COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 35

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 11 mai 2004
(Séance de 18 heures 30)

Présidence de M. Pascal Clément, président

SOMMAIRE

Audition de Mme Brigitte Girardin, ministre de l'Outre-mer, sur le projet de loi relatif à l'octroi de mer (n° 1518).

La Commission a procédé à l'audition de Mme Brigitte Girardin, ministre de l'Outre-mer, sur le projet de loi relatif à l'octroi de mer (n° 1518).

Présentant la réforme de l'octroi de mer, Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre- mer, a développé les trois points suivants.

Qu'est-ce que l'octroi de mer ? L'octroi de mer est une imposition spécifique aux départements d'outre-mer. Il s'agit d'un droit de consommation très ancien, perçu depuis le XVIIe siècle, qui relève aujourd'hui de la compétence des conseils régionaux. Son produit alimente les budgets des communes des dom, ainsi que celui du département de la Guyane. Les budgets des régions d'outre-mer son également bénéficiaires, depuis 1984, d'un droit additionnel à l'octroi de mer (daom). En 2003, le produit total de l'octroi de mer pour les quatre dom s'élevait à 615 M € et celui du droit additionnel à l'octroi de mer à 140 M €. Cette ressource tient donc une place importante au sein des budgets de ces collectivités. L'octroi de mer a aussi pour objet d'apporter un soutien aux entreprises des dom par des exonérations totales ou partielles des productions locales, sous certaines conditions, tandis que les importations de produits de même nature peuvent rester taxées.

Le maintien de cette forme de soutien économique - dérogatoire au Traité instituant la Communauté européenne (tce) - suppose l'accord des autorités communautaires sous la forme d'une décision du Conseil des ministres de l'Union européenne sur proposition de la Commission. Cette dernière repose, quant à elle, sur une demande de la France sur la base de l'article 299 § 2 du tce, qui reconnaît les handicaps structurels auxquels sont confrontés les producteurs des régions « ultra-périphériques » de l'Union européenne.

Le contexte communautaire. Le régime d'exonération en vigueur est issu de la loi de 1992 et trouve son origine dans la décision du Conseil des ministres de l'Union européenne de 1989. Il arrivait à échéance le 31 décembre 2002. En mars 2002, le Gouvernement précédent avait déposé à la Commission européenne une demande de reconduction à l'identique du régime existant. La Commission, jugeant cette demande insuffisamment étayée, l'avait rejetée. L'existence du régime d'exonérations de l'octroi de mer se trouvait donc menacée au-delà du 31 décembre 2002.

En mai 2002, le nouveau Gouvernement a obtenu de Bruxelles, en urgence, la prorogation d'un an du régime, jusqu'à fin 2003 ; en contrepartie, une nouvelle demande circonstanciée devait être présentée par la France, dans des délais compatibles avec la prise de décision communautaire. Le sursis ainsi obtenu a été mis à profit pour préparer, en étroite concertation avec les exécutifs régionaux et les acteurs économiques locaux, une nouvelle demande circonstanciée, remise au commissaire Bolkestein en avril 2003. Sur ces bases, cette fois convaincantes, le Conseil de l'Union européenne a adopté en février dernier une décision favorable à la France. Est ainsi instaurée dans les dom, jusqu'au 1er juillet 2014, un régime permettant de faire bénéficier une liste de produits locaux d'écarts de taux d'octroi de mer dans des limites précisément définies en annexe à la décision.

La décision du Conseil prévoit que le nouveau régime doit être en place le 1er août 2004. Ce calendrier explique que l'Assemblée nationale soit saisie en urgence du projet de loi, qui a principalement pour objet de transposer dans le droit national le nouveau dispositif d'exonérations. A la demande de la Commission, le projet de loi a été notifié au titre des « aides d'État ». Cette notification, intervenue début mars, a donné lieu à quelques questions de la Commission, auxquelles le Gouvernement a répondu sans délai. La décision d'approbation devrait être donnée dans les prochaines semaines.

Les principaux objectifs du projet de loi sont les suivants : le maintien du soutien économique apporté aux entreprises des dom à travers l'outil fiscal qu'est l'octroi de mer ; une meilleure utilisation budgétaire du produit de cette taxe ; enfin, une simplification administrative.

-  En matière économique, le premier objectif du projet est de transposer dans le droit national le nouveau dispositif d'exonérations autorisé par la décision du Conseil. Il s'agit de faire bénéficier des listes de produits locaux, à défaut d'une exonération totale, d'une moindre taxation à l'octroi de mer par comparaison avec un produit identique importé. L'avantage ainsi conféré à ces productions locales doit toutefois rester dans une limite de 10, 20 ou 30 points de pourcentage, selon le niveau de soutien nécessaire. Les listes de produits correspondant à ces écarts de 10, 20 ou 30 points se réfèrent à la nomenclature douanière et forment l'annexe à la décision du Conseil.

Ainsi, en Guadeloupe, les eaux minérales produites localement figurent à l'annexe B de la décision du Conseil ; elles peuvent bénéficier d'un écart de taux de 20 points maximum. Si la région décide de taxer cette production locale à 5 %, la taxation des importations d'eaux minérales ne peut excéder 25 %, pour respecter l'écart maximum de 20 points autorisé par le Conseil.

La décision du Conseil prévoit également, pour permettre l'exonération des entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 530 000 €, que ces taux puissent être majorés de 5 points pour les produits figurant dans les listes, tandis que, pour les produits non listés, un écart de 5 points de pourcentage est un maximum. Cette dernière disposition permettra de conserver une gestion de la taxe proche de celle qui a prévalu jusque là et qui laissait ces « petites » entreprises hors du champ de l'octroi de mer.

Le dispositif actuel de l'octroi de mer repose sur un système de taux plafonnés à 30 % (50 % pour les alcools), pouvant donner lieu à des réductions de taxation au bénéfice de toute production locale, sous réserve d'une justification du besoin économique. Le nouveau dispositif instaure un système où les taux sont libres, mais où les réductions de taxation des productions locales ne sont autorisées que pour une liste de produits précise et dans le respect d'écarts fixés par la décision du Conseil. Ces écarts et ces listes ont été élaborés avec les acteurs locaux pour rester au plus près des pratiques existantes.

Cette nouvelle approche, qui résulte d'une exigence communautaire, a nécessité un effort important de la part des régions et des socio-professionnels pour disposer d'une meilleure connaissance des productions locales et de leurs besoins en terme de soutien. Pour le reste, les dispositions en vigueur sont maintenues : le marché unique antillais, destiné à accroître et améliorer les échanges entre la Guadeloupe et la Martinique est préservé ; le dispositif antillo-guyanais qui prévoit, pour la circulation des marchandises entre la Guyane et le marché antillais, une perception de l'octroi de mer dans le département d'origine et une exonération dans le département d'arrivée est également inchangé ; les « régimes suspensifs », comme le placement de marchandises importées sous entrepôt, sont maintenant explicitement reconnus. Ils permettent de différer le paiement de l'octroi de mer et améliorent en conséquence la trésorerie des entreprises.

-  En matière budgétaire, le seul véritable changement introduit par le projet de loi vise à porter remède à une consommation insuffisante, dans certains dom, des fonds régionaux pour le développement et l'emploi (frde). Ces fonds ont été institués pour permettre aux régions d'apporter aux communes, sur des ressources d'octroi de mer, des subventions d'investissement destinées à faciliter l'installation d'entreprises et développer l'emploi. A cet effet, et dans le prolongement d'une première extension apportée pour la Réunion dans le cadre de la loi de programme pour l'outre-mer, il est proposé que l'utilisation du frde soit élargie dans tous les dom. Par ailleurs, le droit additionnel à l'octroi de mer devient l'octroi de mer régional. Comme pour le droit additionnel à l'octroi de mer, le taux maximum de l'octroi de mer régional est de 2,5 %. Ce droit régional, s'ajoutant à l'octroi de mer, devra néanmoins respecter la décision du Conseil en matière d'écarts maximum de taux.

-  En matière administrative, la principale simplification concerne l'organisation de la gestion de l'octroi de mer : les entreprises locales n'auront désormais qu'un seul et même interlocuteur, à savoir les services de la douane, dorénavant compétents pour gérer l'ensemble de l'octroi de mer. Les services de la douane reprennent en effet les attributions des services fiscaux en ce qui concerne l'assiette et le contrôle de la taxe pour les productions locales.

Le projet de loi conforte donc un instrument fiscal original et essentiel pour les départements d'outre-mer, permettant d'assurer un niveau pertinent de recettes aux collectivités bénéficiaires et constituant un soutien adapté aux entreprises productives. Il préserve ainsi l'existence du régime de l'octroi de mer, tout en le modernisant et en le simplifiant.

Après s'être félicité de l'importante concertation menée avec les élus et les milieux socio-économiques des départements d'outre-mer, laquelle a permis d'élaborer un dispositif rénové, simplifié et conforme aux exigences communautaires, M. Didier Quentin, rapporteur, a posé les questions suivantes :

-  Est-on en mesure d'évaluer les conséquences sur les budgets des collectivités locales des départements d'outre-mer et, plus généralement, sur l'économie de ces départements, de l'instauration d'un écart maximal des taux applicables respectivement aux importations et aux productions locales ?

-  Les mécanismes retenus pour les écarts de taux n'inciteront-ils pas les unités de production à se morceler pour bénéficier de l'exonération totale accordée aux petits producteurs ?

-  Quels ont été les modalités et les critères d'élaboration de la liste des produits figurant en annexe de la décision du Conseil ?

-  La décision du Conseil en date du 10 février 2004 faisant explicitement référence à la nécessité d'actualiser les listes en cas d'apparition de nouvelles productions ou de mise en péril d'une production locale par certaines pratiques commerciales, est-il possible de préciser d'ores et déjà la procédure communautaire qui serait retenue dans cette hypothèse ?

-  Quelles sont les raisons de la sous-consommation des crédits du Fonds régional pour le développement de l'emploi (frde) ? Les dispositions prévues à l'article 48 du projet de loi sont-elles susceptibles de remédier efficacement à cette sous consommation ?

En réponse au rapporteur, Mme Brigitte Girardin a apporté les précisions suivantes :

-  Le nouveau dispositif devrait permettre d'assurer la continuité dans le volume des ressources collectées, dès lors qu'il n'existera plus, comme aujourd'hui, de plafonnement des taux à 30 %, et qu'aucune limite ne sera fixée quant au nombre et au montant des taux, ce qui accroîtra les marges de manœuvre des régions. Les conséquences sur la situation économique locale devraient également être limitées puisque, d'une part, le marché unique antillais et les régimes suspensifs sont maintenus, et que d'autre part, les petites entreprises qui sont exonérées aujourd'hui continueront de l'être demain.

-  La très grande majorité des entreprises locales sont des petites entreprises, qui réalisent un chiffre d'affaires inférieur à 530 000 euros. Comme auparavant, ces entreprises ne seront pas assujetties à l'octroi de mer. De surcroît, les entreprises locales sont moins préoccupées par l'existence d'une exonération que par le maintien d'un écart de taxation entre les produits locaux et les produits similaires importés.

-  Les listes de produits figurant en annexe de la décision du Conseil ont été élaborées sur le fondement de la nomenclature tarifaire douanière utilisée en matière de commerce international. Cet outil permet de répondre aux exigences posées par la Cour de justice des Communautés européennes (cjce) qui, dans sa jurisprudence, n'admet les exonérations d'octroi de mer au bénéfice des productions locales qu'à la condition que celles- ci soient nécessaires, proportionnées aux handicaps subis par les entreprises locales et précisément déterminées. Leur élaboration a donné lieu à une concertation étroite et intense avec le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, les acteurs économiques et les conseils régionaux des départements d'outre-mer, ce qui a permis d'assurer la conformité des listes avec la volonté des acteurs locaux.

- La décision du Conseil du 10 février 2004 prévoit, dans son article 3, une actualisation des listes en cas d'apparition d'une nouvelle production ou de mise en péril d'une production existante. La procédure d'actualisation est ouverte par le dépôt d'une demande écrite et motivée des régions auprès du préfet, qui transmet cette demande à la Commission ; cette dernière prépare à son tour une proposition au Conseil. La France a plaidé en faveur d'un allégement maximum de la procédure et a pu obtenir une dispense de l'avis consultatif du Parlement européen.

Pour obtenir satisfaction, les régions devront s'attacher à motiver leurs demandes d'inclusion d'un ou de plusieurs nouveaux produits dans l'une des trois annexes A, B ou C, en justifiant avec soin les niveaux de différentiel sollicités. Le texte du projet de loi est muet sur cette clause dite « de souplesse ». Toutefois, afin de rassurer les régions, il pourrait être utile d'introduire par amendement un article additionnel après l'article 29 rappelant la possibilité de révision ouverte par la décision du Conseil. Ce pourrait être l'occasion de l'encadrer d'un minimum de conditions, comme l'obligation de ne recourir à cette clause qu'une fois par an, hormis les cas d'urgence.

-  La sous-consommation des crédits du frde fait l'objet actuellement d'une expertise par les services du ministère de l'outre-mer. Si ce phénomène était confirmé, il conviendrait de réexaminer le dispositif prévu afin de confirmer la vocation du fonds à financer l'investissement des communes d'outre-mer.

Tout en reconnaissant l'importance du projet de loi pour les économies d'outre-mer, M. Jérôme Lambert a exprimé son inquiétude à l'égard du caractère provisoire du dispositif arrêté. Il a interrogé la ministre sur les perspectives à envisager après cette période de dix ans. Il a également fait part de ses réserves sur le maintien d'un seuil d'exonération pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 550 000 euros, en mettant en garde contre les risques induits par l'existence de tels seuils. Il a dès lors interrogé la ministre sur les perspectives d'évolution ou d'atténuation des effets de seuils.

M. Christophe Payet a souligné l'importance de la décision du Conseil de l'Union européenne du 10 février 2004 acceptant une reconduction de l'octroi de mer, moyennant des aménagements portant essentiellement sur le respect d'écarts de taux. Il a rappelé à ce sujet l'importance du produit de l'octroi de mer pour les collectivités d'outre-mer en indiquant que, pour La Réunion, l'octroi de mer représentait 40 % des recettes de fonctionnement d'une commune de 10 000 habitants. Il a souhaité une pérennisation du dispositif proposé en insistant sur les handicaps structurels qui affectent les départements d'outre-mer et justifient de telles spécificités fiscales. Il a souhaité également que les conditions d'éligibilité des opérations financées par le Fonds régional pour le développement de l'emploi puissent être élargies aux opérations d'équipement ou d'infrastructures financées par les collectivités elles- mêmes. Il a cité à ce sujet les projets d'endiguement des ravines à La Réunion, qui n'ont pu aboutir faute de crédits nécessaires.

En réponse aux intervenants, la Ministre a apporté les précisions suivantes :

-  La durée de dix ans accordée au nouveau dispositif de l'octroi de mer a été une déception, puisque les autorités françaises avaient demandé à bénéficier d'une durée analogue à celle prévue dans la loi de programmation pour l'outre-mer, à savoir quinze ans. Cette durée est très certainement le fait d'une rigidité des autorités communautaires, qui se sont limitées à reconduire la durée précédente. Il n'apparaît cependant pas inutile de faire un bilan, au bout de dix ans, de l'évolution du dispositif : l'octroi de mer constitue en effet une dérogation à la règle de libre circulation des marchandises, dérogation qui s'inscrit dans le cadre de l'article 299 § 2 du Traité de l'Union européenne. Cet article reconnaissant aux régions ultrapériphériques des handicaps structurels nécessitant des dispositifs adaptés, il apparaît normal d'avoir à justifier, de manière régulière, de quelle façon ces dispositifs contribuent à améliorer les économies ultramarines.

-  La reconduction du dispositif de l'octroi de mer n'a pas été acquise immédiatement, le Conseil de l'Union européenne ayant jugé insuffisamment étayée la première demande française. Il a ainsi fallu procéder à un travail technique et statistique considérable afin de rassembler tous les éléments permettant de justifier le maintien de l'octroi de mer.

-  Les seuils d'exonération pour les petites entreprises existaient déjà dans le précédent dispositif et l'objectif du Gouvernement a été de ne pas bouleverser l'économie du système ; il pourrait néanmoins être envisagé, pour remédier à la rigidité d'un tel seuil, de prévoir une possibilité de taxation de ces petites entreprises, sur décision expresse des conseils régionaux.

-  L'élargissement des opérations éligibles au Fonds régional pour le développement de l'emploi est prévu à l'article 48 du projet de loi ; néanmoins, la possibilité de financer des opérations d'équipement dont les collectivités locales sont maîtres d'œuvre était déjà possible à La Réunion, une disposition spécifique en ce sens ayant été adoptée dans la loi de programmation pour l'outre-mer.

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