COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES,
DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 32

(Application de l'article 46 du Règlement)

mercredi 5 mars 2003
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Patrick Ollier, président

SOMMAIRE

 

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- Examen pour avis du projet de loi, modifié par le Sénat, relatif aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air France (n° 632)

 

(M. Jean-Pierre GORGES, rapporteur pour avis) :

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La Commission a examiné pour avis, sur le rapport de M. Jean-Pierre Gorges, le projet de loi, modifié par le Sénat, relatif aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air France (n° 632).

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur pour avis, a tout d'abord rappelé que le présent projet de loi visait à aménager les conditions du transfert de la majorité du capital de la compagnie Air France du secteur public au secteur privé, et, principalement, par la suite, à permettre à d'autres compagnies aériennes françaises cotées de préserver leur nationalité et donc leur licence d'exploitation et leurs droits de trafic, dans le cadre des dispositions internationales en vigueur.

Il a ensuite souligné que ce texte n'était donc pas un texte de « privatisation d'Air France » et qu'il convenait de recadrer le débat relatif à cette privatisation, puisque cette dernière est possible depuis l'inscription de la compagnie sur la liste des entreprises privatisables, annexée à la loi n° 93-923 du 19 juillet 1993 de privatisation, que le gouvernement précédent n'avait pas remise en cause.

Il a indiqué que le Gouvernement voulait donc aujourd'hui organiser la privatisation dans les meilleures conditions économiques et dans le respect des intérêts des salariés, cette opération nécessitant de prendre en compte les spécificités liées au secteur du transport aérien, ainsi que celles issues de l'histoire de la compagnie.

Il a rappelé que le Gouvernement avait décidé en août 2002 de réduire la participation de l'Etat dans le capital d'Air France pour lui donner de nouveaux espaces de liberté, mais que la première ouverture de capital de la compagnie avait eu lieu en 1999, avec déjà le même objectif : permettre à la compagnie de nouer des partenariats, notamment avec d'autres transporteurs européens, mais également introduire les salariés dans le capital de la compagnie, afin de les rendre responsables de son avenir.

Il a souligné que le contexte international du transport aérien était bouleversé depuis 1999 et qu'Air France faisait aujourd'hui partie d'une alliance puissante, SkyTeam, qu'elle devait consolider pour prospérer dans un secteur qui se concentre de plus en plus.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur pour avis, a affirmé que la privatisation se justifiait aujourd'hui pleinement, au vu des évolutions à venir dans le paysage aérien international, structuré en trois pôles : les grandes compagnies internationales, les compagnies à bas coûts et les petites dessertes locales, constituant des niches économiques. Il a souligné que son statut d'entreprise publique empêchait Air France d'être un des principaux acteurs internationaux de demain.

Il a rappelé qu'il fallait également d'accélérer la modernisation de sa flotte en lui facilitant l'accès aux ressources offertes par les marchés financiers, alors que, dans ce secteur de plus en plus concurrentiel, la rentabilité est en grande partie liée à la maîtrise des coûts.

Il a indiqué que L'Etat détenait aujourd'hui 54,4 % du capital de la compagnie, les salariés 12,7 % et les actionnaires privés 32,9 %, alors qu'à terme, l'Etat devrait conserver une participation substantielle au capital de la compagnie aux alentours de 15 à 20 %.

Il a souligné que cette participation, additionnée à celle des salariés constituerait une minorité de blocage, qui devrait contribuer à préserver la nationalité française de l'actionnariat de la compagnie.

M. Jean-Pierre Gorges a ensuite rappelé que plusieurs étapes juridiques devaient être franchies pour que l'opération de placement sur le marché des titres d'Air France possédés par l'Etat puisse être mise en œuvre : en premier lieu, le projet de loi en cours d'examen doit être adopté par le Parlement et promulgué ; un décret d'application en Conseil d'Etat devra ensuite être pris ; une assemblée générale modifiant les statuts de la société Air France devra enfin se réunir.

Il a souligné que la date de l'opération, qui nécessite l'information la plus précise possible des investisseurs potentiels, devrait également tenir compte du calendrier de publication des informations financières de la compagnie, les comptes semestriels étant rendus publics en novembre et les comptes annuels en mai.

Il a insisté sur le fait que la privatisation ne pourrait de toute façon intervenir que lorsque les conditions de marché le permettront, la valeur boursière d'Air France étant actuellement pénalisée par les conditions générales du marché et les incertitudes liées au rythme de redressement de la conjoncture économique mondiale et au contexte géopolitique international, et ne reflétant pas correctement les forces et les atouts de la compagnie par rapport à ses concurrentes.

Evoquant les articles du projet, il a expliqué que celui-ci avait plusieurs objectifs.

En premier lieu, a-t-il indiqué, la détention par des actionnaires privés de la majorité du capital d'Air France impose que lui soient donnés les moyens de remédier à des évolutions de son actionnariat qui risqueraient de remettre en cause sa licence d'exploitation de transporteur aérien ou ses droits de trafic. Dans ce cadre, a-t-il ajouté, l'article 1er du projet de loi vise à préserver la nationalité de la compagnie.

En second lieu, il a souligné qu'il convenait de préserver les principes de l'association des salariés à la gestion de l'entreprise, association assurée par une représentation des différentes catégories de personnel au conseil d'administration depuis la loi n° 48-976 du 16 juin 1948 portant institution de la compagnie nationale Air France et par la possibilité donnée par le code de l'aviation civile de désigner des administrateurs représentant les salariés actionnaires, dispositions qui seront maintenues après la privatisation de la société, grâce aux articles 2 et 4 du projet de loi.

En troisième lieu, a-t-il rappelé, la sortie de la compagnie Air France du secteur public imposera une transcription, de nature administrative, du statut du personnel actuellement en vigueur, dans une convention ou des accords d'entreprise. Il a indiqué que l'article 3 du projet de loi prévoit des dispositions transitoires et une période de négociation d'une durée maximale de deux ans, pour que la société et les organisations syndicales représentatives des salariés puissent conclure cette convention ou ces accords d'entreprise.

En quatrième lieu, il a souligné que l'article 5 du projet de loi précisait les conditions de l'offre de titres aux salariés d'Air France dans le cadre de la privatisation, en prévoyant que l'Etat pourra céder, gratuitement ou à des conditions préférentielles, des actions d'Air France, dans la limite de 6 % du capital, aux salariés ayant consenti à des réductions de salaire.

Enfin, a-t-il conclu, les dispositions législatives actuelles du code de l'aviation civile régissant les relations institutionnelles entre Air France et l'Etat sont modifiées à l'article 6 du projet de loi, pour prendre en compte la sortie de la compagnie du secteur public et pour abroger des dispositions obsolètes, notamment en matière de missions de service public, régies aujourd'hui par le droit européen, et que la privatisation de la compagnie ne remettra pas en cause.

S'exprimant au nom du groupe socialiste, Mme Odile Saugues a d'abord tenu à marquer son étonnement que la Commission des affaires économiques n'ait pas été, contrairement à celle du Sénat, saisie au fond sur ce projet de loi relatif à la privatisation d'Air France, dont le contenu relève pourtant très clairement des compétences de la Commission.

Elle a ensuite fait état de son incompréhension face à ce qu'elle a jugé, de la part du Gouvernement, comme une insigne maladresse de calendrier, ce projet de loi étant présenté au lendemain de l'abandon par l'Etat de la deuxième compagnie aérienne nationale, de surcroît dans un contexte conjoncturel très difficile, aggravé encore par le climat d'une guerre annoncée.

Elle a noté que M. Gilles de Robien avait été amené, la même semaine, d'une part à annoncer la privatisation d'Air France au Sénat, et d'autre part à demander au Président de cette même compagnie de participer à l'effort de reclassement des salariés d'Air Lib. Elle a signalé que tout cela pouvait donner lieu à penser que ce dossier était géré avec un certain mépris à l'égard de la compagnie et de ses salariés.

Elle s'est interrogée sur la pertinence de la justification de la privatisation par le besoin que la compagnie avait de pouvoir passer des accords de participation croisées, alors que ce type d'accords, supposés plus solides, n'avait nullement empêché la rupture entre KLM et Northwest, et qu'au contraire la souplesse du simple accord commercial avait préservé Air France des difficultés de son partenaire, Delta Airlines, et plus généralement, de la contagion par effet de domino qui, autrement, aurait pu la frapper .

Elle a souhaité obtenir une information objective sur la réalité sociale de l'entreprise, en faisant référence à une enquête commandée à ce sujet par la direction, et restée confidentielle. Elle a invité le rapporteur à demander au Gouvernement la communication de ce document, afin que le rapporteur fût en mesure d'en faire état lors de la discussion en séance publique.

Elle s'est enfin déclarée inquiète des incidences de la privatisation sur la place du transport aérien dans la politique d'aménagement du territoire. Prenant l'exemple du hub de Clermont-Ferrand, carrefour des régions d'Air France, construit avec un soutien fort des collectivités locales et des partenaires économiques locaux, elle a signalé qu'il était déjà soumis à une logique de rentabilité, conduisant à la fermeture des lignes les moins rentables, et que cette logique serait renforcée dans un contexte de gestion purement privée. Elle s'est interrogée sur les possibilités pour l'Etat de peser sur ce type de décision lorsque la compagnie sera privée.

En conclusion, elle a indiqué que le groupe socialiste s'opposerait de manière résolue au vote de ce projet de loi.

M. Patrick Ollier, président de la Commission des affaires économiques, a expliqué que la saisine pour avis de la Commission des affaires économiques sur ce projet de loi était justifiée par la tradition voulant que la Commission des finances fût saisie au fond des projets de privatisation, et d'autre part, par la charge de travail actuelle de la Commission des affaires économiques, aussi bien en termes de projets de loi qu'en termes de missions d'information.

S'agissant du prétendu abandon d'Air Lib par le Gouvernement, le président Patrick Ollier a rappelé que la situation dramatique actuelle était avant tout le fruit des décisions du gouvernement précédent, et qu'une commission d'enquête, dont il avait demandé la création, serait bientôt chargée d'examiner la façon dont les fonds publics alloués à Air Lib avaient été utilisés et dont la gestion de la société avait conduit à la faillite. Il a invité l'opposition à participer à cette commission d'enquête.

S'agissant des conséquences de la politique aérienne sur l'aménagement du territoire, il a dénoncé la remise en cause par Mme Dominique Voynet de la politique d'aménagement du territoire mise en place avant 1997, qui, à elle seule, a déstructuré l'aménagement du territoire en supprimant le schéma national, et empêché un développement équilibré de nos infrastructures, les décisions d'une compagnie aérienne n'entrant que marginalement en ligne de compte dans ce domaine.

M. Daniel Paul, intervenant au nom du groupe communiste et républicain, a estimé que le texte présenté ne pourrait effectivement pas être immédiatement mis en œuvre compte tenu de la conjoncture internationale, mais également nationale, défavorable et du risque de cession de la participation de l'Etat à un prix dérisoire.

Il a regretté que le Gouvernement persiste dans une orientation dont les limites sont patentes, et pas uniquement dans le domaine du transport aérien. Il a ainsi rappelé la grave crise frappant la société Air Lib, du fait du comportement de ses dirigeants, comportement que la commission d'enquête annoncée devra d'ailleurs étudier, ainsi que les difficultés importantes rencontrées par la compagnie British Airways et de nombreuses compagnies américaines, aujourd'hui proches de la faillite, alors qu'elles étaient encore considérées il y a peu comme des modèles.

Il a observé que le précédent gouvernement avait certes procédé à l'ouverture du capital de la société Air France, mais dans le seul but de lui permettre de nouer des alliances et, ainsi, d'assurer sa présence sur tous les continents. Il a jugé que cette démarche avait prouvé son efficacité et a estimé que sa remise en cause obéissait à des considérations idéologiques d'une part, le Gouvernement contestant par principe la participation majoritaire de l'Etat dans le capital d'entreprises chargées d'un service public, et financières d'autre part, le Gouvernement recherchant de nouvelles recettes pour remédier au déficit budgétaire.

Il a enfin souhaité savoir si la privatisation de la société Air France annonçait une future privatisation de l'établissement public Aéroport de Paris et indiqué que le groupe communiste se prononcerait contre ce projet de loi.

M. Jacques Le Guen, intervenant au nom du groupe UMP, a estimé normal que la Commission des finances soit chargée de l'examen de ce texte au fond. Il a rappelé que des précautions considérables étaient prises pour préserver le statut du personnel de la société Air France et permettre aux syndicats de participer à une négociation de qualité. Il a donc estimé que les inquiétudes concernant le fond de ce texte étaient compréhensibles sur le plan idéologique, mais n'étaient pas justifiées sur le plan social. Il a souhaité que la notion de « service au public » se substitue progressivement à celle de « service public » et a enfin indiqué que le groupe UMP était favorable à l'adoption de ce projet de loi.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont a dénoncé le caractère idéologique et dogmatique d'un projet de loi s'inscrivant dans la filiation politique des privatisations mises en œuvres entre 1993 et 1997. Elle a souligné que ce texte était porteur de risques majeurs pour l'entreprise, alors que les ouvertures de capital décidées par le précédent gouvernement obéissaient en revanche à des considérations stratégiques et industrielles.

Elle a enfin estimé que la démarche du Gouvernement concernant la privatisation de la société Air France était comparable à celle qui avait mené à la création d'une commission d'enquête sur la gestion des entreprises publiques, alors même que la gestion désastreuse de certaines entreprises privées avait récemment mis nombre de petits actionnaires dans une situation dramatique.

Le président Patrick Ollier a souligné la pertinence de la création de la commission d'enquête sur la gestion des entreprises publiques et a jugé qu'il convenait de distinguer, d'une part, la gestion de celles-ci, dont l'Etat, et donc les gouvernements successifs, sont responsables, et sur laquelle le Parlement doit naturellement exercer son contrôle et, d'autre part, la gestion des entreprises privées, dont les actionnaires sont responsables.

En réponse, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont a indiqué qu'elle n'était pas opposée sur le principe aux travaux de cette commission d'enquête, mais qu'elle déplorait simplement les orientations de travail retenues.

Mme Odile Saugues a indiqué qu'elle ne contestait pas la décision de créer une commission d'enquête sur la gestion des entreprises publiques mais déplorait les orientations retenues par celle-ci.

En réponse aux différents intervenants, M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur pour avis, a apporté les précisions suivantes :

- la privatisation de la société Air France interviendra lorsque la conjoncture financière le permettra, une telle démarche ayant toujours été retenue depuis 1993. Le projet de loi constitue avant tout un dispositif d'accompagnement, notamment pour assurer une transition équilibrée pour les salariés, dont l'ensemble des avantages sera maintenu dans les dispositions conventionnelles qui seront négociées ;

- l'étude effectuée auprès des salariés pourra être demandée à la compagnie, les questions posées par les enquêteurs étant déterminantes dans ce type de consultation ;

- les accords capitalistiques n'interviendront pas en premier lieu avec Delta, mais avec des compagnies européennes, telles KLM et Alitalia. La privatisation d'Air France lui permettra de nouer des alliances avec ces compagnies, qui refusent toute dépendance vis-à-vis de l'Etat français ;

- aucune remise en cause des liaisons régionales d'intérêt général, et plus largement des missions de service public de la compagnie n'est envisagée, celles-ci étant soumises aux règles communautaires et ne représentant d'ailleurs aujourd'hui que 6 % du chiffre d'affaires de la société Air France ;

- les craintes concernant l'avenir de la compagnie et la comparaison avec British Airways ne sont pas fondées, la société Air France ayant conservé des résultats positifs malgré le choc consécutif aux attentats du 11 septembre 2001, à la différence de la compagnie British Airways, dont le réseau, bien moins équilibré, était largement concentré sur l'Amérique du Nord ;

- la privatisation de la société Air France est par ailleurs une condition nécessaire à sa survie, une nouvelle recapitalisation étant impossible en cas de difficultés financières, suite à l'accord trouvé avec la Commission européenne en 1994 ;

- tout amalgame entre la situation de la société Air France et celle de l'établissement public Aéroport de Paris doit être évité, la situation de ces deux entreprises étant différente et le projet de loi concernant la seule société Air France ;

- il convient de rappeler que la survie artificielle d'Air Lib a été assurée par la mise en œuvre de mesures dérogatoires (non-paiement de diverses cotisations, redevances et taxes), ce qui semble paradoxal pour une entreprise privée, Air France se comportant beaucoup mieux en la matière.

M. Alain Gourioux est revenu sur le rôle d'Air France dans l'aménagement du territoire, pour signaler que certaines lignes abandonnées par Air Lib suite à sa faillite n'étaient toujours pas reprises, et que, pour celles qui l'étaient, la reprise par Air France se traduisait par une hausse très conséquente des tarifs. Il a indiqué que certains vols régionaux atteignaient désormais des niveaux de prix supérieurs à certains vols internationaux. Il a cité l'exemple d'un site de l'entreprise Alcatel à Lannion qui, à la suite de reprise de l'exploitation aérienne par BritAir, une filiale d'Air France, avait dû augmenter son budget de transport de 250 000 d'euros. Il a insisté sur les risques de délocalisation d'entreprises qu'induisait ce type d'évolution tarifaire.

M. Patrick Ollier, président de la Commission des affaires économiques, a rappelé que des instruments avaient été créés par la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, afin justement de gérer ce genre de situation, et notamment le fonds d'intervention du transport aérien (FIATA), financé par une taxe sur les billets d'avion, mais que ce fonds avait été laissé en déshérence par le ministre des transports du précédent gouvernement.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur pour avis, a informé les commissaires que M. Gilles de Robien avait indiqué, lors de son audition par la Commission des finances, qu'il avait lancé une réflexion sur l'exercice des missions d'intérêt général spécifiques aux transports aériens, permettant de remédier aux inconvénients actuels de la contractualisation.

La Commission a alors, conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, donné un avis favorable à l'adoption du projet de loi relatif aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air France (n° 632).

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