COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES, DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 58

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 3 juillet 2003
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Yves Coussain,
Vice-président de la Commission des affaires économiques,
de l'environnement et du territoire

et de M. René André,
Vice-président de la Délégation pour l'Union européenne

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, sur la réforme de la politique agricole commune


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La Commission a entendu M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, sur la réforme de la politique agricole commune.

Le Président Yves Coussain a remercié M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, d'avoir bien voulu répondre à l'invitation de la Commission pour exposer à ses membres et à ceux de la Délégation pour l'Union européenne le contenu de l'accord intervenu le 25 juin dernier sur la réforme de la politique agricole commune (PAC).

Il a souhaité connaître les termes de cet accord et savoir quelles seraient ses conséquences sur les différentes filières de la production agricole française. Il a également invité le ministre à préciser aux commissaires les mesures d'accompagnement que le Gouvernement envisage de prendre. Il a enfin appelé le ministre à présenter les conséquences de cet accord sur les négociations à l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Le Président René André a félicité le ministre de s'être bien battu au cours de ce « marathon » agricole. Il a rappelé que, lors de son audition, le Commissaire européen à l'agriculture, M. Franz Fischler, avait fait part aux députés, de façon parfois maladroite, de sa détermination à faire adopter sa réforme. Observant que l'accord de Luxembourg était un accord difficile, qui devait être précisé sur de nombreux points, M. René André a souhaité obtenir des informations concernant les effets de la baisse du prix du beurre sur les régions laitières en demandant si des mesures d'accompagnement de cette baisse pourraient être prises et comment cette renationalisation partielle pourrait se traduire dans les faits.

M. René André a ensuite abordé la question du volet externe de la réforme de la PAC, en soulignant que cette dernière allait influer sur les négociations à l'OMC. Il a estimé qu'après avoir gagné un premier « round » sur le plan européen, le ministre devrait remporter un deuxième « round » à l'occasion de la Conférence ministérielle de Cancun. Rappelant que les Etats-Unis avaient déjà fait savoir qu'ils jugeaient insuffisants les efforts accomplis par l'Union européenne, il a estimé que cela démontrait que l'accord obtenu à Luxembourg était plutôt satisfaisant pour la France. Rappelant que certains membres de l'OMC souhaitaient que l'Union européenne aille plus loin dans les concessions qu'elle doit faire, ce qu'il a jugé inacceptable, M. René André a interrogé le ministre sur la solidité des engagements pris par l'Union européenne d'empêcher une remise en cause à Cancun de l'accord de Luxembourg.

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, a indiqué qu'il tenait à faire le point quelques jours après la conclusion de l'accord sur la réforme de la PAC.

Il a tout d'abord rappelé les différentes étapes de la négociation en indiquant que le commissaire européen chargé de l'agriculture, M. Franz Fischler, avait publié le 10 juillet 2002 un document avant la revue à mi-parcours de la PAC prévue en 2003 par l'Agenda 2000, signé à Berlin en 1999. Entre-temps, a-t-il rappelé, la France et l'Allemagne avaient signé un accord budgétaire, élargi aux treize autres Etats membres, le 15 octobre 2002.

Il a ensuite souligné que, lorsque la majorité était arrivée aux responsabilités, la présidence danoise avait une priorité, celle de réussir l'élargissement de l'Union européenne, et qu'il avait été clairement indiqué à la France qu'il faudrait choisir entre l'élargissement et la PAC. Lors de l'accord de Copenhague en décembre 2002, sa grande crainte était donc que la PAC constitue la variable d'ajustement.

Dans ce cadre, il a précisé qu'un important travail de diplomatie agricole avait été engagé sur trois axes :

- améliorer le dialogue avec l'Italie et l'Autriche ;

- relancer l'amitié franco-allemande ;

- imaginer des solutions pour rendre compatibles l'élargissement de l'Union européenne et la PAC.

Ce travail, a-t-il ajouté, a abouti à l'accord de Bruxelles du 15 octobre 2002, qui dessine le budget de la PAC pour les années 2003 à 2013.

Il a rappelé que ce budget était bien un budget à 25 et non à 15, qu'il allait augmenter de 1 % par an sur la période et qu'il était fixé par référence au plafond de dépenses et non sur les dépenses effectives. Il a ajouté que les dépenses effectives étant généralement inférieures au plafond, la France pouvait envisager l'avenir sans anxiété.

Il a estimé que cet accord budgétaire changeait les perspectives offertes jusque-là par le calendrier prévoyant une revue à mi-parcours en 2003 et une réforme en 2006, et permettrait aux agriculteurs de disposer de règles stables pour les prochaines années.

Il a rappelé que la Commission européenne avait accepté cet accord la semaine dernière et que le texte même du compromis de Luxembourg indiquait que les sujets traités ne feraient pas l'objet de nouveaux débats, même lors du sommet de l'OMC à Cancun.

Le ministre a ensuite abordé le contenu de l'accord, en rappelant que le compromis avait été accepté par la France car elle avait obtenu satisfaction sur les sujets qu'elle jugeait prioritaires :

Sur les prix

- la Commission prévoyait une baisse du prix de céréales de 5 % et voulait supprimer la majoration mensuelle. La France a obtenu le maintien du prix des céréales et de 50 % des majorations mensuelles ;

- concernant le lait, un certain nombre de baisses ont été annoncées mais la plupart relèvent de l'accord de Berlin signé par le gouvernement précédent. Il s'agit d'une baisse de 15 % des prix (par tranches annuelles successives de 5 %), du maintien des quotas jusqu'en 2008 et de leur augmentation de 0,5 % par an.

Dans le cadre du compromis de Luxembourg, M. Hervé Gaymard a indiqué que la baisse était maintenue sur la poudre de lait. Pour le beurre, la France a accepté une baisse supplémentaire de prix de 10 points compensée pour le producteur à hauteur de 82 % et en contrepartie de laquelle ont été obtenus :

- la prolongation des quotas laitiers jusqu'en 2014, alors qu'il existait initialement une minorité de blocage déterminée sur le sujet (Allemagne, Italie et « groupe de Londres ») ;

- un décalage de l'augmentation des quotas de deux ans ;

- une augmentation du stock de beurre à l'intervention, puisque la Commission proposait 20 000 tonnes et que la France a obtenu 50 000 tonnes ;

- le maintien de l'utilisation de l'article 12-2 du nouveau règlement communautaire relatif aux quotas laitiers pour gérer les quotas et aider à l'installation des agriculteurs.

Le ministre a estimé que le marché du lait connaissait par ailleurs une période difficile, rendant nécessaire une politique de soutien spécifique.

Sur les aides

Il a indiqué que l'idée d'un découplage total entre aides et production avait été promue par certains cercles économiques, par l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) et par les commissaires européens à l'agriculture et au commerce international, le Gouvernement français ayant pour sa part toujours été opposé à cette idée mais prêt à accepter un découplage partiel, sous réserve qu'il s'accompagne de mesures de gestion des marchés et qu'il n'entraîne pas la désertification des zones agricoles dites « intermédiaires ».

Il a indiqué que l'accord de Luxembourg avait répondu aux attentes françaises en entérinant le principe d'un découplage à hauteur de 75 % des aides à la production de céréales, et en permettant à la France de maintenir le couplage à 100 % de la prime à la vache allaitante, à 40 % de la prime à l'abattage et à 50 % de la prime ovine, le reste des primes étant désormais regroupé dans une prime unique à l'exploitation.

S'agissant de la date d'application de l'accord de Luxembourg, le ministre a indiqué que le Gouvernement français avait obtenu que la limite soit fixée au plus tard à 2007, soit deux ans de plus que celle voulue par la Commission européenne, laissant ainsi aux autorités nationales une marge d'appréciation et de négociation avec les organisations professionnelles.

D'autres avancées ont par ailleurs été obtenues. L'accord de Luxembourg a ainsi institué la possibilité de créer un fonds de gestion des crises et d'améliorer les mécanismes de régulation des marchés afin d'aider, le cas échéant, les productions porcine et avicole qui ne bénéficient pas d'organisations communes de marché, la mise en place d'un dispositif d'aide aux jeunes agriculteurs, et d'un plan de dix ans d'aide à la mise aux normes des exploitations françaises en matière d'environnement, de bien-être animal et de sécurité sanitaire et alimentaire.

Certaines mesures moins importantes ont également été obtenues, comme l'octroi d'un « crédit carbone » pour l'utilisation non alimentaire des végétaux, l'exclusion de l'outre-mer des mesures de découplage et de modulation des aides, la récupération des 210 millions d'euros du produit de la modulation gelés dans le cadre du FEOGA depuis 2001 ainsi que l'amélioration des organisations communes du marché des fruits et légumes.

Ces contreparties nombreuses ont conduit le Gouvernement à signer cet accord.

En conclusion, le ministre a estimé qu'il était injuste de parler de renationalisation de la PAC, dans la mesure où son budget annuel s'élèverait toujours à 42 milliards d'euros par an, dont 9,2 milliards d'euros seraient reversés à la France, ce qui représente près des deux tiers des crédits du ministère français chargé de l'agriculture.

Néanmoins, le ministre s'est félicité du fait que certaines marges de manœuvre seront désormais laissées aux Etats membres - dont l'agriculture diffère d'autant plus qu'ils sont nombreux -, s'agissant du choix du calendrier et de la mise en œuvre de la formule du découplage, notamment pour les aides animales, ces marges impliquant une négociation avec les organisations professionnelles dans les prochains mois. Afin d'éviter que ces marges de manœuvre ne donnent lieu à des distorsions de concurrence, le ministre a indiqué qu'il avait été convenu d'interdire la production des fruits, des légumes ou des pommes de terre sur des terres soumises à un découplage des aides, et qu'un accord était intervenu entre les Pays-Bas, la Belgique et la France prévoyant une uniformisation des primes à l'abattage des veaux. Enfin, le ministre a indiqué qu'une « clause de rendez-vous » avait été fixée entre ces Etats afin de prendre les mesures correctives nécessaires à la restauration d'une juste concurrence dans ce domaine ;

- le ministre a indiqué que le nouveau dispositif se caractérisait par une plus grande simplicité, notamment s'agissant des aides à la production animale, dans la mesure où le nombre de celles-ci serait réduit avec un montant total inchangé. Il a estimé que le découplage total aurait éventuellement permis une plus grande simplification, mais risquait d'engendrer un accroissement des injustices dans l'attribution des aides, la complexité du découplage partiel constituant dès lors un moindre écueil ;

- les négociations qui seront menées dans le cadre de l'OMC au sommet de Cancun porteront sur les questions relatives au soutien interne à l'agriculture, aux subventions à l'exportation, et à l'accès aux marchés. Mais le sommet ne reviendra pas sur les règles inscrites dans l'accord de Luxembourg relatif au soutien communautaire à l'agriculture, notamment sur le fait qu'une partie seulement des aides issues de la « boîte bleue » seront placées dans la « boîte verte ». Le Commissaire européen à l'agriculture a par ailleurs reçu, en novembre 2000, un mandat de négociation à l'unanimité des Etats membres sur les sujets liés aux subventions à l'exportation et à l'accès aux marchés.

L'accord signé à Luxembourg devrait donc permettre à l'Union européenne de négocier de manière offensive au sommet de Cancun, face à l'alliance contre nature entre les pays du « groupe de Cairns » et les pays en développement.

S'exprimant au nom du groupe UMP, M. Antoine Herth a au préalable souligné que les propos du ministre le confortaient dans l'idée que l'agriculture française venait de franchir une étape importante, s'inscrivant dans la double perspective des négociations de Cancun et de l'élargissement de l'Union européenne. Puis, il a noté que la réforme de la PAC avait donné lieu à deux critiques majeures, portant respectivement sur une renationalisation de cette politique, question à laquelle il a estimé que le ministre avait bien répondu dans son propos liminaire, et sur le démantèlement des outils de gestion des marchés. Il a souhaité obtenir de plus amples informations sur ce dernier point et a demandé si des initiatives privées permettraient de compenser l'affaiblissement de ces outils.

Il a par ailleurs souhaité savoir comment seraient abordées les négociations avec les organisations professionnelles agricoles françaises, soulignant les risques de distorsion de concurrence entre les Etats membres de l'Union européenne, qui ne procéderont pas au découplage des aides selon un calendrier homogène.

Puis, il a constaté que la réforme de la PAC avait permis de consacrer le rôle du deuxième pilier en donnant de nouvelles marges de manœuvre pour répondre aux attentes de la société, apparues notamment à la suite de la crise dite « de la vache folle ». Après avoir fait part des craintes des agriculteurs concernant une interprétation trop stricte du principe d'éco-conditionnalité des aides, il s'est également réjoui que soient octroyés de nouveaux moyens en faveur de la mise aux normes des exploitations et des démarches de qualification que celles-ci mènent. S'agissant du programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA), il a souligné que le calendrier fixé pour sa mise en œuvre serait difficile à respecter et a souhaité obtenir des précisions sur ce sujet.

Abordant la question du financement des contrats d'agriculture durable (CAD), il a regretté que le budget pour 2003 se soit révélé insuffisant et a demandé si de nouvelles marges de manœuvre seraient dégagées dans le cadre du budget pour 2004.

Concernant la simplification administrative, il a relevé l'impossibilité pour une exploitation de bénéficier à la fois d'aides découplées pour des productions telles que les céréales et de produire des fruits et légumes ou des pommes de terre, et s'est demandé si ce mécanisme nécessiterait d'accomplir de nouvelles formalités pour faire évoluer les assolements.

En conclusion, M. Antoine Herth a tenu à féliciter le ministre, au nom du groupe UMP, pour le travail accompli en un an, deux réformes majeures ayant été adoptées sur cette période, celle de la politique commune de la pêche et celle de la PAC.

M. Christian Paul, s'exprimant au nom du groupe socialiste, a regretté de ne pas pouvoir s'associer aux félicitations décernées au ministre : la combativité et l'énergie du ministre ne sont pas en cause, mais il n'en reste pas moins que la manière dont les négociations ont été conduites pendant un an et leur résultat conduisent à porter un jugement globalement négatif.

S'agissant de la méthode suivie, M. Christian Paul a rappelé avoir alerté le Gouvernement sur les risques auxquels le conduirait l'exercice de diplomatie agricole auquel se livrait la France consistant soit à éviter la réforme, soit à la différer. C'est ce dernier résultat qui a été obtenu. Ainsi la France subit cette réforme, sans l'avoir orientée ou influencée. Les modifications des propositions de la Commission ne jouent en effet qu'à la marge. M. Christian Paul a demandé pourquoi la France, première puissance agricole en Europe à s'être dotée d'une loi d'orientation agricole, n'avait pas trouvé les moyens de défendre dans l'Union européenne une stratégie alternative pour la PAC.

M. Christian Paul a ensuite évoqué le contenu de ce qu'il faut bien appeler le « compromis » de Luxembourg. Une première analyse conduit à observer qu'il rend la PAC moins commune et aboutit à diminuer les prix et les soutiens publics aux agriculteurs. Le ministre ayant fait part de son « optimisme budgétaire », en raison du décalage entre les dépenses prévues et les dépenses constatées, M. Christian Paul a souhaité obtenir les éléments chiffrés permettant d'étayer cette vision favorable.

Il a enfin rappelé que les organisations agricoles soulignaient un risque d'augmentation des prix du foncier qui pourrait pénaliser l'installation des agriculteurs dans certains secteurs.

Au total, il est difficile de porter un jugement positif sur cette réforme au regard des trois objectifs majeurs que sont le maintien de prix rémunérateurs, le renouvellement des générations et la reconnaissance de la multifonctionnalité. Ce constat s'impose même si certaines idées défendues par la France ont été admises au cours des discussions sur l'avenir de la PAC.

En réponse aux intervenants, M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, a précisé les points suivants :

- l'état d'esprit de la Commission européenne, dans les années 1990 et 2000, s'est caractérisé par une volonté moins affirmée de gérer les marchés par l'intermédiaire d'outils spécialisés, comme l'a montré l'exemple du blé provenant de la Mer noire à l'automne dernier. La Commission européenne semble suivre une logique de plus en plus anglo-saxonne sur ces questions, alors que les outils de gestion des marchés sont, du point de vue français, indispensables.

Il convient néanmoins de se féliciter de la prolongation des quotas laitiers jusqu'en 2014, ainsi que du décalage de l'augmentation des quotas, ce qui contribuera au maintien d'une organisation commune de marché de qualité dans ce secteur. La France a certes été le seul Etat membre à gérer ces quotas en amont et non pas en aval, selon un système administratif et pyramidal, mais celui-ci a su faire ses preuves en termes de maintien de l'activité laitière sur notre territoire et ce mécanisme de gestion sera donc maintenu.

Concernant les céréales, le maintien du couplage partiel des aides a été obtenu, de même que celui des majorations mensuelles.

S'agissant des aides à l'élevage, plusieurs options sont offertes ; le choix sera effectué en concertation avec les organisations professionnelles agricoles. L'option 2, qui a été inscrite à la demande de la France et prévoit un couplage total pour la prime à la vache allaitante ainsi qu'un fort couplage des aides à l'abattage, permettra à la fois de réguler les naissances et de maîtriser le marché en « fin de chaîne » ; la France disposera donc d'outils de régulation du marché.

Concernant enfin les autres filières, et notamment celles du porc et de la volaille, qui ne sont pas dotées d'organisations communes de marché, un mécanisme de gestion de crise devrait être instauré d'ici la fin de l'année 2004 et, sur le plan domestique, les amendements parlementaires au projet de loi pour l'initiative économique permettront d'organiser des interprofessions qui devraient voir le jour au début de l'automne prochain ;

- le dialogue avec les organisations professionnelles agricoles françaises a été soutenu. Le dernier « paquet » de mesures sera adopté lors du Conseil des ministres chargés de l'agriculture du 24 juillet à Bruxelles et les documents officiels qui y auront été adoptés seront transmis aux organisations professionnelles, avec lesquelles sera déterminé le calendrier de négociations ;

- on constate de réelles avancées dans le domaine du deuxième pilier. Alors que l'an dernier, la France avait dû payer 31 millions d'euros d'amende au titre de la sous-consommation des crédits de ce pilier, la totalité de ces crédits devrait désormais être utilisée, grâce à l'augmentation des dotations affectées aux CAD, à la prime à l'herbe ou à l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN). Concernant le compromis de Luxembourg, deux points doivent être soulignés : d'une part, s'agissant de l'éco-conditionnalité des aides, le système proposé est beaucoup moins bureaucratique et centralisé que celui qui était initialement proposé par la Commission européenne ; d'autre part, dans le cadre du renforcement du deuxième pilier, une modulation communautaire sera mise en place afin de renforcer les mesures agri-environnementales, financer la mise aux normes des exploitations et instaurer le mécanisme de gestion des crises précédemment évoqué. Les CAD ont bénéficié l'an dernier de 76 millions d'euros. En 2003, 490 millions d'euros leur auront été octroyés, afin d'honorer les contrats d'exploitations déjà signés et de mettre en place les nouveaux CAD. Un décret concernant ces derniers est actuellement soumis au Conseil d'Etat et devrait être publié dans les prochains jours. Concernant le PMPOA, il est vrai que le calendrier qui s'impose aux zones vulnérables est contraignant et sera difficile à respecter, mais les financements nécessaires seront disponibles dans les délais requis. Les autres zones bénéficieront également de financements, mais selon un calendrier moins strict ;

- un céréalier pourra toujours, s'il le souhaite, cultiver des fruits et légumes. Toutefois, dans cette hypothèse, il devra renoncer aux aides découplées, faute de quoi il bénéficierait d'un avantage concurrentiel créant une distorsion sur le marché ;

- la France se trouvait dans une situation délicate au sein du Conseil des ministres de l'Union européenne chargés de l'agriculture, à la suite des déclarations formulées au cours du deuxième semestre de l'année 1997 par le ministre français chargé de l'agriculture, selon lesquelles l'agriculture française et plus généralement européenne n'avait plus vocation à être exportatrice. Cette affirmation avait en effet été perçue par la Commission européenne comme un « désarmement agricole » et il a été difficile de revenir sur cette perception. Par ailleurs, la relation franco-allemande était relativement fragile et il existait des oppositions prononcées, allant jusqu'à l'absence totale de contact, avec l'Italie et l'Autriche. Le ministre chargé de l'agriculture a donc dû mener un véritable travail de « diplomatie agricole », afin de renouer avec l'Allemagne et d'autres Etats membres tels que les Pays-Bas, le Danemark ou la Grande-Bretagne, qui ont d'ailleurs soutenu la France lors des dernières négociations. Ainsi, aucun choc frontal entre Etats membres n'est survenu, les oppositions apparaissant davantage entre la Commission européenne et l'ensemble des Etats membres. C'est grâce à ce bon climat que les négociations ont pu aboutir ;

- s'agissant de la méthode de négociation adoptée, il n'était pas possible pour la France de défendre une vision alternative, la procédure de discussion au niveau du Conseil des ministres prévoyant un monopole d'initiative des propositions au profit de la Commission européenne. De ce fait, les Etats membres ne peuvent défendre une contre-proposition que si celle-ci bénéficie d'un soutien unanime, impossible à obtenir en pratique. La seule marge de manœuvre dont disposait la France reposait sur sa capacité à rallier d'autres Etats membres à son opposition à certains éléments du projet de la Commission européenne. A cet égard, tant le rapprochement franco-allemand favorisé par les deux rencontres entre le Président de la République Jacques Chirac et le Chancelier Gerhard Schröder les 24 octobre 2002 et 10 juin 2003, qu'un effort discret de rapprochement avec les autres Etats membres pour mettre au point des positions communes sur les prix, le découplage partiel, ou le calendrier, se sont révélés efficaces ;

- s'agissant du contenu du compromis, la seule baisse des prix dont le ministre assume la responsabilité est la baisse de 10 % sur le prix du beurre. Il a rappelé que cette réduction était compensée à hauteur de 82 % et avait pour contrepartie quatre avancées concernant la prolongation des quotas laitiers jusqu'en 2014, le décalage de deux ans de l'augmentation des quotas, l'augmentation du stock autorisé pour l'intervention à 50 000 tonnes, et le maintien de la procédure de l'article 12-2 du nouveau règlement communautaire relatif aux quotas laitiers pour la mise en œuvre des quotas. Toutes les autres baisses de prix découlent de l'application de l'accord de Berlin de 1999. Le compromis ne prévoit aucune baisse de soutien public ; au contraire, l'enveloppe affectée à ce soutien est consolidée pour les prochaines années, son plafond augmentant au rythme de 1 % par an. De surcroît, la dépense effective reste inférieure de 1 à 2 milliards d'euros à ce plafond chaque année, ce qui, compte tenu des gains de productivité prévisibles, laisse une confortable marge de manœuvre budgétaire jusqu'en 2007 ou 2008. A cette date, il reviendra au Conseil des ministres de l'Union européenne de décider des mesures à prendre, la Commission européenne n'ayant qu'un rôle d'alerte du Conseil des ministres, et non de gestion d'un dispositif de coupes automatiques tel que prévu dans le projet initial ;

- le découplage des aides tel qu'il est proposé constitue l'un des moyens de mettre en œuvre le principe de multifonctionnalité ;

- la hausse préoccupante des prix fonciers sera abordée au travers du projet de loi sur les affaires rurales, dont la discussion devrait intervenir à l'automne prochain. Il s'agit d'un phénomène qui touche particulièrement les terres situées en zone périurbaine ou touristique. Cette évolution appelle une vigilance particulière quant aux mécanismes qui seront retenus pour l'attribution des nouvelles primes, afin d'éviter les effets d'aubaine ou de surenchère foncière. Des solutions devront être trouvées en étroite concertation avec les organisations professionnelles agricoles.

M. Jean-Marie Sermier, rapporteur pour la délégation européenne sur la PAC, a estimé que l'agriculture vivait une période étrange après l'accord de Luxembourg, car il était difficile de dire si elle avait gagné ou perdu, l'impact de l'accord dépendant avant tout de l'application qui en sera faite. M. Jean-Marie Sermier a déclaré, à cet égard, faire confiance au ministre pour que cet accord ait des conséquences positives pour la France et s'est associé aux remerciements et aux félicitations de ses collègues. Il a indiqué suivre le dossier de cette réforme depuis plusieurs mois et, à ce titre, pouvoir affirmer que la France avait évité la catastrophe, en écartant un découplage total et une remise en cause des organisations communes de marché. Il a insisté sur la pertinence de la stratégie de négociation retenue par le ministre, celle-ci s'étant traduite par un bon accord.

Il a souhaité présenter des observations sur quatre points. En premier lieu, cet accord interne à l'Union européenne doit être respecté lors des négociations à l'OMC et il ne faut donc plus rien céder lors de la conférence de Cancun et faire preuve de la plus grande vigilance dans les négociations multilatérales. Dans ce but, il convient que le ministère, le Parlement et les organisations professionnelles agricoles établissent un lien permanent tout au long de la Conférence de Cancun. La réforme permettant de basculer une grande partie de nos aides dans la boîte verte, l'Europe doit passer à l'offensive et obtenir de ses partenaires qu'ils fournissent des efforts équivalents.

S'agissant du découplage, M. Jean-Marie Sermier a fait part de son scepticisme, même si ce dernier ne revêt qu'un caractère partiel. Il a souhaité disposer d'une évaluation rigoureuse des conséquences de cette mesure et a proposé qu'une commission nationale, composée de parlementaires, de professionnels et de représentants du ministère soit mise en place, afin d'analyser chaque année les effets du découplage partiel sur les prix, les productions et les propriétés foncières.

Dans le secteur des céréales, M. Jean-Marie Sermier a observé que certains professionnels auraient finalement souhaité un découplage total, plus facile à gérer. Il a souhaité que le découplage partiel décidé à Luxembourg soit mis en œuvre en une seule étape, ce qui permettrait de clarifier les perspectives des producteurs en privilégiant la simplicité.

Il a enfin remarqué que la renationalisation concernait surtout le renforcement du deuxième pilier de la PAC, consacré au développement rural et fonctionnant selon une logique de cofinancement. Il a estimé qu'il était temps d'engager une réflexion de fond sur l'objectif européen d'aménagement du territoire, auquel contribue cet aspect de la PAC. Il a estimé que l'Union européenne devait adopter une politique volontariste dans ce domaine, l'occupation équilibrée des espaces faisant partie intégrante du modèle agricole européen.

M. François Guillaume a souligné que les autorités françaises avaient dû d'abord surmonter un lourd handicap, puisqu'elles étaient arrivées dans la négociation après son commencement effectif et sans qu'ait été mené le long travail de préparation nécessaire. Il a tracé un parallèle entre cette situation et celle qu'avait connue le gouvernement Balladur lorsqu'il avait dû faire face en 1993 aux conséquences de décisions de 1992 auxquelles il n'avait pas pris part.

Il s'est ensuite interrogé sur ce que le Commissaire européen au commerce extérieur, M. Pascal Lamy, arriverait à obtenir grâce à cet accord qu'il avait tant réclamé, soulignant que le dispositif de soutien américain n'avait cessé de se renforcer du fait de deux législations successives, tandis que les Européens avaient désormais restreint ce soutien au minimum vital. Il s'est ensuite inquiété de savoir si l'accord obtenu n'était pas une « cote mal taillée » qui cumulerait les inconvénients des deux systèmes : d'une part, l'énorme machinerie administrative des aides couplées, susceptibles d'être retirées à l'exploitant à la moindre déclaration inexacte ; d'autre part, une course à l'agrandissement et une surenchère autour des terres primées qui seraient un obstacle à l'installation de jeunes agriculteurs, les plus anciens pouvant préférer continuer d'exploiter en sous-traitant une partie du travail ou au contraire débaucher du personnel, puisqu'il n'y a pas d'incitation à produire pour la partie découplée, plutôt que de céder leur exploitation. Enfin, il a exprimé ses doutes sur l'éco-conditionnalité et les nombreux audits et les contrôles qu'elle devrait engendrer, a souhaité savoir en quoi le maintien d'un couplage partiel protégerait les zones intermédiaires et demandé des précisions sur le moratoire des aides aux pays en voie de développement.

Il a, d'autre part, pressé le ministre de prendre une décision sur l'utilisation des terres en jachère, que la sécheresse a rendue nécessaire pour l'alimentation du bétail. Il a souligné qu'à trop attendre, cette mesure risquait d'être sans effet.

M. Alain Gouriou a, tout d'abord, jugé que les propos de M. Louis Le Pensec cités par le ministre ne pouvaient être compris que dans le contexte dans lequel ils avaient été prononcés.

Puis, après avoir souligné les très vives difficultés rencontrées par les producteurs de viande de porc et de volaille notamment dans l'Ouest et, en particulier, par les plus jeunes d'entre eux, il a souhaité que le ministre précise les mesures envisagées pour leur venir en aide.

Il a ensuite indiqué avoir appris par la presse que lors d'une réunion de responsables des industries laitières, qui font face tant à la concurrence étrangère qu'à la baisse de la consommation, une baisse de l'ordre de 15 % de la production avait été réclamée. Il a jugé qu'une telle baisse créerait d'importantes difficultés pour les producteurs.

En réponse aux différents intervenants, le ministre a apporté les précisions suivantes :

- lors de la réunion ministérielle de l'OMC à Cancun, des représentants des deux assemblées parlementaires seront probablement présents comme cela est de tradition. Il importe que les pouvoirs publics français adoptent une démarche offensive dans la perspective de cette réunion, les parlementaires devant à cet effet renforcer leurs contacts avec leurs homologues étrangers. Le ministre chargé de l'agriculture sera présent à cette réunion et informera quotidiennement les parlementaires sur son déroulement.

Cette réunion constitue un rendez-vous très important mais il n'est pas certain qu'elle permette d'aboutir à un accord. Elle s'inscrit dans une phase de négociations appelée « cycle du développement ». Toutes les parties devront être placées devant leurs responsabilités afin d'établir clairement si la volonté de chacun est réellement de contribuer au développement des pays du Sud. Si tel est le cas, la priorité ne doit pas être de s'attaquer aux politiques agricoles des pays du Nord mais au contraire de développer de telles politiques dans les pays en développement, où elles ont été démantelées depuis plusieurs décennies dans le cadre des politiques d'ajustement structurel imposées par le Fonds monétaire international.

Les efforts consentis par l'Europe concernant les soutiens internes ont été beaucoup plus importants au cours de la dernière décennie que ceux des Etats-Unis qui, avant même le dernier « farm bill », ont dû, compte tenu du découplage total des aides décidé en 1996, accroître leurs aides de 25 milliards de dollars pour gérer les crises. S'agissant des subventions aux exportations, le Président de la République a proposé un moratoire pour les exportations destinées aux pays de l'Afrique subsaharienne. Un tel moratoire doit s'appliquer à tous et à toutes les subventions aux exportations, y compris donc, pour ce qui concerne les Etats-Unis, à la prétendue « aide alimentaire » et aux prêts de commercialisation, dits « marketing loans ».

En ce qui concerne l'accès aux marchés, le débat se focalisera probablement sur les préférences commerciales spécifiques. Si la théorie libre-échangiste recommande l'application systématique de la clause de la nation la plus favorisée, la pratique a montré que cette solution avantagerait en réalité toujours les plus favorisés. La Communauté européenne a montré la voie avec les accords de Lomé, en mettant en place dès 1975 un système de préférences commerciales spécifiques visant à favoriser le développement économique des pays du Tiers monde. En application de cet accord, l'Union européenne importe aujourd'hui six fois plus de produits agricoles en provenance du Tiers monde que l'ensemble des pays du groupe de Cairns réunis. Un débat idéologique frontal aura lieu sur cette question avec les Etats anglo-saxons. Le cas du sucre en est une illustration, puisque la politique commerciale européenne concernant ce produit est aujourd'hui attaquée devant l'OMC par le Brésil, alors que les 75 Etats dits ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) souhaitent que l'Union européenne maintienne cette politique.

Enfin, la France souhaite que soit abordée la question du prix des matières premières, qui n'est pas aujourd'hui traitée par les négociations conduites dans le cadre de l'OMC. En effet, la situation dramatique de nombreux pays du Sud est largement liée aux fluctuations du cours de ces produits, comme l'illustrent les cas du cacao en Côte d'Ivoire et du café en Ethiopie, qui ne sont évidemment pas imputables à la politique commerciale de l'Union européenne, celle-ci ne les concernant pas. Une gouvernance mondiale n'aura donc de sens que si elle contribue également à gérer les cours des produits tropicaux.

Pour résumer, soit la réunion de Cancun est véritablement consacrée au développement des pays les plus pauvres et l'Union européenne n'a pas à rougir de son action, soit la dénomination de « cycle du développement » ne sert qu'à masquer de sordides marchandages entre grands exportateurs agricoles et la réunion de Cancun se soldera par un affrontement. Il convient, en tout cas, de se féliciter de l'attitude offensive de la Commission européenne récemment illustrée par les réponses apportées par les deux commissaires européens compétents aux critiques américaines ;

- le découplage total des aides est une idée qui, en dépit de sa profonde absurdité, a fait son chemin depuis un an, notamment parce qu'elle paraît s'inscrire dans une logique de simplification. Cela a conduit certaines organisations agricoles françaises à préférer, à tout prendre, un découplage total à un découpage partiel. Le Gouvernement français s'est vigoureusement opposé à ce découpage total, qui serait ruineux pour les régions les plus fragiles, telles que les zones de montagne en ce qui concerne l'élevage et les zones dites intermédiaires en ce qui concerne les céréales, et a obtenu un découplage partiel. Des études de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) confirmées par des études espagnoles démontrent en effet qu'un taux de couplage de 20 à 30 % pour les céréales permettrait de maintenir une incitation efficace à la production dans des régions aux terres peu fertiles. En tout état de cause, il conviendra d'apprécier, année après année, les effets du découplage partiel, en particulier sur la gestion et l'organisation des marchés, ce que permettra la clause de rendez-vous obtenue par la France. Une veille très précise sur ces questions sera donc nécessaire ;

- l'importance du « deuxième pilier » est appelée à croître. Il devra conserver son caractère agricole et ne pas devenir une forme nouvelle de fonds structurels. Trois axes pourraient être privilégiés, après discussion avec les organisations professionnelles agricoles : l'amplification des mesures agro-environnementales, l'aide à la mise aux normes et aux actions tendant à améliorer le bien-être animal et enfin la gestion des crises ;

- l'observation de M. François Guillaume relative à la simplification et aux contrôles est très juste. Un comité de simplification se tiendra cet après-midi et un travail important a déjà été réalisé dans ce cadre pour ce qui concerne les mesures nationales. Au niveau communautaire, il est clair qu'en matière d'aides animales, le système va être simplifié par la diminution du nombre d'aides. Dans le secteur des céréales, un découplage partiel existe déjà, de fait, et l'évolution des règles permettra des avancées importantes ;

- l'installation des jeunes agriculteurs est un problème très important. A l'initiative de la France, la création d'une réserve nationale pour la gestion des droits en matière foncière a été prévue, ce qui permettra de mettre en place, en liaison avec les organisations professionnelles agricoles, un système permettant d'éviter l'agrandissement des installations existantes et de favoriser l'installation des jeunes agriculteurs ;

- un comité de gestion se tient aujourd'hui même, compte tenu de la sécheresse, sur la question de l'utilisation de la jachère pour l'alimentation animale. Cette utilisation paraît naturelle et correspond à une demande faite de longue date par le Gouvernement français. Il est souhaitable et vraisemblable que cette mesure pourra être autorisée.

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