COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES, DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 10

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 5 novembre 2002
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Yves Coussain,vice-président

SOMMAIRE

 

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- Audition conjointe, avec la commission des lois, de Mme Brigitte Girardin, ministre de l'Outre-mer


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- Examen pour avis des crédits pour 2003 :

 

- Outre-mer (M. Joël Beaugendre, rapporteur)

 
   

La commission a procédé à l'audition de Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, sur les crédits de son ministère pour 2003.

Après avoir indiqué que le projet de budget pour l'outre-mer s'élevait 1,084 milliard d'euros, soit une augmentation de 0,56 % par rapport aux crédits votés en 2002, la ministre a observé que l'augmentation à périmètre constant était, en fait, de 1,50 %, l'expérimentation en cours de la gestion des crédits de la préfecture de la Martinique conduisant à transférer, en 2003, 10,5 millions d'euros de crédits de rémunérations du personnel de cette préfecture au ministère de l'intérieur. Elle a rappelé que ce projet de budget était la première étape de la concrétisation de la politique du Gouvernement pour l'outre-mer, dans l'attente de la loi de programme promise par le Président de la République qui ne trouvera sa pleine traduction budgétaire que dans la loi de finances pour 2004.

Évoquant les principales nouveautés de son budget, elle a expliqué qu'il procéderait à une réorientation des crédits du Fonds pour l'emploi dans les départements d'outre-mer (FEDOM), afin de favoriser la création d'emplois durables, conformément à l'esprit de la loi ayant institué ce fonds. Elle a ensuite annoncé la mise en place d'un passeport-mobilité au profit de 11 000 étudiants et 5 000 jeunes en formation, soulignant que cette mesure répondait à une attente forte des jeunes. Présentant ce dispositif, elle a indiqué qu'il permettrait de prendre en charge l'intégralité des billets d'avion, vers la métropole ou d'autres collectivités territoriales, de jeunes poursuivant des études ou une formation ou postulant un premier emploi. Elle a ensuite évoqué les dotations supplémentaires destinées à préparer les deux conventions pour le développement économique et social de Mayotte et Wallis-et-Futuna.

Présentant l'action de son ministère en faveur de l'emploi, la formation et l'insertion professionnelle, qui sont au cœur des priorités budgétaires, la ministre a indiqué qu'elle souhaitait favoriser la création d'emplois durables à travers le développement des contrats d'accès à l'emploi (CAE), rappelant que leur nombre avait été divisé par trois entre 1996 et 2002. Elle a indiqué qu'elle avait donné, en mai dernier, des directives au comité restreint du FEDOM pour mobiliser pleinement ce dispositif, après avoir constaté que le nombre de mesures affichées pour les CAE pour 2002 risquait de n'être pas atteint, précisant qu'elle attendait, pour 2003, une augmentation de plus de 11 % de ces mesures. Elle a observé que cette première réorientation des crédits du FEDOM vers la création d'emplois dans le secteur productif se ferait sans rupture, puisque les crédits consacrés aux contrats emploi solidarité (CES) et aux contrats emploi consolidé (CEC) seront augmentés, soulignant que le nombre total de mesures pour l'emploi passerait de 74 825 en 2002 à 80 545 en 2003.

Après avoir reconnu que la situation de l'emploi outre-mer, où il existe environ 10 000 emplois jeunes, restait néanmoins difficile, elle a indiqué qu'une part importante des crédits du FEDOM demeurait consacrée aux emplois aidés, afin d'assurer une transition harmonieuse avec le dispositif qui sera mis en place dans le cadre de la loi de programme. Précisant que tous les emplois jeunes iraient à leur terme, elle a annoncé qu'elle avait veillé à ce que les moyens consacrés à ces emplois soient préservés en 2003, avec une dotation de 150 millions d'euros, soit près de 15 % du budget du ministère, tandis qu'une solution de reclassement serait trouvée pour chacun, et a rappelé que ces moyens budgétaires étaient, par ailleurs, complétés par un dispositif d'accompagnement des jeunes en fin de contrat.

Évoquant les mesures prévues par la loi d'orientation pour l'outre-mer, elle a estimé que cette dernière était loin d'avoir eu les résultats escomptés, faisant valoir que le budget pour 2002 avait affiché de façon peu réaliste, 23 000 mesures pour le projet initiative jeune, le congé solidarité et l'allocation de retour à l'activité, alors que les résultats de cette année montraient que seulement un tiers de ces mesures devrait se réaliser. Elle a observé que les prévisions pour 2003 avaient été fixées avec plus de pragmatisme, le projet de budget prévoyant 46 millions d'euros pour 9 300 mesures, soit une augmentation de 23 % par rapport à ce qui sera effectivement réalisé en 2002. S'agissant des moyens consacrés à la formation et à l'insertion, la ministre a rappelé que le service militaire adapté (SMA) avait pour principale mission d'insérer dans la vie active les jeunes d'outre-mer en difficulté, grâce au suivi d'une formation professionnelle adaptée et spécifique, et précisé que plus de 70 % des jeunes passant par le SMA trouvaient un emploi à la sortie. Elle a annoncé que le nombre de volontaires affectés au SMA augmenterait de 500 personnes en 2003, permettant ainsi la formation d'environ 3 000 jeunes. Rappelant que l'objectif prioritaire du Gouvernement était de faire baisser significativement le niveau de chômage, en particulier celui des jeunes, elle a observé que le passeport-mobilité, qui permet aux bénéficiaires d'élargir leurs perspectives de formation et de postuler plus facilement à des emplois métropolitains, s'inscrivait aussi dans cette logique.

Présentant la deuxième priorité de son ministère, la ministre a fait part de sa volonté d'améliorer l'offre de logements, afin de mieux répondre aux besoins liées à la forte croissance démographique et à l'insuffisance manifeste du parc de logements, soulignant que cet effort était d'autant plus important que la lutte contre l'exclusion et la précarité constituait un engagement essentiel du Président de la République. Elle a annoncé, à cet égard, qu'une dotation de 287,5 millions d'euros serait consacrée au développement des actions en faveur de la construction de logements sociaux et de l'accession sociale et très sociale à la propriété, et précisé que ces moyens seraient complétés par la reconduction du dispositif d'aide au logement évolutif social, mis en place en 1997, qui devait normalement arriver à échéance en 2002. Elle a ajouté que la priorité en faveur du logement se traduirait également par une progression des moyens destinés à la résorption de l'habitat insalubre, avec une dotation de 30 millions d'euros, soit une hausse de 10 % par rapport aux crédits de l'année 2002, et par une augmentation de 7,5 % des crédits de paiement de la ligne budgétaire unique (LBU). Elle a indiqué que son objectif prioritaire serait de consommer effectivement les dotations budgétaires attribuées, afin d'éviter de connaître les reports de crédits observés ces dernières années, notamment pour la LBU.

Rappelant que la compensation des déséquilibres structurels subis par certaines collectivités d'outre-mer relevait de la responsabilité de l'État, la ministre a souligné l'effort financier consenti en faveur des collectivités d'outre-mer, qui bénéficient d'une enveloppe de 109 millions d'euros. Elle a précisé que l'augmentation des crédits prévue permettrait notamment d'assurer la desserte inter-îles à Wallis et Futuna, d'abonder la dotation de rattrapage et de premier équipement de Mayotte et d'augmenter les dotations globales en faveur de la Nouvelle-Calédonie, ajoutant que, dans ces deux derniers cas, le budget pour 2003 accompagnerait les évolutions institutionnelles des collectivités concernées. Elle a également rappelé que le soutien aux collectivités d'outre-mer ne se limitait pas aux seuls crédits inscrits dans son budget, la plupart des dotations étant intégrées dans le budget du ministère de l'intérieur et des libertés locales.

Après avoir souligné l'inadaptation de la gestion des crédits de son ministère et fait part de son souhait d'inscrire l'outre-mer dans le vaste mouvement de la réforme de l'État, la ministre a annoncé son intention de globaliser le budget de la préfecture de la Martinique et de déconcentrer certains crédits actuellement gérés au niveau de l'administration centrale, citant l'exemple des bourses pour les étudiants, des crédits pour la formation des cadres, de certains crédits de rémunération pour le personnel embauché localement. Elle a également insisté sur la nécessité de mettre en place un contrôle de gestion, afin d'être en mesure de suivre le taux de consommation des crédits. Elle a ensuite évoqué la mise en œuvre d'un dispositif d'évaluation, notamment pour les mesures du FEDOM, et fait état de l'expérimentation de déconcentration des crédits de ce fonds en Martinique, précisant qu'une action identique serait conduite pour les dotations consacrées à la réhabilitation de l'habitat insalubre.

Revenant sur le problème de la faible consommation des crédits, elle a observé que, si les moyens accordés au budget de l'outre-mer ces dernières années avaient augmenté de manière régulière et importante, ceux-ci n'avaient été consommés que de manière très insuffisante, le montant cumulé des reports au cours des quatre exercices précédents s'élevant à 727 millions d'euros, dont 423 millions d'euros pour les deux dernières années, soit l'équivalent du budget pour 1997.

En conclusion, après avoir rappelé que les moyens attribués à son ministère ne représentaient qu'un dixième des crédits consacrés à l'outre-mer, la ministre a insisté sur l'importance de son action auprès des autres ministères, afin que ceux-ci mettent en place les financements et les moyens propres à satisfaire les besoins de l'outre-mer.

M. Joël Beaugendre, rapporteur pour avis pour la commission des Affaires économiques, de l'environnement et du territoire, s'est tout d'abord félicité de ce « budget vérité » en rupture avec les effets d'annonce et d'affichage des budgets antérieurs. Il a souligné qu'il s'agissait aussi d'un budget de transition, annonciateur d'une nouvelle politique pour l'outre-mer qui trouverait sa traduction dans la future loi de programme.

Puis il a interrogé la ministre sur plusieurs thèmes. Abordant en premier lieu la question des allocations logement, il a souhaité connaître les modalités de revalorisation de ces prestations et a demandé si les barèmes applicables outre-mer avaient été alignés sur ceux de la France métropolitaine. S'agissant du devenir des bénéficiaires de contrat emploi solidarité ou de contrat emploi consolidé, il a fait part de la préoccupation des élus locaux face aux multiples pressions, notamment syndicales, visant à intégrer ces personnes comme agents titulaires de la fonction publique territoriale. Il s'est demandé comment favoriser la pérennisation de ces emplois sans pour autant déséquilibrer les finances des collectivités locales, qui supportent déjà des charges de personnel particulièrement élevées, en raison notamment de la surrémunération des fonctionnaires en poste en outre-mer.

Après avoir constaté la fragilité de la filière de production de la banane du fait de l'organisation commune de marché (OCM) et de la concurrence exacerbée des pays producteurs latino-américains, il a souligné que la situation des producteurs guadeloupéens était aujourd'hui particulièrement critique, en raison de la baisse de production occasoinnée par divers événements climatiques. Soulignant que, dans le cadre des aides attribuées aux producteurs en cas de calamité agricole, l'ODADOM avait accordé des prêts aux groupements de producteurs de banane et que ces derniers demandaient aujourd'hui la transformation en subventions des prêts initialement accordés, le rapporteur a souhaité connaître l'état d'avancement des négociations entre les groupements de producteurs de banane, le ministère de l'outre-mer et le ministère de l'économie et des finances.

Abordant la question des concours financiers versés par l'Etat aux collectivités locales d'outre-mer, il a demandé à la ministre de lui préciser les critères de répartition de la dotation globale de fonctionnement (DGF) entre les collectivités de l'outre-mer. Observant que le principal semblait être celui du niveau de la population des collectivités locales respectives, il a demandé des explications sur les distorsions importantes qui paraissent exister entre les collectivités locales de la Martinique et de la Guadeloupe pour le montant des DGF attribuées.

Évoquant ensuite le problème de la mise en place de la couverture maladie universelle et de ses conséquences sur les finances locales des collectivités de l'outre-mer, il a rappelé que la loi instituant la couverture maladie universelle avait supprimé, à compter de l'année 2000, les contingents d'aide sociale (dépenses d'aide médicale) versés par les communes aux départements et prévu, en compensation de cette perte de ressources pour les départements, un prélèvement sur la dotation forfaitaire des communes d'un montant égal à leur participation aux dépenses d'aide médicale au titre de 1999. Il a cité plus particulièrement le cas de la Guadeloupe où le conseil général avait majoré considérablement le montant des contingents communaux d'aide sociale pour les années 1998 et 1999, pénalisant ainsi les communes qui avaient dû supporter une réduction de leur DGF à concurrence des dépenses d'aide médicale qu'elles ne finançaient plus. Il a donc demandé à la ministre comment elle entendait indemniser les communes de la Guadeloupe qui ont vu pendant plusieurs années leur DGF anormalement diminuée en raison d'une évaluation erronée des dépenses d'aide médicale faite par le département. Il a enfin souligné, qu'à l'avenir, il conviendrait de rectifier les bases de calcul de la DGF pour les communes.

M. Didier Quentin, rapporteur pour avis pour la commission des Lois, a félicité la ministre pour son budget en soulignant qu'il s'agissait d'un budget de rupture et de transition. Il a estimé qu'il était indispensable de rompre avec la politique menée pour l'outre-mer par le précédent Gouvernement, observant que le bilan économique et social des collectivités d'outre-mer n'était guère positif, puisque celles-ci connaissent un chômage structurel persistant, malgré l'embellie économique des années récentes, et une très forte dégradation de la cohésion sociale. Il a relevé que le budget du ministère était tout d'abord en rupture avec la politique d'affichage pratiquée trop systématiquement au cours des années récentes, indiquant que plus de 423 millions d'euros avaient été reportés au cours de ces dernières années et 727 millions d'euros sur l'ensemble de la législature précédente, ce qui équivaut à plus de 90 % du budget de l'outre-mer en 1997. Il a également fait valoir que le projet de budget s'inscrivait en rupture avec la politique d'assistanat privilégiée depuis cinq ans, au détriment d'une véritable politique créatrice d'emplois, en procédant à la réorientation des crédits du FEDOM notamment par le développement des contrats d'accès à l'emploi.

Le rapporteur a ensuite souligné qu'il s'agissait d'un budget de transition, marquant le début d'une politique de l'outre-mer réaliste, cohérente et efficace. Il a indiqué qu'il concrétisait ainsi deux des engagements pris par le Président de la République au cours de sa campagne, en instaurant un passeport-mobilité qui, doté de 17,5 millions d'euros de crédits, permettra à des milliers de jeunes en cours d'études de bénéficier de la prise en charge de leurs billets d'avion, et en engageant un effort supplémentaire de rattrapage économique pour Wallis-et-Futuna et Mayotte, qui bénéficieront, à côté des contrats de plan, de conventions de développement, à hauteur de 22,5 millions d'euros. Il a ajouté que l'orientation donnée au budget était cohérente avec la loi programme annoncée par le Président de la République, qui devrait mettre l'accent sur le développement d'emplois durables, comme avec le projet de loi constitutionnel relatif à l'organisation décentralisée de la République, qui vise précisément à responsabiliser les acteurs locaux.

Soulignant que les habitants des DOM avaient exprimé leur mécontentement face à la montée de la délinquance, le développement de l'immigration clandestine et du trafic de drogues, il a ensuite souhaité connaître les lignes de force de l'action gouvernementale pour lutter contre ces phénomènes, qui mettent à mal la cohésion sociale dans des territoires d'ores et déjà confrontés à une équation économique et sociale délicate. Il a demandé, en particulier, si la coopération entre les différents intervenants institutionnels serait améliorée et si la coopération régionale avec les pays sources d'immigration et les pays également engagés dans la lutte contre le trafic de stupéfiants dans la zone caraïbe serait renforcée.

Rappelant que l'attribution aux DOM d'un statut de région ultrapériphérique au niveau communautaire représentait un énorme progrès, il a ensuite souhaité savoir comment le Gouvernement allait favoriser une meilleure consommation des crédits des fonds structurels et faire valoir la spécificité des collectivités d'outre-mer françaises au sein de l'Union européenne, alors que le prochain élargissement risquait de diluer la perception de leur spécificité. Il a également interrogé la ministre sur l'état d'avancement du projet de création d'un centre des affaires pour l'outre-mer en métropole, qui devrait faciliter les contacts entre les entreprises d'outre-mer et les réseaux de distribution ou les investisseurs en métropole. Enfin, il souhaité connaître les projets du Gouvernement en matière de desserte aérienne de l'outre-mer.

M. Jérôme Lambert a, tout d'abord, estimé que, contrairement à la présentation qu'en faisait la ministre, le projet de budget manquait d'orientations nouvelles et ne pouvait donc, en aucun cas, être considéré comme un budget de rupture. Il a estimé que la seule rupture perceptible était à rechercher dans la très faible progression des crédits, et même la forte réduction des crédits du FEDOM, en contraste avec les hausses importantes consenties dans les budgets précédents. Il a fait observer que le Gouvernement, qui dénonçait la faible consommation des crédits, problème lancinant du budget de l'outre-mer, n'allait pas jusqu'au bout de sa logique puisqu'il ne proposait pas de réductions de crédits corrélatives. Puis il a souligné que le projet de budget s'inscrivait dans le prolongement des orientations antérieures s'agissant notamment de l'insertion professionnelle des jeunes, du développement de l'emploi et de l'aide au logement. Il s'est d'ailleurs interrogé sur la réactivation de dispositifs tels que les contrats d'accès à l'emploi, jugeant que certaines faiblesses intrinsèques de ces mécanismes auraient justifié des réformes. Il a ensuite demandé des précisions sur l'évolution des subventions aux agences d'insertion. Enfin, il a considéré que la compagnie Air Lib devrait être aidée dans sa desserte de l'outre-mer, ce qui impliquerait que le Gouvernement fasse pression sur Swissair pour que cette compagnie tienne ses engagements.

M. Jean Besson a d'abord estimé que le projet de budget apparaissait réaliste et raisonnable et répondait au principe de sincérité. Puis, il a jugé que la mise en place du passeport-mobilité, facilitant la formation en métropole des jeunes d'outre-mer, pourrait utilement être accompagnée d'un dispositif favorisant le retour des bénéficiaires grâce à des mécanismes d'insertion professionnelle susceptibles de concourir au développement de l'outre-mer, afin d'éviter tout risque de paupérisation des compétences locales.

Après avoir rappelé les efforts entrepris par le précédent Gouvernement dans la lutte contre l'orpaillage clandestin en Guyane, M. Christiane Taubira a souligné la nécessité de stabiliser une force de lutte contre ce fléau économique et écologique. Elle s'est félicitée de la possibilité de détruire les matériels saisis sur place, tout en regrettant que les autres propositions qu'elle avait formulées dans son rapport sur l'or en Guyane tendant à faciliter le démantèlement des réseaux, au-delà des sanctions susceptibles d'être imposées aux petits orpailleurs, n'aient pu encore être formalisées dans une loi.

M. Victorin Lurel a souhaité interroger la ministre sur la revalorisation de la recette forfaitaire de référence dans le secteur de la banane, sur la recapitalisation des deux groupements de producteurs de ce fruit en Guadeloupe, ainsi que sur la possibilité de mettre en œuvre, dans le secteur de la canne à sucre, un dispositif d'aide aux producteurs dont la production a été touchée par les intempéries, d'une part, et une restructuration de la filière, qui passerait, notamment, par la tenue des engagements pris sur le cas précis de l'usine de Gardel, d'autre part. Puis, il a demandé des précisions sur le devenir et la répartition des crédits inscrits sur trois ans dans la dotation globale de décentralisation. Il s'est ensuite inquiété de l'avenir du tourisme en Guadeloupe, en particulier dans les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélémy, où le secteur hôtelier est en crise. Rappelant que le Président de la République avait promis que cette question serait réglée dans le cadre de la loi de programme, il a souhaité que soit mis en œuvre un dispositif d'aide spécifique. S'agissant de la desserte aérienne de l'outre-mer, il a estimé que la meilleure solution consistait à accorder un soutien à Air Lib, cette compagnie aérienne ayant le mérite d'exister. Après avoir rappelé les difficultés que connaissait RFO, il a demandé à la ministre quelles suites seraient données à l'engagement pris par le Président de la République en faveur de la création d'une radio consacrée à l'outre-mer, sur les ondes moyennes, en région parisienne. Enfin, il a regretté que les mesures prises en faveur du transport intérieur outre-mer, dans la dernière loi d'amnistie, ne soient pas accompagnées d'un véritable plan de modernisation, comme celui qui avait été mis en place par le précédent Gouvernement, et s'est interrogé sur les mesures prises en faveur du transport scolaire fluvial en Guyane.

M. Éric Jalton s'est tout d'abord réjoui de la volonté de la ministre de mettre un terme à la sous-consommation chronique des dotations budgétaires allouées au ministère de l'outre-mer. Il a ensuite émis le souhait que les moyens accordés aux services de la justice soient renforcés, afin de faire face à l'inquiétant accroissement de la délinquance observé en Guadeloupe. Après avoir déploré que les spécificités géographiques de l'archipel guadeloupéen soient insuffisamment prises en considération par les pouvoirs publics, notamment en matière de soutien aux transports maritimes, il a souhaité savoir si la ministre entendait prendre une initiative en faveur de l'activité du secteur industriel de la canne à sucre en général, et de l'usine de la « grande anse » en particulier, qui rencontraient de sérieuses difficultés financières. Puis, réagissant aux propos tenus par la ministre concernant le reclassement des emplois jeunes, il demandé des précisions sur le dispositif qui était envisagé en cette matière par le Gouvernement. Après avoir estimé souhaitable d'étendre le bénéfice du passeport-mobilité aux jeunes universitaires et sportifs originaires de l'outre mer afin de faciliter leurs déplacements, il a conclu son propos en insistant sur les difficultés considérables auxquelles se heurtent ces jeunes en matière d'accès au logement en métropole, exprimant le souhait qu'il y soit remédié le plus rapidement possible.

Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, a ensuite apporté les précisions suivantes :

- Le budget 2003 de l'outre-mer est un budget qui a fait le choix de la sincérité et de la rupture en refusant de recourir à des effets d'annonces trop souvent utilisés par le précédent Gouvernement. En effet, il n'est pas souhaitable d'afficher une progression annuelle des dotations du ministère de l'outre-mer, comme cela a été souvent le cas par le passé, alors même que ses services ne sont pas en mesure de les consommer intégralement.

- Les priorités du budget pour 2003 sont les actions en faveur du logement et de l'emploi ultramarins s'ils s'inscrivent bien dans la continuité des objectifs de la loi d'orientation pour l'outre-mer adoptée sous la précédente législature, ceux-ci prolongeaient déjà les objectifs définies par la loi du 25 juillet 1994 tendant à favoriser l'emploi, l'insertion et les activités économiques dans les départements d'outre mer.

- Les contrats d'accès à l'emploi et le FEDOM, créés par la loi du 25 juillet 1994 afin de favoriser l'emploi des jeunes dans les entreprises du secteur marchand, ont été progressivement détournés de leur objectif initial par le précédent Gouvernement, qui les a utilisés au profit de la création d'emplois dans le secteur public. Cette réorientation ne sera pas poursuivie par le Gouvernement actuel car elle a pour effet de n'offrir aux jeunes de l'outre-mer que des emplois précaires.

- S'agissant des emplois aidés, il n'est pas possible de titulariser dans la fonction publique les bénéficiaires de contrats emploi solidarité et de contrats emploi consolidé, tant pour des raisons juridiques que financières, liées en particulier à la question de la surrémunération. Il conviendra de trouver une solution globale susceptible de s'appliquer également aux journaliers communaux, qui sont 12 000 à la Réunion. Le ministère est en train de réfléchir aux moyens de pérenniser les emplois des titulaires de contrats aidés en leur offrant un contrat à durée indéterminée rémunéré en fonction de la grille applicable à la fonction publique. Cette voie est explorée en particulier à la Réunion et sera évoquée lors du congrès des maires à la mi-novembre. Elle présenterait l'avantage d'offrir aux titulaires de contrats aidés un niveau de revenu acceptable, sans imposer de charges financières trop lourdes aux collectivités concernées.

- Pour les emplois jeunes, le ministère a mis en place un dispositif de reclassement. Chaque jeune fera l'objet d'un suivi individualisé et se verra proposer une solution d'insertion. Des crédits sont, par ailleurs, prévus dans le projet de loi de finances pour 2003, afin de prolonger les contrats des jeunes pour lesquels aucune solution n'aura été trouvée. Il faudra régler durablement la question des emplois jeunes dans le secteur associatif ; à cet égard, le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, M. François Fillon, devrait proposer des mesures, comme le prolongement pendant trois ans de l'aide de l'État, que le ministère de l'outre-mer pourrait reprendre en les amplifiant pour l'outre-mer.

- L'allocation logement pour les locataires sera revalorisée et alignée sur le niveau 2 ou niveau intermédiaire de la métropole. Cette mesure aura un effet rétroactif à compter du 1er juillet 2002. Elle se traduira par une augmentation de 65 € pour une famille de trois enfants et de 98 € pour une famille de quatre enfants, la hausse moyenne étant de 25 %.

- Le soutien à la production de la banane est un souci constant du ministère de l'outre-mer depuis de nombreuses années. Un accord avec la Banque de développement des petites et moyennes entreprises (BDPME) a déjà été obtenu, pour que celle-ci préfinance à 100 % l'avance sur l'aide compensatoire communautaire. Par ailleurs, le ministère essaie d'obtenir la transformation des prêts de l'ODADOM aux groupements de producteurs de bananes en subventions, mais les arbitrages interministériels n'ont pas encore été rendus. Au niveau communautaire, il se bat pour défendre les intérêts des DOM, qu'il s'agisse du volet interne ou externe de l'Organisation commune des marchés de la banane, mais il a pour unique soutien l'Espagne et le Portugal. D'ores et déjà, il a été décidé de revaloriser l'aide compensatoire de 5 centimes par kilogramme de bananes.

- La dotation globale de fonctionnement (DGF) des collectivités d'outre-mer obéit aux mêmes règles que la DGF métropolitaine, mais bénéficie d'un double mécanisme permettant de prendre en compte leurs spécificités : la quote-part de la dotation d'aménagement est déterminée en appliquant une indexation majorée de 10 % de la population et les collectivités bénéficient d'un mécanisme d'indexation dit de « garantie d'évolution ». La DGF va faire l'objet d'une mesure spécifique dans la loi de programme pour l'outre-mer. Son montant devrait ainsi être revalorisé notamment pour les établissements publics de coopération intercommunale.

- La dotation de décentralisation (DGD) au titre de la couverture maladie universelle (CMU) a été mal mise en oeuvre. Des prélèvements injustifiés ont été effectués à l'égard des départements d'outre-mer, comme des autres départements. Ils s'élèvent à 23,3 millions d'euros en rythme annuel. Pour 2003, la situation sera corrigée, mais il restera à apurer le passé, ce qui sera difficile compte des masses financières en jeu.

- L'augmentation de la délinquance n'a pas épargné l'outre-mer ; les infractions commises sur la voie publique ont connu cette année un accroissement de près de 14 %. Le lien entre l'accroissement de cette délinquance et l'immigration clandestine est particulièrement sensible à Saint-Martin, à Mayotte et en Guyane. Pour ce département, on dénombre près de 30 000 étrangers en situation irrégulière sur une population totale de 150 000 habitants ; ces étrangers se trouvent impliqués dans près de 50 % des délits et 80 % des infractions avec violence. À Mayotte, 80 % des détenus sont en situation irrégulière et Mamoudzou, capitale économique de l'archipel, connaît une recrudescence de violence, imputable notamment à l'immigration clandestine, puisque 39 % des délits qui y sont commis sont le fait d'étrangers en situation irrégulière. Compte tenu de ces statistiques, il est tout à fait évident que la lutte contre l'immigration clandestine outre-mer constitue une priorité. Cette lutte implique une collaboration de tous les acteurs au niveau local, qui s'est traduite notamment par la mise en place de groupes d'intervention régionaux ; l'action de ces GIR a déjà été fructueuse, puisque un infléchissement de la progression de la délinquance a été constaté ; la taille réduite des structures outre-mer, avec des forces de police et de gendarmerie déjà habituées à travailler ensemble, explique très certainement les bons résultats constatés.

- Au niveau central, la participation du ministre chargé de l'outre-mer au Conseil de sécurité intérieure permet d'intégrer les impératifs de ces départements et territoires dans la lutte contre l'insécurité. La loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure adoptée en juillet dernier a prévu des dispositions spécifiques pour l'outre-mer, qui sont le fruit de cette participation. S'agissant notamment de la Guyane, il a été décidé de revenir sur une décision du précédent Gouvernement qui consistait à renvoyer en métropole, aux fins d'assurer la sécurité des plages de la Méditerranée, un escadron de gendarmerie affecté actuellement à la lutte contre l'orpaillage clandestin. La décision de maintenir cet escadron n'a pas été simple, mais la lutte contre l'orpaillage clandestin nécessite des moyens importants ; c'est d'ailleurs pour mieux lutter contre cette activité qu'une disposition a été adoptée dans la loi de programmation pour la justice, destinée à faciliter la destruction par le Procureur de la République des moteurs utilisés par les orpailleurs. Cette disposition était proposée dans le rapport remis par Mme Christiane Taubira sur la lutte contre l'orpaillage en Guyane, mais le Gouvernement précédent n'y avait pas donné suite.

- La lutte contre l'immigration clandestine exige notamment qu'un effort particulier soit porté sur la politique de coopération régionale : des accords de réadmission ont déjà été signés avec le Brésil et sont en cours avec Guyana et le Surinam. Aux Antilles, des négociations sont déjà entamées avec Sainte-Lucie et la Dominique.

- La lutte contre le trafic de stupéfiants a déjà obtenu de bons résultats, dus notamment à une politique de coopération active avec les Etats-Unis, en particulier par le biais du réseau Interpol et des attachés de police du service de coopération technique internationale de police. La transformation du centre interministériel de formation anti-drogue en groupement d'intérêt public permettra, en outre, de conférer à cette structure une souplesse dans son fonctionnement administratif et financier, de nature à accroître sa crédibilité déjà très affirmée dans la zone Caraïbe.

- La reconnaissance des DOM par la Communauté européenne comme régions ultrapériphériques permet à ces départements d'être éligibles à l'objectif 1 pour les fonds structurels. Il est incontestable que, malgré les handicaps structurels dont souffrent les départements d'outre-mer, les perspectives d'élargissement de l'Union européenne font peser une menace sur le maintien de ces départements dans l'objectif 1. Il faut reconnaître que la consommation de ces fonds structurels n'est pas satisfaisante, en dépit du dispositif de préfinancement mis en place par l'Agence française de développement. La Commission européenne est toutefois consciente de la nécessité de simplifier les procédures, afin d'accroître le taux de consommation des crédits des fonds européens. La prochaine loi de programme pour l'outre-mer proposera un dispositif de simplification, permettant notamment d'affecter le solde non consommé à un fonds destiné à assurer la continuité territoriale.

- Le Président de la République et le Gouvernement sont très attachés à voir enfin aboutir le projet de création d'un centre culturel et des affaires dédié à l'outre-mer. A cette fin, un chargé de mission sera désigné tandis que le projet de loi de finances pour 2003 consacre 150 000 € à la réalisation d'études en vue de la création de ce centre. D'ores et déjà, il apparaît que certaines orientations retenues par le précédent Gouvernement doivent être corrigées : d'une part, les statuts envisagés ne doivent pas seulement conférer une vocation culturelle à cette association mais en faire un centre d'information économique unique pour les investisseurs ; d'autre part, le site retenu pour l'implantation de ce centre - la porte Dorée à Paris - n'est pas assez central, une localisation plus emblématique devant être recherchée.

- Une réforme profonde doit être engagée afin de garantir une desserte aérienne convenable de l'outre-mer - tant en termes de confort que de tarifs - et assurer ainsi le respect du principe de continuité territoriale. En effet, le monopole de fait qui existe en la matière n'est guère satisfaisant, comme le montre l'exemple de la desserte de la Guyane, dont le coût a été renchéri dès lors que celle-ci a été uniquement assurée par Air France. C'est pourquoi le Gouvernement souhaite favoriser la viabilité d'une compagnie dont l'activité serait dédiée à l'outre-mer grâce à des mesures de défiscalisation et d'exonération de charges sociales, qui figureront dans le projet de loi de programme en cours d'élaboration, et au versement d'aides nationales, régionales et européennes destinées, à l'instar de ce qui est pratiqué en Corse, à réduire le coût de la desserte de l'outre mer.

- Un plan de modernisation des transports intérieurs aux Antilles est indispensable pour remédier aux très grandes difficultés qu'ils connaissent aujourd'hui. A ce titre, le Gouvernement ne serait pas hostile à ce que les élus, s'ils en expriment le souhait et en concertation avec les représentants socio-professionnels concernés, écartent l'application des dispositions de la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques au profit d'une réglementation spécifique, comme la nouvelle rédaction de l'article 73 de la Constitution leur en laissera désormais la possibilité.

- Face à la baisse importante - de l'ordre de 20 % - de la fréquentation touristique à Saint-Martin, et sans attendre la loi de programme qui comportera des mesures en ce sens, un plan d'urgence, préparé en concertation avec le ministère du tourisme, sera présenté d'ici la fin de l'année. La loi de programme devrait permettre d'étendre le bénéfice du dispositif de défiscalisation aux travaux de rénovation des structures hôtelières.

- Le passeport-mobilité a pour objectif d'assurer aux jeunes une formation en métropole dès lors qu'elle ne peut être dispensée outre-mer, tout en favorisant leur réinsertion ultérieure dans leur collectivité d'origine. Les jeunes ultramarins pourront également bénéficier du passeport-mobilité pour aller étudier dans une université située dans une autre collectivité d'outre-mer que la leur. Loin de vouloir écarter les étudiants des universités locales, qui dispensent un enseignement de bonne qualité, ce dispositif permettra de soulager le marché de l'emploi local et de tenir compte de la saturation ou de l'inadaptation de certaines filières, par exemple en matière de formation aux métiers du tourisme. 11 000 étudiants seront concernés et s'il n'est pas exclu de l'étendre aux sportifs, il est sans doute préférable d'en faire préalablement une première évaluation.

- Les difficultés que rencontrent les étudiants originaires de l'outre-mer pour se loger en métropole constituent un problème sérieux que le Gouvernement entend résoudre. Une importante réforme de l'agence nationale de l'insertion des travailleurs d'outre mer est d'ores et déjà engagée et un nouveau président vient d'être désigné, sachant que ce poste était vacant depuis plusieurs années. Par ailleurs, il pourrait être envisagé de réserver une part des logements sociaux dévolus de droit à l'État aux étudiants originaires de l'outre-mer.

- Le Président de la République s'est engagé à ce que l'accès à la pluralité des opinions et des programmes soit aussi bien garanti outre-mer qu'il l'est en métropole. A cet égard, le Gouvernement a été saisi, peu de temps après son entrée en fonction, d'un projet de développement de RFO dont la mise en œuvre aurait inévitablement eu pour effet d'entraîner la disparition des stations de radio privées existantes. Ce projet, pourtant avalisé par le précédent ministre, n'était pas acceptable et c'est pourquoi, le Gouvernement actuel a demandé au président de RFO de le modifier et de négocier un partenariat avec les responsables des entreprises de radiodiffusion concernées afin que toutes les sociétés d'information et de presse, qu'elles soient publiques ou privées, puissent se développer librement.

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Conformément aux conclusions de son rapporteur pour avis, la Commission a ensuite émis un avis favorable à l'adoption des crédits du ministère de l'outre-mer pour 2003.

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