COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES,
DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 54

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 19 juin 2003
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Sergio Pininfarina, président de la commission intergouvernementale pour la préparation de la réalisation d'une liaison ferroviaire à grande vitesse entre Lyon et Turin

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La Commission a entendu M. Sergio Pininfarina, président de la commission intergouvernementale pour la préparation de la réalisation d'une liaison ferroviaire à grande vitesse entre Lyon et Turin.

Le Président Patrick Ollier, après avoir souligné l'importance et l'intérêt de l'audition de MM. Sergio Pininfarina et Louis Besson, a indiqué que deux dossiers méritaient, à ses yeux, d'être évoqués : bien évidemment celui de la liaison Lyon-Turin, mais également celui du tunnel sous le MontGenèvre. Après avoir indiqué qu'il comprenait bien que ce dernier ne pouvait être prioritaire sur une liaison Lyon-Turin, il a insisté sur la complémentarité de ces deux projets et a souhaité connaître l'opinion de M. Sergio Pininfarina sur cette question. Rappelant que le cadre budgétaire français était aujourd'hui contraint, il s'est réjoui de la nouvelle lisibilité donnée au programme d'investissements en infrastructures par le Gouvernement et notamment de l'avis très positif émis par M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur le projet de liaison Lyon-Turin. Toutefois, a-t-il estimé, il est aujourd'hui indispensable de présenter clairement la programmation envisagée, le coût de ce projet avoisinant 15 milliards d'euros. Il a enfin fait part des pistes envisagées pour le financement du projet (taxe sur les poids lourds, utilisation de fonds de la Caisse des Dépôts et Consignations et lancement d'un emprunt au niveau européen).

M. Sergio Pininfarina a en préambule déclaré qu'il s'exprimait au titre de président de la Commission intergouvernementale franco-italienne pour la nouvelle liaison ferroviaire Lyon-Turin, mais également au nom du Gouvernement italien qui l'a nommé chef de la délégation italienne auprès de cette conférence intergouvernementale (CIG). Il a par ailleurs remercié de leur présence M. Louis Besson, chef de la délégation française auprès de la CIG, et Mme Valeria Spinelli, Premier conseiller pour les affaires économiques de l'ambassade d'Italie à Paris.

M. Sergio Pininfarina a rappelé les soucis et les craintes que les résultats de l'audit sur la ligne Lyon-Turin avaient suscités en Italie, l'audit ayant jugé cette liaison transalpine trop coûteuse et non prioritaire ; il a indiqué que ces conclusions négatives avaient provoqué une levée de boucliers unanime en Italie et au sein de la Communauté européenne, notamment en France, afin de défendre cette infrastructure vitale et stratégique.

Soulignant que la France était évidemment totalement libre d'organiser tous les audits qu'elle désire sur l'ensemble des infrastructures de transports qu'elle prévoit pour les années à venir, il a toutefois jugé que la liaison Lyon-Turin, qui a fait l'objet d'un traité international n'aurait pas dû être concernée, comme cela a d'ailleurs été le cas pour la ligne Perpignan-Figueras.

Il s'est néanmoins réjoui de constater que les événements des derniers jours avaient conduit à un ton plus modéré et ramené à de plus justes proportions les conclusions négatives de l'audit sur ce projet. Il s'est notamment dit rassuré par les déclarations de M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports et du logement puis par celles de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, quant à l'engagement du Gouvernement français en faveur de la réalisation d'une ligne Lyon-Turin.

M. Sergio Pininfarina a jugé que la question de réaliser ou non cette nouvelle liaison ferroviaire ne se posait pas, la décision ayant été d'ores et déjà été prise et l'ouvrage devant être réalisé puisqu'il a fait l'objet d'un traité international, signé en 2001 en présence des Présidents des Républiques française et italienne, MM. Jacques Chirac et Giuliano Amato, et ratifié ensuite par les Parlements français et italien en 2002.

Il a estimé que les questions demeurant encore en suspens concernaient les modalités et le calendrier de réalisation de cet ouvrage.

En ce qui concerne ses modalités, il a indiqué qu'il s'agissait de choisir les meilleures solutions pour le financement de la nouvelle infrastructure et d'écarter définitivement l'hypothèse de phasage de la section internationale entre Saint-Jean-de-Maurienne et Bussoleno.

Sur ce point, a-t-il rappelé, le traité international prévoit deux galeries parallèles monotube, mais ne précise pas si leur réalisation doit être simultanée dès le début ou phasée. Il a signalé que s'étaient exprimés, sur l'hypothèse de phasage, le conseil d'administration de Lyon Turin Ferroviaire (LTF), c'est-à-dire Réseau ferré de France (RFF) et Réseau ferroviaire italien (RFI), les groupes de travail de la CIG « technique-sécurité » et « juridique-économique-financier », ainsi que les compagnies ferroviaires des deux pays, c'est-à-dire la SNCF et Trenitalia. Soulignant que tous avaient retenu que pour la partie commune de la section internationale - et donc pour le tunnel de base - la meilleure solution technique consistait à réaliser simultanément un ouvrage à deux tubes, il a indiqué la CIG avait pris note de cet avis unanime motivé par des préoccupations relatives à la sécurité, aux impacts sur l'environnement et sur les populations, à l'efficience des transports et aux coûts de l'opération.

Il a précisé avoir communiqué cette appréciation par écrit aux ministres chargés des transports français et italien le 27 mars, comme ils l'avaient demandé lors du sommet franco-italien de Rome du 7 novembre 2002 et a souligné que le Gouvernement italien, les deux régions Rhône-Alpes et Piémont et les collectivités locales concernées partageaient cette opinion et étaient opposés à l'hypothèse de phasage.

Il a estimé que la réalisation phasée aurait des conséquences négatives sur l'environnement, la durée du chantier devant, dans cette hypothèse, s'étendre jusqu'à 2030 avec, par conséquent, des nuisances importantes pour les populations alpines. Il a en outre jugé que le phasage provoquerait une diminution de la sécurité aussi bien dans la phase de chantier que d'exploitation, une réduction de capacité ainsi qu'une exploitation excessive et donc impopulaire de la ligne actuelle « historique ».

Il a ajouté que le phasage, malgré une réduction initiale de 20 % de l'investissement, réduirait significativement le rendement en renvoyant à l'année 2030 la mise en fonction des deux tubes et a jugé qu'on ne pourrait pas attendre aussi longtemps en raison du risque d'engorgement imminent des axes de franchissement des Alpes.

Par ailleurs, a-t-il estimé, après le drame du tunnel routier du Mont-Blanc du 24 mars 1999 et les 39 morts ainsi causées, plus personne ne peut contester la dangerosité et la fragilité des franchissements routiers alpins, ainsi que le risque d'isolement des régions frontalières et de pénalisation de la compétitivité de l'Italie.

Il a toutefois affirmé avec force que la position de la CIG concernant le phasage n'excluait pas la possibilité d'adopter sur le territoire français, dans les sections du ressort de RFF, des solutions phasées, à condition que la capacité globale et l'efficacité de la liaison Lyon-Turin ne soient pas pénalisées.

Abordant la question du calendrier de réalisation de l'ouvrage, il a rappelé que le relevé de conclusions des deux ministres chargés des transports, rédigé à l'occasion du sommet de Turin en janvier 2001, prévoyait sa mise en oeuvre pour 2015, mais que lors du sommet de Périgueux de novembre 2001, ce délai, sur initiative des deux ministres, avait été ramené à 2012, ce programme « accéléré » ayant d'ailleurs été soumis par LTF à la CIG il y a quatre mois, à Paris, le 14 février 2003.

Il a regretté que dans les derniers temps, des retards aient été observés et a indiqué avoir demandé à LTF des approfondissements sur les justifications de ces retards par rapport au programme qui prévoyait l'entrée en service en 2012. Sur ce point, a-t-il déclaré, il lui a été répondu que c'était principalement les contraintes budgétaires qui avaient ralenti la mise en place des financements.

Il a fait observer que dans ces conditions, la CIG avait demandé a LTF, dans sa dernière réunion du 26 mars à Rome, de lui produire un planning actualisé et que LTF avait donc développé un programme plus prudent qui prévoit deux scénarios, fixant respectivement l'échéance des travaux à 2015 et 2018. Il a jugé que le premier scénario - 2015 - était réaliste d'un point de vue technique, si toutes les décisions politiques, administratives, techniques et financières étaient arrêtées selon les échéances décrites en détail dans ce programme. Concernant le deuxième scénario - 2018 -, il a précisé que celui-ci prenait en considération des facteurs extérieurs, de nature notamment politique et que ce sujet serait examiné le 20 juin par le conseil d'administration de LTF et discuté par la CIG le 26 juin.

Puis, M. Sergio Pininfarina a signalé que selon la délégation italienne, il fallait réaliser l'infrastructure au plus tôt, cette opinion étant partagée par M. Louis Besson, et a souligné avec force que le Gouvernement italien avait démontré sa volonté politique en demandant l'entrée en service de la liaison en 2012. Il a déclaré qu'en tant que chef de la délégation italienne et représentant de son Gouvernement, il ne pouvait que s'aligner sur cette position.

Il a donc jugé absolument nécessaire que le programme des études qui devront être menées d'ici à 2006 et qui étaient envisagées par le Traité de 2001 soit mené à son terme et qu'une déclaration d'utilité publique soit prise en 2006.

Il a notamment estimé que l'urgence de la réalisation de la liaison ne pouvait pas être remise en cause, la ligne Turin-Lyon étant en effet indispensable, stratégique et vitale pour l'Europe, la France et l'Italie, en permettant de remédier au déséquilibre modal entre la route et le ferroviaire, qui a aujourd'hui des conséquences très négatives sur l'environnement, l'économie et la sécurité.

Après avoir également souligné l'intérêt européen pour cette liaison, dont il a pensé qu'il serait très vraisemblablement confirmé par la Commission « Van Miert » qui a choisi les projets d'infrastructures prioritaires, il a signalé que dans les jours prochains, la Commission remettrait son dossier conclusif à la Commissaire chargée des transports Mme Loyola de Palacio, en confirmant encore une fois - après le sommet d'Essen de 1994, celui de Cardiff de 1998 et le Livre Blanc de 2001 - le caractère prioritaire et stratégique de la ligne Lyon-Turin pour l'Europe, en tant que maillon manquant de la liaison Lisbonne-Milan-Kiev.

Rappelant que le prochain semestre de cette année, l'Italie présiderait l'Union Européenne, il a affirmé qu'un des points principaux de son engagement consisterait à relancer et développer le réseau de transports, élément fondamental pour la cohésion de l'Europe.

Concernant la France, il a jugé que la ligne Turin-Lyon était un élément indispensable pour maintenir et renforcer davantage ses relations historiques, commerciales et économiques avec l'Italie, dont il a rappelé qu'elle était son deuxième partenaire commercial.

Il a en outre fait observer que d'ici 2010, la partie fondamentale du réseau à grande vitesse italien serait achevée avec les lignes Milan-Naples et Turin-Venise, puis successivement avec les autres sections Venise-Trieste, Gênes-Novara (couloir du Rhin) ainsi que les lignes méridionales. Il a craint que tout retard dans la réalisation de la ligne Lyon-Turin ne mette fin, pour la France, à la possibilité de se relier au nouveau réseau de transports italien.

Puis, notant que l'importance de cette liaison avait été confirmée par les déclarations de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, qui, lors de sa rencontre avec M. Silvio Berlusconi, Premier ministre italien, avait reconnu la nécessité d'une ligne Lyon-Turin pour l'économie des deux pays, il a observé que M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports et du logement, avait pour sa part soutenu que la réalisation d'une telle infrastructure contribuerait à éviter la marginalisation de la France au sein d'une Union européenne élargie.

Enfin, pour ce qui concerne l'Italie, il a estimé que la ligne Lyon-Turin était indispensable non seulement pour les régions du Nord et la plaine du Pô, mais également pour l'Italie toute entière et a souligné que le Président de la République lui même avait confirmé, à plusieurs occasions, l'intérêt italien pour la réalisation d'une liaison Lyon-Turin-Milan-Trieste-Lubiana, qu'il a définie comme un « projet essentiel pour nos économies, en vue de favoriser le transport des produits non seulement de l'un à l'autre de nos pays, mais également vers les marchés de l'Europe de l'Est ».

Rappelant ensuite que le Gouvernement français avait demandé que l'audit évalue les intérêts socio-économiques des infrastructures ainsi que les enjeux qu'elles peuvent représenter pour la politique européenne des transports, la sécurité routière, l'environnement, l'aménagement et le développement durable du territoire, il a regretté que l'audit se soit au contraire concentré principalement sur les conditions budgétaires de l'opération et n'ait pas tenu suffisamment compte d'autres critères, notamment concernant l'Europe et surtout l'environnement. Pourtant, a-t-il affirmé, l'importance de la nouvelle infrastructure dans le domaine territorial, écologique et social est, en réalité, fondamentale.

Il a souligné qu'en effet, l'ouvrage se situait parfaitement dans le cadre des politiques de l'environnement et du développement durable telles qu'elles ont été définies par le Protocole de Kyoto et confirmées lors du sommet de Johannesbourg en septembre dernier puisque, si l'objectif est de réduire les émissions polluantes et l'effet de serre et si le recours excessif qu transport routier est effectivement mis en cause, la seule solution consiste à transférer vers le rail une partie du trafic routier.

Il a précisé qu'aujourd'hui en Europe, plus de 75 % des marchandises sont transportées sur route, alors que 13 % seulement utilisent le mode ferroviaire le pourcentage du transport de marchandises sur route étant encore plus préoccupant en Italie (plus de 80 %), avec des conséquences très négatives du point de vue de l'environnement et de la sécurité.

En ce qui concerne en particulier la France et l'Italie, il a indiqué que le trafic actuel des marchandises de toutes nationalités franchissant les Alpes se situait autour de 51 millions de tonnes, dont plus de 40 sur route et moins de 10 sur rail, environ 26 millions de tonnes étant transportées à travers le seul tunnel routier du Fréjus et 9 seulement utilisant le rail.

Dans ce scénario qu'il a jugé préoccupant et destiné à s'aggraver en raison des prévisions de croissance des prochaines années, il a estimé indispensable de poursuivre un objectif environnemental ambitieux, en parvenant à un réel rééquilibre modal qui ne peut être atteint qu'avec la ligne Lyon-Turin. Il a souligné qu'en effet, la nouvelle liaison nous permettrait de parvenir à transporter par rail, d'ici 2015, de 40 à 50 millions de tonnes, c'est-à-dire de 40 à 50 % du total du trafic de marchandises.

S'agissant de la ligne ferroviaire « historique », il s'est déclaré convaincu que celle-ci, ne permettrait jamais, à elle seule et malgré sa modernisation, d'obtenir le rééquilibre modal. Il a estimé que cette incapacité persisterait, même lorsque le système Modalohr fonctionnera à plein régime et permettra, selon les prévisions les plus optimistes, de transporter en 2012 jusqu'à 18 millions de tonnes, soit deux fois plus qu'aujourd'hui.

Il a précisé que pour autant, il ne jugeait pas la modernisation de la ligne inutile, puisqu'elle sera sans doute nécessaire dans la phase de transition, en attendant l'entrée en fonction de la nouvelle ligne ; mais penser que le renforcement de l'infrastructure existante puisse nous permettre de retarder la réalisation de la nouvelle ligne à grande vitesse serait une grave erreur. Il a en outre souhaité que la ligne ferroviaire « historique » ne soit pas exploitée excessivement, en raison de ses graves répercussions sur l'environnement des territoires traversés, ceux-ci devant pouvoir utiliser la ligne pour les simples exigences du transport local.

Evoquant les nouveaux tunnels suisses, il a alerté les commissaires sur les risques qu'il y aurait à surestimer, comme l'a pourtant fait l'audit, leur capacité à attirer une partie du trafic futur entre l'Italie et la France, en prévoyant que plus de 20 à 30 % du trafic des poids lourds pourrait transiter par les liaisons suisses, en raison de la brièveté du trajet. Il a en outre fait observer que les tunnel de Lötschberg et du Saint-Gothard concernaient des axes de trafic Nord-Sud et non pas Ouest-Est et, que par conséquent, ils ne pourraient que partiellement faire face aux augmentations de trafic prévues entre la France et l'Italie.

Il a fait part de sa conviction du danger qu'il y aurait à parier exclusivement sur le renforcement de la ligne « historique » et sur les tunnels suisses, notamment pour l'environnement, car un tel choix conduirait à la congestion de ces axes du fait de la circulation des poids lourds dans la région du Mont-Blanc et de Chambéry, comme dans les vallées de la Maurienne et de Suse.

Puis, abordant la question du financement de la liaison Lyon-Turin, M. Sergio Pininfarina a précisé que celle-ci coûtait, en valeur actuelle, environ 15,2 milliards d'euros, dont 2,3 milliards pour la section italienne (de Bussoleno à Turin), environ 6,2 milliards pour la section française (de Saint-Jean-de-Maurienne à Lyon) et 6,7 milliards pour la section internationale (tunnel entre Saint-Jean-de-Maurienne et Bussoleno).

Il a jugé qu'il fallait désormais abolir l'idée selon laquelle il s'agirait d'un ouvrage nécessitant une charge financière insupportable pour les deux Etats car il faut tenir compte des contributions qui pourront l'alléger. Il a, sur ce point, cité en premier lieu la contribution à fonds perdus de l'Union Européenne, qui représentera 20 % du coût total de l'ouvrage, dès que la directive de la commissaire chargée des transports Mme Loyola de Palacio sur le financement des réseaux de transports sera approuvée. A cela, a-t-il précisé, s'ajoutent environ 30 % qui peuvent être trouvés sur le marché financier, comme le montrent les récentes études financières menées pour LTF par le Crédit Agricole, la Société Générale et Banca Intesa.

Il a estimé qu'en termes réels, il était donc possible de prévoir une dépense à la charge des Etats égale à 50 % du coût total de l'ouvrage, soit 7,6 milliards d'euros environ qui, répartis sur les dix années de réalisation de l'ouvrage, correspondraient à une dépense de 760 millions d'euros par an pour les deux pays, dont 480 millions d'euros par an environ pour la France et 280 millions d'euros pour l'Italie. Il a jugé que de tels investissements ne pouvaient pas effrayer deux grands pays comme l'Italie et la France, qui comptent ensemble 120 millions d'habitants, alors que la Suisse, avec 8 millions d'habitants, réalise deux tunnels, d'autant que les sommes à la charge des Etats pourraient être allégées ultérieurement soit par un financement privilégié de la Banque Européenne pour les investissements (BEI), soit à travers l'application de nouvelles hypothèses de financement. Concernant la BEI, il a indiqué qu'elle pourrait accorder des prêts à long terme (de 35 à 40 ans) couvrant jusqu'à 50 % du coût total de l'ouvrage à un taux d'intérêt privilégié.

Il a également signalé que d'autres hypothèses de financement avaient été évoquées par M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports et du logement, ce dernier ayant évoqué l'éventualité d'appliquer aux poids lourds une surtaxe pour l'utilisation des autoroutes, une redevance d'utilisation sur les routes nationales à caractéristiques autoroutières (en suivant les exemples allemand et suisse) et de rapprocher la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) du gasole de celle de l'essence.

Il a indiqué que le Gouvernement italien avait, pour sa part, proposé au Parlement européen l'adoption d'un modèle de financement déjà mis en œuvre en Italie (Infrastrutture S.p.A.), qui prévoit l'émission d'emprunts émis par la BEI au niveau européen et garantis par les Etats, qui permettraient de recueillir les ressources nécessaires sans peser sur les bilans publics.

Il a ajouté que d'autres formes de financement avaient été proposées par la région Rhône-Alpes et par le maire de Turin.

Notant que la section internationale était la plus onéreuse (45 % du coût total), il a indiqué que LTF avait proposé de créer, pour celle-ci, une structure opérationnelle et financière composée de deux sociétés, une société publique qui serait chargée de la réalisation de l'ouvrage et de sa commercialisation, et une société privée sélectionnée par appel d'offres européen pour les travaux. La société publique devrait être financée par les fonds de l'Union européenne, tant à fonds perdus (20 %) qu'à travers des emprunts à long terme, ainsi que par les ressources provenant d'un fonds spécial alimenté par les mécanismes proposés par M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports et du logement. La société privée serait financée en partie par les ressources de la société publique et en partie par des fonds propres et/ou des prêts à long terme. Il a souligné que dans cette hypothèse, aucun recours à des financements par les budgets proprement dits des Etats n'était donc prévu.

Il a jugé très positif que de si nombreuses propositions de financement aient été avancées par la France, l'Italie, les régions et LTF, celles-ci montrant le grand intérêt qu'il y a en Europe à surmonter toute difficulté à cet égard, soulignant qu'en tenant compte des diverses possibilités de contributions, le coût effectif de l'ouvrage à la charge des budgets publics de la France et de l'Italie serait tout à fait à leur portée.

En conclusion, M. Sergio Pininfarina a qualifié la liaison Lyon-Turin d'ouvrage de portée historique et a jugé que la mise en balance de ses avantages et de ses inconvénients démontrait la nécessité de réaliser au plus tôt cet ouvrage, en raison de son impact positif non seulement en termes d'environnement, de territoire et sous l'aspect socio-économique, mais aussi en termes de qualité de la vie des populations.

Le Président Patrick Ollier a félicité M. Sergio Pininfarina de la qualité de son exposé et a souligné qu'il n'avait pas abordé volontairement la question des conclusions de l'audit du conseil général des Ponts et chaussées car ce travail d'expertise n'est qu'un élément parmi d'autres pour déterminer les priorités d'investissement, comme l'a montré le récent débat parlementaire sur les infrastructures de transport.

Il a tenu ensuite à rassurer M. Sergio Pininfarina en soulignant que le traité international franco-italien ayant été ratifié par le Parlement, serait pleinement respecté. Il s'est d'ailleurs félicité du communiqué du Premier ministre du 5 juin dernier rappelant les engagements du Président Jacques Chirac et levant toute ambiguïté sur l'engagement de la France de réaliser la liaison grande vitesse Lyon-Turin.

Concernant l'échéancier du projet, il a indiqué que les parlementaires interviendraient avec détermination auprès du ministère des Transports pour montrer l'importance de tenir l'objectif de réaliser la liaison Lyon-Turin pour 2012, ce qui impliquerait que la déclaration d'utilité publique intervienne à la fin 2006.

Abordant la question du financement de cette liaison ferroviaire, il a insisté sur le rôle que pourrait jouer le gouvernement italien lors de sa présidence de l'Union européenne pour obtenir une décision des Etats membres permettant de ne pas comptabiliser les grands projets d'infrastructures pour l'application des critères de convergence posés par le traité de Maastricht.

M. Michel Bouvard, usant de la faculté offerte par le premier alinéa de l'article 38 du Règlement, a tout d'abord rappelé que le jugement défavorable à la liaison Lyon-Turin émis par l'audit des Ponts et Chaussées avait été largement nuancé par le rapport de la Datar qui était beaucoup plus favorable à ce projet qui permettra un rééquilibrage intermodal. Il a ensuite fait remarquer que le tunnel historique du Mont Cenis, même modernisé, ne pourrait absorber dans des conditions de sécurité satisfaisantes, le trafic transalpin croissant entre la France et l'Italie et qu'il fallait donc limiter au maximum la période durant laquelle ce tunnel historique verrait se croiser des trains de voyageurs et des trains de fret transportant des matières dangereuses.

M. Michel Bouvard a ensuite souhaité poser les questions suivantes :

- comment le gouvernement italien en tant qu'Etat assumant la présidence de l'Union européenne peut parvenir à rendre irréversible le projet de liaison Lyon-Turin ?

- le gouvernement italien a-t-il l'intention de faire adopter une décision des Etats membres permettant une modulation des concours européens pour le financement de certains projets prioritaires d'infrastructures européens, qui permettrait de dépasser le taux de 20 % de subventions européennes pour des investissements particulièrement coûteux comme celui de la liaison Lyon-Turin ? Il a souhaité que les Etats membres autorisent par ailleurs le recours à des émissions obligataires via la Banque européenne d'investissement pour financer des projets d'infrastructures ;

- le gouvernement italien serait-il favorable, pour favoriser les infrastructures de franchissement des Alpes, à instaurer une contribution sur tous les modes de transport lors des passages transfrontaliers entre les pays de l'arc alpin ?

- concernant l'échéancier du projet, qu'en est-il de la dernière date évoquée qui serait celle de 2017 pour l'ouverture de la ligne ?

Le Président Patrick Ollier a souhaité connaître le sentiment de M. Sergio Pininfarina sur le tunnel du Mont Genèvre qui, même s'il ne fait pas partie de l'ordre du jour de la présente audition, est un sujet très important pour le désenclavement des régions alpines.

M. François Brottes a tenu à rendre hommage à M. Louis Besson, défenseur infatigable de la liaison Lyon-Turin. Il s'est par ailleurs réjoui de l'organisation de cette audition qui contribuera à rééquilibrer le débat sur les infrastructures de transport car la culture anti-ferroviaire est encore beaucoup trop forte dans les instances publiques françaises. Il a tout d'abord demandé quelles seraient les premières mesures du gouvernement italien lorsqu'il assumerait la présidence de l'Union européenne pour accélérer les prises de décision concernant la liaison Lyon-Turin. Après avoir évoqué certains commentaires défavorables à la liaison Lyon-Turin selon lesquels la traversée des Pyrénées serait beaucoup plus problématique que le franchissement alpin et devrait donc bénéficier prioritairement d'un financement par l'Union européenne, il a souhaité savoir s'il existait des obstacles autres que financiers à la réalisation de la liaison Lyon-Turin.

Il s'est interrogé sur les effets pervers que pourrait avoir la modernisation de la ligne historique et si elle ne pourrait avoir plus d'inconvénients que d'avantages.

Il a enfin interrogé M. Sergio Pininfarina pour savoir si des études avaient été menées démontrant l'effet très positif de la réalisation de la liaison Lyon-Turin aussi bien en termes de créations d'emplois qu'en termes de diffusion de l'innovation technologique pour les entreprises qui interviendraient sur le chantier, soulignant que ce projet avait non seulement une dimension environnementale importante mais aussi des retombées économiques très favorables pour toute la région, Rhône-Alpes et les régions du Piémont et de Lombardie en Italie.

M. Joël Giraud a indiqué qu'il avait constaté la même volonté politique de faire avancer les grands projets d'infrastructures publiques en Suisse, mais aussi les mêmes questionnements sur la position de la France, notamment sur l'opportunité de traiter ensemble le problème de la liaison Lyon-Turin et celui du tunnel du Gothard.

Rappelant le fait que le sommet franco-italien de Périgueux avait conclu à la nécessité de mettre en place la liaison ferroviaire sous le Montgenèvre, il a indiqué que cette liaison était principalement destinée au trafic de passagers, à la différence de la liaison Lyon-Turin essentiellement destinée au trafic de marchandises. Il a donc conclu à la complémentarité entre les deux projets, la première permettant d'étendre la zone de chalandise dont pourra ensuite bénéficier la liaison entre Lyon et Turin, avec la possibilité à terme de relier les deux infrastructures.

M. Sergio Pininfarina a indiqué que la réalisation d'un tunnel sous le Mont Genèvre serait utile mais que la priorité sur laquelle doivent se concentrer tous les efforts était, pour lui, la réalisation du projet Turin-Lyon.

Après avoir souligné que seul le gouvernement italien pouvait répondre aux questions de M. Michel Bouvard qui le concernent directement, il a estimé que le gouvernement italien était pleinement favorable à la réalisation de la liaison Turin-Lyon et prêt à rechercher toutes les solutions financières permettant de le réaliser au plus tôt en particulier en faisant appel à des financements d'origine européenne, par exemple avec des emprunts lancés par la Banque européenne d'investissement.

Puis, il a remercié M. François Brottes d'avoir salué la conviction avec laquelle il défendait le projet Turin-Lyon. M. Sergio Pininfarina a précisé que sa force était de ne pas avoir d'intérêt personnel dans la réalisation du projet.

Il a ensuite estimé que le projet de liaison Turin-Lyon était d'ores et déjà irréversible comme cela lui avait été personnellement confirmé dès 2001 par le Président de la République française, M. Jacques Chirac. Il a donc jugé que l'enjeu était désormais de décider de manière ferme le calendrier de réalisation du projet et la répartition des investissements, décision que le gouvernement italien souhaite voir prise à l'occasion du prochain sommet franco-italien. Il a également précisé qu'il n'était pas acceptable pour la partie italienne que les investissements français soient décidés tous les ans alors que l'Italie s'engage pour une période de cinq ans.

Puis, il a précisé qu'il était favorable à la modernisation de la ligne Turin-Lyon historique dans le cadre d'un projet visant à mettre en place une véritable autoroute ferroviaire en raison du grand intérêt d'une opération permettant ainsi d'organiser la collaboration entre ces deux modes de transport. Il a indiqué que ce projet de modernisation comportait toutefois également des inconvénients, en particulier en raison de son coût. Il a estimé qu'en tout état de cause, cette modernisation ne permettrait que de doubler au mieux la capacité actuelle, ce qui ne permettra pas d'absorber le trafic prévu de sorte que cette modernisation n'est pas de nature à permettre de retarder la réalisation d'une nouvelle liaison.

Enfin, en ce qui concerne le calendrier, M. Sergio Pininfarina a indiqué que le gouvernement italien souhaitait que le projet soit réalisé en 2012, échéance qu'il est encore possible de tenir, et, à défaut, le plus tôt possible, par exemple en 2015, la date de 2018 étant manifestement trop tardive. Il a précisé que le calendrier retenu ne pouvait pas être établi ni modifié en fonction des échéances électorales françaises et italiennes et que les majorités se devaient de mettre en œuvre à un moment donné les décisions prises, qu'elles soient nouvellement élues ou au terme de leur mandat.

Remerciant M. Sergio Pinifarina pour sa conviction largement partagée par de nombreux parlementaires français, le Président M. Patrick Ollier, a indiqué que la réalisation du projet en 2012 impliquait une déclaration d'utilité publique (DUP) dès 2006. Il a en outre estimé que le constat selon lequel le transport par la route avait définitivement pris le pas sur le mode ferroviaire en France était erroné, dans la mesure où une politique appropriée pouvait permettre de rétablir un équilibre entre les modes de transports. Le choix de cette politique, qui a fait l'objet d'un débat important à l'Assemblée nationale, devrait par ailleurs être confirmé par le Président de la République lui-même lors du prochain sommet franco-italien.

Saluant l'exhaustivité de l'intervention du président de la commission intergouvernementale, M. Louis Besson a souligné l'importance du communiqué du Premier ministre du 5 juin 2003 consécutif à son entrevue avec son homologue italien, qui avait permis de clarifier la position française. Faisant état de son expérience personnelle, il a estimé que seule une prise de position claire du Gouvernement permettrait l'acceptation des projets d'infrastructures par le ministère de l'Economie et des Finances, souvent réticent pour des raisons budgétaires.

Il a en outre estimé qu'il faudrait couvrir les dépenses liées au projet de liaison ferroviaire entre Lyon et Turin pour les années 2004 à 2006, d'un montant estimé par Lyon Turin Ferroviaire (LTF) à près 300 millions d'euros, avant même d'encaisser les premières ressources extrabudgétaires. Sachant que l'Union européenne serait prête à ajouter entre 80 et 85 millions d'euros aux 100 millions déjà mobilisés, il a indiqué que les Gouvernements italiens et français devaient prévoir le financement des 200 à 220 millions d'euros de dépenses restants pour ces années, soit entre 30 et 35 millions d'euros par an, dans un contexte budgétaire difficile.

M. Louis Besson a en outre jugé que seul un accord européen sur les ressources extra-budgétaires pouvait rendre la réalisation de ce projet irréversible. Selon lui, la part du financement du projet à la charge de la France et de l'Italie devrait en effet pouvoir être assurée à hauteur de 50 % par des ressources extra-budgétaires, de manière à mettre le projet de liaison ferroviaire entre Lyon et Turin hors des contraintes budgétaires de l'Union européenne. Pour parvenir à ce résultat, il a estimé que les deux Gouvernements devaient se mettre d'accord sur la nature des ressources extra-budgétaires, sachant qu'ils n'ont pas les mêmes contraintes ni les mêmes traditions en cette matière, afin que l'Union européenne puisse autoriser ce mode de financement dans le cadre d'un projet d'infrastructure de transport pendant la présidence italienne. Rappelant que le Livre blanc sur les transports ne tranchait pas la question de savoir si la limitation actuelle à 20 % des ressources extra-budgétaires s'appliquait aux grands projets européens actuels en matière de transport - le franchissement des Pyrénées, celui des Alpes, et le franchissement maritime entre le Danemark et l'Allemagne - il a estimé utile que cette limitation puisse être assouplie dans le cas de grands projets coûteux comme le projet de liaison ferroviaire à grande vitesse entre Lyon et Turin.

Rappelant l'argument, évoqué dans l'audit sur les grands projets d'infrastructures de transport, du coût très élevé du projet de liaison ferroviaire entre Lyon et Turin qui conduirait à renoncer à d'autres grands projets d'infrastructures, il a estimé utile que la Commission des Affaires Économiques, de l'Environnement et du Territoire de l'Assemblée nationale puisse évaluer les besoins de financement de quelques grands projets d'infrastructures intéressant l'hexagone, et la possibilité de les prendre en charge par le biais d'une taxe sur les poids lourds comparable à celle qui existe actuellement en Allemagne, faute de quoi une opposition inutile entre les partisans des différents projets risquerait d'apparaître. En outre, il a exprimé sa compréhension à l'égard de l'opposition de l'Italie à la création d'un sur-péage, dans la mesure où l'Italie, avec quatre fois plus de trafic transalpin que la France, serait alors économiquement pénalisée.

Il a par ailleurs estimé que l'instauration d'une surtaxe sur les huiles minérales de l'ordre d'un centime d'euro par litre suffirait à rassembler les 260 millions d'euros nécessaires au financement de la part publique du projet, évitant ainsi une concurrence avec les autres projets d'infrastructure actuellement à l'étude.

Evoquant les priorités pour les prochains mois, il a insisté sur la nécessité d'accélérer la mise en œuvre du projet de liaison ferroviaire entre Lyon et Turin dans la perspective de la présidence italienne de l'Union européenne. En outre, il a souligné le fait que la France pouvait engager la consultation des collectivités locales dès l'automne 2003, dans la mesure où l'avancement des travaux effectués par Lyon Turin Ferroviaire (LTF) permettait de ne pas attendre l'automne 2004. Enfin, il a indiqué que l'élaboration de l'avenant au traité signé en 2001, fixant les modalités de réalisation du projet, pouvait être engagée dans la perspective du prochain sommet franco-italien, afin qu'il soit signé dès 2004 ou 2005. En conclusion, il a estimé que ces mesures n'engageaient pas de dépenses nouvelles, mais permettaient de faire avancer le projet sur un plan politique.

Remerciant M. Sergio Pininfarina pour son intervention, Le Président Patrick Ollier a souligné l'importance de cette audition qui sera largement diffusées auprès des parlementaires.

Il a estimé que les députés, souvent favorable à ce projet, pouvaient avoir un rôle d'appui politique à jouer auprès du Gouvernement, dans la perspective du sommet franco-italien de janvier 2004, mais aussi de garants de sa réalisation face aux réticences du ministère de l'Economie et des Finances.

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