COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES, DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 49

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 28 mai 2003
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Jean Proriol, vice-président.

SOMMAIRE

 

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- Examen de la proposition de résolution de M. Alain Bocquet (n° 567 rectifié) tendant à la création d'une commission d'enquête chargée d'examiner les causes et conséquences de la décision de fermeture du site de Noyelles-Godault (Pas-de-Calais), prise unilatéralement par le groupe industriel Métaleurop, ainsi que les responsabilités sociales et financières qu'il lui appartient d'assumer et de la proposition de résolution de M. Jean-Jacques Guillet (n° 568) tendant à créer une commission d'enquête sur les conditions de fermeture de l'usine Métaleurop de Noyelles-Godault, ses conséquences sociales et environnementales et sur les responsabilités de ses dirigeants et actionnaires - (M. Claude Gatignol, rapporteur)

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- Nomination d'un rapporteur et examen pour avis du projet de loi de programme pour l'outre-mer :

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- Informations relatives à la Commission

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La Commission a examiné, sur le rapport de M. Claude Gatignol les propositions de résolution :

- de M. Alain Bocquet (n° 567 rectifié) tendant à la création d'une commission d'enquête chargée d'examiner les causes et conséquences de la décision de fermeture du site de Noyelles-Godault (Pas-de-Calais), prise unilatéralement par le groupe industriel Métaleurop, ainsi que les responsabilités sociales et financières qu'il lui appartient d'assumer,

- de M. Jean-Jacques Guillet (n° 568) tendant à créer une commission d'enquête sur les conditions de fermeture de l'usine Métaleurop de Noyelles-Godault, ses conséquences sociales et environnementales et sur les responsabilités de ses dirigeants et actionnaires

M. Claude Gatignol, rapporteur, a indiqué que le dépôt de ces deux propositions de résolution témoignait de l'émotion légitime de leurs auteurs devant l'attitude inacceptable des dirigeants du groupe Metaleurop qui a été condamnée de la manière la plus ferme par les plus hautes autorités de l'Etat.

Il a ensuite rappelé que, le 17 janvier 2003, Metaleurop S.A avait annoncé sa décision de ne plus soutenir financièrement sa filiale Metaleurop Nord qui avait enregistré des résultats négatifs en 2001 et 2002 en raison d'une conjoncture difficile et d'une absence totale d'investissements de modernisation et que, en conséquence, la liquidation judiciaire avait été prononcée par le tribunal de commerce de Béthune le 10 mars 2003.

Le rapporteur a estimé que la brutalité de la décision du groupe Metaleurop, abandonnant purement et simplement les 830 salariés de Metaleurop Nord, était particulièrement choquante compte tenu de la responsabilité de ce groupe, qui n'a pas procédé aux investissements nécessaires, dans les difficultés de sa filiale.

Il a ensuite précisé que s'ajoutait à ce drame social, la question épineuse de la dépollution du site, l'usine ayant, depuis 1894, rejeté de grandes quantités de métaux lourds qui ont entraîné une pollution des sols de l'usine et des communes limitrophes.

Après avoir indiqué que le comportement des dirigeants et des actionnaires du groupe Metaleurop ne pouvait donc qu'être moralement condamné avec la plus grande force, le rapporteur a rappelé que la Commission n'avait pas à se prononcer sur ces faits mais sur les propositions de résolution dont elle est saisie.

Puis, il a indiqué que la Commission ne pouvait naturellement adopter que des propositions de résolution recevables au regard de notre Règlement.

Il a donc rappelé qu'il résultait des dispositions combinées de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 140 et 141 du règlement de l'Assemblée nationale que la recevabilité des propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête est soumise à deux conditions :

- les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ne doivent pas faire l'objet de poursuites judiciaires ;

- la proposition doit déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête doit examiner la gestion.

Après avoir estimé que la seconde condition ne posait pas, en l'espèce, de difficultés particulières, il a indiqué que les deux propositions de résolution n'étaient manifestement pas recevables au regard de la première condition. Il a, en effet, rappelé que le deuxième alinéa de l'article 141 du Règlement dispose que « si le Garde des sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion » et que, par deux lettres en date du 24 février 2003, le Garde des Sceaux avait informé le Président de l'Assemblée nationale « qu'une procédure pénale, relative à d'éventuelles infractions qui auraient pu être commises à l'occasion de ce dépôt de bilan, est actuellement en cours devant le Tribunal de grande instance de Paris sur des faits ayant motivé le dépôt » des deux propositions de résolution nos 567 et 568.

En conséquence, le rapporteur a appelé les commissaires à rejeter ces deux propositions de résolution.

M. Daniel Paul, s'exprimant au nom du groupe Député-e-s communistes et républicains, a tout d'abord souligné que « l'affaire Metaleurop » était symbolique de la dégradation de la situation dans certains bassins industriels. Il a ainsi rappelé la situation préoccupante du site de Noyelles-Godault en termes de pollution des sols après plus de 100 ans de rejets de plomb et de titanium.

Notant que la décision d'un groupe multinational laissait aujourd'hui le bassin d'emploi de Noyelles-Godault économiquement sinistré avec un taux de chômage plus de trois fois supérieur à la moyenne nationale, il a jugé tout à fait justifié que la représentation nationale constitue une commission d'enquête afin de tirer les conséquences de cette situation. Il a par ailleurs estimé que le dépôt de deux propositions de résolution en ce sens, par des députés membres de groupes politiques différents, témoignait de l'émotion suscitée et de la convergence de vues s'agissant de la nécessité d'une réaction politique.

Il s'est étonné que dans ce contexte, le rapporteur propose le rejet de ces deux propositions de résolution, position qu'il a jugée paradoxale. Soulignant qu'il comprenait bien l'argument tiré de l'existence d'une procédure judiciaire sur la question, il a également estimé que certains pouvaient y trouver un intérêt : la procédure en cours devant probablement durer des années, l'Assemblée nationale ne pourra ainsi, pendant cette période, exercer son pouvoir d'investigation, quelles que soient par ailleurs les évolutions de la procédure judiciaire. Il a en outre déploré que ce soit l'Etat lui-même, en étant partie prenante dans les poursuites judiciaires en cours, qui conduise à interdire aux parlementaires d'enquêter.

M. Daniel Paul a protesté contre une telle situation et a plaidé pour que soit trouvé un moyen permettant de surmonter ces difficultés. Estimant qu'il n'était pas juste qu'une procédure judiciaire empêche l'Assemblée nationale d'enquêter sur une question d'une telle importance, il a jugé nécessaire d'en tirer les conséquences en modifiant les dispositions prévoyant une telle restriction.

Il a souligné que les propositions de résolution n'avaient pas pour objet de mettre en cause des responsabilités administratives ou politiques mais les pratiques de « voyous » de l'entreprise multinationale en cause, afin que de tels comportements soient stigmatisés, ce que seule l'Assemblée nationale pourra faire.

Enfin, il a fait part de ses doutes quant à l'efficacité des dispositions prévues par le projet de loi relatif à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, notamment concernant la capacité des pouvoirs publics à faire payer les responsables de la pollution de sites industriels délaissés.

Puis, M. Jean-Yves Le Déaut a déclaré que, s'il partageait l'analyse générale du rapporteur, il ne pouvait souscrire à ses conclusions, qui conduiraient, selon lui, à ne quasiment jamais créer de commission d'enquête. Or, a-t-il indiqué, de nombreuses commissions d'enquête ont été créées par le passé alors que des procédures judiciaires étaient parallèlement en cours. Il a ainsi cité à titre d'exemple les commissions d'enquête portant respectivement sur la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche et sur la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur, sur la sécurité du transport maritime des produits dangereux ou polluants, sur le recours aux farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage, la lutte contre l'encéphalopathie spongiforme bovine et les enseignements de la crise en termes de pratiques agricoles et de santé publique ou encore sur le Sida.

Estimant que la conclusion du rapporteur visant à rejeter les deux propositions de résolution traduisait la volonté politique d'empêcher les députés de travailler sur ce sujet, il a déploré que l'Assemblée nationale soit ainsi dessaisie de son pouvoir de contrôle, pourtant garanti par la Constitution et a jugé qu'une décision de rejet porterait un véritable coup au prérogatives du Parlement.

Après avoir proposé d'éviter tout conflit de compétences entre le Parlement et le pouvoir judiciaire en modifiant l'article unique d'une des propositions de résolution, il a rappelé qu'un accident survenu à l'usine Total de La Mède n'avait donné lieu à un jugement que dix années plus tard et a jugé qu'il n'était pas envisageable d'attendre aussi longtemps pour proposer des modifications législatives ou réglementaires.

M. François Brottes a tenu à rappeler que les députés, représentants du peuple, étaient juges de l'opportunité du contrôle qu'ils souhaitaient engager. Il a par ailleurs estimé que ces derniers ne pouvaient à la fois regretter régulièrement de voir leurs pouvoirs limités, notamment par les instances européennes, et se retrancher ensuite derrière le Règlement de l'Assemblée nationale pour ne pas se saisir d'un problème d'une grande importance.

Afin de lever l'obstacle juridique invoqué par le rapporteur, il a donc proposé un amendement tendant à rédiger l'article unique de la proposition de résolution n° 567 de la manière suivante : « En application des articles 140 et suivants du Règlement, est créée une commission d'enquête de trente membres chargée d'établir l'ensemble des effets entraînés par la fermeture brutale de sites industriels dans la région Nord-Pas-de-calais et de définir avec toutes les parties concernées les conséquences économiques, sociales, écologiques et humaines de telles décisions, et leurs impacts à moyen terme, notamment au regard des enjeux de préservation de l'activité économique et de l'emploi, de protection sanitaire des populations et de dépollution des sites concernés».

S'exprimant au nom du groupe UMP, M. André Flajolet a tenu à souligner le fait que la fermeture de l'usine Metaleurop de Noyelles-Godault mettait de nouveau en lumière le rôle des prédateurs financiers, déjà illustré, dans la même région, par la liquidation de Testut par le groupe Mettler-Toledo, dans la mesure où cette fermeture correspond à des décisions de la société Pennaroya. Il a précisé que de telles pratiques financières, faisant le choix délibéré de la liquidation judiciaire afin de ne pas assumer les conséquences du passé, devaient être bien distinguées des opérations de restructuration industrielle.

Puis, il a tenu à saluer la formidable réactivité du Gouvernement attestée par l'action de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, qui s'est rendue sur le site puis qui a proposé, dans le cadre du projet de loi relatif à la prévention des risques naturels et technologiques et à la réparation des dommages, les dispositions propres à empêcher que telles situations ne se reproduisent, et de MM. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'État et de l'aménagement du territoire, et François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, qui ont pris les mesures nécessaires au reclassement des salariés de l'entreprise. Il a, en outre, rappelé que les questions environnementales n'étaient pas au premier plan des préoccupations de ces salariés qui ont parfois contesté les choix gouvernementaux en matière d'environnement dans la mesure où ils risquaient de mettre en péril leur outil de travail.

En conclusion, M. André Flajolet a indiqué que le groupe UMP désirait établir toute la vérité sur les conditions de la fermeture de l'usine Metaleurop de Noyelles-Godault, qui heurtent les valeurs de solidarité et de participation de la majorité, et surtout sur l'avenir du site, point sur lequel il a salué l'initiative du Gouvernement annoncée dans le cadre du Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) du 26 mai 2003 et visant à revitaliser les territoires touchés par les plans sociaux.

En conséquence, il a indiqué que le groupe UMP était sensible aux arguments juridiques avancés mais qu'il souhaitait, au-delà de la seule affaire Metaleurop, qu'une enquête soit conduite sur les comportements des prédateurs financiers afin d'en tirer des conclusions pour la conduite d'une politique industrielle garantissant la pérennité des emplois créés.

En réponse aux différents intervenants, M. Claude Gatignol, rapporteur, a, tout d'abord, remarqué l'accord unanime pour condamner le comportement du groupe Metaleurop.

Puis, il a indiqué que les députés étaient tenus de respecter le Règlement de l'Assemblée nationale et a rappelé qu'une commission d'enquête ne pouvait être constituée sur des fait faisant l'objet de poursuites judiciaires en application du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs issu de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.

Il a en outre estimé que l'amendement de M. François Brottes, visant à réécrire l'article unique de la proposition de résolution, méritait réflexion mais qu'il aboutirait à focaliser les travaux de la commission d'enquête sur les conséquences des décisions de fermeture de sites industriels.

Or, il a estimé qu'il serait difficilement justifiable auprès de l'opinion d'étudier les conséquences de la fermeture de l'usine Metaleurop sans rechercher également les responsabilités en cause de sorte que, quelle que soit la rédaction de la proposition de résolution, le risque serait grand qu'un détournement de procédure aboutisse à violer les dispositions de l'article 141 du Règlement de l'Assemblée nationale.

Il a en outre précisé que l'urgence face à la fermeture de l'usine Metaleurop Nord de Noyelles-Godault n'était pas d'enquêter sur ses conséquences sociales, économiques et écologiques, qui sont, au demeurant, d'ores et déjà connues, mais de leur faire face par des mesures concrètes. Or, il a rappelé que de telles mesures avaient été prises par le Gouvernement qui a mis en oeuvre un plan d'accompagnement social et d'aide au reclassement, signé par l'intersyndicale des salariés, et un contrat de site, comportant un volet économique, un volet relatif à l'emploi et la formation, et un volet environnemental, et qui a également proposé, dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, d'adapter la législation afin d'éviter que ne se reproduisent de tels évènements. Il a estimé que ces mesures, qui devaient être prises sans attendre l'aboutissement des travaux d'une commission d'enquête, diminuaient l'intérêt de celle-ci et qu'il était, en outre, trop tôt pour évaluer leur efficacité.

En conclusion, M. Claude Gatignol, rapporteur, a, à nouveau, proposé le rejet des deux propositions de résolutions.

M. François Brottes a fait part de son admiration pour le talent du rapporteur qui a réussi à faire un long exposé alors que son propos aurait pu être résumé d'une formule : « Circulez, il n'y a rien à voir ». Il s'est donc déclaré scandalisé par cette position et a demandé au rapporteur de lui préciser en quoi le champ d'investigation proposé pour la commission d'enquête par son amendement était irrecevable.

Jugeant qu'il ne l'était manifestement pas, il a regretté que la majorité s'appuie artificiellement sur le Règlement pour justifier une décision politique de refus de création d'une commission d'enquête. Il a rappelé, en outre, que la rédaction qu'il proposait, en ne visant plus exclusivement la fermeture de l'usine de Noyelles-Godault, satisfaisait la préoccupation de M. André Flajolet que d'autres opérations soient également étudiées.

Enfin, il a estimé que l'argumentation du rapporteur selon laquelle il n'était pas possible d'étudier les conséquences des fermetures sans enquêter sur leurs causes aboutissait à empêcher de préparer les réformes nécessaires pour éviter que ne se reproduisent de telles situations et remettait donc en cause le rôle du Parlement.

M. Daniel Paul a remarqué que la conclusion négative du rapporteur aurait pu l'amener à écourter son exposé. Puis, il a observé que la séparation des pouvoirs ne devait pas conduire à dessaisir systématiquement le Parlement de ses prérogatives.

Il a, en outre, rappelé que les moyens juridiques ne manquaient pas pour prolonger très longuement les procédures judiciaires engagées et empêcher ainsi le Parlement de jouer son rôle.

Il a, en outre, indiqué que la commission d'enquête sur la sécurité du transport maritime des produits dangereux ou polluants avait pu fonctionner malgré l'ouverture d'une procédure judiciaire dans l'affaire du naufrage de l'Erika et l'emprisonnement du capitaine du navire. Il a considéré que, dans une telle situation, les parlementaires devaient seulement veiller à ne pas empiéter sur le travail judiciaire.

Il a également rappelé que les propositions figurant dans le rapport de la commission d'enquête sur la sécurité du transport maritime des produits dangereux ou polluants, comme dans celui de la commission d'enquête sur la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche et sur la protection des personnes et de l'environnement en cas d'accident industriel majeur, étaient aujourd'hui mises en œuvre ou en voie de l'être.

Il a estimé qu'il revenait au Parlement d'examiner les cas de fermetures brutales d'usines afin de distinguer d'une part les pratiques inadmissibles de certains voyous et, d'autre part, les mesures pouvant être nécessaires pour rétablir la compétitivité d'une entreprise face à ses concurrents internationaux.

Il a estimé que la volonté affichée de rechercher la vérité en s'en remettant à la seule action de la justice conduirait en réalité à créer les conditions pour qu'elle ne soit jamais mise en lumière. Il a donc vivement regretté que la condamnation en apparence unanime de tels agissements par les députés ne leur permette pas de se saisir du dossier et a estimé qu'une telle attitude ne pouvait qu'alimenter l'incompréhension des citoyens vis-à-vis de leurs élus.

M. André Flajolet a jugé nécessaire d'approfondir l'analyse afin d'éviter les confusions. Après avoir souligné la volonté partagée des parlementaires d'établir la vérité, il a rappelé que les propositions de résolution évoquaient l'ensemble des conséquences de la fermeture de l'usine Metaleurop de Noyelles-Godault et que le rapporteur opposait à leur adoption la règle, effectivement fondamentale en démocratie de la séparation des pouvoirs.

Il a toutefois observé que les deux propositions de résolutions examinées devaient mieux prendre en compte l'analyse financière de la situation, afin de déterminer si les transferts de richesse entre établissements, filiales et entreprises-mères étaient conformes aux règles du droit commercial. Il a ajouté que les parlementaires pouvaient ressentir une frustration légitime face au risque d'une attente longue avant la fin des poursuites judiciaires.

M. Jean-Yves Le Déaut, après s'être étonné des conclusions du rapporteur, a souligné que la séparation des pouvoirs exécutif et législatif n'empêchait pas le contrôle du Gouvernement par le Parlement. Il a également rappelé que de nombreuses commissions d'enquête avaient été menées parallèlement à la tenue d'une procédure judiciaire, même lorsqu'elles portaient sur des événements très graves, mentionnant à titre d'exemple la commission portant sur le Sida et celle consécutive à l'explosion de l'usine AZF qui a occasionné plus de 30 morts. Après avoir souligné que sur ces sujets, les commissions d'enquête avaient toujours pris le plus grand soin de ne pas empiéter sur le travail du juge, il a déploré qu'il ait été d'ores et déjà décidé, comme le lui avaient indiqué les journalistes de LCP-AN, qu'aucune commission d'enquête ne serait créée pour étudier la fermeture de l'usine Metaleurop.

Le président Jean Proriol a déploré que des journalistes se permettent de préjuger des décisions de la Commission.

M. Jean-Yves Le Déaut a estimé que ce choix de ne pas enquêter sur ce dossier s'expliquait par le fait que, quels qu'aient été les Gouvernements, les précédentes commissions d'enquête avaient toujours réussi à identifier des dysfonctionnements administratifs. Il a donc regretté la décision de la majorité de ne pas créer cette commission d'enquête au nom de l'indépendance du Parlement.

Après avoir rappelé que l'actuelle commission d'enquête sur l'application des mesures préconisées en matière de sécurité du transport maritime des produits dangereux ou polluants et l'évaluation de leur efficacité faisait suite au naufrage du Prestige, pour lequel plusieurs procédures judiciaires sont en cours, Mme Marylise Lebranchu a fait observer que l'existence d'une telle procédure pour l'affaire Metaleurop ne faisait pas obstacle à l'examen par une commission d'enquête des questions sociales et environnementales qui ne seront pas évoquées par l'enquête judiciaire.

Elle a donc jugé la création d'une commission d'enquête tout à fait justifiée, son champ d'investigation étant beaucoup plus large et ne remettant pas en cause la séparation des pouvoirs.

M. Jacques Le Guen ayant fait remarquer que l'intitulé de la commission d'enquête créée à la suite du naufrage du Prestige avait été défini strictement afin de ne pas empiéter sur les procédures judiciaires, Mme Marylise Lebranchu a observé que tel était justement l'objet de l'amendement présentée par M. François Brottes.

Le président Jean Proriol, après avoir donné lecture du deuxième alinéa de l'article 141 du Règlement de l'Assemblée nationale, a estimé souhaitable de s'en tenir à la stricte application de cette disposition.

M. Claude Gatignol, rapporteur, a souligné à l'intention de M. Jean-Yves Le Déaut que le problème ne concernait pas les rapports entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif, mais ceux du Parlement avec l'autorité judiciaire.

Rappelant qu'il ne pouvait être envisagé d'enquêter sur les responsabilités en cause dans la fermeture de l'usine Metaleurop, il a jugé inopportun de mener une investigation sur les seules conséquences de cette fermeture. En effet, a-t-il observé, si celles-ci sont incontestablement dramatiques, elles sont connues et des mesures, acceptées par les partenaires sociaux, sont d'ores et déjà mises en œuvre pour y faire face. Il a, en effet, estimé que la réaction des pouvoirs publics ne pouvait pas attendre la fin des investigations d'une commission d'enquête parlementaire.

Par ailleurs, il a réitéré sa conviction qu'une commission d'enquête initialement chargée de travailler sur les conséquences de la fermeture du site ne pourrait qu'étendre son champ d'intervention à une recherche des responsabilités, pourtant interdite du fait de l'existence d'une procédure judiciaire.

Il a donc, à nouveau, appelé au rejet de ces propositions de résolution tout en rappelant que le dépôt de la proposition de résolution de M. Jean-Jacques Guillet et de plusieurs de ses collègues, membres, comme lui, de la majorité, attestait que la volonté d'enquêter sur ces faits n'était pas liée à une appartenance partisane.

M. François Brottes, soulignant son désir d'être constructif et de prendre en compte les remarques émises par M. André Flajolet, a alors proposé de rectifier son amendement afin de préciser que la commission d'enquête aurait également à étudier les causes de la fermeture brutale des sites industriels.

A la demande de M. André Flajolet, la Commission a suspendu sa réunion.

A la reprise de la réunion, M. Claude Gatignol, rapporteur, a rappelé que le règlement de l'Assemblée écartait la possibilité de rechercher des responsabilités sur des faits faisant l'objet de poursuites judiciaires.

Puis, il a estimé que l'amendement de M. François Brottes présentait un intérêt certain bien que l'élargissement du champ d'investigation de la commission d'enquête à l'ensemble de la région Nord-Pas-de-calais rende celui-ci imprécis. Il a jugé qu'en tout état de cause, l'adoption de cet amendement aboutirait à une proposition de résolution tout à fait nouvelle et nécessitait donc un examen approfondi.

M. André Flajolet a déclaré partager l'analyse du rapporteur selon laquelle l'article 141 du Règlement de l'Assemblée nationale interdit à une commission d'enquête de conduire des investigations sur des faits faisant l'objet de poursuites judiciaires.

Il a également convenu avec le rapporteur que le dispositif proposé par M. François Brottes était différent des deux propositions de résolution, initialement soumises à l'examen de la Commission et justifierait le dépôt d'une nouvelle proposition de résolution.

Il a donc indiqué son intention de déposer une nouvelle proposition de résolution permettant, sans empiéter sur les prérogatives de l'autorité judiciaire, de faire la lumière sur les pratiques prédatrices de certains groupes et a proposé à l'ensemble des commissaires intéressés de collaborer avec lui à la rédaction de cette proposition de résolution.

M. Daniel Paul a estimé que la réécriture de la proposition de résolution proposée par M. François Brottes correspondait à la mise en œuvre normale du droit d'amendement et permettait d'aboutir à un texte plus consensuel et conforme au Règlement de l'Assemblée nationale.

M. François Brottes a également estimé que l'élaboration d'une proposition de résolution différente de celle soumise à l'examen de la Commission afin de prendre en compte les remarques du rapporteur et de certains commissaires faisait partie du travail de celle-ci. Il a toutefois indiqué qu'il était néanmoins d'accord pour cosigner une nouvelle proposition permettant d'apporter, dans le respect du règlement de l'Assemblée nationale, une réponse politique constructive à un problème dépassant les clivages partisans.

M. Jean-Yves Le Déaut s'est interrogé sur la possibilité de reporter le vote de cette proposition de résolution à la semaine suivante, dans la mesure où le dépôt d'une nouvelle proposition de résolution impliquerait nécessairement des délais supplémentaires.

Ayant écarté cette possibilité, M. Jean Proriol, président a ensuite proposé à la Commission de passer au vote de l'amendement et des deux propositions de résolution.

La Commission a rejeté l'amendement présenté par M. François Brottes puis les deux propositions de résolutions n° 567 et 568.

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La Commission a ensuite désigné M. Joël Beaugendre comme rapporteur pour avis de la commission sur le projet de loi de programme pour l'outre-mer, la saisine étant limitée aux articles 33, 34, 35, 35 bis (nouveau), 38, 41 et 42. Il a rappelé que l'urgence avait été déclarée sur ce texte, et a évoqué les trois raisons qui avaient justifié la saisine pour avis de la commission : la première étant liée à l'importance politique du texte en lui-même, puisqu'il s'agissait de définir un cadre pour le développement de l'ensemble des collectivités d'outre-mer durant les quinze prochaines années, ce qui appelait un travail de commission particulièrement approfondi, le Sénat ayant de son côté mobilisé cinq commissions au cours de ses travaux préparatoires ; la seconde raison tenant au souci de faire honneur au nom de la commission, dont la dénomination comportait désormais le mot «territoire», ce qui renvoyait à une compétence générale sur tous les problèmes liés au «territoire», et donc notamment à l'outre-mer ; la troisième raison résultant de ce que la commission avait déjà contribué à la préparation du projet de loi, au travers d'une mission sur la crise du tourisme dans les Antilles, conduite par le Président Patrick Ollier en 2002. Il a ensuite invité M. Joël Beaugendre à présenter son rapport pour avis.

M. Joël Beaugendre a signalé que c'était un grand honneur pour lui de rapporter pour avis sur ce projet de loi de programme pour l'outre-mer, car il s'agissait d'un texte très attendu à deux titres : d'une part, parce qu'ayant été préparé, conformément au souhait du Président de la République, dans le cadre d'une large concertation avec l'ensemble des partenaires politiques et socio-économiques concernés, il portait en lui les espoirs de toute la communauté ultramarine ; d'autre part, parce qu'il fournissait enfin une réponse à la revendication majeure de tous ceux qui souhaitaient inscrire la politique en faveur de l'outre-mer dans une perspective de long terme : il venait en effet rompre une logique récurrente de traitement social s'appuyant sur une extension artificielle du secteur non marchand, pour au contraire créer les conditions d'un développement économique vraiment durable, fondé sur la redynamisation du secteur productif, en faisant le pari de la relance de l'investissement et de l'emploi grâce aux allègements de charges sociales et à la défiscalisation, et en donnant aux populations d'outre-mer les moyens de prendre leur destin économique en main.

Il a remercié le Gouvernement d'avoir fait si vite, et si bien, en construisant ce texte très complexe en moins d'un an, et en déclarant de plus l'urgence sur sa discussion parlementaire, ce qui montrait qu'il était parfaitement conscient des tensions que la situation actuelle entretenait sur le terrain.

Il a souligné qu'il convenait particulièrement de saluer les mesures favorisant l'emploi des jeunes diplômés, encourageant le retour à l'emploi des bénéficiaires du RMI, ou simplifiant les formalités imposées aux petites entreprises ; mais a noté, qu'au-delà du soutien à l'investissement et à l'emploi, le Gouvernement avait su proposer avec ce projet de loi des solutions pour trois graves sujets de préoccupation dans les collectivités d'outre-mer : la crise du tourisme ; la pénurie de logement social ; l'enclavement territorial.

S'agissant de la crise du tourisme, il a rappelé qu'elle constituait un phénomène d'autant plus grave qu'elle touchait particulièrement les Antilles, où ce secteur était de loin le plus développé en outre-mer, procurant l'essentiel de leurs ressources à certaines îles, notamment celles de Saint-Martin et de Saint-Barthélémy dans l'archipel de Guadeloupe ; que la fréquentation touristique dans les Antilles connaissait une forte baisse, de l'ordre de 20 à 25% sur les trois dernières années, plusieurs groupes hôteliers, dont le groupe Accor, ayant annoncé leur retrait de cette région ; que ce phénomène s'expliquait par l'insuffisance des dessertes aériennes, le vieillissement du parc hôtelier, la concurrence des destinations voisines à bas coûts comme Saint-Domingue et Cuba, et aussi la qualité aléatoire de l'accueil ; que le projet de loi fournissait toute une batterie de réponses à ces difficultés, axées notamment sur une exonération de charges sociales pour les secteurs de l'hôtellerie et de la restauration, au profit des rémunérations représentant jusqu'à 1,5 fois le SMIC, et un relèvement du taux de défiscalisation pour l'hôtellerie.

S'agissant de la pénurie du logement social, il a expliqué qu'elle était un effet direct de la très forte croissance démographique en outre-mer, en moyenne quatre fois plus rapide qu'en métropole, le marché du logement se caractérisant à cause de cela par une demande explosive face à une offre contrainte ; que le parc de logements insalubres ou sous-équipés, bien qu'en diminution, restait très important, les logements précaires ou dépourvus d'éléments de confort pouvant représenter, d'après les estimations, jusqu'à 25 % du parc total ; que les disponibilités foncières restaient limitées du fait des particularités de l'environnement géographique, qui rendait les terrains non constructibles pour des raisons de morphologie physique ou de risques naturels, mais aussi à cause de l'insuffisance du réseau d'équipements publics en eau et en électricité ; que la situation financière difficile de la plupart des collectivités locales ne leur laissait que des moyens limités pour viabiliser les terrains ; que la pénurie en logements était d'autant plus préoccupante que le parc disponible se dégradait à une vitesse plus rapide qu'en métropole, du fait des particularités du climat, en moyenne plus humide et plus chaud.

Il a souligné que le revenu moyen peu élevé, reflet du fort taux de chômage, 28 % en moyenne, créait une demande particulièrement forte pour les logements sociaux, que les besoins étaient estimés à 10 000 logements sociaux par an au minimum au cours des dix prochaines années, alors que l'offre représentait aujourd'hui seulement 5 000 à 6 000 logements sociaux nouveaux chaque année.

Il s'est réjoui de ce que, face à l'urgence de cette situation, le projet de loi prévoyait des mesures d'allègement fiscal encourageant la construction de nouveaux logements sociaux, mais aussi l'amélioration et la réhabilitation du parc existant, qu'il créait également des exonérations de charges sociales pour les petites entreprises du bâtiment et des travaux publics, afin que ce secteur fût en mesure de suivre une accélération du rythme des constructions.

Il a détaillé quatre dispositions en faveur de logement méritant tout particulièrement l'attention : en premier lieu, l'article 13 prévoyant le renforcement des mesures de défiscalisation au titre de l'impôt sur le revenu, en cas d'investissement dans des logements situés dans les collectivités d'outre-mer, dans la lignée ouverte par la « loi Pons » de 1986, le bénéfice du dispositif, avec un taux de réduction d'impôt à 25%, réservé aujourd'hui au cas des logements neufs, étant étendu au cas des travaux de réhabilitation sur des logements de plus de quarante ans. Il a noté que le taux de réduction majoré à 40% était généralisé à tous les cas de construction en vue d'une location, avec un avantage supplémentaire de 10 points de réduction d'impôts accordé aux logements locatifs situés en zone urbaine sensible, afin de permettre une plus grande mixité sociale et revitaliser les quartiers ; qu'une majoration supplémentaire de 4 points était également accordée lorsque les logements étaient alimentés à partir de l'énergie solaire, afin de favoriser le recours à ce type d'énergie ; en second lieu, l'article 33 prévoyant l'extension du taux réduit de TVA à 2,1%, qui bénéficiait déjà aux opérations de construction de logements locatifs sociaux, au cas des constructions et ventes des logements évolutifs sociaux. Il a observé que cette extension n'était prévue que dans les trois départements de la Guadeloupe, de la Martinique, et de la Réunion, et qu'elle avait pour objectif d'encourager l'accession sociale à la propriété ; en troisième lieu, l'article 35 prévoyant l'alignement des départements d'outre-mer sur le régime permettant, en métropole, d'exonérer les bailleurs de logements locatifs sociaux du plafonnement de l'augmentation des loyers, lorsqu'ils effectuaient des travaux d'amélioration, en vue de les inciter à réhabiliter leur parc immobilier ; enfin, l'article 34 prévoyant, dans les quatre départements d'outre-mer, la mise en place d'un abattement de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour les logements locatifs sociaux ayant fait l'objet de travaux d'amélioration destinés à prévenir les risques naturels. Il a précisé que les travaux en question devaient avoir pour objet de prémunir les logements contre les inondations, les mouvements de terrain, les avalanches, les incendies de forêts, les éruptions volcaniques, les tempêtes ou les cyclones, et qu'il terminait cette description par cet article 34 pour signaler une évolution non souhaitable de cette disposition lors de la lecture au Sénat, puisque la Haute Assemblée avait rendu l'abattement facultatif, s'inscrivant dans une logique selon laquelle les collectivités territoriales qui décideraient de l'application de l'abattement en supporteraient la charge. Il a indiqué qu'il suggèrerait par un amendement d'en revenir au texte initial du projet de loi, qui prévoyait un abattement automatique, dont la charge était compensée par l'Etat.

S'agissant de l'enclavement territorial, il a estimé qu'il résultait d'une forte dépendance vis-à-vis de la desserte aérienne, soumise entre la métropole et les régions d'outre-mer, à une situation de quasi-monopole ; que cette dépendance tenait à ce que les collectivités d'outre-mer étaient peu intégrées dans leurs environnements régionaux, cette situation étant une trace laissée par le principe de l'exclusive, qui avait interdit jusqu'à la seconde guerre mondiale, non seulement que les exportations fussent dirigées vers une autre destination que la métropole, mais même que les autorités locales prissent simplement contact avec les pays voisins, voire avec les ambassadeurs de France dans les pays étrangers ; qu'elle s'expliquait aussi par le fait que les économies environnantes avaient le plus souvent des structures identiques, qui en faisaient plus des concurrentes que des partenaires pour l'échange.

Il a observé que les flux de passagers et de marchandises restaient très majoritairement dirigés vers la France, située à une distance variant de 7500 et 9000 kilomètres ; que le maintien de ce lien commercial et humain très fort avec la métropole posait un problème de coût de transport, sachant que les liaisons maritimes étaient très longues, et donc en particulier peu compatibles avec les contraintes de conditionnement de certaines marchandises ; que le dynamisme des économies d'outre-mer dépendait dès lors fortement du transport aérien ; mais qu'après les déboires des compagnies spécialisées dans la desserte de l'outre-mer, Air France se trouvait désormais en situation de quasi-monopole sur les liaisons avec la métropole, ce qui pénalisait doublement la desserte de l'outre-mer, d'une part du fait de l'augmentation des tarifs pratiqués, et d'autre part en raison de la diminution de la fréquence des rotations.

Il a rappelé que des mesures partielles avaient déjà été prises pour réduire cet enclavement, puisque, conformément à l'engagement du Président de la République, le «passeport mobilité», instauré par une circulaire du 8 août 2002, permettait désormais, sous certaines conditions, la prise en charge intégrale du coût du transport pour les jeunes devant se rendre en métropole pour y suivre une formation qui n'existe pas localement ou qui est saturée ; mais que le projet de loi de programme pour l'outre-mer allait plus loin en instituant en son article 42 une dotation de continuité territoriale ; que ce dispositif, qui s'inspirait d'un modèle déjà en vigueur en France au profit des résidents corses, et qui fonctionnait aussi en Espagne au profit des résidents des îles Canaries et Baléares, et au Portugal au profit des îles Madères et des Açores, allait permettre aux collectivités d'outre-mer d'abaisser le coût de la desserte aérienne en direction de la métropole.

Il a souhaité néanmoins que cette avancée déterminante ne fermât pas la question, car il restait à étendre cette continuité aux trajets inter îles, à l'instar de l'effort spécifique de l'Etat pour la desserte maritime intérieure de Saint-Pierre-et-Miquelon, et celle de Wallis et Futuna, un besoin équivalent se manifestant dans d'autres collectivités d'outre-mer, en particulier au sein de l'archipel de la Guadeloupe.

Il a noté que le projet de loi prévoyait bien une exonération de charges patronales pour les entreprises de transport aérien, maritime et fluvial desservant l'outre-mer, afin d'encourager la concurrence, et de faciliter ainsi les déplacements par la baisse des tarifs mais a estimé qu'il faudrait que la dotation de continuité territoriale pût également être utilisée à cette fin, en soutenant même au besoin le transport de fret, et qu'il proposait un amendement en ce sens.

Il a soulevé enfin un dernier problème posé par l'article 41, concernant la création d'une redevance pour prélèvement d'eau, dont la collecte pourrait être décidée par les offices de l'eau pour financer des programmes pluriannuels de travaux.

Il a observé que cette redevance s'appliquait aux prélèvements d'eau sur les milieux naturels, à l'exception du prélèvement en mer, qui en était exempté ; que c'était la personne effectuant le prélèvement, le plus souvent une collectivité locale assurant la distribution au profit de ses habitants, qui devrait supporter le coût de cette redevance.

Il a expliqué que la difficulté venait de ce qu'en outre-mer, et particulièrement en Guadeloupe, la distribution d'eau faisait l'objet de fuites très importantes, pouvant représenter plus de la moitié du flux prélevé à la source ; que ces fuites ne correspondaient pas nécessairement à des raccordements clandestins, mais résultaient souvent d'une tolérance d'accès gratuit accordée en échange d'une servitude de passage ; que ce type de tolérance n'était pas formalisée officiellement, et se perpétuait dans le « non-dit », faisant supporter la totalité des charges liées à la distribution d'eau sur les consommateurs réguliers et les collectivités concernées ; que l'instauration en l'état d'une redevance sur le prélèvement d'eau en milieu naturel aurait pour effet de renforcer cette injustice, puisque les collectivités effectuant le prélèvement auraient à acquitter un montant de redevance double de celui qui serait justifié par la seule distribution d'eau à titre onéreux. Il a annoncé son intention de soumettre un amendement visant à corriger cette injustice.

En conclusion, il a déclaré que le projet de loi de programme pour l'outre-mer s'illustrait dans l'ensemble, sous réserve des quelques remarques qu'il avait pu faire et qui motiveraient ses amendements, par la pertinence de sa démarche d'ensemble et son adéquation à la réalité des problèmes rencontrés sur le terrain.

M. Jean Proriol, Président, après avoir remercié le rapporteur pour son analyse très complète, ouvrant la discussion générale, a donné la parole à M. Eric Jalton.

M. Eric Jalton a félicité à son tour le rapporteur pour son exposé qu'il a jugé « méticuleux », et a souligné que, si le projet de loi de programme pour l'outre-mer allait effectivement dans le bon sens, il restait encore beaucoup à faire pour corriger toutes les inégalités constatées sur le terrain par rapport à la métropole, particulièrement en ce qui concernait le chômage, la mise en place de mécanismes de discrimination positives lui paraissant le mode de traitement le plus approprié. Il s'est néanmoins rallié au rapporteur pour estimer que le projet de loi permettait globalement, sous réserve de l'adoption de quelques amendements d'ajustement, d'incontestables avancées.

La Commission a alors examiné les articles faisant l'objet de la saisine pour avis.

TITRE III

DISPOSITIONS EN FAVEUR DU LOGEMENT

· Article 33 (article 296 ter [nouveau] du code général des impôts) : Taux réduit de TVA applicable aux logements évolutifs sociaux

La commission a émis un avis favorable à l'adoption de cet article.

· Article 34 (article 1388 ter [nouveau] du code général des impôts) : Abattement de taxe foncière sur les propriétés bâties pour les logements locatifs sociaux ayant fait l'objet de certains travaux d'amélioration

Le rapporteur a présenté un amendement visant à revenir au dispositif initial du projet de loi, qui consistait à rendre l'abattement automatique, et à compenser la charge qui en résulterait pour les collectivités locales par un financement de l'Etat, alors que le Sénat l'a rendu facultatif en en laissant complètement la charge aux collectivités qui opteraient pour sa mise en œuvre.

Il a expliqué que la modification introduite par le Sénat méconnaissait l'objectif fondamentalement visé, à savoir une mise aux normes en respectant la réglementation relative à la prévention des risques sismiques et cycloniques.

Il a soutenu que, dans la mesure où cette mise aux normes faisait l'objet d'une prescription de l'Etat, au travers des dispositions de l'article L.562-1 du code de l'environnement, il était logique que le prescripteur fût le payeur, et que l'abattement ne fût pas mis à la charge des collectivités d'outre-mer, qui connaissaient généralement des difficultés budgétaires ; mais surtout, qu'au-delà de cette argumentation de technique financière, il convenait de rappeler que l'article visait des logements collectifs sociaux, donc des bâtiments occupés par un grand nombre de personnes, et que par ailleurs les territoires d'outre-mer étaient particulièrement exposés aux risques sismiques et cycloniques. Il a estimé qu'en conséquence, s'en remettre à des collectivités locales démunies financièrement pour instituer et financer une incitation à une mise aux normes de prévention des risques naturels, revenait en pratique à prendre une mesure sans effet, dont le coût se mesurerait en vies humaines à l'occasion de la prochaine catastrophe naturelle en outre-mer ; il a insisté sur le fait qu'après la catastrophe, il resterait toujours des survivants pour demander aux autorités de l'Etat pourquoi tout n'avait pas été fait pour inciter à une mise aux normes des bâtiments.

Après que M. Eric Jalton a exprimé son plein accord, la commission a adopté cet amendement, et donné un avis favorable sur l'article ainsi modifié.

· Article 35 (article L.472-1-6 [nouveau] du code de la construction et de l'habitation) Fixation des loyers dans les logements locatifs sociaux ayant fait l'objet de travaux d'amélioration

La commission a donné un avis favorable à l'adoption de cet article

· Article 35 bis (nouveau) (article L. 340-2 du code de l'urbanisme) : Modalité de mise en place du fonds régional d'aménagement foncier et urbain

Le rapporteur a présenté un amendement rédactionnel visant à lever une ambiguïté du texte adopté par le Sénat, afin de mieux mettre en valeur les objectifs poursuivis au travers de cet article additionnel.

Il a en effet expliqué qu'il s'agissait de rendre opérationnelle la procédure de mise en place du fonds régional d'aménagement foncier et urbain (FRAFU), impliquant, selon les termes de l'article L.340-2 du code de l'urbanisme, la mise en place d'une convention avec une « institution financière » ; car le décret n° 2002-666 du 29 avril 2002 relatif aux fonds régionaux d'aménagement foncier et urbain dans les départements d'outre-mer avait imposé de passer les conventions exclusivement avec la Caisse des dépôts et consignations, et il en était résulté un blocage, aucune convention n'ayant été signée à ce jour.

Il a indiqué que l'article additionnel adopté par le Sénat avait visé à débloquer la situation en permettant aux collectivités territoriales de sortir d'un face à face obligé, et jusque là stérile, avec la Caisse des dépôts et consignations, mais que la rédaction retenue avait créé une ambiguïté, en laissant entendre que la convention elle-même devenait facultative, alors que l'intention du Sénat était simplement d'ouvrir la possibilité d'un libre choix de chaque collectivité pour le partenaire financier de la convention.

Il a expliqué que la rédaction proposée levait totalement cette ambiguïté, et permettait ce faisant, non seulement de fournir une occasion d'affirmer le principe de libre administration des collectivités territoriales, mais surtout de débloquer la situation pour ce qui concernait les objectifs visés par le FRAFU, à savoir la constitution de réserves foncières et la réalisation des équipements nécessaires à l'aménagement d'espaces déjà urbanisés ou qui avaient vocation à l'être, domaines où une intervention de soutien était particulièrement indispensable dans les territoires d'outre-mer.

M. Jean Proriol, Président, s'est inquiété de savoir s'il existait réellement des alternatives à la Caisse des dépôts et consignations pour le choix du partenaire financier. Le rapporteur a cité comme exemple la Banque européenne d'investissement, avec laquelle des contacts avaient déjà été pris par les autorités de Guadeloupe, et qui se montrerait particulièrement intéressée.

La commission a ensuite adopté cet amendement, et donné un avis favorable à l'adoption de l'article ainsi modifié.

TITRE IV

DISPOSITIONS RELATIVES AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

· Article 38 (article L.4433-9 du code général des collectivités territoriales) : Elaboration du schéma d'aménagement régional

La commission a émis un avis favorable à l'adoption de cet article.

· Article 41 (articles L.213-13 à L.213-20 [nouveau] du code général des collectivités territoriales) : Offices de l'eau des départements d'outre-mer

Le rapporteur a présenté deux amendements relatifs aux ressources des offices de l'eau.

- Article L. 213-13 du code de l'environnement : Institution des offices de l'eau dans les DOM

Le premier amendement, rattaché à l'article L.213-13 [nouveau] du code de l'environnement, vise à insérer dans la liste de ces ressources l'instauration d'une redevance sur la pollution, la définition des caractéristiques de cette redevance étant confiée à un décret en conseil d'Etat.

La commission a adopté cet amendement.

- Article L. 213-14 du code de l'environnement : Etablissement de la redevance pour prélèvement d'eau

Le rapporteur a présenté un amendement concernant l'aménagement des caractéristiques de la redevance pour prélèvement, faisant l'objet de l'article L.213-14 du code de l'environnement.

Le rapporteur a expliqué qu'il avait pour objet de mieux adapter la redevance pour prélèvement d'eau à la réalité des situations locales en outre-mer, et particulièrement dans les Antilles ; qu'en effet, la pratique administrative consistant à accorder, aux propriétaires des terrains traversés par les canalisations, un accès gratuit à l'eau en contrepartie d'une servitude de passage avait abouti à des taux de déperdition jusqu'à la consommation facturée pouvant atteindre 50% à 60% ; que la mise en place d'une taxe payée par toute personne effectuant un prélèvement d'eau, en général une collectivité locale, aboutirait donc, avec le dispositif proposé, dans la mesure où cette taxe serait inévitablement répercutée sur le consommateur final, à faire supporter une fois de plus la charge sur les seuls consommateurs officiels. Il a indiqué que l'aménagement proposé consistait à assimiler le prélèvement direct et gratuit à partir d'une canalisation tiers à un prélèvement en milieu naturel ; qu'ainsi serait créé un dispositif qui inciterait l'office de l'eau à utiliser ses pouvoirs d'investigation et de contrôle pour étendre le champ des assujettis à la redevance, en repérant et taxant les bénéficiaires d'un branchement à une canalisation tiers.

La commission a adopté cet amendement et émis un avis favorable à l'adoption de cet article ainsi modifié.

TITRE V

CONTINUITÉ TERRITORIALE

· Article 42 : Instauration d'une dotation de continuité territoriale

Le rapporteur a présenté un amendement ayant pour objet d'étendre l'utilisation de la dotation de continuité territoriale aux liaisons inter îles.

Il a expliqué que cet amendement visait particulièrement les cas de Saint-Pierre et Miquelon, de Wallis et Futuna, de l'archipel de la Guadeloupe (surtout pour les liaisons avec la Désirade et Marie-Galante), mais était formulé de manière à pouvoir s'appliquer aussi à la Guyane, sur la liaison par-dessus la forêt amazonienne entre Cayenne et Saül ou Maripasoula ; que cette extension du champ d'utilisation de la dotation de continuité territoriale concernait aussi bien le transport de passagers, que le transport de fret, afin de permettre, en tant que de besoin, une diminution du coût de transport des matériaux de construction dans les îles ou les zones à désenclaver.

Il a indiqué que la rédaction retenue laissait à la collectivité territoriale concernée le choix d'étendre ou non le bénéfice du soutien au fret, ainsi que la fixation des axes de communication sur lequel il s'appliquerait, afin qu'elle se trouvât en mesure de partager au mieux l'enveloppe de dotation de continuité territoriale mise à sa disposition entre les liaisons internes et la liaison aérienne vers la métropole.

M. Jean Proriol, Président, a noté qu'il s'agissait de permettre le redéploiement de l'enveloppe de la dotation, et non de l'augmenter. M. Joël Beaugendre a observé que la dotation de continuité territoriale risquant de toute façon de ne pas être consommée totalement, si elle était fixée en fonction d'un droit reconnu à chaque résident, il s'agirait pour les collectivités territoriales concernées d'obtenir le droit d'utiliser les crédits non consommés au soutien des communications internes. M. Eric Jalton, tout en soulignant que les modalités de fixation de la dotation de continuité territoriale n'étaient pas encore connues, a indiqué qu'il se réjouissait de voir le rapporteur défendre cet amendement, qui répondait à un besoin spécifique de l'outre-mer, la réalité géographique de l'archipel et de la « double insularité » y revêtant une importance particulière.

La Commission a adopté l'amendement du rapporteur et émis un avis favorable à l'adoption de l'article 42 ainsi modifié.

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La Commission a donné un avis favorable à l'adoption des articles 33, 34, 35, 38, 41 et 42 du projet de loi (n° 881) de programme pour l'Outre-Mer, adopté par le Sénat, ainsi modifié.

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Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné M. Richard Mallié comme rapporteur pour sa proposition de loi portant diverses dispositions relatives aux droits des mineurs et aux mines (n° 418) et pour la proposition de loi de M. Michel Sordi portant diverses dispositions relatives aux mines (n° 489).


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