COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 28

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 7 avril 2004
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Pascal Clément, président

SOMMAIRE

Proposition de loi tendant à supprimer les limites d'âge pour les concours de la fonction publique (n° 1137) (M. Serge Poignant, rapporteur)

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Serge Poignant, la proposition de loi tendant à supprimer les limites d'âge pour les concours de la fonction publique (n° 1137).

M. Serge Poignant, rapporteur, ayant relevé que le marché du travail se caractérisait par une plus grande mobilité et que les salariés n'effectuaient plus toute leur carrière dans un seul métier au sein de la même structure, a considéré que la fonction publique ne devait pas échapper à ce mouvement et que la mobilité en son sein, mais aussi entre le secteur privé et le secteur public, méritait à ce titre d'être encouragée. Il a jugé que cet enjeu devenait d'autant plus important que, à cause de départs à la retraite prévisibles massifs, des difficultés de recrutement pointent à l'horizon de la fonction publique.

Il a fait observer que, pour favoriser cette mobilité, deux voies de réforme étaient possibles, la première consistant à faciliter le passage de la fonction publique au secteur privé dans un double objectif de fluidité du marché du travail et d'encouragement de l'initiative individuelle - ce que le Gouvernement s'était engagé à faire - , la seconde à ouvrir plus largement l'entrée dans la fonction publique à des personnes dont l'expérience acquise dans le secteur privé pourrait bénéficier au service public.

Il a souligné que l'existence de conditions d'âge pour accéder aux concours de la fonction publique limitait ce mouvement, alors même que l'âge du départ à la retraite dans la fonction publique ayant été reculé, les carrières deviendraient plus longues. Ainsi, il a jugé qu'en limitant au maximum les conditions d'âge requises pour accéder par la voie externe à la fonction publique, une place plus grande pourrait être faite aux « secondes carrières » des travailleurs issus du secteur privé. Il a noté que ce nouveau flux, source d'enrichissement pour les administrations, aurait le double avantage d'offrir de nouvelles perspectives aux salariés du secteur privé et aux travailleurs indépendants et de pallier certaines difficultés de recrutement à venir dans le secteur public.

Il a rappelé que, malgré le principe d'égal accès à la fonction publique inscrit dans la déclaration des droits de l'homme, de nombreux statuts particuliers prévoyaient une limite d'âge supérieure aux concours externes, limite qui se situait entre vingt-huit et quarante ans pour les concours de catégorie A et à quarante-cinq ans pour ceux de catégorie B et C et dont la mise en place pouvait s'expliquer par le souci, compte tenu de l'âge de la retraite fixé à soixante ans et de la nécessité d'avoir effectué quinze ans de service pour obtenir une pension, d'offrir des déroulements de carrière relativement longs.

Après avoir rappelé que le législateur avait supprimé progressivement les limites d'âge dans certains cas - concours internes, corps enseignants, travailleurs handicapés, mères de famille de famille nombreuse, sportifs de haut niveau -, le rapporteur a relevé que le maintien d'une telle condition dans de très nombreux concours s'accordait mal avec une conception ouverte de la fonction publique, avec la réforme récente des retraites, qui s'était traduite notamment par un recul progressif de l'âge de la retraite, et avec la nécessité d'offrir aux salariés du secteur privé la possibilité d'engager une nouvelle carrière. Ainsi, il a regretté, à titre d'exemple, que des jeunes chercheurs français, qui avaient suivi des études à l'étranger, ne puissent se présenter au concours de chargé de recherche du Centre national de la recherche scientifique au seul motif qu'ils ont atteint l'âge de trente et un ans.

En conséquence, il a proposé d'inscrire explicitement dans la loi le principe de suppression des limites d'âge pour l'accès aux concours de la fonction publique, sous deux réserves : la première relative à l'accès aux emplois dits de « catégorie active » ; la seconde concernant l'accès à certaines formations spécifiques, à l'exemple de l'École nationale d'administration, qui exigent que l'État, qui investit des sommes importantes pour former un futur fonctionnaire, puisse bénéficier, en retour, d'un temps de service non négligeable. Il a précisé que cette mesure concernerait essentiellement la fonction publique de l'État, l'existence d'une limite d'âge étant en effet extrêmement rare pour l'accès aux cadres d'emploi de la fonction publique territoriale.

M. Jean-Pierre Dufau, après avoir admis le caractère séduisant que la proposition de loi pouvait présenter en première analyse et l'utilité d'harmoniser les règles entre les différentes fonctions publiques, a fait observer que cette question ne devait pas occulter celle des effectifs ni la politique du Gouvernement de non-renouvellement des départs à la retraite. Citant à l'appui de son propos la pièce L'exception est la règle de Bertolt Brecht, il s'est inquiété des conséquences d'une généralisation de l'interdiction des limites d'âge pour accéder aux concours de la fonction publique, en particulier pour les emplois de catégories B et C lesquels risquent alors d'échapper aux jeunes qui entrent sur le marché du travail au profit de travailleurs plus âgés. Il a ajouté que la suppression des limites d'âge répondait souvent à des contingences liées à des besoins ponctuels de recrutement, comme c'est le cas pour les corps enseignants. Il a enfin demandé au rapporteur s'il avait pu consulter les organisations syndicales sur sa proposition et si la suppression de toute limite d'âge signifiait la remise en cause de la subordination à une durée de quinze ans de service de l'ouverture de droits à la retraite.

M. Jérôme Lambert a estimé qu'au-delà d'un louable effort d'harmonisation des règles régissant les différentes fonctions publiques, la vraie question qui se posait aujourd'hui au secteur public était celle du manque de création de postes, en particulier dans l'enseignement et la recherche. Il a insisté sur la nécessité de conduire une autre politique en faveur de la fonction publique.

M. Guy Geoffroy, après avoir indiqué qu'il était signataire de la proposition de loi, a souligné que la question centrale qui se posait à la fonction publique était celle de ses fins et que ce texte permettait de faire accéder aux différents emplois ouverts aux concours les personnes les plus adaptées, sans distinction d'âge, et d'ouvrir, en conséquence, la fonction publique à des profils différents, susceptibles d'être enrichissants pour les administrations. Il a estimé que certaines initiatives passées, comme la création des emplois-jeunes, avait, à l'inverse du souhait exprimé par M. Dufau, précarisé la situation de nombreux jeunes entrant sur le marché de l'emploi.

M. Alain Marsaud, également signataire de la proposition, a estimé utile de se garder de tout « jeunisme » en la matière et d'offrir à certains salariés du secteur privé une deuxième chance, une nouvelle carrière, ce qui favorisera également l'ouverture d'esprit dans la fonction publique et le brassage des expériences.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

-  la proposition de loi n'a pour objet que d'élargir les conditions d'accès à la fonction publique et ne traite donc pas de la question du nombre de postes offerts ;

-  la suppression des limites d'âges pour l'accès aux corps enseignants a été décidée en 1989, nonobstant le maintien de la règle des quinze ans de service pour l'ouverture de droits à la retraite, tandis que l'affirmation du principe de non-discrimination en fonction de l'âge a été posé par le législateur en 2001 ;

-  l'évolution du marché du travail dans le sens d'une plus grande mobilité des travailleurs exige de permettre aux salariés du secteur privé, y compris aux travailleurs âgés peu qualifiés, d'accéder à la fonction publique, en particulier aux emplois de catégorie C ;

-  la réforme récente des retraites a réglé la question des « polypensionnés » dans le sens de l'intérêt des personnes concernées, ce qui favorisera les passages d'un secteur à l'autre ;

-  les représentants syndicaux consultés n'ont pas été hostiles à la démocratisation de l'accès à la fonction publique par suppression des limites d'âge.

Le président Pascal Clément a estimé que, pour entrer dans la fonction publique, la vocation de servir les citoyens était plus importante que les avantages matériels qu'elle offrait, même si la sécurité attachée aux emplois publics constituait un élément attractif. Il a relevé que la proposition de loi permettrait précisément de répondre de manière plus souple aux desiderata de carrière de chacun et, notamment, de favoriser l'entrée dans un environnement professionnel qui faciliterait leur épanouissement de salariés âgés du secteur privé fragilisés.

À l'issue de ce débat, la Commission a adopté le texte proposé par le rapporteur, les membres du groupe socialiste s'abstenant.

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