COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 63

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 28 juin 2005
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président,

puis de M. Michel Bouvard, Vice-Président

SOMMAIRE

 

Pages

- Audition de MM. Thierry Breton, Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie et Jean-François Copé, Ministre délégué au Budget et à la réforme de l'État, Porte-parole du Gouvernement, préalable au débat d'orientation budgétaire.

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- Information relative à la Commission

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La Commission des finances, de l'économie générale et du plan a procédé à l'audition de MM. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement.

Le Président Pierre Méhaignerie a souhaité la bienvenue à M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et à M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement.

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a d'abord rappelé les données économiques d'ensemble : après une croissance globalement satisfaisante en 2004 - 2,1 % contre 1,7 % dans l'ensemble de la zone euro -, la France a connu un premier trimestre décevant, du fait de la hausse du prix du pétrole au-delà de 50 dollars le baril, de la forte appréciation de l'euro par rapport au dollar et des effets de stocks. Aussi l'objectif de 2 % de croissance en 2005 constitue-t-il désormais un plafond plutôt qu'un plancher ; les prévisions des instituts de conjoncture s'échelonnent entre 1,5 % et 1,7 %, mais le pire semble passé, et la dépréciation de l'euro, ainsi que l'inversion attendue des cycles des stocks et de l'électronique, laissent espérer, sauf accident pétrolier, un rebond, déjà amorcé pour la production industrielle - + 0,5 % en avril -, qui remettrait la croissance sur une pente annuelle de 2 à 2,25 % au second semestre, soit 2 % sur l'ensemble de l'année 2005.

Le Gouvernement s'est donné l'an dernier l'objectif - ambitieux, difficile, mais nécessaire - de ramener les déficits publics au-dessous de 3 % du PIB en 2005. Du côté des recettes, il existe un aléa important concernant l'impôt sur les sociétés ; il sera possible d'y voir plus clair en juillet, lorsque sera connu le montant de l'acompte de juin. La TVA, en revanche, rentre convenablement, grâce à la bonne tenue de la consommation.

Dans ce contexte, le Gouvernement porte la plus grande attention à la maîtrise des dépenses, et apprécie tout particulièrement le soutien que lui apporte, en la matière, la Commission des finances. Grâce à la constitution d'une réserve de précaution de 4 milliards d'euros en début d'année, les dépenses pourront être tenues, cette année encore, à l'euro près, et rester donc stables en volume.

S'agissant des dépenses sociales, le comité d'alerte de l'assurance-maladie a confirmé le ralentissement recherché, mais les comptes de l'UNEDIC pâtissent de la situation de l'emploi. Il faudra surveiller de près, par ailleurs, l'évolution des dépenses locales, dont le déficit, apparu l'an dernier pour la première fois depuis 1993, est un sujet de préoccupation important.

La dette publique, qui s'élève à 1 067 milliards d'euros, est passée de 20,7 % du PIB en 1980 à 64,7 % en 2004, essentiellement du fait de l'augmentation de la dette de l'Etat, qui atteint aujourd'hui 51 % du PIB. Ces montants pouvant paraître abstraits aux Français, un effort de pédagogie s'impose, afin qu'ils comprennent que chaque enfant qui naît en France est endetté de 17 000 euros à sa naissance, et que la charge annuelle du service de la dette est presque égale au produit de l'impôt sur le revenu. Il faut absolument inverser cette logique, qui prive progressivement la société française du moyen d'investir dans l'avenir. Aussi ai-je confié à Michel Pébereau une mission pour éclairer l'opinion et les responsables politiques sur ces enjeux ; son rapport sera rendu public à l'automne.

Réduire le déficit et la dette suppose, d'une part, de poursuivre résolument la maîtrise des dépenses et, d'autre part, de retrouver le chemin de la croissance, en permettant aux Français de travailler plus. Il convient d'accroître le taux d'activité des 55-65 ans, qui est le plus bas d'Europe, mais aussi d'assouplir les règles de cumul entre emploi et retraite, d'inciter financièrement les chômeurs, en particulier les jeunes et les chômeurs de longue durée, à revenir à l'emploi, et de favoriser la mobilité géographique - car près de 90 % des Français vivaient, en 1990, au même endroit que dix ans plus tôt, y compris dans les régions où le chômage est le plus élevé. Il s'agit de montrer que le travail paie mieux que l'assistance. Toutes les marges de manœuvre dégagées dans le budget 2006, c'est-à-dire 4,5 milliards d'euros, seront consacrées à l'emploi.

La mise en œuvre de la LOLF, enfin, est une révolution dans la procédure budgétaire de l'Etat, et une chance pour la maîtrise des dépenses publiques. Elle permettra aux ministres de s'emparer à la fois de leur enveloppe budgétaire et de la réforme qui va avec, afin de dégager des marges de manœuvre pour mieux investir.

Le Président Pierre Méhaignerie a plaidé pour un système qui récompense les ministres soucieux d'économies et pénalise ceux qui continuent de promouvoir la dépense publique. Le fossé se creuse, en effet, entre le secteur protégé et le secteur exposé, et ce sont les salariés les plus mal payés du privé qui font les frais de cette évolution.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement, a souligné que, pour la première fois, le débat d'orientation budgétaire pourra se dérouler alors que les grandes orientations du budget ont été dévoilées en totalité, conformément aux engagements pris.

Les marges de manœuvre budgétaires sont consacrées en totalité à l'emploi, et le budget comportera l'ensemble des mesures annoncées par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale du 8 juin. La barémisation des allégements généraux de charges stabilise les règles du jeu une fois pour toutes et offre aux entreprises plus de lisibilité quant à leur masse salariale.

Pour autant, l'effort de restauration de l'Etat régalien est consolidé, comme en atteste la progression des crédits liés aux lois de programmation pour la défense et pour la sécurité intérieure. Ces domaines sont les seuls, avec l'enseignement supérieur et la recherche, à bénéficier de créations d'emplois : 500 emplois à la justice, 500 emplois nets à la défense, 650 emplois de policiers.

Le budget prépare également la France aux défis de l'avenir. Les engagements pris par le précédent Premier ministre sont tenus, puisque la recherche bénéficiera d'un milliard d'euros supplémentaire - dont 380 millions en crédits budgétaires, 280 millions en dotations en capital et 340 millions en mesures fiscales incitatives -, que la mise en œuvre de la loi sur l'école est financée grâce à des redéploiements d'effectifs et à des réformes structurelles, que la nouvelle Agence pour l'innovation industrielle sera dotée de 2 milliards d'euros d'ici à 2007, et que 1,5 milliard sera consacré aux contrats de plan Etat-région et aux grands projets d'infrastructures de transport - sans endettement, grâce à l'affectation à l'Agence de financement des infrastructures de transports de France (AFITF) de la taxe sur les concessions d'autoroutes, d'une fraction du produit des amendes de radars, du produit des redevances domaniales et d'une dotation en capital de 1 milliard.

Ces priorités seront financées sans renoncer à l'impératif de maîtrise des finances publiques. Comme en 2003 et en 2004, l'Etat ne dépensera pas un euro de plus que le plafond de dépenses voté par le Parlement, et l'augmentation des dépenses ne sera pas supérieure à l'inflation, soit 1,8 %. La politique de réduction des effectifs se poursuit, et les 5 000 emplois supprimés masquent en fait un effort supérieur, compte tenu des redéploiements opérés dans l'éducation nationale grâce à la baisse du nombre d'élèves du secondaire. Les efforts les plus significatifs sont accomplis par le ministère de l'équipement et celui des finances.

Les recettes sont naturellement soumises à certains aléas. Si le produit de la TVA et celui de l'impôt sur le revenu devraient être conformes aux prévisions, l'optimisme est moindre pour celui de l'impôt sur les sociétés - mais il en était de même l'an dernier à la même époque, et les résultats ont finalement été excellents.

En résumé, l'Etat fait ce qu'il peut et doit faire pour résoudre son déficit, les dépenses d'assurance maladie enregistrent une nette décélération grâce à la réforme accomplie en 2004, mais les comptes des collectivités locales, pour la première fois déficitaires à hauteur d'un dixième de point de PIB, sont un motif d'inquiétude, qui appelle une réflexion. On pourrait notamment envisager l'instauration d'une conférence annuelle des finances publiques, à laquelle participeraient des représentants de l'Etat, des organismes sociaux et des collectivités territoriales, voire la mise en place d'une LOLF spécifique à ces dernières.

Les charges d'intérêt de la dette seront en baisse de 650 millions d'euros par rapport à 2005, grâce à la décision prise en 2004 d'affecter au désendettement la totalité des 10 milliards de surplus de recettes enregistrés, au bas niveau des taux d'intérêt, à la politique active de gestion de la dette menée par l'Agence France Trésor, ainsi qu'à l'affectation, en 2006, d'une partie importante du produit des privatisations au désendettement.

La dépense sera par ailleurs rendue plus efficace, grâce à la réforme de l'Etat, désormais fondue avec le budget en un seul département ministériel : ce n'est pas le budget qui absorbe la réforme de l'Etat, mais bien la réforme de l'Etat qui absorbe le budget. Des réalisations concrètes ont eu lieu depuis 2002, mais le Gouvernement a décidé de passer à la vitesse supérieure. Un nouveau projet de loi d'habilitation tendra à permettre d'abroger plus de 130 textes législatifs obsolètes, et un nombre important de textes réglementaires sera également supprimé. En second lieu, toutes les administrations de l'Etat en relation avec le public seront certifiées par un organisme indépendant. Des référentiels de bonnes pratiques seront enfin établis, par exemple quant au ratio de mètres carrés par agent ou au taux d'équipement informatique.

Dépenser mieux, c'est aussi mieux évaluer l'efficacité des dépenses fiscales, qui ne seront désormais décidées que pour une durée limitée. Il faudra, par exemple, s'interroger sur l'opportunité de reconduire l'augmentation du plafond d'exonération des donations en numéraire, qui expire au 31 décembre 2005, mais la discussion de la loi de finances pour 2006 sera également l'occasion de débattre sans tabous de la fiscalité des successions en général, d'aménager l'imposition des plus-values réalisées par des particuliers lors de la transmission de leur entreprise, et de lever les obstacles fiscaux à la mobilité professionnelle. Il faudra également réfléchir à la réforme de la taxe professionnelle, qui fera sans doute l'objet de nombreuses questions...

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, s'est félicité de la reconduction, pour la quatrième année consécutive, de la norme de stabilisation des dépenses en volume, et a rappelé que les compensations d'allégements de charges sociales ne figuraient pas, jusqu'à 2004, au budget de l'Etat.

S'agissant de l'exécution du budget 2005, l'accroissement des reports par rapport à l'exercice précédent est préoccupant. Quand les gels de crédits reportés seront-ils annoncés ? Et la disposition de la LOLF qui prévoit le plafonnement des reports au sein de chaque programme pourra-t-elle être respectée dès 2006 ? La question est d'autant plus aiguë que certaines dépenses importantes engagées en 2005 n'avaient pas été inscrites au budget : 640 millions pour la revalorisation des traitements de la fonction publique, 300 millions pour l'aide médicale d'Etat, 450 millions pour compenser le surcoût supporté par les départements au titre du RMI, 80 millions pour l'organisation du référendum du 29 mai, sans oublier, naturellement, les opérations extérieures...

Parmi les postes de recettes, le plus sujet à variation entre les prévisions et la réalité est, traditionnellement, l'impôt sur les sociétés. Or, les signaux sont pour le moins contradictoires : les acomptes sur solde sont faibles, mais les paiements aux échéances normales sont satisfaisants. La perspective d'un manque à gagner de 3 milliards a été évoquée ; le Gouvernement peut-il en dire davantage ?

Dans le cadre de l'assouplissement du pacte de stabilité et de croissance, on a fait valoir qu'une croissance anormalement faible pouvait excuser le dépassement des 3 %. A quelle année faut-il considérer que cet accommodement peut s'appliquer ?

S'agissant des perspectives budgétaires pour 2006, a-t-on évalué l'impact financier des diverses baisses d'impôts contenues dans des lois votées autres que la loi de finances ?

Enfin, l'Etat, qui perçoit les impôts les plus modernes et les plus dynamiques, en rétrocède une partie à d'autres institutions - l'Union européenne, les collectivités locales - par le mécanisme du prélèvement sur recettes, dans un cadre pluriannuel. Le temps n'est-il pas venu, maintenant que les divers smic sont enfin unifiés, de faire bénéficier les organismes de sécurité sociale de ce même mécanisme, sur une base à la fois « contractuelle » et inscrite dans la durée ? Cela permettrait de stabiliser enfin les relations budgétaires entre l'Etat et la sécurité sociale. Il faudrait modifier la LOLF dans ce sens.

M. Didier Migaud a jugé peu informative la présentation par les ministres des orientations budgétaires pour 2006, en comparaison de ce dont la presse s'est déjà fait l'écho, et noté que le Gouvernement a dû revoir à la baisse sa prévision de croissance pour 2005. Il n'y a là rien qui puisse surprendre : tous les indicateurs sans exception se sont dégradés à partir de juin 2002, sous l'effet de la politique menée depuis cette date. Quant à l'optimisme affiché pour le second semestre et pour 2006, il s'appuie sur des paris hasardeux : celui d'une inflation de 1,8 % au lieu de 1,5 % et celui d'un regain de la croissance. Cela met en cause la façon même dont sont échafaudées les hypothèses - par exemple en matière de prix du pétrole - sur lesquelles repose le budget : des propositions ont été faites, par la Cour des comptes en particulier, afin de les rendre moins contestables ; y donnera-t-on suite ?

Le Gouvernement se flatte d'avoir respecté la norme qu'il s'était fixée pour l'évolution des dépenses de l'Etat, et le Rapporteur général a renchéri d'enthousiasme. Le problème, c'est que le périmètre n'est jamais constant d'une année sur l'autre ! En 2004, selon la Cour des comptes, les dépenses ont en vérité progressé de 3,6 %, et tout un florilège d'artifices, au premier rang desquels la débudgétisation des allégements de cotisations sociales, viendra cette année au secours du Gouvernement.

Quant aux recettes, comment stimuler la croissance ? Le moins que l'on puisse dire est que les mesures prises ne vont pas dans ce sens. Le groupe socialiste avait préconisé le doublement de la prime pour l'emploi ; l'idée a été reprise par plusieurs membres de l'UMP, très minoritaires à ce jour.

On manque d'informations sur le niveau de déficit effectif attendu pour 2005, alors même que le Gouvernement n'hésite pas à parler de cet exercice à l'imparfait. L'objectif des 3 % est-il encore considéré comme tenable ? Et quel est celui fixé pour 2006 ? De nouvelles soultes, comme celle de France Télécom sous le gouvernement Juppé ou d'EDF sous le gouvernement Raffarin, sont-elles envisagées ?

On devrait certainement se réjouir, s'agissant des dépenses, que le Gouvernement fasse de l'emploi sa priorité, si cela ne laissait pas entendre qu'elle ne l'était pas précédemment, et si les illustrations concrètes ne manquaient pas cruellement.

Enfin, la conférence annuelle des finances publiques envisagée à la page 39 du rapport a de quoi inquiéter. S'agirait-il d'encadrer, voire de limiter les dépenses des collectivités territoriales, ainsi que l'a envisagé, d'une façon provocante qui n'est pas dans ses habitudes, le Rapporteur général ? On les montre du doigt pour un déficit certes inédit, mais limité à un dixième de point de PIB, quand celui du budget de l'Etat sera compris, cette année, entre 3,4 et 3,7 points, au lieu de 2,3 à 2,6 points en 2002 !

Le Président Pierre Méhaignerie a souligné que la dérive des dépenses des collectivités locales était constante depuis dix ans, et faisait peser sur le contribuable local un poids de plus en plus lourd. Au moins le système de dégrèvements et d'exonérations, dont l'ampleur est considérable, ne devrait-elle pas pénaliser la vertu et récompenser la dépense !

Quant à la PPE, les 2 milliards que l'on pourrait consacrer à son abondement ne seraient-ils pas plus utilement et plus justement employés qu'à augmenter encore les allégements de cotisations sociales ?

M. Jean-François Copé a répondu que le choix d'extraire les allégements de charges sociales du budget de l'Etat et leur intégration dans le barème des cotisations constitue une réforme structurelle, qui rendra le système plus lisible pour les employeurs et sera neutre pour les comptes sociaux. Quant à l'effort supplémentaire de 2,2 milliards qui est consenti, il tend à compenser l'augmentation du smic au 1er juillet et est gagé avec la renonciation à baisser l'impôt sur le revenu en 2006.

Une partie des crédits reportés est naturellement mise en réserve. Ils seront libérés le cas échéant, et il est très souhaitable que le plafond de 3 % fixé par la LOLF soit respecté, sauf exceptions. Une réserve de précaution et d'innovation a été constituée en début d'année ; si elle se révèle insuffisante, le Gouvernement n'hésitera pas à proposer de nouvelles mises en réserve, mais aucun élément ne le justifie à ce jour.

Les baisses d'impôt décidées dans le cadre d'autres lois que la loi de finances ne sont pas si nombreuses : si l'on additionne le crédit d'impôt prévu par la loi sur les services à domicile, le dégrèvement de taxe professionnelle sur les investissements nouveaux et la suppression de la contribution additionnelle de l'impôt sur les sociétés, on atteint 2 à 2,5 milliards seulement.

Il est regrettable, par ailleurs, que la LOLF ne prévoie pas de prélèvement sur recettes au profit des organismes de sécurité sociale. Introduire une telle disposition à ce stade de la discussion du projet de loi organique retarderait toutefois son adoption, dont il est souhaitable qu'elle ait lieu en temps utile pour permettre la normalisation des mises en réserve.

S'agissant de l'impôt sur les sociétés, les soldes encaissés étaient décevants en mars, et convenables en avril. Il faut donc se montrer très réactif.

Le Gouvernement n'a guère fait œuvre d'imagination en retenant l'hypothèse d'une inflation égale à 1,8 % : c'est le taux constaté l'année précédente ! Quant à prévoir la croissance, c'est un art des plus difficiles, et M. Didier Migaud aurait dû se dispenser de citer comme exemple les prix du pétrole, car le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin s'était rallié au consensus de l'ensemble des prévisionnistes, soit un baril à 35 dollars. Cela dit, toute idée constructive sera la bienvenue... Reste que le Gouvernement, s'il ne maîtrise pas entièrement les recettes de l'Etat, parvient à contenir scrupuleusement ses dépenses : cette année, de nouveau, pas un euro ne sera dépensé au-delà du plafond de dépenses autorisé par le Parlement.

La prime pour l'emploi est un sujet très délicat. Son montant moyen est actuellement de 250 euros par an, soit une vingtaine d'euros par mois. Même pour des personnes très modestes, ce n'est pas beaucoup, et même si elle était doublée, ce ne serait toujours pas considérable - et il en coûterait tout de même 2,5 milliards au budget de l'Etat. Si l'on met en regard la politique d'allégement des charges sociales, son principal défaut est de n'être pas offensive mais défensive : il s'agit de compenser le coût des 35 heures. On peut naturellement la reprofiler, mais ce serait revenir sur les engagements pris vis-à-vis des entreprises.

Le Président Pierre Méhaignerie a observé que, pour un couple de salariés payés chacun 1,1 fois le smic, une centaine d'euros par mois n'était pas une somme négligeable, compte tenu de l'augmentation des impôts locaux, des combustibles, de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, etc.

M. Jean-François Copé a souligné que le smic avait été fortement et régulièrement augmenté depuis juin 2002.

Il est impossible de dire aujourd'hui de combien sera le déficit d'exécution en 2005. Les conditions sont cependant réunies pour qu'il redescende sous la barre des 3% du PIB ; en tout cas, s'il s'aggrave, ce ne sera pas du fait de l'Etat, ni de l'assurance maladie - le Gouvernement n'a guère de prise, en revanche, sur les collectivités locales, qui ont accru leurs dépenses, hors décentralisation, de 3 % quand l'Etat s'en tient à la règle du « zéro volume » tout en augmentant ses dotations de 3,3 %. Il n'y a donc rien de scandaleux à proposer aux collectivités locales et aux organismes de sécurité sociale de rejoindre le « club » de ceux qui ont une vision globale des finances publiques. Il ne s'agit pas d'adopter une norme contraignante, mais de permettre les comparaisons entre ceux qui sont vertueux et ceux qui le sont moins, entre l'efficacité de tel service public local et celle de tel autre.

Enfin, il est exact que le budget de l'Etat était en déficit de 2,7 % seulement en 2002 au lieu de 3,6 % en 2004, mais « faire » 2,7 % de déficit après cinq années consécutives de croissance supérieure à 3 % n'est pas un résultat des plus brillants...

M. Hervé Mariton a donné acte au Gouvernement de la richesse des éléments d'information versés au débat et du cadrage vertueux de l'évolution des dépenses, en s'étonnant toutefois que la norme de stabilisation en valeur hors rémunérations n'ait pas été évoquée.

On peut comprendre que la mise en œuvre de la LOLF s'accompagne, la première année, de quelques difficultés, et la mise en forme du budget de quelques imperfections. Le Gouvernement peut-il indiquer à la Commission quelles sont les principales ?

Quelles sont, d'autre part, les contraintes imposées à la dépense par la situation économique, plus difficile que prévu ainsi que le Gouvernement l'a lucidement reconnu ? Une nouvelle hausse des traitements de la fonction publique a-t-elle été anticipée dans les lettres de cadrage ? Quelle est l'ampleur des recettes de privatisation escomptées en 2006 ? Quelle part de ces recettes, s'agissant en particulier des sociétés d'autoroutes, sera consacrée au désendettement, et quelle part aux dépenses d'avenir ?

Il semble que l'on ait observé, fin 2004, une baisse des recettes de la TIPP en dépit de l'augmentation des prix du brut. Le mouvement s'est-il amplifié en 2005 ?

Quid, enfin, de la réforme de la taxe professionnelle ?

M. Charles de Courson a déclaré douter fortement que l'objectif de ramener le déficit sous la barre des 3% du PIB en 2005 soit réaliste : même si les dépenses de l'Etat sont stables en volume, la moins-value de recettes pourrait atteindre 4 milliards, auxquels il faut ajouter les déficits des branches de la sécurité sociale, soit un total de 9 milliards environ, c'est-à-dire 0,3 à 0,5 point de PIB.

En matière de finances locales, qu'en est-il de la réforme de la taxe professionnelle, de la suppression envisagée du foncier non bâti, de la modulation départementale de la taxe sur les contrats d'assurance automobile par les départements - dont un rapport vient de montrer qu'elle est impraticable - et de celle de la TIPP - qui l'est tout autant ? Et qu'attend le Gouvernement de la conférence annuelle des finances publiques ?

M. Jean-Claude Sandrier s'est demandé comment le Gouvernement bouclerait le budget 2005, étant donné que certaines recettes risquent d'être inférieures de 20 à 40 % aux prévisions. Quant à la « priorité à l'emploi », pourquoi les recettes qui, pendant trois ans, n'ont pas fonctionné fonctionneraient-elles désormais ? Et comment prétendre « montrer que le travail paie » après trois années où l'on n'a parlé que de « revaloriser le travail », sans résultat aucun ? On peut enfin s'étonner que la baisse de l'impôt sur le revenu, quasi sacralisée les années précédentes, semble abandonnée, au profit de nouveaux allégements de cotisations qui n'apparaissent plus au budget de l'Etat, faisant perdre de sa transparence et de sa lisibilité à ce dernier.

M. Philippe Auberger s'est dit en accord avec les grandes orientations du Gouvernement, mais en désaccord sur deux points.

Alors même que la Cour des comptes elle-même a observé que l'impact des allégements de charges n'a pas fait l'objet d'une évaluation suffisante, il est proposé d'ajouter encore 2 milliards aux 17 milliards précédemment consentis, contournant au passage la règle du « zéro volume ». Ne pourrait-on, en contrepartie, abaisser le plafond ? Les entreprises ne s'étaient pas révoltées lorsqu'il avait été ramené de 1,7 à 1,6 fois le smic, et l'Etat ne peut indéfiniment subventionner les cotisations sociales ! Un article récent d'Economie et Statistique, revue de l'INSEE, démontre que les 35 heures n'ont créé que 350 000 emplois, et non le double comme l'avaient prétendu certains...

La prime pour l'emploi, d'autre part, devait être réformée sitôt l'unification du smic achevée ; or il n'en est rien. Il n'est pourtant pas justifié qu'elle soit versée à 8 millions de bénéficiaires, ni que son barème soit familialisé : il faut cibler la reprise d'emploi et les travailleurs les moins payés. Cela fait trois ans, par ailleurs, que l'on attend l'arbitrage qui confierait sa liquidation non plus à la direction générale des impôts mais à l'URSSAF, ramenant de 18 à 3 mois le décalage du versement.

Enfin, il semble que les sociétés du CAC 40 dont les résultats sont en forte hausse acquittent un impôt sur les sociétés curieusement modeste. Il serait bon que la DGI fasse rapport à la Commission sur les effets éventuels du « bénéfice mondial », dont on peut craindre qu'il soit un moyen d'évasion fiscale.

M. Michel Bouvard, Président, a jugé légitime cette préoccupation.

M. Augustin Bonrepaux s'est félicité des plaidoyers pour la PPE qu'il a entendus de la part de ses collègues de la majorité : mieux vaut tard que jamais !

Il est inquiétant, en revanche, d'entendre crier haro sur les collectivités locales. Le Gouvernement n'avait qu'à se louer d'elles lorsqu'elles étaient excédentaires et contribuaient à la réduction des déficits publics ; que ne se demande-t-il pourquoi elles étaient en déficit en 2004 ? La réponse se trouve dans le rapport de la Cour des comptes : elles ont augmenté leurs dépenses afin de faire face à la charge nouvelle du RMI, pour les départements, et de subventionner la SNCF, pour les régions. L'Acte II de la décentralisation n'a pas encore produit ses effets, c'est vrai, mais lorsque l'Etat se désengage, il faut bien que quelqu'un se substitue à lui ! Les collectivités locales seraient-elles un nouveau bouc émissaire, à qui la loi imposerait sans cesse de nouvelles dépenses - pour les SDIS, les assistants maternels et familiaux, les handicapés - tout en restreignant ses recettes ou en les remplaçant par des dotations sur lesquelles elles n'ont pas de prise ? Ira-t-on jusqu'à réviser l'article 72 de la Constitution, afin d'en ôter le principe de libre administration ?

M. Michel Bouvard, Président, a mis en garde le Gouvernement contre certaines augmentations d'effectifs dans les ministères dits régaliens, que leur « sanctuarisation » ne saurait exonérer de tout effort de restructuration.

D'autre part, le rapport de la Cour des comptes sur l'exécution du budget 2004 insiste sur la nécessité de mettre en concordance les 230 objectifs des stratégies ministérielles de réforme avec les 670 objectifs des projets annuels de performance ; comment ce rapprochement sera-t-il opéré ?

Dans le tableau de la page 44 du rapport du Gouvernement, la progression moyenne annuelle des pensions et rémunérations entre 2005 et 2008 est estimée à 0,2 % - soit une augmentation de 2,4 % pour les premières et une diminution de 0,9 % pour les secondes - tandis que le rapport de la Cour des comptes, page 43, prévoit - sur la période 2006-2008, il est vrai -une progression moyenne de 2,1 % - et de 4,8 % pour les seules pensions. Comment expliquer cette discordance ?

Quelle part des actifs autoroutiers l'Etat cédera-t-il en 2006 ? Et est-il disposé à apporter à l'AFITF la part qu'il n'aura pas cédée ?

La certification est une démarche à encourager, mais il n'est pas forcément opportun de créer une nouvelle autorité administrative indépendante à cette fin : la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes pourraient être plus utilement mises à contribution.

Les plafonds d'autorisation d'emplois ministériels sont définis selon des périmètres trop larges, qui devraient être subdivisés davantage, notamment dans le cas de ministères délégués correspondant à des missions.

Enfin, parmi les indicateurs retenus, il serait intéressant de savoir quelle proportion est issue des observations de la MILOLF.

M. Jean-François Copé a répondu, s'agissant des privatisations, que l'objectif premier était de désendetter l'Etat, mais qu'il était légitime d'affecter une partie du produit à des investissements structurants : dans le cas des sociétés autoroutières, un milliard, sur 11 milliards attendus, viendra alimenter l'AFITF, abondée d'un second milliard - ou presque - grâce à diverses recettes, dont la taxe sur les concessions d'autoroute.

M. Michel Bouvard, Président, a observé que ce calcul signifiait que le Gouvernement tablait sur une privatisation complète des sociétés autoroutières...

M. Jean-François Copé a indiqué qu'aucune nouvelle hausse des traitements de la fonction publique n'était anticipée, des mesures d'un coût de 1,4 milliard en année pleine ayant été prises voici quelques mois seulement. Le cas échéant, cependant, la réserve de précaution pourra être mise à contribution.

Hors rémunérations, les dépenses de l'Etat sont quasiment stables en valeur. Cela doit-il devenir la norme ? Il est trop tôt pour le dire, mais le fait témoigne d'une grande rigueur vis-à-vis des dépenses non rigides, et la réduction de 5 000 du nombre des fonctionnaires est le gage d'une volonté de maîtriser l'enveloppe des rémunérations.

S'agissant des recettes de TIPP, les perspectives sont plutôt rassurantes, et les évolutions actuelles en phase avec les prévisions. La diésélisation comme les mesures en faveur de la sécurité routière ont achevé de produire leurs effets modérateurs sur les recettes.

Les dégrèvements de taxe professionnelle s'élèveront à 1,4 milliard par an à compter de l'an prochain. Au-delà, deux hypothèses peuvent être envisagées : soit l'on programme le dégrèvement progressif de tous les investissements d'ici cinq ans, et la TP cesserait alors d'être un impôt local ; soit l'on plafonne cet impôt à 3,5 % de la valeur ajoutée, en prenant une nouvelle année de référence, qui pourrait être 2002, 2003 ou 2004 au lieu de 1995.

Comment maintenir le déficit au-dessous de 3 % du PIB ? C'est une question qui n'a rien de nouveau, et qui se pose chaque année ! Il n'y a pas de raison de penser que le processus de réduction engagé par le budget 2004 malgré une conjoncture défavorable ne puisse pas se poursuivre. La dépense est maîtrisée, les recettes devraient être soutenues par l'effet base dû à la croissance relativement animée observée l'an dernier, et les réformes de structure - retraites, LOLF, assurance maladie - devraient porter leurs fruits, si bien qu'en 2006 l'objectif de 2,7 % semble pouvoir être atteint.

S'agissant de la fiscalité locale, la réflexion se poursuit sur le foncier non bâti ; le Gouvernement a commandé un rapport aux trois inspections générales, et le sujet sera évoqué dans la discussion de la loi de finances pour 2006. Une piste possible est le plafonnement à un certain pourcentage du revenu agricole d'exploitation. Quant à la TIPP, le Gouvernement a bon espoir de voir aboutir la demande de dérogation présentée à Bruxelles. Enfin, le rapport d'inspection sur la TCA fait état de difficultés techniques importantes ; le dossier fait l'objet d'un suivi attentif, en liaison avec le ministère de l'intérieur.

Qu'attend le Gouvernement de la conférence annuelle des finances publiques ? La même chose que la Commission des finances de l'Assemblée nationale : que l'on mette les pieds dans le plat en posant à tout le monde les questions « qui dérangent ». Encore une fois, il ne s'agit pas d'être directif, mais de pointer, le plus amicalement possible, les comportements des uns et des autres. L'Etat parvient à maîtriser son pouvoir d'achat ; pourquoi les collectivités locales en seraient-elles incapables ?

La baisse de l'impôt sur le revenu n'est pas remise en cause en tant que priorité, et ce qui a été fait demeure acquis, mais les arbitrages ont conduit cette année à prendre d'autres décisions. L'allégement des charges, dont la LOLF garantit la totale transparence, est un outil très puissant de lutte contre le chômage, et le serait davantage encore s'il pouvait être rendu plus offensif. Un nouvel abaissement du plafond serait mal reçu par les entreprises, qui avaient protesté avec plus de vigueur que ne veut bien s'en souvenir M. Philippe Auberger, lorsqu'il avait été ramené à 1,6 fois le smic - à moins de leur offrir, en contrepartie, l'implosion du code du travail, ce que ne souhaite pas le Gouvernement.

La PPE est davantage ciblée sur les métiers où l'on constate une pénurie de main-d'œuvre : elle y est portée à 1 000 euros pour les chômeurs de longue durée ou de moins de 25 ans reprenant un emploi. Elle sera versée, en outre, au bout de 3 mois au lieu de 18 mois.

Le « bénéfice mondial » fait débat : d'un côté, il faut favoriser la compétitivité des grandes entreprises françaises ; de l'autre, l'assiette de l'impôt n'est pas toujours en rapport avec le résultat véritable. Le Gouvernement est donc ouvert à une discussion sur ce sujet à l'automne.

Les ministères régaliens n'ont pas vu tous leurs emplois « sanctuarisés », loin de là : ainsi, au ministère de l'intérieur, il y a plus de policiers, mais moins d'effectifs dans les préfectures, grâce à la fongibilité asymétrique des crédits qui est l'un des principes de la LOLF. Quant aux objectifs des stratégies ministérielles de réforme, ils pourraient se fondre dans les contrats d'objectifs et de performance ; c'est tout l'intérêt d'avoir fusionné le ministère du budget avec celui de la réforme de l'Etat. Il n'est pas question, par ailleurs, de créer une autorité administrative indépendante pour la certification, mais de solliciter des organismes indépendants existants, comme des cabinets d'audit, afin qu'un œil extérieur donne son avis. Enfin, les plafonds d'autorisation d'emplois ont été fixés par référence aux ministères de plein exercice, mais le cas des ministères délégués correspondant à des missions peut être étudié.

M. Michel Bouvard, Président, a demandé à quel stade du débat l'article approuvant les plafonds d'emploi sera soumis au vote du Parlement. Il serait rationnel qu'il le soit après l'examen du programme de la fonction publique, à la fin de l'examen des missions.

M. Jean-François Copé a approuvé cette solution.

M. Gérard Bapt a déploré que quelques lignes seulement soient consacrées à l'ONDAM. Y aura-t-il un débat d'orientation sur le financement de la sécurité sociale ?

M. Jean-François Copé a répondu que la question pourra être évoquée la semaine prochaine, lorsque le projet de loi organique reviendra devant l'Assemblée.

La Commission a autorisé, en application de l'article 146 du Règlement, la publication d'un rapport d'information de M. Gilles Carrez, Rapporteur général, préalable au débat d'orientation budgétaire.

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Information relative à la Commission

La commission des Finances de l'Économie générale et du Plan a nommé M.  Nicolas Perruchot, Rapporteur spécial du programme « Patrimoines » de la mission Culture.

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