COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 31

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 14 avril 2004
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Pascal Clément, président

SOMMAIRE

 

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- Projet de loi organique pris en application de l'article 72-2 de la Constitution relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales (n° 1155) (M. Guy Geoffroy, rapporteur)

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- Proposition de résolution de M. Thierry Mariani sur la proposition de règlement du Conseil portant création d'une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne (COM [2003] 687 final / E 2447) (n° 1478) (M. Thierry Mariani, rapporteur)



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La Commission a examiné, sur le rapport de M. Guy Geoffroy, le projet de loi organique pris en application de l'article 72-2 de la Constitution relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales (n° 1155).

M. Guy Geoffroy, rapporteur, a rappelé que la question de l'autonomie financière des collectivités locales s'inscrivait dans l'histoire institutionnelle de la France, comme en témoignent les grands débats républicains du début du siècle dernier, et que, en dépit du caractère centralisé de l'organisation institutionnelle française, notre pays ne figurait pas en mauvaise place parmi les pays européens en terme de reconnaissance de cette autonomie locale. Il a constaté néanmoins que la précédente législature avait été marquée par une recentralisation très nette des finances locales : citant notamment la suppression de la part de la taxe professionnelle assise sur les salaires ou la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, il a indiqué que la part des recettes fiscales propres par rapport aux recettes totales avait été ramenée de 58,2 % à 54,7 % pour les communes, de 58,3 % à 52,2 % pour les départements et de 57,8 % à 36,5 % pour les régions. Il a également déploré que, par les mécanismes de compensation, l'État soit devenu le premier contribuable local, distendant ainsi le lien nécessaire entre l'élu et le contribuable. Il a en outre évoqué la perte de marges de manœuvres financières des collectivités locales à la suite d'une gestion des dotations de l'État peu transparente, notamment à travers les abondements exceptionnels apportés d'année en année au contrat de croissance et de solidarité, puis fait état des charges toujours accrues imparties aux collectivités territoriales. Il a ainsi rappelé les conditions dans lesquelles avait été effectué le transfert de la charge des lycées et collèges aux régions et départements, puis critiqué l'application unilatérale de la réduction hebdomadaire du temps de travail dans la fonction publique territoriale, qui a considérablement alourdi les charges de fonctionnement des collectivités locales. Il a enfin évoqué la mise en place de l'allocation personnalisée d'autonomie, qui s'est traduite pour les départements par un surcoût net de 3,76 milliards d'euros.

Rappelant le cadre constitutionnel antérieur dans lequel ces mesures avaient été prises, le rapporteur a déploré que le Conseil constitutionnel n'ait pas eu à l'époque les outils juridiques lui permettant de censurer de telles dérives, se limitant à chaque fois à constater qu'un degré supplémentaire dans la remise en cause des libertés locales avait été franchi. Ayant évoqué les nouvelles dispositions constitutionnelles issues de la révision du 26 mars 2003, qui permettront désormais de mettre un coup d'arrêt à de telles pratiques, il a présenté les quatre articles du projet de loi organique, qui ont pour objet de définir le ratio selon lequel la part des ressources propres par rapport à l'ensemble des ressources est considérée comme déterminante. Il a ainsi précisé que la définition des ressources propres donnée par l'article 2 du projet incluait les impositions de toutes natures, ce qui intégrait nécessairement, compte tenu de la rédaction du deuxième alinéa de l'article 72-2, tous les impôts locaux, y compris ceux sur lesquels les collectivités n'ont pas de pouvoir de fixation des taux. Il a indiqué que l'article 3 du projet prévoyait un taux plancher, en deçà duquel les ratios d'autonomie financière pour chaque catégorie de collectivités ne pourront être ramenés, et qui correspondait au taux atteint en 2003.

Après avoir remercié le rapporteur pour la clarté de son exposé, le président Pascal Clément a salué une avancée espérée depuis vingt ans grâce à la réforme constitutionnelle de 2003, qui a notamment conforté l'autonomie financière des collectivités territoriales en introduisant la notion de « part déterminante » des ressources propres dans l'ensemble des recettes des collectivités territoriales. Il a considéré que celles-ci seraient désormais à l'abri des mésaventures qui ont marqué la première étape de la décentralisation.

M. Jacques Floch s'est réjoui de voir que l'actuelle majorité, après s'être opposée vivement aux « lois Deferre » des années quatre-vingts, s'était finalement ralliée à la décentralisation. Il s'est interrogé sur l'utilité du projet de loi organique, qui lui a paru se réduire à une explication du texte constitutionnel, pourtant suffisamment clair en lui-même. Il a estimé que le projet ne garantissait pas aux collectivités locales une réelle liberté fiscale, que seule pourrait assurer la faculté de déterminer librement l'assiette et le taux d'un impôt qui leur serait propre. Il a par ailleurs regretté que soit absente de ce texte la solidarité républicaine, qui suppose des mécanismes de péréquation destinés à compenser les inégalités d'assiette fiscale entre les collectivités et à éviter les tentations de baisse concurrentielle des taux. Regrettant l'absence de dispositions relatives aux établissements publics de coopération (epci), il s'est déclaré convaincu que la majorité serait conduite à tirer les conséquences des efforts considérables de regroupement consentis par les élus locaux et de la mise en place de grandes entités assumant des investissements lourds.

Revenant sur les observations du rapporteur sur les modalités du transfert des collèges et des lycées aux départements et aux régions définies voici vingt ans, il s'est inscrit en faux contre une argumentation purement comptable et d'ailleurs démentie par l'expérience des citoyens, qui ont apprécié l'effort des collectivités dans la construction des établissements scolaires, preuve d'une réforme réussie du point de vue du service rendu. Il s'est enfin interrogé sur le sens de la notion d'autonomie financière, puisque la part respective des ressources des différentes catégories de collectivités territoriales n'est pas définie. Il a considéré dès lors que la présente loi organique serait source de déception pour les collectivités territoriales.

Le président Pascal Clément a constaté avec satisfaction que M. Jacques Floch employait un argument qui avait été absent du discours de ses amis lors de la décentralisation des lycées et des collèges : celui de la compensation des charges. Il a rappelé qu'avant la décentralisation, les crédits budgétaires n'autorisaient annuellement que la construction d'un ou deux collèges et d'un ou deux lycées pour toute la France, alors que, depuis lors, chaque département et chaque région mettaient en chantier tous les ans un ou deux établissements relevant de leur compétence. Il a rappelé que, désormais, l'adéquation entre les compétences et les ressources transférées serait soumise au contrôle du juge constitutionnel conformément à l'article 72-2 de la Constitution et souligné que cette disposition prévoyait expressément l'adoption d'une loi organique pour en déterminer les modalités d'application.

M. Xavier de Roux s'est déclaré surpris par les arguments de l'opposition, avant de souligner que le texte constitutionnel ne pourrait que faire obstacle au penchant de l'État à transférer des compétences sans les ressources appropriées. Il a cité l'exemple récent des charges relatives à l'allocation personnalisée d'autonomie, dont les départements doivent chaque année financer la charge croissante. En réponse à une remarque de M. Christophe Caresche, il a fait valoir que le revenu minimum d'activité avait, quant à lui, fait l'objet d'un financement, le principe de compensation des charges bénéficiant désormais d'une assise constitutionnelle.

M. Christophe Caresche s'est montré étonné de la ferveur avec laquelle la majorité défendait ce projet de loi, alors que, selon des informations parues dans la presse, nombre de ses membres avaient fait état de leurs interrogations, d'aucuns attribuant même aux projets du Gouvernement relatifs à la décentralisation la responsabilité de la défaite électorale subie par la majorité lors des dernières élections régionales. Il a néanmoins reconnu que les interrogations suscitées par ce texte dépassaient les clivages partisans habituels. Après avoir convenu qu'il y avait eu, par le passé, des transferts de compétences sans véritable compensation financière, il a toutefois observé que, par leur ampleur, les transferts prévus par le projet de loi sur les libertés et responsabilités locales étaient sans commune mesure avec ceux opérés par les lois de 1982 et de 1983, qui ont confié la gestion et la construction des établissements scolaires aux collectivités territoriales. Évoquant les dispositions du projet de loi organique, il a regretté qu'elles ne prévoient pas la compensation financière intégrale des nouvelles charges confiées aux collectivités locales, notamment la prise en charge du revenu minimum d'activité ou de l'entretien et de la construction des routes nationales.

Réagissant aux propos M. Jacques Floch, M. Michel Piron s'est demandé si les membres du groupe socialiste étaient sincèrement favorables à la décentralisation compte tenu de l'insistance avec laquelle ils soulignaient le risque d'aggravation des inégalités entre les collectivités locales qu'elle serait censée provoquer. Puis, après avoir rappelé qu'aucun impôt local n'avait été affecté à la construction des établissements scolaires, en application du principe constitutionnel de non affectation des recettes fiscales, il a indiqué que le seul élément permettant de comparer l'effort consacré, avant 1982, par l'État avec celui des collectivités territoriales, était d'évaluer le montant des budgets d'investissement dédiés à ces opérations. Il a souligné, de surcroît, que le projet de loi organique n'avait nullement pour objet de déterminer les modalités de la péréquation entre collectivités locales.

Après avoir noté que les derniers résultats des élections régionales semblaient avoir réduit l'appétence de la majorité pour la décentralisation et le transfert de compétences aux régions, M. Émile Zuccarelli s'est toutefois réjoui des assauts de prosélytisme en faveur de la décentralisation auxquels ce débat a donné lieu. Il a contesté les arguments attribuant à la réduction du temps de travail la responsabilité de l'augmentation des effectifs des collectivités locales. Après avoir évoqué les déclarations du Président de la République annonçant l'exonération de la taxe professionnelle pour les nouveaux investissements, il a souhaité savoir si cette mesure ferait l'objet d'une compensation financière de la part de l'État.

Le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

-  la taxe professionnelle, dont la réforme a été annoncée par le Président de la République, sera évidemment remplacée par un impôt équivalent.

-  il n'est pas possible de définir les ressources propres des collectivités comme les seules sur lesquelles les collectivités ont un pouvoir de fixation des taux : une telle interprétation méconnaîtrait la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, qui précise que la loi peut, et non doit, autoriser les collectivités locales à fixer l'assiette et le taux des impositions de toutes natures dans les conditions qu'elle détermine.

La Commission a ensuite examiné les articles du projet de loi organique.

Article 1er : Définition de la notion de catégorie de collectivités territoriales :

La Commission a rejeté un amendement de M. René Dosière, proposant d'opérer une distinction entre les communes selon leur population, le rapporteur ayant indiqué qu'une telle différenciation n'était pas prévue par l'article 72-2 de la constitution. Elle a examiné un autre amendement du même auteur, proposant de prendre en compte, de manière spécifique, les établissements publics de coopération intercommunale (epci) au titre des catégories de collectivités territoriales mentionnées au 3e alinéa de l'article 72-2. Le rapporteur a rappelé qu'une telle extension excédait la portée de la norme constitutionnelle, qui ne mentionne que les collectivités elles-mêmes, tout en soulignant que les epci sont pris en considération, aux articles 2 et 3 du projet, dans le cadre de la consolidation des ressources des communes. La Commission a donc rejeté cet amendement. Elle a ensuite rejeté un amendement présenté par M. René Dosière, proposant de distinguer, au sein des collectivités territoriales, les collectivités d'outre-mer, ainsi que deux amendements de conséquence du même auteur.

La Commission a adopté l'article premier sans modification.

Article 2 : Définition de la notion de ressources propres :

La Commission a examiné un amendement présenté par M. René Dosière, proposant de limiter le périmètre des impositions de toutes natures prises en compte dans la notion de ressources propres au sens de l'article 72-2 de la Constitution, au seul produit de celles dont les collectivités votent le taux ou déterminent le barème. Le rapporteur a indiqué que la rédaction proposée ne lui semblait pas compatible avec celle de l'article 72-2, qui ne faisait de la fixation de l'assiette et du taux qu'une possibilité, et non une obligation. M. Christophe Caresche a contesté le recours systématique du rapporteur à l'argument de la non-conformité des amendements à la Constitution, cette appréciation n'appartenant qu'au Conseil constitutionnel.

La Commission a rejeté cet amendement. Elle a en revanche adopté un amendement de précision rédactionnelle du rapporteur, visant à lier, dans la rédaction de l'article 2, la définition du champ des impositions de toutes natures prises en compte de manière automatique dans l'ensemble des ressources propres des collectivités territoriales à la norme constitutionnelle elle-même, de façon à mieux identifier la « filiation » constitutionnelle de la norme organique.

La Commission a examiné deux amendements de M. René Dosière, tendant, l'un à exclure des ressources propres des catégories de collectivité, les dégrèvements et les dotations, et, l'autre, uniquement les dégrèvements. Le rapporteur a relevé que, s'agissant des dotations, satisfaction était donnée à l'auteur des amendements, puisque celles-ci étaient exclues par le projet des ressources propres, et intégrées au dénominateur du ratio dans l'ensemble des ressources. En ce qui concerne les dégrèvements, il a souligné qu'ils étaient neutres pour les collectivités territoriales, puisqu'ils consistent en réalité en une simple substitution du contribuable national au contribuable local, sans modification des ressources globales des collectivités.

La Commission a rejeté ces deux amendements, puis a adopté l'article 2 ainsi modifié.

Article 3 : Définition des notions d' « ensemble des ressources » et de « part déterminante » :

La Commission a rejeté deux amendements de M. René Dosière, tendant, par une modification du calcul du dénominateur de la fraction servant à établir la part des ressources propres, à infléchir les transferts financiers entre collectivités dans le sens d'un enrichissement de la péréquation, soit, pour le premier, à un niveau global, soit, pour le second, entre collectivités d'une même catégorie ou entre l'État et les collectivités. Le rapporteur a relevé que, si l'objectif poursuivi par les amendements méritait réflexion, leur rédaction présenterait l'inconvénient de rigidifier inutilement le texte organique, alors que l'article 72-2 de la Constitution ne prévoyait pas lui-même d'opérer une quelconque différence de traitement entre transferts de ressources résultant de politiques de péréquation ou de politiques de redistribution.

La Commission a examiné un amendement de M. René Dosière, proposant de substituer, au titre de la période de référence prévue par l'article 3, l'année 2002 à l'année 2003. Le rapporteur a observé que cette suggestion constituait une forme d'aveu de ce que la suppression de la part salariale de la taxe d'habitation s'était traduite par une dégradation de l'indépendance financière des collectivités territoriales. M. Jacques Floch a rappelé que l'objectif initial de cette réforme de la fiscalité locale consistait à préserver les emplois, et qu'il convenait donc de s'en féliciter. Le rapporteur a indiqué que son avis défavorable à l'amendement n'était pas lié à cette réforme, mais à la définition du cadre constitutionnel dans lequel s'inscrit l'examen du projet de loi organique.

La Commission a rejeté cet amendement avant d'adopter l'article 3 sans modification.

Article 4 : Mécanisme de mise en œuvre de la garantie :

La Commission a examiné un amendement de M. René Dosière, visant à élargir le contenu du rapport prévu par l'article 4 à la présentation des écarts à la moyenne du niveau des ressources propres entre collectivités, ainsi que des mesures envisagées pour les réduire. Le rapporteur a indiqué que cette proposition était difficilement envisageable pour chacune des quelques 36 000 communes, et que, de surcroît, l'objectif du resserrement des écarts ne comptait pas au rang des prescriptions constitutionnelles.

Malgré les propos de M. Jacques Floch, qui a fait valoir que cet amendement reprenait une proposition ancienne de la majorité, formulée lorsque ses membres étaient dans l'opposition, la Commission l'a rejeté.

La Commission a adopté l'article 4 sans modification.

Après l'article 4 :

La Commission a rejeté deux amendements de M. René Dosière, précisant l'interprétation qui devait être donnée de la contrainte constitutionnelle de péréquation entre les collectivités territoriales, soit en assurant un niveau comparable de services publics par des dotations de l'État ou des mécanismes de solidarité entre collectivités, soit en prévoyant des mécanismes de péréquation accompagnant tout transfert de compétences. Elle a rejeté deux autres amendements du même auteur, l'un imposant une procédure de concertation avec les collectivités préalablement à toute modification de leurs ressources fiscales, l'autre tendant à supprimer tout mécanisme de liaison des taux de taxe professionnelle par rapport à ceux des autres impositions locales.

Le rapporteur a rappelé que les mécanismes de liaison de taux n'étaient pas de nature organique mais relevaient des lois ordinaires et des lois de finances, que la déliaison ainsi proposée avait été refusée par la précédente majorité, et que la seule avancée en la matière résultait de la loi de finances pour 2003. Il a donné un avis défavorable à cet amendement, que la Commission a rejeté.

La Commission a adopté l'ensemble du projet de loi ainsi modifié.

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La Commission a examiné, sur le rapport de M. Thierry Mariani, la proposition de résolution sur la proposition de règlement du Conseil portant création d'une agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne (COM [2003] 687 final / E 2447) (n° 1478).

M. Thierry Mariani, rapporteur, a expliqué que l'examen de la proposition de résolution portant sur la proposition de règlement du Conseil portant création de l'agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures de l'Union européenne à quelques semaines de l'élargissement n'était pas le fruit d'un hasard du calendrier : la réunification de notre continent déplacera les frontières de l'Union vers l'Est et vers le Sud - frontières qui seront directement en contact avec les pays de l'ex-urss, des Balkans ou de l'autre rive de la Méditerranée - et en transférant pour partie le contrôle aux nouveaux États membres ; ce bouleversement ne doit pas se traduire par une diminution de l'efficacité de ces contrôles, surtout à la lumière des événements de Madrid, qui ont montré combien l'Europe était vulnérable au terrorisme international.

Le rapporteur a fait valoir que la création de l'agence européenne des frontières extérieures répondait, au moins partiellement, à ces préoccupations. Il a rappelé que la proposition de la Commission de créer l'agence répondait à une demande du Conseil européen, formulée à Thessalonique, en juin 2003, puis à Bruxelles en octobre dernier. Il a indiqué que cette structure communautaire permanente était née du bilan jugé peu efficace des opérations conjointes menées par les États membres, des centres opérationnels et des projets pilotes qui s'étaient multipliés depuis 2002, au sein d'une instance créée au sein du Conseil pour les coordonner, appelée « l'instance commune des praticiens des frontières extérieures ».

Il a précisé que cette agence aurait pour missions principales de coordonner la coopération opérationnelle entre États membres en matière de contrôle et de surveillance des frontières extérieures, terrestres, maritimes et aériennes ; de prêter assistance aux États membres pour la formation de leurs gardes-frontières nationaux, en fournissant une formation au niveau européen pour les formateurs nationaux de garde-frontières, en organisant des séminaires et en offrant une formation complémentaire aux agents des administrations compétentes ; d'effectuer l'évaluation des risques ; de suivre l'évolution de la recherche en matière de contrôle et de surveillance des frontières extérieures ; d'assister les États membres confrontés à une situation exigeant une assistance opérationnelle et technique renforcée à leurs frontières extérieures ; de coordonner la coopération opérationnelle entre États membres en matière d'éloignement de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dans les États membres. Il a cependant fait observer que l'agence ne jouerait aucun rôle dans l'élaboration des politiques, ne ferait pas de propositions législatives et n'exercerait pas de compétences d'exécution. Il a indiqué en outre que cette agence communautaire, dotée d'une structure légère, dont les effectifs devraient comprendre une trentaine de personnes et le budget s'élever à 6 millions d'euros en 2005 et à 10 millions en 2006, serait dotée d'un conseil d'administration composé de douze représentants nommés par le Conseil et de deux représentants de la Commission. Ce conseil d'administration nommerait un directeur exécutif, indépendant dans l'exercice de ses fonctions.

M. Thierry Mariani a expliqué que le Conseil avait très favorablement accueilli cette proposition et souhaité que l'agence soit opérationnelle dès le 1er janvier 2005, tout en apportant quelques modifications au texte, insistant notamment sur le fait que « la responsabilité du contrôle et de la surveillance des frontières extérieures incomb[ait] aux États membres » et à accroître la représentation des États membres au sein du conseil d'administration, où chaque État membre disposerait d'un représentant, au lieu de douze représentants pour l'ensemble des États membres ; pour compenser cette augmentation de l'effectif du conseil, un bureau exécutif serait créé, afin de superviser la gestion quotidienne de l'agence par le directeur. Il a ajouté que le Conseil avait réduit les compétences de l'agence en matière d'éloignement, celle-ci ne pouvant ni coordonner, ni organiser d'opérations de retour conjointes, se contentant de fournir l'assistance nécessaire à l'organisation de ces opérations ; qui plus est, les compétences de l'agence en matière de formation des garde-frontières ont été renforcées, celle-ci pouvant établir des normes communes de formation. Enfin, les possibilités de coopération entre l'agence et les organisations internationales et les pays tiers ont été accrues : la proposition initiale limitait cette coopération à l'échange d'informations stratégiques non personnelles, limitation supprimée en vue de permettre à l'agence de conclure des accords de travail autorisant l'échange de données à caractère personnel. Arguant de ce que le gouvernement français était, a priori, réservé sur la possibilité que ces accords puissent inclure l'échange de telles données, il a approuvé le point 3 de la proposition de résolution votée par la délégation, demandant l'exclusion des données à caractère personnel ou, à défaut - certains États paraissant attachés à cette extension - l'introduction de dispositions relatives à la protection des données personnelles (droit d'accès et de rectification, durée de conservation des données, etc.).

M. Thierry Mariani a présenté les questions restant en suspens, à commencer par celle du siège de l'agence. Il a rappelé que cinq États adhérents - l'Estonie, la Hongrie, la Pologne, Malte et la Slovénie - s'étaient portés candidats pour l'accueillir, un consensus semblant se dessiner en faveur d'une localisation dans un des nouveaux États membres, ce qui semblait logique, dans la mesure où ils assureraient, à terme, le contrôle d'une part importante des nouvelles frontières extérieures de l'Europe réunifiée, et parce qu'aucun de ces États n'avait été retenu lors de la répartition des sièges des agences lors du Conseil européen de Bruxelles. Le rapporteur a précisé que le président de la République, M. Jacques Chirac, avait apporté son soutien à la candidature de Budapest lors de sa visite officielle en Hongrie, les 23 et 24 février 2004.

Il a par ailleurs évoqué la question du régime linguistique de l'agence, non défini par la proposition initiale. Indiquant que la France avait, au cours des négociations, obtenu qu'il soit fait référence au régime linguistique de la Communauté économique européenne (onze langues officielles, bientôt vingt, peut-être vingt-et-un si Chypre est réunifiée avant le 1er mai), il a espéré, pour le bon fonctionnement de l'agence, que son conseil d'administration saurait définir un régime simplifié, reposant sur un nombre limité de langues de travail, s'inspirant des règles générales applicables dans les institutions européennes donc incluant le français.

S'agissant du contrôle parlementaire de l'agence, il a jugé qu'il devrait faire intervenir les Parlements nationaux, dont le rôle essentiel en matière de justice et d'affaires intérieures a été reconnu par la Convention, les missions de l'agence touchant, en effet, à des prérogatives de puissance publique et à l'exercice des libertés fondamentales. Approuvant sur ce point la proposition de résolution, il a estimé que la mise en place d'une commission mixte, composée de parlementaires européens et nationaux, sur le modèle de ce qui est préconisé pour Europol et pour Eurojust, constituerait une solution appropriée à cet égard et serait particulièrement adaptée à la nature des compétences de l'agence, qui relève des compétences partagées de l'Union et des États membres.

Évoquant les compétences d'exécution, qui incluent des compétences répressives reconnues au personnel de l'agence et aux experts des États membres opérant sur le territoire d'un autre État membre, le rapporteur a précisé que, loin de remettre en cause la conception initiale de la Commission lorsqu'elle avait présenté la proposition, selon laquelle les agents n'auraient aucune compétence répressive, cette disposition visait simplement à permettre au personnel et aux experts des États membres de pouvoir exercer les pouvoirs que les législations de certains États membres leur reconnaissent. Il a ajouté qu'elle ne conduirait en aucune manière la France à modifier sa législation pour accorder des compétences répressives au personnel de agence ou à des experts des États membres opérant sur son territoire, ce qui se heurterait en effet à des difficultés d'ordre constitutionnel. Il a cependant relevé que la référence ainsi opérée rendait problématique l'application à l'agence du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes, inspiré des privilèges et immunités diplomatiques, si certains États autorisaient le personnel de l'agence à exercer des compétences répressives. Il a donc proposé d'approuver la proposition de résolution sur ce point.

Le rapporteur a conclu en soulignant que la création de l'agence marquait une étape dans la mise en place d'une gestion intégrée des frontières extérieures et était symptomatique des avancées rapides enregistrées depuis le Conseil européen de Tampere. Il a estimé nécessaire que l'Assemblée nationale soit attentive à l'évolution de ce type d'agence qui, même si, pour l'heure, elle ne faisait que reprendre les missions dévolues à « l'instance commune de praticiens des frontières extérieures », pouvait connaître une croissance exponentielle. Soulignant que le chemin restait long jusqu'à la création d'un corps européen de garde-frontières, que la France et l'Allemagne avait appelé de leurs vœux, et rappelant que de nombreux États membres, actuels (Royaume-Uni, pays scandinaves) ou nouveaux (Pologne) restaient réticents à cet égard, il a jugé qu'une police européenne des frontières, composée de contingents nationaux qui pourraient venir en appui des polices locales et les soutenir en cas de besoin, devrait pourtant constituer une perspective intéressante à terme. Il a fait valoir que le recours aux coopérations renforcées dans ce domaine pourrait la faire progresser et que, de même, des événements aussi dramatiques que les attentats de Madrid soulignaient combien, face à des menaces qui pesaient sur l'Europe entière, une action coordonnée s'avérait nécessaire.

Après avoir indiqué que son groupe soutenait la proposition de résolution, M. Jacques Floch a jugé que le contrôle des frontières orientales de l'Europe élargie posait un véritable problème, de même que celui des frontières maritimes, dont il a suggéré d'insérer la mention dans la proposition de résolution. Il a ajouté que l'intégration future de la Roumanie et la Bulgarie à l'Union posait le même problème. Il s'est réjoui de ce que l'entrée probable de la Turquie dans l'Union permette à celle-ci, de disposer, au sud, d'un véritable contrôle de ses frontières. Il a enfin estimé que la France aurait tout intérêt à s'impliquer fortement dans le fonctionnement de l'agence, la protection des frontières de l'Union étant l'un des sujets majeurs de son avenir.

Approuvant la suggestion de M. Jacques Floch visant à mentionner, dans le texte de la résolution, les frontières terrestres, aériennes et maritimes, M. Thierry Mariani a fait écho à ses propos sur les failles du contrôle des frontières orientales de l'Union élargie et évoqué le statut de contractuels des garde-frontières polonais. Il a estimé inéluctable, au vu de cette situation, la constitution d'une police européenne de garde-frontières, notant d'ailleurs la communautarisation croissante de la politique d'immigration.

À l'issue de ce débat, la Commission a adopté l'ensemble de la proposition de résolution ainsi modifiée.


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