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COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES,
DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 35

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 8 mars 2006
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

SOMMAIRE

 

pages

- Désignation du rapporteur et examen de la proposition de résolution de M. Alain Bocquet sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur (n°  E2520) (n° 2923)

 

(M. Alain Bocquet, rapporteur)

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- Audition de M. Jean Syrota, Président de la Commission de régulation de l'énergie

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La Commission a tout d'abord désigné M. Alain Bocquet rapporteur pour la proposition de résolution sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur (n° E2520) (n° 2923), puis a procédé à l'examen de ce texte.

M. Alain Bocquet, rapporteur, a indiqué que le dépôt de cette proposition de résolution s'inscrivait dans le cadre des séances d'initiative parlementaire. Il a d'abord rappelé la crise traversée par la construction européenne, dénonçant le chômage persistant, les bas salaires, la précarité, les inégalités sociales accrues à l'intérieur des Etats membres ou entre les partenaires de l'Union européenne. Il a estimé que le modèle du libre marché de biens et de capitaux ne parvenait pas à répondre aux aspirations démocratiques et sociales des peuples, et que la primauté accordée à la concurrence économique, à une compétitivité réduite à la profitabilité des entreprises et au rendement des placements financiers ne pouvait faire office de projet de société commun. Il a déclaré que c'était pourtant ce schéma que tentait d'appliquer la proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur, en tournant le dos à un processus d'harmonisation positif pour consacrer une zone de libre échange où la libre prestation de services devenait la règle et les politiques publiques des exceptions à justifier devant la Commission et les juges de la Cour de justice.

Le rapporteur a souligné que la proposition de directive était néfaste dans son principe même, puisqu'elle prenait acte de l'hétérogénéité des situations économiques et sociales dans l'Europe à 25, alors que la construction européenne avait progressé jusque-là conformément à la déclaration Schuman du 9 mai 1950, « par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait ». Il a indiqué que Mme Evelyne Gebhardt, rapporteure socialiste au Parlement européen, déclarait en janvier 2005 : « La Commission dit que c'est compliqué d'harmoniser, qu'il faudrait trente directives. Pourquoi pas ? Après tout, c'est la méthode Delors, qui a plutôt bien fonctionné pour le marché des biens ».

Il a ajouté que depuis l'Acte unique de 1986, l'Union européenne se développait certes conformément au principe de la reconnaissance mutuelle, dont les effets étaient très proches de ceux du principe du pays d'origine (PPO), mais que cette reconnaissance mutuelle n'était mise en œuvre que dans des secteurs où une harmonisation préalable avait eu lieu.

Il a estimé qu'avec la proposition de directive dite Bolkestein, qui prévoit l'extension du PPO à des secteurs très larges sans harmonisation préalable, c'est un retournement complet du projet européen que la Commission présentait, marqué par le triomphe de la résignation, la libre concurrence comme valeur suprême, et le moins disant social, fiscal, et environnemental.

Il a rappelé que la résolution votée par l'Assemblée nationale le 15 mars 2005 demandait une harmonisation du droit applicable aux services, en refusant de préciser que cette harmonisation doit se faire par le haut, et que la présente proposition de résolution reformulait cette demande.

Il a ensuite déclaré que le résultat du référendum du 29 mai 2005 devait être respecté, et que le peuple français s'était prononcé contre l'idéologie ultralibérale de la Commission, déplorant l'absence d'études d'impact sérieuses, notamment sectorielles, malgré les annonces faites par la ministre déléguée aux affaires européennes l'an dernier. A cet égard, il a regretté que la Commission des affaires économiques n'ait pas alors donné suite à la demande de création d'une commission d'enquête sur le bilan de l'ouverture à la concurrence des services publics en réseau, proposée par M. Daniel Paul.

Il s'est également interrogé sur la volonté de compromis de la Commission européenne, M. Charlie McCreevy, commissaire en charge du marché intérieur, ayant en effet indiqué à ses collègues le 1er mars qu'il avait l'intention, pour compenser certains amendements du Parlement jugés trop audacieux, de présenter aux 25 Etats membres un rappel de la jurisprudence de la CJCE en matière de libre prestation de services et sur les services d'intérêt général (SIG) à caractère social, repoussant en revanche la perspective d'un texte sur les SIG en général, affirmant attendre l'avis du Parlement européen sur le Livre vert de la Commission de 2004, prévu en juillet, ce qui est également l'échéance fixée pour le dépôt de nouvelles offres sur les services à l'OMC.

Le rapporteur a ensuite dénoncé les ambiguïtés de la position des autorités françaises, longtemps favorables à la directive, avant les protestations des mouvements sociaux, et l'irruption de la question dans la campagne pour le référendum.

Il a souligné que la proposition de « directive services » avait d'abord recueilli l'assentiment de toutes les institutions communautaires : le 13 février 2003, le Parlement européen avait adopté une résolution se félicitant des « propositions visant à créer un instrument horizontal pour garantir la libre circulation des services » et approuvant le principe du pays d'origine. Il a indiqué que la Commission avait approuvé le texte à l'unanimité le 13 janvier 2004, et que pendant l'année 2004 les représentants des Etats membres n'avaient remis le texte en cause à aucun moment, demandant au contraire que l'examen du projet soit une priorité absolue. En réponse à une question de M. Jean-Claude Lefort du 2 décembre 2004, Mme Claudie Haigneré déclarait notamment que « cette proposition de directive justifie un accueil globalement positif » et qu'« il faut une harmonisation préalable avant toute application du PPO ».

Le rapporteur a rappelé que dès le 5 juin 2004 pourtant, dans le cadre du Forum social, l'ensemble des syndicats belges et le mouvement altermondialiste avaient rassemblé plusieurs milliers de manifestants à Bruxelles, et que la Confédération européenne des syndicats (CES) se déclarait déjà très préoccupée.

Il a remarqué que c'était la campagne référendaire qui avait amené le Gouvernement à déclarer la proposition de directive inacceptable, et rappelé les propos du Président de la République le 14 juillet 2005, refusant que la directive « services » ne ressurgisse à l'occasion de l'incertitude créée par le résultat du référendum.

Il a regretté que les partisans de la Constitution européenne aient laissé croire que la France en avait obtenu la disparition, alors que les différentes autorités, et la majorité de l'Assemblée nationale jouaient sur les mots, refusant de demander clairement le retrait d'un texte pourtant jugé inacceptable.

Quant au compromis adopté par le Parlement européen le 16 février dernier, il a reconnu qu'il prenait en compte l'opposition au principe de la primauté de la loi du marché, mais a considéré que cela restait insuffisant.

En effet, le rapporteur a estimé que l'expression avait certes disparu des articles de la proposition de directive (mais pas des considérants), mais que les effets du principe du pays d'origine demeuraient. Il a noté que la droite du Parlement européen avait refusé tous les amendements proposant d'écrire en toutes lettres que le principe du pays de destination s'appliquait. Il a également rappelé que M. Malcolm Harbour, chef de file du PPE sur le texte, avait expliqué à plusieurs reprises que le PPO continuait de s'appliquer, et qu'il restait inscrit dans la jurisprudence de la CJCE. Il a enfin repoussé le principal argument de Mme Evelyne Gebhardt pour convaincre de l'intérêt du compromis, selon lequel sans directive, la CJCE aurait le champ libre : il a estimé que c'était déjà le cas, puisque la proposition de directive consacrait très largement la jurisprudence ultralibérale de la CJCE.

En conséquence, le rapporteur a affirmé que la menace de dumping social restait entière. Il a rappelé que dans la proposition initiale de la Commission, c'est l'Etat d'origine qui devait s'assurer que ses ressortissants respectent ses règles sur le territoire d'autres Etats membres, ces derniers n'étant pas nécessairement informés de la présence des prestataires de services, en l'absence de déclaration préalable, interdite. Cela était évidemment impraticable. Il a admis que le Parlement européen avait souhaité renverser la charge du contrôle de l'activité des prestataires de services, qui incombe dorénavant à l'Etat d'accueil, mais a estimé qu'en réalité, l'amélioration apportée était faible et ne répondait pas aux objections formulées par le Conseil d'Etat, relatives à l'égalité devant la loi : ainsi, dans la mesure où le PPO subsiste, la France devrait contrôler qu'une entreprise applique bien certaines règles de son pays d'origine sur le territoire français !

Quant au régime d'autorisation, le rapporteur a considéré qu'il changeait peu par rapport au projet de la Commission. Le nouvel article 16 dresse une liste d'exigences que les Etats membres ne peuvent imposer, bien plus détaillée que la définition des situations pouvant justifier des mesures protectrices.

Le rapporteur a regretté que les Etats membres ne conservent le droit d'imposer des exigences concernant la prestation de service que pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique, de protection de l'environnement et de santé publique, ainsi que celui d'appliquer leur réglementation concernant les conditions d'emploi, que dans la mesure où elles satisfont aux principes de non-discrimination, de nécessité et de proportionnalité, appréciés par la CJCE.

Dans ces conditions, et en l'absence de coopération efficace entre les administrations des différents Etats membres, faute de volonté et de moyens, le rapporteur a craint que les exemples de dumping social (chantier de la centrale EDF de Porcheville, sous-traitants des chantiers de St Nazaire, palais de justice de Thonon-les-Bains, etc.), ne se multiplient.

Il a également déploré que si la proposition de directive préserve les quelques garanties prévues pour les salariés par la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs, rien ne soit prévu pour les indépendants, au risque d'une multiplication des faux indépendants, qui est une tentation récurrente de certaines entreprises.

Il a ensuite abordé le champ d'application de la proposition de directive, dénonçant le refus d'exclure d'autres services que les services d'intérêt général (SIG) au sens strict. Rappelant que les seuls services d'intérêt économique général (SIEG) clairement exclus étaient ceux qui faisaient déjà l'objet d'une directive sectorielle de libéralisation (poste, distribution d'eau ou d'énergie, traitement des déchets), il n'a pas vu là de grande conquête, d'autant qu'ils restent concernés par les mesures de simplification administrative, et celles concernant les autorisations et exigences interdites ou à évaluer, ainsi que les règles sur la qualité des services.

Il n'a rien vu là d'étonnant, compte tenu de la position de la Commission sur les services publics, pour qui il n'est  pas possible d'établir a priori une liste définitive de tous les SIG devant être considérés comme non économiques . Il a fait référence au rapport de M. Daniel Paul sur la proposition de résolution du groupe communiste tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'ouverture à la concurrence des services publics dans les secteurs de l'énergie, des postes et télécommunications et des transports ferroviaires : dès 1992, la Commission estimait que le mode d'organisation des services publics n'était pas compatible avec le développement du marché intérieur.

Sans développer la liste des secteurs que le Parlement européen a entendu exclure du champ d'application de la directive, qui sera présenté dans son rapport, il a voulu souligner certaines ambiguïtés.

Ainsi, il a remarqué que les « services à objectif d'aide sociale » devraient être exclus, sans que le champ de l'aide sociale ne soit précisé. Il a noté que la majorité avait souhaité élargir le champ du logement social pendant les débats sur le projet de loi portant engagement national pour le logement, et qu'il n'était pas sûr que la Commission puis la CJCE en aient une conception aussi vaste...

Il a salué la volonté d'exclure le cinéma et l'audiovisuel, mais rappelé que la culture ne s'y réduisait pas, et que les services de gestion des droits d'auteur, et la presse n'étaient pas exclus. Il a douté que l'exception pour le pluralisme des médias permette de maintenir le régime de la carte de journaliste, et les exigences déontologiques qui le fondent.

En ce qui concerne la santé, il a relevé des discordances entre les amendements adoptés aux articles 1 et 2.

Il a enfin affirmé que les avancées du Parlement devaient être relativisées, la proposition de directive ne faisant souvent que transposer la jurisprudence de la CJCE. Le PPE a en outre accepté la suppression de certaines dispositions à condition que la Commission les reprenne dans d'autres textes, comme en matière de remboursement des soins hospitaliers. Il a donc conclu que l'exclusion de certains secteurs par cette directive ne signifiait pas qu'ils soient épargnés par la libéralisation.

Pour toutes ces raisons, le rapporteur a appelé les commissaires à envoyer un signal politique fort et clair en exigeant le retrait du texte, demande qui avait été formulée à l'unanimité par la Délégation pour l'Union européenne, et sur laquelle l'Assemblée nationale était revenue.

Il a rappelé que le parcours de la proposition de directive n'était pas achevé, contrairement à une opinion largement répandue, et que le retrait du texte était toujours possible, la Commission donnant régulièrement des exemples de telles décisions. Il a également souligné que dans le cadre de la procédure de codécision, le Parlement européen et le Conseil devraient s'accorder sur un texte, et que l'un comme l'autre pouvaient donc le rejeter, comme le Parlement l'avait fait récemment pour la proposition de directive sur l'accès au marché des services portuaires.

S'exprimant au nom du groupe socialiste, M. Alain Gouriou a indiqué que son groupe s'associait à la demande de retrait de la proposition de directive relative aux services exprimée par le rapporteur dans sa proposition de résolution, et ce, pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, il a souligné la nécessité de tenir compte de la volonté du peuple français exprimée lors du rejet, par voie de référendum, le 29 mai 2005, du traité établissant une constitution pour l'Europe. Il a rappelé que le Gouvernement avait déclaré avant le référendum que le texte de la directive était inacceptable, et qu'il en avait demandé la « remise à plat », expression jugée ambiguë par les socialistes, ces derniers ayant préféré un retrait pur et simple du projet.

Il a ajouté que les eurodéputés socialistes français avaient également demandé le retrait de la directive, et que de surcroît, il s'associait à la remarque du rapporteur selon laquelle les limitations sectorielles du champ d'application de la directive étaient largement insuffisantes, notamment dans le domaine social.

Il a également illustré les différences de conception de la notion de « service public » existant entre les différents Etats membres de l'Union européenne, en évoquant la libéralisation des services postaux au Royaume Uni dont les conséquences dommageables étaient telles que dans certaines régions, le Gouvernement avait été contraint de mettre des crédits à disposition de Royal Post.

Il a précisé que les secteurs de l'éducation, de la culture et de la santé n'étaient pas clairement définis, et pourraient par conséquent entrer dans le champ d'application de la directive communautaire.

Enfin, il a fait état du risque d'une diminution globale de la protection des travailleurs, rappelant en conclusion que le groupe socialiste voterait en faveur de l'adoption de la proposition de résolution du rapporteur et de ses collègues du groupe communiste.

M. Alain Cousin, s'exprimant au nom du groupe Union pour un mouvement populaire, a rappelé que la libre circulation des services était partie intégrante de la stratégie de Lisbonne définie au Conseil européen de mars 2000, et que la Commission avait adopté en janvier 2004 la proposition, jugée depuis inacceptable par la France.

Les critiques formulées lors de la campagne référendaire concernaient le principe du pays d'origine, l'inclusion dans le champ d'application de la directive des services d'intérêt général, ainsi que des professions juridiques réglementées, du secteur social, médico-social et sanitaire, de la culture, et des transports notamment.

L'orateur a rappelé que le Président de la République avait demandé une remise à plat du texte début 2005 et que la Commission des affaires économiques avait adopté la proposition de résolution de M. Robert Lecou demandant son réexamen le 1er mars 2005.

L'orateur a souligné que la France était le premier exportateur européen de services, et que ce secteur représentait 7,5 millions d'emplois et concernait plus de 800 000 entreprises.

Il a rappelé que le 16 février 2006, le Parlement européen avait adopté un texte de compromis, tenant compte des objections formulées par la France, puisque ni le droit pénal, ni le droit du travail, ni la fiscalité ne seraient concernés, et remettant en cause, selon lui, le principe du pays d'origine. Le compromis adopté affirme également la primauté des directives sectorielles sur la directive « services », et précise que les motifs d'intérêt général doivent être préservés dans son application. Ont été retenus, plutôt que le principe du pays d'origine, les principes communautaires de liberté d'établissement et de libre prestation de services, tandis qu'ont été exclus les services d'intérêt général, l'aide sociale, le crédit, les transports - de fonds, de personnes décédées, le transport portuaire, les ambulances, notamment - les professions d'avocats et celles liées à l'exercice de l'autorité publique - notamment celle de notaire -, les jeux d'argent, le secteur audiovisuel, et les secteurs visés par des directives sectorielles, à l'instar de l'électricité. Il a ajouté que le système de contrôle avait été modifié, afin que les normes et les certifications relèvent de l'Etat membre de destination.

L'orateur a estimé que la gauche française était isolée dans ce débat par rapport à la gauche européenne. Précisant que le Gouvernement se félicitait du vote du Parlement européen, et qu'il ferait en sorte que la Commission européenne en tienne compte, il a indiqué que le groupe UMP se prononcerait contre l'adoption de la proposition de résolution du rapporteur.

En réponse aux différentes interventions, le rapporteur s'est tout d'abord félicité de la quasi-unanimité avec laquelle les socialistes, les communistes et les verts français avaient rejeté, au Parlement européen, le texte de compromis qui avait été présenté, consensus dont témoignait l'intervention, au nom du groupe socialiste, de M. Alain Gouriou.

Précisant qu'il ne nourrissait que peu d'espoir de convaincre le groupe UMP de l'opportunité de cette proposition de résolution, il s'est toutefois réjoui de la qualité des arguments échangés, ajoutant qu'il y avait là une occasion d'éclairer les dispositions de la directive qui demeuraient obscures.

Revenant sur ces dispositions, il a ajouté qu'elles s'avéraient perfectibles, regrettant en particulier l'absence dans le texte de toute référence à la notion de pays d'accueil, ce qui lui a semblé de nature à entretenir une grande ambiguïté juridique.

Il a rappelé que lorsque les règles du pays d'accueil s'imposeront, elles s'appliqueront sous réserve du droit communautaire et du droit de la concurrence.

Il a mentionné l'exemple du droit pénal, en théorie exclu du champ de la directive, mais il a cité un considérant rappelant que ces règles ne devraient pas être détournées afin de faire échec aux dispositions de la directive.

Il est également revenu sur le cas des directives sectorielles, comme la directive 96/92/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité. Il a rappelé à cette occasion que celles-ci laissaient le champ ouvert à la libéralisation.

Il a estimé que dans ces conditions, le vote des citoyens français sur la ratification du Traité portant Constitution européenne le 29 mai 2005, n'était pas respecté.

Il a par ailleurs souligné que pour défendre le texte de compromis adopté par le Parlement européen, M. Malcolm Harbour et M. Graham Watson avaient affirmé que le principe du pays d'origine demeurait ancré dans la jurisprudence communautaire.

Le Président Patrick Ollier s'est également réjoui de la qualité des débats sur ce sujet, mais a fait part de son désaccord avec l'analyse du rapporteur.

Il a réfuté l'argument selon lequel le Gouvernement se satisferait d'un compromis en trompe-l'œil, rappelant l'engagement constant de ce dernier, ainsi que du Président de la République, pour demander une remise à plat du texte.

Il a estimé que le texte de compromis issu du Parlement européen différait radicalement de la proposition d'origine, et s'en est réjoui dans la mesure où la Commission des affaires économiques avait, à l'occasion de l'examen de la proposition de résolution de la délégation pour l'Union européenne sur la « directive services », déjà réclamé une remise à plat en vue d'un réexamen du texte.

Il a néanmoins admis que les vœux de la Commission des affaires économiques de voir rapidement mise en œuvre une harmonisation du secteur des services et examinée une directive sur les services d'intérêt général n'avaient pour l'heure pas été suivis d'effet.

Répondant au rapporteur sur la question de l'impact de la directive sur les dispositions pénales nationales, il a réaffirmé que celles-ci ne seraient en aucune façon affectées.

Regrettant que Mme Evelyne Gebhardt n'ait pas répondu favorablement à l'invitation à venir s'exprimer devant la Commission, il a par ailleurs salué le maintien, dans le texte de compromis, du principe d'une déclaration préalable du prestataire de service auprès de l'Etat membre.

Le Président a en outre rappelé les dispositions introduites dans le code du travail à l'occasion de l'examen de la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, indiquant qu'elles avaient vocation à étendre et renforcer les garanties découlant de la directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.

Il a conclu en affirmant que la présente proposition de résolution ne lui paraissait plus justifiée compte tenu des avancées enregistrées par rapport au texte d'origine de la « directive services », et a affirmé sa confiance dans le Gouvernement français pour défendre auprès du Conseil européen, un texte de compromis qu'il a jugé satisfaisant.

Contrairement aux conclusions du rapporteur, la Commission a alors rejeté la proposition de résolution (n° 2923) relative aux services dans le marché intérieur.

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La Commission a entendu M. Jean Syrota, Président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE).

Le Président Patrick Ollier, après s'être félicité que l'audition de M. Jean Syrota ait enfin pu être organisée, lui a posé les questions suivantes :

- quel est le bilan de l'ouverture à la concurrence, notamment en ce qui concerne l'évolution des prix en France et en Europe ? Quelles sont les causes de cette évolution ?

- Les directives européennes prévoient une libéralisation totale des marchés au plus tard au 1er juillet 2007. La France est-elle prête pour ce rendez-vous ? Les opérateurs ont-ils procédé aux adaptations nécessaires ?

- La CRE a émis un avis négatif sur des arrêtés tarifaires fixant les tarifs de l'obligation d'achat en arguant notamment de conditions consenties aux producteurs excessivement favorables. Ces arrêtés tarifaires doivent être revus avant le 31 mars, date d'entrée en vigueur de l'article 36 de la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique qui prévoit que les tarifs de rachat ne peuvent conduire à une rémunération anormale des capitaux investis dans les installations de production. La CRE a-t-elle été saisie de projets de nouveaux arrêtés ?

Après avoir remercié la Commission de lui donner l'occasion de présenter l'activité de la CRE, M. Jean Syrota a rappelé que celle-ci, autorité administrative indépendante du Gouvernement, tirait sa légitimité du contrôle exercé par le Parlement sur son action.

L'ouverture des marchés de l'électricité et du gaz à la concurrence, qui a commencé en 2000, mettant un terme à près de cinquante-cinq années de monopole, s'est déroulée sans incident particulier, comme une sorte de révolution tranquille.

Plus de 500 000 sites dans le secteur de l'électricité et plus de 70 000 dans le secteur du gaz ont déjà fait jouer leur éligibilité, ce qui représente plus de 10 % des sites éligibles. Le mouvement continue : chaque mois, quelque 30 000 à 50 000 sites pour l'électricité et 5 000 pour le gaz décident de se fournir en énergie sur le marché libre.

Les marchés sont ouverts à la concurrence pour 70 % du volume de consommation environ. À peu près la moitié de la consommation des sites éligibles se fournit dans le secteur concurrentiel. Plus de 95 % des sites éligibles - 100 % pour l'électricité et 95 % pour le gaz - sont raccordés à un réseau sur lequel interviennent plusieurs fournisseurs.

La CRE a pris l'initiative, en 2002, de créer des groupes de travail sur l'électricité et le gaz, appelés GTE 2004 et GTG 2004, qui ont permis de rassembler autour de la même table tous les acteurs concernés, représentants des producteurs, des fournisseurs, des consommateurs et de l'administration. Il s'agissait de préparer le passage, au 1er juillet 2004, de 3 100 à 4 500 000 sites éligibles pour l'électricité et de 1 200 à 640 000 sites éligibles pour le gaz. L'objectif de ces groupes de travail était que l'ensemble des acteurs se mettent d'accord sur les modalités pratiques d'ouverture des marchés à la concurrence pour tous les professionnels. Progressivement, à la demande des participants, la CRE est passée du rôle de simple conciliateur à celui de décideur.

Il n'appartient pas à la CRE de juger si le nombre de 500 000 sites ayant décidé, pour l'électricité, de faire jouer la concurrence était élevé ou non, mais l'on peut observer, à la lumière de quatre exemples, que le contexte institutionnel et énergétique ne pouvait être considéré comme favorable à l'exercice de la concurrence.

Premièrement, expliquer l'intérêt de l'ouverture des marchés à la concurrence quand les prix des matières premières et de l'énergie flambent est une mission difficile sinon impossible. La concurrence fait baisser les prix mais toutes choses égales par ailleurs. En tout état de cause, l'ouverture des marchés n'a rien à voir avec cette augmentation des prix, qui a débuté vers la fin 2003 alors que l'ouverture des marchés date de 1990 au Royaume-Uni, de 1998 en Allemagne et de 2000 en France. Il existe en revanche une corrélation assez forte entre, d'une part, l'augmentation des prix de gros de l'électricité en France et en Allemagne et, d'autre part, l'augmentation des prix de gros du gaz, eux-mêmes corrélés à l'augmentation des prix du pétrole.

Deuxièmement, les marchés de l'électricité et du gaz sont fortement concentrés, avec des opérateurs historiques hégémoniques, au moins pour l'électricité, et leur domination tend à s'accroître avec les mouvements de concentration actuels. La situation des opérateurs historiques doit néanmoins être mise en perspective. La sécurité d'approvisionnement en Europe ne sera assurée qu'au prix de lourds investissements, que seuls peuvent assumer des acteurs industriels de grande taille mais la Commission européenne est encline à évaluer la situation à travers le prisme des marchés nationaux. Or une entreprise peut être très dominante sur un marché national tout en étant de taille raisonnable à l'échelle européenne. Il conviendrait par conséquent d'anticiper l'émergence de ce marché européen. Il n'en demeure pas moins que toute concentration fait peser des risques d'entente et de manipulation des prix, souvent dénoncés, d'autant que le fonctionnement des marchés français de l'électricité et du gaz n'est pas surveillé systématiquement par une autorité indépendante - la CRE étant simplement habilitée par la loi à contrôler les marchés organisés et les échanges aux frontières mais sans pouvoir exercer cette compétence faute de publication des décrets d'application correspondants et le Conseil de la concurrence n'étant pas spécialisé dans le domaine de l'énergie et agissant a posteriori.

Troisièmement, les prix du marché sont décalés par rapport aux tarifs réglementés. Deux logiques très différentes coexistent : les tarifs réglementés sont fixés pour couvrir l'ensemble des coûts ; les prix de marché de la fourniture sont fixés en fonction de l'offre et de la demande présentes et à venir. Le décalage s'accroît, spécialement pour l'électricité, les coûts de production d'EDF étant contenus tandis que les prix de marché se sont envolés. Gaz de France, pour sa part, achète son gaz dans le cadre de contrats à long terme, à un prix indexé sur celui du pétrole mais le Gouvernement ne répercute plus l'intégralité des variations des variations de ses coûts d'approvisionnement ; le décalage significatif entre tarif réglementé et prix de marché qui en résulte freine le passage à la concurrence.

Quatrièmement, l'indépendance des gestionnaires de réseau est insuffisante. Les réseaux doivent être gérés indépendamment des autres activités des groupes intégrés. L'accès doit être libre et non discriminatoire. Des progrès substantiels ont été enregistrés en matière de transport : RTE, le réseau de transport d'électricité, a acquis son indépendance relativement tôt, suivi plus récemment par son homologue dans le domaine du gaz. Les activités de fourniture et de gestion du réseau de distribution ne sont en revanche pas complètement séparées. La communication des groupes intégrés doit cesser d'ignorer la séparation des activités : une confusion très forte demeure entre les logos de la distribution et des maisons mères.

Ce dernier problème est très important, car après la séparation comptable des activités et la séparation juridique des réseaux, la question de la séparation de la propriété des activités des entreprises verticalement intégrées est régulièrement abordée par la Commission européenne : moins EDF et GDF respecteront le principe de séparation complète des activités, plus ils seront touchés lorsqu'arrivera l'échéance de séparation de propriété des réseaux, déjà réalisée dans bon nombre d'États membres, et pas les moindres.

L'échéance du 1er juillet 2007 d'ouverture des marchés à la concurrence à tous les consommateurs est incontournable : prévue par des directives, elle s'imposera à tous, avec ou sans loi nationale. Le nombre de consommateurs éligibles passera alors de 4,5 à 30 millions pour l'électricité et de 500 000 à 10 millions pour le gaz. Il conviendra de prendre des dispositions spécifiques pour les particuliers, généralement dotés de compteurs sommaires relevés une ou deux fois par an.

Pour aborder cette échéance, la CRE a mis sur pied de nouveaux groupes de travail, baptisés GTE 2007 et GTG 2007, rassemblant tous les protagonistes de cet achèvement de l'ouverture du marché, y compris les associations de petits consommateurs. Les systèmes d'information des opérateurs, et spécialement des gestionnaires de réseaux, doivent également s'adapter, les opérations manuelles n'étant plus possibles lorsque le nombre de consommateurs atteint 30 millions. La CRE a exprimé des craintes à ce propos mais celles-ci sont sans doute infondées puisque le Président d'EDF, principale entreprise visée, a déclaré qu'elle serait prête.

Cette échéance ne posera sans doute pas de problème pour les consommateurs, à l'instar de celle du 1er juillet 2004 : aucun dysfonctionnement n'était survenu, et la qualité de la fourniture avait été maintenue puisqu'elle est assurée par les réseaux et non par les fournisseurs.

La CRE, au cours de ses six premières années d'existence, s'est efforcée d'exercer ses missions efficacement et d'être reconnue comme un acteur crédible, indépendant, impartial et réactif, attachant une grande importance à la concertation et à la transparence. Elle a été active au plan européen dans le cadre de la préparation du marché intérieur et a veillé à défendre l'image de la France, dont l'action des pouvoirs publics, jusqu'alors, avait plutôt perçu comme cherchant à retarder, si ce n'est à empêcher, l'ouverture des marchés. L'indépendance et l'efficacité de la CRE ont été reconnues en deux circonstances : dans un rapport de l'Agence internationale de l'énergie, l'AIE, sur la politique énergétique de la France ; plus récemment, par la bouche du commissaire européen chargé de l'énergie, M. Andris Piebalgs.

M. Daniel Paul, intervenant au nom du groupe communiste, a estimé que la CRE avait bien rempli son office - faire en sorte que la mise en concurrence fonctionne - mais que les faits donnaient de plus en plus raison au groupe communiste, opposé à ce processus. Il a aussi estimé que l'augmentation des prix de gros de l'électricité était corrélée à l'ouverture des marchés, constatant que la courbe avait commencé à monter avant la fin de 2003, quoique moins brutalement qu'après cette époque. Il a d'ailleurs rappelé qu'à l'occasion des travaux de la commission présidée par M. Marcel Roulet, il avait été expliqué très clairement que l'ouverture à la concurrence n'empêcherait absolument pas la progression de prix et qu'il fallait constituer un marché au niveau européen avec des tarifs égalisés non pas par le bas mais par le haut.

Il a déploré que la constitution d'oligopoles ne fasse que commencer, certains rêvant d'un ensemble EDF-GDF-Suez, auquel pourraient même se greffer des opérateurs italiens ou espagnols. Comment ces regroupements se traduiront sur les prix ? Le parc électronucléaire et hydroélectrique de la France ne devrait-il pas mettre les consommateurs d'électricité français à l'abri de la hausse des prix ?

M. Claude Gatignol, intervenant au nom du groupe UMP, s'est dit ravi que la Commission ait pu recevoir le Président de la CRE, observateur privilégié des questions énergétiques. Il a souligné que, comme M. Jean Syrota l'a indiqué, les investissements gigantesques nécessaires dans le secteur énergétique requéraient des entreprises de taille suffisante. Puis, il a posé les questions suivantes :

- comment la CRE, instance indépendante, conduit-elle ses analyses et élabore-t-elle ses conclusions ? Quelles sont ses observations concernant les prix de l'électricité et du gaz, mais aussi le transport et la distribution ? Quel jugement peut-on porter sur l'évolution des capacités de production d'électricité de la France, alors que la consommation globale d'énergie, et particulièrement d'électricité, tend à augmenter ?

- La variation considérable du prix du marché enregistrée depuis 2003 n'est-elle pas imputable au faible pourcentage de consommateurs ayant choisi de quitter le fournisseur historique qui n'a pas permis de faire progresser suffisamment la concurrence ?

- Comment assurer la cohabitation entre les tarifs réglementés et le prix du marché ?

- La multiplication des fournisseurs est-elle de nature à affecter les émissions de carbone ?

M. François Brottes, s'exprimant au nom du groupe socialiste, a regretté que cette audition n'ait pas eu lieu en amont de l'examen des projets de lois récemment adoptés sur l'énergie. Puis, il s'est interrogé sur l'utilité de la CRE, même forte et indépendante, si elle est cantonnée à un rôle d'observatoire ce dont semblent attester plusieurs faits : le Gouvernement est passé outre l'avis de la CRE en matière d'évolution des tarifs du gaz, le régulateur n'a manifestement pas été consulté à propos de la modification du paysage industriel en cours, M. Pierre Gadonneix, lors de son audition par la Commission, n'avait pas une seule fois fait allusion à la CRE. L'utilité du Parlement semble, au demeurant, tout aussi douteuse : les dispositions interdisant la privatisation de Gaz de France, qui traduisaient un engagement extrêmement clair de M. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie, sont, peu de temps après leur adoption, remises en cause.

S'agissant de l'éventuelle disparition des tarifs, M. François Brottes a souligné les risques qui en résulteraient notamment dans les territoires ruraux où la concurrence ne s'exercera pas faute d'une rentabilité suffisante.

Puis, il a souhaité connaître l'analyse du Président de la CRE sur les mécanismes mis en place en faveur des consommateurs électro-intensifs, qu'il a jugé, par ailleurs, trop timides compte tenu de l'importance du problème et notamment des risques de délocalisation.

Il a également souhaité savoir si la CRE avait les moyens d'analyser les coûts de production ou d'approvisionnement, d'une part, et de transport et de distribution, d'autre part, de l'électricité et du gaz.

Puis, il a demandé au Président de la CRE son analyse sur les modalités de financement de l'aval du cycle nucléaire, sur les provisions actuellement constituées et sur les modalités envisageables de gestion de ces sommes, notamment sur la mise en place d'un fonds dédié.

S'agissant du développement des énergies renouvelables, il a estimé que son coût devait être apprécié au regard de la nécessité pour l'Europe et pour la France de respecter leurs engagements internationaux.

Enfin, il a souhaité savoir comment la CRE voyait-elle l'avenir en ce qui concerne la sécurité d'approvisionnement et notamment en matière de développement des interconnexions.

M. Jean Dionis du Séjour, intervenant au nom du groupe UDF, a salué l'initiative de la Commission et a témoigné de la disponibilité de M. Jean Syrota pour échanger avec des parlementaires notamment à l'occasion de l'examen des projets de lois relatifs à l'énergie.

Il a insisté sur l'attachement de l'UDF à l'existence d'un vrai régulateur, compte tenu de la consanguinité entre l'État et l'opérateur historique, et s'est enquis des avancées nécessaires pour renforcer le pouvoir de la CRE.

Il a ensuite souhaité savoir si, sur le fond, l'augmentation du prix de gros de l'électricité était imputable à l'ouverture des marchés à la concurrence ou à la corrélation très forte entre les marchés du pétrole, de l'électricité et du gaz.

Enfin, il a indiqué qu'il aimerait également connaître l'avis de la CRE sur le projet de rapprochement entre Suez et GDF.

M. Jean-Paul Charié s'est dit attaché à la libre concurrence qui permet à l'offre et au rapport qualité-prix de s'améliorer, pour le profit de l'usager mais à la condition que le monopole public ne soit pas remplacé par pire encore : un monopole privé ou une entente. Il a estimé que c'était pour lutter contre cette menace que des autorités indépendantes de régulation avaient été mises en place mais encore fallait-il que celles-ci puissent fonctionner efficacement. Il a donc souhaité savoir pourquoi la CRE ne disposait pas de plus de pouvoirs, ce qu'elle aurait fait si elle avait eu des prérogatives plus larges et ce qu'elle a fait jusqu'à présent compte tenu des compétences qui sont les siennes.

M. Claude Birraux a rendu à son tour hommage au Président de la CRE, organisme qui a d'emblée trouvé ses marques et imposé son impartialité.

Puis, il a rappelé que les compétences de la CRE résultent de dispositions législatives et que, lors de la discussion de la loi du 10 février 2000, la majorité d'alors, suivant son rapporteur, M. Christian Bataille, avait justement refusé de lui donner davantage de pouvoir.

Puis, il a souhaité savoir si la CRE entretenait des relations avec les autres opérateurs européens et si elle essayait de convaincre la Commission européenne que le degré d'ouverture du marché ne se mesure pas exclusivement à l'aune du nombre de clients qui ont changé de fournisseur.

En réponse aux différents intervenants, M. Jean Syrota, Président de la CRE, a apporté les prévisions suivantes :

- la CRE tient ses pouvoirs de la loi et n'a jamais cherché à les faire accroître. Elle est, en revanche, intervenue plusieurs fois pour faire clarifier les conditions d'exercice de ses prérogatives. Ainsi, la loi du 10 février 2000 a investi la CRE de la mission générale de veiller au bon fonctionnement du marché de l'électricité avec le ministre chargé de l'Énergie, le ministre chargé de l'économie, les autorités concédantes et les collectivités locales ayant constitué un distributeur non nationalisé « chacun en ce qui le concerne ». La filiale de négoce d'EDF a refusé de communiquer des informations à la CRE sur cette base en estimant que cette disposition n'attribuait pas à la CRE de compétence nouvelle par rapport à celles prévues par la loi dans des cas spécifiques comme le règlement des différends.

En conséquence, un amendement précisant les pouvoirs de la CRE a été proposé à des parlementaires qui ont accepté de le défendre à l'Assemblée nationale lors de la discussion du projet de loi d'orientation sur l'énergie mais M. Patrick Devedjian, alors ministre délégué à l'Industrie, y a été défavorable compte tenu des missions imparties au Conseil de la concurrence. L'amendement a donc été retravaillé pour assurer la coordination avec les attributions du Conseil de la concurrence et il a été adopté par le Sénat, en deuxième lecture, après avoir été défendu par le Gouvernement. La disposition résultant de cet amendement a toutefois été significativement remise en cause par la Commission mixte paritaire, la CRE ne conservant qu'une mission de surveillance des marchés organisés et des échanges aux frontières mais l'essentiel, c'est-à-dire la formation des prix et les échanges de gré à gré, a été retiré. En outre, un décret conditionnant l'application du dispositif a été introduit par la Commission mixte paritaire et ce décret n'est toujours pas paru. En conséquence, personne ne contrôle vraiment le marché. Or, on sait bien que le but des entreprises n'est pas de se faire concurrence mais de maximiser leurs profits, ce qu'elles peuvent faire en s'entendant.

Au demeurant, de très nombreux autres décrets prévus par la loi n'ont toujours pas été publiés alors que des décrets ont été publiés sans que la loi les ait prévus. La complexité du droit applicable devient d'ailleurs préoccupante. Par exemple, différentes procédures concurrentes peuvent être suivies pour réaliser une ligne privée ce qui rend possible l'annulation contentieuse de celle qui sera choisie.

Les missions de la CRE ressortissent principalement de la surveillance du fonctionnement de la concurrence par la bonne gestion des réseaux, indépendante et avec un accès libre et non discriminatoire. Elle fixe les tarifs d'accès aux réseaux, sous le contrôle du Gouvernement : si celui-ci approuve ou ne réagit pas dans les deux mois, la proposition de la CRE est retenue ; s'il s'y oppose, la CRE réexamine sa proposition, ce qui n'est encore jamais arrivé.

Ces tarifs sont en baisse. Les rendements croissants sont la contrepartie des monopoles naturels. Ils doivent se traduire par une baisse des coûts et des prix ; la CRE y veille. La loi, à cet effet, lui donne tous moyens d'investigation. La CRE a récemment pris l'initiative d'effectuer un audit sur les coûts d'approvisionnement de Gaz de France, qui a d'abord été réticent mais a fini par se soumettre sous la pression d'une arme de dissuasion puissante : un pouvoir de sanction pouvant aller, en cas de récidive, jusqu'à une amende de 5 % du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée. Il a été constaté à cette occasion, que GDF répercutait correctement les variations de coûts mais procédait à un calage excessif, d'environ 80 millions d'euros par an, des coûts afin de faire face à des risques ;

- la CRE est indépendante du Gouvernement ; son autorité de contrôle est le Parlement. Les administrations ont du mal à comprendre qu'un autre organisme puisse détenir des prérogatives dans ce qu'elles considèrent comme leur secteur d'activité et parfois les exercer avec davantage de compétences qu'elles. Elles supportent donc mal l'existence d'un régulateur et lui compliquent délibérément la tâche ; ainsi, par exemple, les décrets d'application, au lieu de reprendre les termes de la loi, sont rédigés de façon légèrement différente afin de créer un trouble sur les compétences de la CRE. De même, il arrive que les membres des cabinets, souvent issus de l'administration, s'efforcent de convaincre leur ministre de ne pas prendre en compte les avis de la CRE et tout dépend de la personnalité des ministres. Ceci étant, le renouvellement du personnel administratif permet l'arrivée de responsables dénués de préjugés avec lesquels il est plus facile de travailler. D'une manière générale, la CRE a toutefois entretenu des relations convenables avec tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 2000 ;

- la CRE dispose aussi d'un pouvoir de règlement des différends : en complément de la réglementation, elle crée une jurisprudence qui, parce qu'elle est applicable à des dizaines, des centaines voire des milliers de cas similaires, constitue quasiment une forme de réglementation. Ces règlements de différends sont susceptibles d'appel devant la cour d'appel. EDF fait systématiquement appel mais les décisions de la CRE ont rarement été infirmées, si ce n'est, par deux fois, pour des raisons de forme, le pouvoir d'injonction de la CRE, depuis lors confirmé par la loi, ayant ainsi été contesté ;

- la méthode de travail de la CRE repose sur deux principes : la concertation et la transparence. La commission plénière ne statue qu'après avoir entendu toutes les parties concernées. Ses délibérations sont rendues publics immédiatement, sauf lorsqu'ils concernent les avis sur les projets de textes réglementaires ou lorsqu'il s'agit de propositions. Dans ce deuxième cas, la loi ne permet leur publication qu'à l'occasion de la publication de l'acte sur lequel il porte. Si le Gouvernement ne donne pas suite, la proposition de la CRE ne sera donc jamais rendue publique et elle sera confidentielle à tout jamais ; c'est l'un des points sur lesquels le Parlement pourrait légiférer pour améliorer le fonctionnement du régulateur et renforcer sa crédibilité ;

- une autre préoccupation de la CRE est que les gouvernements successifs n'ont jamais appliqué l'article 31 de la loi du 10 février 2000, qui prévoit la consultation de la CRE sur les projets de règlement relatifs à l'accès aux réseaux publics de transport et de distribution d'électricité, aux ouvrages de transport et de distribution de gaz naturel et aux installations de gaz naturel liquéfié et à leur utilisation. La CRE n'a jamais été consultée sur le fondement de cet article mais seulement lorsqu'une autre disposition particulière prévoyait cette consultation ;

- le droit applicable devra probablement également évoluer s'agissant de la régulation de l'accès aux stockages souterrains de gaz. En théorie, ces stockages ne constituent pas un monopole naturel mais comme il est extrêmement difficile d'en créer de nouveaux, leurs propriétaires sont, de fait, en situation de monopole. Or, les fournisseurs ont besoin d'accéder aux stockages et ils ne peuvent aujourd'hui le faire que selon des modalités négociées et non réglementées ;

- l'ouverture à la concurrence n'a rigoureusement rien à voir dans l'augmentation des prix de l'électricité comme l'étalement des dates d'ouverture des marchés européens l'atteste. En revanche, les prix des matières premières ont augmenté : aussi bien le pétrole que la charbon, le nickel, le manganèse ou l'or. Or, le prix du gaz est indexé sur celui des produits pétroliers dans le cadre des contrats d'approvisionnement à long terme et le prix de l'électricité est lié à celui du gaz car nombre de pays d'Europe produisent leur électricité à partir du gaz. Or, ce n'est pas l'ouverture à la concurrence des marchés du gaz et de l'électricité qui explique la hausse des cours du pétrole. Toutefois, si l'augmentation du coût du pétrole joue sur celui de l'électricité, la concurrence, à prix du pétrole égal, doit conduire à faire baisser le prix de l'électricité à condition que cette concurrence soit effective, donc que le marché soit surveillé ;

- les prix de l'électricité et du gaz ne peuvent rester indéfiniment réglementés ; la coexistence entre des tarifs et des prix différents, résultant de deux logiques différentes, est difficile. Le maintien des tarifs réglementés est du ressort du Gouvernement et du Parlement. La protection de certaines catégories de consommateurs est, en tout état de cause, possible, y compris par d'autres instruments que les tarifs ;

- s'agissant des énergies nouvelles et renouvelables, la CRE n'a pas été saisie de nouveaux tarifs d'obligation d `achat. La CRE se prononce sur ces tarifs sur la base des critères fixés par la loi et émet un avis défavorable lorsque ces critères ne lui paraissent pas justifier le niveau du prix choisi, comme cela a été le cas pour l'électricité d'origine éolienne. De même, sur les tarifs réglementés du gaz, il est arrivé à la CRE d'estimer que la loi n'était pas respectée, que le décret ne permettait pas de procéder à un rabais commercial et qu'enfin l'arrêté fixant l'évolution à moyen terme n'était pas non plus respecté ;

- les regroupements d'opérateurs risquent de porter préjudice à la concurrence mais ce n'est pas automatique : il arrive que les deux seuls protagonistes d'un marché se ruinent mutuellement, même s'il est plus courant qu'ils s'enrichissent ! Les regroupements sont inéluctables pour réduire les coûts et procéder aux très gros investissements nécessaires mais il conviendrait que la taille du marché augmente également c'est-à-dire que le marché intérieur européen soit effectivement réalisé. Or, c'est loin d'être le cas. En revanche, la constitution de marchés internationaux à l'échelle, par exemple, de la plaque continentale - Benelux, France, Allemagne voire Autriche - est plus proche mais nécessite encore le développement des interconnexions. Le rôle du régulateur, à cet égard, est crucial, car il détient le pouvoir sur les investissements du gestionnaire du réseau de transport. Encore faut-il se mettre d'accord avec les interlocuteurs de l'autre côté de la frontière : les capacités d'interconnexion avec la Belgique, dont les autorités étaient au départ réticentes, ont doublé, mais c'est plus difficile avec l'Italie ou l'Espagne. Le vrai marché aura éclos lorsque les congestions seront localisées aléatoirement et pas uniquement aux frontières nationales. En attendant, le risque de dérapage sur les prix lié aux concentrations existe, à moins que les marchés ne soient convenablement surveillés. La Commission européenne semble vouloir s'emparer du problème : elle vient de rendre publique un rapport d'étape évoquant des pistes globales, concernant en particulier la surveillance des prix et la séparation de propriété des réseaux ;

- les régulateurs européens sont réunis au sein de deux associations, le Conseil des régulateurs européens de l'énergie (CER) qui est un club informel et le groupe des régulateurs européens de l'électricité et du gaz (ERGEG) dont la Commission européenne assure le secrétariat. Ces associations travaillent bien mais les pouvoirs des différents régulateurs varient fortement ;

- le Président de la CRE n'a pas à s'exprimer sur le sujet du financement de l'aval du cycle nucléaire ; l'ancien Président de la Cogema ne peut que rappeler avoir constitué dans cette entreprise un fonds dont il est ensuite apparu que le montant dépassait les besoins ;

- s'agissant des concentrations, si le régulateur n'a aucun pouvoir, il sera tôt ou tard concerné, à l'initiative de la Commission europénne, compte tenu des implications relatives aux réseaux. L'isolement de Gaz de France a toujours été considéré comme une curiosité et il a été envisagé, par le passé, de le rapprocher, entre autres, d'un groupe pétrolier public. Depuis quelques années, les rapprochements sont plutôt envisagés entre électriciens et gaziers, la mode voulant qu'une convergence, pourtant fort discutable, existe entre la fourniture des deux énergies. La fusion d'EDF et de GDF n'est pas envisageable compte tenu de ses effets sur la concurrence sur le marché français. Une concentration soumise au contrôle de la Commission européenne nécessite l'examen par celle-ci de ses effets sur la concurrence. Une fusion entre Suez et GDF aurait des effets sur la concurrence en France et en Belgique. Lorsque la concurrence est affectée, la Commission européenne exige des contreparties. Elle a ainsi demandé à EDF, à l'occasion de la prise de participation dans EnBW, de mettre des capacités de production à la disposition de fournisseurs concurrents. On ne peut pas préjuger de ce que demanderait la Commission pour autoriser une fusion entre Suez et GDF mais un sujet majeur est la séparation patrimoniale des réseaux et cette fusion pourrait être une bonne occasion donnée à la Commission d'exiger cette séparation qui est d'ailleurs en cours de réalisation en Belgique. En outre, le cœur des missions de service public, notamment la qualité et la continuité de la fourniture, n'est pas assuré par les fournisseurs mais par le réseau ;

- la CRE s'est battue à plusieurs reprises afin que la Commission européenne ne se contente pas d'un critère unique pour mesurer le degré d'ouverture des marchés et pour qu'elle examine également la mise en œuvre des dispositions arrêtées. Lorsqu'un consommateur est satisfait de son fournisseur, il n'a aucune raison d'en changer. Les Allemands ont prétendu ouvrir leur marché à 100 % - alors que la France ne le faisait qu'à hauteur d'un peu plus de 30 % - mais cet effort a été très théorique et il a été demandé à la Commission européenne d'évaluer, par exemple, la quantité d'électricité et de gaz vendue par des étrangers en Allemagne ou encore la marche à suivre par un consommateur allemand souhaitant se fournir à l'étranger. Les dernières évaluations de la Commission européenne tiennent compte de davantage de critères et la France est d'ailleurs remontée grâce à cela dans le classement des pays méritants en matière de concurrence.

Le Président Patrick Ollier, après avoir remercié M. Jean Syrota pour ses réponses, a signalé que ce dernier s'apprêtait à quitter ses responsabilités. Il a, en conséquence, tenu à saluer en lui un grand serviteur de l'État, associant à cet hommage les représentants des quatre groupes de l'Assemblée. Il a souligné combien la Commission des affaires économiques avait apprécié le travail effectué par M. Jean Syrota à la présidence de la CRE et, en particulier, l'indépendance et l'impartialité dont il avait fait preuve.

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