les crédits relatifs à l'aide alimentaire aux pays en voie de développement sont actuellement partagés entre le ministère de l'agriculture et celui des affaires étrangères, alors qu'il serait plus logique de les regrouper au sein d'un même programme. De même, la dotation générale de décentralisation (D.G.D.), actuellement dispersée entre trois budgets ministériels différents, mériterait d'être unifiée dans un même programme, et les aides au transport de la presse par la Poste figurent dans le programme « Développement des entreprises », alors qu'un programme « Presse » est créé au sein de la mission « Médias ». Il conviendrait également d'unifier les subventions aux opérateurs de l'État. La budgétisation par finalité suppose que soient supprimés les financements croisés. Cet objectif semble avoir été souvent perdu de vue, faute d'arbitrages permettant de mettre fin aux luttes de pouvoir entre les ministères. Ainsi, la subvention destinée à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine est coupée entre deux missions (« Logement » et « Ville »), alors que la création de cet établissement public a précisément pour objectif d'unifier le financement de la rénovation urbaine en zones urbaines sensibles. De même, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments est subventionnée par trois ministères différents. En vertu du principe de bonne gestion selon lequel la subvention d'un opérateur mettant en œuvre une seule politique doit relever d'un seul programme, nous proposons d'unifier les subventions versées aux opérateurs.

M. Michel Bouvard a estimé que la finalisation de la maquette permettra de franchir une étape décisive. Il convient néanmoins de mesurer l'importance du chemin qui reste à parcourir. La nouvelle architecture du budget doit en effet garder une capacité d'évolution. Sur trois points, la maquette est destinée à permettre une réforme de l'administration. Elle revêt donc un caractère transitoire, et devra évoluer en fonction des réformes à venir. Notamment, le regroupement des grandes directions à réseaux du ministère de finances dans un même programme ne peut en effet se justifier que comme un moyen de permettre l'aboutissement de la réforme de Bercy qui pourrait se traduire par la mise en place de trois programmes : recouvrement des impôts, gestion des dépenses de l'État et gestion des dépenses du secteur public local. De même, la présentation des crédits de la Défense est liée à la nécessité de réorganiser la gestion des armées qui doit, à terme, aboutir à une structuration des programmes en fonction des systèmes de force prévus par la loi de programmation militaire. Enfin, le rattachement de la recherche universitaire dépend de la réforme du statut des enseignants-chercheurs. L'identification de la recherche universitaire dans un programme spécifique constitue une première étape vers un rapprochement entre les universités et les organismes de recherche, et, à terme, la constitution de programmes découpés par catégorie de discipline. Les autres chantiers de la réforme organique, et notamment le choix des objectifs et des indicateurs, doivent pouvoir rétroagir sur le découpage des programmes. La pertinence du projet de maquette ne pourra être définitivement appréciée qu'à la lumière des objectifs et indicateurs sur lesquels le gouvernement et le Parlement vont maintenant concentrer leur réflexion. Les programmes ne rempliront les exigences de la loi organique qu'une fois que leur seront assignés des objectifs clairs, cohérents et opérationnels.

La nouvelle architecture du budget doit être suivie par une véritable rénovation de la gestion de l'État. La finalisation de la maquette est une condition nécessaire, mais non suffisante, de la réussite de la réforme : elle ne doit pas constituer une simple façade derrière laquelle le statu quo pourrait perdurer. Les ministères devront, en premier lieu, adosser au nouveau budget le dispositif de gestion par la performance prévu par le texte, qui suppose un changement de culture administrative, passant par une plus grande autonomie des gestionnaires « de terrain » et un nouveau dialogue de gestion entre le niveau central et l'échelon déconcentré. La comptabilité devra devenir un outil de modernisation. Cela passe par une unification progressive des réseaux comptables et la suppression des conditions actuelles d'exercice du contrôle a priori de la dépense. En outre, l'État ne pourra pas faire l'économie d'une comptabilité analytique : l'analyse des coûts sera l'un des éléments sur lesquels le Parlement fera porter son appréciation, lorsqu'il s'agira d'autoriser, par son vote, l'ouverture des crédits demandés dans le projet de loi de finances. Les ministères doivent donc prendre le virage de la comptabilité analytique. De même, le gouvernement devra mener à terme la rénovation de la gestion des ressources humaines, en passant d'une approche exclusivement statutaire à une approche fonctionnelle. La loi organique prévoit plusieurs dispositions en ce sens. Il importe qu'elles ne restent pas lettre morte.

Le Président Pierre Méhaignerie a félicité la mission d'information pour la qualité du travail effectué. Ses propositions ne désavouent pas la maquette du gouvernement mais l'améliorent de manière significative. Ce travail s'est effectué dans un véritable consensus politique entre la majorité et l'opposition, mais également en concertation avec les autres commissions permanentes de l'Assemblée nationale.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a également salué la qualité du travail de la mission d'information, qui est l'aboutissement de dizaines d'heures d'auditions, de rencontres et de contacts. Non seulement ses propositions ont rencontré l'accord des autres commissions permanentes de l'Assemblée, mais elles sont également, en grande partie, partagées par les sénateurs. La saisine du Parlement par le gouvernement sur ce problème a prouvé sa légitimité et son utilité, ce d'autant plus que le nouveau ministre des Finances semble particulièrement réceptif aux recommandations de la mission et que M. Alain Lambert, qui fut l'un des initiateurs de la loi organique, suit actuellement ce dossier à l'Élysée. Il y a donc de bonnes chances pour que ces propositions soient acceptées. Ainsi, dès le projet de loi de finances pour 2005, le Parlement disposera d'une double présentation budgétaire qui prendra en compte ces recommandations de nomenclature.

Derrière ces propositions se dessine bien sûr le souci d'une évolution profonde des structures administratives de l'État, tant au niveau central qu'au niveau déconcentré. Ainsi, les services extérieurs de l'État devront-ils se réorganiser autour, entre autres, d'un pôle « aménagement et ingénierie publique » et d'un pôle « régulation et contrôle des activités à risques ». Par ailleurs, même si cette nomenclature budgétaire devra encore évoluer dans les années à venir, sa relative stabilité doit déteindre sur l'organisation gouvernementale, par trop volatile.

Il subsiste néanmoins une inquiétude, celle de la mise en œuvre opérationnelle de la réforme. La mise en œuvre du programme ACCORD II rencontre de nombreuses difficultés en raison d'objectifs initiaux trop ambitieux. La commission consultative d'appel d'offres informatiques vient ainsi d'émettre un avis négatif, entraînant un certain blocage du projet. La commission des Finances envisage donc de saisir la Cour des comptes sur ce point.

M. Marc Laffineur s'est félicité de la qualité et du caractère consensuel du travail de la mission d'information. Il s'est néanmoins interrogé sur le caractère contraignant de ces propositions pour les ministères et sur l'organisation des services.

M. Pascal Terrasse s'est associé à ces félicitations en soulignant la parfaite implication de l'opposition dans ce travail consensuel. La maquette est encore susceptible d'évoluer, en particulier en raison de la décentralisation. Deux questions méritent aujourd'hui d'être soulevées. Pourquoi les surcoûts liés aux opérations extérieures ne participent-ils pas d'une certaine interministérialité, par exemple avec le ministère des Affaires Étrangères ? Il s'agit en effet d'actions extérieures de l'État.

S'agissant des crédits du Commissariat à l'énergie atomique, aujourd'hui répartis entre l'industrie, la recherche et la défense, pourquoi sont-ils transférés vers l'industrie ?

M. Daniel Garrigue a souligné que cette nouvelle maquette offrait des outils pour faire avancer les réformes administratives, pour peu que les recommandations de la mission soient retenues. Il serait utile que la Commission fasse un bilan annuel des efforts d'adaptation des structures administratives. Par ailleurs, il risque d'apparaître une contradiction entre l'organisation verticale des programmes et la nécessité d'une gestion transversale sur le terrain, du fait de la déconcentration.

M. Pierre Hériaud s'est félicité de la preuve apportée par la mission d'information que lorsque l'on se donne les moyens de ses ambitions on peut aboutir à des résultats concrets. Certaines imbrications au niveau des missions méritent néanmoins d'être éclaircies. S'agissant de la mission « écologie et maîtrise des risques » qui comprend le programme « sécurité civile », l'ensemble des risques biologiques, nucléaires et industriels sont-ils couverts ? Par ailleurs, le transfert vers la mission « recherche et enseignement supérieur » des crédits de la recherche et de l'enseignement supérieur agricole est un geste significatif.

Le Président Pierre Méhaignerie s'est de nouveau félicité des résultats de la Mission et a insisté sur la nécessité d'atteindre une certaine stabilité des structures gouvernementales. En outre, la loi organique doit permettre le réexamen de l'organisation des services extérieurs de l'État.

En réponse à ces questions, M. Didier Migaud a indiqué qu'il n'était ni possible, ni souhaitable d'aboutir à une organisation gouvernementale figée dès aujourd'hui. Si certaines grandes missions apparaissent permanentes, il ne faut pas enfermer les gouvernements dans une organisation trop rigide. Le gouvernement actuel se caractérise par un nombre très important de ministères et par une organisation parfois inattendue. Ainsi, il arrive qu'à un secrétariat d'État ne corresponde ni un programme, ni même une action. Néanmoins, il ne faut pas se montrer trop exigeant tout de suite. Il a estimé, à titre personnel, que l'organisation déconcentrée des services de l'État n'est pas satisfaisante : elle est de moins en moins lisible et efficace. La mise en œuvre de la loi organique et la décentralisation offrent l'occasion d'en réexaminer les principes. Il existe d'ailleurs des marges de progression importantes.

Par ailleurs, la loi organique ne saurait être réduite à un nouveau mode de présentation du budget. Elle a au contraire une portée beaucoup plus large dans la mesure où elle exige un changement de logique au sein des administrations : il s'agit en effet de passer d'une logique de moyens à une logique de résultats. L'évaluation préconisée par la loi organique doit permettre une meilleure utilisation de l'argent public.

S'agissant des opérations extérieures, il est plus logique de les maintenir au sein du budget de la Défense, ce ministère apparaissant capable d'en assurer le financement.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a précisé que les opérations extérieures sont individualisées au sein d'une action spécifique, dont il conviendra de vérifier si elle sera effectivement dotée dès 2005.

M. Didier Migaud a indiqué que, dans la mesure où l'activité du CEA a des implications importantes en matière d'application industrielle de la recherche, il est opportun de rattacher une part de ses crédits au programme relatif à la recherche industrielle.

M. Michel Bouvard a rappelé que la loi organique renforce les pouvoirs de contrôle du Parlement. Lors des auditions menées par la Mission, certaines directions des affaires financières des ministères n'ont pas fait preuve d'un grand enthousiasme, car plusieurs modifications proposées, mettant en évidence des redondances, entraîneront une simplification des structures. Néanmoins, la Mission d'information n'a jamais rencontré d'hostilité déclarée.

S'agissant de la décentralisation et de l'organisation des services déconcentrés de l'État, la Mission d'information a anticipé certaines évolutions. Ainsi, dans le cas des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE), il a été tenu compte des transferts de compétences vers les collectivités territoriales, qui auront pour effet de recentrer l'action des DRIRE sur le contrôle des risques industriels. La Mission d'information a également anticipé le transfert de la responsabilité des routes nationales de l'État vers les collectivités locales. Il est évident que les futures évolutions de la décentralisation auront des effets sur la maquette.

Par ailleurs, les auditions menées par la Mission ont montré que l'essentiel des dépenses consacrées aux opérations extérieures sont prévisibles en début d'année : il est donc possible d'en inscrire une part importante en loi de finances initiale.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a ajouté que ce montant ne varie pas de manière brusque d'une année sur l'autre. Ainsi, le total des crédits destinés aux opérations extérieures en 2003 est équivalent à celui constaté en 2002.

M. Michel Bouvard a insisté sur le fait que la maquette ne doit pas constituer une façade derrière laquelle perdurerait le statu quo. Il convient au contraire de tirer les conséquences de la réforme en termes d'organisation des ministères. À cet égard, le caractère interministériel de certaines missions permet une certaine souplesse, qui pourra peut-être même conduire, dans certains cas, à leur transformation en missions ministérielles. Quoi qu'il en soit, il faudra réaliser un bilan de l'évolution des structures administratives.

Par ailleurs, la loi organique et la nouvelle maquette offrent aux préfets une souplesse de gestion plus importante que celle dont ils disposent actuellement. La création d'une mission « Politique des territoires » avec un pôle d'expertise publique constitue pour les préfets un moyen de mieux remplir leurs missions.

S'agissant de la sécurité civile, il apparaît logique de regrouper au sein d'une même mission, « Écologie et maîtrise des risques », ce qui relève, d'une part, de la prévision et de la prévention des crises et, d'autre part, de leur gestion. Le rattachement du programme « Sécurité civile » à cette mission est d'autant plus justifié qu'il permet de supprimer la mission « mono-programme » « Protection des populations », dont l'existence est contraire à la loi organique.

En outre, il convient de préciser que le rattachement du programme relatif à la recherche et à l'enseignement supérieur agricoles à la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » n'emporte aucune conséquence en termes de répartition des compétences : le ministère de l'agriculture demeure responsable de ce programme.

Enfin, un nouveau chantier, celui de l'élaboration des objectifs et des indicateurs qui seront présentés dans les projets et rapports annuels de performance, s'ouvre. Les commissaires des finances devront y participer activement. En outre, dès le projet de loi de finances pour 2005, le budget fera l'objet d'une double présentation, qui constituera la base d'un important travail de rénovation de la procédure budgétaire et de redécoupage des rapports spéciaux.

Le Président Pierre Méhaignerie s'est félicité de la suppression de l'intégralité des missions « mono-programme ».

La Commission a ensuite autorisé, en application de l'article 145 du Règlement, la publication du rapport d'information.

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